Colonel Michel Garder : L’après Yalta
Il y a quarante ans se tenait à Livadia – et non à Yalta – une Conférence des vainqueurs potentiels de la Deuxième Guerre Mondiale qui s’achevait. En quarante ans, tant de choses inexactes ont été dites en Occident, et plus spécialement en France, à propos de cette Conférence, que l’on pouvait penser que la vérité ne serait jamais rétablie. Or, curieusement en ce mois de février 1985, un louable effort de mise au point s’est effectué un peu partout, du moins dans les pays occidentaux. Notons en particulier que la plupart des publications françaises n’ont plus repris les mythes d’un partage du monde entre superpuissances complices, ni de la genèse de la « politique des blocs ». Toutefois, nulle part nous n’avons lu l’essentiel, à savoir qu’il s’était agi d’un malentendu fondamental entre les participants. Pour Franklin Roosevelt et Winston Churchill cette Conférence ouvrait la phase préparatoire à la fin de la guerre. Pour Joseph Staline on en était déjà au prologue d’un nouveau conflit. Le Président américain et le Premier britannique voyaient dans le Généralissime soviétique un allié avec lequel ils devaient préparer une paix juste et durable. Le chef du Communisme mondial, lui, considérait ses interlocuteurs en ennemis qu’il y avait lieu de tromper en vue de l’affrontement global qui allait suivre.
Ainsi le nouveau conflit mondial devait-il débuter avant même que ne fût terminé le précédent. Mieux : quarante ans après, dans ce même camp occidental, on en est encore à chercher, faute d’en comprendre la nature exacte, des formules lénifiantes pour qualifier cette confrontation inexpiable qui lui est imposée par l’Empire lénino-marxiste. Nombreux sont d’ailleurs les historiens et les spécialistes qualifiés qui s’imaginent qu’en février 1945 Staline lui-même n’avait pas encore des idées très nettes quant à l’après-guerre.
Cette méconnaissance totale de la nature réelle des dirigeants communistes en général et de leur prototype Staline en particulier, de leur vision du monde et de la Stratégie Totale qu’ils mettent en oeuvre pour infléchir l’histoire dans un sens qu’ils ont eux-mêmes défini, est à l’origine de tous nos déboires et de nos déceptions.
Amorcé en 1945 en Crimée, le troisième conflit mondial va débuter pratiquement en juillet de la même année à Postdam où Staline trouvera en la personne de Truman un adversaire autrement coriace que Roosevelt. C’est ce même Truman qui prendra la décision un mois plus tard d’utiliser l’arme nucléaire contre le Japon, ce qui aura pour effet de limiter l’importance de l’intervention soviétique en Extrême-Orient, et surtout de placer le Kremlin en position de faiblesse.
Dès lors, nous allons assister à un affrontement confus dans lequel la course aux armements prendra d’année en année une importance croissante. Finalement, après la mort de Staline, ses successeurs et en particulier Khrouchtchev vont commettre une série d’erreurs et s’aliéner la Chine Communiste.
C’est ainsi qu’en 1963 – au lendemain de la crise de Cuba, on passera du troisième au quatrième conflit mondial opposant la Chine et une partie des nationalismes révolutionnaires du Tiers Monde à une coalition « de facto » dans laquelle L’Alliance Occidentale et l’Empire Soviétique se trouveront englobés. Nous serons alors – et ce d’une façon encore plus dangereuse qu’à Cuba, au bord d’une guerre générale, l’Union Soviétique envisageant, en 1969, une attaque brusquée contre la Chine. Le Président Nixon tentera alors de clarifier la situation et y parviendra presque, mais sa chute politique ramènera le chaos antérieur.
En fin de compte l’accord sino-nippon d’août 1978 constituera le début du cinquième conflit mondial (dans lequel nous sommes encore actuellement) opposant l’Empire Soviétique à une coalition « de facto » comprenant l’Alliance Occidentale et le binôme sino-nippon. Vue de Moscou, il faut dire qu’il s’agit d’une inquiétante tenaille dont les deux branches – asiatique et européenne, ne sont que des têtes de pont des États-unis menaçant l’Empire Soviétique.
Avec les projets américains de Défense spatiale et de la supériorité des États-unis rétablie dans tous les domaines ; avec d’autre part la perspective d’un renforcement spectaculaire du binôme sino-nippon d’ici le début du troisième millénaire, la vision scientifique de l’avenir se trouve passablement assombrie pour les dirigeants soviétiques.
Ce n’est certainement pas une telle issue que le génial « père des peuples » entrevoyait au Palais de Livadia lors de sa rencontre avec ses « futurs adversaires ». Là aussi on peut parler du « Malentendu de Yalta !»