Un renouveau stratégique : naissance du commandement de l’action en profondeur et du renseignement (CAPR)

Le général de corps d’armée (CGA) Toujouse, commandant les forces terrestres, a présidé le mercredi 4 septembre 2024 à Strasbourg, en présence du GCA Langlade de Montgros, directeur du renseignement militaire (DRM) et du GCA Pierre Meyer, nouveau Gouverneur militaire de Metz, commandant de la zone Terre Nord-Est et officier général de la zone de défense et de sécurité Est, la cérémonie de création du commandement de l’action dans la profondeur et du renseignement (CAPR), de la brigade de renseignement et de cyber-électronique (BRCE) et de la 19e brigade d’artillerie.

Au cours de cette cérémonie à laquelle assistaient les deux délégués alsaciens, Jean-Paul Beck et Christian Poutard ainsi que plusieurs membres de l’amicale, le général de division (GDI) Guillaume Danès, nouveau commandant du CAPR, le général de brigade (GBR) Vincent Tassel, nouveau commandant de la BRCE ainsi que le GBR Marc Galan, nouveau commandant de la 19e brigade d’artillerie, se sont vu remettre leur nouveau fanion par le GCA Toujouse. Cette remise de fanion s’est déroulée devant de l’ensemble des drapeaux des régiments constituant le CAPR, réunis à cet effet, et en présence des chefs de corps de ces mêmes régiments.

A l’issue de la cérémonie officielle, le GCA Toujouse et le GCA Langlade de Montgros se sont adressés à l’auditoire., Si le commandant des forces terrestres a tenu des propos très martiaux vis-à-vis de la Russie, le directeur du renseignement militaire a tenu à rappeler l’importance de la fonction renseignement dans les armées et a souligné les relations très étroites qui prévalaient entre la DRM et l’ex COMRENS tant au niveau de la fourniture de renseignements stratégiques que tactiques.

S’adressant en dernier à ses invités, le GDI Danès a tout d’abord tracé l’historique du nouvel insigne du CAPR, dévoilant au passage les échanges -quelque peu tendus- qui ont eu lieu avec le Service historique de la Défense (SHD) en vue de sa création. Il a ensuite rappelé que la mission fondamentale de son nouveau commandement résidait dans la conduite d’actions dans la profondeur et l’acquisition de renseignements et qu’il tirait sa force de son articulation en trois brigades (renseignement, artillerie et aérocombat). Il a également précisé que la CAPR était le quatrième commandement « Alpha » (il s’agit de commandements spécialisés appelés à fournir des appuis au combat dans des domaines clés, tels que les frappes dans la profondeur, les actions « hybrides », le renseignement et la logistique) et qu’avec sa création s’achevait la réorganisation voulue par le chef d’état-major de l’armée de Terre.

La cérémonie s’est achevée par un moment de convivialité qui a permis d’échanger avec l’ensemble des cadres et acteurs de ce nouveau commandement autour d’un grand nombre de spécialités culinaires alsaciennes.

Jean-Paul BECK
Délégué régional AASSDN




Comment la France est devenue une puissance spatiale

Commentaire AASSDN : Alors que l’UE vient de retrouver une dimension importante de son autonomie stratégique avec le lancement réussi de la fusée Ariane 6, Philippe Varnoteaux rappelle dans la revue Conflits, l’effort continu et le rôle central qu’a joué la France dans le domaine spatial.

Alors que la France est contrainte de relever simultanément de nombreux défis : financier, éducatif, migratoire, santé, énergétique, il est réconfortant de se souvenir que 20 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale avec son cortège de pertes humaines (500 000 morts) de destructions et tout en menant les guerre d’Indochine et d’Algérie, notre pays s’est hissé au 3e rang des puissances spatiales mondiales après l’URSS et les Etats-Unis.

L’AASSDN propose à ses lecteurs un numéro hors-série de 250 pages, réalisé par l’ASAF en coopération avec des membres de notre association « L’aventure spatiale française de 1945 à nos jours » (10 € + 5 € de port).

Le 26 novembre 1965, la France devient la troisième nation à placer sur orbite par ses propres moyens un satellite (A1 ou Astérix), après l’URSS (1957) et les États-Unis (1958). Les années 1950 sont cruciales pour comprendre le succès de 1965 et l’influence française dans la construction de l’Europe spatiale.

Les photographies présentes à l’intérieur de l’article ont été fournies par Philippe Varnoteaux.

La Seconde Guerre mondiale voit l’émergence d’armes nouvelles, dont les missiles. Lors de la défaite de l’Allemagne, les Alliés découvrent l’extraordinaire avance que celle-ci a dans ce domaine. Américains et Soviétiques saisissent matériels et spécialistes allemands à travers respectivement les opérations Paperclip et Osoaviakhim.

L’héritage allemand

Les Français adoptent la même démarche avec leurs « missions scientifiques ». Ainsi, les armées françaises s’intéressent aux missiles, mais selon des démarches différentes : l’armée de Terre via le Centre d’études des projectiles autopropulsés (CEPA) de la DEFA souhaite reconstruire des V2 ; l’armée de l’Air via le service technique de l’aéronautique de la DTI engage un vaste programme visant à développer de nouveaux engins-fusées classés en air-air, air-sol, sol-air, sol-sol, cible télécommandée ; quant à la Marine, elle construit des engins visant à couvrir tous les domaines (air-mer, mer-air, surface-surface). Concernant les spécialistes allemands récupérés, certains sont installés au Laboratoire de recherches balistiques et aérodynamiques (LRBA) de Vernon (armée de Terre) pour reconstituer des V2, comme Karl Heinz Bringer, spécialiste de la propulsion, qui a contribué à élaborer les moteurs des Véronique, Diamant et même Ariane 1.

Ainsi en Europe, en dehors de l’URSS, la France est le pays qui recrute le plus de spécialistes allemands dans de nombreuses entreprises d’État ou privées et pas que dans le domaine des fusées.

Légende : Véronique V17 installation sous portique_ ECPA-CNES

Toutefois, la guerre de décolonisation en Indochine contraint l’armée de terre à faire des choix ; elle lâche le CEPA qui in fine ne procède à aucun essai de V2. Il subsiste néanmoins au sein du LRBA deux principaux programmes : Véronique (VERnOn service techNIQUE), une étude dérivant des connaissances allemandes sur la propulsion à liquides appelée à être utilisée comme fusée-sonde, et Eole (Engin fonctionnant à l’oxygène liquide et à l’éther de pétrole), un prototype de missile sol-sol devant emporter une charge explosive (300 kg à 1 000 km) dont l’origine remonte aux années 1930.

L’héritage national

Des études sur les fusées existaient en effet avant la guerre. Par exemple, l’ingénieur Louis Damblanc s’intéressait aux fusées à propulsion solide (poudre) et, entre 1937 et 1940, conduisait à l’École centrale de pyrotechnie des essais en vol de fusées à un, deux et même trois étages. De son côté, le pionnier de l’aviation Robert Esnault-Pelterie publiait en 1930 L’Astronautique, ouvrage dans lequel il expliquait l’intérêt des fusées à propulsion à liquides pour le vol spatial. Citons enfin l’ingénieur militaire Jean-Jacques Barré du service technique de l’artillerie qui, disciple d’Esnault-Pelterie, œuvrait à la réalisation sous l’Occupation du EA 1941 (engin autopropulsé modèle 1941), un petit missile sol-sol à propulsion à liquides. La défaite le contraignit à effectuer les essais après la Libération entre mars et juillet 1945 (l’une des fusées atteint la portée de 60 km). En novembre 1952, il procède à deux tirs de la version améliorée Eole, mais qui échouent. Déçue et peu convaincue, la DEFA abandonne les projets de Barré.

Le foisonnement des études de fusée dans les années 1950

Si l’arrêt d’Eole met fin aux études de missile de longue portée, celles sur les missiles tactiques de courte portée se multiplient, notamment les sol-air en raison de la menace des bombardiers soviétiques. L’armée de Terre développe le sol-air Parca (projectile autopropulsé radioguidé contre avions), un engin à propulsion liquide puis solide. Parallèlement, est mise au point Véronique pour le compte du Comité d’action scientifique de la défense nationale (CASDN) qui la met à disposition des scientifiques pour explorer l’atmosphère. Dès le 29 octobre 1954, une Véronique réalise à 104 km d’altitude la première expérience spatiale française conçue par les physiciens français Étienne Vassy et allemand Karl Rawer (étude de l’ionosphère par mesure de la transmission des ondes radio).

