Paul Paillole : entrée dans les services spéciaux et rencontre du Colonel Rivet

A sa sortie de Saint Cyr, Paul Paillole se présente au 2eme bureau et rencontre le Colonel Rivet qui deviendra le patron des services spéciaux durant toute la guerre.






1945 : L’URSS récupère les archives secrètes des Français

Par Paul Paillole

Dans la rafale d’événements qui nous viennent de l’Est s’est trouvée l’annonce de la découverte d’un monceau d’archives en tous genres, saisies par les Allemands pendant l’occupation et récupérées pour l’essentiel par les Soviets en juillet 1945 en Tchécoslovaquie.

Dans le lot figureraient ” les archives secrètes de l’ex-2ème Bureau d’avant-guerre “. C’est du moins ce qu’affirme un responsable des archives nationales soviétiques, en laissant entendre que leur restitution à la France pourrait être ” négociée “…A quel prix et au profit de qui ? Beau sujet d’actualité pour les medias en quête de sensationnel.

Déjà les imaginations vagabondent ; on relance le wagon de la Charité-sur-Loire saisi par la Wehrmacht en juin 1940, on croit savoir qu’une péniche (coulée ou pas coulée) sur la Seine renfermait des tonnes de documents finalement récupérés par les nazis, j’en passe…

Voici donc la VÉRITÉ en ce qui concerne les archives de ” l’ex-2ème Bureau “(1). Je laisse aux autres administrations de l’État le soin d’éclairer l’HISTOIRE sur le sort qui fut réservé en juin 1940 à leurs propres archives. Je pense qu’elles éprouveront quelque embarras si j’en crois les témoignages des Chefs de l’Abwehr (et notamment du Colonel Reile) abasourdis, voire embarrassés par l’abondance et la richesse de leur moisson dans les multiples locaux abandonnés en catastrophe.

L’ODYSSEE DES ARCHIVES DU 2ème BUREAU (S.R.-S.C.R.)

La majeure partie des archives centrales de nos Services Spéciaux militaires a été transférée plusieurs jours avant la mobilisation de 1939 dans le P.C. de guerre du 5èmè Bureau (nouvelle appellation du 2ème Bureau (S.R.- S.C.R.) ) au Château Pereire près de la Ferté sous Jouarre. Sont restées à Paris, 2 bis, avenue de Tourville, les quelques archives indispensables aux Chefs de nos Services (Rivet, Schlesser et Perruche) pour la bonne exécution de leurs missions de commandement et de liaisons (2). Dès les premiers jours de juin, toutes ces archives sont mises en caisses et transférées le 10 juin 1940 à Montrichard (Loir-et-Cher). Elles sont immédiatement remises en service par les soins du Capitaine Garnier, chef des archives, dans un établissement secondaire réquisitionné au profit du 5ème Bureau. Le 16 juin 1940, devant la foudroyante avance de la Wehrmacht, les archives, environ 35 tonnes, sont littéralement bourrées dans cinq camions neufs que nous avons pu saisir à l’esbroufe dans un dépôt voisin du train des équipages à l’abandon. Alors, commence pour ces camions surchargés, placés je ne sais trop pourquoi sous ma responsabilité, un invraisemblable périple. Le sauve-qui-peut ” est général.

Une panique indescriptible s’est emparée de tout un peuple. La hiérarchie militaire, effondrée, se disperse aux quatre vents. On cherche en vain des ordres, des responsables, des chefs. Le 18 juin nous faisons escale au camp de la Courtine (près d’Ussel). Je n’ai pas entendu le Général de Gaulle : seul compte le sauvetage de mon convoi. Le 19 juin, je l’expédie plus au sud au Château de Brax, près de Toulouse où il arrive le 20 juin en compagnie d’une partie du personnel de notre Service Central (3) sous les ordres du Colonel Malraison, l’adjoint du Colonel Rivet.

Sur mes instructions, le Capitaine Garnier procède à la destruction par le feu de dossiers généraux d’un intérêt secondaire. Quatre à cinq tonnes d’archives partent ainsi en fumée tandis qu’à Bon Encontre, près d’Agen, Rivet, d’Ales, Navarre et moi-même mettons au point les modalités de la poursuite de notre lutte contre l’envahisseur.

Plusieurs tentatives de Rivet sont vaines pour trouver un marin responsable, capable de décider du transfert de nos archives en A.F.N. Il faut pourtant, coûte que coûte, qu’elles échappent à l’ennemi.

Grâce à l’un de nos officiers de réserve, les patrons de la Société de Fromages de Roquefort nous offrent l’hospitalité de leurs caves.

Le 30 juin 1940, Garnier et quelques archivistes conduisent nos trésors allégés dans cette cache où ils vont rester jusqu’en septembre.

Entre-temps, j’ai installé le P.C. de notre organisation clandestine de C.E. (T.R.) à Marseille, Villa Éole, boulevard de la Plage.

Rivet et d’Ales, à Royat, ont enfin mis sur pied le Service des Menées antinationales (B.M.A.) qui dans sa lutte contre l’occupant doit pouvoir disposer de nos archives. Elles seront camouflées Villa Éole.

A peine installées, éclatent les 22,23 et 24 octobre 1940 les nouvelles stupéfiantes des rencontres de Hitler avec Laval, Franco et Pétain ainsi que de la ” politique de collaboration “.

Les conséquences en seront graves. Le conflit peut à tout moment prendre une nouvelle tournure, s’étendre. Une menace sur la zone sud n’est pas exclue. De nouveau il faut assurer la sauvegarde de nos archives. Le transport en A.F.N. où elles pourront être exploitées s’impose.

Le 26 octobre 1940, je rencontre à Toulon le Chef du 2ème Bureau de la Région Maritime, le Capitaine de Corvette Nomura. Je lui fais part de nos préoccupations et de notre désir. Compréhensif, il m’invite à transférer immédiatement nos 30 tonnes à Toulon. Il les mettra en sûreté dans l’attente de l’autorisation de l’E.M. de la Marine pour les embarquer dans un bâtiment de guerre à destination d’Alger.

Le 28 octobre, je suis à Vichy. Notre patron, le Colonel Rivet se charge de la démarche auprès des marins.

Refus de l’Amiral Darlan.

Entre-temps, les archives ont été discrètement entreposées à Toulon dans deux cellules de la prison maritime. Elles vont y rester près de trois mois, contraignant nos Services à se priver de cette documentation. Cette situation ne peut se prolonger. Au surplus, Nomura a le besoin urgent de récupérer ses locaux.

En janvier 1941, pour la nième fois, nos 30 tonnes sont rechargées sur camions et retournent à Marseille au P.C. Cambronne.

Je suis furieux, angoissé.

DU REFUS DE DARLAN AU DRAME DE LEDENON

En accord avec Rivet, je décide de procéder à trois mesures d’allègement et de sauvegarde.Elles vont s’échelonner de janvier 1941 à octobre 1942.

1° Destruction par le feu d’environ dix tonnes de dossiers généraux et particuliers sans grande valeur historique.

2° Sélection des dossiers et fiches spéciales présentant un caractère d’actualité susceptibles d’être dangereusement exploités par l’ennemi en cas de saisie.

Cette documentation précieuse sera enfouie dans la propriété (4) d’un H.C. de mes Services, le Professeur Maurice Recordier. Elle sera récupérée à la Libération et versée dans les archives de la D.G.S.S. à la disposition des liquidateurs Nationaux de nos réseaux clandestins.

3° Les quelques 20 tonnes d’archives et fiches restantes seront, à tout instant, prêtes à être évacuées sur l’A.F.N. si une opportunité de transfert s’offre à nous ou camouflées, voire enterrées dans la propriété rurale d’une autre H.C. de mes Services, le Colonel d’aviation Favre de Thierrens, à Lèdenon près de Nîmes. En mars 1941, cette ultime solution est prête. Un logement y est prévu pour notre Chef archiviste le Capitaine Garnier et pour son son adjoint le gendarme Saint-Jean.

En septembre 1942, se concrétise la préparation de l’Opération Torch (débarquement allié en A.F.N.). Elle aura des répercussions en France. Une fois de plus la menace pèse sur les archives.

Le 5 octobre 1942, je provoque une nouvelle démarche de Rivet auprès de Darlan. Elle a lieu le 6 à 17 heures.

” Pourquoi courir le risque de livrer aux Anglais ce que vous cachez aux Allemands “… Le refus de l’Amiral est sans appel ! Lourde est sa responsabilité.

Le 7 octobre 1942, je donne l’ordre à Marseille de remettre en caisses (il y en a plus de 200) dossiers et fichiers et de les évacuer soit sur Eyguières, soit sur Lèdenon.

Le 15 octobre 1942, tout est terminé.

Le 11 novembre 1942 la Wehrmacht envahit la zone Sud. Un détachement s’installe à Lèdenon.

Inquiet, Garnier demande au Maire du village dont les sentiments patriotiques paraissent sûrs, d’éviter l’occupation de la maison de Favre de Thierrens. Il prétexte le dépôt d’archives d’un ministère parisien dont il a la garde.

Imprudence, bavardage ?

Quoiqu’il en soit Garnier et Saint-Jean enfouissent toutes les caisses dans les jardins de la propriété.

Au début de 1943, Saint-Jean est rappelé par son Arme dans une brigade de Gendarmerie.

Le 15 juin 1943 en rentrant d’une tournée, il rencontre à Beaucaire l’Adjudant-chef D…, l’un de ses camarades du S.R. au 2 bis. Il le sait associé aux recherches clandestines de nos réseaux. Le contact est chaleureux. D… demande des nouvelles des uns et des autres et en particulier de Garnier. Sans méfiance, Saint-Jean donne l’adresse de Lèdenon.

Le 16 juin 1943, il est arrêté en gare de Nîmes.

Atterré, il reconnaît son ami au milieu des policiers allemands.

Arrêté depuis trois mois, D… avait accepté – à quel prix ? de travailler pour l’ennemi.

Le 20 juin 1943 à 6 heures, un commando du S.D. dirigé par le Chef de la Gestapo de Vichy, Geisler, envahit la propriété de Favre de Thierrens, passe les menottes à Garnier, fouille de fond en comble l’immeuble, les caves, retourne les sols.

A 17 heures l’opération est terminée.

Les caisses d’archives sont embarquées dans quatre camions et le convoi encadré par les policiers nazis retourne à Vichy où Garnier est enfermé dans une cave du local de la Gestapo.

Un mois plus tard, sous bonne escorte, l’ensemble est transféré dans une résidence confortable, voisine du camp d’instruction S.S. de Herdischko dans les Sudètes à quelques trente kilomètres au nord de Prague.

Garnier y est bien traité. Dans le courant du mois d’août 1943, il sera invité par du personnel de l’Abwehr parlant correctement le français à assister à l’ouverture et à l’inventaire des caisses. Ce travail durera cinq à six semaines sans que les Allemands paraissent trouver dans ces archives matière à exploitation.

A plusieurs reprises des officiers de la Wehrmacht interrogeront notre chef archiviste sur la signification de fiches et la constitution de certains dossiers. Ils s’étonneront de l’absence de documents postérieurs à 1939 et du piteux état de l’ensemble.

Finalement, les caisses refermées sommairement restèrent enfermées dans plusieurs pièces ; Garnier, demeurant sur place sous la garde de S.S.

A quelques kilomètres de là, le Gendarme Saint-Jean, déporté sans ménagement, connaissait dans le camp d’extermination de Kradischko l’existence humiliante de détenus rongés par la vermine et voués pour la plupart à la mort d’épuisement ou sous les coups de Kapos de droit commun et de jeunes S.S. sadiques.

La délivrance allait intervenir avec la déroute de la Wehrmacht et la dispersion subite des S.S., Saint-Jean réconforté par les Tchèques rentrait en France en juin 1945.

Garnier libéré par l’Armée Soviétique, voyait avec tristesse celle-ci mettre la main sur nos archives.

Dès juillet 1945 commençaient les démarches auprès des autorités moscovites pour récupérer notre bien.

De Prague, où il était Ambassadeur de France, Maurice Dejean, notre ancien collaborateur, avait tout tenté pour éviter le transfert à Moscou. Plus tard, dans la capitale soviétique où il exerçait à partir de 1955 ces hautes fonctions diplomatiques, Dejean renouvelait en vain démarches sur démarches.

Un silence épais succéda aux réponses courtoises feignant toujours l’ignorance.

Quarante-cinq ans après, ce silence est rompu.

Le 21 novembre 1991, j’ai souligné au Ministre de la Défense l’importance qui s’attache pour la France à la récupération de ces archives historiques.

Le 2 décembre 1991, sa réponse permet de penser que des démarches sont entreprises pour leur rapatriement.

Affaire à suivre !

N.B. – Sans que cette énumération soit exhaustive, les archives d’avant-guerre du 2ème Bureau (S.R.-S.C.R.) à récupérer à Moscou devaient être constituées par :

– un fichier d’environ 15 à 20 000 noms de personnes ayant intéressé à des titres divers la Défense Nationale ou la Sécurité de la France..

– des dossiers individuels relatifs à certaines de ces personnes – notamment celles ayant fait l’objet d’une attention particulière en raison de leurs activités d’espionnage, de sabotage ou de propagande avant 1940.

– des dossiers généraux traitant des questions de sûreté intérieure ou extérieure de l’État, ainsi que des questions diverses, telles que études de Services Spéciaux étrangers.

– des documents divers (publications françaises et étrangères) relatifs aux activités du 2ème Bureau (S.R.-S.C.R.) et des Services Spéciaux.

(1) J’ai exposé leur sort dans ” Services Spéciaux (1935-1945) “, Éditions R Laffont.

(2) Adjoint de Schlesser, je suis moi-même à Paris.

(3) Dont l’Adjudant-chef Taillandier, futur chef de l’héroïque Groupe Morhange. Le château de Brax a été réquisitionné par nos services dès le 16 juin 1940.




Au service de TR recit du capitaine Guillaume à la recherche de la sacrée vérité

Il faut que ce récit soit lu et relu par tous nos camarades, et le plus grand nombre de Français. Il est la preuve, combien évidente pour nous, que la technique du C.E. ne s’improvise pas et que le SSM/TR, fidèle à sa mission tutélaire, sût faire face à toutes les situations, pour continuer son oeuvre de salubrité et participer à la Libération de la France. Au terme de ces études et récits dont le point de départ fût l’AFN et son rôle dans nos combats, nous remercions encore tous ceux qui, comme G., nous ont aidés à situer dans l’Histoire une partie importante du rôle du SSM/TR. A vous, lecteurs, de faire maintenant votre Devoir en diffusant ces pages et en montrant ainsi le vrai visage de ceux qui furent parmi les meilleurs serviteurs de la France. A vous de nous aider par vos écrits à poursuivre notre campagne pour la VERITE.
D’ALGER à ALGER via Ramatuelle, Paris, Marseille et Londres
(Nous sommes en 1943; la Zone dite ” libre ” est, elle aussi, maintenant occupée et les côtes sont aux mains de l’ennemi.

Pourtant, le ” CASABIANCA ” de l’héroique Commandant LHERMINIER a réussi le tour de force de débarquer au cap Camarat, près de Ramatuelle, le T.R. GUILLAUME, l’ ” As ” des transmissions, CAILLOT et l’américain BROWN que nous avait confié les Services Spéciaux de nos Alliés.

Les 3 hommes viennent de toucher terre; ils sont à pied d’oeuvre mais en plein ” cirage ” .
Nuit du 6 au 7 Février 1943.

Oui, notre mission commençait seulement. Le ” CASABIANCA ” pour nous n’avait été qu’un moyen de transport, un peu particulier sans doute.

Il y a maintenant plus d’une 1/2 heure que nous sommes allongés sur le sol. Nos yeux commencent à s’habituer à l’obscurité et nous nous concertons à voix basse. A part les feux des caps Lardier et Camarat qui nous encadrent, tout paraît calme.

Précédant mes deux camarades CAILLOT et BROWN, et après avoir arrimé aussi solidement que possible nos bagages, nous commençons l’ascension de la calanque… Il eut été sans doute plus facile de la tourner, mais nous préférons la difficulté et les obstacles naturels aux pistes trop surveillées.

Nous peinons. Des rochers, des arbustes, des buissons épineux s’opposent à notre avance. Il faut surtout progresser en silence avec la souplesse et la sûreté de Sioux sur le sentier de la guerre… Nous suons maintenant à grosses gouttes… Enfin, nous arrivons au sommet et nous nous étendons autant par prudence que pour récupérer. Nous consultons nos boussoles et essayons de déterminer notre position. Ce n’est pas chose facile car non seulement nous n’avons aucune carte de la région, mais celle du bord ne concernait que les fonds sous-marins et ne portait aucune indication sur l’intérieur.

Notre premier souci est de nous éloigner de la mer car toute la zone côtière est surveillée…

En colonne par un, toujours dans le même ordre et en nous tenant à quelques mètres de distance, nous continuons notre marche. La nuit noire, le sol rocailleux, toujours ces arbustes sauvages qui grippent à nos vêtements; des trous nous font trébucher et nous avons du mal à éviter la chute de nos valises.

Maintenant, tout n’est plus aussi calme et une vie, qui parait intense à nos yeux inquiets, se dessine à l’horizon. Lumières qui s’allument et qui s’éteignent, aboiements, bruits de moteur… Nous redoublons de prudence et faisons de temps à autre une pose. Conférence nocturne où l’humour, malgré la gravité de la situation, n’est pas exclu : Nous sommes tous trois d’accord pour éviter les zones découvertes, plates et bien entendu tout ce qui ressemble à un chemin…

Mais voilà le premier Incident. Je disparais tout à coup dans une sorte d’entonnoir profond de deux mètres, après une chute douloureuse, amortie par un fond sablonneux… Je sens une vive douleur à ma cheville droite. Mes camarades ont beaucoup de mal à contourner cette excavation pour venir me prêter main forte.. Aidé par CAILLOT et BROWN, j’essaie de me relever, mais ma cheville enfle rapidement et m’empêche de me tenir droit. Stupide accident qui risque de compromettre notre mission.,. Enfin, après des massages énergiques, je parviens, soutenu par mes amis, à avancer péniblement.

Nous nous arrêtons souvent. Je souffre beaucoup. A l’aube, après plus de cinq heures d’efforts, nous atteignons une clairière au milieu d’un bois d’oliviers. Nous saurons plus tard que nous avons fait à peine 3 kilomètres. Plus de temps à perdre. Il faut, avant le lever du jour, camoufler tout notre matériel et prendre l’aspect d’aimables citadins à la recherche de provisions.

Nous creusons un trou assez profond sous la broussaille et nous enfouissons nos valises après les avoir délestées de quelques vivres et cigarettes. Nous recouvrons nos précieux bagages de toiles imperméables sur lesquelles nous déversons de la terre, des broussailles et des branches.

Quelques marques discrètes sur des arbres afin de faciliter la récupération du matériel plus tard.

Nous nous éloignons et trouvons un coin touffu où nous pouvons nous étendre …. Nous éprouvons un grand soulagement d’être délivrés de nos bagages compromettants. C’est vraiment le premier moment de détente depuis notre débarquement.., L’immobilité dans cette aube de Février nous glace et nous éprouvons le besoin de nous restaurer. CAILLOT nous passe quelques biscuits et tablettes de chocolat. En prenant les précautions d’usage, nous allons fumer notre première cigarette … C’est alors un juron ironique de CAILLOT qui nous tend un paquet de cigarettes … Devant notre ébahissement, il se contente de nous faire lire la mention ” Provision de bord, débarquement interdit “. Nous goûtons avec lui ce gag savoureux : D’autant plus savoureux que ces cigarettes nous avaient été remises par les officiers du “CASABIANCA” en échange de nos cigarettes américaines jugées compromettantes…
7 Février.

De joyeux “Cocorico” précèdent le lever du jour. Nous distinguons maintenant assez bien, malgré une brume légère, le paysage environnant. Une ferme se détache à quelques centaines de mètres. Nous nous mettons d’accord sur le plan à appliquer.

Laissant CAILLOT et BROWN à l’abri, je me présentai à la ferme sous le prétexte d’acheter des provisions. Une brave femme dont le mari était prisonnier, me céda pain, vin et charcuterie. En bavardant, j’appris que nous étions à une douzaine de kilomètres de St-TROPEZ et à quatre ou cinq kilomètres de RAMATUELLE … pas de contrôle sur cette route si ce n’est un poste italien dans ce dernier village.

De retour auprès de mes camarades et après un substantiel casse-croûte, nous décidâmes de nous rendre à St-TROPEZ. Il était indispensable de nous séparer afin de limiter les dégâts… éventuels ; nous devions nous retrouver un kilomètre environ avant d’atteindre cette ville, à droite sur le bord de la route. Ma cheville enflée ne me permettant pas de marcher rapidement, je partis en tête, suivi une demi-heure après par CAILLOT et BROWN. Il n’était pas prudent, en effet, de laisser BROWN isolé; il parlait français avec un accent effroyable et son allure athlétique, décidée, son visage énergique aux yeux bleus perçants, son habillement, évoquaient plus sûrement un cow-boy du TEXAS qu’un voyageur de commerce de CHATEAUROUX ; et avec cela un esprit de bagarre que l’ami CAILLOT avait beaucoup de mal à réfréner…

Ma première rencontre sur la route fut un soldat italien qui, perché sur une ligne téléphonique, chantait “Santa Lucia” à tue-tête et me gratifia d’un geste amical… “Va bene”… “va bene” : La fatigue de la nuit et ma cheville rendirent mon parcours particulièrement pénible. Au crépuscule, le trio se reconstituait comme prévu.

CAILLOT et BROWN voulaient passer la nuit cachés dans les bois. Personnellement je n’étais pas de cet avis. Ce risque me paraissait inutile. Nous nous trouvions dans une région qui semblait calme, peu de troupes, je jugeai qu’il valait mieux, individuellement, aller coucher tout simplement à l’hôtel… J’avais passé des vacances à ” l’Hôtel de Paris ” à l’entrée de St-TROPEZ quelques années avant, je connaissais les patrons et j’avais une identité. Nous nous séparâmes en nous fixant un rendez-vous le lendemain vers 9 heures à proximité de ” l’Hôtel de Paris “.

Sans révéler ma véritable personnalité, je pris une chambre, aimablement accueilli. En remplissant ma fiche d’hôtel, j’imaginais la tête du préposé à la réception si j’avais inscrit les lignes suivantes: – Nom et prénom : CLAUDE DE MORANGIS – Profession : AGENT SECRET – Vient de : ALGER – Destination . LONDRES VIA PARIS – Moyens de transport : SOUS-MARIN + LYSANDER – But du Voyage : RÉSISTANCE, CONTRE-ESPIONNAGE, SABOTAGE, TERRORISME.

