Conférence prononcée le 8 novembre 1997

par M. André BESSIERES , compagnon de déportation de Michel GARDER.  

La déportation : itinéraire de l’insoutenable

Un mois d’interrogatoires en cellule, avenue Foch, cinq mois au secret à Fresnes, précédent son transfert au camp de Royal Lieu à Compiègne. Là, selon le jeu des arrivées et des départs, de 500 à 3.000 prisonniers désoeuvrés arpentent à longueur de journée l’immense place d’appel de cette ancienne caserne française.

Vêtements sales, informes, souvent déchirés et maculés de sang. Pied, main ou tête bandée, bras en écharpe, claudiquant ou boitant ou soutenus par leurs camarades, beaucoup ne sont pas encore remis des tortures subies pendant leurs interrogatoires.

Hormis leur présence aux miradors et aux deux appels journaliers, les Allemands n’apparaissent pas, laissant aux détenus l’administration intérieure du camp. Limitée à l’enceinte des barbelés électrifiés, une liberté relative y règne : des prêtres servent la messe, des conférenciers s’y distinguent, une troupe théâtrale d’amateurs s’y produit.

A l’occasion d’une représentation, j’ai vu Michel Garder pour la première fois. Il s’agissait d’une revue ; avec un partenaire, il parodiait le duo de Carmen à la manière de Charpini et Brancato avec une aisance telle qu’elle ne correspondait pas au personnage que j’allais bientôt connaître…

Au matin du 27 avril, comprimés, debout, à cent et plus par wagon à bestiaux, avec 1.700 camarades, résistants pour la plupart, il prend en gare de Compiègne, le chemin de la déportation. Les gardes ont prévenu : ” une tentative d’évasion et vous serez tassés à 200 par wagon ; une évasion réussie 10 fusillés dans le wagon ; deux évasions réussies tout le wagon fusillé “.

Malgré cette menace, pas un wagon qui, le premier jour ne connaisse une tentative. Dans celui où il se trouve, que les crosses commencent à fourrager, le drame est évité de justesse grâce à son sang-froid, à sa présence d’esprit et à sa parfaite connaissance de l’allemand. ” C’est intolérable, proteste-t-il dans cette langue, personne ne veut être fusillé pour une tentative d’évasion qui remonte au convoi précédent. Je suis père de famille, je me porte garant de mes camarades, s’il arrive quelque chose, fusillez-moi d’abord “.

Sa voix porte l’argument qui clôt l’incident ! Suivent quatre jours et trois nuits d’apocalypse où chaque wagon paie son lourd tribut de fous et de cadavres, une centaine au total, avant que les portes ne coulissent avec fracas sur l’enfer aboyant et vociférant d’Auschwitz.

Des jambes vacillent, des gummis s’abattent, des fous déchaînés courent en tout sens, des coups de feu claquent, des hommes tombent… Quelques heures plus tard, le matricule tatoué sur l’avant-bras gauche fournira le surnom à ce convoi dit ” des Tatoués ” qui stagne deux semaines dans l’univers aux relents de chair grillée de Birkenau.

A son départ pour Buchenwald, il laisse une centaine de morts. Polyglotte remarqué par le leader syndicaliste Marcel Paul, Michel Garder récusera à Buchenwald une position privilégiée dans l’administration intérieure coiffée par les rouges allemands. Elle l’aurait amené, lui, anticommuniste viscéral, à filtrer les communistes à l’arrivée des convois des diverses nationalités afin de leur réserver les postes ou les Kommandos les plus propices à l’action clandestine.

Son refus entraîne son envoi immédiat au camp d’extermination de Flossenburg d’où il est expédié 12 jours plus tard avec 191 de ses camarades de convoi dans une fabrique de fuselages de Messerschmitt 109 à Flôha en Basse-Saxe.

Dans ce Kommando peuplé de quelques centaines de Slaves, en majorité russes, Michel Garder d…

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