Colonel Georges Groussard, alias Gilbert et Eric, fut un maître du renseignement pendant la Seconde Guerre mondiale, dirigeant les “Réseaux Gilbert” et collaborant étroitement avec l’Intelligence Service britannique. Malgré les obstacles, il organisa une résistance efficace contre les Allemands depuis la Suisse et joua un rôle clé dans l’arrestation de Laval.
Photo :
Hommage au colonel
Georges Groussard,
le 25 Mai 2024
Avec
Dominique Fonvielle
et Alain Juillet
En 1942, le colonel Groussard était réputé être l’homme le mieux renseigné de France. Ses « Réseaux Gilbert », qu’il anime depuis la Suisse, couvrent pratiquement la France entière et une partie de l’Italie. La qualité des renseignements fournis à l’Intelligence Service lui vaudra d’être nommé Officier dans l’Ordre du British Empire, (OBE), distinction que les Britanniques ne distribuent qu’au compte-goutte.
En 1938, Commandant en second, puis Commandant l’École Spéciale Militaire en août 1939, il assure jusqu’au bout la formation de ses élèves qui prendront comme nom de promotion, en mars 1940, le nom d’Amitié Franco-Britannique, avant de rejoindre le front. Lui-même est nommé chef d’État-Major du 12ème Corps d’Armée, puis rejoint Paris avec le général Dentz nommé Gouverneur de Paris, comme Chef d’État-Major. Il a la pénible tâche de livrer Paris aux Allemands.
L’officier héroïque de la Première guerre mondiale ne peut admettre l’armistice, tout en conservant un grand respect à la personne du Maréchal. Ce Vendéen, descendant de grands-parents dreyfusards, époux de Véra Berstein, avec laquelle il s’est initié au renseignement en Bulgarie dès 1928, lorsqu’ elle avait voulu retourner sur la terre de son enfance, ne pouvait rester inactif.
Alors qu’il est sur le point de passer général, il demande à être mis en congé d’Armistice. Avec l’appui du ministre de l’Intérieur Peyrouton et du ministre de la Guerre, le général Huntziger, il est nommé Inspecteur général des Services de la Sûreté Nationale. Sous cette « couverture », il va entreprendre de créer, depuis Vichy, le CIE (Centre d’Information et d’Études) et les Groupes de Protection, une organisation secrète de cadres sous-officiers et officiers capable de reprendre la guerre, officiellement chargée de la protection du régime. Il s’inspire ainsi de l’exemple allemand du général von Seeckt après le traité de Versailles (1919, 22, 29), en camouflant des activités interdites sous des organismes officiellement reconnus.
Mais Vichy n’est pas Weimar, et le projet se heurtera à « l’hypothèque Vichy »[1] et à la politique de collaboration.
Avec l’accord de Huntziger et l’aide de Pierre Fourcaud[2], il effectue en juin 1941 un voyage clandestin à Londres où il rencontre personnellement Winston Churchill, Premier ministre, Anthony Eden, ministre des Affaires étrangères et John Winant, ambassadeur des Etats-Unis, ainsi que les chefs du MI6 avec lesquels il est vraisemblablement en relation depuis 1940. Malgré sa demande, il ne peut rencontrer le général De Gaulle alors en tournée au Moyen-Orient, et se heurte à l’hostilité des gaullistes[3] qu’il rencontre pourtant longuement, malgré les réticences des Britanniques.
Le colonel Groussard et ses Groupes de protection participent à l’arrestation de Laval en décembre 1941, mais lui-même est arrêté sur ordre de Darlan et interné à plusieurs reprises. Son projet s’effondre, les Groupes de Protection et le CIE sont dissous sur ordre des Allemands. Qu’importe, il change son fusil d’épaule et, sachant que la Grande-Bretagne, seule encore dans la lutte contre les Allemands, a avant tout besoin de renseignement opérationnel, avec l’aide de ses amis et relations, il donne la priorité aux réseaux Gilbert qui vont rapidement se déployer et se montrer particulièrement efficaces.