Quant à l’air, elle dispose dès la fin des années 1940 à Cannes d’un grand centre industriel de la fusée à la SNCASE. De nombreux engins y sont réalisés comme le SE 4100, un missile sol-air servant de banc d’essai (et à partir duquel sont élaborées la plupart des bases techniques de la fusée moderne), dont le premier tir intervient dès septembre 1949. La société Matra, quant à elle, construit à la fois des missiles sol-air (série R04 à R422) et des missiles air-air (R05 à R530), avant de se spécialiser dans cette deuxième catégorie. D’autres organismes développent des fusées comme l’Onera (Office national d’études et de recherches aéronautiques) qui, pour ses études fondamentales (aérodynamique, matériaux, etc.), élabore des engins technologiques, dont les OPD à partir desquelles sont conçues des fusées-sondes comme Daniel qui, le 27 janvier 1959, réalise la seconde expérience spatiale française (mesure de la radioactivité dans l’atmosphère à 127 km d’altitude).

Ainsi, les années 1950 ont été une période fondatrice, avec un foisonnement de programmes (près d’une centaine) et d’expérimentations d’engins-fusées, une véritable furia francese.

Tout un tissu de compétences en matière de fusées a été développé par les armées (via leur direction technique), des industriels et des organismes étatiques maîtres d’œuvre, de nombreux équipementiers, des moyens d’essais et plusieurs champs de tir, dont ceux du Centre interarmées d’essais d’engins spéciaux (CIEES) à Colomb-Béchar / Hammaguir (désert algérien) où la plupart des engins ont été expérimentés entre 1948 et 1967.

Légende : Diamant 01 décollage_ ECPA

Le tournant de l’année 1959

En 1950, des physiciens proposent une année géophysique internationale (AGI) pour une étude globale de la terre, y compris la haute atmosphère. Elle est planifiée pour 1957-1958, en raison d’une forte activité solaire qui entraînera des interactions avec l’atmosphère terrestre. Américains et Soviétiques annoncent en 1955 l’envoi des premiers satellites artificiels.

En France, Vassy suggère d’utiliser des Véronique améliorées pour contribuer aux programmes de l’AGI. Le CASDN finance la construction d’une quinzaine de Véronique AGI, tandis que le physicien Jacques Blamont du service d’aéronomie – premier laboratoire spatial français créé fin 1958 au sein du CNRS – propose de créer des nuages artificiels à l’aide de sodium pour en savoir plus sur la haute atmosphère (structure, vents, etc.). Ainsi, les 10 et 12 mars 1959, deux Véronique AGI s’envolent avec leur charge de 90 kg et réalisent entre 85 et 170 km des nuages artificiels qui mettent en évidence la turbopause, la limite entre la basse et la haute atmosphère. La découverte est spectaculaire. Les médias exultent ! L’espace est désormais accessible aux scientifiques français. De nombreuses autres expériences sont effectuées, dont le vol suborbital de petits animaux comme le rat Hector le 22 février 1961 (à 110 km) et la chatte Félicette le 18 octobre 1963 (à 155 km).

Entre-temps, le contexte politique change. Avec le retour aux affaires du général de Gaulle (1958), les autorités sont particulièrement sensibles aux initiatives mettant en avant le progrès, comme les sciences et les technologies. La jeune communauté spatiale française en profite pour les solliciter et pour obtenir le 7 janvier 1959 la création du Comité des recherches spatiales (CRS). Confié au physicien Pierre Auger, le CRS évalue et favorise le développement des activités spatiales qui s’apprêtent à s’intensifier. De nouvelles fusées-sondes sont commandées auprès du LRBA (Véronique, Vesta) et de Sud Aviation (engins à poudre Bélier, Centaure, Dragon). Le CRS est aussi chargé de soutenir les propositions françaises dans les projets de recherches spatiales à l’échelle internationale (Cospar) et à l’échelle régionale (Europe).

Des études balistiques au lanceur spatial

Parallèlement, le gouvernement engage une réflexion sur l’opportunité d’avoir des missiles balistiques à longue portée pour la force de dissuasion nucléaire. Le succès de Véronique AGI de mars 1959 contribue à le convaincre de s’en doter. Est ainsi créée le 17 septembre 1959 la Société pour l’étude et la réalisation d’engins balistiques (Sereb) qui regroupe les forces vives de la nation (Sud Aviation, Nord Aviation, SEPR, Matra, Dassault, Snecma, Onera, Service des poudres, Commissariat à l’énergie atomique). Une coopération avec les États-Unis est envisagée mais, devant les tergiversations de ceux-ci, le gouvernement décide que la Sereb concevra seule les missiles balistiques stratégiques.

La Sereb déploie une méthode d’essais originale consistant à tester séparément puis en les associant des fusées ou véhicules d’essais (VE), afin d’acquérir les compétences dans la propulsion, le guidage, le pilotage, la rentrée atmosphérique (ogives). Dans le cadre des « pierres précieuses », toute une panoplie d’engins voit le jour (Agate, Topaze, Émeraude, Rubis). Le plus abouti est Saphir qui combine Émeraude (propulsion à liquides) et Topaze (propulsion solide), respectivement comme premier et second étage. À l’automne 1960, des ingénieurs de la Sereb (sous la conduite de Bernard Dorléac) proposent au CRS de réaliser à moindre coût un lanceur de satellite (Diamant) en ajoutant un troisième étage au futur Saphir. La réflexion s’engage et, le 22 juillet 1961, lors d’un conseil interministériel, de Gaulle et son gouvernement acceptent la proposition de la Sereb. Le 18 décembre, cette dernière, sous la responsabilité de la DMA, doit construire Diamant (pour placer sur orbite 80 kg à 500 km). Quant aux scientifiques, ils obtiennent en lieu et place du CRS une agence spatiale – le Centre national d’études spatiales (CNES) – créée le 19 décembre pour conduire la politique spatiale de la France. Pierre Auger en devient le premier président.

Légende : Satellite A1 en intégration à Boulogne Billancourt_ MATRA

Diamant 01 qui place sur orbite la capsule militaire A1 (Armée no1 rebaptisée Astérix). Trois autres Diamant sont lancés en 1966-1967 avec succès avec des satellites technologiques réalisés par le CNES (Diapason, Diadème 1 et 2). Début juillet 1967, la France quitte Hammaguir pour lancer depuis le Centre spatial guyanais près de Kourou. Le CNES est désormais responsable du nouveau lanceur (civil) Diamant B qui le 10 mars 1970 place sur orbite un satellite… allemand (Wika).

N’ayant cependant pas les moyens d’une NASA américaine, le CNES mène dès le début une politique de coopération avec les Américains et les Soviétiques, mais aussi avec des pays en voie de développement.

Dès 1961-1962, la coopération avec les États-Unis offre aux ingénieurs français l’opportunité de parfaire leur formation et aux scientifiques d’embarquer des instruments dans des satellites américains. Avec les Soviétiques, la coopération entre dans le champ du possible après la visite du général de Gaulle en URSS en juin-juillet 1966. Quant à la coopération avec des pays en développement, elle émane de Jacques Blamont qui, devenu en 1962 premier directeur scientifique et technique du CNES, établit avec l’Inde et l’Argentine un partenariat permettant de leur transmettre une partie du savoir-faire français.

Une puissance spatiale qui s’intègre à l’Europe

Dès fin octobre 1962, Pierre Auger quitte la présidence du CNES pour s’engager dans la construction de l’Europe spatiale. Il contribue ainsi à la création le 14 juin 1962 par dix États européens (Belgique, Danemark, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, RFA, Royaume-Uni, Suède et Suisse) de l’European Space and Research Organisation (ESRO). Ce partenariat permet de construire les premiers satellites scientifiques européens.

