ALDRICH AMES : L’espion qu coeur de la C.I.A

ALDRICH AMES, L’ESPION AU CŒUR DE LA C.I.A. Au moment même où naissaient tardivement des soupçons sur Aldrich H. Ames, en 1993, … Stella Rimington, directeur du M.I.-5 britannique, exposait à Londres, devant un parterre d’initiés, « qu’avec la fin de la guerre froide s’était amorcé le déclin de l’espionnage, auquel se substituaient de nouveaux dangers : la prolifération des armements, la drogue… » Trente-six pages de la sorte, pour expliquer la nécessaire coopération avec Moscou, face à ces maux, comme le demandait Evgueni Primakov, le directeur du S.V.R. (qui a remplacé le Ier Directorat Principal du K.G.B., en janvier 1992, c’est-à-dire l’espionnage russe dans le monde).




1944 : L’operation Bodyguard et le debarquement en Normandie

Certains de nos camarades se sont étonnés que la totalité des forces allemandes n’ait pas été alertée dès le 5 juin 1944 en raison de l’imminence de l’attaque alliée sur les plages de Normandie.

Le commandement de la Wehrmacht avait été informé par l’Abwehr de l’ordre diffusé par la B.B.C. aux Forces Françaises de l’Intérieur (F.F.I.) de procéder sans délai au sabotage systématique des voies de communication, ce qui impliquait l’annonce de l’imminence du débarquement.

Nous résumons ci-après l’état de nos connaissances sur cet aspect important de la phase essentielle de notre Libération.

1) RAPPEL DE DEUX DONNEES CAPITALES

a) Depuis le début de 1944, les Services Spéciaux alliés (y compris nos services) appliquent le plan général d’intoxication Bodyguard qui doit aboutir, notamment par la mise en œuvre du plan annexe Fortitude, à persuader l’ennemi que le débarquement de Normandie est une vaste entreprise de dissuasion; la « menace principale » pour la Wehrmacht doit être l’attaque au nord de la Seine par le Pas-de-Calais.

Une menace secondaire est soutenue en Méditerranée. On sait (notamment par le décryptement des messages Enigma) que ce plan d’intoxication est une réussite totale jusqu’au début de juillet 1944 et qu’il incita le haut commandement allemand à maintenir ses forces dispersées.

b) Depuis la fin de 1943, l’Abwehr est au courant des conditions dans lesquelles les F.F.I. et les F.F.C. seront informées des projets de débarque ment alliés par la B.B.C. Le 24 octobre 1943 l’O.K.W. a répercuté sur le front de l’Ouest ces indications recueillies par l’Abwehr grâce à sa pénétration dans les organisations de Résistance en France, ses écoutes radios et ses décryptements.

Ainsi l’ennemi sait que l’information des résistants doit se faire en deux temps avec la diffusion des vers de Verlaine

— 1er temps : « Les sanglots longs des violons de l’automne »

— 2e temps : « Bercent mon cœur d’une langueur monotone ».

La diffusion du 1er temps signalera l’approche du débarquement, sans en donner ni lieux ni date. La diffusion du 2e temps précédera de très peu le déclenchement des opérations et donnera l’ordre de sabotage dans toute la France.

Depuis le mois de mai 1944 la B.B.C. a diffusé plusieurs fois le premier vers de Verlaine. Les Allemands l’ont capté. Ils savent à quoi s’en tenir. Le Commandement allemand en France (P.C. à Saint-Germain) a alerté par précaution ses armées au Nord et au Sud de la Seine. Rien ne s’étant produit fin mai, Von Rundstedt lève l’alerte et précise qu’elle ne sera éventuellement renouvelée que sur son ordre.

2) DEROULEMENT DES EVENEMENTS

a) Le 5 juin 1944 à partir de 21 heures, la B.B.C. diffuse à plusieurs reprises le 2e temps (2e vers de Verlaine) soit l’ordre de sabotage. Il est intercepté par les écoutes de la station de l’Abwehr de la région de Nord ainsi que par les services spécialisés de la 15e Armée allemande stationnée au Nord de la Seine jusqu’au Pays-Bas. Ces services répercutent leurs interceptions sur le P.C. de Saint-germain qui donne l’ordre d’alerte maximum à cette 15e armée. Il est 22 h 30. A 23 h 15, toutes les défenses côtières de la 15e armée sont en place.

b) C’est la 15e Armée allemande qui défend les côtes de Normandie et de Bretagne. Son chef, Rommel, est en Allemagne depuis le 4 mai 1944. Les principaux chefs de ses grandes unités sont le 5 juin 1944 depuis 9 heures, à Rennes, pour participer à un Kriegspiel. Le Général Speidel, Chef d’E.M. de Rommel est au P.C. de cette 7e Armée à la Roche-Guyon (sur la Seine à l’ouest de Mantes). A 23 heures il reçoit une communication téléphonique de la 7e Armée signalant qu’à la suite des messages diffusés par la B.B.C., elle est en état d’alerte. A 23 h 15 Speidel téléphone à Rundstedt à Saint-Germain. Il demande ce qu’il doit faire. Réponse « Bornez-vous pour le moment à surveiller vos voies de communications et évitez les sabotages ».

c) A minuit, début des parachutages alliés : anglais près de Caen, américain dans le Cotentin, français dans le Morbihan. Les premiers sabotages F.F.I. sur les voies ferrées et les ponts sont signalés, notamment en Bretagne.

d) Devant l’ampleur des parachutages Rundstedt donne l’ordre d’alerter la 7° Armée. Il est 1 h 45 le 6 juin 1944. Les troupes rejoignent leurs positions de combat à partir de 2 heures. Les chefs des grandes unités alertées à Rennes, rejoignent leurs commandements avec précipitation. L’un d’eux, commandant la 91e Division allemande est tué par les parachutistes U.S. sur la route en direction d’Avranches. Le 9 juin 1944 Hitler donne l’ordre à Rommel de prescrire une enquête pour connaître les raisons qui ont retardé la mise en alerte des troupes allemandes. Grièvement blessé sur le front de Normandie, Rommel est remplacé à la tête de la 7e Armée par le Général Dollman qui se suicidera quelques jours plus tard. En juillet 1944 l’enquête sera abandonnée.




Temoignages et gratitudes des alliés en 1944

Le Général W. Bedell SMITH, Chef d’Etat-major du Général Eisenhower écrit à Monsieur le Directeur Général des Études et Recherches ( DGER ) le 1er novembre 1944.

« Je pense qu’il est opportun de vous transmettre les félicitations de notre Commandant pour les magnifiques résultats obtenus par ceux qui ont voué leurs efforts, et dans de nombreux cas, leur vie, afin de fournir continuellement aux Alliés, d’abondants renseignements militaires, au sujet des forces allemandes stationnées en France”.




Juin 1941 :Rencontre entre le colonel Groussard et Winston Churchill Extrait du livre de J Stead

Nos lecteurs trouveront ci-après le récit de l’émouvante entrevue du Premier Britannique WINSTON CHURCHILL et du colonel GROUSSARD à Londres le 14 juin 1941. Ce récit, fertile en informations et peu connu, éclaire d’un jour particulier les sentiments de notre Allié le Royaume Uni, à l’égard de la France à cette époque.

“Churchill m’attendait sur le pas de sa porte et me serra vigoureusement les mains ; sa cordialité me toucha ; il me mit ensuite le bras sur les épaules et me conduisit près d’un vaste bureau situé à l’autre bout de la pièce. ” Je pus constater la rigueur avec laquelle étaient suivies les consignes de la défense passive : aucune lueur ne pouvait certainement filtrer à l’extérieur. Churchill me désigna un fauteuil de cuir, plaça tout près de nous le Général et le Commandant et dans un discours, moitié anglais, moitié français, exprima sa joie de me rencontrer ! “.

Le Colonel Groussard parlait heureusement l’anglais couramment, ce qui lui permit de suivre facilement l’exposé de Churchill. Ce dernier se frotta les mains, et, s’approchant d’un plateau chargé de whisky et de soda, en remplit quatre verres et tous burent à la santé de la France.
L’entretien dura deux heures ; le Premier Ministre fut, pour ainsi dire, seul à parler. Groussard avait suffisamment fréquenté les hauts personnages pour savoir qu’ils aiment bien s’exprimer par monologue, afficher leurs connaissances et développer leurs idées.
Le Premier Ministre, vêtu avec soin d’une tenue kaki, arpentait la pièce en tirant d’énormes bouffées de son cigare ; il le posait, le mâchonnait ou le rallumait, tout en écoutant les réponses de Groussard, en admiration devant tant d’énergie. Churchill était sûr de la victoire. Il ne fit aucun mystère des difficultés présentes de la Grande-Bretagne.

