Extrait de publications diverses : La police secrète prussienne

Extraits de l’ouvrage ” La police secrète prussienne ” – 1884

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par Victor TISSOT

Quand le chef-espion Stiebner, dont un Moltke lui-même savait honorer les mérites, a créé en France son réseau étendu d’espionnage, personne, avant l’invasion prussienne, n’a soupçonné l’extraordinaire puissance de son organisation. Et les intéressés ne purent que hocher la tête, stupéfaits, quand ils apprirent que cette grande figure historique avait recruté plus de quatre mille agents actifs dont il connaissait la plupart et dont un grand nombre avait sillonné le pays comme colporteurs d’images saintes ou de photos obscènes.

Notre livre est une oeuvre d’histoire contemporaine et non un roman inventé à plaisir. De tous les faits que nous citons, il n’en est pas un seul qui n’ait ses pièces à l’appui.

« Soubise a cent cuisiniers et un espion ; moi j’ai un cuisinier et cent espions » ( Frédéric II )

 

… IX M. de Bismarck et l’art d’accommoder l’opinion publique. – Pourquoi fut fondé le « bureau de la presse ». – L’allocation de 305.000 francs destinée aux journaux étrangers. – Relations des agents diplomatiques prussiens avec les journalistes. – Le bureau de la presse divisé en deux sections. – Comment fut préparée la guerre de 1866. – Stieber à la tête du bureau de la presse. – Ses voyages à Paris. – Surveillance de l’émigration hanovrienne. – Stieber réussit à inventer un complot. – Ses relations avec la haute bohème internationale des journalistes. – L’espionnage prussien établi à Lyon, Bordeaux et Marseille.

Pendant la période qui précéda la guerre de 1870, le gouvernement de Berlin s’appliqua tout particulièrement à propager ses vues et ses plans à l’intérieur et à l’étranger. L’action sur les journaux fut une des principales préoccupations de M. de Bismarck.

La Révolution de 1848 avait arraché le bâillon qui tenait la presse muette. Il n’y avait plus de censure, les feuilles de l’opposition avaient toute latitude de dire des choses qui déplaisaient au gouvernement. Si les journaux officieux avaient joui de quelque crédit, le gouvernement s’en serait consolé. Mais quelque mielleuse que fût la prose des journalistes à la solde du ministère, elle n’attirait pas la plus petite mouche. Le public ne mordait qu’aux fruits défendus de l’opposition. Il importait donc de réagir au plus tôt.

Ce n’était pas tout de tromper la diplomatie et les cours étrangères, il fallait encore tromper le peuple allemand lui-même. Ce fut alors que fut fondé ce fameux « bureau de la presse » destiné à faire pénétrer d’une manière tout à fait occulte les idées ministérielles dans les journaux de l’opposition.

Stieber ne fut pas étranger à cette organisation dont les trames invisibles ne devaient pas tarder à envelopper presque toute la presse allemande. On enrôla une bande de plumitifs nécessiteux qui, à raison de 100 à 150 francs par mois, faisaient passer en contrebande, dans leurs correspondances aux journaux de province, des notes reçues directement du « bureau de la presse ».

L’art de manier et de confectionner l’opinion publique s’appliqua bientôt autre part qu’en Allemagne : en 1855, quand le gouvernement prussien demanda une allocation de 80,000 thalers (305,000 fr.) pour la police secrète, le ministère fit, le 19 mars, en pleine Chambre des députés, la déclaration suivante :

« On ne saurait exiger que la Prusse reste exposée sans défense aux attaques de la presse étrangère ; plus du tiers de la somme réclamée sera…