Une autre initiative a lieu de la part des autorités britanniques pour concevoir un lanceur européen avec la France, la Belgique, l’Italie, les Pays-Bas et la RFA (plus l’Australie pour le champ de tir de Woomera). Pour cela est instaurée l’European Launcher Development Organisation (ELDO) dans laquelle chaque pays apporte un élément de la fusée (la France se chargeant du deuxième étage). Entre 1968 et 1971, toutes les tentatives de lancement échouent principalement en raison de l’absence de maître d’œuvre. Cela conduit les Européens à refonder en 1973 l’Europe spatiale avec notamment la création en 1975 de l’European Space Agency (ESA) et l’engagement du programme de lanceur européen Ariane. Pour le réaliser, 11 nations s’associent (Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, France, Irlande Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède, Suisse), avec la maîtrise d’œuvre confiée au CNES et à Aérospatiale (l’architecte industriel).

Six ans plus tard, le 24 décembre 1979, Ariane 1 réussissait sa première satellisation depuis le CSG. L’Europe, en assurant ainsi son indépendance spatiale, entrait dans la cour des grands. La France en était un pilier fondateur.

Philippe VARNOTEAUX*
Article paru dans la Revue Conflits n°52
Publié sur le site Revue Conflits le 07 septembre 2024
https://www.revueconflits.com/comment-la-france-est-devenue-une-puissance-spatiale/

* Philippe VARNOTEAUX est docteur en histoire et spécialiste de l’histoire de la conquête spatiale française, membre de l’Institut français d’histoire de l’espace et chargé de cours à Sciences-Po Reims. Il est l’auteur ou coauteur de plusieurs ouvrages dont le dernier intitulé : Hammaguir, première base spatiale française (Ginkgo éditeur, 2024).

Source photo de couverture : Pixabay




Soft power et coopération : la France face à ses ambitions en Indo-Pacifique

Commentaire AASSDN : Cet article est d’abord une note générale qui rappelle quelques données historiques et géographiques indispensables à connaitre si l’on veut évoquer cette zone qui présente un véritable intérêt stratégique pour la France.

Ce texte fait ressortir la singularité de notre pays par rapport à la place qu’occupent notamment les autres pays européens en Indo-Pacifique. Encore faut-il que nous ayons une politique claire et réaliste, c’est-à-dire une stratégie générale de long terme et que nous mettions des moyens significatifs en cohérence avec les objectifs que nous nous fixons dans cette région.

A cet égard, l’instabilité politique, les problèmes économiques et les troubles qui se déroulent en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte, mais également dans d’autres DROM-COM (Guyane) fragilisent notre crédibilité et réduisent nos capacités d’action. Nos adversaires l’ont bien compris…

La stratégie indo-pacifique française est souvent incomprise et parfois méconnue. Dans cette immense région à l’importance cruciale, la France est fréquemment perçue comme une ancienne puissance coloniale amenée à jouer, au mieux, un rôle secondaire.

Il est vrai que la France a connu une longue présence coloniale dans la région, pendant environ trois siècles, de 1674 à 1954, notamment à Madagascar, à Djibouti, à Mayotte, en Inde, en Indochine et dans le Pacifique Sud. En outre, elle a également eu recours de manière immodérée à la politique de la canonnière face au Siam, au Vietnam, à la Chine et à la Corée. Aujourd’hui, du fait de cette histoire, elle se trouve en conflit avec l’île Maurice pour l’île de Tromelin, avec les Comores pour Mayotte et les îles Glorieuses, et avec Madagascar pour les îles Éparses. Dans l’océan Pacifique, la France est également confrontée à un mouvement indépendantiste en Nouvelle-Calédonie et sa possession de Clipperton a été ouvertement remise en question par le Mexique.

Outre les questions historiques, plusieurs événements survenus plus récemment ont également contribué à cette perception : les essais nucléaires effectués par la France jusqu’en 1995, les scandales liés aux contrats de défense signés avec Taïwan, ainsi qu’avec l’Arabie saoudite et le Pakistan dans les années 1990 et au début des années 2000, et plus près de nous l’annulation par Canberra du contrat de sous-marins au profit de l’accord AUKUS et l’abandon par l’Australie de contrats de défense avec la France (hélicoptères d’attaque Tigre, hélicoptères de transport NH90).

Par ailleurs, l’appareil de sécurité régionale français a été considérablement réduit, passant de 8 500 à 7 000 hommes au cours des dix dernières années. Sans parler des coupes budgétaires post-crise des subprimes (les redoutables LOLF et RGPP) dans la diplomatie française qui ont entraîné une réduction d’effectifs dans un certain nombre d’ambassades. Tous ces facteurs ont clairement eu un impact sur l’image de la France dans la région et ont contribué à une opinion contrastée auprès du public, comme des experts et des autorités politiques et militaires.

En outre, la stratégie indo-pacifique de la France, publiée en 2019, reste floue pour nombre de nos voisins, partenaires et alliés. La France gagnerait certainement à améliorer sa communication autour de ses initiatives et de ses résultats concrets, pour les faire mieux connaître et apprécier. Une meilleure coopération serait également nécessaire entre ses (trop) nombreuses agences, régulièrement en concurrence les unes avec les autres.

Un pays singulier parmi les nations européennes en Indo-Pacifique

La France n’est certes pas le pays le plus puissant opérant dans la zone indo-pacifique, mais elle n’est ni une petite puissance ni une puissance lointaine dans la région, où sa présence a été continuellement maintenue depuis la première moitié du XVIe siècle.

Il est également important de noter que même si la France a été une puissance coloniale, elle a établi son influence par divers moyens, notamment l’échange d’envoyés diplomatiques et l’établissement d’alliances avec les dirigeants locaux, l’implication directe dans divers conflits, la présence des érudits jésuites à la cour de l’empereur Qianlong en Chine, la construction de forteresses de style Vauban au Siam et au Vietnam ou encore la création d’un arsenal naval moderne à Yokosuka, au Japon. Un grand nombre de Français de tous métiers ont également apporté leurs connaissances et leurs compétences aux dirigeants locaux.

Aujourd’hui encore, la présence de la France dans la zone constitue une singularité majeure puisqu’elle est le seul pays de l’UE à être membre du Conseil de Sécurité de l’ONU et à être une puissance résidente à la fois dans l’océan Pacifique et dans l’océan Indien, sur un ensemble de territoires qui représente 25 810 kilomètres carrés pour une population de près de 2 millions de Français, et 93 % de la zone économique exclusive (ZEE) française, la deuxième au monde, juste après celle des États-Unis. Ses principales entreprises y sont très présentes, notamment dans le secteur de la défense, où la France se classe au troisième rang des fournisseurs, avec des coopérations fructueuses en cours avec l’Inde, Singapour, la Malaisie et l’Indonésie (peut-être prochainement aux Philippines) et des succès plus anciens en Australie et à Taïwan.

Pour autant, les observateurs jugent souvent que la France « manque de muscles » en Indo-Pacifique.

Une telle affirmation n’est pas dénuée de fondement. Il est vrai que le nombre de troupes dans la zone a été réduit de 20 % au cours des 10 dernières années et que la présence navale a fortement diminué depuis les années 1990, mais en tout état de cause la France n’a ni l’ambition ni les moyens d’être une puissance militaire majeure dans l’Indo-Pacifique. Ses partenaires et alliés dans la région n’attendent ni ne demandent qu’elle prenne parti dans la rivalité États-Unis/Chine ou s’interpose entre eux. Forte de son héritage historique d’autonomie stratégique et d’indépendance politique, la France souhaite ouvrir une troisième voie, ni pro-États-Unis ni anti-Chine, qui résonne avec la posture stratégique de non-alignement des « Perspectives sur l’Indo-Pacifique » de l’Asean. À ce titre, Paris privilégie une posture de facilitateur, de bon voisinage et de partenaire de confiance qui promeut l’état de droit et démontre son engagement en faveur de la sécurité régionale et de la liberté des mers.

