Avons nous au moins utilise nos chars ? comment naissent les legendes ?

AVONS -NOUS , AU MOINS, UTILISE TOUS NOS CHARS

Suivant une légende tenace. aujourd’hui encore largement répandue, des centaines de chars modernes seraient restés inutilisés dans les dépôts alors qu’ils manquaient tant aux Armées en Mai et Juin 1940. Paul Raynaud, devenu Président du Conseil le 21 Mars et Ministre de la Guerre le 5 Juin 1940, en écrit ce qui suit : « Utilisons-nous, au moins, tous nos chars ? » demandais-je en arrivant au Ministère de la Guerre, après la catastrophe. « On me répondit que l’on jetait dans la bataille des chars sortant de l’usine, dont les moteurs n’étaient même pas rôdés. » « Et pourtant, depuis le procès de RIOM, un bruit a couru et s’est amplifié : nos chefs militaires auraient commis la faute incroyable de ne pas utiliser tous les chars mis à leur disposition. » « C’est la déclaration faite par Daladier au procès de RIOM qui est à l’origine de cette rumeur. » Maître Ribet (avocat de Daladier), la com­mente ainsi : « Et l’on apprend avec stupeur que des centaines de chars en bon état ont été laissés dans les dépôts : ce qui représente plusieurs divisions cuirassées. » (Paul Reynaud, « Au coeur de la mêlée », p. 471-72). BRUITS… RUMEURS… AURAIENT été… ONT été…

M. Paul Reynaud nous montre comment en quelques lignes naissent certaines légendes. La plus typique est celle des « chars disponibles, mais inemployés ».

Bataillon de Chars de Combat de la 4e Division Cuirassée (de GAULLE).

Suivons un exemple caractéristique : celui du 44e B.C.C. formé le 16 Novembre 1939 dans la Drôme, devant être apte à partir aux Armées le 15 Mars 1940, et que l’auteur entendit tirer ses premiers coups de feu aux abords de la Somme le 27 Mai 1940, alors que l’évacuation par DUNKERQUE était commencée.

A sa formation, le 44e B.C.C, reçoit pour son instruction : – 3 chars R 35 ; – 33 chars FT 1918 (dont 8 chars-canons sans armement, servant d’auto-école et 25 chars-mitrailleuses).

On relève dans ses archives : 27 Janvier 1940 : La Direction de l’Infanterie (Section chars) demande que soit complété en matériel le 44e B.C.C, qui, formé depuis le 16 No­vembre 1939, ne possède encore que trois chars modernes. 5 Février 1940 : La Direction de l’Infanterie (Section chars) demande que le 44e B.C.C. devant partir aux Armées au début de Mars, son matériel soit mis en place pour le 15 Février, en raison de son station­nement éloigné et du rodage à effectuer. 5 Mars 1940 : L’Etat-Major de la 14e Région Militaire (LYON) sur le territoire de laquelle stationne le 44e B.C.C., signale qu’il pourrait partir aux Armées le 15 Mars 1940, s’il recevait ses chars avant cette date. 4 Mars 1940 : Le 44e B.C.C. a exécuté : – 5 tirs à la mitrailleuse (sur chars FT 1918) ; – 2 tirs seulement au canon (du fait qu’il ne possède que 2 chars R 35 armés de canons, le troisième étant indisponible). 21 Mars 1940 : La Direction de l’Infanterie (Chars) fait savoir : « Les chars R 35 ne pourront être fournis au 44e B.C.C. du fait du manque de disponibilités en tourelles. D’après les renseignements obtenus auprès du Ministère de l’Armement, les tourelles nécessaires aux 42 chars de ce Bataillon (3 chars sont en place) ne pourraient être livrées avant le mois de Mai 1940. 15 Mai 1940 : Le 44e B.C.C, est toujours à l’instruction dans !a Drôme dans l’attente de son matériel. (Le 15 Mai au soir, des chars allemands ayant débouché de MONTHERME arrivent à MONTCORNET. ) 16 Mai 1940 : La 4e Division cuirassée du Colonel de Gaulle doit se rassembler dans la région de LAON où sont dirigés les éléments qui doivent la constituer. 16 Mai 1940 : Un télégramme prescrit à l’entrepôt de Chars de GIEN de charger immédia- tement sur wagons 45 chars R 35 pour armer le 44e B.C.C. alerté pour partir aux Armées. « Les chars-mitrailleuses FT 1918 dont ce Bataillon dispose actuel­lement seront reversés à l’entrepôt de GIEN où ils seront « classés dispo­nibles à l’entrepôt »(n° 15.53 S – 2/3). Il n’y a plus de chars R 35 à l’entrepôt de GIEN. Mais le deuxième Bataillon R 35 (des 2 Bataillons destinés à la TURQUIE), que le Gouver­nement Turc vient de réclamer à l’Ambassade de France, est encore en instance d’embarquement à MARSEILLE. La S.N.C.F, fait diligence et les choses vont très vite. Tandis que, le 16 Mai, le personnel du 44e B.C.C. et ses véhicules embarquent en 3 trains en Gare de BOLLENE, on annonce l’arrivée en cette gare de 45 chars R 35 (venant de MARSEILLE) dont les 3 rames suivront celles du personnel. Destination inconnue. Trains de personnel et rames de chars arrivent au petit matin du 19 Mai aux environs de SOISSONS. Le Chef de Bataillon fait reconnaître sur wagons les chars (dont l’armement et le lot de bord sont en caisses auprès des chars). Il les attribue aux commandants de compagnie qui les font débarquer et font monter l’armement et l’optique. Le 44e B.C.C. ayant fait ainsi connaissance de ses chars tout neufs est affecté à la 4e Division Cuirassée du Colonel de Gaulle, qui pour l’heure tente de franchir la Sarre (Nord de LAON). Les chars FT 1918 laissés à Suze-la-Rousse pour être reversés et « classés disponibles à l’entrepôt » de GIEN, figurent au nombre de « ces chars laissés dans les dépôts qui représentent plusieurs divisions cui­rassées… » De P.-E. CATON,