Il décrivit d’une façon saisissante l’effort de l’Empire en guerre, et affirma, qu’avec l’aide des États-unis, la production de guerre de l’Angleterre surpasserait bientôt celle de l’Allemagne. Dans cet ordre d’idée, le pire était passé. La conversation roula ensuite sur la France. Groussard fut au comble de la stupéfaction : à entendre Churchill, on aurait cru qu’il venait d’arriver de Paris occupé, tellement il paraissait bien informé de ce qui s’y passait réellement.

Son objectivité était parfaite. C’était l’homme qui comprenait vraiment la situation tragique dans laquelle la France se débattait. Groussard lui exposa l’objet de son voyage. Churchill lui répondit : ” Dites bien à ceux qui vous ont envoyé que je comprends le tragique de votre situation… Je sais que la tâche de vos chefs est surhumaine, j’approuve leur désir de sauvegarder de leur mieux la France et les Français : mais je leur demande de ne pas oublier que leurs alliés sont toujours dans la lutte. Je leur demande d’avoir foi en l’avenir. Si j’étais à la tête de votre Gouvernement, je ne dirais pas aux Allemands que je les hais, car il faut toujours, à tout prix, éviter le pire, j’essayerais moi aussi de ne pas trop me compromettre et de gagner du temps, mais je ferais en sorte, et de toutes les manières possibles, de venir en aide à ceux qui sont toujours mes camarades de combat, mes compagnons d’armes. ” Dites encore à Vichy que je respecte profondément la personne du Maréchal Pétain. Jamais je n’ai pensé que cet homme pouvait souhaiter la victoire de l’Allemagne; néanmoins, je dois constater qu’il aurait pu, à maintes reprises, depuis l’armistice, nous être utile, et qu’il n’en a rien fait… “

Churchill souffla un nuage de fumée et but un verre de whisky. ” J’admets même que l’on m’attaque dans votre presse et qu’on y vilipende l’Angleterre, si cela doit vous aider à donner le change à l’ennemi. ” Je suis d’accord avec vous pour que vous remettiez cent cartouches aux Allemands, si cette opération vous permet de leur en soustraire un millier. La seule chose que je ne puisse admettre, c’est de voir la France oublier que la cause des alliés est aussi la sienne. ” Vous avez des membres du Gouvernement de Vichy qui sont des criminels avérés ; il faut agir à leur insu, ou les mettre hors d’état de nuire. Votre patrie n’est pas neutre. Que se passerait-il si, la guerre terminée, vos compatriotes se réclamaient d’une neutralité, qu’ils auraient revendiquée aujourd’hui ? Dites bien, quoi qu’il arrive, que mon désir sera toujours de restaurer la France dans son intégrité territoriale d’avant-guerre. Insistez sur ce fait, et demandez, simplement à ceux qui doutent, si l’Allemagne a l’impudence de vous faire la même promesse… “

Le Premier Ministre ajouta que l’Angleterre et la France devaient s’épauler de leur mieux. ” Il est aussi honteux que ridicule pour la France d’essayer de pratiquer le jeu de balancé entre ses alliés et ses ennemis, comme Vichy le fait. ” ” La France ne bénéficiera de la Victoire que dans la mesure où elle y aura contribué. ” Churchill se rendait bien compte de l’avantage qu’il y avait pour l’Angleterre, comme pour la France, d’avoir, dans ce pays, un gouvernement régulier, susceptible de tenir tête à l’occupant et capable de l’empêcher d’agir tout à fait à sa guise : “]e sais combien il est précieux pour nous de voir à la tête de votre Gouvernement un Pétain, plutôt qu’un Doriot ou un Laval. ” Le Maréchal peut à Vichy servir la France avec autant d’utilité que le Général de Gaulle le fait à Londres ; mais vous n’êtes pas sans savoir que, dans son Empire, la France dispose encore d’énormes ressources et que ces ressources doivent être utilisées à notre profit. ” Je ne serais pas ce soir ici avec vous s’il n’en était pas ainsi. “

Il y a, à Vichy, quantité de gens de bonne foi qui pensent que le salut de la France est de suivre une politique de stricte neutralité; ce sont des imbéciles; d’autres savent qu’ils doivent contribuer en France ou dans vos possessions d’outre-mer, à travailler pour la cause des alliés. A ceux-ci je dis : Nous n’aboutirons à rien si nous ne suivons pas une politique commune. C’est parce que je suis persuadé de cette possibilité d’accord entre nous que je suis si content de vous voir ici. Ce sera votre mission : forger cette entente, cette commune compréhension : je vous promets de vous donner tous les moyens susceptibles d’en faciliter au maximum d’accomplissement. Nous devons tous deux conserver un contact direct; j’espère que vous reviendrez bientôt à Londres, plus tôt vous le pourrez, mieux cela vaudra. Vous me remettrez alors personnellement les messages dont vous aurez été chargé. “

Churchill s’enquit ensuite auprès de Groussard des sentiments de certaines personnalités Vichyssoises. Ce dernier lui dépeignit les sentiments antibritanniques d’un grand nombre d’amiraux, que Darlan avait placés au Gouvernement. Churchill demande à Groussard ce qu’il pensait de ce dernier : ” Je le connais personnellement très peu ; je ne l’ai rencontré que deux ou trois fois au plus ; mon sentiment est qu’il est un parfait arriviste. Il est capable, par ambition, de suivre la politique allemande ; mais il agira certainement avec moins de conviction que Laval ; c’est donc un moindre mal, qu’il soit actuellement Vice-Président du Cabinet plutôt que Laval. “

Ils parlèrent ensuite de Pétain. Groussard insista tout particulièrement sur son grand âge et son hostilité envers l’Allemagne. ” Je ne vois pas ce que vient faire ici son grand âge, rétorqua Churchill, en haussant les épaules ; la vérité est tout autre ; il n’est pas capable d’assumer la tâche qu’il voudrait accomplir : c’est un soldat ; il a passé sa vie à donner des ordres en exécution de directives reçues ; maintenant, il est tout à coup appelé à résoudre des problèmes dont il ignore complètement les éléments. Il ne possède que les nombreuses connaissances classiques du soldat blanchi sous le harnois. “

La conversation se porta ensuite sur l’Afrique du Nord. Groussard dit à Churchill qu’il était à son avis nécessaire de ne pas attirer l’attention de l’ennemi sur les possessions françaises dans cette région. Il insista sur le fait, qu’en tenant compte de l’Armée de Franco au Maroc, il faudrait, si l’on voulait donner quelque chance à un soulèvement contre l’Axe dans ce secteur, que les alliés débarquent en Afrique du Nord un minimum de 10 divisions, dont trois blindées, appuyées par mille avions au moins. A ce moment, le Premier Britannique qui s’était assis un instant auparavant en face de Groussard se dressa, leva les bras au ciel et dit au petit Général : ” Vous avez entendu ? Ce sont exactement les mêmes chiffres que ceux donnés par Weygand en février dernier. Jusqu’à nouvel ordre, il nous est humainement impossible de fournir un tel effort. “

Le Colonel Groussard en conclut, in petto, que, dès février 1941, Weygand avait déjà été en contact direct avec les Anglais. Il expliqua alors que, dans ces conditions, les alliés feraient bien de ne se limiter qu’à des préparatifs clandestins, en vue d’une action extérieure en Afrique du Nord. Les deux interlocuteurs en vinrent ensuite à parler de la Syrie, occupée par les troupes anglaises, en dépit de la présence de l’Armée française. Groussard souligna les difficultés rencontrées par le Général Dentz, Haut-Commissaire de France dans ce pays. ” Je comprends tout cela, dit Churchill, mais il était facile à Dentz de sauver la face, sans verser tant de sang ! “

Ce fut ensuite au tour de de Gaulle. Groussard affirma que sa popularité, en France, croissait à mesure que l’occupation allemande devenait plus rigoureuse ; mais quelle tristesse de voir la France divisée : Groussard s’efforça de résumer la situation avec clarté. Un des objectifs les plus importants, à l’heure actuelle, est d’unifier la Résistance en France.

