Ingerence ou Mediation ?

Un article du Bulletin 226 Avril 2012 de Xavier Guilhou CEO de XAG conseil (cabinet specialise en prevention des risques) sur le devoir de proteger et la gestion des risques.




L’Evolution des services de renseignement francais selon le General Pichot-Duclos (1993)

La recherche de « Cette Sacrée Vérité » ne saurait exclure l’actualité et encore moins l’avenir. Ce titre se propose donc d’accueillir et de réunir les contributions traitant de nos préoccupations.Après la description de l’organisation et des moyens de notre renseignement, je voudrais maintenant dans une dernière partie, vous exposer les tendances qui se dessinent et les problèmes qui restent à résoudre.

Tendances et problèmes actuels

La nécessaire réforme du Renseignement s’inscrit dans le bouleversement des données stratégiques de ces dernières années.

Avec la fin du Pacte de Varsovie qui mobilisait toutes nos forces nous devions revoir tout notre système de défense puisque l’adversaire est désormais partout et nulle part et la menace multiforme. Il faut donc repenser le dispositif et redéployer les moyens dans un contexte d’intervention tous azimuts et de technologie galopante sans oublier que l’homme reste la donnée essentielle du combat. Exemples de cette apparente contradiction :

A deux ans d’intervalle, la guerre du Golfe a montré ce que pourrait être la guerre de l’espace (puisqu’un Patriote interceptait un Scud sur signal donné par un satellite alerté par le dégagement thermique du départ du coup), ceci tandis que la guerre des Balkans nous démontre chaque jour qu’un SNIPER peut paralyser l’O.N.U. Et puis, avons-nous déjà oublié que personne — sauf le Colonel Garder dont je salue ici la mémoire et la perspicacité prémonitoire — n’avait prévu l’effondrement proche de l’Empire Soviétique, ni percé les intentions réelles de Saddam Hussein?

Le Renseignement de demain dépend donc à la fois des ressources financières qui lui donneront les moyens techniques indispensables et de la qualité des hommes qui les serviront : il s’agit ici de l’homme de bon sens et de l’homme-ingénieur unis pour utiliser intelligemment les fantastiques possibilités de la technique. Telle est donc la première tendance lourde de l’époque.

La seconde tendance concerne la maîtrise de l’information elle-même dont l’abondance provoque la submersion des mémoires et la manipulation provoque la subversion des systèmes de référence. Ce n’est pas par hasard que les Britanniques, comme avant eux les Chinois, ont toujours associé la fonction « influence » à la fonction « Intelligence » « Renseignement ». Aujourd’hui, ce n’est plus seulement nécessaire, c’est indispensable à toute puissance qui veut survivre et pour ce faire doit maîtriser l’information, source du Renseignement.

Quant aux problèmes qui demeurent, ils sont chez nous d’ordre essentiellement culturel :

— Nous nous disons cartésiens mais quel décideur civil ou miliaire accepte de subordonner ses intuitions — nécessairement géniales — aux humbles exercices de l’esprit que sont l’analyse minutieuse, la comparaison difficile, les choix déchirants et la synthèse pragmatique?

Pour balayer devant notre porte, quel chef accepte de faire sienne la vieille formule du Général Bradley, génial organisateur du débarquement et qui disait « Mon deuxième bureau me dit ce que je dois faire, mon quatrième bureau me dit ce que je peux faire et moi je dis à mon troisième bureau ce que je veux faire. » Nous sommes cartésiens, soit, soyons aussi bradlésiens.

— Nous sommes aussi un peuple bavard mais nous ignorons trop souvent les langues étrangères. Un effort serait bienvenu, en particulier en arabe et en turc.

— Nous sommes un peuple de soldats, mais nous négligeons de méditer nos échecs et préférons célébrer de glorieuses défaites plutôt que de réfléchir à leurs causes et nous dire « plus jamais cela » en en conservant les enseignements.

Nous pourrions donc imaginer une fonction nouvelle qui serait celle de l’historien de la structure ou de l’Etat-major, que son rang comme sa compétence affranchirait des pesanteurs de la hiérarchie afin qu’il puisse dire : Cette solution ou cette absence de décision a déjà entraîné tel désastre…

Mais je rêve peut-être devant vous.

— Nous sommes un peuple prompt à la division : le Renseignement a besoin d’unité et de coordination. Ce problème n’est actuellement pas réglé dans le contexte politique.

— Il faudrait enfin que les décideurs, surtout les politiques, comprennent que la fonction du Renseignement est noble et que ses serviteurs ne sont les ennemis de personne, qu’ils sont seulement les humbles amis de la Vérité et qu’il faut leur donner les moyens de la faire jaillir.

C’est à ce prix qu’à la prochaine guerre du Golfe ou d’ailleurs, nous ne dépendrons plus du Renseignement des autres, fussent-ils nos alliés.




