Au cours de l’été dernier, l’interminable conflit irano irakien est subitement devenu l’événement majeur de la « situation » internationale. On en avait certes beaucoup parlé tout au long de l’hiver et du printemps derniers — du fait du scandale de l’« Irangate » — mais l’attention des observateurs se fixait alors sur Washington et non sur le champ de bataille. Beaucoup plus que l’avenir du Golfe il s’agissait de la survie politique du Président Reagan et les auditions publiques du Colonel North ou de l’Amiral Pointdexter prenaient le pas dans les journaux sur les offensives iraniennes en direction de Bassora ou les bombardements irakiens du terminal pétrolier de Kharg. A force d’attendre l’effondrement de l’un des deux adversaires on avait fini par s’installer intellectuellement dans cette guerre qui rappelait davantage la boucherie statique de 14-18 que l’empoignade mouvante de 39-45. Puis, subitement, la menace qui se précisait contre la navigation des pétroliers neutres dans le Golfe, l’accroissement de la tension entre l’Iran et le Koweït et les incidents sanglants de La Mecque incitèrent les États-unis — imités avec un certain décalage par leurs alliés, à intervenir dans le Golfe. Le Conseil de Sécurité de l’O.N.U. devenu miraculeusement unanime à défaut d’être efficace enjoignit aux belligérants de cesser les hostilités.
De son côté l’U.R.S.S. — membre dudit Conseil, profita de l’occasion pour tenter de se poser en arbitre du conflit, rôle pour lequel Moscou n’avait aucune qualification spéciale. Gros importateur du pétrole iranien, le Japon se demandait s’il n’y avait pas lieu de changer de fournisseur. Seule parmi les grandes puissances la Chine conservait son sang-froid. Amis des Arabes de toutes tendance et en même temps des mollahs de Téhéran, les dirigeants de Pékin pouvaient se permettre de ravitailler massivement et équitablement l’Irak et l’Iran en armes et munitions.
De ce fait ils étaient les seuls à ne pas s’émouvoir des conséquences éventuelles du conflit au même titre que les Occidentaux, le monde arabe, l’empire soviétique ou bien l’État d’Israël. Il faut dire que la Chine — à l’inverse des États-unis ou de l’Union Soviétique, ne portait aucune responsabilité dans le déclenchement du conflit, même si elle n’avait pas à l’époque mieux compris qu’eux l’essence et la portée réelles de la révolution iranienne.
UNE RÉVOLUTION DEROUTANTE
L’été de 1978 devait être marqué par deux événements qui allaient modifier toutes les données de la situation internationale, l’accord Sino-nippon et le début de la révolution iranienne, suivis en octobre de la même année par un troisième non moins important l’élection au Vatican d’un Pape polonais.
Nous avons eu suffisamment l’occasion de souligner dans ÉSOPE la signification historique de l’accord Sino-nippon du 12 août 1978.
A Moscou, cet accord — qui évoquait celui de Rapallo entre l’U.R.S.S. et l’Allemagne en 1922, avait abasourdi des dirigeants aux yeux desquels un éventuel rapprochement entre Pékin et Tokyo représentait le danger majeur; le préambule de l’accord comportant une clause « anti-hégémonique » annonçait d’ailleurs la couleur. Il s’agit bien, selon le Kremlin, d’un pendant asiatique de l’Alliance Atlantique — le Japon étant par ailleurs l’allié des États-unis. A cela s’ajoutait le fait que la Chine avait noué auparavant d’excellentes relations avec l’Iran dont le Chah s’efforçait depuis le début des années 70 de constituer un Axe Téhéran-Kaboul-Islamabad-Pékin.
C’est d’ailleurs pour faire avorter ce projet que Moscou avait fomenté en Afghanistan la révolution de 1973 abolissant la monarchie et le coup d’État d’avril 1978 amenant au pouvoir le communiste Taraki.
Aussi les premières émeutes graves de septembre 1978 en Iran auraient dû alerter les Soviétiques quant à la vulnérabilité du régime monarchique. Curieusement il n’y eut de la part du Kremlin aucune tentative sérieuse d’exploitation d’une occasion aussi inespérée. Bien au contraire, Brejnev et son équipe de gérontes s’efforcèrent même de faire comprendre au Chah qu’ils reconnaissaient la légitimité de son pouvoir.
