1944 : Paul Daum contribue à déjouer l’aviation de l’ennemi lors du débarquement de Provence

Paul Daum

Durant la Première Guerre mondiale, Paul Daum sert d’abord dans l’artillerie puis dans l’aviation, se distinguant par son courage, notamment en affrontant seul six avions ennemis en 1915. Il devient pilote, commande une escadrille, et est plusieurs fois cité pour bravoure. Durant la Seconde Guerre mondiale, il rejoint rapidement la Résistance, devenant sous-chef du Réseau Roy. Arrêté par la Gestapo en 1943, il est déporté et décède en captivité en 1944.

L’engagement de Paul Daum dans la Résistance et sa contribution à la collecte de renseignements ont eu un impact significatif sur le débarquement de Provence et les opérations militaires alliées en France durant la Seconde Guerre mondiale. Son travail et celui de ses camarades ont facilité les opérations militaires et ont contribué à la libération de la France. Le réseau Roy a fournit des renseignements cruciaux pour planifier cette opération majeure, en fournissant des détails sur les positions ennemies, les fortifications et les mouvements de troupes.




Avatars et renseignement humain dans la lutte contre les cybercriminels

L’article analyse l’évolution de la cybercriminalité et l’importance croissante du renseignement humain dans sa lutte. Il met en lumière la persistance des acteurs clés dans ce domaine, notamment les opérateurs russes, et leur adaptation aux changements technologiques et internationaux. Les succès récents dans la lutte contre la cybercriminalité, obtenus grâce à une combinaison de renseignement humain et de moyens techniques, soulignent la nécessité d’une approche plus humaine dans l’espace cyber. L’article conclut que la fusion du renseignement humain, physique et virtuel avec les techniques traditionnelles est cruciale pour contrer efficacement la cybercriminalité.




1914-1918 : Missions Spéciales des douaniers en Guerre

L’article de Yvan Chazalviel, Ancien attaché douanier à La Haye et Berlin, explore l’implication unique des douaniers français dans les efforts de renseignement et de défense pendant la Première Guerre mondiale, notamment à travers des “missions spéciales” derrière les lignes ennemies. Ces missions, souvent secrètes et périlleuses, comprenaient la surveillance des mouvements de troupes et le sabotage, capitalisant sur les compétences et connaissances militaires préexistantes des douaniers. Malgré les risques élevés, ces actions ont contribué à des succès tactiques significatifs, bien que leur impact global reste nuancé en raison des contre-mesures ennemies et de la limitation technologique de l’époque.




1956-1959 : le HD-321, l’avion du Service action du SDEC en Algérie

Le HD-321 était un avion spécialisé capable de se poser et décoller sur des pistes très courtes. Mis en service en 1956, il a été utilisé par le Service action du SDECE. Initialement commandé par Air France, sa production a été arrêtée après l’annulation de la commande. Ce modèle rare, construit seulement en deux exemplaires, se distingue par ses ailes à grand allongement. Utilisé pour des opérations spéciales en Algérie et ailleurs, l’avion a notamment servi à ravitailler des postes isolés de l’armée. Malgré ses exploits, l’un des HD-321 termine sa carrière de façon prématurée après un atterrissage raté en 1959. Aujourd’hui, l’épave de cet avion rare attire toujours l’attention, symbolisant une ère révolue de l’aviation et de l’espionnage.




1935-1940 : Les services spéciaux face à la montée des périls

Photo : général Louis Rivet, chef du contre-espionnage et des services de renseignement (1936-1944)

1er extrait de la série : “Retour sur les heurs et malheurs du service de renseignement de l’armée avant et pendant la Deuxième Guerre mondiale”

Au milieu des années 1930, le Service de Renseignement (SR) existe depuis un peu plus de soixante ans(1). Créé sur une base minimale et doté de moyens dérisoires(2) au lendemain de la guerre de 1870(3), il s’est étoffé au fil du temps. D’une part à la faveur de la première Guerre Mondiale. D’autre part à la suite des recommandations contenues dans les rapports présentés en 1932 et 1933 par le colonel Lainey(4), lequel avait plaidé, à juste raison, pour un renforcement du réseau des postes déployés aux frontières (ce qui débouchera, entre autres, sur la création du Bureau d’Études du Nord-Est à Lille) et pour un effort plus marqué dans le domaine des moyens techniques.

Au moment où le colonel Rivet en prend le commandement au mois de juin 1936 (c’est-à-dire à
peine trois mois après le choc majeur qu’a été l’occupation de la Rhénanie), le SR/SCR peut être caractérisé sur les bases suivantes :

  1. C’est une institution de caractère militaire et, plus précisément, une composante de l’État-Major, chargée tout à la fois de collecter un maximum de renseignements à l’étranger(5) et de contrecarrer les entreprises d’espionnage, quelle qu’en soit la nature et d’où qu’elles viennent. Ce qui apparaît a priori comme une évidence n’en mérite pas moins d’être précisé. D’une part parce que le SR/SCR n’est qu’un des acteurs du renseignement (qu’il partage avec le SR/Marine et, à partir de 1938, avec le SR Intercolonial) et du contre-espionnage (l’ensemble des procédures étant diligentées et gérées par la Surveillance du Territoire). Ensuite parce qu’il ne rapporte qu’à la hiérarchie militaire (soit directement, soit par le biais du 2e Bureau) et n’est que rarement en contact avec l’échelon politique, sauf à ce que l’échelon politique le sollicite directement(6).
  2. C’est une institution dont les moyens sont comptés, pour ne pas dire contraints, qu’il s’agisse de ses moyens en personnel(7), de ses moyens financiers(8) ou de ses moyens techniques(9). Comme c’est souvent le cas dans l’institution militaire, a fortiori dans le milieu du renseignement, les cadres sont recrutés par cooptation(10). Il n’est pas rare qu’ils y fassent l’essentiel de leur carrière(11) ou qu’ils y reviennent après y avoir servi(12).
  3. C’est une institution dont l’image et la réputation ont été durablement et profondément ternies par l’affaire Dreyfus, et ce à double titre. D’abord dans l’opinion publique, comme on le constatera lorsqu’une campagne de Presse sera lancée après l’arrestation de l’intendant Frogé, convaincu d’espionnage et condamné en 1935 à cinq ans de prison, c’est-à-dire au maximum de la peine applicable à l’époque(13). Ensuite, ce qui est plus surprenant, au moins a priori, dans l’institution militaire elle-même, car le fait de passer ou d’être passé par le SR/SCR n’est considéré ni comme valorisant, ni comme « porteur » dans une carrière d’officier. Le fait qu’aucun de ceux qui l’ont commandé n’ait dépassé le grade de colonel (à l’exception de Louis Rivet qui n’a accédé au grade d’officier général que lors de son départ en retraite et à la demande insistante de Jacques Soustelle) n’est pas le fait du hasard.
  4. Loin de vivre en vase clos et d’être un « électron libre » dans le système administratif, le SR/SCR doit, par la force des choses, travailler et « cohabiter » avec un certain nombre de partenaires autres que l’État-Major(14) et les services du ministère de la Guerre. Pour autant que les archives permettent d’en juger, les rapports avec les services du ministère de l’Intérieur (Direction Générale de la Sûreté Nationale, Surveillance du Territoire, 5e Section des Renseignements Généraux de la Préfecture de Police) et avec ceux du ministère de la Justice, où le SR/SCR dispose d’un correspondant privilégié et d’un relais efficace en la personne d’Henry Corvisy(15), peuvent être qualifiés d’apaisés, à défaut d’être pleinement harmonieux (notamment parce que la compétence des juridictions civiles à traiter les affaires d’espionnage est considérée comme approximative et les peines qu’elles prononcent comme insuffisantes par construction).

À l’inverse, les rapports avec les services du ministère des Affaires étrangères ont été le plus souvent conflictuels, pour ne pas dire tendus. D’une part parce qu’ils se sont opposés autant qu’ils l’ont pu à la nomination d’agents opérant sous couverture diplomatique, y compris dans des cas où elle était pleinement justifiée(16). D’autre part parce que, comme une bonne partie de l’administration et de la classe politique, ils n’ont compris que partiellement et tardivement ce qu’impliquait la lutte contre les entreprises de l’Axe, que ce soit sur le terrain de l’espionnage ou sur celui de la propagande(17). Ils persisteront à s’opposer jusqu’au mois de juin 1939 à l’expulsion d’Otto Abetz, organisateur et plaque tournante de la propagande du Reich en France(18). Après la déclaration de guerre, ils s’opposeront également à la fermeture des consulats italiens dans la zone des Armées alors qu’ils étaient communément utilisés par l’Abwehr pour collecter un maximum de renseignements d’ordre militaire, motif pris de ce qu’il ne faut ni « jeter Mussolini dans les bras d’Hitler » (dans un contexte où le Pacte d’Acier avait été signé au mois de mai 1939), ni le pousser à déclarer la guerre à la France » (ce qu’il fera, en tout état de cause, au début du mois de juin 1940). « Le SR dut combattre deux adversaires principaux : le contre-espionnage allemand et le ministère des Affaires étrangères. Des deux, ce fut le second qui entrava le plus efficacement notre action », écrira après la signature de l’armistice le commandant Navarre (qui avait passé les années 1937 à 1940 à la section « Allemagne » du SR)(19).

Si surprenant que cela puisse paraître aujourd’hui, il n’y a pas de branche « Action » au SR/ SCR, à l’inverse de ce qu’on observe à l’époque en Grande-Bretagne par exemple(20). La section MG (pour Matériel de Guerre) du 5e Bureau (qui regroupe depuis la déclaration de guerre le 2e Bureau et le SR/SCR) ne commencera à s’intéresser au sabotage que dans les derniers mois de l’année 1939(21). Aucune des opérations envisagées en liaison plus ou moins étroite avec l’allié britannique (l’obstruction du Danube notamment) ne débouchera sur quoi que ce soit. Il faudra attendre les premiers mois de l’année 1943 pour que le commandant Lejeune soit chargé de jeter les bases d’un service « Action » à la DSR-SM(22), mission dont l’objet même devint caduc après la création de la DGSS(23) à la fin du mois de novembre 1943 et, plus encore, après la fusion effective du BCRA et de la DSR-SM à la fin du mois d’avril 1944.

2) Les caractéristiques du SR/SCR et celles de son environnement institutionnel étant posées, reste à savoir si, dans quelle mesure et comment il s’est acquitté de ses missions tout au long des années 1930. Schématiquement parlant, elles sont au nombre de trois :
La connaissance, l’analyse et le suivi du ou des dispositifs mis en place par le ou les pays considérés comme des « adversaires potentiels », l’Allemagne et l’Italie en tout premier lieu.
La lutte contre l’espionnage, quelles qu’en soient la nature et l’origine.
L’identification, le signalement, le suivi et la surveillance de ceux qui sont susceptibles d’être considérés comme « suspects au point de vue national » (suivant la terminologie communément utilisée à l’époque).

2.1) S’agissant de la connaissance, de l’analyse et du suivi actualisé des dispositifs mis en place par les pays considérés comme des « adversaires potentiels » (Allemagne, Italie), le dépouillement des archives(24) ne laisse que peu de place au doute et ne permet pas ou quasiment pas d’instruire le procès du SR/SCR. D’abord parce que les documents disponibles montrent qu’il a compris et analysé, dès avant l’accession d’Hitler au pouvoir, l’objectif poursuivi par l’Allemagne à la fois sur le plan politique et sur le plan militaire, c’est-à-dire vider le Traité de Versailles de sa substance(25).