” Pour l’instant, de Gaulle est sans discussion possible la force d’attraction la plus grande de la Résistance. ” Les Français viendront de plus en plus nombreux prendre part à la lutte contre l’Allemagne; mais on peut compter aussi sur ceux qui, par antipathie personnelle, animosité envers ses partisans, méfiance ou toute autre raison, ne voudront pas se trouver sous la coupe de la France Libre. Ce n’est là actuellement qu’une minorité. Il est cependant possible que cette minorité atteigne un jour une telle importance qu’il deviendra nécessaire de l’utiliser pour hâter, dans une certaine mesure, l’issue de la guerre. “

Churchill répondit qu’il y pensait depuis longtemps. Il y avait une grande tâche à remplir, il fallait en France et dans les territoires d’Outre-Mer unifier les forces combattantes de la France ; mais, du point de vue des alliés, il était encore plus important d’utiliser sans distinction toute l’aide qui se présentait. Groussard conseilla à Churchill de s’emparer de la Martinique. ” L’idéal serait ” que le Maréchal Pétain se mette secrètement d’accord avec le Général de Gaulle, pour ne pas contraindre l’Amiral Robert à livrer bataille, ce qui entraînerait des ” pertes sanglantes. ” Churchill sembla hésiter. Groussard pensa qu’un arrangement entre Vichy et les Forces Françaises Libres le rendait sceptique. Par malheur de Gaulle n’était pas à Londres mais en Syrie. Groussard donna à Churchill l’assurance qu’à son retour à Vichy il s’efforcerait de conclure un accord secret entre certains membres du Gouvernement du Maréchal et les Français Libres. ” Essayez, dit Churchill, je suis certain qu’un accord précis entre Vichy et nous facilitera considérablement l’entente que nous désirons entre de Gaulle et Pétain. ” Il posa à Groussard quelques questions sur Huntziger et dit à plusieurs, reprises :” Huntziger est un gentleman “.

Groussard néanmoins insista sur le fait que même un succès total de sa mission n’entraînerait, en aucun cas, un revirement de la politique de Vichy à l’égard des Alliés ; il ne ferait seulement qu’établir une coopération effective entre les Alliés et certains membres du Gouvernement de Vichy. Groussard estimait bon de ne porter la conclusion de cet accord qu’à la connaissance d’un groupe très restreint de personnalités, telles que le Maréchal Pétain et quelques-uns de ses collaborateurs immédiats : Huntziger, Weygand, l’Amiral Leahy et peut-être Bergeret. ” De toute façon, je ne voudrais pas prendre le risque d’informer l’Amiral Darlan de mon voyage en Angleterre, j’aurais trop peur que la Gestapo vienne ” le lendemain me chercher… “

Churchill souhaitait vivement que le secret de ma mission soit strictement conservé ; m’ayant entendu mentionner le nom de l’Amiral Leahy, il me déclara que la participation des États-unis à la guerre était désormais une certitude : ” La guerre prendra un tournant décisif le jour où les États-unis jetteront dans la balance le poids écrasant de leur puissance. Je vous assure que vous n’aurez plus de longs mois à attendre pour que cet événement se réalise ; d’ailleurs, ajouta-t-il, avant l’entrée en guerre des États-unis, nous pourrions avoir une grande surprise. “

C’était là une allusion à l’attaque imminente d’Hitler contre la Russie. (Groussard était encore à Londres quand elle eut lieu.) Il se leva pour prendre congé ; Churchill l’accompagna jusqu’à la porte et lui exprima de nouveau son désir de voir la France revenir à son ancienne grandeur. Les larmes aux yeux, il lui serra les deux mains et lui souhaita bon voyage. Groussard venait ainsi d’accomplir la première partie de sa mission. Il sortir et disparut dans le ” black out ” de Londres.

Pendant son séjour à Londres, le Colonel Groussard prit plusieurs contacts importants. Il se rendit au Foreign Office et fut reçu par M Eden. Il lui exposa la nécessité qu’il y avait, d’après lui, à rassembler les Français dans une Résistance unique, sans idée politique. Là aussi, l’accueil fut bon et encourageant. Alors, par voie détournée, il envoya au Général Huntziger un message radio l’informant de la tournure favorable que prenait sa mission. Il rendit également visite à M. Winant, l’Ambassadeur des États-unis, très impatient, lui aussi, de savoir quand son pays déclarerait la guerre. La conversation fut courtoise et franche; Winant désirait vivement savoir quelles étaient, en France, les possibilités d’action du Général de Gaulle, et quels étaient les sentiments réels de Pétain, Huntziger et Darlan.

Le Colonel Groussard lui fit, sur la situation en France, le même exposé que celui qu’il allait faire à l’officier commandant les services secrets anglais, celui que l’on appelait le ” vieux Colonel ” : ” Une proportion relativement faible de la population française, d’ailleurs divisée, déteste de Gaulle et son activité : ce sont les ” collaborateurs “. La grande majorité sympathise de tout coeur avec de Gaulle, et écoute la radio de Londres quand elle peut. Une courageuse minorité enfin combat dans la clandestinité et témoigne ainsi que le seul chef reconnu par eux est l’Homme du 18 Juin. ” Entre ces extrêmes, vous avez la masse de ceux qui, faute de termes mieux appropriés, peut prendre le nom de ” Pétainistes “. Il ne faut pas se dissimuler qu’actuellement (il n’en sera pas toujours ainsi), ceux-ci, quoique en lente diminution, ont des racines profondes dans le pays. La déroute de nos armées a été pour nous, Français, un choc si violent, le nombre de nos prisonniers de guerre est tellement considérable, la propagande de Vichy par la presse et la radio est d’une telle insistance, enfin, le prestige du Maréchal Pétain est si grand, qu’il aurait difficilement pu en être autrement. Ce sont d’ailleurs pour la plupart des hommes simples. Il est impossible, à leurs yeux, que le vainqueur de Verdun puisse se tromper, ou qu’il puisse jouer le jeu des Allemands. La position de Pétain est autrement plus forte que celle de de Gaulle : Il représente, en premier lieu, le Gouvernement légal. D’autre part, son autorité et sa personnalité lui confèrent une profonde influence tant auprès des vétérans de 1914-18 qu’au sein du peuple entier. “

Groussard conclut son exposé en affirmant qu’il était cependant possible de s’appuyer sur certains membres du Gouvernement de Vichy dans le but de poursuivre la lutte engagée contre l’ennemi. Sur ces entrefaites, Groussard apprit par une communication de Vichy que le Maréchal avait été informé de sa mission et qu’il lui donnait son approbation. Ce qu’il fallait maintenant réaliser, c’était un accord secret entre les membres du Gouvernement de Vichy et les Alliés, d’une part, et entre Vichy et de Gaulle, d’autre part.

Pendant son séjour à Londres, Groussard, resté en contact avec ses réseaux du continent, avait reçu divers renseignements intéressant la Marine. Les Services de Renseignement Britanniques, auxquels il les transmit, lui en furent très reconnaissants.

Il reçut également une invitation à dîner de celui qu’il avait appelé le ” vieux Colonel “. Comme bien des services secrets, le Service de Renseignement Anglais avait une organisation double.

” Le vieux Colonel était chargé de tout ce qui était ultra secret. Il avait à prendre les décisions les plus importantes ; il était, assurément, l’homme au ” monde le plus redouté ” ; c’est lui que les combattants des armées secrètes craignaient, en tout cas, le plus. ” Ils dînèrent dans un club de Londres avec l’officier supérieur chargé de mission auprès de Groussard. Le ” vieux Colonel ” était âgé d’environ 6o ans, il était chauve, de taille moyenne, bâti en force ; ses mouvements étaient mesurés, son visage exprimait le calme. Il parlait parfaitement le français. Ses connaissances sur la France impressionnèrent Groussard : ” J’avais l’impression qu’il en savait sur mon pays plus que moi. “

Le ” vieux Colonel ” dit à Groussard que ses projets lui semblaient réalisables : jamais la conclusion d’un accord entre les éléments sains du Gouvernement de Vichy et les Anglais ne s’était présentée sous un jour aussi favorable. ” En réfléchissant bien, je pense que ceux qui pourraient se succéder au Gouvernement ne feront pas mieux. Huntziger s’en ira, Weygand aura de plus en plus les mains liées et quant à Pétain, plus le temps passera, plus il risquera de faiblir, de se décourager, de se laisser abuser par les manoeuvres des Allemands ” et de leurs valets. “

Le regard du ” vieux Colonel ” s’assombrit, il laissa paraître une nuance de regret :” Quel malheur, dit-il, que vous n’ayez pu venir à Londres aussitôt après ” votre entente avec Huntziger ! je ne dis pas que c’est maintenant trop tard, mais l’atmosphère de Vichy est devenue si lourde, l’attitude de Darlan si équivoque, qu’il nous faudra non seulement être prudent ou utiliser la ruse, mais aussi avoir beaucoup de chance. “

Après quelques instants de silence, le ” vieux Colonel ” reprit :” Vous avez 50%de chances de réussir, ce n’est pas si mal. “

Le Colonel Groussard éprouvait un grand respect pour les Services Secrets Anglais. Il estimait que les Anglais étaient, sous ce rapport, les maîtres de la deuxième guerre, comme ils l’avaient déjà été lors de la première guerre. Il fit donc grand cas du jugement porté par le ” vieux Colonel ” sur la situation.