Et c’est ainsi qu’en octobre 1978, au lendemain de la visite à Téhéran de Hua Kuo Feng — le très provisoire chef du P.C. chinois, Leonid Brejnev crut bon d’adresser au Chah, à l’occasion de la Fête Nationale Iranienne, un message chaleureux — à la limite de la flagornerie, de voeux de prospérité et de réussite. Il est fort possible qu’aux yeux des analystes du Comité Central, des émeutes fomentées par quelques mollahs et des marchands du Bazar ne pouvaient constituer le prologue d’une révolution. Un souverain disposant d’une armée puissante et d’une police omniprésente — allié de surcroît des États-unis, n’avait évidemment rien à craindre des incantations d’un Ayatollah installé en France, ni des bruyantes manifestations de braillards anarchisants. Ce n’est que vers la fin des années 1978 que le K.G.B. a, semble-t-il, entrepris une action sérieuse de noyautage du mouvement révolutionnaire iranien aux multiples composantes.
Des cadres du Tudeh réfugiés en U.R.S.S. furent expédiés en Iran en vue de se joindre aux fanatiques religieux et d’orienter leurs actions dans un sens « progressiste ». Ils devaient être à pied d’oeuvre au moment de la fin de la monarchie et du retour triomphal de l’Ayatollah Khomeini en février 1979.
Cela n’avait pas grande importance d’ailleurs, car les stratèges moscovites avaient commis une double erreur de jugement. D’une part raisonnant par analogie ils ont cru possible d’appliquer à l’Iran leur schéma — forcément inexact, de la révolution russe de 1917 et, d’autre part, toujours pour les mêmes raisons, ils ont estimé que la « Savagh » était une réplique de l’Okhrana tsariste ne pouvant survivre à la chute du souverain.
S’ils avaient réfléchi en historiens et non en lénino- marxistes primaires, ils auraient compris que la révolution iranienne était bien plus proche de la révolte des « vieux croyants russes » sous le règne d’Alexis Romanov que de l’explosion anarchique de mars 1917 de la Russie en guerre.
Cette dernière était une négation de l’identité nationale et religieuse russe, de son credo mobilisateur « Pour Dieu, le Tsar et la Patrie », alors que la révolution prônée par les mollahs et le Bazar était au contraire une affirmation de Dieu et d’un Iran islamisé.
Le Chah n’était que le fils d’un usurpateur cherchant à imposer au pays un matérialisme occidental aussi pervers — sinon plus, que le matérialisme soviétique qu’il prétendait combattre.
Pour ce qui était de la Savagh institution autrement puissante et ramifiée que ne l’avait été l’Okhrana russe — celle-ci n’avait pas attendu la chute du Chah pour se rallier à la cause des mollahs et des marchands, imités en cela par une partie du Haut Commandement et d’une fraction importante des cadres de l’armée. Ce dernier point explique le fait qu’il n’y ait pas eu de guerre civile en Iran.
C’est ainsi que les « révolutionnaires professionnels » du Tudeh eurent la désagréable surprise de retrouver toujours en fonction leurs ennemis jurés les « policiers professionnels » affublés d’une étiquette nouvelle. Pendant ce temps les Occidentaux — et en premier lieu les Américains, de plus en plus sensibles aux arguments des émigrés iraniens de toutes tendances dénonçant la dictature sanglante du Shah et les excès de la Savagh, voyaient d’un bon oeil l’émergence d’un Iran démocratique.
L’incompatibilité totale entre la foi en Dieu des mollahs et l’athéisme militant de l’Empire communiste constituait à leurs yeux une garantie contre la mainmise de l’U.R.S.S. sur une éventuelle république islamique iranienne. On voyait mal par ailleurs que les mollahs pussent gouverner un grand pays tout seuls, pays en voie de modernisation, sans l’aide agissante de spécialistes pro-occidentaux. D’allié privilégié le Chah se transformait en gêneur qu’il n’y avait pas lieu de soutenir. Les dirigeants des pays arabes modérés n’étaient pas tout à fait de cet avis, ayant de la force explosive d’un Islam exacerbé — chiite de surcroît, une vision plus réaliste. Toutefois le Chah n’étant pas un Arabe, il ne pouvait être considéré en « frère ».