Ensuite parce qu’il a rapidement mis à jour et à peu près parfaitement suivi les efforts déployés par l’Allemagne dans la première moitié des années 1930 pour contourner les clauses militaires du Traité de Versailles et pour renforcer aussi discrètement que possible à la fois les effectifs et l’équipement de la Reichswehr(26). Enfin parce que les sources de tous ordres dont le SR/SCR disposait, y compris et surtout en Allemagne(27), lui ont permis d’informer le commandement et l’échelon politique de la décision prise par Hitler de rétablir le service militaire obligatoire au mois de mars 1935, d’occuper la zone démilitarisée de la Rhénanie au mois de mars 1936, de sceller la mort de la Tchécoslovaquie en tant qu’État indépendant au mois de septembre 1938, d’occuper la Bohème-Moravie au mois de mars 1939 et d’envahir la Pologne au mois de septembre 1939.

Les sources disponibles ne permettent manifestement pas de reprocher au SR/SCR de n’avoir pas transmis en temps et heure au commandement et à l’échelon politique les informations nécessaires pour apprécier à la fois les intentions d’Hitler et les conséquences qu’elles étaient susceptibles d’avoir dans l’hypothèse où il déciderait de les mettre à exécution, ce qui, à lire les notes rédigées à l’époque, était présenté comme plus que probable. La question qui reste posée est de savoir pourquoi l’un et l’autre ont fait le choix soit de minimiser, soit de mettre en doute, soit d’ignorer purement et simplement les informations et les analyses dont ils disposaient pour en venir in fine à ne pas les exploiter. Est-ce parce qu’ils parce qu’ils ne le jugeaient pas nécessaire (ce qui semble être le cas au mois de mars 1935 et, plus encore, au mois de mars 1936) ou parce qu’ils estimaient ne pas ou ne plus en avoir les moyens, militaires notamment (ce qui est le sentiment dominant avant les accords de Munich) ?

S’agissant de la connaissance, de l’analyse et du suivi régulier du dispositif déployé par l’Allemagne face à la France, l’appréciation qu’il est possible d’en faire, a posteriori et sur la base des archives disponibles, permet de les considérer à tout le moins comme « globalement positives ». On constate, y compris en fin de période, un écart entre les données produites par le SR/ SCR et la réalité telle qu’on la connaît aujourd’hui(28). Ce n’est pas surprenant. D’abord parce que l’exercice ne relève évidemment pas de la science exacte. Ensuite parce que l’accès à l’information était « verrouillé » dans l’Allemagne de l’époque, a fortiori quand elle portait sur un sujet plus que « sensible », ce qui contraignait ceux qui travaillaient sur le potentiel militaire du Reich soit à des approximations, soit à des extrapolations. Enfin parce que, si relative que puisse paraître la précision et/ou la fiabilité des données produites sur tel ou tel point à un moment donné du temps, il reste que le SR/SCR a correctement appréhendé et actualisé à intervalle régulier le dispositif déployé par l’Allemagne bien avant la déclaration de guerre(29) et que le rapport des forces dans le domaine aérien n’a cessé de pencher de plus en plus nettement en faveur du Reich au fil des années, que ce soit quantitativement ou qualitativement(30).

Loin d’être limité à l’ordre de bataille allemand, le SR/SCR a évidemment fait le même travail sur le dispositif italien, notamment à partir de la seconde moitié de l’année 1938. Il a été, pour l’essentiel, le fait du poste de Marseille(31) et de ses annexes, celles de Nice, de Chambéry et d’Annemasse en tout premier lieu.

La lutte contre l’espionnage a été une des missions essentielles du SR/SCR dans la seconde moitié des années 1930. Elle a pris une importance croissante au fil des années. D’une part parce que la perception de la menace que représentent les ingérences étrangères, celles de l’Allemagne et de l’Italie en tout premier lieu, est beaucoup plus aiguë en fin de période qu’en début de période. D’autre part parce que les instruments utilisés et les moyens déployés pour lutter contre l’espionnage ont sensiblement évolué sur la période considérée.

Les textes permettant de réprimer l’espionnage ont changé du tout au tout. À la loi du 18 avril 1886, qui était communément considérée comme inopérante(32) et dont l’application avait été de jure suspendue pendant la Première Guerre mondiale(33), va succéder, non sans mal(34), la loi du 26 janvier 1934. Même si elle comble à tout le moins une partie des lacunes dont souffrait la loi du 18 avril 1886, elle ne règle qu’une partie des problèmes posés. D’une part parce que l’espionnage reste considéré comme un délit (au lieu d’être considéré comme un crime, comme il l’est en Allemagne). D’autre part parce que la peine applicable en matière d’espionnage est limitée à cinq ans de prison alors même que l’espionnage est passible de la peine de mort en Allemagne(35). Il n’en reste pas moins que le nombre des prévenus soupçonnés d’espionnage augmente fortement, passant de 18 par an en moyenne entre 1930 et 1933 à 95 en 1934 et 141 en 1935(36).

D’abord parce que le décret-loi du 30 octobre 1935 va donner compétence aux tribunaux militaires pour statuer à tout le moins sur une partie des dossiers d’espionnage et leur donner la faculté de prononcer des peines supérieures à cinq ans de prison. Ensuite parce que le décret-loi du 17 juin 1938 étend la compétence des tribunaux militaires à l’ensemble des dossiers d’espionnage et fait de l’espionnage un crime de droit commun, justiciable des travaux forcés et de la peine de mort. Enfin parce que le décret-loi du 29 juillet 1939 va définir et détailler les actes considérés comme relevant de l’espionnage, tous étant passibles de la peine de mort, que ce soit en temps de guerre (ce qui avait été le cas entre 1914 et 1918) ou en temps de paix(37).

Dans le même temps, les moyens consacrés à la lutte contre l’espionnage vont être à la fois « professionnalisés » et renforcés. C’est moins, voire beaucoup moins, vrai pour la SCR(38) que pour l’instance chargée de diligenter les enquêtes et les procédures, c’est à dire la Sûreté Nationale. Alors que la lutte contre l’espionnage n’était qu’une des missions confiées à 136 « commissaires spéciaux » de la Sûreté, les choses changent du tout au tout au milieu des années 1930.

D’abord parce que le ministère de l’Intérieur va créer au mois d’avril 1934 un service spécialisé dans la lutte contre l’espionnage(39), n’ayant pas de comptes à rendre au corps préfectoral et rattaché au Contrôle Général de la Surveillance du Territoire(40). Ensuite parce que l’organisation même de la Surveillance du Territoire est progressivement rationalisée, notamment par rapport à celle des Armées(41). Enfin parce que ses effectifs vont sensiblement augmenter, passant d’une trentaine de fonctionnaires au milieu des années 1930 à une centaine de fonctionnaires à la veille de la déclaration de guerre(42).

2.2.3) La perception croissante de l’ampleur prise ou susceptible de l’être par les ingérences de l’Axe, le durcissement de l’arsenal répressif et le renforcement marqué des moyens dévolus à la Surveillance du Territoire(43) vont rapidement produire des résultats. D’une part parce que les peines prononcées à partir de 1936, pour une bonne part par les tribunaux militaires, sont sensiblement plus lourdes qu’elles ne l’étaient dans la première moitié des années 1930(44). D’autre part parce que le nombre des arrestations augmente dans des proportions significatives(45). D’après le décompte opéré par la SCR sur la base des comptes-rendus qui lui sont adressés au jour le jour, leur nombre serait passé de 45 en 1935 à 97 en 1936, 153 en 1937, 274 en 1938 et 494 sur les huit premiers mois de l’année 1939. Il va « exploser » après l’ouverture des hostilités et la déclaration de l’état de siège, lequel a – entre autres – pour conséquence de transférer les pouvoirs de police à l’autorité militaire. On compte 221 arrestations pendant les quatre derniers mois de l’année 1939(46) et 1251 sur l’ensemble de l’année 1940, la plupart d’entre elles intervenant avant la signature de l’armistice.

Si spectaculaires qu’ils puissent paraître, les chiffres précités et, plus encore, l’évolution dont ils témoignent méritent d’être nuancés. D’abord parce que toutes les arrestations ne débouchent ni sur un ordre d’informer, ni sur une condamnation, une partie d’entre elles se soldant soit par un acquittement, soit par un non-lieu. Ensuite parce qu’une fraction non négligeable de ceux qui sont arrêtés pour espionnage à partir de l’été 1939 ne seront jamais jugés, beaucoup profitant de l’exode pour s’évader. Enfin parce qu’une partie de ceux qui ont été jugés, condamnés pour espionnage et incarcérés seront libérés juste avant ou juste après l’armistice par l’occupant ou sous la pression de l’occupant(47).

L’identification, le signalement et, le cas échéant, la surveillance ou le suivi de ceux qui sont, à tort ou à raison, soupçonnés d’être « suspects au point de vue national » constituent le quotidien du SR/SCR et de ses postes en région. Les renseignements et les demandes d’enquête(48) qui les concernent représentent une fraction plus que significative des courriers et, d’une façon générale, des dossiers contenus dans les cartons de la série 7 NN(49).

On peut les caractériser comme suit :

2.3.1) Ils couvrent un spectre très large de personnes physiques et morales, qu’elles soient de nationalité française ou, ce qui est fréquent, de nationalité étrangère. La qualité des renseignements qu’ils contiennent est pour le moins inégale. Elle peut être considérée comme bonne, voire plus, notamment quand les renseignements donnés sont de première main et quand ils proviennent d’interceptions « techniques »(50) ou, à l’inverse, « approximative », voire à ce point faible qu’on peut les assimiler à des ragots. Une partie non négligeable des enquêtes demandées par le SR/SCR montre que les renseignements invoqués pour justifier la saisine des services de police sont soit empreints de malveillance, soit à peu près dénués de tout fondement(51).

2.3.2) Ils montrent que le SR/SCR a une conception pour le moins « extensive » de sa mission. Loin de se borner à identifier et surveiller les individus, les associations et les mouvements susceptibles de porter préjudice soit à la sûreté extérieure de l’État, soit à l’intérêt supérieur de la Défense Nationale, a fortiori quand ils sont originaires des puissances de l’Axe(52) ou quand ils en sont proches à un titre ou à un autre(53), le SR/SCR travaille, pour ainsi dire, « tous azimuts », surveillant tout à la fois les mouvements autonomistes, en particulier en Alsace(54), les mouvements qui militent soit contre le statu quo, soit pour l’accession à l’indépendance en AFN(55) et, d’une façon plus générale, tous ceux dont le « profil », les convictions et l’activité sont considérés comme une menace, au moins potentielle. On y trouve pêle-mêle des cercles et des personnalités classées soit à l’extrême gauche, soit à l’extrême droite, les premiers étant soumis à surveillance car considérés comme proches de l’URSS ou de la mouvance « radicale de la République espagnole et les seconds l’étant car considérés comme proches de l’Allemagne et/ou de l’Italie. Font, indifféremment et entre autres, l’objet d’une attention, pour ne pas dire d’une vigilance, particulière le PCF et ses dirigeants les plus en vue(56), Marceau Pivert, leader de la tendance « Gauche Révolutionnaire » de la SFIO et jugé proche du POUM(57), Marcel Bucard (fondateur et principal dirigeant du « Mouvement Franciste »), François Coty (fondateur en 1933 de « Solidarité Française ») ou Eugène Deloncle, fondateur de l’OSARN, plus connue sous le nom de CSAR(58). Sans revenir sur les responsabilités qui reviennent au SR/SCR dans la gestion du Carnet B(59), le contrôle des établissements travaillant ou susceptibles de travailler pour le compte de la Défense Nationale(60) ou la surveillance de la main-d’œuvre étrangère, notamment celle qui est employée sur les chantiers de la ligne Maginot(61) ou dans les familles d’officiers, en particulier quand elles vivent à l’étranger, les sources disponibles montrent que le champ d’action du SR/SCR est ou devient tel au fil du temps qu’il finit par déborder le terrain technique pour prendre un caractère beaucoup plus large, pour ne pas dire un caractère « global »(62).

