Déstabilisation de la Nouvelle-Calédonie
Le général (2S) Michel Franceschi, ancien Commandant supérieur des forces armées de Nouvelle-Calédonie de 1984 à 1988, remet en perspective les graves évènements qui se déroulent dans cette collectivité territoriale à statut particulier. Il décrypte les évènements et estime qu’il n’y a pas d’autre voie pour l’Etat que le plein exercice de son pouvoir régalien pour contraindre tous les protagonistes à retrouver le droit chemin des engagements pris et des accords signés.
Commentaire AASSDN : Les troubles qui secouent à nouveau la Nouvelle-Calédonie constituent une menace pour l’intégrité du territoire comme c’est également le cas en Guyane et à Mayotte. Si la France a la chance de disposer avec les DROM-COM de 120 000 km2 de superficie terrestre et près de 11 millions de km2 de zone économique exclusive, encore faut-il que ce potentiel soit sécurisé et mis en valeur pour constituer des pôles de rayonnement et d’influence français dans le monde. Aussi, avant d’envisager d’envoyer des troupes en Ukraine (d’autant que ce pays n’a pas encore effectué de mobilisation générale), la France devrait renforcer son dispositif de sécurité en priorité dans ses DROM/COM soumis régulièrement à des entreprises de déstabilisation provoquées par des puissances étrangères. Notre crédibilité y gagnerait et notre souveraineté en sortirait renforcée.
La Nouvelle-Calédonie vient de rechuter dans une sanglante violence rappelant les heures sombres de1984-88, en prenant comme alors au dépourvu les autorités de tutelle. L’événement ne peut surprendre que les naïfs. On sait depuis Munich en 1938 que lorsque l’on achète la paix on se met en situation de la payer de plus en plus cher.
Reprenons l’historique de la question. Il importe d’abord de rappeler que le 13 septembre 1987, après trois années de troubles graves le gouvernement avait trouvé une solution on ne peut plus démocratique par un référendum d’autodétermination, préparé et conduit de main de maître par le corps judiciaire en garantie d’authenticité. Le résultat le plus significatif de la consultation concerna moins l’écrasante victoire des Loyalistes que la présence parmi eux de 60 % de Kanaks! Dès lors, la messe aurait dû être dite.
C’était sans compter sur l’action subversive d’un mouvement révolutionnaire identifié qui renversa la table démocratique par le complot terroriste d’Ouvéa d’avril 1988, avec, hélas d’inqualifiables complicités étatiques. Exploitant l’émotion provoquée dans le pays, on raya d’un trait de plume l’incontournable référendum de 1987, carrément jeté aux oubliettes, pour le remplacer par un expédient politique surréaliste qui finira par gruger à la fois les Loyalistes et les Indépendantistes du
Territoire. Aux premiers, on fit miroiter la pérennité d’une tranquillité retrouvée au prix de concessions acceptables. On assura les seconds de leur victoire finale grâce au dynamisme de leur démographie, au terme d’un patient processus de trente années, jalonné par trois référendums. Un incroyable gel d’une importante partie du corps électoral loyaliste ne pouvait que rendre victorieux l’un d’entre eux.
Mais les apprentis sorciers à la manœuvre se sont trompés sur toute la ligne. Comme on le sait, les trois référendums leurs ont été défavorables et le maléfique gel du corps électoral loyaliste leur explose aujourd’hui au visage, en même temps qu’à celui du gouvernement. Mais fi des réalités pour les idéologues! Le même mouvement subversif toujours identifiable a repris clandestinement du service et vient de fomenter sur le territoire une violence plus dévastatrice encore qu’en 1988, prenant moralement en otage le gouvernement en cette période sensible d’une élection nationale et de la tenue des Jeux Olympiques.
Il est pour le moins surprenant que les services de renseignements n’aient rien vu venir de cette opération d’envergure qui met le gouvernement en position critique. Les préposés à la fonction devront lui rendre des comptes et il devrait commencer par là.
Le problème à résoudre à présent procède toujours de la situation électorale de base, mais une inquiétante donnée nouvelle vient de surgir. La perte de confiance des Loyalistes envers le pouvoir central pour garantir la démocratie locale et assurer leur sécurité les pousse aujourd’hui à se faire justice eux-mêmes, faisant surgir le spectre d’une guerre civile pouvant déboucher sur une partition du Territoire. D’aucuns y voient d’ailleurs une solution.
En définitive, le gouvernement n’a plus d’autre alternative que le plein exercice de son pouvoir régalien pour contraindre énergiquement tous les protagonistes à retrouver le droit chemin des engagements pris et des accords signés. Sa main ne doit pas trembler, mais le réflexe munichois du report du débat constitutionnel n’est pas un signe de bon augure.
Général (2S) Michel FRANCESCHI
ex Commandant Supérieur des Forces Armes de Nouvelle-Calédonie de 1984 à 1988 16 mai 2024