Pendant les jours qui précédèrent son départ, Groussard fut très occupé. Il assista à des manoeuvres de Corps d’Armée, exécutées par le Général Montgomery, sous la direction du Général Alexander. Il fut très favorablement impressionné par les progrès réalisés par l’Armée anglaise depuis la période de mars à juin 1940, époque à laquelle il l’avait, pour la dernière fois, vue combattre sur le front. Il assista également d’un poste de contrôle ” quelque part en Angleterre ” à la direction des opérations aériennes, au-dessus d’Abbeville.

Il ne s’agissait plus maintenant que d’organiser une liaison avec le Général de Gaulle. Cette deuxième partie de sa mission était d’autant plus difficile à réaliser que de Gaulle était en Syrie. Churchill et Eden avaient formellement interdit à Groussard toute prise de contact avec le Directeur politique du Général de Gaulle : M. Dejean. Groussard, néanmoins, crut bon de passer outre : il eut un entretien avec Dejean. Ce fut une grande déception, car ce dernier n’avait alors sur la Résistance que des vues étroites et partisanes.
Le contact le plus fructueux avec la France Libre fut celui qu’il eut avec son ancien subordonné à Saint-Cyr, le Commandant Passy, alors chef du 2ème Bureau du Général de Gaulle. Groussard joua cartes sur table ; il lui révéla quelle était son activité en France, les cellules qu’il avait organisées, depuis la dissolution de la police auxiliaire qu’il commandait. Il lui parla de ses cinq réseaux de renseignement, de son groupe de représailles. Il proposa de les mettre à la disposition du Général de Gaulle. L’essentiel était d’obtenir des résultats ; pour cela, il fallait de l’argent. Il préférait évidemment que le financement soit effectué par la France Libre. Dans le cas contraire, il l’obtiendrait des Anglais.

Ils conclurent un accord provisoire sur la somme de deux millions de francs, que l’agent gaulliste Fourcaud lui remettrait à son retour en France. Cet argent suffisait pour assurer pendant deux mois, la marche des cinq réseaux de renseignements.

Groussard devait faire au mieux avec les cellules qu’il venait de mettre sur pied, et réexaminer la question avec Passy, à son prochain voyage à Londres. D’un commun accord, ils décidèrent que Groussard s’efforcerait, sous sa propre responsabilité, d’unifier la Résistance intérieure française, et d’en référer au plus tôt à de Gaulle et de se soumettre à ses décisions, en cas de réussite.

La mission Groussard était maintenant accomplie. Il avait obtenu, auprès des Français Libres, la compréhension qu’il avait recherchée ; il avait établi des relations avec Churchill, Eden et Winant.

L’Intelligence Service aurait désormais avec certains ministres de Vichy des relations officielles tout en demeurant secrètes. Groussard avait les noms et adresses des gens par lesquels il pouvait sans délai communiquer avec l’Angleterre. Le 1er juillet, enfin, il prit de nouveau l’avion pour Lisbonne.

Au Portugal, ” Georges Gilbert ” redevint ” Georges Guérin “, et s’envola pour Madrid, il gagna Pau par le train et se rendit à Toulouse, puis à Marseille, pour y rencontrer Fourcaud et ses chefs de réseaux ; il se dirigea ensuite vers Vichy. Il s’installa aux environs de Ferrières-sur-Sichon, chez Louis Guillaume, directeur d’une agence de détectives privée bien connue. Il fit savoir au Général Huntziger qu’il était de retour et, le lendemain, il était reçu par le Ministre de la Guerre.

Il découvrit que Huntziger craignait par-dessus tout d’être compromis par une indiscrétion :” J’ai toujours la confiance du Maréchal, mais j’ai, en la personne de Darlan, un ennemi acharné. Je suis continuellement surveillé, et je ne sais ce qui se passerait si l’Amiral avait des preuves lui permettant de m’attaquer ouvertement. Dans les circonstances présentes, je ne pourrais me défendre avec succès. ” . Il fut satisfait du résultat des entretiens avec Churchill, mais manifesta une certaine appréhension lorsqu’il eut connaissance des contacts pris par Groussard avec Dejean et Passy.

Pourtant, en tant que Français, Groussard ne pouvait pas agir autrement. Huntziger devait aller voir le Maréchal et obtenir son approbation pour une nouvelle mission à Londres.

Le lendemain, Groussard reçut un message d’Huntziger lui demandant un rapport écrit. La note était rassurante :” J’ai vu le Maréchal, hier soir, tout va bien. ” Le rapport du Colonel Groussard ne tarda pas à être remis au Maréchal. Groussard reprit ses relations avec les Colonels Baril et Ronin, il revit le Docteur Ménétrel et plusieurs autres personnalités favorables.

Pendant ce temps on établissait le programme de sa mission. Ménétrel lui procura un nouveau passeport revêtu du visa espagnol . Le Docteur dit à Groussard que le Maréchal était satisfait de la perspective de négociations avec les Alliés, mais qu’il lui interdisait tout rapport avec les Français Libres. Ménétrel crut bon d’ajouter que l’Amiral Darlan et Pucheu, son ministre de l’Intérieur, représentaient un véritable danger ; il promit, au cas où quelque chose irait mal, de l’en aviser à Ferrières et s’engagea, en cas de nécessité, à le conduire personnellement en voiture de l’autre côté de la frontière espagnole.

A sa sortie de l’Hôtel du Parc, Groussard s’aperçut qu’il était suivi ; cela ne l’inquiéta pas outre mesure, Louis Guillaume lui ayant en effet prêté une voiture rapide.

Il consacra les jours suivants à préparer sa mission, à s’entretenir avec Huntziger, à évaluer la puissance de ses adversaires : Darlan et Pucheu à Vichy, Laval, Brinon, Luchaire, Deloncle, Doriot, Bucart, Chateaubriant à Paris.” Ne nous faisons aucune illusion, dit Huntziger, tôt ou tard, et sans doute hélas, plut tôt que tard, les Allemands apprendront que nous sommes en train de négocier. Dans la conjoncture actuelle, il est de la première importance d’être en mesure de travailler le plus longtemps possible. ” Il serra la main de Groussard. Ils ne devaient plus se revoir. La nuit suivante, Groussard était chez Guillaume à Ferrières en train de déchiffrer des messages de Londres quand la police fit irruption dans la pièce où il se trouvait, et le mit en état d’arrestation. Darlan et Pucheu avaient eu vent de l’affaire et avaient agi trop rapidement pour que Ménétrel pût intervenir. Groussard fut conduit à Vichy sous escorte. Huntziger fit son possible, mais ne put obtenir de Darlan qu’il lâche sa proie. Le Maréchal ne leva pas le petit doigt pour venir à son secours. Le Colonel Groussard eut encore de nombreuses aventures tout au long de la guerre secrète contre les puissances de l’Axe.

Les Services de Renseignements Britanniques ont eu de multiples raisons d’être reconnaissants à Groussard pour les rapports de ses milliers d’agents, transmis de Suisse où il avait installé son Poste de Commandement. Le Colonel Groussard ne porte aujourd’hui aucune condamnation contre Pétain, pour ne pas l’avoir couvert lors de son arrestation : ” C’était le jeu , dit-il à l’auteur de ce livre ;” les agents secrets doivent toujours s’attendre à être désavoués. ” Il n’éprouve pas plus de rancune à l’égard de Laval, qui le fit également arrêter (Groussard fut arrêté deux fois) ; il est en effet persuadé que Laval avait agi de bonne foi, et qu’il considérait la victoire allemande comme certaine, grâce à l’emploi de nouvelles armes secrètes. A l’occasion, il marque même son estime à l’égard des officiers allemands de l’Armée active.

L’histoire du Colonel Groussard symbolise d’une manière parfaite le courageux esprit d’initiative, la farouche résolution de résistance qui régnaient alors dans l’esprit des officiers de l’Armée française. Elle brosse un tableau saisissant de la vie et du monde de Vichy sous l’occupation. C’est en plus l’histoire d’un vrai gentilhomme de France…




FORTITUDE (force d’âme): L’intoxication au service d’Overlord

A Londres, le 16 juin 1944, j’étais allé prendre congé du Général Bedell-Smith, chef de l’État-Major du Général Eisenhower, et du Colonel Scheen, chef de son 2e bureau. Depuis le 10 mai 1944, je participais avec eux à l’organisation des Services de Sécurité dans les grandes unités alliées et sur les territoires français qu’elles devaient libérer à partir de juin 1944.

En dépit de la résistance allemande en Normandie, des raids des bombes volantes V1 et de l’offensive annoncée des fusées V2 sur l’Angleterre, leur optimisme était intact. …” La Déception marche fort “… m’avait confié Scheen faisant allusion au plan d’intoxication mis en oeuvre par les alliés depuis février 1944 pour tromper l’ennemi sur leurs intentions.