8 Février.

Après une bonne nuit malgré ma cheville endolorie, je quittai l’hôtel non sans qu’une surprise de taille me soit réservée. La patronne, qui me voyait marcher péniblement, me demanda où j’allai ? Lui ayant indiqué : MARSEILLE, elle me proposa tout simplement de monter dans la voiture d’un Amiral allemand qui venait de visiter l’usine de torpilles de St-TROPEZ et qui avait passé la nuit dans la chambre voisine. J’avoue regretter encore que la présence de mes complices ne m’ait pas permis cette cocasse aventure.

A mon grand étonnement, j’appris par CAILLOT et BROWN qu’ils avaient, après réflexion, passé, eux aussi, la nuit dans le même hôtel, près de moi et de l’Amiral.

Nous nous réunissons dans un café et mettons au point la dernière partie de notre voyage.

Toujours séparés, nous prenons le ” tortillard ” St-Tropez – St-Raphaël où nous arrivons vers midi. Nous avons un train pour MARSEILLE à 15 heures. Sans tickets de pain, nous nous contentons de déguster des quantités considérables de coquillages arrosés d’un bon rosé du pays.

Un petit tour à la gare en promeneur pour s’assurer qu’il n’y a pas de contrôle d’identité…

Nous arrivons enfin à MARSEILLE vers 18 heures et nous nous retrouvons sans incident dans un petit bar du Bd. d’Athènes. Notre joie est maintenant complète. Nous savourons, sans fausse modestie, la satisfaction du devoir accompli. Il n’est plus question de chercher des appuis, un hôtel : je suis dans le fief de T.R. 115 presque le mien et où j’ai des amis sûrs.

Notre estomac crie famine et les trois mousquetaires se retrouvent dans un restaurant ne payant pas de mine mais où l’arrière salle recèle des trésors gastronomiques.

Nous faisons honneur à un menu pantagruélique : qu’importe l’addition, « M. PERRIER » (Pseudo du Chef du SSM/TR : P. PAILLOLE) ne nous chicanera pas…

Pendant le repas, je fais un vaste tour d’horizon avant de décider où nous passerons notre première nuit marseillaise… Mon choix s’arrête sur mon vieux camarade de Régiment, l’Inspecteur GROS des Renseignements Généraux qui habitait vers le quartier des Chûtes-Lavie, loin du Centre,.. J’étais absolument sûr de son patriotisme et de son amitié . Nous prenons un taxi pour la rue Jean Dussert… Il est 22 heures passées … Pas de lumière … CAILLOT et BROWN me laissent aller seul prendre contact avec mon ami… Je laisse imaginer la stupeur joyeuse de ce dernier qui savait que j’étais au Maroc : Sa femme partage sa joie. Je le mets rapidement au courant de notre situation. Je suis heureux d’avoir l’occasion de lui rendre ici l’hommage qu’il mérite. Pas une seconde d’hésitation : Cinq minutes après, nous sommes tous installés chez lui, les lits sont dédoublés et nous nous endormons réconfortés et reconnaissants de cet accueil qui, pour moi, ne faisait aucun doute.
9 Février.

Nuit excellente. Ma cheville va mieux. Encore 24 heures de repos et de soins et elle sera rétablie. Réveil dans la bonne humeur générale, copieux petits déjeuners. Bien entendu, nos amis sont avides de renseignements sur la situation en Afrique du Nord et sur notre équipée. Nous comblons leur curiosité si légitime et nous accueillons avec une modestie toute relative leurs félicitations.

GROS se met, bien entendu, à notre entière disposition avec enthousiasme. Ses fonctions d’Inspecteur aux Renseignements Généraux vont nous aider considérablement et aplanir bien des difficultés, Nous sommes dotés de nouvelles cartes d’alimentation et d’identité que GROS fait signer à son chef. Un recensement des cartes d’alimentation venait d’avoir lieu. Toutes les cartes devaient mentionner ce contrôle et être jointes à la carte d’identité à toute réquisition.
10 Février.

Je dois au plus tôt prendre contact avec le Chef du T.R. 115, mon ancien ” patron “, J’ai nommé ” GEORGES-HENRY “.

Laissant BROWN dans un café à proximité du Bd. Perrier et accompagné seulement de CAILLOT. Je me dirige vers la ” Société d’Entreprise des Travaux Ruraux du Sud ” (T.R.).

“GEORGES-HENRY” est soucieux. Depuis le 8 Novembre 1942, certaines mesures ont été prises : les archives transportées en Lozère; le personnel, les agents et les H.C. munis de nouvelles identités, Des éléments de choix, le Capitaine M. et le Lieutenant L. sont venus renforcer le poste; de nouveaux agents et H.C. ont été recrutés, des bureaux clandestins sont utilisés.

Dès l’occupation de la zone Sud, le S.D. à MARSEILLE et l’OVRA dans la région de NICE, ont procédé à de nombreuses arrestations, mais T.R. 115 a pu passer au travers. L’outil est au point et tous les membres du Poste sont impatients de donner leur mesure … Des reconnaissances de points de débarquement ont été effectuées entre St-TROPEZ et CAGNES-SUR-MER.

Les liaisons radio avec LONDRES et ALGER ne sont pas normalement établies. Le Poste ne dispose pas d’appareils radio modernes et peut difficilement transmettre les renseignements qu’il recueille.

Par la fenêtre de son bureau ” GEORGES-HENRY ” aperçoit les nouveaux locataires de l’immeuble voisin, le 51 Bd. Perrier où la FELDGENDARMERIE vient de s’installer … Ce voisinage compromettant pourra-t-il se prolonger longtemps ?

Un coup de sonnette violent vient interrompre ces méditations ………………………………………………..

Deux messieurs qui n’ont pas voulu indiquer leurs noms demandent à être reçus par ” M. GEORGES-HENRY ” qui, après avoir hésité, décide de recevoir ses inquiétants visiteurs… Va-t-il se trouver en présence d’agents du S.D. ou de l’OVRA ?

Et c’est ” GILBERT ” (pseudo de GUILLAUME lorsqu’il travaillait en 1940 au T.R. 115) qui fait son apparition avec ” LA CAILLE ” (pseudo de CAILLOT).

J’ai un magnifique feutre, une petite moustache fine, un charmant noeud papillon et des lunettes teintées… Mais ma voix est familière aux oreilles de ” GEORGES-HENRY ” et dans une joie éclatante nous nous donnons l’accolade.

Je présente CAILLOT et après un bref récit de nos aventures, écouté avec avidité, nous rendons compte de notre mission. ” GEORGES-HENRY ” accueille avec une joie débordante l’annoncé de ce que nous apportons – Postes émetteurs – Codes – Fonds – Instructions, etc. et, ce qui est plus particulièrement précieux, les encouragements du Colonel RIVET et de ” M. PERRIER “, ainsi que l’assurance que T.R., désormais directement rattaché au Commandement en chef français, continuera jusqu’à la Victoire.

Des heures durant, ” GEORGES-HENRY ” ne se lasse pas de nous interroger. CAILLOT avec qui il a sympathisé tout de suite, lui apporte les éléments techniques indispensables au rétablissement immédiat des liaisons radio.

Nous prenons rendez-vous l’après-midi au café Saillard où nous présentons BROWN, troisième passager clandestin du ” CASABIANCA “.
11 et 12 Février.

Le problème le plus urgent à résoudre est la récupération des précieuses valises.

L’indispensable GROS nous établit un magnifique ordre de mission à en-tête des Renseignements Généraux prescrivant des recherches sur les menées anti-nationales du sieur Yves MORANDAT, route de Belle- Isnard, et de perquisitionner en tous endroits utiles… Le choix du véhicule est vite arrêté. Avec la complicité de PFISTER, ” GEORGES-HENRY ” réquisitionne la voiture personnelle de… ” PERRIER ” qui avait été camouflée dans un garage de MARSEILLE; un magnifique cabriolet Citroën.

” GEORGES-HENRY “, accompagné de BROWN, se charge de l’opération pendant que GROS et moi commençons le recrutement d’amis sûrs pour camoufler les postes, héberger le trio qui doit se dissocier, établir les liaisons, etc.

Le voyage aller s’effectue sans incident : à la sortie de MARSEILLE, sur la route de TOULON, un Feldgendarme bonhomme laisse passer les voyageurs sans les arrêter. Il en sera de même pour la traversée de TOULON. Fausse alerte après avoir dépassé HYERES, sur la route de St-TROPEZ, à la limite de la zone d’occupation italienne. Un carabinier arrête la voiture. Contrôle des pièces d’identité par le Chef de Poste. Tout parait en règle.

” GEORGES-HENRY ” présente son ordre de mission et explique qu’il se rend à St-TROPEZ pour perquisitionner chez des ” Gaullistes “. Il prévient qu’il repassera dans le courant de l’après-midi. Il espère, dit-il, qu’il pourra présenter le matériel et les documents saisis.

Par COGOLIN, St-TROPEZ et RAMATUELLE, ” GEORGES-HENRY ” et BROWN arrivent au Cap CAMARAT. BROWN retrouve assez vite l’endroit où le matériel a été camouflé. Pendant que ” GEORGES-HENRY ” fait le guet, BROWN récupère les valises qui sont aussitôt stockées dans le coffre de la voiture; le chargement est si important qu’il est impossible de refermer le coffre.

” GEORGES-HENRY ” et BROWN, toujours dans la voiture de ” PERRIER ” – PAILLOLE ” reprennent la route de MARSEILLE; ils croisent quelques soldats ennemis sans éveiller leur méfiance et c’est l’arrivée au Poste de Contrôle Italien.

BROWN serait d’avis (toujours l’esprit ” commando “) de brûler la politesse aux carabiniers… ” GEORGES-HENRY ” l’en dissuade et c’est tout joyeux qu’il annonce au Chef de Poste le résultat brillant de la perquisition en désignant d’un coup d’oeil complice le matériel… saisi (?) Félicitations … échange de propos aimables sur l’amitié franco-italienne, cigarettes (pas celles du “Casabianca “) et c’est la dernière étape pour MARSEILLE où, à l’entrée de la ville, GROS, à bord d’une voiture des Renseignements Généraux, assure la Sécurité et fait une escorte d’honneur à la voiture du Chef du C.E. Français.

Le soir même, un poste émetteur est installé au domicile de GROS et après quelques essais, notre technicien CAILLOT établit la première liaison T.R. , 100% française, avec l’Afrique. Ce poste fonctionnera une dizaine de jours encore chez lui, R. ayant succédé à CAILLOT pour les émissions. Le poste fut ensuite transféré à l’autre bout de la ville, au quartier Vauban, chez P. ami de GROS. Les voitures goniométriques allemandes sillonnaient les environs, et les voisins commençaient à trouver drôle cette activité insolite.

Il n’est pas sans intérêt de connaître comment a fini ce poste … De Vauban, le poste fut transféré à la Place St-Michel, au n° 15, le fils du Pasteur ROUX… Surpris par une perquisition des Allemands, le fils ROUX n’eut que le temps de ” balancer le piano ” par la fenêtre du 3ème étage … ROUX pût s’évader, mais son père et sa mère furent déportés, le premier n’est jamais revenu.

BROWN ayant récupéré son poste, je le mis en contact avec des amis, IMBERT, PERPERE, GEORGES, etc.

Par mesure de prudence et pour que chaque service garde son autonomie, nous établîmes des cloisons étanches avec l’ O.S.S.

De multiples imprudences de BROWN (liaison avec une fille du milieu, bavardages, coups de revolver en plein restaurant, etc.) justifièrent amplement mes précautions et BROWN dût rentrer précipitamment en A.F.N. par ses propres moyens pour éviter le pire.
13 au 19 Février.

Je me sépare à mon grand regret de CAILLOT qui doit se multiplier pour mettre en service les postes et instruire les radios et chiffreurs. Nous nous retrouverons une première fois sur la côte en Mars, puis à LYON en Avril, et enfin à ALGER en Mai.

Je vais à LANGEAC rendre compte de ma mission à VERNEUIL (Adjoint de ” PERRIER ” et Chef du T.R. en France). J’ai le plaisir de retrouver avec lui des connaissances du vieux service : CHALLAN-BELVAL et Mlle MOREL, les collaborateurs fidèles de ” PERRIER “. Je lui communique les instructions du “PATRON “.

J’ai un contact très important à prendre à PARIS et avant de regagner MARSEILLE, je passe dire un rapide bonjour à mon ex-complice du 2 bis et de T.R. 115, COLLARD, réfugié à CASTRES. Il ignore encore tout, et mon arrivée est saluée avec joie.
MISSION A PARIS

Du 20 au 25 Février.

Pour aller à PARIS, il me faut un ausweis. Pas question de faire un faux, nous ne sommes pas encore organisés pour cela et il n’est pas bon que je serve de cobaye… Moyennant 14.000 Frs, j’obtiens un superbe ausweis au nom de Claude de MORANGIS. Expert (?), qui va parfaitement bien avec ma carte d’identité et ma carte d’alimentation… Voyage sans histoire. Tout de même j’ai le coeur serré en arrivant à la Gare de Lyon … C’est mon premier contact avec la capitale depuis l’Armistice et la vue de la croix gammée sur nos édifices me fait crisper les poings. Je conserve l’image du drapeau tricolore et celui de nos alliés flottant sur l’Afrique du Nord et je sens que l’humiliation sera de courte durée. Cette crise sentimentale est fugitive et comme le taureau, le rouge du disque germanique me stimule. Je fonce …

Quelques lignes sont nécessaires pour situer le personnage que d’ordre de ” M. PERRIER “, je vais ” contacter ” : FREDERKING, alias “YOUNG”, était un yougoslave recruté en 1938 par le S.R. allemand par la voie des petites annonces commerciales de PARIS-SOIR.

Le texte de l’annonce n’ayant pas échappé à ” l’équipe PASQUALI ” (autre pseudo du Chef du SSM/TR : P. PAILLOLE) du C.E. de l’Avenue de Tourville;

toute la correspondance relative à cette affaire était systématiquement cueillie et remise au C.E. Et … après photocopie, les plis étaient acheminés sur leur destinataire.

Suivait un échange de deux ou trois lettres puis, le S.R. allemand (camouflé sous l’étiquette commerciale d’une firme suisse) convoquait le candidat dans une ville neutre, lui payait le voyage, le traitait princièrement et pour tâter le terrain lui confiait une enquête sur l’établissement commercial. Le doigt était ainsi pris dans l’engrenage… Parfois le candidat flairait le boche, alors, ” il laissait tomber ” ou, plus rarement, il rendait compte aux autorités françaises. Quelques uns attirés par l’appât du gain donnaient suite à ces premiers contact et devenaient des agents du S.R. allemand : traîtres, espions.

Grâce aux dispositions prises par le C.E. ce système de recrutement fut rapidement neutralisé, des arrestations opérées et, résultat plus substantiel, des agents de pénétration introduits au sein du S.R. allemand.

C’est ainsi que ” YOUNG “, sous le contrôle de ” PASQUALI “, commença une étonnante carrière. Il n’est pas exagéré de dire qu’il fut l’un de nos meilleurs agents. Décapité à la hache, il a hélas, en fin de compte, payé de sa vie son amour pour la France et la Liberté.
” Croix de Fer ” et … Agent T.R. Bien avant la guerre, il avait été muni d’un des premiers poste émetteurs allemands dont l’indicatif variait suivant la première lettre des pages d’un roman à la mode.

Après l’armistice de 1940, ses employeurs allemands, satisfait de ses services, lui octroyèrent une prime importante et la Croix de Fer !

Dès Octobre 1940, j’avais repris le contact avec lui par carte interzones et il était ainsi resté l’un des informateurs du T.R. et c’est sans aucune appréhension que je lui téléphonai dès mon arrivée à PARIS.
Notre rencontre fut d’une chaleureuse cordialité. A la vérité, il était un peu effrayé de mon audace, et pourtant il croyait que je venais tout simplement de MARSEILLE …
Au cours d’un repas excellent à son domicile personnel rue de Verdun, il me précisa la position importante qui était maintenant la sienne : il occupait plusieurs bureaux à l’Hôtel LUTETIA (P.C. de l’ABWEHR en France), avait trois voitures avec des numéros minéralogiques interchangeables et un fil direct avec son Chef le Colonel KLEIN à WIESBADEN … Je fis une ample moisson de renseignements, de documents qu’il n’y a pas lieu d’énumérer ici .

Nous mîmes au point un plan qui nous permettrait de nous retrouver à MADRID au cours de l’année… Pour doubler les boîtes-aux-lettres toujours aléatoires, nous convînmes d’échanger des messages personnels par ” Radio-Alger “, la ” B.B.C. ” et.., ” Radio-Paris ” … C’est ainsi que notre rencontre de MADRID en Décembre 1943 fut convenue par le message suivant : ” Le Prado est en fleurs “.

La partie la plus importante de ma documentation était l’organisation d’un réseau de postes-émetteurs allemands maniés par des agents de nationalité française que le S.R. allemand avait l’intention de laisser derrière les lignes alliées en cas de débarquement …

Je possédais les noms de sept villes déjà pourvues d’Agents contrôlés par nous et dont certains n’étaient autres que nos propres Agents de pénétration dans le dispositif ennemi.

Je peux dévoiler aujourd’hui le nom de la première agente qui se présenta ainsi aux lignes américaines, les tous premiers jours du débarquement : Madame BERNARD, membre de l’Amicale… C’est grâce à elle, transportée d’urgence par voie aérienne à LONDRES, que je fus un des premiers Officiers T.R. à être débarqué en Normandie par vedette rapide

. Mais il fallait songer à regagner la zone Sud, le ” CASABiANCA ” devant venir nous rechercher entre le 3 et le 5 Mars … Catastrophe : la ligne de démarcation ayant été supprimée, les agences de voyages et gares avaient été envahies … Je n’avais pas de place pour MARSEILLE avant trois semaines. Sur ma demande ” YOUNG ” après quelques hésitations – bien compréhensives – me rédigea un Ordre de Mission et m’accompagna à la Gare de Lyon… Il s’adressa à un Officier allemand, Commissaire Militaire, qui nous fit escorter par un Feldgendarme.

Les wagons réservés à la Wermacht étaient tous occupés. Le Feldgendarme s’adressa à une s souris grise s qui occupait un compartiment de 1ère classe avec 4 Officiers et une autre souris grise …

A ma grande stupéfaction, cette dernière, tout en maugréant, me céda sa place après avoir enlevé sa valise et quitta le wagon … Le Feldgendarme me salua militairement pendant que ” YOUNG “, pas très rassuré, prenait congé de moi …

Je plaçais ma valise dans le filet et pris place dans le compartiment …

Je ne voudrais pas paraître fanfaron rétrospectivement, mais j’avoue très sincèrement que, de cette situation, je ne sentais que le côté cocasse, sportif. Aucune crainte, et si mon coeur battait un peu plus vite, c’est d’un orgueil un peu puéril à la pensée de la bonne histoire à raconter aux copains … ce que je fais aujourd’hui…

L’AFAT allemande, qui me fait face, m’adresse quelques mots en allemand … il fallait bien s’y attendre et je ne suis pas pris au dépourvu… Je ne peux que lui répondre « Franzoze » et quelque chose d’inintelligible qui signifie pour moi ” je ne comprends pas l’allemand “; Les Officiers allemands, jusque-là assez indifférents, tendent l’oreille.

Mais mon interlocutrice parle un français très approximatif et je peux lui expliquer ma présence dans ce compartiment : je prends la personnalité de mon brave ” YOUNG ” qui, comme façade de son activité secrète, vendait du champagne et des liqueurs, et approvisionnait les cercles et cabarets réservés aux Officiers du REICH.

Mes explications ont l’air d’être satisfaisantes. Je sens nettement chez les deux Officiers allemands, qui me font face, une sorte de mépris pour ce Français trafiquant et collaborateur. Qu’importe : je ne suis pas vexé et me plonge dans la lecture de tous les journaux collaborateurs dont j’ai fait ample provision.

Vers minuit, ces messieurs sortent de leurs sacs un appétissant assortiment : pain blanc, charcuterie, fromage …Il m’est difficile de rester impassible, ma dignité me fait refouler la salive qui monte à ma gorge … Mais la collaboration n’est pas un vain mot et quelques minutes après, je suis muni d’un kolossal sandwich que je dévore sans remords … Une politesse en vaut une autre; je mets ma valise sur mes genoux, j’en extrais une bouteille de champagne, – échantillon non sans valeur – et j’offre une tournée générale … Sous les autres échantillons de mes produits et les paperasses publicitaires, le ” courrier d’Alger ” n’a jamais été autant en sécurité et je savoure pleinement ces moments délicieux …

A l’ancienne ligne de démarcation, arrêt. Notre compartiment n’est pas contrôlé… Malgré tout, je ne dors pas et mes yeux ne quittent pas ma précieuse cargaison … A TARASCON, les Officiers allemands changent de train pour la direction de MONTPELLIER ou NIMES, après m’avoir serré cordialement la main.

RETOUR en ZONE SUD
Enfin MARSEILLE : La valise est mise en lieu sûr, après avoir rendu compte à ” GEORGES-HENRY ” de mon séjour à PARIS.
Du 20 au 28 Février.

Je revois ” GEORGES-HENRY ” qui est particulièrement satisfait : grâce à CAILLOT, tous les postes marchent parfaitement bien et le recrutement de techniciens, de chiffreurs et d’agents de liaison s’est accentué; GROS ne se contente pas d’apporter les ressources de sa situation officielle aux Renseignements Généraux, il ” débauche ” encore des inspecteurs dont l’un, GAUDE, rendra des services éminents.

Madame GROS est mise à contribution et s’acquittera de ses fonctions un peu spéciales avec un sang-froid et un courage bien tardivement récompensés … C’est encore GROS qui recrutera l’ami GRAVA que j’ai eu le grand plaisir de revoir le 2 Juillet 1955 dans la cour de la ferme d’OTTOU, devant une bouillabaisse dont la renommée a déjà franchi les limites de la Provence.

Citons encore PERPERE, chemisier rue de Rome, dont la cave abrita nos postes émetteurs, M. et Mme IMBERT, qui se dévouèrent sans restriction, combien d’autres, tels le petit GEORGES, jeune titi marseillais à la bonne humeur communicative, infatigable agent de liaison et providentiel porteur de bagages pour les passagers du ” tube “( Ndlr : le sous-marin ). Sa modestie et son désintéressement font que, plus de dix ans après ses aventures, sa boutonnière demeure toujours vierge du moindre ruban…
Fin Février. Il faut songer au départ.
CAILLOT, après ses pérégrinations à travers la France, a rejoint, lui aussi, MARSEILLE.
” GEORGES-HENRY ” nous met au courant des messages échangés avec ALGER. C’est maintenant officiel : le ” CASABIANCA ” doit venir nous prendre le 3 Mars à 22 heures à l’emplacement même où nous avons débarqué.

Des reconnaissances ont eu lieu à plusieurs reprises pour s’assurer que cette zone était toujours praticable … Le Capitaine B., pêcheur assidu, sinon habile, s’est multiplié entre le Cap LARDIER et le Cap CAMARAT, avec St-TROPEZ comme P.C.