Bien entendu les pays arabes progressistes — l’Irak mis à part, soutenaient la cause de la révolution. En ce qui concerne les communistes chinois, ceux-ci n’étaient pas contre le fait révolutionnaire en soi, mais avaient cru — à tort — déceler dans son origine une intervention directe du Kremlin. Rassurés sur ce point dès le printemps de 1979, ils n’allaient pas manquer de nouer avec le nouveau pouvoir iranien des relations réalistes discrètes. Ami de fraîche date de la Chine, le Japon allait faire de même — ne serait-ce que pour assumer son ravitaillement en pétrole. Toutefois en matière de réalisme et de discrétion la palme devait revenir à l’État d’Israël dont les dirigeants considéraient l’Iran comme un allié potentiel — quel que fût son régime.
UNE ANNÉE D’ERREURS ET DE MALENTENDUS GRAVES
Tout au long de l’année 1979 on va assister à un véritable « concours » d’erreurs entre l’Empire soviétique et les Occidentaux à propos de la révolution iranienne. Ajoutons que dans ce concours chacun des antagonistes raisonne en fonction de son interprétation de la situation mondiale et du rôle qu’il attribue à l’Iran dans cette situation. Pour les stratèges du Kremlin, l’accord sino-nippon d’août 1978 a eu pour conséquence un dangereux encerclement de l’Empire dans lequel la coalition occidentale (États-unis/Europe) se raccorde au binôme Chine-Japon par un axe hostile : Téhéran—Islamabad-Pékin.
Cet axe se trouve interrompu par l’incorporation à l’ « Empire » d’un Afghanistan en voie de communisation.
La révolution iranienne peut permettre d’élargir la brèche en orientant le nouveau régime vers un neutralisme progressiste en attendant de le transforme en démocratie populaire.
Tout en oeuvrant patiemment dans ce sens— et faute d’avoir pu enfoncer un coin dans le binôme silo nippon — fin 1978, par le biais de l’intervention vietnamienne au Cambodge ! Moscou esquisse en avril 1979 un certain rapprochement avec les États-unis en acceptant de signer les accords SALT II auxquels le Président Carter tient beaucoup.
Brejnev et Carter vont se rencontrer à Vienne pour parapher le document et le Président américain s’imagine ouvrir une nouvelle ère dans les rapports Washington-Moscou — les deux « supergrands » pouvant désormais régler en commun nombre de problèmes dont celui de l’Iran.
En ce qui concerne ce dernier pays on espère encore à Washington que la raison va triompher à Téhéran dans la mesure où les États-unis se refusent d’appuyer le Chah et ses partisans réduits à l’exil .Les Américains ont depuis des années investi en Iran — en premier lieu dans le domaine militaire. Il leur est difficile de perdre d’un seul coup cet « avant-poste » face au flanc sud de l’Union Soviétique. Aussi avant d’envisager de s’en remettre à son « nouvel ami » Brejnev, le candide président des États-unis laisse à ses diplomates et à ses équipes de la C.I.A. le soin d’amadouer les farouches mollahs et de pousser leur régime dans la voie de la démocratisation. Cependant le régime « politico-religieux » ne se laisse influencer ni par l’action subversive du Tudeh et du K.G.B., ni par les missionnaires de la démocratie libérale.
Pour Khomeini et ses fidèles, les deux « grands Satans » agissent de concert et les deux offensives — en fait contradictoires et divergentes, aboutissent à un renforcement du nouveau pouvoir. La « Savagh déguisée » obtient des succès faciles contre des agents américains auxquels elle était naguère liée et contre des agents soviétiques qu’elle connaissait fort bien. Ainsi qu’il convient en bonne stratégie, les Services iraniens vont d’abord s’occuper des Américains en faisant semblant de tolérer les communistes. Le point culminant de l’offensive anti-occidentale sera atteint en nombre 1979 avec le sac et l’occupation de l’ambassade des États-unis à Téhéran. En toute naïveté le Président Carter s’imagine que son « ami » Brejnev ne pourra tolérer une violation aussi grave des lois internationales et que l’U.R.S.S. voisine de l’Iran exercera des pressions énergiques sur Téhéran en vue de l’évacuation de l’ambassade et de la libération des diplomates américains. Malheureusement au Kremlin on perçoit la situation quelque peu différemment. Persuadés que les Américains seront tôt ou tard contraints d’intervenir par la force en Iran pour libérer les otages de leur ambassade, les stratèges moscovites décident de profiter de l’occasion pour régler une fois pour toute le problème afghan.