Grâce à un stupéfiant effort scientifique qui annonçait l’ère de l’ordinateur, nos amis captaient et décryptaient les messages radio les plus secrets en un temps record. Scheen me faisait lire deux fiches. L’une était la transcription du déchiffrement d’un message du Général Oshima, ambassadeur du Japon à Berlin, informant son gouvernement de son entretien du 1er juin 1944 avec Hitler. Le Führer estimait terminés les préparatifs alliés pour un débarquement imminent en Normandie ou en Bretagne, prélude à une opération d’envergure sur le Pas-de-Calais. L’autre fiche concernait un message du 14 juin d’Oshima à Tokyo… Le ” Haut Commandement allemand estime qu’il serait dangereux de s’engager à fond en Normandie alors que l’armée Patton est toujours en Angleterre “. L’Ambassadeur ” rassurait ” ainsi son gouvernement, inquiet de l’absence d’une contre-offensive suffisamment puissante pour rejeter les troupes débarquées à la mer. Leur tête de pont avait une profondeur moyenne de 12 kilomètres sur une longueur de 80 km entre Caen (solidement tenu par la Wehrmacht) à l’est et Montebourg à l’ouest, dans le Cotentin. Au nord de la Seine, la XVe Armée allemande demeurait l’arme au pied, face au Pas-de-Calais et les importantes réserves – notamment de blindés – à la disposition exclusive du Führer, attendaient des ordres. Tels étaient le 16 juin 1944 lorsque je quittais Londres pour Alger, les effets de ” Fortitude “, le plan de ” Déception ” dont Scheen se réjouissait des effets.

Fortitude et Bodyguard

Historiens, romanciers, journalistes se sont maintes fois emparés de ” Fortitude ” pour montrer, chacun à sa façon, ce que fut l’intoxication de l’adversaire dans la réussite du débarquement allié de juin 1944. Rarement a été montré le rôle – modeste certes – de la participation française dans cette gigantesque ruse de guerre. Rarement en ont été évoqués les origines de sa conception et les précédents qui ont justifié sa mise en application.

Je remercie la Saint-Cyrienne de me permettre de préciser ici quelques souvenirs. C’est le 23 janvier 1944 que les chefs d’État alliés (Roosevelt, Churchill, Staline) signèrent le plan d’intoxication Bodyguard à mettre en oeuvre dans le cadre de la guerre contre l’Allemagne et le Japon. Son but était ” d’amener l’ennemi à adopter des dispositions stratégiques inadaptées face aux opérations militaires alliées décidées à Eureka “. Plus loin, le texte allié précisait : … ” Nous devons persuader l’ennemi de disposer ses forces de manière qu’elles ne puissent intervenir que le moins possible contre les opérations Overlord et Anvil … ” Les études relatives à la préparation d’Overlord et Anvil étaient en chantier depuis longtemps et le projet d’offensive sur le Pas-de-Calais, abandonné. Les côtes, souvent abruptes, étaient défendues par des fortifications denses, importantes et par la XVe Armée allemande, de qualité et sur le qui-vive. Les larges plages de Normandie avaient déterminé la préférence alliée que Téhéran confirmait en créant en Angleterre un commandement suprême (SHAEF) confié au Général Eisenhower avec mission de mener à terme les opérations Overlord et Anvil. Cet ensemble de décisions découlait des enseignements des opérations d’intoxication en Méditerranée menées par la Force A avec succès.

La Force A

Le 28 mars 1941, l’IS (MI6) avait chargé l’un de ses spécialistes de l’intoxication, le Colonel Dudley-Clark, de mettre ses compétences à la disposition du Général Wavell, Commandant en Chef au Moyen-Orient. Ainsi naquit la Force A qui se rendit compte, très vite, que ses succès ne pouvaient qu’être liés à l’efficacité d’agents qu’elle réussirait à introduire dans les Services Spéciaux ennemis pour les tromper.

Recrutement délicat, difficile, qui exigea de longs mois d’efforts pour de maigres résultats. Tout allait changer à partir du débarquement allié en AFN (novembre 1942) et de l’appoint décisif des Services Spéciaux Français. Évadé de France, j’arrivais à Alger le 3 janvier 1943 après avoir rencontré à Londres mes camarades de l’IS et m’être entendu avec leur chef, le Général Menzies, sur les modalités de notre travail commun, notamment dans le domaine de l’intoxication. Le 8 janvier 1943 mon homologue au sein de l’IS, le Colonel Cawguill, vient à ma rencontre. Le 10 janvier 1943 il provoque, sous la présidence du Général Clark, délégué du commandant en chef, une réunion avec le Colonel Dudley-Clark, les Colonels américains Eddy et Stephens de l’OSS et moi pour définir une charte de l’intoxication. Elle associe les différents Services Spéciaux alliés, fixe leurs attributions, leurs moyens et place la Force A sous l’autorité directe du Commandant en Chef qui en définit les objectifs en Méditerranée. Pour notre part nous apportons des cadres expérimentés, un réseau d’agents sûrs, rompus au travail subtil et dangereux de pénétration dans les Services Spéciaux ennemis. Cawguill en est conscient depuis le stage qu’il a effectué à Paris auprès de moi en octobre 1938. Il ne sera pas déçu. L’appoint de la Force A dans les opérations difficiles de libération de la Tunisie puis de la Sardaigne et de l’Italie, sera d’une telle efficacité qu’il servira de test à Téhéran… Il provoquera la promotion de Dudley-Clark au grade de général.

A mon télégramme de félicitations, Dudley-Clark avait la courtoisie de répondre le 15 décembre 1943 : … ” Je me rends parfaitement compte que cet heureux résultat est dû au grand enthousiasme et à la grande habileté professionnelle de vos Services. Il eût été impossible de mener à bien notre mission sans l’aide si experte que vous nous avez généreusement accordée “… Toute autre allait être notre collaboration dans la mise en oeuvre de Fortitude.

Mise en oeuvre de Fortitude

Responsable des opérations Overlord et Anvil, Eisenhower décidait en janvier 1944 de laisser à la Force A le soin de poursuivre son oeuvre d’intoxication dans le cadre méditerranéen, notamment en faveur du projet de débarquement en Provence (plan Anvil). Dans le même temps, il lançait l’opération Fortitude et créait à cet effet, au sein du SHAEF une section spécialisée ” OPS ” confiée au Colonel Wild de la Force A. Le 23 février 1944 le Commandant en Chef fixait les objectifs de Fortitude :

1- Persuader l’ennemi que l’offensive alliée principale se situera dans le Pas-de-Calais.

2- Laisser l’ennemi dans l’ignorance de la date du débarquement en Normandie .

3- Maintenir pendant un minimum de deux semaines, à partir du Jour J, le maximum des forces ennemies au nord de la Seine et au sud de la Loire (sous la menace Anvil).

4- Couvrir d’un secret absolu les opérations Overlord et Fortitude. Cette dernière directive implique la satisfaction de l’objectif (n° 2).

A partir du 1er avril 1944, elle mettra l’Angleterre à l’abri d’un véritable rideau de fer. Elle aura des conséquences dont j’ai pu admirer à Londres en mai 1944 la rigueur, l’ampleur et l’efficacité, mais observer aussi le caractère parfois humiliant pour les diplomates étrangers, les alliés soviétiques et français, privés de toutes communications avec le monde extérieur.

L’objectif n°1 était, de loin, le plus important. Il demandait qu’en trois mois Fortitude persuade le Commandement allemand de s’attendre à l’ouverture d’un second front, le principal. Il fallait administrer la preuve que les alliés disposaient en Angleterre des forces et des moyens suffisants pour entreprendre deux opérations simultanément. Sans que l’intoxication alliée ait eu à intervenir, l’Abwehr avait largement surévalué depuis 1943 les effectifs stationnés en Grande-Bretagne.

Le 6 juin 1944, il les estimait à 70 divisions alors qu’il n’en existait que 44. Jouant sur cette erreur dont il avait connaissance par les décryptements, Fortitude conçut en avril 1944 un plan destiné à accréditer la menace sur le Pas-de-Calais. Prenant acte des effectifs et des matériels concentrés sur les côtes sud et sud-est de l’Angleterre (environ 30 divisions), ce plan utilisait et complétait fictivement les divisions disponibles pour constituer un faux groupe d’armées d’environ 30 divisions aux ordres du Général US Patton.

Il était ostensiblement réparti sur les côtes est de l’Angleterre et autour de l’estuaire de la Tamise. Faute de réserves suffisantes pour assurer matériellement la crédibilité de ce leurre, Fortitude constituera en deux mois des concentrations de faux dépôts de matériels, de blindés, de faux terrains d’aviation, de faux engins de débarquement, etc… le tout repérable par l’aviation d’observation de la Wehrmacht, mais parfaitement interdit à la curiosité publique.

