Éloge funèbre prononcé lors des honneurs militaires rendus le 18 Juillet 2024 au général Georges Grillot, Grand-croix de la Légion d’honneur, décédé le 13 juillet 2024 à l’Institut national des invalides.
Commentaire AASSDN : La vie du général Georges Grillot est à bien des égards exemplaire pour notre époque:
– Il a agit au seul service des intérêts fondamentaux de la France, là où il a été envoyé comme tous les soldats, avec discrétion, efficacité et détermination.
– Il a su se faire aimer de ses hommes, souvent d’anciens ennemis, au point de leur faire une confiance totale et de les commander au combat.
– Il a enfin fait preuve en toutes circonstances de beaucoup de clairvoyance et d’un grand courage, autant de qualités essentielles aux vrais chefs.
Loin de toute repentance, son exemple nous conforte dans notre fierté de Français et nous rappelle nos devoirs envers notre Patrie.
Aujourd’hui, nous honorons la mémoire d’un soldat de l’ombre. Le général Georges Grillot s’est éteint samedi 13 juillet, jour de son 98ème anniversaire. Le général Grillot représente toute une époque, celle de ceux qui ont combattu dans des guerres dont on parle peu et une façon de combattre, celle dont on ne parle pas. Dans l’armée, il a gravi toutes les marches, guidé par le goût de l’effort et la vertu du mérite transmis très jeune par ses parents et confortés au petit séminaire. Il s’engage dès 1946 comme soldat au 15e régiment de tirailleurs sénégalais et part pour l’Algérie. Il y est promu caporal-chef. De retour en France, il entre dans le corps des sous-officiers et embarque à Marseille comme sergent pour rejoindre l’Indochine au sein du 6e régiment d’infanterie coloniale.
Il y mène ses premiers combats, reçoit ses premières blessures et découvre une guerre différente de celle qui lui avait été enseignée. La contre-insurrection deviendra le type de combat dans lequel il excellera. Envoyé dans le Nord du Tonkin où il commande un poste isolé, il découvre un adversaire manœuvrier, insaisissable, passé maître dans l’art de l’embuscade et du harcèlement. Il a très tôt l’intuition que pour vaincre cet ennemi il faut appliquer une partie de ses méthodes. Conscient de la valeur des combattants indochinois et de leur connaissance irremplaçable du terrain, il crée donc sa propre section de partisans. De la même trempe qu’un adjudant-chef Vandenberghe, il fait partie de ces hommes qui ont su s’adapter et comprendre la guerre qu’ils menaient.
Les trois blessures reçues en Indochine disent tout des combats menés : par balle en mai 1949, en tombant dans un piège piqué de bambous en septembre 1949 et par l’explosion d’une grenade piégée en décembre de la même année. Première expérience de la guerre, ce séjour indochinois marquera à jamais le jeune sergent Grillot. De retour en France en 1951, il est promu sergent-chef et prépare le concours de l’école spéciale militaire interarmes qu’il intègre en 1953 au sein de la promotion « Ceux de Diên Biên Phu ». Promu sous-lieutenant, il choisit l’arme de la cavalerie. Toutefois, c’est avec le 151e régiment d’infanterie motorisé qu’il embarque en 1955 pour l’Algérie. Nouveau territoire, nouvelle guerre, mais il retrouve un peu de ce qu’il a connu en Indochine. Voulant mettre à profit son expérience, il croise le colonel Bigeard à qui il demande de rejoindre son unité, le 3e régiment de parachutistes coloniaux.
Les combats sont rudes, l’adversaire organisé et déterminé. Il est de nouveau blessé par balle en 1956 dans le secteur des Aurès, alors qu’il donnait l’assaut sur une position tenue par des rebelles retranchés. La gravité de la blessure impose un retour en France. Un peu moins de six mois de convalescence, une promotion au grade de lieutenant et il repart pour l’Algérie au début de l’année 1957 et ne reviendra qu’en 1962. Il est identifié par le colonel Bigeard pour créer un commando de chasse particulier, composé uniquement d’anciens fellaghas recrutés parmi les prisonniers. Son expérience indochinoise, sa certitude que la victoire passe par la population, sa connaissance des hommes et sa dévotion la plus totale à la mission en font le candidat idéal. Son commando portera son nom : le commando Georges. Il le dit lui-même, la guerre, c’est la misère. La devise du commando est trouvée : « Chasser la misère ».