Si constants et réels qu’ils aient pu être(63), la vigilance et le suivi mis en place, à plus ou moins juste titre suivant les cas, par le SR/SCR n’en ont pas moins rencontré une limite importante, au demeurant ressentie et reconnue par ses chefs, le général Schlesser notamment(64). Elle porte sur les problèmes rencontrés pour contrecarrer la propagande du Reich et l’influence qu’elle pouvait avoir sur toute une partie de la société française, en particulier par le biais de la Presse, un certain nombre de titres étant d’autant plus enclins à la complaisance (pour ne pas dire plus) qu’ils étaient, directement ou indirectement, soutenus, financièrement parlant, soit par l’ambassade d’Allemagne à Paris, soit par Berlin. Rien n’avait préparé les cadres du SR/SCR (qui s’interdisaient, sauf exception, toute forme de contact avec la Presse) à combattre ce qu’on appellerait aujourd’hui une « diplomatie d’influence » et, plus encore, à en prévenir les effets. Ils ont manifestement eu le sentiment d’être confrontés à un phénomène qu’ils ne connaissaient pas ou peu et qu’ils n’avaient pas les moyens de maîtriser si peu que ce soit. Le fait qu’ils se soient de plus en plus intéressés à la Presse, à son financement et aux rapports qu’un certain nombre de journalistes entretenaient avec les puissances de l’Axe, l’Allemagne en tout premier lieu, à partir de la seconde moitié des années 1930 n’est pas le fait du hasard et doit être interprété comme un signe des temps. Il faudra attendre les mois précédant la déclaration de guerre pour qu’ils commencent à récolter les fruits de leur travail et à enregistrer des succès tangibles sur ce terrain, comme l’attestent l’expulsion d’Otto Abetz (obtenue, non sans mal, à la fin du mois de juin 1939 sur arbitrage d’Édouard Daladier), l’arrestation pour espionnage d’Heinrich Baron, journaliste accrédité à Paris et, plus encore, les poursuites engagées au mois de juillet 1939 contre Aloïs Aubin, journaliste au Temps, et Julien Poirier, journaliste au Figaro, qui opéraient l’un et l’autre, moyennant rétribution, pour le compte d’un réseau constitué et dirigé par la baronne von Einem(65).

Au début de l’année 1940, le SR/SCR peut légitimement avoir le sentiment du devoir accompli, que ce soit dans le domaine de l’acquisition du renseignement ou dans celui du contre-espionnage. Il a aussi, davantage encore peut-être, le sentiment d’être ou d’avoir été « une voix qui crie dans le désert », les informations et les analyses qu’il n’a cessé d’adresser au commandement et, dans une moindre mesure, à l’échelon politique ayant été, à tout le moins jusqu’aux derniers mois de l’année 1938, largement ignorées, Édouard Daladier n’étant guère qu’une exception à cet égard. Ses chefs et l’essentiel de ses cadres, à commencer par ceux qui travaillent ou qui ont travaillé à la section « Allemagne » du SR et à celle de la SCR, en sont d’autant plus à la fois amers et inquiets qu’ils savent ce qu’est réellement le rapport des forces entre la France et l’Allemagne(66).

Dans le témoignage oral qu’il a laissé au Service Historique de la Défense(67), le colonel Paillole (qui était à la fin des années 1930 l’adjoint du lieutenant-colonel Schlesser à la SCR) rapporte une anecdote qui n’est pas sans rappeler ce qu’il avait vécu avant la guerre. Intervenant devant une partie des cadres de la DGSE dans le courant des années 1990, un de ses auditeurs l’interroge sur la conduite à tenir si et quand les informations et les analyses qu’il transmet ne sont prises en compte et exploitées ni par sa hiérarchie, ni par l’échelon politique, exactement comme ce fut le cas, au moins pour l’essentiel, tout au long des années 1930. Pris de court par la question qui lui est posée, il ne peut qu’avouer qu’il n’est pas en mesure d’y répondre. Comme l’a écrit en son temps Marguerite Yourcenar, « on a souvent tort d’avoir raison trop tôt ». La formule n’a rien perdu de sa pertinence. Elle reste d’actualité à bien des égards, y compris dans le domaine du renseignement.