Pour compléter l’illusion, un réseau de communications radio fut mis en service à partir du 24 avril 1944. Les messages chiffrés classiquement ou en clair, répondaient aux exigences et aux besoins d’un groupe d’armées réel. On ne pouvait guère faire mieux pour matérialiser la menace sur la XVe Armée allemande au nord de la Seine. Restait à conforter les renseignements recueillis par la Luftwaffe, les écoutes allemandes et d’éventuels informateurs de l’ennemi.

Ce fut l’oeuvre d’un ensemble de mesures tactiques et techniques, méthodiquement orchestrées: bombardements aériens accentués entre la Belgique et la Seine, interventions de la Royal Navy sur les côtes et les ports, etc… Ce fut encore l’oeuvre confiée, à leur insu, aux organisations de résistance et de renseignement. Par leurs recherches et leurs sabotages, elles ont accrédité la menace sur le Pas-de-Calais sans pour autant négliger la Bretagne et la Normandie.

Restaient les possibilités d’intoxication par messages radio (tout autre moyen de sortie était interdit) des agents britanniques infiltrés dans les Services Spéciaux allemands. Ce qui était possible en Méditerranée, c’est-à-dire permettre à de soi-disant agents de l’ennemi de se déplacer, d’observer le dispositif allié et d’en informer par radio leurs employeurs, ne l’était plus en Grande-Bretagne où la destruction des tentatives d’infiltration de l’Abwehr avait été systématique et où le trafic radio était strictement contrôlé… ce que l’Abwehr savait.

En dépit de ces obstacles majeurs, l’IS (MI5) prétend avoir pu faire parvenir à l’adversaire des renseignements ” recueillis ” entre mars et juin 1944 sur les rares espions infiltrés par l’Abwehr et ” retournés ” par nos amis. S’il a réellement existé, ce moyen d’intoxication n’a pu être qu’occasionnel… et bénéficier d’un certain aveuglement de l’Abwehr, mal en point il est vrai en ce début de 1944.

Deux semaines après le jour J, Fortitude avait rempli la mission fixée par Eisenhower. Les messages décryptés de la Wehrmacht montraient encore, après le 20 juin 1944, l’incertitude du Commandement allemand et Oshima avisait Tokyo le 27 juin 1944 du ” prochain débarquement de Patton “…




1940-1945 : L’origine de L’OSS et son rôle dans le debarquement en France

Voici un ouvrage enfin réédité qu’il importe de LIRE, RELIRE, POSSEDER et D’OFFRIR : OSS, la guerre secrète en France de Fabrizio Calvi

Commentaire du Colonel Paul Paillole :

Voici un sujet qu’on pouvait croire épuisé par les spécialistes. Réseaux de la France Libre, Intelligence Service, Services Spéciaux Soviétiques, ont livré leurs secrets au cours de la dernière décennie. Cette fois, des rapports confidentiels d’une valeur historique inestimable, extraits d’un fonds de près de 100 m3 de documents archivés au Pentagone ou déposés aux Archives Nationales Américaines, ont été mis à la disposition de Fabrizio Calvi, enquêteur pour T.F.1 et Antenne 2, journaliste, historien, spécialiste des « Annales de l’Espionnage » (Hachette).

On découvre ici le rôle essentiel joué par l’O.S.S., l’ancêtre de la C.I.A., dans la préparation du débarquement d’Afrique du Nord, de Normandie, de Provence ou dans la conduite des opérations ultérieures au coeur de l’Allemagne. On apprend comment les Américains, dont l’inexpérience en matière de Services Secrets était totale, comblèrent leur retard avec une rapidité remarquable en s’appuyant tout particulièrement sur les Services Spéciaux (S.R. et C.E.) de l’Armée Française.

En effet, ces derniers, ignorant l’armistice, poursuivaient le combat — de zone libre d’abord, puis d’Alger en 1942 — avec le S.R.O. de la Première Armée Française en 1944, et, plus singulièrement, sans discontinuer dès juin 1940, à partir de Berne en Suisse, d’où opéraient le Colonel Pourchot, Attaché Militaire Adjoint, et son principal chef de Réseau, le Capitaine Meyer .

Qui mieux que les Américains pouvaient effectivement exploiter la « production », la « fourniture » du Service de Renseignement et de Contre-espionnage Français?

Pour Gilles Perrault, auteur de L’Orchestre Rouge, non suspect de complaisance à l’égard des Américains, « c’est un pan d’Histoire ignoré que l’auteur nous révèle. Pour tous ceux que passionnent les enjeux de la Seconde Guerre Mondiale, ce livre est indispensable. »

Cinquante ans après la fin du dernier conflit mondial, la nature des rapports entre les Services Secrets Américains et les composantes civiles et militaires de la Résistance restaient un des non-dits de l’Histoire de la Libération de la France. Lacune à présent comblée




Imperial War museum et Services speciaux

Récemment ouvert à la guerre secrète, ce grand musée situé Lambeth Road est exemplaire par la richesse de ses expositions et aussi par les réalisations qui facilitent sa visite… Les sièges ne manquent pas, une cafétéria est accueillante et ouvre sur de vastes jardins.

Une bibliothèque rassemble quantité d’ouvrages sur les grands conflits mondiaux et notamment sur la guerre secrète. L’œuvre la plus importante, la plus récente et sans nul doute la mieux documentée sur l’action des services spéciaux britanniques est celle du professeur F.-H. Hinsley “ British intelligence in the second world war “.

Le rez-de-chaussée présente les matériels de guerre, notamment ceux de la 2e guerre mondiale, britanniques, américains et allemands. Le nombre est impressionnant.

Au premier étage sont les expositions sur les deux dernières guerres mondiales.

Des vidéos très didactiques expliquent les développements des conflits, années par années..

a)- Seconde Guerre Mondiale. C’est l’exposition la plus riche. Elle comprend une exposition générale divisée par thèmes (bataille d’Angleterre – Blitz – guerre sur mer, dans le Pacifique, camps de déportation, etc…) et des expositions spécifiques telles que la vie à Londres, la défaite du Japon, les débarquements de Normandie, la célébration de la Victoire, etc… la guerre secrète.

b)- La Guerre Secrète occupe une grande partie du premier étage, son exposition est divisée en trois :

M.I.5, M.I.6 et S.O.E., les trois spécialités de l’I.S.

Chacun de ces 3 services secrets est détaillé : genèse, objectifs, fonctionnement, matériels, personnels… avec le curriculum vitae simplifié de leurs chefs successifs et des personnalités qui ont marqué leurs activités diverses.

Ainsi à titre d’exemple: M.I.6 (renseignements et CE extérieurs):

Directeurs : Menzies de 1939 à 1952 – Dick – White de 1953, etc… enfin Mac Coll de 1989 à 1992.

Personnalités : Dansey, directeur adjoint de M.I.6 de 1939 à 1945 – Denniston, chef du G.S.C.S. (Government Code and Cypher School) organisme du chiffre, transféré en 1939 à Bletchley Park où furent exploités notamment les secrets de la machine à chiffrer allemande Enigma par le savant Turing, cryptoanalyste exceptionnel et Winterbottham chargé de l’exploitation des renseignements.

A noter :

La machine Enigma est exposée et son fonctionnement expliqué. Le visiteur peut s’amuser à l’utiliser en tapant son nom. Les services français et polonais qui ont les premiers percé les secrets d’Enigma sont cités.

Opérations: Affaire Ciceron – Réseau “La Dame Blanche” en Belgique pendant la 1ère Guerre Mondiale – Affaire de Venlo en 1939 (enlèvement par le S.D. des agents M.I.6 Stephens, Beit, Klop) réseau Alliance en France (de 1941 à 1944) etc…

Traîtres: Philby – Burgess – Cairincross qui travaillait au G.S.C.S. de Bentley découvert en 1964 par M.I.5 (chargé du contre-espionnage à l’intérieur).

Autre exemple très développé, S.O.E., sa création en 1940 par Churchill, ses missions, ses moyens, son personnel d’encadrement : Dalton, Nelson et Selborne de 1942 à 1945, Buckmaster pour la France.

Parmi les agents S.O.E. cités : Dericourt (Opération Prosper), Khan (princesse Noor), Cammaerts, Odette Sanson déportée à Ravensbrück (travaillait avec Peter Churchill).

Des consoles d’ordinateurs, faciles d’utilisation, permettent d’obtenir sur tout ce qui est exposé (y compris sur les personnes) des informations détaillées, telles que curriculum vitae ou déroulement des principales missions secrètes.