1er et 2 Mars.

Activité intense au P.C. de T.R. 115. Le courrier émanant des autres postes et glané par les soins de ” VERNEUIL “, est arrivé classé, trié, emballé. Celui de ” GEORGES-HENRY ” est prêt. L’ensemble est réparti entre plusieurs valises ou sacs tyroliens. Quelques documents, particulièrement secrets, sont camouflés dans des tubes dentifrices ou crème à raser, dans de banales trousses de toilette, à l’intérieur de semelles de souliers, etc…

3 Mars.

Veillée d’armes : Les passagers seront, en dehors de CAILLOT et de moi-même : – le Colonel BONOTEAU, ancien collaborateur du Colonel d’ALES et délégué du Général FRERE, commandant l’ORA. – Le Capitaine B. du T.R., – réclamé par ” PERRIER – PAILLOLE “.
Le “Docteur” (qui n’est autre que le Général ARLABOSSE) devait faire partie du voyage, mais, retardé, ne pourra être rendu à temps au rendez-vous.

Nous serons accompagnés sur les lieux d’embarquement par PIROULAS, le dévouement personnifié, Jacques IMBERT, dont l’audace frise la témérité, et notre ange gardien, le petit GEORGES.

Isolément, par le train, nous nous rendons à St-TROPEZ d’abord, puis nous nous rassemblons avec nos bagages à 3 kilomètres du lieu d’embarquement … dans un endroit convenu, couvert, où la nuit nous assure sa complicité. Il est 20 heures environ. Un groupe de deux hommes armés part en avant-garde … L’un d’eux doit revenir sur ses pas après reconnaissance favorable.

DANS L’ ATTENTE DU ” CASABIANCA “
Tout va bien, mais le temps jusqu’ici incertain s’aggrave et un fort vent commence à souffler … Nous sommes anxieux de découvrir l’état de la mer.

Par deux (un passager et un homme d’escorte) nous rejoignons le détachement précurseur et nous organisons la sécurité : un guetteur armé à droite et à gauche de notre emplacement. Le reste du groupe se camoufle dans les rochers et les arbustes à quelques dizaines de mètres seulement du bord de la mer, avec comme point de repère, la roche Escudelier dont la masse sombre, frangée de blanc est à peine visible.

Il fait très noir et les nuages assombrissent encore le ciel … le vent redouble de violence et la mer est maintenant très mauvaise … Nous commençons à avoir des doutes sur la possibilité de l’opération, … L’un de nous se détache à 22 heures, face à la mer et en profitant de l’abri précaire d’un rocher, commence avec sa lampe électrique les signaux prévus dans les messages d’ALGER … Il faut masquer, autant que faire se peut, ces signaux latéralement, car il ne faut pas oublier que nous sommes encadrés par les Caps LARDIER et CAMARAT occupés par l`ennemi qui patrouille entre ses deux bases…
La Mer reste déserte

Nos yeux sont grands ouverts sur le large cherchant anxieusement le kiosque du sous-marin. Les minutes passent … Nous guettons le signal lumineux, cette petite étoile filante surgie des profondeurs de la mer … Rien, toujours rien … Des vagues de plus en plus violentes viennent fouetter les pieds des signaleurs … Il est près de 24 heures … Plus d’espoir pour ce soir… Un dernier signal, il faut abandonner.

Déçus, mais nullement démoralisés, nous nous organisons pour passer la nuit à la belle étoile (si l’on peut dire). Nous rejoignons notre emplacement de départ à l’abri protecteur d’un bois. Nous nous camouflons en assurant à tour de rôle la garde de notre repos.
4 Mars .

Nuit sans incident. Au lever du jour, nous centralisons les vivres, boissons, cigarettes, afin d’en faire une répartition équitable. Un rationnement s’avère indispensable si notre situation doit se prolonger… L’inventaire de nos ressources est plutôt décevant.

Le dispositif de sécurité de jour est mis en place : il ne reste plus qu’à attendre avec philosophie et silence la nuit prochaine … Nous pensons que notre sous-marin croise au large, l`état de la mer l’ayant empêché de s’approcher de la côte…

Avec le grand jour, nous distinguons des marins allemands et des soldats italiens se déplaçant autour du phare du Cap CAMARAT, cependant rien ne vient troubler notre quiétude. Nous sommeillons et prenons des forces pour la nuit.

A 22 heures, le dispositif est en place dans les mêmes conditions que la veille. Le temps est meilleur, sans qu’il soit pour cela très satisfaisant. Une assez forte houle frange les rochers. L’espoir nous habite; IL VIENDRA…

Pendant une heure, toutes les cinq minutes, les signaux lumineux sont répétés inlassablement,.. Pas de réponse …
Fausse joie :

Soudain, vers 23 heures, un cri de joie vite réprimé… Une masse sombre vient de surgir brusquement à moins de 300 mètres de la côte … pas de doute, c’est lui … Un des guetteurs accourt, il a aperçu un signal lumineux … Branle-bas, rassemblement des bagages et adieux aux deux guetteurs qui assurent la sécurité … Nous rendons nos vivres qui seront bientôt avantageusement remplacés, pensons-nous, au carré des Officiers …

Les quatre partants sont au bord de l’eau, nous voyons maintenant nettement le youyou se diriger vers nous.
Une émotion joyeuse nous étreints …. J’embrasse PIROULAS … et … en quelques secondes tous nos espoirs s’envolent. Avec une soudaineté inconcevable, un grain se déchaîne …Eclairs, tonnerre, pluie diluvienne nous enveloppent; le vent souffle en bourrasque et CAILLOT manque presque d’être emporté par une lame …. Il faut l’aider à reprendre pied … Nos bagages sont mouillés, nous reculons pour nous mettre à l’abri combien précaire des rochers et arbustes pendant que l’un de nous, resté sur le bord, cherche à distinguer le youyou qui a disparu…

Quelques minutes après, la rage et l’angoisse au coeur, nous voyons disparaître la silhouette du ” CASABIANCA “.

Trempés, transis de froid, déçus et à vrai dire démoralisés, nous nous regroupons et pour nous préserver si peu soit-il de la pluie, nous nous serrons les uns contre les autres comme des moutons sous l’orage. Nous restons longtemps silencieux. Nos premiers échanges sont moroses, mais après cette défaillance, nous reprenons notre sérénité et c’est calmement que nous envisageons la situation.

Il n’est pas question de rester plusieurs jours ici en attendant le retour problématique du “tube”… Mais il est nécessaire que le groupe se disperse prêt à répondre au premier signal. Nous enverrons un agent de liaison à MARSEILLE prendre contact avec ” GEORGES-HENRY ” qui doit être informé par la radio de la D.S.M. d’ALGER, elle-même en liaison avec le « CASABIANCA », des possibilités dans un avenir relativement court.

En attendant, il faut laisser passer l’orage et avant l’aube quitter ces lieux malsains.
5 et 6 Mars.

La caravane, scindée en plusieurs tronçons, s’éloigne de la côte. Avec précautions, un détachement d’avant-garde se présente à une ferme, discrètement. Accueil sympathique, café. Après, une conversation à bâtons rompus avec le maître des lieux, M. Achille OTTOU, la glace est rompue.

Le fermier, jeune, sympathique, patriote ardent, connaît le pays comme sa poche. Il se met à notre entière disposition. Bientôt les autres camarades arrivent et les sept hommes sont camouflés après s’être restaurés.

Cette ferme servira désormais de ” gare maritime ” pour les passagers du SSM/TR, et la tentative avortée d’embarquement du 26 Novembre 1943 où notre camarade ALSFASSER trouva une mort glorieuse, n’a pas troublé la quiétude apparente de l’héroïque maison du ” Père tranquille “.

Aujourd’hui, une plaque commémorant ce Haut-Lieu de la Résistance, est en dépôt dans ce petit coin de Provence. Elle attend sa pose prochaine à son emplacement définitif, sur la roche Escudelier.

Qu’il soit permis ici, à ceux qui ont inauguré la ” Ligne ” de rendre un hommage particulier à M. OTTOU et à sa famille, pour leur accueil chaleureux et surtout pour la part immense qu’ils ont prise au succès des opérations suivantes.

Dans le but de limiter les risques, je décidai de nous dédoubler.

Tandis que nos camarades restaient sur place, avec PIROULAS et le petit GEORGES, je gagnais St-TROPEZ.

J’établis mon P.C. dans une villa dominant la baie mise à ma disposition par R. FOREST, compagnon du C.E. à PARIS en 1939-1940. Cet emplacement avait l’avantage d’être discret et de servir de relais entre MARSEILLE et la ferme d’ACHILLE. Le petit GEORGES établit la liaison avec ” GEORGES-HENRY ” et nous apprîmes ainsi que le ” CASABIANCA ” à la suite de sa tentative avortée du 4 Mars, était parti en CORSE déposer des passagers pour revenir nous prendre deux ou trois jours après.

FOREST nous mit en rapport avec un Directeur d’Agence Immobilière -motorisé- de St-TROPEZ, qui nous rendit de grands services.

Pour accélérer les liaisons avec MARSEILLE, Madame IMBERT, avec sa Simca, se mit à notre disposition. FOREST lui-même se multiplie, il connaît bien le pays et assure notre ravitaillement. Nous l’en récompensons en faisant largement honneur à sa cave …
7 Mars.

R.A.S. … Nous attendons dans l’ennui. Enfin, Jacques IMBERT arrive de MARSEILLE avec un message de ” GEORGES-HENRY ” : le ” CASABIANCA “, si le temps le permet, croisera au large de la roche Escudelier, le 8 Mars et éventuellement le lendemain. Se tenir prêt à partir de 22 heures dans les conditions prévues.

Je fais prévenir CAILLOT par le petit GEORGES. Nous rejoindrons nous-mêmes la ferme d’ACHILLE le 8 Mars vers 20 heures 30.
Nouvelle tentative, second échec

Dès le réveil, nous scrutons le ciel … Temps maussade, le vent n’est pas trop fort. La chance nous sourirait-elle enfin ?

Pour passer le contrôle italien de RAMATUELLE, nous avons décidé de profiter du camion de J. IMBERT, un véhicule de la Brasserie des « Bières de France », sa maison marseillaise.

Il a disposé ingénieusement de lourds fûts de bière tout autour de la plate-forme du camion bâché, laissant au centre un espace suffisant pour que nous puissions nous accroupir.

Vers 20 heures, nous faisons nos adieux à l’ami FOREST et le remercions de sa cordiale hospitalité … Nous nous camouflons comme prévu. La cachette se révèle excellente, bien qu’un peu inconfortable, J. IMBERT est au volant.

Au contrôle de RAMATUELLE, les Italiens doivent être à table car aucune autorité ne se manifeste. Mais J. IMBERT, qui aurait pu facilement brûler ce passage, arrête calmement son camion à hauteur du poste, descend et hurle : ” Il n’y a personne là-dedans ? “… Tapis dans notre ” Cheval de Troie “, nous n’apprécions pas du tout cette plaisanterie et nous maudissons cette initiative qui met nos nerfs à rude épreuve…

Un Italien sort du poste, IMBERT, avec une faconde bien marseillaise, entame une conversation très amicale avec l’Italien à qui il offre une cigarette …. Les minutes nous paraissent des heures et c’est avec soulagement que nous entendons démarrer notre lourd véhicule.

Dés la descente de RAMATUELLE terminée, par la petite lucarne qui correspond à la cabine avant, j’adresse à voix sourde des reproches véhéments à IMBERT … imperturbable. Il chantonne un air d’opéra italien … Il m’explique que c’était la seule façon d’inspirer confiance, car si nous avions brûlé le poste, nous risquions d’avoir un motocycliste aux trousses qui, rendu méfiant, n’aurait pas manqué d’inspecter sérieusement le chargement … Rétrospectivement, je pense qu’il a eu raison, mais nous nous souviendrons longtemps de ces quelques minutes, sensation intolérable d’impuissance du gibier traqué …

Nous atteignons la ferme d’ACHILLE. Le camion est bien camouflé. Nous descendons et retrouvons avec joie nos camarades. Grâce à ACHILLE, le déplacement vers la côte s’effectue beaucoup mieux car il connaît la région à fond et nous fait passer par des pistes hors de la vue des postes de guet ennemis.

Nous commençons à être ” rodés ” maintenant, et chacun prend son poste comme à la parade, sans bruit, calmement …. Le temps, sans être aussi mauvais qu’au cours de notre dernière tentative, est bouché. Le vent s’est levé et la mer est agitée.

A partir de 22 heures, nous fixons intensément la mer : plusieurs fois, nous croyons voir émerger le kiosque du sous-marin, mais ce n’est que la roche Escudelier. Nous faisons quelques signaux lumineux, en vain … Peu après minuit, nous regagnons avec tristesse notre ” cantonnement “.
9 Mars.

Journée à la ferme. Nous prenons l’air à tour de rôle. Discussions animées sur les chances de succès … Il y a le parti optimiste et le parti pessimiste… A défaut de Pythonisse, la belote tranche nos différends : Même scénario que la veille, le temps ne s’est guère amélioré. Nous sommes maussades … A minuit, retour désenchanté, la période favorable est maintenant passée, plus d’espoir pour ce mois-ci. La dispersion est décidée pour le lendemain avec les précautions d’usage.
10 Mars.

De retour à MARSEILLE, CAILLOT et moi prenons contact avec ” GEORGES-HENRY “. Nous apprendrons plus tard par message d’ALGER que le sous-marin est bien revenu croiser à son retour de Corse, mais que l’état de la mer ne lui a pas permis de tenter le débarquement du youyou. LHERMINIER est allé à l’extréme limite de ses possibilités et a dû rentrer, la mort dans l’âme.

Au service du T.R. 115. , avec IMBERT et PERPERE, nous prospectons des propriétés amies en Haute-Provence, pouvant servir à des parachutages de personnel et de matériel, accessoirement d’emplacements de postes émetteurs et de refuges pour des camarades traqués.

J’effectue quelques déplacements dans les Alpes-Maritimes, notamment à NICE où M. JANNING, propriétaire du ” Château de l’Anglais ” au Mont Boron, nous apporte son précieux concours et un refuge idéal, sa vaste propriété étant truffée de souterrains qui serviront maintes fois… A TOULON, je vois le Commissaire HACQ.

D’autres missions m’amènent en Haute-Garonne. A Toulouse, je suis heureux d’apporter à Madame PAILLOLE, la maman de ” PERRlER “, le réconfort d’un message filial. CAILLOT est parti à LYON, installer d’autres postes-radio.

LA ROUTE DU ” TUBE ” EST COUPEE
A MARSEILLE, l’activité bat son plein. On espère que le ” CASABIANCA ” pourra venir faire sa tournée mensuelle au début d’Avril, mais un message d’ALGER nous enlève toute illusion.

Si la route du ” tube ” est momentanément coupée, il reste le vaste domaine de l’Air … J’apprends avec joie que ” PERRIER “- PAILLOLE ” a décidé d’organiser avec les Anglais, l’envoi d’un avion d’Angleterre pour nous enlever avec le courrier. Un ” Lysander ” viendra nous chercher, le Colonel BONOTEAU et moi, à la lune d`Avril dans le Puy-de Dôme. I1 est nécessaire que je gagne CLERMONT-FERRAND où T.R. 115 assurera cette opération, en liaison avec le poste SSM/TR de LONDRES que dirige BONNEFOUS.
Du 6 au 7 Avril.

Adieux à ” GEORGES-HENRY ” et à ses collaborateurs sans oublier GROS. Je réunis mes amis pour un dernier repas.., sans tickets, ” GEORGES-HENRY ” me confie le courrier. GROS m’établit un congé de convalescence d’un mois pour VICHY et CLERMONT-FERRAND ainsi qu’une attestation d’identité.

Je me rends à LYON où je rencontre l’ami CAILLOT. Nous passons une journée agréable de travail, d’information et nous nous séparons.
8 et 9 Avril.

Séjour à CLERMONT. Rapports extrêmement sympathiques avec le Capitaine JOHANNES, Chef de T.R. 113. Je fais connaissance de Michel THORAVAL qui a déjà été parachuté deux fois pour le T.R. Il assure la liaison avec la R.A.F. par l’intermédiaire d’un poste radio de T.R,113, manié par L’ Adjudant SIMONIN qui trouvera une mort légendaire, surpris en pleine émission. Je revois avec joie HERRMANN, robuste protecteur, dont la mine défie le rationnement.

A DEFAUT DE SOUS-MARIN : L’AVION
Le « Lysander » doit venir à la prochaine lune, à partir du 15 Avril. La B.B.C. fixera le jour ” J ” par les messages suivants : ” Les voyages forment la jeunesse, a dit Mme de Sévigné ” , et ” Les bains de mer sont agréables en été ” (cette dernière déclaration est d’un humour certain quand on sait que le ” channel ” doit être survolé et que nous venons de patauger à la roche Escudelier).

Le lieu choisi après homologation par la R.A.F. est situé aux environs du hameau de PARDINES.

Je laisse le courrier au Capitaine JOHANNES et, d’accord avec lui, je m’installe à l’Hôtel Molière à VICHY, pour commencer ma… Convalescence… Je ne rejoindrai CLERMONT que 24 heures avant le début de la nouvelle lune.
10 au 15 Avril.

Séjour à VICHY très discret. Seul incident, j’évite de justesse de me trouver nez à nez avec le Commandant B…, ex-officier du S.R. ” Tourville ” qui a ” mal tourné ” et préside aux Contrôles Techniques.
16 Avril.

Dans la matinée, je reçois le coup de téléphone attendu. HERRMANN vient me prendre en voiture et nous filons pour CLERMONT-FERRAND où le Capitaine JOHANNES me donne une charmante hospitalité dans son pavillon. Le Colonel BONOTEAU est sur place, tout est paré. Les messages de la B.B.C, ont été entendus. ” L’opération PARDIES ” est prévue pour le 17 Avril à partir de minuit.
17 Avril.

Toute la journée est consacrée à la préparation du courrier d’ALGER, via LONDRES, et à l’organisation de l’ ” opération PARDINES “. Le Capitaine MERCIER de T.R. 113 accompagnera les passagers, secondé par MICHEL, SIMONIN et HERRMANN.

A l’heure prévue, la B.B.C, confirme l’opération.
Nous disposons de deux voitures pour nous rendre au terrain. Dans la première. HERRMANN dans sa tenue de gendarme assure notre sécurité.

Nous arrivons vers 11 heures sans encombre. Le paysage est sauvage, dénudé, pas la moindre ferme à l’horizon ; Si l’endroit est propice au point de vue sécurité, il ne semble pas présenter un terrain idéal pour atterrir en pleine nuit. Le sol est inégal, caillouteux, plein de trous et la surface utilisable est limitée par un ravin.

Le Colonel BONOTEAU et moi-même, avec nos précieux bagages, sommes à l’abri d’un couvert en bordure du plateau. MICHEL, SIMONIN et HERRMANN mettent en place le dispositif de balisage prévu : 4 lumières blanches en ligne et une lumière rouge à l’extrémité de la piste. MICHEL se tient prêt à émettre la lettre convenue avec la R.A.F.

Le ” Lysander ” doit être là à partir de minuit. Le temps est couvert et la lune, bien pâle, ne se montre que par intermittence … Nous sommes tous à l’écoute du bruit du moteur et allongés sur l’herbe sur le dos, nos yeux fixent le ciel pour essayer d’y trouver l’étoile filante gage de notre évasion.
Une demi-heure … Une heure … Une heure et demie … Toujours rien … Nous sommes à la limite des possibilités car l’avion devra regagner la Grande-Bretagne avant le lever du jour.

Il est un peu moins de deux heures quand un ronronnement se fait entendre, léger d’abord et très rapidement assourdissant. L’avion vient de frôler nos camarades et au moment où nous le voyons immanquablement rouler dans le précipice, le pilote réussit acrobatiquement à reprendre de la hauteur.

HERRMANN, porteur de la lampe rouge, a failli être scalpé par le train d’atterrissage.

MERCIER prend l’heureuse initiative de faire déplacer rapidement les lampes de quelques dizaines de mètres. Quelques minutes plus tard, le ” Lysander ” au mépris de toute prudence, atterrit tous phares allumés et le Colonel BONOTEAU n’a que le temps de se déplacer rapidement pour éviter l’accrochage… l’avion freine à fond et s’immobilise quelques secondes avant de rouler pour gagner l’extrémité du terrain, prêt au décollage.
Un coup de feu Inquiétant.

Nous nous précipitons en même temps qu’un coup de feu nous fait sursauter … Nous nous écrasons au sol, l’arme à la main, quand le pilote anglais, flegmatique, une cigarette dans une main, un revolver dans l’autre, nous montre le pneu de son avion qu’il vient de crever. MICHEL faisant l’interprète nous indique qu’un silex a crevé un pneu en prenant contact avec le sol et que l’avion déséquilibré risquant de capoter au décollage , le pilote n’avait pas d’autre solution pour rétablir l’équilibre… Le départ sera acrobatique…

Les valises sont rapidement chargées et nous prenons place, le Colonel BONOTEAU et moi, dans un étroit habitacle. Nous faisons glisser sur nos têtes une sorte de toiture en plexiglas.

VERS ALGER… AVEC ESCALE A LONDRES
Le temps n’est pas aux effusions et il faut repartir. Le moteur n’a pas arrêté de tourner. Dans un vacarme Infernal, il donne son plein régime et nous avançons. Nous sommes secoués comme dans une machine à laver et nous sentons le moindre caillou du terrain .. Nous éprouvons la sensation pénible que nous n’arriverons jamais à décoller …. Enfin, après une secousse que nous percevons avec acuité, nous ressentons soudain l’ivresse de voler presque silencieusement … Nous prenons de la hauteur, pas suffisamment à notre gré, car il nous paraît d’une folle témérité de survoler un territoire occupé à une altitude qui ne dépassera jamais 800 mètres, sauf à l’approche de la Manche …

Nous sommes reliés avec le pilote par une sorte de petit téléphone … Nous devons lui communiquer toutes nos observations : avion ennemi, tirs de D.C.A… Il nous indique que nous avons des bouteilles thermos à bord, contenant thé et café … La deuxième boisson a notre préférence, nous aurons toujours le temps à LONDRES de la sacrifier au breuvage national.

Nous arrivons, le Colonel BONOTEAU et moi, à échanger quelques paroles, mais il faut crier … Nous sommes en pleine euphorie, sans pour cela oublier nos camarades qui ont assuré notre départ et qui, à l’heure où nous volons vers la Liberté, sont au danger … Le bruit des détonations (moteur et coup de feu) a peut-être alerté l’ennemi ?

Notre vol se poursuit… La terre de France se déroule sous nos yeux; nous distinguons très bien des hameaux, des rivières, des forêts. L’itinéraire minutieusement choisi évite les grands centres et nous survolons presque constamment la campagne; quelquefois à très basse altitude.