Jacques de Lajugie
Administrateur de l’AASSDN

NOTES DE L’AUTEUR

(1) La Section de Centralisation du Renseignement, chargée du contre-espionnage,
ne sera créée qu’à la fin de l’année 1915. Elle sera confiée au commandant Ladoux
(qui traitera, entre autres, le dossier Mata Hari).
(2) En 1894 (i.e. au moment où éclate l’affaire Dreyfus), la « Section de Statistique
et de Reconnaissance Militaire (devenue « Section de Statistique ») comprend en tout
et pour tout cinq officiers et quatre auxiliaires.
(3) Laquelle avait mis en lumière la carence à peu près totale de l’armée de Terre
en matière de renseignement.
(4) Le colonel Lainey avait commandé le SR/SCR entre 1924 et 1928. Il sera de
ceux qui remarqueront le travail fourni par le lieutenant-colonel Rivet, à Varsovie
notamment, et qui plaideront, le moment venu, en faveur de sa nomination à la tête
du SR/SCR.
(5) Renseignements dont le 2e Bureau a pour mission de faire une synthèse à
destination du commandement.
(6) Le colonel Rivet sera sollicité directement par Léon Blum et par Édouard
Daladier. Le SR/SCR participera, par ailleurs, aux réunions interministérielles que
Léon Blum demander à Marx Dormoy d’organiser sur le renseignement à partir du
mois de février 1937. Il n’en sortira malheureusement pas grand-chose.
(7) On ne trouve dans les archives ni un document exhaustif, ni un document fiable
sur les effectifs du SR/SCR. On peut évaluer à un peu plus de 120 (Paris et province)
le nombre de ses cadres à la veille de la guerre. Une partie d’entre eux sont des civils
(11 sur 81 à la SCR au début du mois de février 1940).
(8) À titre d’exemple, le SR/SCR ne disposait que d’un véhicule de service et d’un
poste E/R en 1938.
(9) Le budget du SR/SCR ne dépassait pas 15 MF (soit l’équivalent de 8 M€ 2022)
en 1939. Ce chiffre n’en est pas moins trompeur car il ne comprend ni les dépenses
de personnel (qui sont imputées sur le budget du ministère de la Guerre), ni les fonds
secrets, ni les prélèvements susceptibles d’être effectués sur la « cagnotte » du Service
(dont le montant avait sensiblement augmenté pendant la Première Guerre mondiale).
(10) « Je ne recrute que des gens que je connais » dit le commandant Darbou au
lieutenant Rigaud, candidat à un poste au Bureau d’Études du Nord-Est (BENE) à
Lille. Dans ses « Carnets », le colonel Rivet note qu’un chef de corps vient le voir pour
lui recommander un de ses officiers, le lieutenant d’Hoffelize (qui dirigera plus tard le
poste TR 125 de Barcelone).
(11) Tel est le cas, entre autres, du colonel Paillole, du colonel Bonnefous, du
lieutenant-colonel Doudot et du colonel Lafont (plus connu sous le pseudonyme de
« Verneuil »).
(12) Tel est le cas, entre autres, du général Schlesser et, dans une moindre mesure,
du général Rivet.
(13) Dans sa livraison en date du 20 juillet 1936, le « Cahier des Droits de
l’Homme » consacre un article de deux pages à l’affaire Frogé. Il est intitulé : « Une
machination du 2e Bureau contre Frogé ? ».
(14) Avec le 2e Bureau en tout premier lieu, étant précisé que les rapports entre
le colonel Rivet et le colonel Gauché, chef du 2e Bureau entre 1935 et 1940, sont
manifestement « fluides » sur la période considérée. Ils le seront également avec le
successeur du colonel Gauché, le colonel Baril.
(15) Henry Corvisy sera nommé directeur des Affaires Criminelles et des Grâces au
mois de décembre 1940. Il le restera jusqu’au mois de janvier 1944. Il recommandera
quasiment toujours au Maréchal Pétain (qui suivra son avis) de rejeter les recours en
grâce présentés par les justiciables condamnés à mort pour espionnage. Tel sera le cas,
entre autres, dans l’affaire Devillers, agent de pénétration que l’Abwehr avait infiltré
au cœur du mouvement « Combat ».
(16) Cf. le cas de Maurice Dejean qui « opérera », plusieurs années durant, au
Service de Presse de l’ambassade de France à Berlin.
(17) C’est d’autant plus surprenant que les ambassadeurs qui se sont succédé à
Berlin entre le début des années 1930 et la déclaration de guerre, André François Poncet
et Robert Coulondre, avaient largement compris ce qu’il fallait penser à la fois
d’Hitler et de la menace qu’il représentait.
(18) Notamment en faisant valoir qu’Otto Abetz était « francophile » et que son
épouse était française (Otto Abetz avait épousé en 1932 l’assistante de Jean Luchaire).
(19) On trouve un propos comparable sous la plume du général Schlesser, chef de
la SCR entre 1936 et 1940 (Bulletin de l’AASSDN n° 9 en date du mois de janvier
1956).
(20) Où le ministère de la Guerre a mis en place la Military Intelligence Research
et le Secret Intelligence Service la section D, l’une et l’autre travaillant surtout sur les
sabotages. Voir à ce sujet l’ouvrage publié en 2016 par Sébastien Albertelli Histoire
du sabotage, pages 176 à 190).
(21) Placée sous l’autorité du commandant Brochu, la section MG comprend
quatre officiers, dont le lieutenant Gilbert Turck (qui parviendra à s’embarquer pour
l’Angleterre à la fin du mois de juin 1940 et qui sera parachuté en France au début
du mois d’août 1941. Interpellé par la gendarmerie dès son atterrissage, il sera libéré
après intervention du commandant Brochu et du colonel Rivet).
(22) Dénomination du SR/SCR à Alger à partir de la fin de l’année 1942.
(23) Direction Générale des Services Spéciaux. Elle fut confiée à Jacques Soustelle.
(24) Notamment celles des séries 7 N (archives du 2e Bureau de l’EMA) et 7 NN
(Fonds de Moscou). Voir également l’ouvrage publié en 1953 (en partie pour répondre
aux Mémoires du général Gamelin) par le général Gauché, Le 2e Bureau au travail.
(25) On le voit (entre autres) au travers des positions qu’il recommande au général
Weygand, chef d’État-Major Général de l’Armée à l’époque, de prendre tout au long
de la Conférence de Genève sur le désarmement entre 1932 et 1934.
(26) C’est sur la base des archives du 2e Bureau que Georges Castellan écrira en
1954 un ouvrage intitulé Le réarmement clandestin du Reich 1930-1935.
(27) La plus connue étant Hans Thilo Schmidt, à qui Paul Paillole et Frédéric
Guelton ont consacré un ouvrage en 2011, Notre espion chez Hitler.
(28) C’est moins le cas dans le domaine terrestre (aux problèmes de périmètre
près) que dans le domaine aérien, peut-être parce que l’entourage de Goering, ministre
de l’Aviation, avait pris le parti de transmettre à notre attaché de l’Air, le capitaine
Stehlin, des chiffres qui « gonflaient » à la fois les capacités opérationnelles de la
Luftwaffe et la capacité de production de l’industrie aéronautique en matière d’avions
de combat, l’objectif étant de dissuader par avance les Autorités françaises de s’opposer
si peu que ce soit aux entreprises du Reich. La manœuvre produisit manifestement
l’effet recherché, comme le montrent les positions prises par le général Vuillemin,
chef d’État-Major de l’armée de l’Air, à son retour d’une visite en Allemagne au mois
d’août 1938, juste avant la crise qui devait déboucher sur les accords de Munich.
(29) Voir à ce sujet l’article publié en 1949 dans la Revue Historique des Armées
par Georges Castellan (« La Wehmacht vue de France, septembre 1939 ») et l’article publié
par le général de Cossé-Brissac en 1964 dans la Revue d’Histoire de la Deuxième Guerre mondiale
(« L’Armée allemande dans la campagne de France de 1940 »).
(30) Notamment pour ce qui concerne l’aviation de bombardement et, dans une
mesure un peu moindre, l’aviation de combat.
(31) Dénommé Section d’Études Régionales, le poste de Marseille et ses annexes
(celle de Nice notamment) ont été placés sous l’autorité du commandant Barbaro
de 1936 à 1940. Il avait une connaissance précise et exhaustive du dispositif italien.
Ses collaborateurs et ses collègues avaient coutume de dire que Mussolini l’appelait
quand il voulait savoir où était déployé tel ou tel de ses régiments.
(32) D’après les chiffres contenus dans le Compte Général de l’Administration de
la Justice Criminelle (chiffres qui ne sont probablement pas exhaustifs), le nombre
des prévenus poursuivis pour espionnage ne dépasse pas 72 entre 1930 et 1933. 12
sont acquittés et 60 condamnés, dont 43 à plus d’un an de prison. À noter que sur les
49 instructions ouvertes pour espionnage en 1933, 34 concernent l’Allemagne et 10
l’Italie.
(33) 737 prévenus ont été condamnés pour espionnage entre 1914 et 1918. 169 ont
été condamnés à mort et exécutés, dont 44 (soit 26 %) étaient de nationalité française.
(34) La première mouture du projet de loi qui débouchera in fin sur la loi du 26
janvier 1934 a été déposée en 1922.
(35) Convaincues d’espionnage au profit de la Pologne, Benita von Falkenhayn et
Renate von Natzmer seront décapitées à la hache au mois de février 1935.
(36) Quant aux condamnations, leur nombre passe en moyenne 15 par an (dont 11
à plus d’un an de prison) entre 1930 et 1933 à 85 (dont 35 à plus d’un an de prison) en
1934 et à 122 (dont 44 à plus d’un an de prison) en 1935.
(37) Le décret-loi du 29 juillet 1939 sera complété par deux décrets en date du 9
avril 1940. Le premier complétait les articles 75 et 76 du Code Pénal sur la trahison.
Quant au second, il définissait les sanctions encourues par les fonctionnaires et agents
publics qui se livrent à une propagande de nature à nuire à la Défense Nationale.
(38) Dont les moyens en personnel restent pour le moins limités. À titre d’exemple,
la section « Allemagne » de la SCR ne comprend pas plus de quatre officiers et la
section « Italie » pas plus de deux officiers à la fin des années 1930.
(39) Ses effectifs ont été progressivement portés de 1 à 10 commissaires et de 10
à 20 inspecteurs.
(40) Dirigé à partir de 1935 et jusqu’en 1942 par le Contrôleur Général André
Castaing. Il sera arrêté et déporté par l’occupant en 1943.
(41) Outre le Service Central (situé à Paris), les effectifs de la Surveillance du
Territoire sont répartis entre 11 circonscriptions régionales à partir du mois de juin
1934 et entre six régions à partir du mois de décembre 1935.
(42) Une bonne partie des commissaires de la Surveillance du Territoire ont une
relation ancienne et « fluide » avec la SCR. Ils la maintiendront, dans un contexte
pour le moins compliqué , sous l’Occupation, souvent à leurs risques et périls, comme
ce fut le cas du commissaire Triffe (qui arrêtera Henri Devillers au mois de janvier
1942), du commissaire Hacq (qui sera révoqué au mois d’octobre 1943, arrêté par
l’occupant au mois de novembre 1943 après avoir rejoint le réseau Ajax et déporté à
Mauthausen), du commissaire Osvald (qui avait arrêté l’enseigne de vaisseau Aubert,
lequel sera condamné à mort et exécuté, au mois de novembre 1938) ou, dans un
registre différent, du commissaire Blémant (qui est en poste à Lille jusqu’à la déclaration
de guerre, puis à Marseille jusqu’à l’invasion de la zone libre).
(43) Même si le Contrôleur Général Castaing et ses collaborateurs relèvent régulièrement
qu’ils ne sont pas suffisants, notamment pour assurer l’ensemble des filatures
nécessaires.
(44) Même si les officiers de la SCR critiquent régulièrement la faiblesse (supposée) des
verdicts rendus par les tribunaux militaires et n’hésitent pas à mettre en cause
le comportement du président du tribunal et/ou les réquisitions de l’avocat général.
(45) Cf. le carton 7 NN 2525. On trouve également des fiches manuscrites (sans
indication de date ou d’origine) sur le sujet dans le Fonds Paillole (1 K 545).
(46) Sur les 221 personnes arrêtées au cours des quatre derniers mois de l’année
1939, 170 travaillaient pour l’Allemagne et 32 pour l’Italie.
(47) Pour autant, une partie au moins des peines de mort qui ont été prononcées
pour espionnage depuis le début de l’année 1939 seront exécutées tout au long des
six premiers mois de l’année 1940, y compris après l’armistice. Quatre exécutions
auront lieu à Pessac le 22 juin 1940, une pour espionnage, une pour sabotage et deux
pour complicité de sabotage. Le premier des quatre condamnés était Jean Amourelle,
membre de la SFIO depuis 1934. Secrétaire sténographe au Sénat, il avait été chargé

de sténographier, sous la foi du serment, les débats secrets des Commissions de l’Armée
de la Chambre des Députés et du Sénat. Il était en train d’en négocier la vente à
l’Allemagne pour la somme de 400 000 francs quand il a été arrêté à la fin du mois
d’avril 1940. Traduit devant le Tribunal Militaire de Paris, il fut condamné à mort le
29 mai 1940 et exécuté trois semaines après.
(48) Elles sont, pour la plupart d’entre elles, adressées à la Direction Générale de
la Sûreté Nationale ou à la 5e
Section des Renseignements Généraux de la Préfecture
de Police (dirigée par le commissaire Gianviti).
(49) Comme c’est également le cas des cartons de la série 28 P 14 (qui regroupent
les archives du BMA de la 9e
Division Militaire entre le mois de septembre 1940 et le
début du mois de novembre 1942).
(50) Interceptions postales, téléphoniques ou télégraphiques.
(51) Il arrive même que l’individu mis en cause ne puisse pas être identifié ou ne
puisse pas être localisé.
(52) Cf. les diplomates allemands et italiens (qu’ils soient basés à Paris ou en province),
les dirigeants et les membres de la section française du NSDAP, la section
française du Groupement National Socialiste des Femmes Allemandes (dont la présidente
est Mme Karl Epting), le bureau de l’Agence des Chemins de Fer Allemands à
Paris et les journalistes allemands (à commencer par Krug von Nidda, correspondant
à Paris de la Deutsche Allgemeine Zeitung à partir de 1933 et qui sera le représentant
du Reich à Vichy de 1941 à 1943).
(53) D’où la surveillance exercée sur le Comité France-Allemagne ( dont la liste
des membres est soigneusement tenue à jour) et sur les personnalités considérées
comme proches, voire trop proches, du Reich, telles que Fernand de Brinon, Jean
Luchaire, Melchior de Polignac, Gabriel Jeantet (notamment à cause du rôle qu’il
joue au sein de la Cagoule) ou Bertrand de Jouvenel (qui réalise une interview d’Hitler pour le compte de « Paris-Midi » au mois de février 1936, son épouse étant, par ailleurs, une des filles du général Duseigneur, président de l’Union des Comités d’Action Défensive et membre important de la Cagoule).
(54) Sont notamment placés sous surveillance Hermann Bickler, Joseph Rossé,
Jean-Pierre Mourer,, Robert Ernst et Paul Schall. Tous seront arrêtés et internés à
Nancy le 31 octobre 1939. Ils seront libérés et remis à l’occupant à Chalon-sur-Saône
le 17 juillet 1940.
(55) Le Destour et le Néo-Destour en Tunisie ; l’Étoile Nord-Africaine et le Parti
du Peuple Algérien en Algérie, l’un et l’autre ayant été fondés par Messali Hadj.
(56) On trouve dans les archives le compte-rendu, probablement rédigé par un
informateur infiltré à bon niveau, de plusieurs réunions internes du PCF, notamment
celle du 2 décembre 1937 (7NN2557 ).
(57) Parti Ouvrier d’Unification Marxiste, mouvement considéré (en partie à tort)
comme étant d’obédience trotskyste. Il avait été fondé en 1935 par Andreu Nin et
Joaquin Maurin.
(58) Comité Secret d’Action Révolutionnaire. Sont également placés sous surveillance deux proches d’Eugène Deloncle, Jean Filiol (qui sera, non sans raison, soupçonné d’avoir activement participé à l’assassinat des frères Rosselli en 1937)
et François Méténier (qui organisera l’attentat commis contre l’immeuble de la

