A maintes reprises et le plus souvent de façons fantaisistes, nos anciens Services ont été mis en cause par les media à propos de Klaus BARBIE et des conditions dans lesquelles il avait échappé à la Justice.

Dans son éditorial Michel Garder situe le personnage et, fort justement, dit ce qu’il pense de son prochain procès. Il m’a semblé, quant à moi, nécessaire de préciser ce que furent nos interventions dans ce que l’on peut appeler l’affaire BARBIE.

C’est en avril 1943 que la Direction de la Sécurité Militaire à ALGER reçut les premiers renseignements sur l’Oberstumführer (Lieutenant) BARBIE. Notre poste T.R. 114 de LYON nous indiquait qu’il était le Chef de la Section IV de la SPIDO/SD de cette ville. Il soulignait son intense activité et sa brutalité. D’autres renseignements allaient nous confirmer le rôle cruel joué par BARBIE et sa section IV dans les arrestations — parfois en liaison avec l’Abwehr, de plusieurs de nos agents. Ainsi, les officiers du POSTE S.R. de Lyon : LOMBARD, SCHMIDT, MISSOFFE, etc…; la chasse brutale diligentée par BARBIE contre l’abbé VORAGE et Henri MORTIER (déporté N.N.), les interrogatoires « musclés » à l’hôtel TERMINUS de notre camarade Mme CHAMPION.

En juin 1943, c’est l’affaire de CALUIRE avec la dramatique arrestation de Jean MOULIN et de ses compagnons. J’en passe. Toutes ces informations confirmaient les méthodes odieuses en usage chez les nazis. Elles nous amenèrent à faire figurer BARBIE et ses chefs Lyonnais, les S.S. KNAB et HOLLBERT sur nos synthèses du R.S.H.A. et, surtout, sur nos listes des individus dangereux que nous avions le devoir de mettre hors d’état de nuire.

Vient la préparation du débarquement. Dès le début de 1944, sous la responsabilité de la D.S.M. d’ALGER sont constituées les listes des individus à appréhender en raison de leurs actions criminelles en FRANCE. Ce travail énorme est réalisé en liaison avec les Services de Sécurité alliés et le B.C.R.A.

Dans chaque Grande Unité alliée et française appelée à participer aux opérations de libération de la métropole, nos Services (S.R.-S.M. et T.R.) doivent être représentés. Ils devront disposer, ainsi que leurs homologues US. et britanniques, d’une documentation complète leur permettant d’assurer leur mission répressive dans leurs zones d’intervention. Restait à obtenir du Haut Commandement (Général EISENHOWER) des directives s’imposant à tous en matière de Sécurité et de Contre-Espionnage. Ce fut l’objet de mes négociations à LONDRES du 15 au 30 mai 1944 et de l’accord signé avec le Colonel U.S. SCHEEN représentant le Général EISENHOWER. Aux termes de cet accord (voir mon livre Services Spéciaux éditions Robert Laffont) nos Services devaient exercer en pleine souveraineté l’exploitation des affaires découlant de la documentation établie par nos soins et ainsi diffusée. Klaus BARBIE y figurait en bonne place ainsi que ses chefs OBERG et KNOCHEN en tête. Je ne saurais être plus clair : Tout Service de Sécurité français, anglais ou américain avait le devoir de rechercher BARBIE et de nous le livrer. * * Le 3 septembre 1944, LYON est libéré par la 1° Armée Française. Nos camarades, aussi bien ceux attachés aux unités débarquées que ceux du T.R. ou de la Sécurité Militaire clandestine en poste dans la région, fouillent les repaires connus des Services Spéciaux ennemis. En vain. Depuis le 24 août les derniers éléments du R.S.H.A. (S.I.P.O.-S.D.) se sont repliés avec armes et bagages les uns vers ÉPINAL d’autres en ALSACE.

BARBIE, blessé le 28 août au nord de Lyon dans des circonstances pas très claires, est évacué sur BADEN-BADEN. Rétabli, il semble qu’il ait achevé sa carrière paramilitaire dans le cadre d’une armée allemande basée fin 1944 à la frontière suisse .Elle combattra contre les américains jusqu’au 5 mai 1945.