Exigeant avec ses hommes comme avec lui-même, il sait que seule l’excellence, sans être une garantie, permet de vaincre. Son commandement est marqué par le souci porté à ses hommes et par la foi qu’il a en eux. Il teste d’ailleurs leur loyauté en mettant sa vie en jeu. Il s’endort au bivouac avec les prisonniers tout juste libérés et recrutés, sans arme à portée de main. Au réveil, il est vivant : la confiance est établie. Les combats sont permanents, de jour comme de nuit. Il faut aller au contact, débusquer l’adversaire tout en protégeant la population pour lui permettre de mieux vivre. Il est sincèrement attaché à l’Algérie mais la situation se dégrade. Certains de ses hommes sont assassinés, lui-même échappe de peu à une tentative d’assassinat. Il essaiera jusqu’à la fin de sauver son commando ; seuls quelques-uns rentreront avec lui.
Il est maintenant capitaine et de retour en France, il retrouve la cavalerie mais pour peu de temps. Il s’est imposé en faisant la guerre autrement et c’est donc naturellement qu’il rejoint les services spéciaux au sein du bataillon des parachutistes de choc. Il passera ensuite par l’école de cavalerie à Saumur où il sera promu chef d’escadrons avant d’être affecté au 12e régiment de cuirassiers. Lieutenant-colonel en 1973, il prend le commandement du 3e régiment de hussards à Pforzheim de 1975 à 1977. Quel symbole que de lui rendre hommage devant l’étendard de l’unité qu’il a commandée ! Quel symbole pour les jeunes soldats sur les rangs que de pouvoir se nourrir de l’exemple d’un chef aussi audacieux. Promu colonel en 1978, il achèvera sa carrière en commandant le service action du Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage, le SDECE, ancêtre de la DGSE. La devise du service : « Ad augusta per angusta », « vers les sommets par des chemins étroits », résumé parfait de la carrière du général Grillot.
Il est promu général de brigade en juin 1982 et quitte le service actif six mois plus tard. Son engagement se poursuit, en faveur de la jeunesse, en assurant la direction de la fondation des Orphelins d’Auteuil et en créant une association au profit des enfants défavorisés du Liban. En écrivant aussi un livre au titre évocateur, « Mourir pour la France ? ». Homme de la terre, c’est pour elle qu’il s’est battu, le plus souvent à des milliers de kilomètres de son Morvan natal. Chef proche de ses hommes, c’est aussi pour eux qu’il s’est battu avec cette « parcelle d’amour » dont parlait Lyautey.
Des rizières d’Indochine au djebel algérien, son engagement a été total. Celui de sa famille aussi. Son épouse Gisèle, qui s’est éteinte en 2009 et ses deux filles, Sylvianne et Sylvie, ont partagé cet engagement sans l’avoir choisi. Soyez-en remerciées. Nous rendons aussi hommage à un pensionnaire qui vivait au sein de l’institution des Invalides depuis 2015, lieu créé pour la guérison et le repos des soldats. Il a terminé ses jours entouré des soins du personnel de l’institution, ainsi que des bénévoles, que je remercie pour leur dévouement.
Mon général, cité 18 fois, grand-croix de la Légion d’honneur et de l’ordre national du Mérite, médaillé militaire, titulaire de la croix de guerre des Théâtres d’opérations extérieurs et de la croix de la Valeur militaire, les honneurs sont à la hauteur de votre engagement inconditionnel pour la France. Aussi discret au quotidien que meneur d’hommes intrépide au combat, vous avez marqué ceux qui vous ont croisé. Comme écrit dans une de vos citations, « indicatif Georges, un nom, une légende », c’est pour vous qu’aujourd’hui, le drapeau qui flotte au-dessus de la cour d’honneur est en berne, rappelant ainsi à tous que l’hôtel national des Invalides dit adieu à l’un de ses illustres pensionnaires. Nous allons maintenant vous faire honneur dans le silence de la cour des Invalides.
Paris, le jeudi 18 juillet 2024.