Par le colonel Michel Garder

Nous portons en nous un rêve d’enfance plus ou moins enseveli sous les scories de notre vie d’homme. Parfois il finit par s’éteindre en nous, accentuant par là le froid de la vieillesse annonciateur de la fin, mais lorsque le Très-Haut vous accorde la grâce de sa perpétuité, il devient d’adjuvant majeur de votre existence, et même s’il ne se réalise pas ici-bas, il facilite grandement le passage dans cet au-delà mystérieux dont il constitue l’avant-goût, la promesse ineffable. Le mien vient de se réaliser ici-bas, sans pour autant déflorer en quoi que ce soit son aspect merveilleux de promesse, à l’instar du « nunc dimittis » du vieillard Siméon dans l’Evangile selon Saint-Luc.  

 

UN TRES LOINTAIN PROLOGUE

20 février 1920. Le long du quai de Novorossisk sont amarrés un certain nombre de bâtiments de guerre et de commerce assaillis par une foule bigarrée de civils et de militaires. Un petit garçon de quatre ans porté par un capitaine de cavalerie moustachu qui, lui, ne part pas, arrive à bord d’un destroyer américain. Son petit frère dans les bras de sa nounou et sa mère sont déjà là. Le capitaine me dépose près des miens, se découvre pour baiser la main de ma mère, embrasse les enfants et la nounou, remet sa casquette, salue à la cantonade et quitte le bâtiment. Il veut continuer un combat désespéré. Je ne connais pas son nom, mais ses moustaches mouillées d’un peu de larmes piquent longtemps mes joues. Nous sommes tous à la coupée. Les grandes personnes agitent leurs mouchoirs. Un très vieux général sanglote « Adieu Russie ». Tout près de moi, pâle, digne, amaigrie par le typhus dont elle vient de réchapper, ma mère, dit simplement « nous reviendrons bientôt, après la victoire . Une maman ne peut pas mentir. J’ignore ce que veut dire en réalité une victoire, mais je sais désormais que nous reviendrons.  

 

PLUS DE SOIXANTE-DOUZE ANS APRES !

Sur les quatre personnes de notre petite famille emportées par le destroyer en direction de la Turquie où un peu plus tard mon père officier de l’Armée Blanche, devait nous rejoindre avant de mourir cinq ans plus tard à la clinique franco-russe du Docteur Cresson à Villejuif, je devais être le seul à réaliser la prédiction de ma mère. Ma femme qui m’accompagnait ne devait entrer que beaucoup plus tard dans ma vie. Entre-temps le rêve s’était concrétisé dans un de mes livres L’Agonie du régime en Russie Soviétique paru en avril 1965. J’avais décidé de ne rentrer en Russie qu’à deux conditions : la fin du communisme et une invitation officielle russe. Ces deux conditions furent remplies le 3 septembre 1992.

 

LE RETOUR SUR LE SOL NATAL

17 h 55, heure de Moscou. L’avion de l’Aéroflot vient de se poser à Moscou. La gorge serrée je murmure à ma femme : « Inutile de se presser, laissons descendre la foule. » A l’entrée du couloir d’arrivée un jeune homme à l’allure d’un militaire en civil brandit une pancarte. Je passe sans la lire. Le jeune homme me hèle en disant : « Ne seriez-vous pas le Colonel Michel Garder ? » Abasourdi je le confirme. Mon interlocuteur offre un bouquet de fleurs à ma femme. Puis… « Bienvenue sur le sol russe », dit-il. Se tournant vers moi, il rectifie la position : « Lieutenant-Colonel d’Aviation T…, stagiaire à l’Académie d’Etat-major chargé de vous accueillir. A vos ordres, mon Colonel. » Ma vue se trouble. Le rêve devient réalité. Nous voici au salon d’honneur accueillis par une délégation officielle civile et militaire. On boit quelque chose. Nos passeports et nos bagages sont miraculeusement là. C’est ensuite le départ pour Moscou. Destination l’Ancienne Ecole des Cadres Supérieurs du P…

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