Après l’armistice de mai 1945, conscient de ses responsabilités coupables, soucieux d’échapper aux recherches dont il sait être l’objet de la part des Français, il se réfugie dans les zones d’occupation anglaise, puis américaine. Fin 1946 ou début 1947 (je n’ai pu préciser) BARBIE fait des offres de Service au COUNTER INTELLIGENCE CORPS (C.I.C.) U.S.A. de MUNICH.

En raison de son « expérience , de sa « compétence » et de la médiocrité des moyens d’investigation, notamment dans les milieux communistes, dont disposent les Américains, son offre est acceptée d’emblée.

On se garde d’aviser nos Services. Peu importent les accords de 1944. Les circonstances ont évolué. Les Services Spéciaux français ont été profondément modifiés, perturbés, le gouvernement français lui-même a incorporé des communistes en son sein…

BARBIE bien que parfaitement identifié comme le criminel de LYON recherché par le C.E. français devient l’agent X-3054 du C.I.C. de Munich. On l’oriente sur les activités communistes, spécialement en Italie du Nord. Je répète : On ne dit rien aux Français et, notamment, à l’antenne du S.D.E.C.E. (dénommée D.A.L.O.) que dirige en Allemagne, à WILDBAD, le colonel GER (adjoint capitaine Maurice DUMONT et, entre autres collaborateurs, le lieutenant WHITEWAY et le Commissaire BIBES de la Sûreté aux Armées dont nous reparlerons plus loin). Pourtant les rapports personnels entre GERAR-DUBOT, ses collaborateurs et leurs camarades U.S.A. sont excellents, j’ose même affirmer exceptionnellement confiants. Il est vrai qu’ils ont été noués en 1943 et 1944. Autre époque, dont certains conservent la nostalgie…

* * Ce qui va suivre est extrait des archives que le colonel GERAR-DUBOT m’a confiées bien avant sa mort.

DALO dispose de la documentation de base établie à ALGER. Elle a été reproduite à PARIS en novembre 1944 et largement diffusée. Jamais DALO n’a cessé de rechercher BARBIE. Vers mars 1948, l’Allemand est situé par les informateurs du poste comme agent des Américains. Devant l’importance du personnage et de son témoignage dans l’instruction judiciaire en cours à l’encontre de HARDY, DALO prend l’initiative d’user de ses bons rapports avec les Américains pour demander à ses amis du C.I.C. de pouvoir, au moins, procéder à son audition.

Négociation délicate. Elle exige habileté et discrétion. L’autorisation est finalement accordée sous la condition formelle que l’audition se fera en zone U.S. et « qu’il n’en résultera aucune suite fâcheuse pouvant entraver l’emploi de BARBIE par les Services Américains ». (sic.) Cette condition ne peut être qu’acceptée par GERAR-DUBOT. L’audition a lieu le 14 mai 1948 à 9 heures du matin à FRANCFORT dans les locaux de la mission française.

Le Lieutenant WHITEWAY (qui fut longtemps à Alger notre précieux officier de liaison auprès des Services Spéciaux U.S.) dirige la délégation mandatée par GERAR-DUBOT. Elle comprend le Commissaire BIBES de la Sûreté aux Armées, Officier de Police judiciaire et son adjoint l’Inspecteur LEHRMANN.

BARBIE, sûr de lui et en confiance, est accompagné de deux américains qui parlent Français comme lui. L’interrogatoire va durer plus d’une heure. Il donnera lieu à un procès-verbal de cinq pages que tout le monde signera. « BARBIE, rend compte GERAR-DUBOT, a parlé sans réticence et son témoignage accable HARDY »…

Le P.V. transmis à Paris fait l’effet d’une bombe. DALO est invité à poursuivre. Une deuxième entrevue avec BARBIE a lieu le 18 mai 1948 dans les mêmes conditions, à MUNICH cette fois.