Confédération Générale du Patronat Français au mois se septembre 1937 et négociera
avec le régime italien les livraisons d’armes à la Cagoule).
(59) On comptait 2000 noms « actifs » dans le Carnet B au début du mois de septembre 1939.
(60) Dès avant la déclaration de guerre, le compte rendu des visites effectuées
dans les établissements travaillant pour la Défense Nationale contenait un paragraphe
consacré à la main- d’œuvre étrangère, à la présence et à l’audience des syndicats et
au nombre (voire à l’identité) des salariés soupçonnés de « proximité » avec le PCF.
(61) Pour des raisons évidentes, la surveillance exercée (qui est souvent lacunaire,
pour ne pas dire vaine, faute de moyens) vise par priorité la main-d’œuvre italienne et la
main-d’œuvre allemande. Dans l’article qu’il a publié en 1956 sur « Le contre-espionnage entre 1936 et 1940 » dans le Bulletin de l’AASSDN (n° 9), le général Schlesser
écrit (sans plus de précision) que la main-d’œuvre étrangère aurait représenté 45 %
des effectifs employés sur les chantiers de fortifications et dans les établissements
travaillant pour la Défense Nationale dans le département de la Meurthe-et-Moselle.
(62) Même s’il est partagé, au moins jusqu’à la déclaration de guerre avec les services de police et, dans une moindre mesure, avec le cabinet du ministre de la Guerre,
lequel reprendra à son compte en 1938 les activités de la section PR (Propagande
Révolutionnaire) qui avaient assez largement été réduites à la portion congrue. La
section PR (dont la mission principale était de lutter contre toute forme de propagande révolutionnaire dans l’Armée) sera dirigée par le commandant Serre, puis par
le capitaine Jacquot (qui avait travaillé sous les ordres du colonel Rivet en 1933 et qui
témoignera en faveur d’Édouard Daladier au procès de Riom en 1942).
(63) Une partie des dossiers individuels qu’on trouve dans la série 7 NN courent
sur 20 ans, voire plus.
(64) Chef de la SCR entre 1936 et 1940.
(65) Aloïs Aubin sera condamné à dix ans de prison et Jules Poirier mourra en
prison d’un infarctus après avoir fait des aveux complets. Ils avaient été présentés à
la baronne von Einem (que la SCR avait identifiée depuis longtemps) par Fernand de
Brinon, à l’époque journaliste au Matin.
(66) Dans une note qu’il adresse au commandement le jour même de la déclaration
de guerre, le colonel Gauché, chef du 2e
Bureau, conclut son propos en écrivant :
« Jamais, à aucune période de son Histoire, la France ne s’est engagée dans une guerre
dans des conditions initiales aussi défavorables ».
(67) Fonds 3 K 15




Défense : l’américain Heico rachète le français Exxelia spécialisé dans des composants stratégiques

Le gouvernement n’a pas réussi à éviter le rachat d’une « pépite technologique » par la société américaine. Aucune offre française n’a pu s’aligner sur l’attractivité de l’offre d’Heico. Des mécanismes de sauvegarde des intérêts français ont été négociés, dont une “golden share” pour l’Etat français.

Le groupe américain d’électronique et de défense Heico a finalisé le rachat de l’entreprise française de technologie Exxelia, jusqu’ici contrôlée par un fonds britannique, pour 453 millions d’euros. Alors que Bruno Le Maire vient d’annoncer qu’il souhaite abaisser le seuil à 10 % du capital pour les autorisations d’investissements étrangers , le gouvernement ne s’est curieusement pas mobilisé pour cette ETI française, devenue pourtant un fournisseur clé de l’industrie de défense française.

Exxelia produit des composants passifs complexes (condensateurs, magnétiques, résistances, filtres, capteurs de position, pièces mécaniques de haute précision) indispensables à tous les appareillages électroniques, y compris dans l’armement et l’aéronautique. Il équipe notamment le Rafale, l’A320neo, les fusées Ariane 5 ou les sous-marins nucléaires d’attaque Barracuda, mais aussi l’avion de chasse américain F-35.




Nice, haut-lieu de la Résistance française

Allocution du général d’armée aérienne (CR) François Mermet, Président l’Amicale des Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale, l’AASSDN, et ancien Directeur Général de la Sécurité extérieure, aux monuments aux morts de Nice, le 5 octobre 2022. Ce fut l’occasion de rappeler le rôle de Nice pendant toute la Deuxième Guerre Mondiale pour son soutien actif à la Résistance. Nice qui est une des rares villes de France à s’être libérée sans l’aide de troupes étrangères grâce au soulèvement de sa populationDans un discours prononcé le 9 avril 1945, place Masséna à Nice, le général de Gaulle, président du gouvernement provisoire de la République française, évoquera la libération de Nice en ces termes : « Nice, le 28 août 1944, par l’héroïque sacrifice de ses enfants, s’est libérée de l’occupant. (…) Nice libérée, Nice fière, Nice glorieuse ! ».[1] Nice, enfin, dont tant d’enfants se sont révélés des héros face à l’envahisseur. [NDLR]

https://www.youtube.com/embed/BmTzv2wJxgE

Monsieur le Préfet,

Monsieur le Maire, représenté par Madame Marie-Christine Fix.

Marins du SNA Casabianca, Aviateurs de l’escadron de transport Poitou et du CPA10, unités prestigieuses de nos forces spéciales avec qui nous avons l’honneur d’être en parrainage,

Monsieur le Délégué militaire départemental,

Monsieur le commandant du Groupement de gendarmerie départementale des Alpes-Maritimes,

Mesdames, Messieurs,

Chers amis.

Notre Amicale se retrouve, une nouvelle fois, dans cette superbe ville de Nice où nos grands anciens, conduits par le Colonel Paul Paillole, avaient tenu congrès en 1975.

Une même soif de vérité et de reconnaissance nous anime dès lors qu’il s’agit de célébrer la mémoire de nos Services de renseignement et de contre-espionnage. Bien avant la Seconde Guerre Mondiale, ils avaient fait leur travail en dénonçant avec précision les menaces allemandes et italiennes qui planaient.

Ils n’ont — hélas — pas été écoutés. Ni par le pouvoir politique, ni par le Haut commandement militaire de l’époque.  

Une semaine avant la foudroyante invasion allemande de l’été 1940, le colonel Rivet et le commandant Paillole, prévoyant la dissolution de leur service dans les clauses de l’armistice, ont préféré saborder leur service pour entrer en résistance en choisissant la clandestinité. Évacuant de Paris leurs personnels et leurs si précieuses archives, ils se sont regroupés à Bon-Encontre, près d’Agen, où ils feront le serment de continuer le combat jusqu’à la Libération du pays.

En 1954, dans le tome I de ses mémoires, le général de Gaulle écrit : « Les premiers actes de résistance venaient des militaires, les services de renseignement continuaient d’appliquer dans l’ombre des mesures de contre-espionnage et par intervalle transmettaient aux anglais des informations ».

Outre la fourniture de renseignements sur l’ordre de bataille et les infrastructures de l’armée allemande, ils permirent 1300 arrestations, 264 condamnations et 42 exécutions d’agents et de collaborateurs.

Après le débarquement des alliés au Maroc et en Algérie, les opérations de reconquête en Afrique du nord et en Méditerranée, furent réussies grâce aux actions des services du commandant Paillole : le Brigadier général Dudley Clarke, responsable britannique des opérations d’intoxication (deception) confiera : « Il nous eut été impossible de mener à bien notre tâche sans l’aide experte et si généreuse de vos services ».

Allocution du général d’armée aérienne (CR) François Mermet, Président de l’AASSDN à Nice

Les autorités au garde à vous pendant l’exécution de l’hymne national – Photo © Joël-François Dumont

Lors de notre Congrès à Bon-Encontre, en 2021, nous avons soulevé un coin du voile sur cet épisode fondateur de la Résistance. De nouveau, le 30 mai dernier, lors de la commémoration du 150ème anniversaire de la création de la Direction du Renseignement et de la Sécurité de la Défense, le nouveau ministre des Armées, M. Sébastien Lecornu, a évoqué ce Serment dans la cour d’honneur des Invalides en rendant un hommage solennel à l’action déterminante du général Rivet et des colonels Paillole, Sérot et Doudot.

Ce dernier, figure légendaire de notre contre-espionnage, infiltra et manipula, trois postes du service de renseignement de l’Abwehr sur le territoire allemand. Les Alliés lui attribuèrent, comme au commandant Paillole, leurs plus hautes distinctions : officier de la Legion of Merit américaine et chevalier de l’Ordre du British Empire.

C’est avec fierté que nous retrouvons à Nice cette flamme de la Résistance, dans cette ville où Jean Moulin organisa depuis sa galerie d’art la difficile mission dont l’avait chargée le général de Gaulle : rassembler et unir les différents mouvements de Résistance.

Qu’il me soit permis d’évoquer la mémoire de Niçois qui se sont rendus célèbres dans leur combat pour la libération de la France.

C’est un Niçois, le capitaine Gustave Bertrand, responsable de nos services à Berlin qui, en 1934, subtilisa aux Allemands les plans de la fameuse machine Enigma, dont le développement en coopération avec les services polonais, puis britanniques, permit dix ans plus tard, aux Britanniques de gagner la bataille d’Angleterre avant de donner aux Alliés une longueur d’avance pendant toute la guerre jusqu’à la victoire.

En 1940, c’est à Nice que Bertrand se réfugie avant d’exfiltrer son équipe vers Londres via l’Espagne. Nice était alors notre station de surveillance face à l’Italie. Nice devint, dès 1942, un poste important du réseau de contre-espionnage dit des « Travaux Ruraux », mis en place clandestinement dès la signature de l’armistice par le général Rivet et le commandant Paillole pour combattre les services secrets allemands et italiens.

Hommage au général Delfino pendant le passage de deux Rafale du Normandie-Niemen – Photo © JFD

C’est aussi à Nice que naquit le général d’armée aérienne Louis Delfino, pilote aux 16 victoires aériennes homologuées et dernier commandant du prestigieux régiment Normandie-Niemen engagé sur le front russe. La ville de Nice lui rend hommage tous les ans ainsi qu’aux 42 pilotes qui perdirent la vie au cours de cette épopée.

nice liberation affiche 27 mai 1945 1

En 1944, Nice est l’une des rares villes de France qui se libère par elle-même grâce à l’insurrection de sa population et aux mouvements de résistance peu de temps avant l’arrivée d’une division américaine.

Il y a quatre ans lors de notre Congrès à Annecy, nous avons célébré à la nécropole des Glières le sacrifice et le courage des Résistants et des maquisards, espagnols pour la plupart, encadrés par les chasseurs-alpins du 27e BCA commandés par le colonel Jean Valette d’Osia.

Leur soulèvement permettra la libération de la Haute-Savoie, le seul département à s’être libéré du joug nazi.

Connaissant les liens historiques qui unissent le duché de Savoie et le comté de Nice, comment pour le savoyard que je suis, ne pas associer dans un même éloge la Résistance du département de la Haute Savoie et de la ville de Nice ?

Nice, hélas, est devenue une ville martyre depuis l’attentat terroriste de masse du 14 juillet 2016 : 86 morts, un demi-millier de blessés ! Nos pensées se tournent vers les familles endeuillées, vers toutes celles et ceux qui restent meurtris dans leur chair et leur cœur. À travers notre association, la communauté du renseignement salue leur dignité ; elle fait ici le serment de ne jamais oublier les victimes innocentes du carnage de la Baie des Anges.

Gageons que « la victorieuse » comme le rappelle l’origine grecque de Nice, « Nikaïa », saura surmonter l’épreuve et donner l’exemple de son courage à la Nation au moment où la guerre surgit à nouveau en Europe.

Bernard Gonzalez, préfet des Alpes-Maritimes, dépose une gerbe aux monuments aux morts de Nice – Photo © JFD

Que soient enfin remerciés, toutes celles et tous ceux qui nous ont accueillis avec bienveillance pour réussir ce congrès, au premier rang desquels Monsieur Bernard Gonzalez, préfet des Alpes maritimes et Monsieur Christian Estrosi, maire de cette belle ville de Nice, sans oublier bien sûr cet hommage de notre armée de l’Air et de l’Espace avec le passage d’une patrouille de Rafale du Normandie-Niemen.