L’architecture de défense française dans la zone comprend deux commandements sous-régionaux – ALINDIEN pour l’océan Indien et ALPACI pour l’océan Pacifique, en complément des forces de souveraineté positionnées à La Réunion, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie – et suit un axe en forme de « S ». Cet axe relie le cœur métropolitain à ses territoires d’outre-mer à travers un réseau d’alliés et de partenaires stratégiques dont les Émirats arabes unis, l’Inde, Singapour, l’Indonésie et l’Australie (mais aussi le Vietnam, la Corée du Sud et le Japon). Avec certains d’entre eux, la France a établi un dialogue stratégique de défense innovant, comme les dialogues stratégiques trilatéraux « France-EAU-Inde » et « France-Inde-Australie ».

Benjamin BLANDIN
Doctorant en relations internationales, Institut catholique de Paris (ICP)
The conversation
https://theconversation.com/que-pese-la-france-en-indo-pacifique-225816
14 avril 2024

Déclaration d’intérêts

Benjamin Blandin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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Repenser la politique française en Afrique : du néo-colonialisme au pragmatisme

Commentaire AASSDN : Une fois de plus, Bernard Lugan explique de façon claire les raisons du rejet de la France par les pays du Sahel. « Les faits sont têtus »
Face à cette situation qui semble être une impasse durable, l’auteur, grand connaisseur de l’ensemble des pays africains, propose un redéploiement de nos efforts et de nos relations vers les pays ayant un littoral et en particulier ceux d’Afrique du Nord, dans la mesure où la Méditerranée est une zone stratégique majeure pour la France notamment pour des raisons économiques et migratoires.
La France doit retrouver sa liberté d’action et concentrer ses efforts au mieux de ses intérêts.
Plus de 60 ans après l’indépendance des anciennes colonies, il est temps pour la France de passer à une politique de partenariat, s’appuyant sur une vision réaliste et abandonner certaines pratiques post-coloniales fondées sur des concepts inadaptés.

Depuis les indépendances, porteuse du mirage du « développement » et du mythe de la « bonne gouvernance », la France laboure l’océan africain. Un double objectif qui, en plus de lui avoir fait engloutir en pure perte des sommes considérables, a fini par dresser contre elle des Africains lassés de son néo-colonialisme « gentil ».

Et si la politique française d’aide à l’Afrique a échoué, c’est parce qu’elle ne s’est pas attaquée aux causes profondes du mal. Les principales crises africaines sont en effet structurelles et elles ont une origine historique, politique et culturelle. Tout au contraire, la France a postulé qu’elles découlaient d’un déficit de démocratie et d’un sous-développement économique. Elles n’avaient donc aucune chance d’être traitées. 

Face au mur de l’échec, la France s’est obstinée dans une politique d’aide dont les résultats sont nuls, l’Afrique engloutissant année après année, des sommes colossales versées au titre de l’APD (Aide pour le Développement). D’ailleurs, comme la croissance économique africaine est inférieure à la croissance démographique, comment prétendre raisonnablement « développer » un continent qui, d’ici à 2030, verra sa population passer de 1,2 milliard à 1,7milliard, avec plus de 50 millions de naissances par an ?

En raison de son échec évident, toute la politique africaine de la France est donc à revoir, mais à la seule lumière du réel : comme la France n’est pas mesure de résoudre les problèmes de l’Afrique, elle doit donc cesser de se croire obligée de le faire.

D’autant plus qu’aucune des productions actuelles ou identifiées en Afrique, n’est vitale pour son économie. Quant aux matières premières africaines, à de très rares exceptions, elles se trouvent en abondance, ailleurs dans le monde dans des régions où ne se posent pas de problèmes sécuritaires, matériels et politiques, et où le racket du « développement » ne s’exerce pas davantage que la rente victimaire. 

La France n’a donc pas d’intérêts économiques prioritaires à défendre en Afrique. Néanmoins, si elle veut tout de même y manifester une présence, sa priorité sera de concentrer ses efforts sur les littoraux. C’est en effet de là que partent toutes les pénétrantes continentales, et où, en retour, aboutissent toutes les productions de l’intérieur. Comme je l’ai déjà dit dans un précédent éditorial, pour le moment,  laissons donc les intérieurs, là où il n’y a que des coups à prendre, à ceux qui, comme les Russes au Mali, commencent à s’y brûler les ailes…

Quant à la question de l’immigration, ce n’est pas avec les chimères du développement qu’elle pourra être traitée. D’autant plus que ce ne sont pas les Africains de la brousse qui émigrent, mais très exactement ceux qui se sont frottés à notre politique de « développement » et qui disposent des moyens de payer les réseaux de passeurs…

Enfin, comme la France n’a aucune prise sur les zones continentales d’où partent ces migrants, elle devra, là encore, s’intéresser à celles de leurs points d’arrivée, à savoir les rives africaines de la Méditerranée. D’où la nécessité de réorienter la politique française vers l’Afrique du Nord afin d’y nouer de forts partenariats, notamment sécuritaires, avec des pays qui sont désormais en première ligne face au phénomène migratoire africain sud-saharien.

Bernard LUGAN
https://bernardlugan.blogspot.com/

L’Afrique Réelle n°177 – Septembre 2024




Le Sahel en guerre : regret et chaos après le départ de l’armée française

Commentaire AASSDN : Il a fallu peu de temps pour que la situation sécuritaire des 3 pays du Sahel se dégrade après le départ des forces françaises.
Une compréhension erronée de la situation politique par nos dirigeants et une opération de désinformation menée contre la France par la Russie – en réponse au soutien apporté par la France à l’Ukraine – ont conduit au départ des 5 000 membres de nos forces armées qui y étaient déployées sur cette zone de près de 3 millions de km2 (plus de 5 fois la France) après y avoir perdu 58 des leurs.

La situation actuelle au Sahel risque de se dégrader encore davantage en raison de l’incapacité de la Russie à combattre efficacement les mouvements d’opposition islamistes ou soutenus par eux, et des nouveaux dirigeants  à trouver une solution aux volontés autonomistes de la zone nord.

La France doit regarder l’Afrique sans préjugé idéologique et repenser sa stratégie générale au Sahel. Cela passe sans doute par une redéfinition de ses priorités en fonction de ses intérêts stratégiques de long terme.

Militairement en perdition, le Mali, le Niger et le Burkina Faso commencent à regretter d’avoir exigé le départ de l’armée française…

Au Mali, au Niger et au Burkina Faso, l’on est désormais loin de l’enthousiasme des manifestations « spontanées » durant lesquelles, dans l’oubli de ce que l’armée française avait fait pour ces pays, le drapeau français était brûlé et le drapeau russe brandi. Certains reconnaissent même, et de plus en plus ouvertement, qu’à l’époque de Barkhane, les GAT (Groupes armés terroristes) ne faisaient pas la loi. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Depuis le départ des forces françaises consécutif aux putschs militaires au Mali (2020 et 2021), au Burkina Faso (deux en 2022) et au Niger (2023), en dépit de l’intervention russe, les attaques et les embuscades contre les forces de sécurité sont désormais quotidiennes. Au Burkina Faso et au Mali, les armées locales étant en perdition, la situation est même hors contrôle.

Au Mali, les paramilitaires russes de l’Africa Corps – anciennement Groupe Wagner -, accueillis hier en libérateurs, n’ont jusqu’à présent fait la preuve que de leur piètre valeur militaire. Ils ont même subi une humiliante et sanglante défaite les 25-27 juillet 2024 à Tinzaouaten, près de la frontière algérienne où, face aux Touareg, ils ont en effet laissé sur le terrain au moins 50 morts, deux prisonniers, ainsi que tout leur équipement (véhicules, armes, moyens de transmission etc.). Quant à l’armée malienne, les FAMA, ses pertes se comptèrent en plusieurs dizaines de morts. De plus, les mercenaires russes qui ne sont donc pas, pour le moment du moins, le joker de la junte malienne, sont régulièrement accusés de massacrer les populations, comme à Moura,  au mois de mars 2022, où 500 civils furent tués.