Vers 5 heures, après avoir pris de l’altitude, nous survolons la MANCHE. Pendant quelques instants, la lune perce les nuages et l’eau scintillante nous offre un spectacle de toute beauté.

Encore une demi-heure et nous apercevons le rivage de la GRANDE-BRETAGNE . Nous perdons de l’altitude et tout à coup nous avons la surprise de survoler quelques secondes un magnifique terrain illuminé par des projecteurs…

Nous saurons plus tard que le pilote avait averti Portsmouth que ses deux pneus étaient crevés, ce qui avait motivé cet éclairage proscrit en temps de guerre … Une ambulance et les pompiers étaient prêts à intervenir … Fort heureusement, le pilote, très habile, pose son engin au sol sans autre dommage que de brutales secousses.

Nous aurions eu autrement peur si nous avions su que notre train d’atterrissage était entouré de plus de trois mètres de fil à haute tension que nous avions arrachés au départ …

Et c’est dans un hangar de la R.A.F. qu’un whisky à la main, nous remercions notre pilote.

Quarante-huit heures plus tard, restaurés, habillés, nous arrivions à ALGER. , heureux de notre réussite. Nous remettions au Cdt. PAILLOLE, l’abondant et précieux courrier du T.R. de France : ” Mission remplie, mon Commandant “.

Article paru dans le Bulletin N° 8

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La naissance de la mission PEARL HARBOUR le role decisif du Colonel Ronin

Le 8 novembre 1942 les Alliés ont débarqué à Alger et au Maroc avec les péripéties que l’on sait. A Vichy, les Colonels Rivet et Ronin, certains que l’Armée de l’Armistice ne s’opposerait pas à l’entrée des Allemands dans la zone Sud (dite « libre »), s’envolent de Marignane le 10 novembre 1942 à 4 h 30, accompagnés de quelques officiers. Ils atterrissent à Biskra trois heures plus tard.

Situation confuse. Ordres contradictoires. Grâce à la maîtrise de la Direction de la S.M. en A.F.N. et au sang-froid de son chef, le Lieutenant-Colonel Chrétien, les deux colonels peuvent gagner Alger le 13 novembre 1942. Les nouvelles du Maroc demeurent contradictoires. L’organisation du Commandement est ambigu Seul le Général Juin leur exprime ses inquiétudes devant la menace que représente la Wehrmacht qui débarque en force en Tunisie, tandis que les Alliés poursuivent leur débarquement et que les forces françaises d’A.F.N. sont toujours choquées par les incertitudes et l’absence de directives.

Le 14 novembre Rivet et Ronin sont reçus par le Général Giraud dont les attributions sont encore mal définies. Le Général est soucieux lui aussi de la pression allemande en Tunisie et réclame des renseignements. Avec l’aide de la D.S.M. et du Commandant Michel de l’Armée de l’Air, les deux colonels installent leur P.C. à Alger, rue Charras (ex-local de la délégation d’armistice pour l’Air). Les jours qui suivent sont consacrés à l’élaboration d’un projet de « Direction S.R.- S.M. » — Il sera approuvé le 18 novembre 1942 par Darlan.

Les contacts sont rétablis avec Tunis, Rabat et Dakar — la liaison radio avec nos réseaux clandestins métropolitains est recherchée. Le 22 novembre, réunion sous la présidence du Général Bergeret, nommé Haut-commissaire adjoint. Camarade de promotion et ami de Ronin, Bergeret qui a une vision nette de la situation intérieure et extérieure, exprime les besoins en renseignements, immédiats et à court terme. L’objectif prioritaire demeure la libération du territoire, en A.F.N. puis en métropole, la Corse devant être la première étape à franchir. Le 26 novembre, Bergeret reconvoque Ronin et insiste sur les besoins en renseignements sur la Tunisie et la France en particulier sur la Corse.

Le 26 novembre, les représentants de l’I.S. et le Colonel Eddy de l’O.S.S., se mettent d’accord avec Rivet et Ronin pour la coordination des efforts de recherches. La Corse est placée en tête des objectifs à atteindre. Ronin est chargé de la préparation de l’opération. Le 27 novembre, c’est le sabordage de la flotte à Toulon. L’I.S. délègue auprès de Rivet et Ronin, les Colonels Craxfort et Winterbotham.

Le 1er décembre 1942, la liaison avec nos réseaux métropolitains est rétablie. Le 4 décembre 1942, Ronin, Winter-Botham, Crawfort et Eddy mettent au point la constitution de la mission à lancer sur la Corse. Ronin, familiarisé dans le travail en zone occupée, décide de confier la direction du Commando à mettre sur pieds, à l’un de ses agents confirmés en métropole et replié à Alger, le Belge de Saule. Le Colonel Chrétien recherchera des volontaires d’origine Corse et connaissant bien l’île. Il est convenu que l’opération sera exclusivement française avec l’appui logistique des Alliés. Le Commandant L’herminier, évadé de Toulon avec le sous-marin ” Casabianca ” et volontaire pour effectuer des missions sur les côtes françaises, sera chargé de la préparation et de l’exécution du débarquement du Commando (que Ronin baptise Pearl-Harbour) sur la côte corse.

Un secret absolu sera de rigueur. Le 5 décembre 1942, Chrétien a recruté des volontaires. Eddy propose un électricien nommé Brown, spécialiste des appareils radio, pour représenter l’O.S.S. dans la préparation technique du commando. Le Commandant L’herminier prend contact avec Ronin. Le 7 décembre 1942, réunion au P.C. de la D.S.M. à El Biar, des participants à l’opération Pearl-Harbour, sous la présidence du Colonel Ronin et en présence de L’herminier. Présentation du Commando : Le Commandant de Saule, son adjoint le Lieutenant Toussaint Griffi, le radio Pierre Griffi et Preziosi. La mission est définie recherche de renseignements sur l’occupation italo-allemande en Corse, recrutement et constitution de réseaux de résistance qui seront ultérieurement armés. Les conditions du débarquement clandestin sur les côtes corses sont précisées par L’herminier. Des conseils et des instructions de détails sont donnés pour la bonne exécution de la mission. Le 9 décembre 1942, l’équipe du Commando réunie à El Biar pour un dernier briefing est amené à bord du ” Casabianca ” où l’accueille L’herminier et ses seconds Belley et Chaillet. La journée du 10 décembre est passée dans le sous-marin. Ce n’est que le 11 décembre 1942 à 19 heures que le ” Casabianca ” se met en route vers la Corse où, le 14 décembre 1942 à une heure du matin, la mission Pearl-Harbour est déposée sur la plage de Tofiti, commune de Cargèse.

Note de la Rédaction : Ce qui précède est le résumé du journal de marche du Général Rivet ainsi que des souvenirs du Colonel Chrétien (déposés au SHAT de Vincennes dans le fonds particulier du Colonel Paillole).




Histoire abregee du poste SR de MARSEILLE et de son annexe NICE (1)

Nous avons le plaisir de publier à partir de ce numéro l’histoire d’un de nos Postes S.R. que notre prestigieux camarade, le Colonel GALLIZIA, Délégué Départemental de l’A.A.S.S.D.N. pour les Alpes-Maritimes nous a livrée apportant sa contribution à la restitution de notre « Sacrée Vérité ». Nous l’en remercions au nom de tous.

I. — DE LA FONDATION A L’ANSCHLUSS

Mon récit commence en avril 1938, lorsque j’arrive au poste S.R. de MARSEILLE, jeune capitaine venant d’un régiment d’infanterie alpine. C’est le moment où « avec l’Anschluss débute le drame ». Le poste achevait une restauration qu’avaient nécessitée deux années de léthargie. Il avait été créé en 1929 afin de coordonner l’activité des deux postes existant alors dans le Sud-Est, à NICE et à CHAMBERY, qui dépendaient directement du Service Central et dont la mission principale était le renseignement sur l’Armée italienne. Ceux-ci devinrent donc des annexes du poste de MARSEILLE. Or, « depuis le début de 1933, nous étions en relations suivies avec l’Italie, d’abord dans le cadre du Pacte à Quatre, puis, après l’échec définitif de cette conception, en vue d’une entente anglo-franco-italienne ». Fin juin 1935, le Général GAMELIN et le Maréchal BADOGLIO signèrent à ROME une convention militaire relative à la collaboration des forces de leurs pays dans le cas d’une action de l’Allemagne contre l’Autriche. Des raisons politiques déterminèrent ainsi l’État-major de l’Armée à mettre en veilleuse le poste de MARSEILLE, et quand son fondateur, le chef de bataillon BARBARO, qui l’avait quitté en juin 1934 pour effectuer un temps de commandement, y revint, en juin 1936, il n’y trouva presque plus de personnel et plus du tout d’agents. L’annexe de CHAMBERY avait disparu et celle de NICE, cessé de fonctionner. Cependant, en mars 1936, mois de la réoccupation de la Rhénanie par les troupes allemandes, « il ne restait rien, soit de la politique du Pacte à Quatre, soit de celle de STRESA », L’Italie, « engagée à fond dans l’affaire d’Éthiopie, condamnée et sanctionnée par la Société des Nations, se rapprochait chaque jour davantage de l’Allemagne. Quelques mois avaient suffi pour ruiner l’unité d’action des Alliés.., et pour réduire à néant les accords militaires franco-italiens conclus au cours de l’année 1935 » Il fallut encore d’autres mois pour que l’E.M.A. rendit la main au poste de MARSEILLE, mais grâce à la compétence et à l’énergie de son chef, le poste repartit très vite, et au bout de deux ans de travail acharné, il était parvenu à accomplir totalement sa mission.

II. DE L’ANSCHLUSS A LA GUERRE

Le poste de MARSEILLE s’appelait la Section d’Études Régionales. On disait d’ordinaire la S.E.R. Il était installé dans de vastes locaux à l’étage supérieur d’un des bâtiments de la caserne Audéoud, près de l’anse des Catalans. En ce mois d’avril 1938 où je viens d’y être affecté pour remplacer le Capitaine Henri GISCARD -d’ESTAING qui prend le Commandement du Bureau des Liaisons, nom de l’annexe de NICE, il se présente comme suit : A MARSEILLE, Chef de poste Commandant BARBARO — Renseignement Armée de terre Capitaine GALLIZIA (à qui sera adjoint en août le Lieutenant MARTIN) — Renseignement M.G. (matériel de guerre) : Capitaine AUDIERNE — Renseignement Air Capitaine REVERDY — Renseignement Allemagne: Capitaine GUIRAUD — Contre-Espionnage : Lieutenant BOURDEL Annexe de NICE : Capitaine GISCARD d’ESTAING, adjudant-chef CAMBOURS. Annexe de THONON Capitaine GOBIS. Le Colonel BARBARO a été l’une des plus brillantes figures du S.R. français. Saint-Cyrien de la promotion 1913-1914, breveté d’état-major, c’était d’abord un tacticien dont les leçons sur le terrain restèrent inoubliables dans la garnison où il commanda un bataillon, juste avant que j’en commande une compagnie. Très grand, mince avec un visage fin, il imposait à tous par son intelligence, sa distinction, son autorité naturelle la flamme intérieure qui l’habitait, la fermeté de son caractère et son désintéressement absolu. A la S.E.R. de 1938, les novices que nous étions à peu près tous aimaient et respectaient ce patron prestigieux, aussi juste et bienveillant qu’exigeant, qui à ses dons intellectuels et à sa longue expérience joignait un remarquable talent d’organisateur et cette espèce de génie intuitif de l’anthropologue reconstituant à partir de quelques os, fossiles, le squelette d’un préhominien. Mais à vrai dire, nous disposions de beaucoup plus, et les résultats furent moins incertains, GISCARD me laissait un ordre de bataille si complet et si exact que pendant plusieurs semaines, je n’eus rien à y inscrire que les mutations des commandants d’unités. J’avais l’impression d’appartenir à la direction du personnel de l’armée italienne. C’était d’ailleurs une plaisanterie courante au Service de raconter que MUSSOLINI, lorsqu’il désirait savoir où se trouvait un de ses régiments, téléphonait au commandant BARBARO. Puis, tout fut à recommencer parce que nos voisins réorganisèrent leur armée, principalement en augmentant le nombre de leurs divisions d’infanterie — ramenées pour cela de trois régiments d’infanterie à deux — ce qui entraînait la création d’état-majors, de régiments d’artillerie, de bataillons du génie, de compagnies de transmissions, etc. et un bouleverse ment général des garnisons et de la numérotation des unités. En même temps, la défense des frontières était rénovée par l’établissement de secteurs de couverture le long de l’arc des Alpes , de VINTIMILLE à FIUME, dispositif comparable à celui de nos troupes de forteresse. Enfin, l’armée fut dotée de divisions cuirassées. La vie au poste devint fiévreuse et passionnante. Nous suivions au fur et à mesure cette immense transformation. Quelles étaient nos sources? On peut classer les sources d’un service des renseignements dans deux groupes, selon qu’elles lui sont propres ou non. Parmi celles qui ne le sont pas figuraient en premier lieu les écrits publiés, les interceptions par écoute radio et les déserteurs. Le poste recevait d’Italie une quantité considérable de journaux et de revues de toutes sortes et, d’autre part, collectionnait les annuaires les plus divers, Bien que ces publications fussent soumises à des règles de secret très strictes les emplacements des unités, par exemple, ne devaient jamais être décelables — il y avait beaucoup à y glaner. C’est affaire d’attention et de rapprochements . Deux fois par semaine, le planton déposait sur mon bureau un énorme paquet de télégrammes interceptés par les centres d’écoute spécialisés situés sur le territoire des 14° et 15° régions militaires . La moitié de ces télégrammes étaient chiffrés, et le poste les expédiait à la Centrale pour décryptement. Le reste ne présentait qu’un médiocre intérêt. Cependant, les secteurs de couverture récemment constitués transmettaient de nombreux messages en clair — faute de moyens de chiffrement peut-être — et sans précautions; ainsi furent-ils assez vite bien connus de nous. Il ne se passait guère de semaine que la gendarmerie n’avisât la S.E.R. de l’arrivée d’un déserteur italien dans quelque localité des départements- frontière, l’interrogatoire des déserteurs en temps de paix appartenant alors au S.R. Mais il ne s’agissait pas toujours de ce qu’on nous annonçait. Certains immigrants clandestins, sachant que les autorités françaises donnaient asile aux déserteurs, se prétendaient tels, crainte d’être refoulés. L’un de nous se rendait sur place. Ce genre d’information, simple et facile, était d’un excellent rendement. Le patron, par son exemple — car il parlait peu — nous avait appris à tirer quelque chose même de ceux qui essayent de nous duper. C’est toutefois dans l’emploi des moyens propres aux services des renseignements, savoir les informateurs — agents rétribués ou H.C. (honorables correspondants) bénévoles — que consistait essentiellement la tâche du poste. Les procédés de recrutement et de manipulation des agents ont été largement décrits dans d’innombrables ouvrages. La tradition du S.R. veut qu’en la matière rien ne soit révélé de son activité passée. Je ne connais au demeurant qu’une faible partie des affaires traitées par la S.E.R. Ce serait fausser son bilan que de s’en tenir à celles-ci. Je me bornerai donc à quelques observations — Les grands agents sont rares. La plupart ont fait des offres de service ou sont amenés par le hasard. Il faut, pour les découvrir, une organisation développée et de la patience. Le poste de MARSEILLE, très amoindri par son endormissement forcé en 1935, n’ eut que trois ans pour combler son handicap. Il n’est pourtant pas douteux qu’il réussit à se procurer dans ce court laps de temps des documents et des renseignements fort importants. — L’urgence et les grosses modifications apportées à l’ordre de bataille de l’armée de terre en 1938 conduisirent le poste à utiliser une multitude d’informateurs occasionnels et de petits agents chargés de reconnaissances, dans le nord de la péninsule surtout. Guettés par un service de contre- espionnage puissant et habile, ces derniers ne revenaient pas tous, mais le résultat cherché fut, dans l’ensemble, obtenu.

— Le poste ne négligea pas les possibilités des H.C., français ou étrangers amis de la France, mais, comme il se doit, il n’en usa qu’avec modération. On a parfois moqué cette catégorie d’informateurs, bien à tort. Certains d’entre eux sont à même de recueillir au-delà des frontières, dans les milieux qu’ils fréquentent ou auprès des personnalités qu’ils connaissent, des renseignement militaires, économiques et politiques de valeur. Du printemps de 1939 à celui de 1940, des industriels, des financiers, des vedettes du monde artistique et littéraire, des princes — princes prétendants et princes de l’Église — avertiront le S.R. que l’Italie se préparait à la guerre contre la France et que personne n’empêcherait le Duce de la déclarer si notre situation militaire devenait défavorable. Dès 1938, le Commandant BARBARO ne nourrissait à ce sujet aucune illusion. Il commençait à jouer les Cassandre. L’annonce de l’envoi, cette année-là, d’une division française sur la frontière italienne avait fait rire à PARIS. L’annexe de CHAMBERY fut néanmoins réédifiée dans le courant de l’hiver 1938-1939, et c’est au capitaine LE TROTER, un ancien de la section Midi , qu’on en remit le soin. 20 septembre 1938 — La crise des Sudètes déclencha la première phase du plan de mobilisation de la S.E.R. Le poste se transporta à ANNEMASSE, et je fus détaché au consulat de France à LUGANO. Mais la signature des accords de MUNICH nous ramena tous à MARSEILLE. 15 mars 1939 — Les Allemands envahissent la Tchécoslovaquie. Le 7 avril, leur partenaire s’empare de l’Albanie. La guerre approchait. D’avril à juillet, le jeu des temps de commandement obligatoires dans chaque grade provoqua toute une série de changements au poste. LE TROTER, rappelé à la Centrale pour diriger la section Midi, cédait son annexe à un jeune officier que j’avais connu à MODANE et signalé, le Lieutenant PIGEOT, un alpin donc, comme nous l’étions presque tous. GOBIS était muté au 81° R.I.A., à BEZIERS (mon ancien régiment, celui aussi du commandant BARBARO et de MARTIN). L’annexe de Haute-Savoie fut alors déplacée de THONON à ANNEMASSE, fief historique du Service, et j’en reçus le commandement. Le Lieutenant PERIER, nouvellement affecté à la S.E.R., seconderait MARTIN au Renseignement Terre. Enfin, le Capitaine MANARANCHE, qui avait été l’officier M.G. du poste avant d’aller en 1936 commander le fort de TOURNOUX, en Ubaye, réoccupa la place qu’avait tenue, durant son absence, le Capitaine AUDIERNE.

Officier d’artillerie de vive intelligence et parfaitement organisé, MANARANCHE avait constitué dans son domaine — armement et production de matériel de guerre — une riche documentation, comme le faisait dans le sien — aviation — REVERDY qui, nanti d’un filon de premier ordre, submergeait de plans et de croquis notre atelier photographique. Nous étions prêts. MUSSOLINI, de nouveau, pouvait téléphoner. Pour les dix régiments d’alpini, le patron était même en mesure de lui indiquer l’emplacement des compagnies.