Rappelons que depuis le coup d’État d’avril 1978 et l’arrivée au pouvoir à Kaboul d’une équipe communiste, l’Afghanistan était en proie à une guerre civile dont le nouveau régime risquait de faire les frais.
De plus les communistes afghans étaient eux-mêmes divisés en deux factions rivales et se livraient entre eux à une lutte fratricide aboutissant, en octobre 1979, à la liquidation physique du numéro Un du régime, Taraki, par son second Amin. Ce dernier avait cru nécessaire de consolider son pouvoir par le massacre des communistes de la faction adverse, en même temps qu’il avait la prétention de mater la rébellion anticommuniste. Moscou pouvait difficilement laisser se développer de tels désordres dans un pays admis depuis dix-huit mois dans la « grande famille socialiste ». La conjonction de l’affaire de l’ambassade américaine à Téhéran et de la grande pagaille qui s’installe en Afghanistan sera ainsi à l’origine de l’intervention soviétique du 27 décembre 1979.
A Moscou on s’imagine que l’opération sera de courte durée — un peu comme celle des Vietnamiens au Cambodge; qu’elle ne provoquera aucune réaction de la part de Téhéran du fait de la compréhension manifestée par l’U.R.S.S. dans l’affaire de l’ambassade et que la mauvaise humeur des Américains en train de préparer leur propre intervention en Iran sera toute relative. L’avenir se chargera de démentir des prévisions optimistes. L’opération de courte durée en est largement à sa huitième année. Le régime des mollahs remerciera les Soviétiques de leur compréhension en liquidant les cadres du Tudeh et en aidant la résistance afghane, et plus que déçu par le comportement de son « ami » Brejnev. Jimmy Carter décidera le boycott des Jeux Olympiques de Moscou en 1980 et un embargo sur les ventes de blé à l’Union Soviétique.
LE RECOURS A BAGDAD
Il est évidemment difficile d’imaginer ce qui aurait pu se passer à Téhéran si en novembre 1979 le Kremlin avait réagi selon les voeux du Président Carter au lieu de préparer une intervention en Afghanistan.
– On peut penser néanmoins qu’une condamnation sans équivoque de la violation flagrante des lois internationales perpétrée par le pouvoir des mollahs émanant de Moscou et des autres capitales de l’Empire soviétique aurait nettement modifié les données du problème. A l’époque le nouveau régime iranien n’était pas encore consolidé et un front uni englobant les puissances occidentales, l’Empire, et probablement la quasi-totalité des pays arabes — les progressistes se ralliant à l’appel de l’U.R.S.S. — eût été à même de faire céder les autorités de Téhéran. Il s’en serait suivi une perte de face génératrice d’une crise intérieure grave. Ces quelques spéculations n’ont d’intérêt que dans la mesure où elles font ressentir la lourde responsabilité de l’U.R.S.S. dans la consolidation du pouvoir politico-religieux iranien. Cette responsabilité est d’ailleurs quelque peu partagée par la plupart des alliés occidentaux des États-unis dont le moins que l’on puis dire est qu’ils n’ont fait preuve ni de solidarité ni de fermeté face au défi de Téhéran. Il allait en être de même dans le cas de l’invasion de l’Afghanistan — tant en ce qui concerne la livraison de céréales à l’U.R.S.S. que le boycott des Jeux Olympiques. Réduits à agir seuls les Américains vont ainsi essuyer un échec lors de leur tentative d’opération héliportée d’avril 1980. Et c’est ainsi que l’on va aboutir à ce que l’on peut appeler le recours à Bagdad. Même si nous ne pouvons affirmer avec certitude que le Général Saddam Hussein ait été directement incité par les Américains à déclencher, en septembre 1980, les hostilités contre l’Iran, son initiative ne pouvait à l’évidence déplaire à Washington.
Les dirigeants de Bagdad partaient avec de sérieux atouts face à un adversaire affaibli par les remous d’une révolution sanglante. Plus de dix-huit mois après la chute du Chah, l’armée iranienne devait se trouver totalement désorganisée du fait des purges et de la fin de l’aide militaire américaine. Quelques rescapés de ces purges — officiers généraux ou supérieurs, se trouvaient d’ailleurs en Irak pour appuyer ce point de vue et conseiller le Président Saddam Hussein.