Des petits films parlants relatent certaines actions ou diffusent des témoignages (on peut entendre Odette Sanson, une reconstitution du Blitz, les explosions des V1 et V2. Pendant quelques minutes, on peut se croire à Londres fin 1940 ou en 1944; les témoignages de soldats qui ont libéré les premiers camps de concentration en Allemagne, etc…).

Un film émouvant retrace la célébration de la victoire à Londres. On voit Churchill à Buckingham aux côtés de la famille royale, saluant la foule. On entend les cris, les applaudissements, les musiques.

L’exposition se termine par l’éternelle question: doit-on parler de la guerre secrète, de ses acteurs, de ses organisations, de ses actions, de ses résultats.

La réponse est positive.

Il faut que le public sache le rôle des services secrets, en comprenne la nécessité et l’importance et accepte de leur confier les moyens indispensables à leur efficacité.

La célèbre phrase de Churchill est citée en exergue, à la gloire des aviateurs et des services secrets britanniques : “Jamais dans l’histoire des conflits mondiaux autant d’êtres humains auront dû leur salut à si peu d’hommes “.

Remarques et conclusions:

– L’auteur de ce compte-rendu de visite a été frappé par le grand nombre de visiteurs des salles réservées à la guerre secrète. Beaucoup de jeunes de toutes conditions: certains étaient venus plusieurs fois pour approfondir diverses expositions, telles celles d’Enigma, ou de la formation des agents M.I.6 ou S.O.E.

– Exclusivement consacrée aux services secrets britanniques, il est à remarquer que l’exposition ne donne aucune indication sur les services secrets étrangers (alliés, ou ennemis, ou neutres), ni sur les organisations amies installées en Grande Bretagne pendant la 2e guerre mondiale.

– Rien sur le 2e Bureau et le B.C.R.A. du Général de Gaulle.




1942 : L’opération FRANKTON

Au début du 2e trimestre de l’année 1942, Lord Selborne, Ministre de la Guerre
Économique, attira l’attention de Winston Churchill sur l’accroissement préoccupant
du trafic des navires allemands forceurs de blocus qui, malgré les pertes qui leur
étaient infligées par la Royal Navy et la RAF, déchargeaient à Bordeaux leurs cargaisons
de latex, de métaux rares et de produits tropicaux en provenance d’Extrême-
Orient, d’importance essentielle pour l’industrie de guerre du Reich et embarquaient
des machines-outils et des pièces destinées à l’industrie aéronautique livrées aux
usines d’armement japonaises.

Le Premier Ministre chargea Lord Louis Mountbatten, Commandant en Chef des
Opérations Combinées de préparer un plan d’intervention. Une opération amphibie
de grande envergure ayant été écartée d’emblée et Anthony Eden, Ministre des
Affaires Étrangères s’étant opposé au bombardement du Port par les avions de la
RAF, trop de vies humaines étant en jeu, la décision fut prise de recourir à une
attaque par des commandos contre les forceurs de blocus à quai au sein même du Port
Autonome de Bordeaux.

Cette mission allait être confiée à une unité spéciale du Corps des Royal Marines
le “ Royal Marines Boom Patrol Detachment ” constituée à l’initiative du Major
Herbert G. Hasler, surnommé “ Blondie ”, qui allait être désigné par Lord
Mountbatten comme commandant du commando. L’opération avait reçu le nom de
code (sans signification) de “ Frankton ”.

Sous couvert d’un entraînement de routine à la protection des installations portuaires,
le RMBPD composé de deux sections allait préparer dans le plus grand secret
une opération extrêmement risquée. A l’exception d’Hasler, aucun des membres du
commando ne sut la destination ni le but de la mission avant d’être embarqué à bord
du sous-marin.

Sélectionnés au sein de la 1re section, six équipages de deux hommes à bord de
six kayaks de mer (Cockle Mark II) mis au point par le Major Hasler et l’ingénieur
Goatley seraient mis à l’eau à proximité de l’embouchure de la Gironde. Ils remonteraient
le fleuve à la pagaie, se cachant de jour et naviguant au compas de nuit.

Après avoir identifié leurs cibles le long des quais, ils poseraient des mines “ limpets
” (arapèdes) à adhérence magnétique sous la ligne de flottaison des forceurs de
blocus allemands dont les services de renseignements anglais savaient à quelle date
ils seraient amarrés à quai à Bassens et à Bordeaux, sans qu’aucun membre de la
Résistance eut jamais su à quoi serviraient ou à qui étaient destinées les informations
recueillies et transmises aux services secrets à Londres.

Aucun recueil n’étant possible après l’attaque, ils redescendraient la Gironde en
kayak jusqu’à la hauteur de la ville de Blaye, saborderaient leurs bateaux et tenteraient
de rejoindre à pied la ville de Ruffec, distante de 160 km, d’où une filière
d’évasion britannique dépendant du M19 pourrait prendre en charge leur évasion
vers l’Espagne, avec le concours de Résistants français.

Personne n’avait été informé de leur mission ni à Bordeaux, ni à Ruffec.
Dans la soirée du 7 décembre 1942, le sous-marin britannique HMS, TUNA, sous
les ordres du Lieutenant Raikes, alors âgé de 28 ans, mit cinq kayaks à l’eau au large
de Montalivet. Dans l’ordre de mise à la mer :

  • Catfish (Poisson-chat) : Major Hasler (Chef du Commando), Marine William E.Sparks.
  • Cuttlefish (Seiche) : Lieutenant John MacKinnon (Commandant en second), Marine James Conway.
  • Crayfish (Écrevisse) : Corporal A. S. Laver, Marine W.N. Mills.
  • Chachalot (Cachalot) : Marine Ellery, Marine Fisher.
  • Coalfish (Morue noire) : Sergent Samuel Wallace, Marine Robert Ewart.
  • Conger (Congre) : Corporal George Sheard, Marine David Moffatt.

Le flanc déchiré au passage du panneau d’accès à la chambre des torpilles avant
du TUNA, où il avait été stocké durant la traversée, le Cachalot dut être rembarqué
avec son équipage. Peu après 20 heures, les cinq kayaks s’éloignèrent en formation,
sous le commandement du Major Hasler en direction de la Pointe de Grave.
Vers minuit, au franchissement du ressac très dangereux même par temps calme
sur les hauts-fonds au large du phare Saint-Nicolas, le kayak “ Coalfish ” chavira et
le contact fut perdu avec le Sergent Wallace et le Marine Ewart.
Une demi-heure plus tard, ce fut au tour du “ Conger ” (Caporal Sheard et
Marine Moffatt). Cette fois, les deux RM purent être repérés et après sabordage du
Conger, ils furent remorqués dans l’eau glaciale accrochés au “ Catfish ” (Hasler et
Sparks) et au “ Crayfish ” (Laver et Mills). La mission étant primordiale, Hasler dut
les abandonner au plus près du rivage après avoir passé la Pointe de Grave.

Les trois kayaks restants poursuivirent leur route portés par la marée montante
vers le Verdon. Ils furent obligés de prendre leurs distances pour passer entre le môle
et quatre bâtiments ennemis ancrés à quelques encablures. C’est à ce moment-là que
le contact fut perdu avec le “ Cuttlefish ” (Lieutenant MacKinnon et Marine
Conway).

Le jour se levait quand les deux derniers kayaks, “ Catfish ” et “ Crayfish ” trouvèrent
à la Pointe aux Oiseaux un abri où ils purent se dissimuler pour la journée dans
les roseaux bordant la rive, à proximité de Saint-Vivien-du-Médoc. Ils continuèrent
leur route durant la nuit du 8 au 9 vers le Port des Callonges, puis vers l’Ile-Cazeau
(nuit du 9 au 10) à la faveur de l’obscurité et portés par le courant de marée.

Le 11 décembre à l’aube ils trouvèrent enfin, sur la rive gauche du fleuve en face de
Bassens, un endroit pour se cacher, se reposer et préparer l’attaque. Dans la nuit du
11 au 12 décembre, les équipages des deux derniers kayaks s’engagèrent dans la dernière
phase de leur mission : le “ Catfish ” suivit la rive gauche jusqu’aux quais de
Bordeaux et réussit à fixer ses mines sur trois grands navires et un pétrolier à
l’amarre le long du quai ; le “ Crayfish ” traversa la Garonne vers Bassens et fixa
ses mines sur deux navires à l’amarrage.

Mission accomplie, entre minuit et une heure du matin le 12 décembre, les deux
équipages entamèrent leur repli. Ils se rejoignirent miraculeusement dans l’obscurité
au Sud de l’Ile-Cazeau. Portés par le courant, ils firent route ensemble, longeant la
rive droite du fleuve. A 1 500 m environ au nord de Blaye, les deux équipes se séparèrent
par mesure de prudence pour aborder à environ 400 m l’une de l’autre à la hauteur
de Saint-Genès-de-Blaye. Ils ne devaient jamais se revoir. Il était entre 3 h 30 et

4 heures du matin et il ne leur restait que 3 à 4 heures d’obscurité, quand ils entamèrent
leur repli à pied par des itinéraires différents, pour tenter d’atteindre Ruffec, à 160
km de leur point de débarquement.