Le plus inquiétant pour « l’Alliance des États du Sahel » regroupant les juntes militaires du Mali, du Niger et du Burkina Faso, est que l’armée malienne et ses encadreurs russes se voient peu à peu quasiment encerclés dans Bamako. Se profile en effet le scénario catastrophe d’une conquête de la capitale par le chef touareg ifora Iyad Ag Ghali. L’homme avec lequel, et comme je n’ai cessé de le dire depuis 2013, il était nécessaire de discuter puisque, et qu’on le veuille ou non, il est à la fois la cause et la solution du problème du nord du Mali. La question de la région des « Trois frontières » est différente car ce ne sont pas les Touareg qui y sont à la manœuvre, mais les Peul. Toujours cette question ethnique engerbant toutes les autres, mais que les décideurs français ont obstinément refusé de prendre en compte car, selon les « africanistes » du CNRS et de Science Po qui les ont « formatés », les ethnies africaines sont des fantasmes « coloniaux » !!!

Le Mali va-t-il donc sombrer ? Les évènements récents pourraient le laisser penser. En effet, le 17 septembre 2024, la capitale Bamako a subi une double attaque coordonnée qui a permis au Gsim (Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans), une coalition dirigée par Iyad Ag Ghali, de prendre d’assaut deux sites éloignés l’un de l’autre d’une dizaine de kilomètres, à savoir l’école de gendarmerie et l’aéroport. Si aucun bilan officiel n’a été donné par les autorités maliennes, le nombre des victimes dépasse probablement la centaine. Plusieurs mercenaires russes ont également perdu la vie, eux dont la mission primordiale était pourtant de sécuriser Bamako et son aéroport…

En réalité, le Gsim et ses alliés sont en train d’encercler peu à peu la capitale malienne, dans un double mouvement d’étranglement. Au nord, ils étendent leur tache d’huile en repoussant peu-à-peu les FAMA, détruisant systématiquement leurs positions militaires et effaçant ainsi la très fragile « légitimité » de la junte au pouvoir. Quant à l’assaut sur Bamako, il pourrait se faire à partir de la Guinée, l’armée malienne ayant récemment perdu plusieurs positions stratégiques sur la route y menant après avoir retraité en panique, abandonnant tout son armement aux assaillants.

Bernard LUGAN
Afrique réelle
https://bernardlugan.blogspot.com/




De Vichy à Genève : Les réseaux secrets du colonel Georges Groussard, alias Eric

Colonel Georges Groussard, alias Gilbert et Eric, fut un maître du renseignement pendant la Seconde Guerre mondiale, dirigeant les “Réseaux Gilbert” et collaborant étroitement avec l’Intelligence Service britannique. Malgré les obstacles, il organisa une résistance efficace contre les Allemands depuis la Suisse et joua un rôle clé dans l’arrestation de Laval.

Photo :

Hommage au colonel
Georges Groussard,
le 25 Mai 2024

Avec
Dominique Fonvielle
et Alain Juillet

En 1942, le colonel Groussard était réputé être l’homme le mieux renseigné de France. Ses « Réseaux Gilbert », qu’il anime depuis la Suisse, couvrent pratiquement la France entière et une partie de l’Italie. La qualité des renseignements fournis à l’Intelligence Service lui vaudra d’être nommé Officier dans l’Ordre du British Empire, (OBE), distinction que les Britanniques ne distribuent qu’au compte-goutte.

En 1938, Commandant en second, puis Commandant l’École Spéciale Militaire en août 1939, il assure jusqu’au bout la formation de ses élèves qui prendront comme nom de promotion, en mars 1940, le nom d’Amitié Franco-Britannique, avant de rejoindre le front. Lui-même est nommé chef d’État-Major du 12ème Corps d’Armée, puis rejoint Paris avec le général Dentz nommé Gouverneur de Paris, comme Chef d’État-Major. Il a la pénible tâche de livrer Paris aux Allemands.

L’officier héroïque de la Première guerre mondiale ne peut admettre l’armistice, tout en conservant un grand respect à la personne du Maréchal. Ce Vendéen, descendant de grands-parents dreyfusards, époux de Véra Berstein, avec laquelle il s’est initié au renseignement en Bulgarie dès 1928, lorsqu’ elle avait voulu retourner sur la terre de son enfance, ne pouvait rester inactif.

Alors qu’il est sur le point de passer général, il demande à être mis en congé d’Armistice. Avec l’appui du ministre de l’Intérieur Peyrouton et du ministre de la Guerre, le général Huntziger, il est nommé Inspecteur général des Services de la Sûreté Nationale. Sous cette « couverture », il va entreprendre de créer, depuis Vichy, le CIE (Centre d’Information et d’Études) et les Groupes de Protection, une organisation secrète de cadres sous-officiers et officiers capable de reprendre la guerre, officiellement chargée de la protection du régime. Il s’inspire ainsi de l’exemple allemand du général von Seeckt après le traité de Versailles (1919, 22, 29), en camouflant des activités interdites sous des organismes officiellement reconnus.

Mais Vichy n’est pas Weimar, et le projet se heurtera à « l’hypothèque Vichy »[1] et à la politique de collaboration.

Avec l’accord de Huntziger et l’aide de Pierre Fourcaud[2], il effectue en juin 1941 un voyage clandestin à Londres où il rencontre personnellement Winston Churchill, Premier ministre, Anthony Eden, ministre des Affaires étrangères et John Winant, ambassadeur des Etats-Unis, ainsi que les chefs du MI6 avec lesquels il est vraisemblablement en relation depuis 1940. Malgré sa demande, il ne peut rencontrer le général De Gaulle alors en tournée au Moyen-Orient, et se heurte à l’hostilité des gaullistes[3] qu’il rencontre pourtant longuement, malgré les réticences des Britanniques.

Le colonel Groussard et ses Groupes de protection participent à l’arrestation de Laval en décembre 1941, mais lui-même est arrêté sur ordre de Darlan et interné à plusieurs reprises. Son projet s’effondre, les Groupes de Protection et le CIE sont dissous sur ordre des Allemands. Qu’importe, il change son fusil d’épaule et, sachant que la Grande-Bretagne, seule encore dans la lutte contre les Allemands, a avant tout besoin de renseignement opérationnel, avec l’aide de ses amis et relations, il donne la priorité aux réseaux Gilbert qui vont rapidement se déployer et se montrer particulièrement efficaces.

Ses partisans se nomment Virret, Kapp, Bruno, le Préfet Jacques Juillet (en 1942 à la direction du personnel de l’Administration Préfectorale à Vichy)[4]. Sa fille Françoise, alors âgée de 12 ans lui servira, lors de ses périodes de détention, d’agent de liaison.

Il est par ailleurs en contact étroit avec les réseaux clandestins des SR et CE montés depuis le « Serment de Bon Encontre », avec Paillole, Rivet, les colonels Ronin et Baril, ainsi que les groupes formés par le général Heurteaux (en zone occupée) et le commandant Loustaunau-Lacau (Alliance).

En novembre 1942, à nouveau prisonnier de Vichy et risquant de se voir livré aux Allemands, il fausse compagnie à ses geôliers, et rejoint Genève où il bénéficie de l’appui des services suisses de renseignement et de l’IS. Depuis ce « sanctuaire », il développe les réseaux qu’il a mis en place dès l’été 1940 et qu’il avait continué d’animer depuis ses lieux de détention successifs.

Ses chefs de réseaux sont les frères Ponchardier, Devigny (Vallée du Rhône, Toulon), De Pace (Italie), Heurteaux (Zone occupée), Dingler (Alsace-Lorraine), Bruno (Espagne), … avec un effectif global d’environ 700 personnes et un taux de pertes très bas, du fait de son exigence absolue en matière de sécurité.

Le colonel Groussard n’est pas gaulliste, bien qu’il connaisse très bien le général De Gaulle depuis le SGDN où ils servaient ensemble en 1934-35. Passy et Dejean ne l’aiment pas et le sous-estiment largement. Pourtant, il mettra à la disposition des MUR ses moyens et les points de passage entre la France et la Suisse qu’il contrôle totalement. Bénouville profitera à de nombreuses reprises de son aide et de son appui.