III. — DE L’ENTRÉE EN GUERRE A L’ARMISTICE

A la mobilisation, la S.E.R. recevait un gros renfort de réservistes : une trentaine d’officiers, plus des sous-officiers et des hommes de troupe, comptables, secrétaires, chauffeurs, plantons. Les annexes s’étoffaient; celle de NICE, pièce principale du poste, un peu plus que les autres, mais la mienne, avec ses neuf officiers, dont un aviateur et un marin, ses trois sous-officiers et ses trois chauffeurs, sans parler des secrétaires et des plantons, faisait aussi bonne figure. Je l’installai à la gendarmerie. L’enseigne relevait du S.R. Marine et n’était que notre hôte, mais il travaillait en liaison étroite avec nous, et chacun y trouva son compte. Deux annexes venaient au jour, à GENÈVE et à LUGANO, sous la forme d’officiers de réserve détachés comme fonctionnaires dans les consulats de France. Elles se reliaient à MARSEILLE, directement en principe, pratiquement par le canal de l’annexe d’ANNEMASSE où elles quêtaient sans cesse des conseils, de la documentation, des concours, et je devins pour ces avant- gardes une sorte de tuteur . Les moyens d’information de la S.E.R. s’accroissaient encore de deux éléments : les postes d’interrogatoire, qui lui appartenaient en propre (ils dépendaient des annexes) , et les contrôles postaux. Les postes d’interrogatoire, composés chacun d’au moins deux officiers de réserve, choisis et préparés en temps de paix, et petit personnel, fonctionnaient aux frontières, entre GEX et MENTON, sur les principales voies ferrées et routes internationales. Les officiers, sans la moindre pression, s’enquéraient auprès des voyageurs venant d’Italie, avec qui souvent ils faisaient un bout de chemin. Ce système, lorsque les exécutants en eurent acquis l’expérience et surent bien ce qu’ils devaient rechercher, fut une source abondante de renseignements divers, en particulier de renseignements militaires précis et précieux. Le contrôle postal intérieur ne fournissait à peu près rien qui intéressât le S.R. En revanche, les interceptions du contrôle postal international tom baient fréquemment sur des numéros de secteurs postaux, quelquefois sur des numéros ou des emplacements d’unités, des noms de généraux et de colonels, et sur d’autres indiscrétions de soldats qui écrivaient à des parents ou des amis en France. La correspondance du comte SFORZA, exilé sur les bords du lac Léman, me captivait. Cela finissait par faire beaucoup de choses. Somme toute, nous étions gâtés. Nous possédions les moyens de la guerre sans en subir encore les difficultés. Le Commandant LOMBARD, chef du poste de BELFORT, le S.C.M . , se heurtait à la plus sérieuse de ces difficultés, l’imperméabilité de la frontière franco-allemande, qui le contraignait à déborder l’ennemi par le sud. Il avait, dès la déclaration de guerre, installé une annexe à PONTARLIER. Il en créa, peu après, une autre à ANNEMASSE, malgré qu’en eût le (fraîchement nommé) Lieutenant-Colonel BARBARO. L’existence, dans cette petite ville, de deux annexes autonomes et commises au même genre de mission risquait de diminuer leur crédit auprès des pouvoirs locaux et de susciter entre elles une concurrence fâcheuse sur le terrain du recrutement des informateurs. Cependant, parce que le Capitaine HUMM, chef de l’annexe du S.C.M., et moi, nous étions des hommes bonne volonté, parce que j’étais le plus ancien des deux, que mon annexe bénéficiait de la priorité et qu’elle disposait seule de moyens susceptibles de servir à l’un comme à l’autre (les postes d’interrogatoire, les interceptions postales, l’aviateur, le marin) et parce que, tout de même, nous chassions dans des directions opposées, la coordination nécessaire s’opéra sous mon autorité sans effort. Les deux annexes cohabitèrent quelque temps à la gendarmerie, puis, trop serrées, elles se transportèrent d’un commun accord dans une grande villa cachée au milieu d’un parc, l’Italie au rez-de-chaussée, l’Allemagne au premier étage. L’armée italienne commençait à se déployer sur la ligne des Alpes-Occidentales. Le poste de MARSEILLE, grâce à un de ces « grands agents » que j’ai évoqués, en connaissait le plan et, par d’autres voies, s’aperçut très vite de sa mise en oeuvre. Il semble qu’en haut lieu, on en ait douté ou qu’on ait préféré l’ignorer de peur d’énerver MUSSOLINI . Au mois de décembre, en effet, le patron fut l’objet de reproches pour avoir averti l’armée des Alpes que le 4ème Corps d’Armée italien, dont le commandement était à BOLZANO, faisait mouvement tout entier vers la frontière française. Le dimanche 7 avril 1940, un renseignement sensationnel passa par mes mains. Il provenait de l’envoyé spécial à BERLIN d’un grand journal américain, M. IRVING, qui commentait régulièrement l’actualité à la radio allemande et, par cette émission, au moyen d’un code, adressait des informations secrètes à son épouse, domiciliée à GENÈVE. Mme IRVING les communiquait au correspondant local du poste de BELFORT. Dans la soirée du 6 avril, IRVING transmit le message suivant : « Fortes concentrations de troupes et de navires de transport dans les ports de la Baltique (il en citait plusieurs). Invasion du Danemark et de la Norvège imminente. Mme IRVING se précipita, mais ne parvint pas à joindre son interlocuteur habituel, sans doute absent de GENÈVE, et porta le message à l’un des membres de notre annexe, qu’elle connaissait aussi. Celui-ci traversa la frontière aussitôt qu’elle fut ouverte , sept heures, je crois, et dix minutes après, il me remit le renseignement, que je montai immédiatement chez HUMM. L’agression se déclencha le surlendemain, 9 avril, à l’aube. 10 juin 1940. — L’Italie déclare la guerre à la France. Les Français habitant ou voyageant en Italie rentrent hâtivement dans la mère patrie. Les derniers convois passèrent par la Suisse. Nos postes d’interrogatoire firent une belle moisson auprès de ces fugitifs qui, indignés du « coup de poignard dans le dos » ne demandaient pas mieux que de servir toute de suite leur pays de la façon qu’on leur proposait. Je me souviens d’un de nos compatriotes, ingénieur dans une usine de constructions aéronautiques en Lombardie, qui accepta de se détourner de sa route et de s’arrêter à ANNEMASSE pour un entretien avec l’officier aviateur de l’annexe. Il lui donna des informations d’un grand intérêt et un échantillon d’un métal spécial employé par son usine. Il n’avait jamais eu de contact avec le S.R. Je prenais des notes, ouvris un fichier. Je pensais que cela pourrait être utile un jour, après la guerre… En face de notre armée des Alpes ont été massées trois armées italiennes réunissant trente divisions dont les effectifs théoriques et des dotations en matériels sont très incomplètement réalisés, à raison des pertes subies au cours des campagnes précédentes . Il m’est impossible de confronter avec ces armées, telles qu’elles se présentent sur le théâtre des opérations, l’image qu’à son QG. peut en avoir le Général OLRY. C’est d’ailleurs une question qui sort du cadre de cette histoire, car si important que fut le rôle de la S.E.R., elle n’était pas, dans le domaine italien, le seul instrument de recherches. Mais je dois attester qu’en juillet et août 1940, j’ai recueilli, de la bouche d’officiers des deuxièmes bureaux de l’armée des Alpes et d’officiers de liaison avec l’armée italienne, de nombreuses preuves de l’exactitude et de l’étendue des renseignements produits par le poste. Un officier de réserve de mon annexe qui, affecté à la Direction de la Commission d’Armistice à AVIGNON, parcourut la ligne d’armistice, en fut stupéfié. Pour le Lieutenant-Colonel BARBARO en juin 1940, ainsi qu’aux yeux du Commandant LOMBARD en septembre 1939, les armées en présence fermaient hermétiquement la frontière. L’annexe de NICE perdait la quasi-totalité de ses facultés. GISCARD et deux de ses officiers furent envoyés en mission en Espagne. ANNEMASSE deviendrait la première base de pénétration de la S.E.R., peut-être même le siège de son état-major, comme en septembre 1938. Était-ce dans cette éventualité que le patron m’avait pressenti sur une affectation à BUDAPEST ? En tout cas, il consolida sa position en Suisse par la constitution d’une troisième annexe à LAUSANNE. Mais Dieu dispose. Le repli de la Centrale a commencé le 11 juin. Les annexes de la S.E.R. reçurent l’ordre de préparer le leur. De MARSEILLE, on m’avisa que le poste serait dirigé sur PORT-VENDRES et embarqué pour l’Afrique du Nord. Le Commandant LOMBARD arriva à ANNEMASSE le 15 ou le 16. L’idée de continuer la guerre dans l’empire nous paraissait à tous naturelle et quand, le 17, à la radio, le Maréchal PÉTAIN annonça qu’il fallait « cesser le combat », je fis part de nos sentiments au chef du S.C.M. qui en rendit compte aussitôt par téléphone au Colonel RIVET. Puis ce fut le départ général pour des destinations différentes. La S.E.R. devait se rassembler à CAISSARGUES, à 4 kilomètres au sud de NIMES. MARSEILLE me prescrivit de brûler mes archives, sauf quelques documents essentiels qui tenaient dans une serviette. Je réquisitionnai un petit camion de déménagement afin d’emporter le matériel, car je ne voulais rien laisser aux Allemands. L’annexe se replia par échelons successifs. Conformément à mes consignes, je restai à ANNEMASSE le dernier, avec un chauffeur, me renseignant auprès des brigades de gendarmerie sur l’avance de l’ennemi, et lorsque ses éclaireurs passèrent à PONT-D’AIN, le 20 ou le 21, je pris la route du Midi.

IV. — DE L’ARMISTICE A L’OCCUPATION DE LA ZONE SUD

La S.E.R. demeura à CAISSARGUES une dizaine de jours durant lesquels les réservistes furent démobilisés. Le désastre avait été si soudain que nous, les cadres du poste, grandis, instruits ou mûris dans un air de victoire et de supériorité militaire, nous qui n’avions pas été battus, nous ne pouvions le croire irrémédiable. Bien que nous n’eussions pas entendu ni lu l’appel du Général de GAULLE, nous pensions et nous disions que la guerre n’était pas finie.

Le Lieutenant-Colonel BARBARO allégea et remania son dispositif. L’annexe d’ANNEMASSE disparaissait. GISCARD, brûlé à NICE, était affecté à la Centrale, à VICHY, comme adjoint du Commandant LE TROTER, toujours chef de la section Midi, et je lui succédais sur la Côte, mais provisoirement à SAINT-RAPHAEL, pour une raison de sécurité . GUIRAUD passait au service de contre-espionnage camouflé en Entreprise de Travaux Ruraux. PIGEOT allait à LAUSANNE, sous l’autorité de l’attaché militaire adjoint à BERNE, et PERIER le remplaçait à CHAMBERY. BOURDEL rejoignait son arme. Enfin, REVERDY se séparait de nous, le service de recherches Air devenant indépendant. Le poste, appelé désormais P.5, se composait donc en juillet 1940 des éléments suivants — à MARSEILLE Lieutenant-Colonel BARBARO, Capitaine MANARANCHE, Capitaine MARTIN, deux secrétaires, un radio, un chauffeur.; — à NICE Capitaine GALLIZIA, Adjudant-Chef CAMBOURS; — à CHAMBERY Lieutenant PERlER. Notre mission ne changeait pas. Elle ne changeait jamais. Le S.R. continuait, impassible, si les coeurs étaient blessés. Les modalités de notre action seraient différentes, certes, mais nous la poursuivions sans nulle impression de rupture, et les mots successifs dont on l’affublerait plus tard n’auraient pour nous aucun sens. Le poste abandonna ses casernes, et son état-major se transféra dans un petit appartement, rue de Rome, près de la place Castellane. Les divers matériels furent entreposées dans un local du quartier des Catalans et les archives enterrées, partie à MARSEILLE, dans la propriété du Capitaine MANARANCHE, partie à OPPEDE , dans celle du Capitaine BOIRON, un officier de réserve d’aviation qui avait été mobilisé à la S.E.R. et qui maintenant servait au S.R. AIR. Tous ces dépôts seront récupérés à la Libération et réemployés à la tâche séculaire. A SAINT-RAPHAËL, je louai une petite villa sur la colline, et mon adjoint se logea à l’hôtel. L’Adjudant-Chef CAMBOURS était un ancien du poste de NICE où il se trouvait déjà comme sous-officier secrétaire du temps que le Capitaine BARBARO le commandait. Ainsi de l’annexe qu’on me confiait et des milieux dans lesquels elle avait prospéré connaissait-il à peu près tous les personnages, les arcanes et les détours. Nous visitions notre domaine. CAMBOURS me présenta les H.C. qui conservaient des possibilités, les officiers de réserve qui avaient été mobilisés au Bureau des Liaisons, soit à NICE, soit dans les postes d’interrogatoire, et quelques fonctionnaires dont mon prédécesseur avait apprécié la serviabilité. Je pris contact avec les autorités militaires, administratives et autres des Alpes-Maritimes, celles de la police en particulier, de qui ma besogne requérait le concours. Sur place, un commissaire spécial retraité nous mit en rapport avec son ami MOREAU, secrétaire de la mairie de SAINT-RAPHAËL, qui sera jusqu’à la Libération notre seul élément dans la région et y accomplira un travail étonnant. Quant aux agents, le bruit courait que les Allemands avaient saisi le fichier du S.R. dans le fameux train de LA CHARITE-sur-LOIRE. Le chef de poste décida d’éliminer totalement les anciens informateurs et, avec eux, les divers auxiliaires : boîtes aux lettres, passeurs, hôteliers, etc. Les communications de l’annexe avec ses agents d’Italie étaient du reste interrompues depuis le 10 juin, à une exception près.

CAMBOURS me persuada que la mesure ne pouvait pas concerner cet agent, Nino, un contrebandier fraîchement recruté. Effectivement, pendant les quatre années qui vont suivre, Nino, chaque mois, passera la frontière clandestinement, je le rencontrerai dans le même hôtel de NICE, à une date et une heure convenues entre nous le mois précédent, et jamais, ni moi, ni lui, ni l’hôte, n’en subirons le moindre désagrément. Ce n’était, bien entendu, pas du tabac que Nino m’apportait. Nous reparlerons de lui. CAMBOURS me présenta également Lisa. Née Italienne, Française par son mariage avec un concierge de palace, elle gérait un restaurant minuscule à NICE, dans le quartier des Musiciens. Recrutée par GISCARD en septembre 1939, elle avait effectué, avec de bons résultats, deux ou trois petits voyages de reconnaissance de l’autre côté de la frontière. Elle brûlait d’envie de reprendre du service, bien qu’elle n’eût aucun souci d’argent. Je m’efforçai de lui faire comprendre, sans en donner la raison exacte, que je ne pouvais pas l’employer pour l’instant, mais que nous garderions le contact avec elle. Elle en fut déçue, me sembla-t-il. Il y avait eu dans ces Alpes méditerranéennes une telle pénétration réciproque des populations des deux pays, il existait tant de commerce entre leurs frontaliers que les nouvelles, voire les gens, s’infiltraient aisément à travers la ligne de démarcation et la frontière. Les militaires italiens qui s’y tenaient fermaient souvent les yeux, parfois servaient de véhicules, bavardaient volontiers et n’étaient pas toujours incorruptibles. Assez vite, grâce à mes récentes relations, je me pourvus d’antennes à SAINT-ETIENNE-DE-TINEE, SAINT MARTIN-VESUBIE, BREIL et MENTON-OUEST, je leur donnai carte blanche, et ce fut ma deuxième source. J’en découvris une troisième à la délégation française auprès de la commission d’Armistice de NICE. La délégation comprenait deux divisions affaires militaires et affaires civiles. La division des affaires civiles était dirigée par le Commandant CURET, un ancien du S.R. il avait servi au poste de MARSEILLE, puis à la Centrale comme chef de la section Midi. A ce titre, il était en 1937 intervenu dans mon affectation à la S.E.R. Il me fit un bon accueil et consentit à m’aider. « Une source particulièrement fructueuse fut l’utilisation des commissions d’armistice », écrit Pierre NORD, citant un rapport allemand . La chose est sûre. En contact direct avec les organismes officiels, français d’une part (Préfecture, municipalités, gendarmerie, police, administrations, etc.), italiens de l’autre (Commission d’Armistice, Délégation pour l’Assistance et le Rapatriement substituée au Consulat Général), appelés fréquemment à se rendre dans la mince portion de territoire occupé, les officiers de la délégation française récoltaient de nombreux renseignements qui nous regardaient.

Le Commandant CURET, technicien chevronné qui avait l’armée italienne dans la tête, n’en laissait échapper aucun. Nous aurions payé à des agents certains d’entre eux. Par exemple, un haut fonctionnaire italien qui arrivait de SERAJEVO lui fit une description minutieuse de la situation en Croatie et en Bosnie-Herzégovine — anarchie, insécurité — et lui apprit que la division alpine TAURINENSE (une de nos vieilles connaissances) avait quitté le cercle de SERAJEVO pour aller participer à des opérations de maintien de l’ordre en Dalmatie. Le Commandant CURET était secondé, aussi bien dans ses relations avec moi qu’avec la division des affaires civiles, par un de mes jeunes de Saint-Cyr, le Capitaine BURG. Au début de 1941, le Lieutenant-Colonel BARBARO reçut une nouvelle affectation , et le Chef d’escadron MANARANCHE, alors âgé de quarante- trois ans, prit le commandement du poste. J’ai déjà dit sa prompte intelligence et son esprit méthodique. En vérité, pareillement énergique et sensible, c’était, sous son aspect massif, un homme complet, doué pour tout, sportif, artiste, adroit, aimant la vie, la nature et les livres, simple, bon, spirituel et gai. Provençal ouvert et passionné de politique, d’une verve rare, quelquefois brutale, qui lui valut des inimitiés, mais sincère, loyal et sans rancune, il se montrait dans le service calme et mesuré. La force qui éclatait en lui, son bon sens, son imagination, son intuition, sa puissance de travail faisaient merveille au S.R. Il conduisit P.5 de main de maître. Le Lieutenant-Colonel BARBARO fut remplacé numériquement au poste par GOBIS qui revenait de BELGRADE. Dans le courant du mois de mars, le Commandant MANARANCHE ramena mon annexe à NICE où il me mit en rapport avec son cousin, Pierre LE BAS, agent d’une grande marque d’automobiles. Marin, aviateur, pilote de course, homme d’action intrépide, homme d’affaires avisé, LE BAS sera pour moi sans relâche un précieux collaborateur et un très cher ami. Je pouvais désormais développer mon réseau. Des fonctionnaires et des employés de la S.N.C.F. et des Douanes, qui se rendaient quotidiennement de NICE à MENTON-EST occupé et à VINTIMILLE, doublèrent la partie que jouait l’antenne de MENTON-OUEST. Je m’abouchai avec les contrôles postaux et téléphoniques. Leur chef régional était à MARSEILLE Pierre DESCAVES, fils de l’académicien Goncourt. Étincelant d’esprit, conteur pittoresque et savoureux, il s’était lié avec notre nouveau patron. Ils vinrent plusieurs fois à NICE ensemble. Nous déjeunions à la campagne, eux, moi, CAMBOURS et l’équipe des contrôles. Là naquit une sorte de camaraderie qui portera des fruits un jour. Je dînais presque chaque semaine avec le Commandant PETETIN, chef d’état-major de la subdivision. Le Lieutenant LOESCHER et l’enseigne de vaisseau PALIS, mes collègues des S.R. AIR et MARINE, se joignaient à nous de temps en temps. Je les voyais régulièrement. Nous échangions des renseignements et nous essayions de coordonner nos activités. Président de la Légion des Combattants des Alpes-Maritimes, DARNAND tenait à NICE le haut du pavé. Il avait été, avant la guerre, avec deux ou trois de ses amis politiques, agent du Bureau des Liaisons. L’occasion me fut donnée de le rencontrer plusieurs fois dans des cafés que fréquentaient les militants d’extrême droite. J’espérais découvrir dans ce milieu quelqu’un d’utile. Mais après l’ouverture des hostilités en Russie, le beau soldat des deux guerres afficha une telle assurance de l’invincibilité allemande que, pressentant son évolution, j’estimai prudent de l’éviter. Je ne lui avais rien demandé. Il partit pour VICHY, et je renouai avec certains de ses compagnons qui commençaient à se poser des questions. L’un d’eux me présenta M. SINIBALDI, directeur de jeu au casino de MONTE-CARLO. Celui-ci, jusqu’à la Libération, me documenta abondamment sur sa clientèle, une faune dont les intrigues regardaient largement le C.E.




Histoire du poste SR Marseille et de Nice (2)

Nous poursuivons la publication du récit historique de notre prestigieux camarade, le Colonel GIALLIZIA, dont le début a paru dans le B.L. 132. Au printemps de 1941, le Commandant MANARANCHE, chef du Poste S.R « P.5 » (Marseille) a envoyé le Capitaine GALLIZIA à Nice pour y reconstituer une antenne. Dès son arrivée sur les lieux le Capitaine s’emploie à développer un réseau.

L’ENTRÉE EN JEU DE LISA

Des industriels français obtinrent l’autorisation de voyager en Italie. Ils nous rapportèrent des renseignements économiques, des impressions personnelles et des confidences qui ne manquaient pas d’intérêt. C’est ici que Lisa entre en scène. Dépitée de ne plus être utilisée, elle avait décidé de se faire agent indépendant, s’était débarrassée de son restaurant et engagée comme domestique chez un officier supérieur italien de la garnison de MENTON, après toutefois m’en avoir demandé la permission par l’intermédiaire de CAMBOURS. Je lui fis répondre qu’elle était libre de tout lien avec nous, mais que je la couvrirais en cas de difficulté avec les autorités françaises. CAMBOURS la rencontrait de temps en temps, l’écoutait, ne disait rien. Réduite ainsi à ses propres ressources, elle se révéla incapable de fournir le moindre renseignement qui eût une valeur quelconque. Un jour même, elle nous en passa un d’une telle absurdité que je voulus la voir pour m’assurer de sa bonne foi. Maintenant, nous savions que le fichier du S.R. n’était pas tombé dans les mains des Allemands. Je résolus de la mettre à l’épreuve. Ni intelligente, ni jolie, ni instruite, elle avait l’air d’une fine mouche. Je lui proposai une place de femme de chambre à l’hôtel Miramar, boulevard Carnot, où logeaient les officiers italiens de la Commission d’Armistice et dont je pouvais toucher le directeur. Elle accepta sans hésiter. Mais je n’en tirai guère que la chronique des aventures galantes de ces messieurs. Je fis convoquer, afin de tenter de la recruter, une de leurs petites amies par un commissaire de la Surveillance du Territoire qui la jugea inepte. Lisa ramassa dans les corbeilles des bouts de papier insignifiants, suivit la délégation à l’hôtel Hermitage sans plus de succès et, lasse de ma déconvenue, s’éclipsa discrètement. Été 1941. Les Lieutenants CIMA et MALET, affectés à P. 5 à MARSEILLE, sont, le premier, adjoint au Capitaine MARTIN, le second, préposé au M.G. 26 janvier 1942. J’ai le plaisir de revoir à Nice le Capitaine PAILLOLE, mon camarade des équipes d’escrime de Saint-Cyr. Chef de notre service de C.E., installé à MARSEILLE, il a obtenu la libération d’une dizaine de Français condamnés en Italie pour espionnage et confie à ma sollicitude ceux qui habitent le département : POLACCI, FOULD, SALMON. Deux mois après, ce sera le tour de GAGGERO, GASIGLIA et VALORI. Il y avait bien six mois que j’étais sans nouvelles de Lisa quand elle émergea pour m’annoncer négligemment qu’elle travaillait comme femme de ménage dans les bureaux de la Délégation italienne pour l’Assistance et le Rapatriement, à l’hôtel Continental, place Mozart. Je n’ignorais pas que là siégeait le fameux « dottore BARRANCO ». Nous le connaissions bien, commissaire de police, il assumait avant la guerre la responsabilité de la sécurité au consulat général de NICE, couverture qui dissimulait son appartenance à l’O.V.R.A (1). et au CS (2) Cela changeait tout. Les corbeilles de BARRANCO devaient contenir autre chose que des lettres féminines. Dès lors, j’en aurai la preuve constante, dix-huit mois durant. Chaque soir, Lisa emportait, dans une poche cachée sous sa robe, une incroyable quantité de morceaux de papier. J’allais les chercher le dimanche chez elle, quelque fois en semaine dans un café de la place Mozart, et nous passions avec CAMBOURS des jours et des nuits à les recoller. Le puzzle est un bon exercice de S.R. Depuis ma jeunesse, l’affaire Dreyfus me passionnait. Je croyais la revivre. Moi aussi, j’avais une Mme BASTIAN. La plupart des informations qui sortaient de la poche de Lisa intéressaient le contre-espionnage. Elles étaient transmises au T.R. 115, le poste C.E. de MARSEILLE. Si elles révélaient une menace sur des personnes que je connaissais, je les prévenais aussitôt. Ce fut le cas en mai pour le Général CARTIER, ancien Commandant de la 27e Division d’Infanterie Alpine, que MANARANCHE et moi, nous avions eu pour chef et admirions également. MANA m’envoya à ANNECY dont le général était maire, et celui-ci se détermina à se réfugier en Suisse (3). Je ne sus pas, au contraire, comment toucher mon camarade de promotion Henri FRENAY, fondateur du mouvement COMBAT, dont un agent de BARRANCO signalait le passage sur la Côte, et PAILLOLE s’en chargera. Juillet 1942. Arrivée à P.5 du Lieutenant BONNARD. Polytechnicien, artilleur, il sera l’officier M.G. du poste, en remplacement du Lieutenant MALET. Revenons à Nino. Les contrebandiers, en général, concentrés sur leur affaire, ne sont pas propres au renseignement. Nino cependant s’était piqué au jeu. Il avait progressivement réussi à constituer dans la province d’IMPERIA un véritable réseau d’informateurs plus ou moins conscients. Vers la fin de l’été, l’ensemble de leurs indications décelait un important rassemblement de troupes à notre frontière. Nino, orienté sur la raison de ces mouvements, répondit que la région était une zone de repos pour les unités combattantes. Cela me sembla plausible, mais on pouvait avoir une autre idée d’autant plus qu’à la même époque, VICHY demandait à P.5 d’organiser son territoire dans la perspective de l’occupation totale.

