Disparition d’un grand patron, d’un grand francais : Professeur Maurice Recordier – Hommage

Il était mon ami, mon frère, depuis notre enfance. Ensemble nous avons fréquenté toutes les classes du Lycée de Marseille. Moi-même, orphelin de guerre, ses parents étaient mes correspondants. Je vivais chez eux, comme un fils.

Nos destinées professionnels ont divergé à la fin de nos études secondaires lui, élève surdoué, est devenu un Grand Patron de la Médecine, Professeur et Chef de Service des Hôpitaux auxquels il a consacré sa vie. Sa réputation était mondiale en matière de Rhumatologie.

Jamais nous ne nous sommes séparés.

Lorsqu’en juillet 1940, dans la détresse de la débâcle, j’ai dû prendre la responsabilité de l’organisation clandestine de la lutte contre les Services Spéciaux de l’envahisseur, c’est posé le problème d’une installation discrète apte à camoufler nos archives et nos activités tout en permettant des liaisons faciles avec l’Afrique du Nord, j’ai pensé, bien sûr, à plusieurs solutions dans la zone dite libre en bordure de la côte méditerranéenne.

Marseille a retenu mon choix pour des raisons géographiques, démographiques, techniques évidentes, mais aussi parce que je savais que je trouverai chez les Recordier une ambiance familiale, un appui, totalement désintéressé et acquis à la cause de la Résistance.

Il en fut ainsi — Maurice comme sa famille et spécialement son frère — répondit à tous nos appels, à tous nos besoins : camouflage de camarades recherchés, soins à notre personnel, fourniture de médicaments, admission gratuite et discrète dans les hôpitaux de Marseille recrutement d’informateurs et à partir de novembre 1942 accueil de nos agents venus d’A.F.N., sauvetage in extremis de nos archives T.R., les plus secrètes enterrées chez ses parents à Eyguières où elles échappèrent aux recherches de l’ennemi.

C’est chez son frère, Marcel, qu’échoue mon ami Henri FRENAY en août 1940 pour lancer son mouvement « COMBAT ». C’est chez Recordier que FRENAY fait en juillet 1941 la connaissance de Jean MOULIN, c’est RECORDIER qui reçoit Jean MOULIN parachuté le 1° janvier 1942 dans les marais de Fontvieille, près d’Aix-en-Provence, c’est RECORDIER enfin qui ménage l’entrevue décisive de FRENAY et de Jean MOULIN, chargé par de GAULLE de réaliser en zone sud l’unité de la Résistance (1)

Telle est cette famille, ma famille, dont le dernier descendant, sans doute le plus illustre, nous a quittés fin avril 1987 en évitant de nous alerter sur le sort implacable que lui réservait le mal dont il se savait frappé depuis cinq ans. Je suis allé pleurer sur sa tombe à Eyguières.

Vrais « Pères Tranquilles » de la RÉSISTANCE, je ne suis pas sûr que la France ait honoré les frères RECORDIER à la mesure des services qu’ils lui ont rendus. Du moins, l’A.A.S.S.D.N. n’oubliera jamais ce qu’elle leur doit. (1) J’ai dit dans « Services Spéciaux 1935-1945 » p. 305, combien il est regrettable que cette occasion unique de rapprocher nos Services de ceux de Londres n’ait pas été saisie par l’envoyé de DE GAULLE. Sans doute ai-je ma part de responsabilité, car sachant la présence de Jean MOULIN à Marseille, j’aurais peut-être dû prendre une initiative qu’il semblait éviter et que FRENAY n’a pas encouragée. Ainsi va l’HISTOIRE, notre HISTOIRE !