Ses partisans se nomment Virret, Kapp, Bruno, le Préfet Jacques Juillet (en 1942 à la direction du personnel de l’Administration Préfectorale à Vichy)[4]. Sa fille Françoise, alors âgée de 12 ans lui servira, lors de ses périodes de détention, d’agent de liaison.
Il est par ailleurs en contact étroit avec les réseaux clandestins des SR et CE montés depuis le « Serment de Bon Encontre », avec Paillole, Rivet, les colonels Ronin et Baril, ainsi que les groupes formés par le général Heurteaux (en zone occupée) et le commandant Loustaunau-Lacau (Alliance).
En novembre 1942, à nouveau prisonnier de Vichy et risquant de se voir livré aux Allemands, il fausse compagnie à ses geôliers, et rejoint Genève où il bénéficie de l’appui des services suisses de renseignement et de l’IS. Depuis ce « sanctuaire », il développe les réseaux qu’il a mis en place dès l’été 1940 et qu’il avait continué d’animer depuis ses lieux de détention successifs.
Ses chefs de réseaux sont les frères Ponchardier, Devigny (Vallée du Rhône, Toulon), De Pace (Italie), Heurteaux (Zone occupée), Dingler (Alsace-Lorraine), Bruno (Espagne), … avec un effectif global d’environ 700 personnes et un taux de pertes très bas, du fait de son exigence absolue en matière de sécurité.
Le colonel Groussard n’est pas gaulliste, bien qu’il connaisse très bien le général De Gaulle depuis le SGDN où ils servaient ensemble en 1934-35. Passy et Dejean ne l’aiment pas et le sous-estiment largement. Pourtant, il mettra à la disposition des MUR ses moyens et les points de passage entre la France et la Suisse qu’il contrôle totalement. Bénouville profitera à de nombreuses reprises de son aide et de son appui.
Après la guerre, le colonel Groussard, profondément choqué par les conditions de l’épuration dans l’armée, refuse les étoiles offertes par le général De Gaulle. Il se consacre à la rédaction de ses mémoires (« Chemins secrets », en 1948, « Services secrets » en 1964) et à d’autres ouvrages. Il rompt définitivement les ponts avec De Gaulle au moment de la crise algérienne, et se retire dans le sud de la France avec sa compagne de la guerre, Suzanne Kohn[5], qu’il épousera après le décès de sa première épouse.
En septembre 1944, ses compagnons, réunis à Annemasse lui dédicacent un témoignage de fidélité et d’amitié qui, pieusement conservé, a été remis par sa fille Françoise au colonel Fonvielle pour être déposé dans un lieu de mémoire. Ce vœu a été exaucé en mai 2024, à l’occasion du Congrès de l’AASSDN.
Aucun autre lieu ne pouvait mieux convenir que le Musée de l’Officier de l’académie Militaire de St Cyr pour abriter le souvenir d’un grand soldat, d’un grand résistant, et d’un ancien commandant de l’École de Saint Cyr.
Par le colonel (h) Dominique Fonvielle
[1] Peschanski, D ; Dauzou, L. « La Résistance française face à l’hypothèque Vichy », Centre d’Histoire Sociale du XXème siècle, CNRS Université, Panthéon-Sorbonne Paris I.
[2] L’un des premiers « missionnaires » des FFL de De Gaulle en France.
[3] Capitaine Dewavrin, dit Passy, qui avait été professeur de fortifications à St Cyr sous son commandement, et Dejean, Directeur des affaires Politiques de De Gaulle, d’emblée totalement opposé au projet de Groussard.
[4] Groussard, Georges, « Chemins secrets », Bader-Dufour, 1948
[5] Suzanne Kohn, célèbre aviatrice, a réalisé le raid Paris Madagascar avant la guerre ; sa sœur Antoinette Sachs, muse de Paul Géraldy, était une très proche amie de Jean Moulin.