Pour des raisons diverses, ce dernier bénéficiait du soutien discret des puissances occidentales et de la sympathie agissante des pays arabes du Proche-Orient, à l’exception de la Syrie. La France, en particulier, pouvait du fait de ses relations privilégiées avec l’Irak espérer un renforcement de son influence au sein du monde arabe. De son côté l’U.R.S.S. dont les troupes n’avaient pas réussi en dix mois d’intervention à pacifier l’Afghanistan, apportait une aide militaire généreuse à l’Irak en misant, elle aussi, sur un prompt effondrement de l’Iran dont le Tudeh aurait pu être le bénéficiaire. Une telle solution lui aurait permis de régler plus rapidement le problème afghan et d’obtenir un accès direct au Golfe. Toutefois Moscou ne se contentait pas — à l’instar des Occidentaux, de jouer uniquement la carte irakienne .
Grâce à la Syrie — dont l’équipe dirigeante était hostile à celle de Bagdad, elle pouvait espérer maintenir le contact avec Téhéran en vue de l’hypothèse (peu probable à l’époque) d’une victoire de l’Iran. De toute façon personne — en septembre 1980, n’envisageait l’hypothèse d’une guerre longue et meurtrière avec ses phénomènes annexes : reprise du terrorisme en Europe et remous dans le monde arabe.
LA GUERRE DE SEPT ANS… ET PLUS
Les premiers mois de la guerre irako-iranienne déclenchée — on l’oublie souvent de nos jours, par Bagdad — seront très vite éclipsés par des événements tels que l’émergence de Solidarnosc, l’éventualité d’une intervention soviétique en Pologne, la victoire de Ronald Reagan aux élections présidentielles américaines etc…
Après quelques gains territoriaux minimes, l’armée irakienne s’était enlisée — faute d’avoir su utiliser ses unités blindées. Pendant ce temps, face à l’agresseur irakien avec à sa tête des dirigeants champions de la laïcité, le pouvoir des mollahs appelait à la « guerre sainte » — et le nationalisme persan aidant, mobilisait l’ensemble de la nation.
Les forces iraniennes retrouvaient une certaine cohésion et il ne restait plus qu’à trouver de nouveaux fournisseurs pour ses armements. Dans le lot, Israël — officiellement honni et promis à la destruction, allait discrètement occuper une place de choix. Ce seront ensuite la Corée du Nord et surtout la Chine. Dans le cas d’Israël les raisons de son attitude étaient parfaitement logiques. L’Irak avec ses dirigeants bassistes professant une forme de national-socialisme arabe représentait le danger majeur. Sa victoire devait lui permettre de prendre la tête d’un front arabe uni contre l’ennemi hébreu— avec de plus l’éventualité de l’acquisition par Bagdad de l’arme nucléaire . L’Iran — même hostile aux Juifs, constituait le moindre mal. La propagation de son Islam fondamentaliste (d’inspiration chiite) avait beaucoup plus de chances de susciter des troubles au sein des pays arabes que d’unir ces pays sous l’égide de l’Ayatollah Khomeini.
Comme par ailleurs les forces armées iraniennes étaient au départ équipées de matériels américains, Israël s’imposait à Téhéran en tant que fournisseur indispensable. Ainsi l’État hébreu — disposant lui-même d’un petit arsenal nucléaire, profitait-il de cette guerre pour devenir la seule grande puissance régionale du Proche-Orient. C’est cette nouvelle appréciation de la situation qui allait inciter Jérusalem à se lancer dans la campagne du Liban de 1982, sans le soutien des États-unis, qui aurait pu — sans l’épisode des camps de Sabra et de Chatila être profitable non seulement à Israël, mais à l’ensemble du camp occidental.
Des succès aussi importants que le démantèlement de la Défense aérienne syrienne, l’affront infligé à l’U.R.S.S. de Brejnev, les coups portés à l’O.L.P. de Yasser Arafat sont finalement restés sans lendemain, cependant que les Occidentaux se laissaient embarquer dans la galère libanaise avec les résultats que nous connaissons. Obligé d’évacuer le Liban, Israël abandonnait le terrain à la Syrie et aux factions rivales libanaises et palestiniennes. Pendant ce temps le conflit irako- iranien se poursuivait sans que les deux protagonistes parviennent à prendre un avantage décisif. Au Kremlin Andropov succédait à Brejnev en attendant de disparaître au profit de Tchernenko. Réélu triomphalement en 1984.