DE L’OCCUPATION DE LA ZONE SUD A LA CAPITULATION DE L’ITALIE

11 novembre 1942. Je me trouvais place Saluzzo, au pied de la Moyenne Corniche, quand, après 13 heures, s’y présentèrent les premiers éléments des troupes italiennes qui entraient dans NICE. La colonne prit la direction du bord de mer. Je la devançai pour aller m’asseoir à la terrasse du café de l’hôtel Savoy, sur la Promenade des Anglais, et assister à la revue parmi sa clientèle élégante. Les unités passaient au sans cadence, dans un certain désordre, les hommes harassés, couverts de poussière, les muletiers accrochés à la queue de l’animal qui les précédait, sous l’oeil curieux et narquois des consommateurs vautrés dans leurs fauteuils, et l’on eût dit plutôt d’un défilé de prisonniers que de celui d’une armée conquérante. Les soldats italiens portaient encore leurs écussons, flammes ou mostrines, et dès l’abord j’iden- tifiai les régiments. Je constatai avec satisfaction qu’ils figuraient tous sur la liste des corps de troupe qui, d’après Nino, se délassaient sur la Rivière du Ponant. Le lendemain, je me rendis à la poste Thiers où fonctionnait le contrôle téléphonique. Les subordonnés de Pierre DESCAVES ne m’avaient pas attendu pour se mettre à l’écoute des occupants, qui utilisaient à fond et sans fard les lignes des P.T.T. Dans l’espace de quelques jours, nous parvînmes à dresser de leur ordre de bataille, de leur déploiement et de leurs effectifs un état digne de la réputation de la S.E.R. Puis cette source tarit parce que le commandement militaire italien posa ses propres lignes et plaça des surveillants au contrôle. L’occupation de NICE provoqua de l’émotion dans tous les milieux. Quarante-huit heures ne s’étaient pas écoulées que je reçus la visite de deux des amis les plus pondérés de DARNAND, désireux de connaître mon avis sur la situation. Le tableau que j’en fis devait achever de les détacher de l’inspecteur général des S.O.L. Dix minutes après arriva un autre militant du même clan, un petit commerçant nommé B…. « Maintenant, j’ai compris, me dit-il en substance. Je me mets à votre disposition. Demandez- moi ce que vous voudrez. » Mais B… était un homme de violence, il ne convenait pas à mon système. Je le remerciai et l’oubliai. Il retourna à son démon. Milicien, il appartiendra à l’équipe qui assassina MANDEL le 7 juillet 1944 et il sera fusillé à MONTROUGE à la fin de l’année pour intelligences avec l’ennemi.

°°° Le Commandant MANARANCHE réunit tous ses officiers à MARSEILLE, dans les combles de la Bourse. Il les informa du départ pour ALGER du Colonel RIVET, rappela que depuis le 11 novembre leur activité relevait des tribunaux militaires de l’occupant (4), précisa que la dissolution de l’armée les rendait libres de leur sort, mais qu’il serait possible, s’ils le souhaitaient, de les diriger sur l’Afrique du Nord. Enfin, il demanda à chacun de prendre parti sur-le-champ. Nous étions sept. La réponse fut unanime. Le poste, au complet, resterait en place sous les ordres du chef du Service.

(4) MARSEILLE était occupé par les Allemands. Le bureau de la rue de Rome avait déjà disparu. La clandestinité devenait totale. Le patron modifia le dispositif. Il ne gardait à MARSEILLE que BONNARD. GOBIS irait à TOULON, MARTIN à NIMES, CIMA en Corse. Ces trois officiers avaient dans leurs nouvelles affectations des moyens personnels de renseignement, et, de plus, une telle dispersion, qui accroissait la sécurité, assurerait un meilleur contrôle de la façade méditerranéenne dont l’importance se manifestait désormais sans conteste.

Malheureusement, P.5 se trouvait isolé. C’était, paraît-il, le Lieutenant- Colonel PETETIN, adjoint depuis août au Colonel RIVET, qui remplaçait en France ce dernier, avec le Lieutenant-Colonel DELOR à la tête du S.R. Mais MANARANCHE ne savait pas comment les toucher, ni même où adresser le courrier.

De retour à NICE, j’appris par LE BAS que PETETIN séjournait à SAINT GERVAIS-LES-BAINS. Je le signalai à MANARANCHE, et celui-ci me dépêcha auprès de notre chef présumé afin de lui réclamer des instructions. Je dénichai dans une villa charmante un vacancier détendu. Il m’accueillit fort aimablement, mais en guise d’instructions, il déclara que DELOR et lui considéraient le vieil S.R. comme incurablement brûlé et qu’ils avaient décidé d’en reformer un tout neuf avec des officiers de réserve.

De quelle façon se rétablirent le commandement et les liaisons est une histoire que je connais mal. Quoi qu’il en soit, le poste ne s’arrêta pas un seul instant.

Le Commandant CURET, engagé pour des raisons personnelles dans le réseau GILBERT, ne s’opposait pas à mes accointances avec BURG. Grâce aux documents que recevait des Italiens à la Commission d’Armistice la délégation française, mon camarade me fournissait maintenant nombre de renseignements sur les troupes d’occupation. Son caractère droit et son jugement sain lui valaient la sympathie des fonctionnaires français avec qui il traitait et on lui glissait volontiers des notes qui nous intéressaient, numéros, effectifs, emplacements, mouvements d’unités, travaux de fortification, etc.

L’heure avait sonné de se faire agent. C’est alors que débuta cette longue série de reconnaissances qu’en voiture d’abord, puis à bicyclette lorsqu’on nous retira nos permis de circulation, j’ai jusqu’aux derniers jours effectué personnellement sur toutes les routes des Alpes-Maritimes, exploration systématique et continue qui m’apportait une indispensable lumière. Un dimanche que je patrouillais avec LE BAS sur la route Napoléon, nous ramassâmes dans un fossé deux soldats italiens blessés par suite du dérapage de leur side-car et nous en ramenâmes un à son cantonnement, à SAINT-VALLIER. J’inspectai l’unité à loisir et ne manquai pas de lire sa pancarte. C’était une compagnie de transport divisionnaire dont je ne soupçonnais pas l’existence.

A SAINT-RAPHAËL, MOREAU, chargé du ravitaillement, que ses fonctions mettaient en relations avec les occupants, commençait, seul, en observant et en conversant, à brosser le volet gauche d’un diptyque dont à NICE on exécutait le volet droit.

Les services italiens installés à l’hôtel Continental s’étaient développés. Ils occupaient tout le premier étage de l’hôtel, trente-deux chambres ou suites aménagées en bureaux, et se composaient de deux éléments fort différents, séparés par l’escalier central. L’un était la Délégation pour l’Assistance et le Rapatriement qui, en sus de son rôle consulaire, servait de couverture à l’autre, les services secrets. Ceux-ci comprenaient un très puissant centre de C.S. (contre-espionnage) et la direction de l’O.V.R.A. en France, assumée par le dottore BARRANCO.

Lisa vaquait au nettoyage de l’ensemble des locaux mais, suivant mes consignes, ne s’attaquait qu’aux papiers des services secrets. Excitée par l’importance de l’enjeu, elle ne se contentait plus de puiser dans les corbeilles, elle dérobait des pièces sur les tables et dans les armoires. Elle s’enhardit même, le jour où le Major PESCARA, chef du C.S., se tua dans un accident d’auto, à enlever de son bureau plusieurs dossiers épais dans leurs chemises souples. Nous découvrions des agents italiens, des menaces sur nos agents et sur des résistants inconnus. Il y avait dans ces services un tel désordre que personne ne s’apercevrait de rien(5). Après l’arrestation à VICHY, le 9 janvier 1943, de GISCARD, dénoncé par un agent licencié, le chef de P. 5 estima que j’étais vulnérable à NICE et décida de m’en éloigner provisoirement. Je proposai de m’abriter à GRENOBLE, ma ville natale, où j’avais beaucoup d’amis et où je pourrais sans difficulté, fût-ce par simple observation, me renseigner sur l’occupation italienne. Il était convenu que je gardais le commandement de mon annexe et que je passerais une semaine à NICE chaque mois.

Je partis donc en auto pour le Dauphiné, vers le 20 février, avec ma femme et mes enfants, et m’installai dans notre vieille propriété de famille, à BRESSON, à 6 kilomètres au sud de GRENOBLE. Un soir, en ville, je rencontrai HUMM. Il avait échappé de justesse aux Allemands le 11 novembre à MACON où il commandait une annexe de P.4, l’ex-S.C.M. C’est à la mi-mai, je crois, que je le vis arriver à BRESSON, portant une valise : il venait d’apprendre l’arrestation de ses camarades de P.4 à LYON (5bis) et me demandait asile. Il resta une quinzaine de jours chez nous, puis il loua une chambre à une brave femme du village et y vécut en paix. Le patron avait du flair. A NICE, la Sécurité Militaire italienne me recherchait. Le Général REMUSAT, alors Commandant, me l’a raconté. Rentré de captivité en octobre 1942, il s’était affilié au réseau ALLIANCE. Ami de LE BAS, il me pria de lui prêter son concours, ce que je déclinai, naturellement. Rien n’était plus dangereux que ces interférences. Arrêté en mars, conduit à la villa « Lynwood » à Cimiez, il lisait à l’envers mon nom en haut d’une feuille posée sur la table de l’officier qui l’interrogeait. Au bout de plusieurs séances, celui-ci lança : « Vous connaissez GALLIZIA, n’est-ce-pas ?

REMUSAT le nia : « Mais si, vous le connaissez. Nous ne lui voulons pas de mal, nous désirons seulement causer avec lui. Donnez-moi son adresse. » Il insista en vain. Mon adresse ! Que ne consultait-il l’annuaire du téléphone? Pas celui des P.T.T., celui de l’agence Havas qui m’y avait inscrit sans mon assentiment. On ne m’aurait plus trouvé là en mars, il est vrai, mais on n’y alla pas. Petite leçon de C.E. Le risque pour moi était-il si grand? Aujourd’hui que je suis au courant des tentatives de tractation de diverses autorités italiennes avec les Alliés en ce printemps 1943, je me demande si les gens de la villa « Lynwood » ne voulaient pas vraiment « causer » avec moi. A chacune de mes tournées sur la Côte, je voyais Nino, Lisa, BURG, MOREAU, mes H.C., mes amis. CAMBOURS assurait la permanence. L’aviateur s’était envolé pour ALGER, le marin avait plongé. Ce dernier, à mon insu, utilisait les services d’un de nos H.C., officier de réserve mobilisé en 1939 au Bureau des Liaisons, M. CARENCO, fondé de pouvoir d’une grande banque de NICE.

Un jour, en avril, je tapai à la porte de son bureau, j’ouvris, entrevis un client. CARENCO me retint. Je tombais bien, s’exclama-t-il. Son visiteur était Marco, le meilleur agent de P…(6). . Marco ne savait pas comment atteindre son employeur. Il me fit des offres alléchantes, il ravitaillait les foyers des garnisons italiennes en France. Je répondis prudemment, lui fixai un rendez-vous à la banque le mois suivant. Cette affaire me paraissait louche. Je ne comprenais surtout pas que Palis ait abandonné un tel agent (7). Je conseillai à CARENCO de se méfier et j’avançai d’une semaine mon voyage de mai. CARENCO fut arrêté peu après la date du rendez-vous, auquel, bien entendu, je n’étais pas allé. Beaucoup plus tard, j’appris que Marco était un agent du C.S.(8) Le Colonel des CC.NN. BANDINI (9) venait souvent à NICE. Il semble qu’il dirigeait à Rome un service chargé de préparer l’annexion de l’ancien comté. Il avait un bureau à l’hôtel Continental.., avec une corbeille. Aussi fûmes-nous assez bien instruits des menées des « groupes d’action niçoise » (10) dont il était l’animateur. Il prenait contact avec de nombreuses personnalités locales et relatait ces conversations sur de longues fiches de carton bleu serrées dans une boîte. Lisa en préleva dix-sept. « Il s’en apercevra sûrement. Elle aurait dû tout emporter », me dit MANARANCHE. Il y eut en effet un beau remue-ménage au Continental : enquête, fouilles, sanctions. Mais Lisa en sortit blanche comme neige. Après tout, Mme BASTIAN était restée huit ans à l’ambassade d’Allemagne sans éveiller aucun soupçon.

DE LA CAPITULATION DE L’ITALIE A LA LIBÉRATION

9 septembre 1943. Les Allemands désarment les Italiens et leur succèdent. Le Commandant MANARANCHE me renvoya à NICE. Je laissai les miens à GRENOBLE et je m’installai dans une villa de la rue François-Aune, ” la petite turquoise “, où un capitaine de réserve favorablement connu du Service tenait une pension de famille (11). Un de nos H.C., l’architecte belge Robert STREITZ, mit à ma disposition son atelier, perdu sous les combles du palais Marie-Christine (12), dont je fis un bureau que CAMBOURS seul connaissait. Mon camarade de promotion Paul DEMIDOFF, qui à sa sortie de l’École avait quitté l’armée et gérait à NICE un cabinet d’assurances, me munit d’une serviette de démarcheur. Enfin, j’embauchai un gendarme à la retraite pour porter le courrier à MARSEILLE. Ainsi équipé, fraternellement entouré, je me sentais solide. On affecta à l’annexe un radio avec un poste émetteur fonctionnant sous 50 périodes alors que la Côte était alimentée en 25 périodes. Un industriel de MONACO, Jacques TAFFE, ami de LE BAS, se procura, non sans mal et sans risques — car la Gestapo y fourra le nez — un transformateur approprié, mais le poste ne marcha pas mieux et, l’opérateur ne voulant pas le reprendre, je congédiai ce jeune homme et je rangeai soigneusement l’appareil sur une poutre du faîtage de Marie-Christine où je le récupérerai à la Libération. Fin août, les Italiens avaient procédé à des arrestations dans la délégation française auprès de la Commission d’Armistice. Le Lieutenant-Colonel CURET, l’un des plus visés, réussit par bonheur à s’y soustraire. BURG, lui-même menacé, jugea expédient de se retirer de la délégation et me déclara son désir de servir à plein temps dans notre réseau. Il ne serait certes pas de trop. MANARANCHE et moi, nous lui donnâmes de grand coeur notre accord, et je le pris pour premier adjoint, CAMBOURS devenant le second. J’ignorais tout de la Wehrmacht. Notre adaptation à ce nouvel objectif était d’autant plus difficile que, depuis le printemps, ses totems divisionnaires et ses panneaux de fléchage avaient disparu. Cependant, les véhicules hippomobiles des régiments qui occupaient la région portaient un signe caractéristique et le numéro de la compagnie ou batterie, ce qui permettait de reconstruire petit à petit le déploiement de la division. D’autre part, les travaux de fortification entrepris par les Allemands offraient à l’observation directe un champ illimité. C’est à ce moment que jaillit la plus enviable des sources. Ingénieur électricien sorti de l’Institut Electrotechnique de GRENOBLE, ce qui créait un lien entre nous, directeur du Téléphone à MONACO, Pierre BLANCHY, qui bénéficiait de la double nationalité française et monégasque, avait été mobilisé chez GISCARD pendant la campagne 1939-1940. Devant nos peines, il pensa à exploiter la possibilité d’intercepter les communications des états-majors allemands sur le câble international France-Italie qui comporte une coupure au central de MONACO. Justement sa secrétaire, Mlle G… comprenait très bien l’allemand. L’intérêt de ces conversations, qui se situaient le plus souvent à un niveau élevé, était considérable, et notre connaissance des forces qui occupaient la Côte arriva à dépasser celle que nous avions eue des Italiens en 1943. BLANCHY, qui habitait NICE, me remettait lui-même les informations captées et ne craignait pas de s’attarder dans le jardinet de « la petite turquoise » où il paraissait se plaire. P.5 n’a subi, du commencement à la fin de la guerre, aucune perte. Nous fûmes enclins à nous en attribuer le mérite. D’autres peut-être nous en auront fait grief. A la vérité, nous eûmes beaucoup de chance. BONNARD ne me démentira pas. En mars 1943, le Capitaine BOIRON, représentant du S.R. AIR à MARSEILLE, lui avait remis divers renseignements concernant, en particulier, l’ordre de bataille de la Wehrmacht dans les Bouches-du-Rhône et le Var et les coordonnées des pièces d’artillerie de marine allemandes dans les îles du Frioul.

BONNARD, portant dans sa serviette ces documents et des victuailles, fut interpellé sur le quai de la gare Saint-Charles par des policiers allemands qui vérifièrent ses papiers, l’interrogèrent, ouvrirent sa serviette.., et laissèrent là leur contrôle sur l’intervention de l’inspecteur français qui les accompagnait : c’était une méprise, déclara ce dernier qui ne s’était pas mépris, lui, du moins sur la nature de l’embarras de BONNARD. Bis repetita…

En novembre de la même année, pendant qu’il participait à une espèce de battue organisée par le chef de P. 5 dans le massif de l’Estérel, la Gestapo perquisitionna chez lui, à OPPEDE, où il habitait depuis deux mois. Elle cherchait un poste émetteur qu’on lui avait confié comme poste de secours (l’opérateur, arrêté, avait parlé). Mais elle ne sut pas le retrouver et repartit bredouille. Ce fut la Milice qui le découvrit le surlendemain. Dans l’intervalle, Mme BONNARD avait rejoint à CANNES son mari qui, naturellement, ne remit plus les pieds à OPPEDE. MARTIN n’eut pas moins bonne fortune au cours de ce mois. Chargé d’une mission du côté de DRAGUIGNAN, Il en profita pour reconnaître, à la demande de l’aviateur, le terrain de FAYENCE. Deux hasards successifs l’incitèrent, au retour, à brûler l’étape de MARSEILLE qu’il avait prévue afin d’aller chez BOIRON rendre compte de ses observations, et il continua sur NIMES. C’est là qu’il apprit que, durant son voyage, la Gestapo avait arrêté notre très vaillant collègue et ami du S.R. AIR et établi une souricière à son domicile (13). Quant à moi, j’ai conté mes alertes. Fin 1943, le Capitaine B.. prédécesseur de GISCARD à la tête du Bureau des Liaisons, que ses opinions d’extrême droite avaient conduit à la Milice, m’avisa que celle-ci s’intéressait à mes occupations. Je ne pensais pas qu’elle put y déceler de quoi m’incriminer. Je pris néanmoins quelques précautions mais, grâce à B… probablement, les hommes de DARNAND ne m’inquiétèrent pas. * * Il existait tout de même à l’hôtel Continental quelqu’un qui avait fini par percer le manège de Lisa, sans doute à force de la regarder. L’amour n’est pas toujours aveugle. C’était un sous-officier des carabiniers affecté au C.S. et détaché à l’O.V.R.A., Remo, et il garda le silence. Après la capitulation italienne, il entra au service de l’Abwehr, avec l’accord de ses chefs. Un beau jour de février 1944, sortant de l’hôtel avec Lisa, il l’emmena chez lui, la fouilla et découvrit la poche bourrée de papiers. Il lui demanda pour qui elle travaillait. Intuitive et audacieuse, elle répondit froidement que c’était « pour un officier du deuxième bureau ». Remo — j’abrège — exprima son désir d’en faire autant. Elle avait confiance en lui, j’eus confiance en elle et j‘acceptai de rencontrer le carabinier, en dépit des protestations de CAMBOURS. Quel était le mobile de Remo ? Lisa y voyait clair. Joueur invétéré, il avait de gros besoins d’argent. Et, la défaite approchant, il jugeait le moment venu de changer de camp. Il n’était pas alors le seul de son espèce. MANARANCHE supposait que, fût-il sincère, Remo m’épierait, chercherait à pénétrer mon organisation afin de se couvrir en cas d’accident. C’est du moins ce qu’il m’expliqua pour justifier sa décision de contacter et de manipuler lui-même ma nouvelle recrue. Lisa invita mon patron à dîner avec Remo dans le coquet petit appartement où logeait celui-ci, rue de Russie.

MANARANCHE arriva la veille, descendit à l’hôtel de Berne qui appartenait à un de nos H.C. Je lui présentai Lisa, et nous ne parlâmes plus de l’affaire. Il paraissait tout à fait décontracté. A l’instant de partir, il me dit simplement : « Est-ce que vous êtes sûr que je peux y aller ? Que feriez- vous maintenant, vous? » Je répondis qu’il y avait un certain risque, mais que je le croyais mineur et que je le courrais. Je l’attendis à son hôtel. Le couvre-feu était à 23 heures. Il ne rentrait pas. L’inquiétude me saisit. A 23 h 30 enfin, il s’encadra dans la porte. L’entretien s’était prolongé, et Remo lui avait donné un sauf-conduit (14). Le lendemain, il me raconta la soirée, m’instruisit de l’accord conclu. Nous réglâmes les détails de la liaison avec Remo : elle exigeait mon intervention, on verra pourquoi. MANARANCHE revint à NICE le mois suivant pour vérifier le bon fonctionnement de ce que nous avions conçu et, persuadé de la bonne foi de notre agent, il me le rendit. L’Abwehr confiait à Remo des enquêtes préparatoires à l’arrestation de résistants gravement compromis. Il m’en informait immédiatement par une note que Lisa déposait dans un hôtel (15) où je passais tous les trois ou quatre jours. Comme il devait fournir son rapport dans le délai d’une semaine, je disposais au minimum de trois jours pour prévenir les intéressés. Souvent nous les connaissions, CAMBOURS, moi ou l’un de mes fidèles amis. Sinon, Je téléphonais ou j’envoyais une lettre anonyme. Je dînais chez Remo une fois par mois. Lisa faisait la cuisine. La chair était excellente, l’atmosphère, intime. Après le repas, en prenant les liqueurs, Remo m’éclairait sur l’activité des services secrets allemands et me racontait les intrigues qui les divisaient. Il ne lâchait pas toutes ses proies, assurément. C’eut été trop dangereux pour lui. Et nous, nous ne réussissions pas toujours. Ainsi ne pûmes-nous pas alerter à temps M. BORGHINI, secrétaire du Conseil National de MONACO, et M. HARANG, commissaire de police à BEAUSOLEIL, tous deux du même réseau, dont l’arrestation avait été décidée avant que Remo eût terminé son enquête. Lisa me rapporta que celui-ci avait eu très peur parce qu’il s’imaginait que BORGHINI se rattachait à nous, ce qui, entre parenthèses, prouvait qu’il ne me surveillait pas. (16) En revanche, nous pûmes, la semaine suivante, sauver l’abbé GIRAUD, aumônier du Lycée de jeunes filles de NICE, au domicile de qui, depuis novembre 1943, se réunissait un groupe de membres du Comité départemental de la Libération. C’est LE BAS qui alla le prévenir à la chapelle du boulevard Carabacel où il disait sa messe quotidienne. L’abbé fit un saut chez lui et partit avec LE BAS qui lui offrait l’hospitalité. Vingt minutes après, la Gestapo frappait à sa porte. Elle gagnait de vitesse l’Abwher, elle n’en arrivait pas moins trop tard. Dès ma première rencontre avec Remo, Lisa avait quitté le Continental. Italienne subtile, elle ne se sentait pas en sécurité chez les Tudesques. Chose extraordinaire, elle me demanda mon avis. Je l’approuvai entièrement. Formé à l’école de la montagne, je percevais, moi aussi, qu’il fallait faire demi-tour (17). Un rapport de GUIRAUD expose comment en 1943, ” bien des portes se fermèrent à partir de l’hiver ” (18)

Que ce soit par crainte ou sous l’empire de la propagande officielle, une partie de nos H.C. dévoués de 1940 nous évitaient ou se dérobaient. Le gros de la délégation française auprès de la Commission d’Armistice était maintenant aux ARCS. BURG y alla, revit ses anciens camarades. Non seulement ils ne lui donnèrent aucun renseignement, ils le traitèrent encore en indésirable. Il fut plus heureux à NICE même où le chef d’escadrons C. de G. lui montra une note destinée à la division allemande qui occupait le secteur (à lui, envoyée par erreur), ce qui permit d’identifier cette grande unité tout récemment arrivée. Il conservait, quoique réduits, ses correspondants dans les administrations et les services publics, notamment celui des Ponts et Chaussées dont les ingénieurs, par leurs fonctions, étaient les mieux informés des destructions et des réparations sur les voies de communication. Circulant partout, en relations étroites avec les entreprises de travaux publics, ils nous donnèrent aussi sur les travaux de fortification des renseignements précis. Un noyau indéfectible d’H.C. — qui se connaissaient presque tous, mais chacun ignorant la présence des autres dans le réseau — participa activement à cette phase décisive de notre longue lutte. Ils repéraient les blockhaus, voire les photographiaient, ils lisaient les numéros des véhicules militaires, ils observaient l’armement des unités, estimaient leurs effectifs, jugeaient de leur qualité et quelquefois, ils avaient la chance de les identifier, rare !