Après la guerre, le colonel Groussard, profondément choqué par les conditions de l’épuration dans l’armée, refuse les étoiles offertes par le général De Gaulle. Il se consacre à la rédaction de ses mémoires (« Chemins secrets », en 1948, « Services secrets » en 1964) et à d’autres ouvrages. Il rompt définitivement les ponts avec De Gaulle au moment de la crise algérienne, et se retire dans le sud de la France avec sa compagne de la guerre, Suzanne Kohn[5], qu’il épousera après le décès de sa première épouse.

En septembre 1944, ses compagnons, réunis à Annemasse lui dédicacent un témoignage de fidélité et d’amitié qui, pieusement conservé, a été remis par sa fille Françoise au colonel Fonvielle pour être déposé dans un lieu de mémoire. Ce vœu a été exaucé en mai 2024, à l’occasion du Congrès de l’AASSDN.

Aucun autre lieu ne pouvait mieux convenir que le Musée de l’Officier de l’académie Militaire de St Cyr pour abriter le souvenir d’un grand soldat, d’un grand résistant, et d’un ancien commandant de l’École de Saint Cyr.

Par le colonel (h) Dominique Fonvielle


[1] Peschanski, D ;  Dauzou, L. « La Résistance française face à l’hypothèque Vichy », Centre d’Histoire Sociale du XXème siècle, CNRS Université, Panthéon-Sorbonne Paris I.

[2] L’un des premiers « missionnaires » des FFL de De Gaulle en France.

[3] Capitaine Dewavrin, dit Passy, qui avait été professeur de fortifications à St Cyr sous son commandement, et Dejean, Directeur des affaires Politiques de De Gaulle, d’emblée totalement opposé au projet de Groussard.

[4] Groussard, Georges, « Chemins secrets », Bader-Dufour, 1948

[5] Suzanne Kohn, célèbre aviatrice, a réalisé le raid Paris Madagascar avant la guerre ; sa sœur Antoinette Sachs, muse de Paul Géraldy, était une très proche amie de Jean Moulin.




Retour sur la bataille tragique de Diên Biên Phu (1954)

Soixante-dix ans après la chute de Dien Bien Phu, on ne peut qu’être agacé, pour ne pas dire plus, par les poncifs que ressort la presse à chaque occasion d’évoquer cette bataille. Même s’il n’est pas question de transformer ce qui fut une sanglante bataille d’usure en glorieuse victoire, il serait bon de rappeler quelques faits généralement passés sous silence.

La stratégie américaine et ses répercussions en Indochine

D’abord, la guerre d’Indochine fut, à partir de 1950, largement financée par les États-Unis qui équipèrent de matériel américain le corps expéditionnaire français d’Extrême Orient (CEFEO) et les armées associées, ce qui permit à de Lattre de redresser la situation face à un corps de bataille Vietminh fraîchement équipé par la Chine communiste, qui échoua à s’emparer du delta du Tonkin. Depuis qu’ils étaient impliqués dans la guerre de Corée sous la bannière de l’ONU en 1950, les Américains avaient compris que la lutte contre le communisme impliquait également le conflit indochinois qui n’était pas seulement une guerre de décolonisation. Mais Eisenhower, élu président en janvier 1953, avait décidé de « ramener les boys à la maison » et parvint à mettre un terme à la guerre de Corée par un armistice qui allait consacrer la division de la péninsule en deux pays à partir de juillet 1953, en dépit de la résolution votée à l’ONU de réunification des deux Corées. La suite logique de cette décision était de se dégager également du conflit indochinois par la partition de l’Indochine, ce qui allait advenir à l’été 1954 suivant lors des négociations de Genève.

Le commandement français face à la complexité du conflit

Dans ce contexte, concernant la France, il n’existait pas de coordination réelle entre le pouvoir politique et le commandement militaire assuré depuis mai 1953 par le général Navarre. Ce dernier était-il un mauvais choix ? Il avait accepté ce poste dont personne ne voulait et qu’il savait risqué. Il était intelligent et capable, mais c’était un inconnu du grand public. Alphonse Juin, maréchal depuis 1952, avait refusé ce poste, alors qu’avec la renommée qu’il s’était acquise depuis la campagne d’Italie, il aurait disposé, pour obtenir des renforcements, de moyens de pression sur les politiques bien supérieurs à ceux de Navarre. Ce dernier avait présenté un plan d’action sur deux ans accepté par l’état-major et les décideurs politiques qui, de leur côté, n’avaient pas fait preuve de leurs intentions précises, s’ils en avaient. Ils lui refusèrent par la suite les renforts terrestres et aériens qu’il demandait pour permettre la mise en œuvre de son plan.

L’impact de l’aide chinoise au Vietminh

Pourtant, initialement, Navarre réussit plutôt bien ses premières opérations, mais à partir de juillet 1953 il devenait difficile, pour lui comme pour ceux qui connaissaient mieux le théâtre, d’évaluer dans quelle mesure la Chine communiste, désormais libérée du conflit coréen, allait accroître son aide au Vietminh. Cette aide, qui se manifesta en artillerie sol-sol et sol-air, en milliers de tonnes d’obus et de munitions, en centaines de camions pour la logistique, et en de nombreux conseillers techniques chinois, allait modifier considérablement les données du problème. De plus, le gouvernement français, qui reconnaissait des gouvernements vietnamien, cambodgien et laotien dans le cadre de l’Union française, avait proposé à ces pays des accords de défense que seul le Laos avait signés. Or, à l’automne 1953, ce pays était directement menacé par l’avancée du corps de bataille Vietminh. Navarre considéra qu’il fallait appliquer ces accords qui engageaient la crédibilité de la France et mit en œuvre un plan déjà envisagé l’année précédente par son prédécesseur, Raoul Salan : gêner l’avance du Vietminh et protéger de l’invasion le nord du Laos en créant une base aéroterrestre à Dien Bien Phu, ce qui fut fait en novembre 1953.

Dien Bien Phu : une base aéroterrestre controversée

Sans entrer dans les détails de la bataille, rappelons ce que représenta en effectifs le Groupement Opérationnel du Nord-Ouest (GONO), la garnison de Dien Bien Phu : 10 800 hommes, renforcés par 4 200 hommes parachutés au cours de la bataille, soit 15 000 au total. Ce chiffre est à comparer aux 245 000 hommes du Corps expéditionnaire français (CEFEO) et de ses supplétifs, et aux 225 000 hommes des armées associées, soit 470 000 hommes déployés en Indochine. À Dien Bien Phu, le GONO ne représentait que 5 % de l’effectif total, et sa destruction, même si c’était une perte douloureuse, ne pouvait pas être considérée sur un plan purement militaire comme une défaite décisive, d’autant que pour parvenir à ce résultat, Giap avait mobilisé et usé pendant six mois l’essentiel du corps de bataille Vietminh. En l’absence de chiffres exacts concernant ce dernier, on peut estimer ses pertes à plus de 30 000 tués et blessés non récupérables, au point que l’ultime offensive fut menée par une majorité de jeunes soldats sans expérience venus combler les pertes. Au 7 mai 1954, le corps de bataille Vietminh, vainqueur, était trop affaibli pour mener une offensive contre le delta du Tonkin où se trouvait l’essentiel du CEFEO, et il n’essaya d’ailleurs pas. Militairement, c’était une victoire à la Pyrrhus, trop coûteuse par rapport aux résultats obtenus.

Une victoire à la Pyrrhus pour le Vietminh

Mais, en mettant hors de combat, quel qu’en soit le prix, les 15 000 hommes de Dien Bien Phu, Ho Chi Minh avait visé surtout une victoire médiatique au moment où commençaient les négociations à Genève. Et il obtint cette victoire en France métropolitaine où l’on était fatigué du conflit et où un parti communiste important souhaitait la défaite de l’armée française. Cette victoire médiatique se transforma en victoire politique avec les accords signés à Genève qui débouchaient en août sur la partition de l’Indochine dans des conditions qu’Ho Chi Minh n’avait pas espéré aussi satisfaisantes pour le Vietminh.