A partir de 7 heures, les crayons retards mirent à feu successivement les mines
limpets. A Bassens, “ l’Alabama ” et le “ Portland ”, minés par Crayfish, furent gravement
endommagés. Attaqués par Catfish, Quai Carnot à Bordeaux, le “ Dresden ”,
le “ Tannenfels ” commencèrent à s’enfoncer le long des quais auxquels leurs
amarres les retenaient. Un 5e bateau, le pétrolier “ Cap Hadid ” prit feu. Les limpets
posées sur la coque d’un 6e navire, le “ Sperrbrecher n° 5 ” (patrouilleur allemand)
se détachèrent et explosèrent sur le fond sans dommage pour la cible. Les explosions
des mines se succédèrent de 7 heures jusqu’à la mi-journée causant la confusion et
le désordre chez l’ennemi.

La compagnie des pompiers du port autonome au sein de laquelle l’ingénieur
TPE Raymond Brard, responsable de la sécurité du port et fondateur du Club des
Girondins, avait placé une équipe de résistants, intervint immédiatement sous le
commandement du Commandant Paduch à la requête du HafenKommandant. C’est
au cours de leur intervention que les pompiers, inversant l’action des pompes mises
en batterie réussirent, sans être inquiétés, à aggraver la gîte des bâtiments les plus
atteints.

Hasler et Sparks, aidés au long de leur route par des Français courageux, comme
la famille Pasqueraud qui les hébergea une nuit à Napres entre Saint-Preuil et
Lignières, furent les seuls à atteindre Ruffec. Ils choisirent d’entrer au jugé, vers
13 h 30 le 18 décembre 1942, dans le restaurant “ La Toque Blanche ”, où ils eurent
la chance d’être accueillis par M. René Mandinaud, sa femme et ses soeurs, une
famille de Français patriotes. M. Mandinaud prit contact avec M. Jean Mariaud.
Ce dernier organisa le passage des deux fugitifs dans l’ex-zone libre après consultations
successives de M. Paille, ancien professeur en Angleterre, qui confirma leur
nationalité et de Mme Marthe Rullier qui alerta le passeur.

Le 19 décembre, Hasler et Sparks, furent conduits en camionnette par M. René
Flaud, boulanger, près de Benest, à proximité de la ligne de démarcation, toujours
gardée par les Allemands. M. Fernand Dumas, le passeur, les conduisit à la ferme
Marvaud où ils allaient être hébergés pendant 41 jours chez M. et Mme Armand
Dubreuille.

Ils auraient dû être remis dans les deux jours suivant leur arrivée à Marvaud à
Mary Lindell, alias “ Marie-Claire ”, Comtesse de Milleville par son mariage, qui
connaissait les Dubreuille. Marie-Claire était un agent du M19, organisation faisant
partie des Services Secrets britanniques, spécialisée dans l’aide à l’évasion et le rapatriement
des personnels militaires en Angleterre.

Grièvement blessée dans un accident, sans contact radio, elle ne put être jointe
par Armand Dubreuille qu’après plusieurs semaines de silence. Elle arriva enfin à
Marvaud et c’est son fils Maurice de Milleville, âgé de 18 ans qui accompagna les
deux fugitifs par le train de Roumazières à Lyon. Leur évasion se poursuivit jusqu’à
la frontière espagnole via Marseille et Perpignan. Arrivés en Espagne, les deux survivants
furent pris en charge par l’Ambassade à Madrid, d’où ils furent conduits à
Gibraltar. Hasler regagna l’Angleterre par avion le 3 avril 1943 et Bill Sparks fut
ensuite rapatrié par un transport de troupes.

Le Sergent Wallace et le Marine Ewart, capturés le 8 décembre 1942 au lever du
jour furent fusillés sur ordre de l’Amiral Julius Bachmann dans la nuit du 11 au 12
décembre après de longs interrogatoires sans avoir parlé. Leur exécution eut lieu au
château du Dehez (aujourd’hui Château Magnol) à Blanquefort.
Le corps du Caporal Sheard, probablement noyé dans la nuit du 7 au 8 décembre,
ne fut jamais retrouvé et celui de son coéquipier le Marine Moffatt fut découvert le
17 sur la plage de Bois-en-Ré.

Le Lieutenant MacKinnon et le Marine Conway, ayant poursuivi seuls leur route
sur la Gironde atteignirent l’Ile-Cazeau puis le Bec d’Ambès où leur embarcation
coula, après avoir éperonné un obstacle sous-marin. Ils se replièrent jusqu’à Cessac
où un couple de Français, M. et Mme Jaubert les hébergèrent trois jours. Après avoir
quitté leurs hôtes, ils cherchèrent à gagner l’Espagne. Capturés par la gendarmerie
française près de La Réole, le 18 décembre, ils furent remis aux autorités allemandes
qui les emmenèrent à Bordeaux.

Le repli de Laver et Mills s’acheva près de Montlieu-La Garde où ils furent
dénoncés, arrêtés par la gendarmerie qui les remit aux autorités d’occupation.
Enfermés à Bordeaux avec MacKinnon et Conway, puis transférés à Paris au début
de janvier, tous les quatre furent exécutés le 23 mars 1943.

Gardés en vie pendant trois mois, sans doute parce que les services de renseignement
allemands cherchaient à savoir par qui ils avaient été aidés durant leur repli, le
Caporal Laver RM, le Marine Mills, le Lieutenant MacKinnon RM et le Marine
Conway moururent sans avoir parlé.

L’exécution des six Royal Marines pris en uniforme, en application de la directive
secrète d’Hitler du 18 octobre 1942 concernant les commandos, constitue un
crime de guerre dont l’Amiral Raeder eut à répondre au procès de Nuremberg en
1946 et l’Amiral Bachmann au procès d’Hambourg en 1948.

En 1955, parut le livre de CE Lucas Phillips “ Cockleshell Heroes ” tiré à
250 000 exemplaires en Angleterre, traduit en français en 1956 sous le titre
“ Opération Coque de Noix ”. Le Lieutenant Colonel Hasler OBE DSO RM, apporta
sa collaboration à l’auteur qui eut accès à des sources fermées aux chercheurs.
Également en 1955, le film “ Cockleshell Heroes ” (version française :
“ Commando dans la Gironde ” sorti en 1956) produit par Warwick et distribué par
Columbia Pictures, d’après un scénario de Bryan Forbes et Richard Maibaum.
Tourné sur le Tage, mis en scène par José Ferrer qui interprétait le rôle d’Hasler, avec
Trevor Howard dans un rôle de fiction, le film avait bénéficié de l’appui technique
du Corps des Royal Marines. Malgré les libertés prises par les scénaristes avec la
vérité historique, au grand déplaisir du Major Hasler, “ Commando dans la
Gironde ” fabriqué dans la lignée des productions de films de guerre américains des
années 50 connut un succès commercial.

Une biographie remarquable du Colonel Hasler, décédé en 1987, par le Major
Ewen Southby Tailyour préfacée par SAR le Duc d’Edimbourg, retrace la carrière de
Blondie Hasler au sein du corps des Royal Marines, suivie après la guerre de celle
d’un très grand marin puisqu’il fut le fondateur des courses transatlantiques en solitaire
en 1960. Eric Tabarly qui participa à la seconde traversée devait devenir un de
ses proches amis.

Un ouvrage historique, “ Le Commando de l’impossible ” par François Boisnier
et Raymond Muelle, utilisant les archives anglaises, allemandes, françaises et les
derniers témoignages des rares survivants encore en vie et des contemporains de
l’opération Frankton, est paru en 2003 édité par Trésor du Patrimoine.
En 2002, un reportage de Jonathan Marland a été réalisé pour Meridian TV,
chaîne privée britannique, comportant une longue interview de Bill Sparks sur les
lieux de son évasion.

En 2004 deux films sur l’Opération Frankton ont été tournés :

  • En France : “ Des ombres dans la nuit – Opération Frankton ” durée 52 minutes,
    réalisé par Ramon Maranon diffusé par FR 3 Aquitaine.
  • En Angleterre et en France : “ Frankton Shadows ”, durée 30 minutes,
    réalisé par Tom Keene diffusé par la BBC.

Le souvenir des héros de l’Opération Frankton est commémoré chaque année en
France, notamment à Bordeaux, à Blanquefort, à la Pointe de Grave, à Saint-
Georges-de-Didonne et à Ruffec.