Général François Mermet, Président de l’AASSDN

[1] La libération de Nice a lieu le 28 août 1944 à la suite d’une insurrection armée décidée par la Résistance. Les insurgés ne sont qu’une centaine au début de la journée du 28 août, mais l’ampleur qu’a pris le soulèvement en fin de journée pousse l’occupant allemand à évacuer la ville. Les Alliés ne sont pas au courant de l’insurrection et n’aident donc pas les insurgés. Côté niçois, 31 résistants seront tués et 280 seront blessés (Source : La Bataille de Nice in Wikipedia).




Opuscule : Paul Paillole, Une vie au contre-espionnage par JC Petermann

Paul Paillole, saint-cyrien de la promotion «Maroc et Syrie» a été affecté au SR/SCR du 2ebureau de l’état-major de l’armée en 1935. Trois ans plus tard, il était nommé chef de la section allemande. L’armistice signé, dès juin 1940 il entre dans la clandestinité au sein de l’organisation mise en place par le colonel Rivet et crée et dirige le service des «travaux ruraux» (TR) couverture du service de contre-espionnage offensif. Recherché par les services allemands, l’invasion de la zone libre en novembre 1942 le contraint à s’évader via l’Espagne et à gagner Gibraltar, Londres puis Alger d’où il assure la direction de son service clandestin implanté en métropole. À ce titre, il organisera notamment les missions spéciales sous-marines entre Alger et la côte de Provence. Directeur de la sécurité militaire, il en adaptera les structures aux opérations franco-alliées jusqu’à la Libération.

Disposant de la confiance totale des alliés, il sera le premier officier français associé, sous le sceau du secret, à la préparation du débarquement de Normandie. Rentré en France, il quitte le service actif en novembre 1944 comme lieutenant-colonel. Il occupe alors d’importantes fonctions dans l’industrie et assure plusieurs mandats de maire de sa commune. Colonel de réserve et auditeur de l’IHEDN (Institut des hautes études de défense nationale), il suit avec attention les problèmes de défense.

En 1953, Paul Paillole fonde l’AASSDN dont l’un des objectifs est de conserver la mémoire des actions des services spéciaux pendant la Deuxième Guerre mondiale. Cette association qui a érigé à Ramatuelle le Mémorial des agents des services spéciaux morts pour la France, est habilitée à accorder l’accès aux archives du colonel Paillole.

Très attaché à la rigueur concernant l’histoire du renseignement et du contre-espionnage en France, il est l’auteur de nombreux articles et conférences et de trois ouvrages faisant référence: Service spéciaux 1935-1945 (Robert Laffont, 1975), Notre espion chez Hitler (Robert Laffont, 1995) et L’homme des services secrets (Julliard, 1995). Le colonel Paillole, décédé le 15 octobre 2002, était officier de la Légion d’honneur, Croix de guerre39-45 avec palme, officier de la Legion of Merit et du British Empire, médaillé de la Résistance, des évadés et de la résistance polonaise en France.

  • Document 1: Paul Paillole avant 1942
  • Document 2 : La machine ENIGMA
  • Document 3 : La clandestinité (1942-1944)
  • Document 4 : La création de l’AASSDN (1953)
  • Document 5 : L’adieu de Paul Paillole (2002)



Alain Juillet : “Un bon espion doit être intègre”

En 2022, la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) fête ses 40 ans. Pour Var-Matin son ancien directeur du renseignement de 2002 à 2003, Alain Juillet, ex-patron du renseignement de la DGSE revient sur cette expérience.

Vous avez été responsable du renseignement de la DGSE, que retenez-vous de cette expérience ?

C’était passionnant. J’avais accès à une quantité impressionnante d’informations, elles étaient toutes traitées par des analystes professionnels donc j’avais une vision très claire de ce qui se passait dans le monde. En définitive, on voit le « dessous des cartes ». Cette vision permet d’ouvrir les yeux, elle amène à réfléchir.

Quand on est directeur du renseignement de la DGSE quel type de décision doit-on prendre ?

Tout d’abord, on doit orienter et réorienter ses équipes parce que beaucoup d’informations arrivent. Il faut s’adapter, savoir se remettre en cause, approfondir les sujets pour chercher la vérité. Je dis bien chercher la vérité car le politique a sa propre vérité, qui est autre, car il mêle ses sensibilités politiques ou philosophiques. Dans le renseignement, on doit être absolument neutre. Si ce n’est pas le cas, alors ce n’est plus un service de renseignement.

Avez-vous un exemple d’une grande décision que vous avez prise ?

Pour la guerre en Irak, quand les Américains avaient annoncé que Saddam Hussein avait potentiellement la bombe atomique, les services français avaient dit à Jacques Chirac et Dominique de Villepin, que tout était faux. Moi je suis très fier que les services français aient compté dans les décisions car, pourtant, tous les services anglo-saxons prétendaient dire la vérité.

Parmi ces services de renseignement, la France compte sur la Direction du renseignement militaire (DRM). Dernièrement, elle a été très critiquée par le pouvoir politique pour avoir eu mauvaise analyse des intentions russes vis-à-vis de l’Ukraine. Qu’en pensez-vous ?

L’attaque faite à la DRM est très injuste. Le problème c’est que le service avait en face de lui des politiques qui écoutaient trop les médias. Or, les médias reprenaient à longueur de journée ce que les Américains disaient, à savoir que ça allait taper en Ukraine. Pendant ce temps, la DRM détenait des informations qui démontraient que ce n’était pas sûr. Elle disait qu’elle devait aller plus loin dans ses analyses. Malheureusement, quand le matin les médias vous disent que ça va être la guerre demain, si vous demandez 24 heures pour vérifier vous êtes l’abruti de service.

Anticiper une guerre, n’est-ce pas le rôle d’un service de renseignement ?

En ce qui concerne l’Ukraine, il faut être extrêmement prudent car toutes les informations qui commencent à sortir montrent que le départ de l’opération n’est pas du tout comme on l’avait imaginé. Ce qui semble être sûr, c’est qu’il y a eu un mouvement du côté ukrainien, ou des phases qui ont convaincu les Russes qu’il fallait déclencher la guerre. Ils voulaient la faire, il n’y a pas de doute. La question était de savoir à quel moment. Elle a éclaté de manière très précipitée pour une raison évidente : lorsque les Russes l’ont déclenchée, c’était en pleine période de dégel. Or, en période de dégel les chars ne peuvent pas aller sur les champs sinon ils s’embourbent, ils sont obligés d’aller sur les routes et ils deviennent très vulnérables. C’est exactement ce qui s’est passé.

Est-ce qu’il y a des pays « amis » dans les renseignements ?

Le général de Gaulle disait : « dans le monde du renseignement, comme ailleurs, on n’a pas d’amis. On peut avoir des alliés, des partenaires mais on n’a pas d’amis ».

Vous avez évoqué le rôle des politiques avec les services de renseignement. Quel est le lien entre la DGSE et le Président de la République ? Qu’est-ce qu’ils disent ?

Le patron de la DGSE répond aux questions que lui pose le Président ou alors, s’il pense qu’il y a quelque chose d’important à lui signaler, il va lui dire « dans tel domaine, attention il y a un truc ». C’est uniquement un signalement. Au Président de dire si ça l’intéresse ou non. Concernant les opérations, elles sont montées et normalement, le président n’a rien à dire. Parfois, pour prendre certaines décisions, il faut s’assurer que toutes les hiérarchies, y compris le Président, est d’accord. Dans ce cas, on ne lui demande jamais un papier écrit, ni même une affirmation du type : « Oui je valide ». Cela ne se passe pas comme ça.

Comment ça se déroule alors ?

Le Président de la République va dire : « Faites ce que vous pensez utile ». Après, aux responsables de la DGSE de prendre leurs responsabilités. Un service de renseignement ne doit jamais prendre le risque de mettre en cause le Président. C’est lui le représentant de la nation, notre rôle c’est de le protéger.

Quelles sont les qualités d’un bon espion ?

Il doit être intègre, c’est très important. Ensuite honnête, courageux et très patient car on met beaucoup de temps avant de faire les choses. Enfin, il faut qu’il soit curieux parce qu’il faut toujours avoir l’esprit ouvert sur le reste. Il faut se passionner pour le monde et pour les autres. Avec ces ingrédients, vous êtes un bon espion !




Joséphine Baker au Panthéon

Par Alain Juillet et Marie Gatard

Avec l’entrée au Panthéon de Joséphine Baker, beaucoup retiennent le combat d’une femme qui a utilisé sa grande notoriété au service de la lutte contre le racisme et pour l’émancipation des Noirs en soutenant le mouvement américain des droits civiques, puis en s’impliquant comme franc-maçonne, à partir de 1960, dans la lutte pour l’égalité des droits pour toutes et tous.

Pourtant ce n’est pas seulement une femme exceptionnelle pour son action en faveur de la fraternité universelle, symbolisée par la fratrie de tous les enfants qu’elle a adoptés, venus de toutes les régions du monde, pour toutes et tous, c’est aussi la combattante pour la liberté de la France qui est aujourd’hui honorée.

Joséphine Baker – Photo Studio Harcourt (1948)

Les anciens des Services spéciaux sont particulièrement fiers de voir ainsi reconnue l’une des leurs mais beaucoup ignorent ce qu’elle a pu faire réellement. C’est pourquoi il a semblé utile aux auteurs de cet article d’en raconter l’histoire en utilisant les mémoires et livres qui évoquent le combat de la femme de l’ombre qui prenait si bien la lumière.

Elle ne reculera effectivement devant aucun risque pour la France.

Quand elle est contactée, dès septembre 1939, par le capitaine Jacques Abtey, de la section allemande du contre-espionnage français dirigé par le capitaine Paul Paillole, elle accepte immédiatement de se mettre à la disposition du service avec ces paroles : « C’est grâce à la France que je suis devenue ce que je suis. Je lui vouerai une reconnaissance éternelle. Les Parisiens m’ont tout donné, en particulier leur cœur, je leur ai donné le mien. Je suis prête, capitaine à leur donner aujourd’hui ma vie. Vous pouvez disposer de moi comme vous l’entendez. »

Voir la vidéo produite par le Ministère des Armées

De la misère à la danse

Danseuse aux Folies Bergères, l’artiste a alors 33 ans, elle est devenue une image mythique du music-hall.

L’ascension de la petite fille du Missouri a été prodigieuse. Sa mère, métisse noire et indienne, et son père, batteur de Saint Louis, d’origine espagnole, qui ont monté un numéro de chant et de danse, se produisent dans des bars et des music-halls.

De son vrai nom Freda Mac Donald, elle est l’aînée de la famille, mais, un an après sa naissance, son père quitte sa mère, et celle-ci, qui tient la petite fille pour responsable, se comporte avec une grande brutalité. Le froid, la puan- teur, la misère sont le terreau de son enfance. À huit ans, elle travaille comme bonne à tout faire dans la maison d’une blanche, où elle dort avec le chien près du tas de charbon. Elle est tirée de cet univers quand sa patronne l’ébouillante pour la punir, des voisins ayant entendu les cris de l’enfant. À onze ans, elle assiste à un événement qui la marquera à jamais, l’émeute raciale du ghetto de East Saint Louis. Des gens ont été brûlés dans l’incendie, elle voit s’enfuir les fugitifs traqués comme des bêtes. À treize ans, après une rupture violente avec sa mère, elle se marie, pour peu de temps, avec un garçon de wagon-lit, Willie Wells.