L’atelier de montage et de réparations de LE BAS était réquisitionné par les Allemands. Mon ami déployait son ingéniosité à soutirer des secrets à l’officier qui le contrôlait, une certaine sympathie s’étant créée entre eux. Ainsi apprit-il l’imminence d’une expédition punitive sur le village d’ALLOS où un soldat allemand venait d’être tué. LE BAS put faire avertir le maquis local qui tendit une embuscade. La voiture de tête de la colonne allemande fut stoppée dans un col par un coup de bazooka, ses occupants dont le chef de l’expédition, tués, ce qui décida le reste à faire demi-tour. Un autre exploit de LE BAS fut l’ensemble de ses explorations du bord de mer à NICE qui était zone interdite. Il y allait avec des véhicules allemands confiés à son atelier, sous prétexte de les essayer. Le relevé des défenses (blockhaus, tapis de rails, pièges divers) qu’il établit ensuite avec une minutie extraordinaire valait mieux qu’une photographie.

Robert STREITZ avait retrouvé, employé par l’organisation TODT, un ingénieur d’origine russe, nommé TOUMAYEF, avec qui il avait effectué avant la guerre de mémorables raids à ski. TOUMAYEF, qui redoutait de futures représailles, accepta de nous aider. Il fournit à STREITZ les plans d’une base de sous-marins en cours de construction dans la baie de Passable (19) et ceux de la fortification de la colline du Château à NICE (20). De plus, il lui signala que les bunkers d’artillerie du secteur étaient inutilisables, faute de ventilateurs. STREITZ, dont la première femme était autrichienne, obtenait par elle d’un major autrichien antinazi affecté à la Komandantur des renseignements sporadiques sur la garnison et les mouvements de troupes. BLANCHY et TAFFE qui, l’un et l’autre, avaient des possibilités, ne laissèrent pas échapper grand chose de l’occupation dans la Principauté. BLANCHY faisait chaque jour en car le trajet NICE-MONACO et retour par la Basse-Corniche, zone interdite. Le capitaine qui contrôlait son central téléphonique bavardait, et ses indiscrétions paraissaient volontaires. « Quel dommage, regrettait BLANCHY, que vous n’ayez pas un million à lui donner » Un million en 1944, 100 millions de francs anciens Certes, nous ne les avions pas. Nous étions, je profite de l’occasion pour le dire, relativement pauvres. MOREAU, à SAINT-RAPHAËL, toujours scrutant, enregistrant, causant et sachant plaire, effectuait le même travail que nous dix à NICE et MONACO. Le Colonel RIVET fut nommé général de brigade le 13 avril 1944 et admis à faire valoir ses droits à la retraite. Le poste en reçut la nouvelle avec un message de notre grand patron, sans doute cet ordre du jour du 24 novembre 1943 que l’accrochage de RAMATUELLE avait retardé (21).

Des échos indistincts d’un conflit entre les services spéciaux de LONDRES et ceux d’ALGER parvinrent jusqu’à nous. Quels que fussent le respect et l’affection que nous éprouvions pour le chef inégalable qu’était le Colonel RIVET, nous nous absorbions trop dans notre tâche pour nous soucier de cette querelle. Nous ne la comprîmes qu’à la Libération, lorsqu’on nous affirma que nous étions des giraudistes. Nous avions été des giraudistes, en effet, à la manière dont M. JOURDAIN disait de la prose, sans en rien savoir. Au début du mois de juin, j’opérai mon ultime recrutement. Vito était un subordonné de Remo. Comme celui-ci, il se rendait souvent à MILAN où se trouvait le centre de C.S. dont, détachés à l’Abwehr, ils continuaient de dépendre. Je lui fis demander par Remo de nous renseigner sur les troupes de l’État fasciste républicain. Il nous en remit l’ordre de bataille complet Jusqu’à l’échelon régiment. Ces unités étaient déficientes en effectifs les jeunes gens fuyant la conscription — en armement, en équipements et en matériel. Les Allemands, qui n’attendaient plus de l’Italie que de la main-d’oeuvre, se désintéressaient de cette nouvelle armée dans laquelle ils n’avaient pas confiance et ne lui fournissaient pas grand-chose. Pendant le mois de juillet et jusqu’au 15 août, nous avons pu recueillir des renseignements importants pour l’armée qui se préparait à débarquer sur les côtes de Provence. Les plus nombreux provenaient de l’interception des communications téléphoniques échangées par l’état-major de la XIXe armée allemande situé à AVIGNON avec celui d’une division dont le P.C. était à OSPEDALETTI (22).

De l’ensemble des écoutes, nous dégageâmes les points essentiels de l’ordre de défense de la division d’infanterie qui occupait le terrain entre CANNES et MENTON (23), c’est-à-dire la durée de la résistance sur les plages (une heure), la position de repli (la Durance, où serait établie une liaison avec les troupes d’Italie), l’itinéraire principal de repli (la route Napoléon). Mes excursions à bicyclette révélaient que la région de NICE se vidait. BURG entreprit une vaste reconnaissance le long de la bande littorale et sur les arrières jusqu’à BARREME et PUGET-THENIERS. Il retrouva à SAINT-RAPHAËL une partie des unités qui avaient quitté NICE. Partout ailleurs, il ne restait presque rien. Le 15 août, jour du débarquement, la Feldkomandantur de NICE prit de telles mesures d’interdiction de la circulation que nous ne pouvions plus nous éloigner de la ville. Alors nous attendîmes.

C’est STREITZ qui eut le dernier mot. Sous la pression de notre H.C., TOUMAYEF grippa avec du sable les marteaux piqueurs affectés au creusement de fourneaux de mine dans les quais et les jetées du port de NICE, ce qui limita les dégâts des destructions que le commandement militaire y fit opérer. Le Général de MONSABERT installa son P.C. à la Préfecture des Bouches –du -Rhône le 23 août. Puis, ce fut à NICE, le 28 août, le soulèvement, le départ des Allemands dans la nuit. Et le matin merveilleux du 29, la Libération, enfin. La mission du poste S.R. de MARSEILLE était, cette fois, terminée.

(1)-Opera Volontaria Repressione Antifascismo. Police politique secrète. (2)-Controspionaggio : le C.E. italien. (3)-Le Général CARTIER s’était distingué par une protestation contre le guet-apens dans lequel le SOL. local avait attiré M. François de MENTHON en utilisant du papier à en-tête de la Mairie (J. DELPERRIE de BAYAC : « Histoire de la Milice », Ed. Fayard, p141).S.O.L. = Service d’Ordre Légionnaire. (4)-Marseille était occupé par les Allemands. (5)-Parmi les papiers figuraient les doubles des rapports de B. à Rome (Cf. Paillole — op. cit, p. 282). (5 bis) Il s’agit de l’arrestation d’HENRI, KAYSEN, MULLER, SCHMIDT, etc. au cours d’un de leurs rendez-vous, place Bellecour. (6)-Ici, le pseudonyme de PALIS dont je ne me souviens pas. (7)-Selon REMY, récupérer des agents d’un autre réseau est une « façon de faire qui engendre des catastrophes ». (Mémoires d’un agent de la France Libre.) (8)-Après la Libération, il fut arrêté, condamné à mort et fusillé. (9)-Les CC NN (camicie nere soit chemises noires) étaient les formations militarisées du parti fasciste. (10)-« Gruppidi azionenizzarda » ou G.A.N. (11)-Démolie en 1979 ; elle se trouvait côté Est. (13)-Le Capitaine BOIRON est mort en déportation. (14)-Le Commandant MANARANCHE a révélé après la guerre qu’il avait considéré comme probable l’hypothèse d’un guet-apens. Pourquoi donc alla-t-il ? A mon avis, il ne voulait pas refuser d’opérer ce recrutement de peur que je ne le taxe de pusillanimité. Mais il ne voulait pas non plus prendre la responsabilité de m’envoyer dans un piège. Il se résolut à assumer le premier contact. C’était agir à la fois en chef et en ami. Et puis, MANARANCHE aimait le jeu. Les raisons qu’il me donna n’en étaient pas moins valables. Mais manipuler Remo de MARSEILLE n’était pas possible. (15)-L’hôtel de Lorraine, avenue Durante, tenu par un couple courageux et dévoué. (16)-M. BORGHINI, sa secrétaire et le Commissaire HARANG furent fusillés à l’Ariane le 15 août 1944. (17)-J’estime à une trentaine le nombre de personnes que nous avons ainsi arrachées aux camps ou à la mort. (18)-Note à venir. (19)-Dans la rade de VILLEFRANCHE. (20)-Ces derniers comprenant le tracé d’une galerie souterraine située entre la rue des Ponchettes et le Monument aux Morts. (21)-Voir Miche! GARDER, op. cit., p. 454. (22)-Cinq kilomètres à l’ouest de SAN REMO. (23)-C’était, au moment du débarquement, la 148e , mais nous avions identifiée là précédemment la 157° qui fut ensuite employée à GLIÈRES et dans le Vercors.




“Notre espion chez Hitler” : Commentaires apres la parution du livre

QUELQUES COMMENTAIRES ET EXTRAITS DE PRESSE .

COMMENTAIRES

De Charles Hernu, Ministre de la Défense (le 11 sept. 1985)

… « C’est un livre bien émouvant (d’autant plus que l’actualité s’y prête). Je dois dire que je l’ai lu en une seule nuit tellement il est passionnant »…

De Henri Amouroux de l’Institut (12 sept. 1985)

… « Votre livre est passionnant. Il m’a mené jusqu’à 3 heures du matin, ce qui est d’un bon compagnon. On reste stupéfait devant l’inertie des autorités françaises militaires et gouvernementales »…

De quelques « anciens du 2 bis »

… « Je m’associe pleinement aux observations que vous faites sur l’inutilisation par le haut- Commandement des informations et des avertissements que lui fournissait le S.R. J’ai fait la même observation tout au long de ma carrière y compris au S.D.E.C.E. et dans les deux États-majors alliés auxquels j’ai appartenu. La chose la plus difficile dans l’art du renseignement est de convaincre l’échelon supérieur de la certitude de ce qu’on lui transmet… » ( Colonel B. GALLIZIA).

… « Page après page j’ai eu le plaisir et l’émotion de voir revivre le Chef et les camarades – hélas aujourd’hui tous disparus – de notre 2 bis : Rivet, Perruche, Schlesser, Navarre, Bertrand et plus particulièrement ce dernier devenu pour moi un grand ami (…)

Il reste que vos pages constituent un excellent témoignage de l’efficacité de nos Services Spéciaux actuellement si décriés. Il est malheureusement vrai que depuis la Libération l’accroissement constant de la quantité a eu sans doute comme corollaire l’affaiblissement de la qualité, et aussi, sans doute surtout, les patrons n’ont plus été des professionnels formés dans et par le métier (…) quand on confie la direction d’un orchestre à un bonhomme qui ne connaît pas la musique, il faut s’attendre à des fausses notes »… (Colonel P.H. ARNAUD).

… « Émouvant de revoir tous ces noms si cordialement familiers et porteurs de souvenirs (…) Poignant de revivre ces temps qui, vous le montrez bien, nous laissent un goût amer. D’autant que ce ne sont pas les temps actuels et leurs désolantes affaires qui apportent consolation (…)

Merci, et même si vous le permettez, merci pour le 2 bis ! (Colonel R. TRUTAT)

Du Général Pierre RENAULT (Professeur à l’École de Guerre)

… « Je vous avais promis de vous adresser des remarques sur quelques pages (1) de votre remarquable ouvrage. Dans ces pages se révèle une confusion entre le 39em Corps blindé de SCHMIDT et le 15em Corps de Hoth. (…) Cela n’affecte en rien l’ensemble passionnant de votre livre »…

Échos de l’étranger :

… « J’ai lu cette histoire avec grand intérêt et admiration. La contribution française à la reconstruction et au décryptement de l’E.N.I.G.M.A. nous a été indispensable »… (Colonel T. LISICKI, ancien collaborateur du Colonel LANGER au bureau du Chiffre polonais).

… « J’ai lu votre livre avec beaucoup d’intérêt et d’admiration pour vos recherches. Je compte faire usage de vos résultats et attirer l’attention sur leur importance dans mon prochain ouvrage à paraître en 1986 sur L’Histoire du Renseignement en Grande-Bretagne (Professeur Sir Harry HINSLEY, Maître de conférences à Cambridge.)

… « Je vous félicite d’avoir écrit une oeuvre de première importance pour l’histoire de l’espionnage, de la cryptographie et de la 2em guerre mondiale. Vous avez apporté beaucoup de faits inconnus ainsi que des documents inédits et votre travail aidera énormément les historiens »… (David KAHN, NEW YORK, U.S.A., spécialiste de renommée mondiale en cryptologie et histoire.)

… « Je viens de recevoir votre livre et m’empresse de vous en féliciter. Cela est, vous permettez de le dire, un récit à la fois lucide, important et bizarre (sic). Je trouve stupéfiant que l’Abwehr ait découvert la trahison de SCHMIDT dès mars 1943 et que néanmoins nous avons continué à lire les codes E.N.I.G.M.A. jusqu’à la fin de la guerre. Il reste toujours des mystères… » (Peter CALVOCO­RESSI, spécialiste de la machine E.N.I.G.M.A. à BLETCHLEY-PARK.)

… « Je suis persuadé que vous réussirez pleinement à intéresser le public à ce grand sujet dont vous faites fort bien ressortir l’importance… » Professeur J. STENGERS, spécialiste d’Histoire contemporaine à l’Université Libre de Bruxelles.)

EXTRAITS DE PRESSE

… « Il a fallu 40 ans pour qu’un as des services secrets français nous fasse cette stupéfiante révélation : dès 1931 nous avions notre espion chez Hitler ! Dans quarante ans on nous dévoilera peut-être l’étendue des dégâts récemment causés en R.F.A. et aux États-unis par des espions à la solde des Soviétiques.

Aujourd’hui le Colonel PAILLOLE révèle qu’en 1939 la France possédait un espion au sein même de l’État-major allemand. Mais on ne l’a pas écouté »… Le Figaro Magazine, 14 septembre 1985.)




A propos de “L’Homme des services secrets”: temoignages

De notre ami Joseph Challan-Belval, ancien de T.R. et du ” Jouet des Flots ” (avec le Lieutenant de Vaisseau Le Henaff), déporté. Extrait d’une lettre au Colonel Paillole ” J’ai bien reçu le dernier bulletin ; c’est toujours avec un grand intérêt que je le lis. Vous avez bien fait de résumer ce qui a été l’action des services spéciaux de 1940 à 1942; c’est toujours assez difficile à faire comprendre à ceux qui ne l’ont pas vécu. Je me rappelle encore parfaitement le jour de décembre 1940 où vous êtes revenu à la villa Eole après l’arrestation de S. . Je ne vous ai jamais revu dans une telle indignation, vous étiez blême de colère! “…

De notre ami Henri Castex ” J’ai bien reçu avec plaisir, comme toujours, le dernier bulletin de l’amicale. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre article ” la confusion des genres “. Vous avez hautement raison de rappeler l’action du Colonel Rivet, soutenue par le Général Weygand en faveur de la création au sein de l’Armée de l’armistice, du service des ” Menées antinationales “. Le B.M.A. est toujours critiqué par certains résistants. C’est pour cela que j’estime que notre bulletin devrait être largement diffusé. Le plus grand nombre ignore l’action du réseau T.R. contre les infiltrations des services secrets allemands. Très peu savent que jusqu’à la dissolution de l’Armée de l’armistice des agents allemands ont été exécutés en zone libre.

De notre amie Yvonne Dantoine, à l’origine de l’évasion du Capitaine de Neucheze. Lettre adressée le 5 janvier 1996 au Colonel Paillole: “Je vais vous raconter l’évasion des deux internées que j’avais mission de soigner dans un pavillon du Val-de-Grâce, deux internées par les Allemands.

A l’époque, j’avais une jolie voix et en chantant, j’ai attiré vers moi les trois sentinelles allemandes, armées de fusils et de grenades. Elles ont donc quitté leur poste qui consistait à surveiller leurs prisonnières. Durant ce laps de temps, celles-ci ont coupé les barbelés et selon mes indications, se sont sauvées. Une des deux, Loulou Bichareil a accroché ses longs cheveux au fil de fer barbelé, ce dont elle a souffert très longtemps.

Il y avait aussi au Val-de-Grâce, un pavillon situé dans le jardin, occupé par des internées sous surveillance d’Allemands. Longtemps après l’évasion, j’ai donc prévenu ceux-ci qu’il manquait deux internées, peut-être étaient-elles à la radio? Le chef, un Prussien, est venu et a demandé: — A quelle heure, l’infirmière a pris son service? La sentinelle a répondu 2 heures (14 h.). Mlle Facq, une troisième internée qui ne s’est pas sauvée, craignant que l’on ne prenne sa mère en otage, ce qui est déjà arrivé dans sa famille, parlait allemand, me l’a répété. C’est ce qui m’a sauvé.

Or, c’était faux, j’étais rentrée à 2 h. moins 20. Entre temps, il y a eu échange de sentinelles. Bref les coupables n’ont pas été punies. Les non coupables ont été envoyés en Russie, paraît-il…

Quelques jours après, j’étais convoquée au pavillon par le Commandant de la Gestapo. Il est venu m’ ‘interroger, accompagné de deux sous-officiers qui me regardaient dans les yeux. — A quelle heure, avez-vous pris votre service? J’étais très calme, moi qui ne sais pas mentir, on a dans la vie parfois des grâces d’état… J’ai dit 2 heures. Je n’ai pas bronché, ai soutenu leur regard. J’ai pensé à ma mère qui n’avait que moi et que j’adorais. — Bon, vous resterez à notre disposition.

Mais ce n’est pas tout, donnant sur ce pavillon, il y avait un hôtel. Une femme, d’un certain âge se trouvait dans un fauteuil roulant, elle était infirme, elle m’a vue. Elle a envoyé un homme au poste de garde de l’hôpital disant ” l’infirmière est complice de l’évasion “. Or, heureusement pour moi, le poste était gardé par un sous- officier français, un breton, très patriote qui m’a prévenue.

Vraiment, quelle chose horrible d’être dénoncée par des Français! Heureusement, il n’est pas allé trouver les Allemands. Mais le chef des soldats allemands me disait: — Vous êtes complice, vous irez en camp. A la libération de Paris, le Capitaine de Corbie (cousin germain du Général de Gaulle, hospitalisé au Val, de retour de camp des prisonniers) voulait que nous allions dans cet hôtel trouver les coupables. Je ne me suis pas vengée!

P.S. : Ah ! J’avais chanté un air de “La Veuve Joyeuse “… “Viens dans mon joli pavillon “…

De notre ami Georges Ribollet, à propos de Pierre Hannequin, décédé le 5 juillet 1995. ” Pierre Hannequin, mon opérateur radio, au cours de ma première mission en France occupée. Nous étions plusieurs camarades réunis depuis longtemps. Nous étions partis d’Alger sur l’Angleterre, à bord d’un bateau, compris dans ceux qui transportaient les prisonniers de l’Armée Von Arnim (Tunisie – Mai 1943).

Il y avait le capitaine Vellaud, les lieutenants Heusch et Boffy, Pierre Hannequin et moi-même. Nous avons gagné Liverpool, puis Londres.

Après l’instruction fort intéressante des Anglais, Vellaud et Heusch furent parachutés en France une vingtaine de jours avant les autres. Ils nous reçurent, Pierre Hannequin et moi le 17 juillet 1943 à La Roche-Vineuse, située à l’ouest de Macon.

Pierre Hannequin, repéré sur les ondes à Lyon, partit sur mon ordre à Paris et renvoya son message du ” Lancaster “, rue du Berri où je l’avais entraîné. C’était un hôtel rempli d’Allemands et j’exécutais les conseils des Anglais quand tout semblait aller au plus mal. En quelques minutes le message partit sur Londres ” …




Congres de Lyon 1998 -Lettre de Henri Amouroux

Mon Colonel, ( Ndlr : P. Paillole) En vous écoutant ce matin à l’Hôtel de Ville un mot m’est venu à l’esprit, il a vous surprendre peut-être, c’est le mot ” rafraîchissant “. J’ai pensé qu’aujourd’hui, avec vous, nous sortions des miasmes de la politique, de tout ce qui fait le quotidien souvent nauséabond. C’est pourquoi avec vous j’ai l’impression de vivre une cure de rafraîchissement en compagnie des hommes et des femmes qui n’ont jamais cessé d’être ce qu’ils étaient en 1940 et dans les années suivantes, lors d’un désastre dont nous porterons toujours le poids, dont l’Europe portera le poids.

Nous oublions trop, en effet, que 1940 constitue l’une des grandes fractures du siècle ; il y a eu 1917 et la révolution bolcheviste, 1940, drame pour l’Europe entière, 1989 et la fin, sinon du communisme du moins du communisme bolcheviste de Moscou.

1940 aura marqué la fin de la puissance politique de l’Europe car aujourd’hui il n’est pas concevable qu’un problème important, sur les rives de la Méditerranée… ou ailleurs, soit réglé autrement qu’à Washington et que par Washington, ce qui n’aurait pas été le cas avant la Deuxième Guerre Mondiale.

Cette montée en puissance rapide des États-Unis, conséquence de l’affaiblissement considérable de l’Europe, est le résultat du grand désastre de 1940.

Un désastre raconté aujourd’hui comme si le transistor, la télévision, internet, avaient existé en 1940 !