La contribution et le sacrifice des Indochinois anti-communistes

Soixante-dix ans plus tard, c’est le récit médiatique du Vietminh qui prévaut toujours : on continue d’admirer la détermination d’un Ho Chi Minh et la stratégie d’un Giap, et d’imaginer un peuple uni derrière lui pour obtenir à tout prix son indépendance. Mais quelle indépendance ? On oublie qu’il s’agissait d’une dictature impitoyable contre laquelle ont lutté de nombreux Vietnamiens. En effet, les 225 000 hommes des armées associées au CEFEO étaient bien des Indochinois, auxquels il faut ajouter, au sein du CEFEO lui-même, près de 110 000 hommes, engagés et supplétifs, car les unités françaises lors de leurs séjours de deux ans comblaient leurs pertes sur place en se « jaunissant », sans oublier les 30 000 Nord-Africains, les 18 000 Africains et les 20 000 légionnaires, pour 55 000 Français de souche fournissant l’essentiel de l’encadrement. À Dien Bien Phu, dont la garnison reflétait bien l’essentiel de l’Union française, des unités aussi célèbres que les bataillons paras du 1er BEP et du 2/1 RCP étaient composées à 50 % de Vietnamiens. Le 6ème BPC, le « bataillon Bigeard », en comprenait 30 %, sans parler du 5ème BPVN, intégralement vietnamien. On doit également rappeler que sur les 1 520 volontaires individuels qui renforcèrent la garnison pendant la bataille et dont 620 n’avaient jamais sauté en parachute, plus de 800 étaient des Vietnamiens. En définitive, Dien Bien Phu fut largement une bataille entre Vietnamiens.

L’oubli des prisonniers et des victimes vietnamiennes du conflit

Sur les quelque 10 800 prisonniers dirigés vers les camps Vietminh, il n’en a été libéré après les accords de Genève que 3 299. Sur les 39 888 prisonniers identifiés de la guerre d’Indochine, il n’en a été libéré que 9 934 au total. Où sont passés les autres ? Cette question n’a jamais hanté les grandes consciences de la gauche française, ni même les dirigeants de notre pays, désormais très soucieux de s’excuser d’avoir été des « colonisateurs ». Beaucoup sont morts d’épuisement, de maladie et de faim sans que

, soixante-dix ans plus tard, cela déclenche beaucoup de commentaires, alors qu’il serait assez normal de demander des comptes sur le traitement inhumain de ces prisonniers. Mais beaucoup n’ont tout simplement pas été rendus parce qu’ils étaient Vietnamiens.

Le Sud-Vietnam : continuité de la lutte contre le communisme

Le silence s’est fait sur ces Vietnamiens qui refusaient un avenir communiste pour leur pays. Ils constituèrent, avec les centaines de milliers de catholiques qui quittèrent le Tonkin pour le sud après juillet 1954, l’ossature de l’armée et de l’administration du Sud-Vietnam qui allait connaître dès le début des années 60 une nouvelle guerre provoquée par les infiltrations venues du nord du Vietminh rebaptisé « Vietcong ». En France, il fut de bon ton de critiquer l’aide américaine au Sud-Vietnam qui s’accrut massivement de 1965 à 1968, et de considérer comme « corrompus » les responsables de ces Sud-Vietnamiens qui ne voulaient pas devenir communistes. Ils tinrent pourtant jusqu’en 1975, après la fin de l’aide américaine qui avait cessé au sol dès 1972 et cessa complètement en 1974 à la suite de l’affaire du « Watergate » aux États-Unis, alors qu’au même moment l’URSS aidait massivement le Nord Vietnam dans son ultime offensive de 1975. Les Occidentaux ne recommencèrent à s’inquiéter pour les Sud-Vietnamiens que lorsque des dizaines de milliers de « boat people » tentèrent par tous les moyens d’échapper à l’enfer communiste, et lorsqu’on assista au Cambodge à la monstrueuse tragédie orchestrée par les communistes Khmers rouges.

Réévaluation du rôle de l’armée française et de ses alliés indigènes

Il est compréhensible que 70 ans après la fin des combats les responsables politiques français tentent un rapprochement avec les dirigeants vietnamiens, diplomatie oblige. Mais il serait bon qu’ils n’en fassent pas trop et maintiennent quelque distance avec ce qui demeure une dictature communiste à parti unique, où l’on est tenu de vénérer le cadavre de l’homme-dieu Ho Chi Minh, et où la persécution des religions, et en particulier des catholiques, continue, tout cela alors même que nos dirigeants politiques se gargarisent de démocratie et de lutte contre les dictatures.

L’héritage de Marcel Bigeard et la reconnaissance de son sacrifice

Un dernier point concerne Marcel Bigeard, que les uns et les autres aiment bien évoquer. Bigeard, caporal appelé en 1936 avec pour tout bagage un certificat d’études, mobilisé en 1939, sergent puis adjudant des corps francs en 1940, prisonnier puis évadé, rejoignant l’Afrique du Nord pour être parachuté en France en 1944 comme responsable d’un maquis, puis effectuant trois séjours en Indochine où il se forgea une légende, âme de la défense et organisateur des contre-attaques à Dien Bien Phu, commandant de régiment en Algérie avant d’accéder aux étoiles puis d’être secrétaire d’État à la Défense, demeure pour les Français un symbole. À travers les désastres et les épreuves, ce Français d’origine modeste n’a jamais douté de son pays et a toujours continué à le servir avec talent et sans faiblir. Il voulait que ses cendres soient dispersées sur le champ de bataille de Dien Bien Phu, ce que l’obtus gouvernement vietnamien a refusé. Au vu de ce qu’il représente dans l’histoire militaire de notre pays, la place de ses cendres est aux Invalides. On ne désespère pas que des responsables politiques courageux prennent enfin cette décision qui serait un beau point final pour ces commémorations et un bel hommage rendu aux centurions que la France sacrifia sur l’autel de la décolonisation.

Les relations franco-vietnamiennes à l’épreuve de l’histoire

Il est compréhensible que 70 ans après la fin des combats les responsables politiques français tentent un rapprochement avec les dirigeants vietnamiens, diplomatie oblige. Mais il serait bon qu’ils n’en fassent pas trop et maintiennent quelque distance avec ce qui demeure une dictature communiste à parti unique, où l’on est tenu de vénérer le cadavre de l’homme-dieu Ho Chi Minh, et où la persécution des religions, et en particulier des catholiques, continue, tout cela alors même que nos dirigeants politiques se gargarisent de démocratie et de lutte contre les dictatures.

Un appel à une mémoire équilibrée et honnête du conflit indochinois

Un dernier point concerne Marcel Bigeard, que les uns et les autres aiment bien évoquer. Bigeard, caporal appelé en 1936 avec pour tout bagage un certificat d’études, mobilisé en 1939, sergent puis adjudant des corps francs en 1940, prisonnier puis évadé, rejoignant l’Afrique du Nord pour être parachuté en France en 1944 comme responsable d’un maquis, puis effectuant trois séjours en Indochine où il se forgea une légende, âme de la défense et organisateur des contre-attaques à Dien Bien Phu, commandant de régiment en Algérie avant d’accéder aux étoiles puis d’être secrétaire d’État à la Défense, demeure pour les Français un symbole. À travers les désastres et les épreuves, ce Français d’origine modeste n’a jamais douté de son pays et a toujours continué à le servir avec talent et sans faiblir. Il voulait que ses cendres soient dispersées sur le champ de bataille de Dien Bien Phu, ce que l’obtus gouvernement vietnamien a refusé. Au vu de ce qu’il représente dans l’histoire militaire de notre pays, la place de ses cendres est aux Invalides. On ne désespère pas que des responsables politiques courageux prennent enfin cette décision qui serait un beau point final pour ces commémorations et un bel hommage rendu aux centurions que la France sacrifia sur l’autel de la décolonisation.

Le capitaine Marcel Bigeard, nommé lieutenant-colonel lors des combats à Diên Biên Phu avant d’être fait prisonnier

Membres du Bataillon français : Environ 4.000 soldats français et près de 10.000 combattants du viêtminh ont perdu la vie à Diên Biên Phu




Nouvelle-Calédonie : Quand les ingérences étrangères attisent les flammes du conflit

L’article traite des violences survenues en Nouvelle-Calédonie, attisées par l’opposition à la loi sur le dégel du corps électoral et l’ingérence de puissances étrangères, notamment l’Azerbaïdjan et la Chine. Tandis que des groupes indépendantistes radicaux et des voyous canaques se sont rebellés, les accords avec Bakou visaient à affaiblir la France pour son soutien à l’Arménie. La Chine, quant à elle, poursuit discrètement ses intérêts stratégiques dans la région pour contrer l’influence américano-australienne dans le Pacifique.