La danse est déjà son univers. Dans les rues de Saint Louis, elle a appris les mouvements typiques des danseurs de jazz des années 20 aux États-Unis. Élevée dans la tradition baptiste, elle aime les cérémonies religieuses où musique et rythme entraînent les fidèles qui tapent des pieds, battent des mains, se balancent dans une atmosphère hypnotique. Elle est imprégnée de l’idée que l’âme peut s’exprimer à travers le corps.

C’est ainsi qu’après avoir été serveuse, elle se joint à un groupe familial de musiciens de rue, où elle apprend à jouer du trombone. C’est là qu’elle épouse, à quinze ans, Willie Baker, dont elle gardera le nom, et qu’elle réalise son rêve, entrer dans le corps de ballet d’un groupe en tournée. Elle y joue d’abord les remplaçantes, mais finit par se faire connaître dans le rôle de girl comique : elle grimace, se démène avec un entrain irrésistible, capable de n’importe quelle posture sans jamais arrêter de loucher.

Scandale et enthousiasme : la Revue nègre

À la même époque à Paris, en 1925, sévit un véritable engouement des artistes pour l’exotisme, en particulier pour l’art africain. Le peintre Fernand Léger, qui vient de voir l’exposition d’art nègre au musée des Arts décoratifs, suggère à l’administrateur du théâtre des Champs-Élysées de présenter un spectacle entièrement réalisé par des Noirs. La troupe dont fait partie Joséphine est pressentie. Elle a alors dix-neuf ans, danse en solo et commence à faire parler d’elle. C’est son premier contact avec la France.

De ce pays, Joséphine attend tout et, surtout, d’y échapper à une discrimination raciale particulièrement lourde à l’époque dans son pays. Paris lui offrira plus qu’une terre d’accueil, il fera d’elle une star. Mais si ce corps se dresse comme une œuvre qui exalte le monde des arts, si le nom de Joséphine Baker est aussi synonyme de liberté et d’ouverture sur le monde, l’Éros, propice aux fantasmes, indigne certains. Les catholiques s’offusquent, au point que l’Église en vient à s’alarmer. Pourtant, la star décide de rester en France.

Elle devient la compagne de Giuseppe Abatino, dit Pepito, qui passe pour un gigolo et se révélera être, durant leur union de dix ans, un remarquable impresario. C’est lui qui organise pour elle une tournée mondiale. Celle-ci débute à Vienne où des étudiants de droite veulent empêcher les artistes de couleur de se produire. L’Église, offusquée par des exhibitions de sensualité aussi tumultueuse, s’en mêle. Joséphine est horrifiée. En Argentine aussi, dit-elle, « les partis catholiques m’ont traquée de gare en gare, de ville en ville, d’une scène à l’autre ». En 1929, la police de Munich interdit le spectacle.

Arrivent les années 30. Elle a retrouvé la France, seul pays pour elle « où l’on puisse vivre facilement ». Elle est danseuse au Casino de Paris, devenu music-hall respectable. Joséphine s’est  transformée :  elle est vêtue avec simplicité et s’est mise à chanter. La petite Tonkinoise et J’ai deux amours sont sur toutes les lèvres. En 1934, elle tentera l’opérette et remportera un vrai succès dans le rôle de La Créole d’Offenbach.

Pourtant son désir de retourner dans son pays pour s’y imposer à Broadway se soldera par un échec. Comprenant qu’elle n’y a définitivement pas sa place, elle rentre à Paris mener une nouvelle revue aux Folies Bergères. Pepito est mort brutalement au printemps 1936. En 1937, en épousant Jean Lion, un riche courtier en sucre, elle obtient la nationalité française. La même année elle passe le brevet de pilote.

La star et le contre-espionnage

Quand éclate la guerre, en 1939, la star noire est en quelque sorte rattrapée par le racisme. On entendait déjà les accents du nazisme et les cruautés de l’idéal aryen. Les nazis considèrent les Noirs comme une menace pour la « race blanche ».C’est un agent de théâtre qui la met en rapport avec le capitaine Jacques Abtey, un Alsacien de 33 ans, énergique et sportif, un blond au front haut et aux yeux bleu pâle.

Avant la guerre déjà, le chef de la section des services secrets travaillant contre l’Allemagne avait eu l’idée d’utiliser des comédiens français à l’occasion de leurs déplacements à l’étranger.

«  Quand  le jeune capitaine Abtey me parla pour  la première fois  de Joséphine Baker, dira le colonel Paillole, je fus réticent. Nous nous méfions au 2e Bureau des enthousiasmes à la Mata Hari. Je craignais qu’elle soit une de ces personnalités brillantes du monde du spectacle qui, à l’épreuve d’un vrai danger, bien différent de leurs affres habituelles, se cassent comme du verre ; il me dit que Joséphine, c’était de l’acier. » Sous la coupe de Jacques Abtey, Joséphine Baker devient honorable correspondant.

Elle « ignorait tout du service de renseignements et devint rapidement un H.C. de tout premier ordre, dit Abtey. Cette femme universellement connue n’avait rien d’une barbouze. On se doute qu’elle n’opérait pas davantage en manteau couleur passe-muraille. Ce fut précisément en tant que Joséphine Baker qu’elle n’attirait pas l’attention sur son activité secrète. (…) Mieux, je parvins moi-même en certaines circonstances à passer complètement inaperçu en voyageant auprès d’elle avec un faux passeport en qualité de secrétaire ou d’artiste. »

« Mission accomplie ! »

Une longue route d’aventures va commencer pour Joséphine et son « officier traitant ». Le monde du renseignement de la vedette devient vite celui des ministres, des ambassades, voire des rois.

En 1940, Jacques Abtey est chargé d’établir, pour les Services spéciaux français, une liaison avec l’Intelligence Service, en vue d’un échange permanent de renseignements et afin de recevoir des consignes pour l’action commune. Il est décidé qu’il va accompagner la star dans sa tournée au Portugal et en Amérique du Sud ; il se fondra dans la troupe avec un passeport au nom de Jacques-François Hébert. Joséphine commence son travail de couverture, qui implique d’énormes risques, d’autant qu’elle fait inscrire sur le passeport de son coéquipier « accompagne madame Joséphine Baker ».

Pour ce premier voyage, ils partent avec une synthèse des renseignements recueillis jusque-là par le service de Paul Paillole, reproduite en langage chiffré et à l’encre sympathique (emplacement des principales divisions allemandes, effectifs, matériel, terrains d’aviation et même une photo d’une péniche que les Allemands projettent d’utiliser pour une invasion de l’Angleterre).

Tout le monde se presse pour voir la vedette, Abtey passe inaperçu, il fait pour ainsi dire partie des bagages. À l’ambassade de Lisbonne, par l’attaché de l’Air anglais, il entre en contact avec un membre de l’Intelligence Service. Joséphine, revenue seule à Paris, pourra dire à Paillole : « Mission accomplie ! »

Comme elle a besoin de renflouer ses finances, entamées par l’expédition à Lisbonne qu’elle a tenu à assumer, elle reprend à Marseille La Créole. À partir de ce moment, elle n’acceptera jamais aucune aide pécuniaire pour tout ce qu’elle fera pour la Résistance ou les soldats de l’Alliance.

Abtey est resté à Lisbonne pour mettre sur pied les modalités de collaboration avec les Anglais. Le service français sera basé à Casablanca et les courriers transiteront par le Portugal. Rentré à Marseille pour la première d’un spectacle de Joséphine, il lui dit qu’il a besoin d’elle pour la suite de ses missions et qu’ils vont s’installer au Maroc. N’hésitant pas un instant, elle interrompt les représentations pour cause de maladie et fait prendre ses bagages dans son château de Dordogne. Mais elle tient à ses animaux et l’on voit arriver dans sa cabine du bateau en partance pour l’Afrique du Nord : son danois, sa guenon, son singe-lion, son ouistiti, et ses deux souris blanches.

Ils embarquent aussi avec la dernière synthèse de renseignements. Mais, arrivé à Casablanca, Abtey a de telles difficultés pour obtenir un visa pour Lisbonne que Joséphine décide d’y aller à sa place. « Dans une valise, dira- t-il, elle emmenait la synthèse de Paillole que je lui avais transcrite à l’encre sympathique sur une partition de musique. De me voir écrire avec de l’eau l’avait bien amusée. C’était la première mission qu’elle allait accomplir seule à l’étranger. » Pour justifier sa présence à Lisbonne, elle y donne quelques représentations et revient radieuse

Mosaïques, orangers et colonnes de marbre

Elle se replie alors à Marrakech où deux personnalités lui ont ouvert les bras : un cousin germain du sultan, S.A. Moulay Larbi el-Alaouï, et le pacha de Marrakech, S.E. Si Thami el-Glaoui. Séduite par cette ville, elle s’installe avec sa suite, dont Abtey, dans une demeure de rêve au fond d’une impasse de la Médina : vestibule couvert de mosaïques, jardin intérieur à colonnes de marbre, orangers, fontaine gazouillante. Elle est frappée par la spiritualité qui émane de cette féerie. Mais le travail continue.

Malgré les dangers qu’il y a pour elle à aller en Espagne, alors sous tutelle occulte des Allemands, elle décide de s’y produire, ce voyage étant favorable à leur mission. Elle en reviendra avec, fixées à ses sous-vêtements par une épingle de nourrice, les notes qu’elle a prises sur les ambassades et les milieux politiques espagnols.

Mais, soudain, sa santé arrête son élan : elle a une péritonite et son cas est des plus sérieux. Un lit de camp est dressé auprès d’elle pour Abtey qui la veille, mais doit souvent la quitter pour les besoins de sa mission. Elle l’aide encore à sa manière : sous prétexte de visites à la malade, il peut donner dans sa chambre la plupart de ses rendez-vous clandestins.

Cependant, de rechute en rechute, Joséphine mène une incessante lutte pour la vie, qui va durer dix-neuf mois.

Un jour, elle voit arriver à son chevet un grand gaillard au visage ouvert, le vice-consul américain Bartlett : « Miss Baker étant d’origine américaine, dit-il, personne ne trouvera surprenant que je lui fasse des visites. » Abtey a en effet établi de nouveaux contacts avec les Américains, entrés dans la guerre. C’est ce même Bartlett qui leur annoncera un jour : de graves événements se préparent.

À la mi-octobre 1942, on offre à Abtey de diriger le 2e  Bureau de l’état-major militaire d’un mouvement de France Combattante qui vient de se former à Casablanca. Et les agents de Paillole ont été pressentis pour neutraliser, sous la direction du général Béthouart, le commandement supérieur des troupes du Maroc qui sont sous la direction du gouvernement de Vichy.

Le 8 novembre 1942, la DCA se déchaîne contre les premiers avions alliés, c’est le début du débarquement en Afrique du Nord. Joséphine exulte, Abtey la voit « bondir de son lit métallique, se lancer sur la terrasse, son maigre corps vêtu d’un pantalon de pyjama et d’un méchant tricot, les pieds nus » et, levant un poing vers le ciel : « Je vous l’avais toujours dit ! C’est cela les Américains ! » Elle suit la bataille du toit de la clinique.