Toujours coopératif le Hauptsturmführer (capitaine) précise ses accusations contre HARDY. Le 28 juin 1948, PARIS écrit à DALO «… Il n’est pas possible de négliger un témoignage d’une telle importance. Ci-joint une commission rogatoire que vous devez faire exécuter dans les meilleurs délais étant entendu que le magistrat instructeur (en l’occurrence le Commandant GONNOT juge d’instruction de l’affaire HARDY) donne toute garantie de sécurité en ce qui concerne la situation actuelle de BARBIE (sic).

… Le S.D.E.C.E. transmet à DALO (GERAR-DUBOT) une longue et détaillée commission rogatoire : treize pages accompagnées de photographies et documents divers. BARBIE répond abondamment aux questions du juge le 16 juillet 1948. Il est interrogé à MUNICH dans les mêmes conditions que le 18 mai. Il confirme et précise ses déclarations antérieures. Elles accablent toujours HARDY. Le 30 juillet 1948. PARIS après avoir remercié DALO, lui demande d’obtenir du C.I.C. l’autorisation d’entendre un autre témoin. C’est un collaborateur de BARBIE à LYON l’Oberscharführer Harry STENGRITT. Il a participé à l’opération de CALUIRE. Une nouvelle commission rogatoire lui est transmise avec ce commentaire flatteur :… « Grâce aux multiples efforts de DALO, l’affaire HARDY a pris une tournure nouvelle »… Le 2 août 1948, à STUTTGART, l’équipe de GERAR-DUBOT entend ce nouveau témoin. Il confirme les accusations de BARBIE et précise que l’identité de Jean MOULIN a été révélée à la Gestapo par les autres personnes arrêtées à CALUIRE (sic). Dernières contributions de nos anciens Services à cette affaire BARBIE-HARDY.

1) Le 4 décembre 1948 DALO propose de faire venir à Paris le témoin STENGRITT sous certaines garanties. Proposition acceptée. STENGRITT est entendu par le juge d’instruction le 7 décembre 1948. Il réitère ses déclarations antérieures. Il témoignera au procès Hardy. Plus tard, en dépit des garanties avancées pour sa venue à Paris il sera condamné à mort et gracié au bout de 15 ans de prison.

2) Le 2 février 1950 DALO propose sous certaines conditions d’obtenir des Américains le « prêt » de BARBIE pour venir témoigner au procès HARDY. Le 7 février 1950 cette proposition n’est pas acceptée par le Gouvernement.

3) Le Commissaire BIBES convoqué comme témoin à charge au procès HARDY le lundi 24 avril 1950 sera vivement pris à partie par la Défense de l’inculpé. Insulté, ridiculisé pour n’avoir pas « enlevé » BARBIE il rentrera à WILDBAD écoeuré. Il quittera les Services pour s’installer définitivement en Allemagne où il est récemment décédé.

* * Le 9 mai 1950 René HARDY était une nouvelle fois acquitté à la minorité de faveur par le Tribunal Militaire de Paris… « S’il reste un millième de doute en sa faveur, il faut que vous l’acquittiez »… avait adjuré le témoin Claudius PETIT. BARBIE, réclamé à corps et à cris par l’opinion autant que par les autorités françaises, restait, imperturbable, sous l’identité de Klaus ALTMANN, au service et sous la protection des U.S.A. Le 22 mars 1951, accompagné de son épouse, il quitte GENES avec la bénédiction du C.I.C. Le 23 avril 1951 il arrive à LA PAZ. On connaît la suite.

Peut-être et ce sera ma conclusion, pouvait-on faire l’économie d’un procès coûteux qui risque d’éclabousser la Résistance, de passionner sinon d’irriter et diviser les Français. Il ne nous apprendra, en définitive, que quelques horreurs supplémentaires sur le comportement des nazis. Une mesure D aurait, sans nul doute, fait justice à meilleurs frais Mais, puisque désormais cette affaire BARBIE est placée sur un plan légal, je ne peux m’empêcher de me souvenir que les Chefs de ce misérable, OBERG & KNOCHEN, condamnés à mort à PARIS, ont été graciés et libérés…

Il est décidément bien difficile de rendre, quarante-trois ans plus tard, une justice équitable et sereine.

image_pdfimage_print
Recevoir les actualités par email