Evenements en Pologne 1981-Note de synthese du colonel M Garder cercle d’etudes de strategie totale dec1981
LE COUP DE FORCE DU GÉNÉRAL JARUZELSKI
Préparé certainement de longue date, supervisé par le maréchal de l’Union Soviétique KOULIKOV, commandant en chef des Forces du Pacte de Varsovie, et exécuté avec une maîtrise incontestable, le coup de force du pouvoir communiste polonais a constitué, le 13 décembre 1981, une opération militaire réussie. La surprise a été totale, le choix du jour, c’est-à-dire le dimanche, était bon, la mise en place d’un dispositif militaire carroyant l’ensemble du territoire polonais s’est réalisée sans à-coups apparents ; enfin la coopération entre l’armée et la milice, déjà mise au point lors de l’évacuation des élèves officiers pompiers, a fonctionné parfaitement.
Cette réussite initiale dans le domaine purement militaire du maintien de l’ordre contraste singulièrement avec les erreurs commises par le pouvoir au plan psycho-politique. Ces erreurs que nous allons voir dans le détail sont lourdes de conséquences, au point à la limite, de risquer de précipiter l’intervention soviétique que le coup de force était sensé éviter.
UNE CONCEPTION PSYCHO-POLITIQUE ERRONÉE
En préparant le coup de force du 13 décembre 1981, le pouvoir communiste polonais aux abois, probablement conseillé par ses amis soviétiques, a tenté de mettre dans son jeu toute une série d’atouts psycho-politiques. C’est ainsi que par exemple le remplacement de l’inexistant KANIA par le général JARUZELSKI à la tête du système a été la première mesure de camouflage d’un pouvoir honni et discrédité.
Ce fut ensuite « l’ouverture » vis-à-vis de Solidarité et de l’Église visant officiellement à accréditer l’esprit conciliant du P.O.U.P. et en réalité à prouver l’intransigeance des syndicats libres. Ceux-ci devaient très vite découvrir la mauvaise foi de leurs interlocuteurs et, par voie de conséquence, adopter une attitude plus radicale.
Profitant de cette erreur tactique de Solidarité, le pouvoir allait à la fois lancer son projet de loi d’exception interdisant le droit de grève et tenter de discréditer Lech WALESA en diffusant sur les écrans de la télévision une « émission pirate » ayant trait à une réunion de la direction des syndicats libres. Grâce à un montage ingénieux des échanges entre dirigeants syndicaux, les téléspectateurs pouvaient éventuellement croire à l’imminence d’un coup d’État fomenté par Solidarité.
L’engrenage ci-dessus ayant conduit à une situation estimée favorable par les « Machiavel » du Bureau Politique du P.O.U.P., il ne restait plus qu’à passer à l’action sous les plis du drapeau national, afin soi-disant d’éviter une guerre civile entre Polonais. L’adversaire étant de bonne composition devait d’ailleurs commettre une nouvelle erreur tactique dans la soirée du 12 décembre en votant une motion annonçant une grève générale pour le 17, au cas où la Diète aurait voté la loi d’exception, en réclamant pour le mois de février un référendum sur l’avenir politique du pays et des élections libres au Parlement.
Au premier abord, tout paraît se tenir dans le raisonnement du pouvoir et l’engrenage des faits. Cependant c’est au départ que ce raisonnement était faux. Habitués à régner sans partage sur une société atomisée au préalable, les communistes polonais et leurs conseillers soviétiques avaient oublié un point essentiel, à savoir que la Pologne n’était plus celle d’avant août 1980. Avec le phénomène Solidarité qui ne se limite pas aux syndicats libres qui portent ce nom, c’est en fait à la résurrection d’une société civile transcendée par l’Église et animée par des intellectuels, enfin réalistes, que nous avons assisté au cours des 18 mois écoulés. C’est cette société vivante et fière que le pouvoir devait mettre au pas, et non, comme ils se l’imaginaient, une poignée de meneurs.
TOUT SE RETOURNE CONTRE LE POUVOIR
Passé le moment de la surprise initiale qui permet au général JARUZELSKI de marquer un certain nombre de points : arrestation de la plupart des dirigeants de Solidarité, contrôle de tous les points stratégiques du pays, des moyens de communication et de transmission, attitude digne mais pacifique de l’Église désireuse d’éviter une lutte fratricide entre Polonais, et enfin l’absence de tout heurt avec la population, la situation va progressivement se retourner contre le pouvoir.
Le coup de force ayant eu lieu le dimanche, ce n’est que le lundi, jour où les ouvriers et les employés retournent à leur travail, que la société civile polonaise va reprendre son souffle et retrouver peu à peu son unité. C’est à partir de ce moment que la tâche du pouvoir communiste, camouflé en junte militaire, va devenir plus que difficile. Il ne s’agit plus en effet de faire respecter un certain nombre de consignes, mais d’obliger les ouvriers politisés à reprendre le travail contre leur gré. Pour ce faire, le pouvoir ne dispose que de quelques « mouches du coche » communistes, de la milice haïe de tous et d’unités militaires à base de soldats du contingent.
Au cours de la journée de lundi, des grèves partielles affectent divers secteurs de la production industrielle et testent en quelque sorte les capacités d’intervention du pouvoir. Pendant ce temps, dans la coulisse, les organisations ouvrières et estudiantines, voire même paysannes, renouent les contacts et rétablissent les liaisons perturbées depuis dimanche. Des mots d’ordre commencent à circuler. Vrais ou faux, ils affolent les responsables du service d’ordre.
Le tournant sera pris le mardi 15 décembre. Ce jour-là les mass media officielles sont obligées de reconnaître l’existence de grèves dans diverses régions du pays. Des gouverneurs de province sont relevés. Des mesures d’isolement du pays sont renforcées. Enfin dans la nuit du 15 au 16 une noria d’avions de transport soviétiques amène sur divers aérodromes de la Pologne des ravitaillements mystérieux que l’Agence Tass sera obligée de qualifier « d’aide alimentaire fraternelle » au peuple polonais. En fait il devait s’agir d’un soutien logistique aux unités polonaises sur le pied de guerre depuis trois jours.
PERSPECTIVES D’AVENIR
Désormais une chose paraît presque certaine, à savoir que le coup de force du pouvoir communiste polonais ne peut pas réussir. « On peut tout faire avec des baïonnettes, disait Talleyrand, sauf s’asseoir dessus ». Si on ajoute à cela une partie des baïonnettes confiées à des soldats du contingent issus de la même société civile polonaise que le pouvoir prétend mettre au pas, on voit mal comment le général JARUZELSKI pourra arriver à ses fins.
Nous voyons quant a nous deux issues possibles au coup de force du 13 décembre 1981.
La première est celle d’une évolution rapide et dramatique débouchant avant la fin de l’année sur des explosions sanglantes et l’intervention quasi inévitable dans ce cas des forces armées soviétiques.
La deuxième est celle d’un long pourrissement de la situation à base de grèves larvées tournantes, de fraternisations discrètes entre ouvriers, soldats, étudiants et paysans, de la décomposition sur pied des forces de l’ordre et, pour finir, d’un chaos semi généralisé d’ici deux à trois mois. Là aussi une intervention soviétique serait difficilement évitable.