Un désastre dont on parle en oubliant les millions de fuyards sur les routes ; les deux millions de prisonniers, le drame de notre armée battue, cette armée dont les journaux écrivaient, après le défilé du 14 juillet 1939 qu’elle était irrésistible ! Un an après il n’en restait que la petite armée d’armistice : cent mille hommes en zone non occupée. Des hommes cependant allaient répondre les uns à l’appel du Général de Gaulle, les autres à l’appel de leur conscience, de leur coeur ou à celui de leurs traditions familiales ou militaires. Ils étaient minoritaires ?

La résistance à ses débuts ? Une addition de solitudes et une addition de solitaires. Des solitaires qui n’ont aucune ambition politique, qui ne jouent aucun jeu politique et qui ne misent rien ni sur le rouge ni sur le noir.

C’est ce qui fait leur grandeur, leur héroïsme. Ce désintéressement mérite d’être rappelé aux garçons et aux filles d’aujourd’hui qui n’ont, fort heureusement, à l’horizon aucune perspective de guerre, de conflit mondial.

Le monde a ainsi changé : alors que la France a eu des ennemis presque héréditaires (la maison d’Autriche, l’Angleterre, l’Allemagne), la voici en paix avec tous ses voisins.

Votre courage mon Colonel, Mesdames et Messieurs, a été d’aller à contre courant quand tout le monde disait et croyait que la France était battue, que sur les routes fuyaient neuf millions de personnes dont le premier souci, après l’armistice, fut de retrouver la famille dispersée, les enfants perdus.

Dans les journaux de l’époque il y a ainsi des pleines pages d’annonces de recherches de femmes, d’enfants. J’ai même retrouvé une annonce stupéfiante par laquelle un général recherchait sa division perdue.

Cela fait rire aujourd’hui, mais cela n’était nullement risible à l’époque puisque c’était le signe de la rapidité avec laquelle l’État, l’armée, le pouvoir, tout s’était effondré.

Oui, ces premiers mois ont été terribles car il a fallu continuer à espérer et à se battre dans l’absolu de l’ignorance, de l’incertitude, des drames qui se succédaient et atteignaient une France abandonnée, il faut le rappeler, par le monde entier.

Au cours d’une émission de Jean-Marie Cavada, on a pu entendre M. Paxton dire : ” Les Français auraient dû être plus courageux en juillet 40 “. Je lui répondis que juillet succède à juin et qu’aux appels désespérés du gouvernement français, de M. Paul Reynaud, Président du Conseil, demandant au Président Roosevelt non pas de déclarer la guerre mais de dire que les États-Unis entreraient un jour en guerre, le Président Roosevelt répondit par la négative car cinq mois plus tard se déroulaient les élections présidentielles américaines, qu’il était candidat et qu’il avait promis aux femmes américaines de ne pas envoyer leurs fils de l’autre côté de l’Atlantique.

Abandonnés par les États-Unis, menacés par le pacte germano-soviétique dont on ne parle pratiquement plus alors que, laissant les mains libres à l’Allemagne à l’Est, il permit à Hitler d’évacuer le souci d’une bataille sur deux fronts ; délaissés par l’Angleterre qui ne nous a pas considérablement aidés à la mesure de sa puissance (elle n’avait que dix divisions sur le sol français en 1940 alors qu’en 1916 elle en avait soixante), nous nous sommes trouvés en mai et juin 1940 dans une solitude totale.

Grand choc de la défaite, choc de l’exode, choc de la capture de 2 millions de prisonniers. Ces hommes avaient des familles, des femmes.

Dois-je rappeler qu’il a fallu attendre octobre 40 pour connaître le sort réservé à la moitié de ces prisonniers.

Cette complexité de la vie quotidienne et de l’histoire faite non par les généraux ou les chefs d’État mais, dans les heures dramatiques, par le peuple, j’ai essayé de la reconstituer non pas avec objectivité, mot journalistique, non pas en prétendant à la ” vérité ” car il y a autant de vérités que d’hommes et de femmes mais avec pudeur et modestie, en essayant de faire comprendre, qu’il y eut une suite d’évolutions et que 1940 ne ressemble pas à 1941 qui ne ressemble pas à 1942 ainsi jusqu’en 1945…

Je ne suis pas partisan du noir et du blanc. Le ciel n’est pas bleu ou noir tous les jours, il y a des nuages et ce sont ces nuages qu’il faut essayer de capter, de refléter par l’écriture. Si j’ai écrit tant de livres, c’est bien pour essayer de faire comprendre les évolutions des Français.

Quant à vous, Mesdames et Messieurs, votre rôle était d’autant plus difficile que vous n’étiez pas de ceux qui pouviez ou qui vouliez revendiquer votre résistance ; vous n’aviez pas le droit de brandir un drapeau et vous ne politisiez pas votre combat.

Or, à partir de 1942/1943, le combat est devenu bien souvent un combat politique, et ceux qui, comme vous, appartenaient aux Services Spéciaux, ont été pris entre deux grandes forces qui fatalement les laissaient de côté.

C’est ainsi que la bataille de Paris, bataille du peuple a également été, entre communistes et gaullistes, une bataille politique ; pour le pouvoir proche. Cette ambition de pouvoir était parfaitement normale mais elle écartait ceux qui, comme vous, avaient participé à des actions efficaces qu’ils ne pouvaient revendiquer alors même que certains se paraient de l’héroïsme et du sacrifice des morts.

Aujourd’hui le problème est un problème de communication. La mémoire collective retient ceux qui se mettent le plus outrageusement en avant dans les medias. Je n’ai pas, on n’a pas, vous n’avez pas assez parlé de votre action qui, au contraire de celle de beaucoup d’autres, a été une action menée dès les premiers jours de la défaite.

Action difficile et dangereuse puisque il s’agissait de percer les secrets de l’adversaire. L’espionnage et le contre-espionnage sont des métiers, cela s’apprend et lorsque l’on en ignore les règles on court à la catastrophe.

Nous sommes à Lyon; on a souvent parlé du drame de Caluire. A son origine d’abord des négligences graves : 12 ou 13 personnes étaient au courant du rendez-vous, cela en fait certainement 10 de trop. En vérité il existait, dans la résistance, une volonté de parler, de faire savoir, de s’afficher.

Les Polonais, dans la mesure où ils avaient été occupés à trois reprises et où ils l’étaient pour la quatrième fois, avaient tendance à considérer les Français comme manquant de discrétion, comme s’exposant à des risques excessifs en faisant étalage de leurs sentiments. Mais vous, Mesdames et Messieurs, vous avez mené votre action avec passion et efficacité. Il y a une phrase très belle, très juste que cite le Général de Gaulle : ” Les raisonnables ont duré, les passionnés ont vécu “.

Vous pourriez la mettre en exergue car vous avez été des passionnés en sachant rester des raisonnables. Si vous n’aviez pas été des raisonnables votre travail aurait été détruit rapidement par vos adversaires que vous n’avez jamais ni sous-estimés, ni méprisés. Or l’une des grandes erreurs des Français, en 1870, en 1914, en 1940, a été de sous-estimer l’adversaire au lieu de le connaître après l’avoir étudié. Et votre travail à tous a été de connaître l’adversaire.

Il est stupéfiant que les renseignements que vous avez apportés n’aient pas été sérieusement pris en compte et d’abord avant la guerre. Le gouvernement ne pouvait pas dire qu’il ne savait pas, en 1939 il savait et lorsqu’il a déclaré la guerre, vous le savez mieux que moi, mon Colonel, il déclarait une guerre perdue d’avance.

Voici un exemple tristement représentatif de la situation de l’époque : Dans le rapport d’une séance de travail présidée, le 31 mars 1940, par M. Dautry, Ministre de l’Armement, on apprend que le ministre est allé incognito dans une usine d’armement, que nul ne l’a arrêté à l’entrée de l’usine, qu’il est entré librement dans un bureau, a pris des dossiers, est reparti pour Paris et a téléphoné au directeur de cette usine pour lui dire de venir rechercher ces documents. Comment ne pas être atterré ?

Vous, vous connaissiez la force de l’armée allemande, son plan de bataille et personne n’a pris en compte tous les renseignements que vous apportiez, notamment après octobre 1939, sans doute en vertu de ce raisonnement stupide :” les Français ne sont pas des Polonais “. En revanche l’armée allemande de mai 1940 avait tiré les leçons de sa campagne contre la Pologne et, notamment en ce qui concerne les chars, la coopération char-avion, elle était beaucoup plus forte en mai 40 qu’en septembre 1939.

Vous avez été de ceux qui auraient dû permettre au gouvernement de préparer la guerre, de ne pas politiser les problèmes de défense nationale. Quand on pense qu’en 1937-1938 il était interdit de travailler plus de 40 heures par semaine dans les usines de la défense nationale, comment voulez-vous ne pas perdre la guerre alors qu’il y a en face de 41 millions de Français, 80 millions d’Allemands qui eux travaillent 60 à 70 heures dans les usines d’armement ! Comment voulez-vous que le déséquilibre ne soit pas flagrant ?

Le système D cher au coeur des Français ne répare pas des fautes aussi flagrantes que celles-là. Ce qui était sans doute vrai quand les armées marchaient au même pas, à la même vitesse, comme en 1914, ne l’était plus en 1940. Et encore, en 1914 la France aurait été vaincue plus vite qu’en 1940 si les offensives russes qui devaient mal finir, n’avaient pas obligé le haut commandement allemand à retirer des troupes de l’Ouest.

En 1940, l’association des chars et des avions ayant fracassé les lignes de défense nationale, Paul Reynaud d’abord, puis l’assemblée nationale font appel à un vieux Maréchal dont on oublie de rappeler qu’il avait appris les rudiments de latin avec un prêtre qui avait fait la guerre d’Italie avec Bonaparte en 1797… On oublie que le Maréchal était né en 1856, un an après la fin de la guerre de Crimée et qu’il est un homme du XIXe siècle.

Il est important de comprendre que la France du XIXe siècle, celle de Pétain ne ressemblait en rien à la nôtre. Le transistor, internet, la télévision étaient à venir. Les rapports entre supérieurs et subordonnés, entre parents et enfants étaient très différents de ceux d’aujourd’hui.

En 1940 la France, nation paysanne, est toujours cruellement blessée par la guerre de 14-18. Aujourd’hui, avec les autoroutes, plus personne n’emprunte les petites routes et ne s’arrête dans les villages. S’y arrête-t-on et va-t-on au centre du village, là où se trouve le Monument aux Morts, alors on s’aperçoit qu’il y a souvent plus de noms inscrits sur le monument que de vivants dans le village.

En 1940, cette guerre de 14-18 était tellement proche que beaucoup de Français vivaient dans son ombre, et que les Anciens Combattants, qui n’étaient pas, comme on le croit, de grands vieillards, ils avaient 42, 45, 50 ans, avaient une influence considérable.

Les mots qui reviennent dans les journaux de mai-juin 1940, sont des mots qui font allusion au miracle de la Marne à Verdun et à Pétain, homme de Verdun, mais la guerre a changé de rythme, de style, elle n’est plus celle de 1916, ni même celle de 1918.

Plus rien ne ressemble à rien. Dans cet abandon, dans ce noir absolu, notre courage aura été de croire à cette petite lumière au bout du tunnel : l’Angleterre qui continuait la guerre. Mais qui pouvait être certain de l’avenir alors que les Américains croyaient bien peu à la victoire anglaise puisqu’ils avaient demandé à Churchill d’envoyer la flotte anglaise aux États-Unis !

Pour vous, votre devoir et votre mission étaient de continuer à vous renseigner sur l’adversaire vainqueur et de le faire depuis la France non occupée comme depuis la France occupée. Cette mission vous l’avez remplie et on ne le sait pas assez.

Les historiens vous négligent beaucoup trop parce que vous n’appartenez pas à un clan, à un parti. Vous appartenez au clan des honnêtes gens qui, aujourd’hui, passent pour des naïfs dans un monde où la naïveté est durement sanctionnée.

Vous ne revendiquez rien si ce n’est d’avoir fait votre devoir et je suis toujours ému. Je l’étais ce matin par les porte-drapeaux parce qu’ils sont un symbole, parce que, pour eux, ce jour était un grand jour. Mais dans cinq ans, dans dix ans est-ce que les drapeaux auront encore un sens dans des nations au passé oublié ?

Or, je ne crois pas à la paix éternelle, à un monde sans problèmes ; je crois que l’on aura toujours besoin de racines. Pourquoi avez-vous pris la décision de continuer la lutte, de poursuivre votre mission, non pas quand vous saviez que c’était gagné mais à l’instant où la majorité disait que ” c’était perdu ” ? Parce que vous vous accrochiez à l’essentiel, à votre éducation militaire et familiale, à votre sens du devoir et de la Patrie.

Mais quand tout cela sera dilué dans l’incertain, dans la vague, dans la confusion historique, que restera-t-il ? Que représentera ce passé pour nos enfants ? C’est la véritable interrogation.

L’exemple vivant devrait se transmettre à travers les livres et par les medias. Mais les medias ne sont pas favorables, il ne faut pas se leurrer, à certains exemples dans la mesure où ces exemples se rattachent à des valeurs qui sont bafouées quotidiennement… et collectivement.

Alors je veux vous dire ma très grande affection, ma très grande sympathie pour vous, pour ce que vous avez fait.

Ce sont ces moments que vous avez vécus qu’il faut essayer de faire revivre. Un peuple n’est pas toujours admirable mais je crois que c’est un tort politique, un tort patriotique que d’accuser toujours un peuple, que de le mettre au ban de l’histoire. Il ne se révèle pas tous les jours. Il lui faut des grandes et rudes occasions. Il lui faut des entraîneurs. Dans ces grandes, dramatiques et rudes occasions, mon Colonel, vous avez été un entraîneur.

Réponse du Colonel Paul Paillole

Mon cher Maître,

Vous avez élevé le débat et parlé de notre engagement avec infiniment de nuances et beaucoup de vérité. Vous me permettrez de revenir sur quelques points de vos propos. D’abord cette impression de fraîcheur que vous avez ressentie. Cette fraîcheur est incompatible avec tout esprit de combinaison, toute ambition personnelle. Elle est effectivement empreinte d’une certaine naïveté.

Et cette naïveté qui fut la nôtre au début de notre combat était de croire encore à la France et nous y croyons toujours. Vous avez aussi, au cours de votre intervention, mis en évidence deux problèmes : Celui de la résistance qui, dans des conditions difficiles, s’est constituée avec des hommes sans liens. Je voudrais toutefois attirer l’attention de mes camarades sur le fait que, au départ, la résistance fut l’oeuvre de militaires, probablement parce que les militaires sont hostiles à tout esprit de combinaison et n’ont qu’une passion, servir leur pays.

C’est tellement vrai que le premier des résistants c’est le Général de Gaulle, et que le second c’est Henri Frenay, un de mes camarades de promotion; les autres sont ceux de l’armée française. Je voudrais que mes camarades comprennent bien que notre ambition était que l’histoire sur ce point ne soit pas tronquée.

Je vous remercie de bien vouloir la diffuser avec l’autorité que confèrent votre nom et votre compétence. A l’appui de ce que je viens d’exprimer, je peux vous dire que j’ai reçu récemment la visite de Daniel Cordier, auteur d’un ouvrage sur Jean Moulin, qui avait souhaité me rencontrer. Il me dit :” Mon Colonel, je désirais vous voir car je ne peux plus rencontrer Henri Frenay, il est mort. Je suis maintenant convaincu, je vous l’avoue et je l’écris dans le livre que je vous dédie, que vous êtes les premiers à avoir fait acte de résistance. Je voudrais que nous en soyons fiers et convaincus les uns et les autres que si pareille situation se représentait nous ferions de même.

Vous avez soulevé un autre problème plus grave et auquel j’aimerais que mes camarades, surtout ” les jeunes “, réfléchissent : l’exploitation du renseignement.

Vous avez mis en lumière le fait que ” nous savions ” mais que le gouvernement et le commandement ne voulaient pas ” savoir “. Je vous livre à ce sujet, deux témoignages : l’un de Daladier qui écrivit dans son livre: ” Je dois reconnaître que les services du Colonel Rivet, qui ont été les premiers résistants, étaient bien renseignés mais je dois reconnaître aussi que le commandement n’en a pas tenu compte “.

D’un autre côté Weygand m’écrit: ” Je reconnais que vos services nous ont parfaitement renseignés mais que le gouvernement n’a pas voulu en tenir compte ” Alors qui est responsable ?

C’est tout le problème de l’exploitation du renseignement, et aujourd’hui c’est une question cruciale.

L’exploitation du renseignement est en effet entre les mains de ceux qui l’organisent mais elle est tributaire du gouvernement pour le renseignement élevé et de l’État-major. Seulement il y a bien souvent une politique que l’on ne veut malheureusement pas voir infirmée par les renseignements transmis,… alors on laisse ceux-ci de côté.

Le problème qui se pose donc et que je pose aux “jeunes “, et c’est pour cela notamment que je les invite à venir dans notre association afin d’y réfléchir, est le suivant:

Comment faire pour que, désormais, les événements que nous avons vécus ne se reproduisent plus, pour que les renseignements recueillis, qui sont fondamentaux pour la conduite de notre pays, ne soient pas dénaturés ou ignorés et par conséquent mal exploités par souci politique ou esprit de discipline mal compris ?

J’ai lu récemment que certains parlementaires se penchaient sur ce problème. Pourquoi pas ? Dans la mesure où on n’interférera pas dans le fonctionnement même des Services Spéciaux.

Je me demande en effet si la représentation populaire n’a pas le droit de dire à ceux qui nous gouvernent: ” Qu’avez-vous fait du renseignement que tel service vous a transmis ?

” Le problème est donc bien celui de l’exploitation et l’utilisation du renseignement. Mon cher Maître, vous l’avez soulevé et je vous en suis reconnaissant. Vous m’avez aussi permis d’exposer à mes camarades l’orientation que je veux donner à notre association. C’est précisément dans cet esprit que je voudrais qu’ils réfléchissent et qu’ils s’engagent plus que je ne peux le faire à présent.

Je voudrais tant que l’on évite des drames comme ceux que nous avons vécus et que vous avez si bien définis. Je vous en remercie.




Evolution de l’association – L’ouverture : jusqu’ou aller ?

Depuis plusieurs années nos Assemblées Générales se sont inquiétées de la survie de notre Association. Le problème du recrutement a été et demeure l’une de nos préoccupations majeures. Demain, c’est-à-dire à l’occasion de notre prochain Congrès du 12 au 15 mai 1988 à Bordeaux, nos adhérents seront saisis d’un projet de modifications de nos statuts afin de permettre l’ouverture de notre Amicale à des générations plus jeunes. Lesquelles et comment? C’est à cela qu’il faut réfléchir, c’est pour cela qu’il est donné ci-après quelques éléments de réflexion.

 

1° Notre origine et nos buts : Nous les retrouverons résumés sous la plume du Général L.RIVET, notre Patron de 1936 à 1944, à la fois sur la page de nos statuts et sur celle de notre Bulletin.

J’en reproduis quelques phrases essentielles

…« Nouvelle par la densité de son titre, riche de son contenu français… Dans la chaude communauté des Anciens des Services Spéciaux, il y aura moins de souffrances et plus de joie » …« Un passé riche de gloire et de services rendus au Pays. » Voilà les raisons de notre Association et les seules. …« L’A.A.S.S.D.N., association de qualité qui a pris figure de groupement pilote parmi ceux voués à des buts identiques »

 

2° Nos réalisations: Nous nous sommes efforcés depuis trente-cinq ans de rester fidèles à ces affirmations de base. …« Riches de notre contenu français » : Notre action nationale, dépouillée de toute coloration politique, a toujours défendu les intérêts et la grandeur de la France. Dans les grandes crises qui ont secoué notre Pays, nous avons soutenu ce que nous pensions conforme à l’idéal de Patrie qui a conduit tant des nôtres au sacrifice. Ainsi voulions-nous d’une façon ou d’une autre garder l’Algérie dans la France… Ainsi, plus récemment, avons-nous pris la défense des Services Spéciaux et de leurs collaborateurs dans les crises qui ont mis leur efficacité voire même leur existence en cause.

… « Un passé riche de gloire et de services rendus au Pays » Notre action morale n’a cessé de mettre en évidence cette réalité si souvent ignorée, contestée, parfois même tendancieusement déformée. Notre Mémorial de Ramatuelle est devenu le symbole national et respecté de l’histoire contemporaine des : « Services Spéciaux de la Défense Nationale. » Nos réunions nationales à Paris et en province ont fait connaître à l’opinion leur vrai visage. Des ouvrages de qualité, parfois couronnés de prix littéraires, ont largement diffusé et diffusent toujours en France et à l’étranger la Vérité sur ce que fut notre vieille Maison, ses mérites, ses réalisations et aussi ses faiblesses. Nos réactions devant les insultes, les oublis, les mensonges, s’imposent désormais à l’audience des médias, comme à celle des Français. Enfin, chaque fois que nous l’avons pu — pas assez souvent à notre gré, nous avons aidé nos camarades à faire reconnaître leurs titres et leurs mérites.

… « Moins de souffrances et plus de joie ». Notre action sociale demeure prioritaire. Nous lui consacrons l’essentiel de nos moyens financiers. En toutes circonstances, nous manifestons notre solidarité, notre présence auprès de ceux des nôtres qui sont dans la peine. A cet égard, on ne saurait trop remercier la vigilance de nos délégués et leur dévouement si désintéressé. Il reste pourtant que notre action sociale ne saurait être complète si elle négligeait l’aspect moral de notre mission. A cet égard, notre Bulletin trimestriel demeure le lien irremplaçable entre nous. Je n’oublie pas non plus le rôle humain de liaison joué en permanence avec tant de générosité et de gentillesse par nos secrétaires.

…« Groupement pilote », nous le sommes si j’en juge par les réactions amicales que suscite notre façon d’être auprès des Associations amies. Mais « groupement pilote » sous-entend l’idée que nous avons des devoirs pour l’avenir et sans doute un rôle dont il reste à définir les contours. C’est bien de cela qu’il s’agit désormais.

 

3° L’Avenir. Il est possible de l’envisager de deux façons:

a) Rester dans le statu quo, c’est-à-dire limiter rigoureusement notre recrutement à ceux qui ont appartenu aux Services Spéciaux de la Deuxième Guerre mondiale et à leurs ayant droit (enfants, parents, etc…) le Conseil d’Administration accordant quelques dérogations à cette règle. C’est sensiblement la situation actuelle. A plus ou moins long terme, elle voue notre Association à la dissolution.

b) Ouvrir notre Association aux Anciens des Services Spéciaux actuels, étant entendu que leur adhésion doit comporter l’engagement de veiller scrupuleusement au respect de notre Passé, de nos traditions et des principes de base qui ont présidé à la création de notre Association. C’est, en bref, les modifications que notre Conseil d’Administration envisage de soumettre à l’appréciation de nos adhérents