Reagan semblait devoir entamer un deuxième mandat en position de force, face à un Empire soviétique à bout de souffle — même si à la tête de cet Empire le jeune et énergique Mikhaïl Gorbatchev devait, en mars 1985, succéder au malheureux Tchernenko.
Il ne venait certainement à l’idée d’aucun observateur de politique internationale que le président des États-unis allait être sérieusement amoindri du fait de la Guerre du Golfe — et plus précisément des Services Spéciaux iraniens.
Faute de pouvoir obtenir du Congrès les moyens nécessaires à une action sérieuse contre le pouvoir cryptocommuniste du Nicaragua les proches collaborateurs du Président seront amenés à monter une opération secrète illégale de livraison d’armes aux Iraniens afin de pouvoir financer la contre-révolution nicaraguayenne. L’opération menée par la C.I.A. oeuvrant pour le compte de l’État-major de la Maison-Blanche devait s’avérer fructueuse.
Toutefois les Américains allaient découvrir à leurs dépens l’esprit tortueux des Services Spéciaux iraniens — autrement dit des successeurs de la Savagh. Il est fort possible d’ailleurs que ces derniers qui avaient quelque temps auparavant décimé les réseaux soviétiques en Iran aient estimé utile de rendre « un petit service » de dédommagement au K.G.B. à un moment où Mikhaïl Gorbatchev venait d’essuyer un échec à Reykjavik. C’est alors, dès la fin de novembre 1986, le scandale de l’« Irangate » qui porte (qu’on le veuille ou non) un coup sévère au prestige du Président, même si ses collaborateurs parviennent à le disculper.
L’intervention américaine dans le Golfe, en août dernier, sera en quelque sorte une réplique à la tortueuse manoeuvre iranienne de l’automne 1986.
Une fois de plus l’U.R.S.S., tout étant signataire de la résolution du Conseil de Sécurité de l’O.N.U. exigeant l’arrêt des hostilités, cherchera à tirer son épingle du jeu en se rapprochant de l’Iran. D’où l’orientation prise par la Propagande du Kremlin dénonçant l’intervention des « forces navales de l’O.T.A.N. » dans le Golfe et les dangers d’escalade qui en découlent. En fait l’intervention des Américains et de leurs alliés britannique et français ne paraît pas dangereuse en soi, mais elle est inadéquate. Ainsi que le constate très justement Yves Cuau dans « L’Express » , les énormes moyens engagés dans le Golfe valaient-ils la peine « d’employer de coûteux et d’inefficaces marteaux-pilons pour tenter d’écraser des mouches, même enragées » ? Ajoutons qu’il nous paraît évident que cette inadéquation des moyens renforce encore le prestige de l’Ayatollah et le pouvoir politico-religieux iranien.
Les gesticulations stratégiques sont peut-être valables dans le cas de puissances classiques, voire même de l’Empire lénino-marxiste, mais sont inopérantes avec un régime totalitaire dans lequel religion et nationalisme se confondent. C’est d’ailleurs le caractère spécifique de ce régime issu d’une révolution unique dans son genre qui déroute depuis des années les Occidentaux, les Soviétiques et même les Arabes.
ENGRENAGE DANGEREUX OU GESTICULATION DE ROUTINE ?
La question posée par le titre du présent article est celle qui vient normalement à l’esprit lorsque les grandes puissances croient — par un déploiement de force, mettre un terme à une guerre entre deux adversaires irréconciliables. Nous avons dit plus haut qu’à notre sens la gesticulation de routine à laquelle nous assistons actuellement dans le Golfe était inopérante. Tout au plus joue-t-elle un rôle dans le domaine du ravitaillement en pétrole des clients de l’Iran — c’est-à-dire qu’elle ne concerne pas le conflit en tant que tel. Reste le risque d’engrenage. Il ne paraît pas exagéré dans l’immédiat et ne pourrait devenir réel que dans deux éventualités – l’effondrement subit de l’un des belligérants, – l’extension de l’onde de déstabilisation au sous-continent indien. La première de ces éventualités est celle que redoutent la plupart des observateurs, divisés toutefois quant au degré de gravité que comporterait la victoire de l’un ou l’autre camp. Nous avons dit que pour Israël le pire serait un triomphe de l’Irak. A la réflexion il semble que Jérusalem ait raison — du moins à court terme. La seconde qui n’est évoquée, semble-t-il nulle part, devrait être sérieusement prise en considération car elle pourrait conduire à des malentendus graves entre toutes les grandes puissances.