Commentaire AASSDN : A travers la Nouvelle Calédonie, c’est la France qui est visée et les troubles qui s’y déroulent contribuent à affaiblir la puissance, la crédibilité et l’influence de la France dans le monde. Les DROM-COM constituent un atout stratégique majeur pour notre pays qui est ainsi présent sur tous les océans avec plus de 11 M km2 de zone économique exclusive (ZEE de 200 nautiques autour des côtes). En outre des installations militaires essentielles sont implantées sur les 120 000 km2 de territoire qu’ils représentent : bases navales, aériennes centre spatial et stations d’écoute et de surveillance. Les ingérences étrangères menacent donc directement notre intégrité territoriale et constituent une atteinte directe et grave à nos intérêts stratégiques. Elles exigent une réponse sans ambiguïté.

Les événements en Nouvelle-Calédonie étaient prévisibles. L’opposition à la loi sur le dégel du corps électoral s’était radicalisée, depuis des mois, dans une partie de la communauté canaque. Mal anticipée, l’émeute a bloqué le territoire à partir du 13 mai, jusqu’à l’arrivée des premiers renforts, le 18 mai. Malgré l’état d’urgence décrété le 16, la Nouvelle-Calédonie aura subi la violence la plus extrême pendant plusieurs jours (huit morts et près de 1 milliard d’euros de dégâts).  

Enkystés au sein de la communauté canaque, des indépendantistes radicaux et des groupes de voyous ont tenu tête à l’État, aidés en sous-main par des ingérences étrangères. Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, le précisait le 16 mai, sur France 2, en ciblant précisément l’Azerbaïdjan : « Ce n’est pas un fantasme, c’est une réalité… une partie des indépendantistes calédoniens ont fait un deal avec ce pays. » Ce deal évoqué concerne des accords de coopération signés, en avril, entre le régime azerbaïdjanais et des responsables indépendantistes. 

Ces ingérences étrangères n’expliquent pas la montée aux extrêmes, tant les contentieux locaux sont nombreux, mais elles y ont contribué.

Ce n’est pas une nouveauté dans l’histoire de la Nouvelle-Calédonie. Voici quarante ans, l’Australie et la Nouvelle-Zélande soutenaient déjà le camp indépendantiste, pour chasser la France du Pacifique Sud. Cette fois, c’est l’Azerbaïdjan, situé à près de 14 000 km de Nouméa, sans aucun lien historique ou géopolitique avec la région. Le régime de Bakou agit par pur opportunisme, avec un but : tenter d’affaiblir la France pour la punir de son soutien à l’Arménie. Ses attaques informationnelles ont été repérées en 2022 par l’agence étatique française Viginum, chargée de surveiller internet. Elles ont commencé quand la France a dénoncé l’agression de l’Azerbaïdjan contre l’Arménie. Elles ont redoublé d’intensité à l’automne 2023, après l’annonce d’une aide militaire française à l’État arménien.

Les relais d’influence de Bakou s’efforcent de coordonner l’action antifrançaise des « peuples opprimés par la France », qu’ils soient canaques, polynésiens, guyanais, martiniquais ou… corses. Aux petits soins pour des élus indépendantistes ou gauchistes complaisants ou naïfs, ils cherchent à amplifier le sentiment antifrançais à travers un généreux « programme de solidarité anticoloniale », financé par les ventes de gaz et de pétrole… à l’Union européenne.   

Dans ce jeu d’ingérences, l’Azerbaïdjan n’est pas le seul acteur. La Chine agit « derrière le rideau », plus discrètement, dans le cadre d’une stratégie de puissance de long terme.

Elle s’intéresse à la Nouvelle-Calédonie pour consolider ses intérêts économiques et géopolitiques dans le Pacifique Sud et se préparer à l’inévitable confrontation à venir avec les États-Unis. 

Pékin cherche à nouer toutes sortes de partenariats avec les États qui le souhaitent, des plus grands (Indonésie) aux plus petits, comme Nauru, le Vanuatu ou les îles Salomon. De nombreux pays sont devenus des éléments plus ou moins complaisants de l’immense « collier de perles » que les Chinois déploient, du Sri Lanka à la Papouasie. En renforçant ainsi leur présence, les Chinois entrent en concurrence directe avec les Américains et leurs grands alliés occidentaux de l’hémisphère sud, les Australiens et les Néo-Zélandais. 

La Chine bute sur la Nouvelle-Calédonie française. Pékin voit cet archipel comme une source potentielle de richesses, comportant environ des millions de km2 de zones de pêche (NDLR dont près de 1,5 Mkm2 de ZEE) et des gisements de nickel (l’île est le troisième producteur mondial, après l’Indonésie et les Philippines). Le « caillou » est aussi un important point d’appui stratégique dans le Pacifique Sud, le « porte-avions de la France », comme il le fut pour l’armée américaine durant la Seconde Guerre mondiale. Le port et l’aéroport de Nouméa intéressent la marine et l’aviation militaires chinoises, appelées à rayonner de plus en plus loin de leurs bases. 

En ajoutant le « caillou » calédonien à sa collection de « perles », les Chinois feraient un gain stratégique majeur.

Ils se retrouveraient au contact direct du vaste dispositif américano-australien qui verrouille quelques-unes des grandes routes maritimes mondiales, reliant notamment l’Amérique à ses deux grands alliés dans le Pacifique Nord, face à la Chine : le Japon et Taïwan.

Frédéric PONS
Chronique paru dans la Revue Conflits n°52
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La Russie de Poutine et l’après-Poutine

Vidéo d’une interview (de 35 minutes) d’Helena PERROUD, spécialiste française de la Russie (ancienne conseillère de J Chirac), par Alain Juillet. Elle nous permet de mieux comprendre le parcours de Poutine, sa perception des relations avec l’Occident et nous livre en fin d’interview la façon dont se prépare la succession du dirigeant russe.

A lire le livre d’Helena Perroud :  “Un russe nommé Poutine”  ainsi que “Le grand échiquier” écrit par Zbigniew Brzeziński, le conseiller stratégique de nombreux présidents US



 




Contre-espionnage en Chine : une mobilisation nationale appuyée par la culture populaire

La Chine met en place une stratégie visant à sensibiliser sa population aux menaces d’espionnage étranger et à l’impliquer dans la protection de la sécurité nationale. En utilisant des films, séries, bandes dessinées et plateformes numériques, les autorités encouragent les citoyens à signaler tout comportement suspect, en particulier auprès des jeunes générations, afin de renforcer la vigilance collective face à une confrontation croissante avec l’Occident.

Avis AASSDN : Le régime politique de la Chine est un système totalitaire qui n’est en rien comparable au nôtre ou à ceux des pays européens Les autorités chinoises visent sans doute à travers ces actions de communication à se prémunir non seulement contre l’action des espions étrangers mais également contre le comportement d’opposants.

Si les Français vivent aujourd’hui dans un régime de grande liberté, ils ne doivent pas pour autant négliger et se désinteresser des actions d’espionnage de pays étrangers qui visent à rechercher et collecter des renseignements dans dans les domaines stratégiques – économique et militaires. Ils doivent aussi se mobiliser pour contrer les opérations de déstabilisation, de désinformation, de fragilisation et de mise en tension de notre société.

La Liberté individuelle est le resultat d’un combat collectif victorieux contre un ennemi qui vous agresse même de manière peu visible. Elle se protège donc et se gagne par une action  menée dans la durée par l’ensemble de la Nation.
Chaque Français doit donc être sensibilisé aux nombreuses menaces qui pèsent sur sa souveraineté.
Gagner ce combat aux multiples facettes par l’engagement de tous les Français chacun dans son domaine est la manière la plus efficace de préserver notre souveraineté. Il y va de la survie de la France.