Le deuxième jour des combats, elle tient, malgré sa faiblesse, à accompagner les représentants de la France Combattante qui vont se mettre à la disposition de l’état-major américain : une civière leur permettra de se déplacer sous la protection d’une ambulance de la Croix-Rouge.

Des milliers de soldats l’écoutent chanter

Enfin, le 1er  décembre, Joséphine quitte la clinique. À Marrakech, Si Mohamed Menebhi met à sa disposition un pavillon de son palais. Mais une paratyphoïde la terrasse à nouveau et elle enrage de ne pouvoir s’engager aux côtés de son officier traitant. Pourtant, le 1er  février, à peine rétablie et les cicatrices des interventions chirurgicales qu’elle a subies lors de son long séjour à la clinique n’étant pas entièrement refermées, pour aider les gens de sa couleur, elle monte sur les planches dans un foyer de soldats américains noirs (les blancs ont leur propre club). Le général Clark, qui assiste au spectacle, viendra la féliciter à la réception où l’on verra les plus hauts gradés de l’armée interalliée. Elle renaît à sa vie de star et se met à la disposition du haut commandement des troupes engagées, pour donner gratuitement des spectacles pour soutenir le moral des soldats. Et, alors qu’elle n’a plus un sou et qu’elle doit, pour se renflouer, donner une série de représentations au Rialto à Casablanca, la première est un gala au profit de la Croix-Rouge française. Le succès est énorme. J’ai deux amours, mon pays et Paris déchaîne une émotion parfois déchirante.

Et, tandis qu’Abtey, qui a quitté le Corps franc coiffé par Giraud, attend l’occasion de s’envoler pour rejoindre de Gaulle, elle fait le tour des can- tonnements (près de 300.000 hommes sont sous la tente ou dans des bara- quements). Plusieurs fois par jour, elle monte sur les tréteaux ; sa loge est une tente. Près d’Oran, la scène est dressée au milieu d’un champ, plusieurs milliers de soldats l’entourent. À Mostaganem, on lui demande de chanter sur la place publique car les militaires sont en butte à l’hostilité de la population, majoritairement italienne et espagnole, et le chef d’état-major a décidé de les mêler à la foule, espérant susciter le pouvoir rassembleur de l’artiste.

Tout en chantant, elle descend parmi les spectateurs, prenant des bébés dans ses bras et les remettant aux soldats. C’est ainsi qu’elle réussit à créer cette atmosphère de fraternité à laquelle elle aspire tant.

Des milliers de kilomètres à travers le désert

Quand elle rentre, épuisée, Paillole et de nombreux membres du 2e Bureau sont arrivés à Alger, ainsi que le général Catroux, représentant de Gaulle. Abtey se met au service du BCRA, tandis que Joséphine accepte une tournée dans les camps britanniques de Libye et d’Égypte. On pourrait croire que son activité dans la Résistance va s’arrêter là, d’autant qu’il n’est pas question pour elle de rentrer en France où, depuis 1941, les nazis ont interdit l’entrée en zone occupée de toute personne de couleur.

baker josephine
Le SLT Josephine Baker avec Alla Dumesnil-Gillet CDT les formations féminines de l’air – Photo Archives AASSDN

Pourtant, les deux coéquipiers vont continuer à lutter ensemble, mais leur action prend une autre tournure. Il ne s’agit plus d’œuvrer contre les services allemands, mais d’observer le monde musulman où les rivalités ancestrales ressurgissent. Joséphine a une grande connaissance du milieu arabe et, si elle met les intérêts de la France au-dessus de tout, elle aime sincèrement ses amis musulmans. C’est dans cet esprit qu’elle va travailler.

Accompagnée d’Abtey, elle part donc pour le Moyen-Orient. Sous couvert d’une tournée de propagande, sous le haut patronage de De Gaulle et au profit de la Résistance en métropole, elle donnera des spectacles devant les troupes FFL.

Toujours bénévole, pour pouvoir financer l’entreprise, Joséphine donne une grande soirée au théâtre municipal d’Alger. De Gaulle est parmi les spectateurs, il la félicite et lui fait remettre une petite croix de Lorraine en or. Il faut dire que Joséphine a un drapeau français de dix mètres orné d’une immense croix de Lorraine, qu’elle a déployé sur la scène. Elle le déploiera tout au long de sa tournée.

Elle suggère d’emmener avec eux un de ces amis, Madani Glaoui, neveu du pacha de Marrakech, un jeune homme plein de grâce et d’allant, acquis à de Gaulle, et dont le nom est susceptible de leur ouvrir des portes. Et les voilà partis pour un extraordinaire périple, tous les trois en jeep, les bagages suivant dans un autre véhicule, Joséphine en tenue militaire de campagne. Elle va faire ainsi des milliers de kilomètres à travers le désert.

À Sfax, ville détruite, elle offre la recette aux sinistrés. À Alexandrie, le trio est invité par le prince Mohamed Ali qui s’intéresse à leur mission. Au Caire, grande soirée franco-égyptienne présidée par le roi Farouk et banquet en l’honneur de la star. À Beyrouth, président de la République sortant, ambassadeur et têtes couronnées de Grèce. Pour augmenter la recette au profit de la Résistance, Joséphine met aux enchères la croix de Lorraine en or offerte par de Gaulle : elle atteint 350.000 francs.

Damas, Jérusalem, Tel-Aviv, Jaffa, Haiffa, puis Le Caire à nouveau ; sur toutes les scènes, Joséphine fait flotter son grand drapeau, symbole de la résurrection de la France. Bilan de la mission : une action de propagande et plus de trois millions de francs pour la Résistance.

Cependant, à Beyrouth, à l’élection du nouveau président de la République libanaise, le candidat français est battu, l’union arabe marque le premier point. Les renseignements recueillis par Abtey sont tous transmis à Alger et, devant la révolte grondant au Liban et les manifestations du Caire, ce dernier décide de rentrer le plus rapidement possible dans la capitale algérienne pour rapporter de vive voix les suggestions faites par les personnalités libanaises rencontrées.

L’échec de la France au Moyen-Orient occupe les esprits et change déjà les mentalités. Impression des deux coéquipiers : « le torchon brûle ». Les mouvements nationalistes intéressent les services de renseignements français, autant qu’américains et britanniques.

Mais Joséphine paie son infernale randonnée dans le désert et doit être opérée d’urgence d’une occlusion intestinale. Le palais Menebhi, où elle est en convalescence, est un lieu privilégié d’observation pour juger de l’évolution des dispositions des notables marocains à l’égard de la France.

À la veille du Débarquement en France sur les côtes normandes, elle accepte une tournée de propagande au profit de la France libre, en Corse, qui vient d’être libérée ; le but est, là, une démonstration à l’intention des Américains, dont l’attitude à l’égard de De Gaulle est plus qu’équivoque ; au point qu’un jour, un membre du corps diplomatique conseille à la vedette de ne jamais monter dans l’avion du Général.

Son avion s’écrase en mer

Quand elle rejoint la Corse en avion avec Abtey, s’apprêtant à poser le pied en France pour la première fois depuis quatre ans, peu après la Sardaigne, un moteur tombe en panne. Le ciel est sillonné d’avions français, tandis que le leur perd de l’altitude et finit par descendre vers la mer. « Calez-vous ! » crie le pilote. Le grand drapeau roulé sert de coussin protecteur à Joséphine. L’avion s’écrase dans une gerbe d’eau, sa carlingue de bois éclate, ses occupants grimpent sur une aile au milieu des bagages flottants. Ils sont tombés dans une anse, un groupe de tirailleurs Noirs accourt sur la plage. La soirée de gala sera assurée, Joséphine chantera pour les hommes qui vont libérer la France occupée.

Engagée le 23 mai 1944 dans l’armée, le lieutenant Joséphine Baker débarquera elle-même en zone sud avec les Forces féminines de l’Air : tenue de campagne, barda et casque réglementaires, vie de soldat.

Abtey la retrouve à Paris, aux Halles, calot sur la tête, dans un grand manteau gris-bleu de la RAF, pourvu par ses soins des boutons de cuivre de l’armée de l’Air française, une grosse écharpe de laine autour du cou ; elle s’approvisionne en gros pour les vieux de la banlieue (sans tickets d’alimentation grâce à ses relations). Elle s’est engagée dans la lutte contre la misère.

Pour une série de spectacles au profit des sinistrés, on lui recommande l’orchestre de Jo Bouillon. Ils suivront ensemble la progression de la 1re Armée, parcourant la zone française en Allemagne occupée. À Berlin, elle représente la France au cours d’un spectacle grandiose où figurent les grandes nations alliées. À Buchenwald libéré, elle ira au chevet des typhiques intransportables.

Une nouvelle tranche de vie attend la star, mais, en retrouvant la paix, avec Jo Bouillon devenu son mari, elle ne renoncera jamais à lutter avec l’étonnante générosité dont elle a toujours fait preuve, notamment pour sa cause première : l’abolition des barrières raciales. Voulant prouver qu’on peut vivre ensemble sans discrimination, elle adoptera douze enfants d’origines différentes.

L’activité de Joséphine Baker dans le cadre des services spéciaux a été minimisée par certains, pour lesquels elle n’aurait pas été un véritable agent de renseignements. Sans elle, pourtant, le véritable agent de renseignements que fut Jacques Abtey n’aurait jamais pu mener à bien ses missions. Elle a tout le long de l’Occupation pris des risques considérables pour le « couvrir » et s’est dépensée parfois au-delà de ses forces pour la Résistance. Ses décorations en témoignent. Elle a reçu la médaille de la Résistance, en 1946, dans son lit de la clinique de Neuilly (nouveaux ennuis de santé) et, en 1961, dans son château des Milandes, en Dordogne, les insignes de la Légion d’honneur et la croix de guerre avec palme.

Ses funérailles nationales, en 1975, étaient sans précédent pour un artiste.

Alain Juillet et Marie Gatard

Cet article a été publié le 19 septembre 2021 dans le numéro 256 du Bulletin bimestriel de l’AASSDN, l’Amicale des Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale. Nous le reproduisons ici avec l’aimable autorisation de leurs auteurs et de l’AASSDN.

Alain Juillet, vice-président de l’AASSDN – Photo © JFD

Marie Gatard, Historienne AASSDN – Photo ©

Quelques livres pour en savoir davantage

Joséphine Baker, une Américaine à Paris, Phyllis Rose. Ed.Fayard, 1990

Joséphine, Joséphine Baker et Jo Bouillon. Ed. Robert Laffont, 1976

Voyages et aventures de Joséphine Baker, Marcel Sauvage. Ed. Marcel Sheur, Paris, 1931

Joséphine Baker contre Hitler, Charles Onana. Ed. Duboiris, 20XX 

2e Bureau contre Abwehr , Jacques Abtey. Ed. de la Table Ronde, 1967

La guerre secrète de Joséphine Baker, Jacques Abtey. Ed. Siboney, 1948

Bulletin de liaison de l’AASSDN, n° 177 et 127

J.A., Rémy. Ed. Galic, 1961

Services spéciaux, Paul Paillole. Ed. Robert Laffont, 1975

Mes missions face à l’Abwehr, Gilbert Guillaume. Ed. Plon, 1973

Combats de femmes, Marie Gatard, L’esprit du Livre, 2009