Intervention du Général Pichot-Duclos sur l’Intelligence economique (1993)

La forme et l’interprétation journalistique des propos confiés par le Général Pichot-Duclos au supplément économique d’un grand quotidien du matin avaient, en leur temps ému certains de nos amis. Bien que l’intervention du Général Pichot-Duclos au cours du dernier conseil d’administration apporte tous les éclaircissements possibles, une analyse plus complète et plus démonstrative s’imposait. Tel est donc l’objet de la question

Qu’est-ce que l’intelligence économique ?

L’Intelligence Economique est un concept nouveau, en cours de formalisation en France, pratiqué depuis de nombreuses années à l’étranger, consistant à organiser la maîtrise du cycle complet de l’information ouverte intéressant les acteurs économiques (et en priorité l’entreprise) ceci au terme d’une approche globale, collective et systématique, concrètement, cela veut dire

1. Que l’on ne s’intéresse qu’à l’information publique dont la collecte est autorisée par la loi soit environ 90 % du total informatif, on exclut ainsi du champ de l’Intelligence Economique l’information fermée, protégée par le secret d’Etat ou d’entreprise, soit environ 10 % du total informatif, qui sont la cible des services de renseignements des Etats.

2. Que l’on s’efforce de traiter tous les aspects successifs de la vie de l’information : recherche, traitement, exploitation, diffusion, protection en sont les actes élémentaires; il s’agit d’en organiser la maîtrise au sein d’un système complet intégré à la structure par exemple de l’entreprise; jusqu’à présent un certain nombre seulement de ces actes élémentaires est pris en compte il y a des centres de documentation, des cellules de veille technologique ou concurrentielle, il y a des services de sécurité mais il n’y a pas de représentation de la fonction maîtrise de l’information — en tant que telle — dans les Directions Générales; il n’y a pas de prise en compte globale de cette fonction qui permette de coordonner la recherche, le traitement, etc., afin de répondre exactement aux besoins des Directions Générales en information de niveau stratégique; il n’y a pas de mobilisation de l’ensemble du personnel pour mieux voir à l’extérieur ce qui peut être utile à l’entreprise… bref, il n’y a pas de culture collective de l’information qui permette à l’entre prise d’atteindre les niveaux de performance de ses concurrents japonais ou allemands; l’Intelligence Economique, c’est le concept qui permet d’atteindre cette mobilisation collective au service d’un système global d’information dans un univers concurrentiel.

3. Pourquoi le mot Intelligence et non pas information ou renseignement ? Pour beaucoup de raisons tout à fait fondées. Tout d’abord, le concept britannique d’ « Intelligence » est beaucoup plus riche que le vocable français issu du latin « intellego », c’est-à-dire « je comprends », le Français aime comprendre : à la limite, cela lui suffit, il ne lie pas nécessairement cette compréhension à l’action qui donne un sens à la recherche. Le Britannique cherche à savoir pour agir et il prépare puis prolonge en permanence cette recherche et cette action par une politique d’influence positive (lobbying) ou négative (désinformation). Cet ensemble riche, cohérent et efficace constitue l’ « Intelligence ». On n’en démontre plus l’efficience; on n’ira pas non plus jusqu’à prétendre que celle de notre pratique à nous lui est supérieure. Deuxième raison pour adopter la formule « Intelligence économique » C’est la meilleure traduction possible des vocables anglo-saxons de « business intelligence » ou « competitive intelligence » qui décrivent partiellement le concept détaillé plus haut; elle a de surcroît l’avantage d’éviter d’employer le terme de « renseignement » qui chez nous a une connotation fermée de recherche plus ou moins confidentielle ou clandestine alors que l’intelligence économique ne traite que ce qui est du domaine public ou accessible légalement : ce n’est pas la moindre originalité du concept.

4. Autre point important l’appellation « d’Intelligence économique » est un néologisme qui désigne une réponse nouvelle à un problème nouveau, et c’est peut-être sa principale justification. En effet dans ses ouvrages ” Le Choc du futur ” puis ” Les Nouveaux Pouvoirs “, Alvin Toffler prévoyait dès 1974 que l’information constituerait la principale matière première et la principale richesse du futur. Les faits quotidiens démontrent la justesse de ces affirmations : grâce aux moyens de communication de masse, à l’informatique et à la télématique, le flux d’informations produites double tous les quatre ans. Personne ne peut plus prétendre maîtriser la totalité d’un pareil gisement et pourtant, il faut s’en assurer le maximum. Tous les services de renseignement du monde sont débordés, ils ne peuvent déjà plus exploiter tout ce qu’ils captent avec les écoutes électroniques, aussi vont-ils de plus en plus se concentrer sur leur mission, c’est-à-dire les 10 % d’informations secrètes qu’eux seuls peuvent obtenir et traiter. Les 90 % restant sont à tout le monde… mais la difficulté pour chacun est d’y trouver strictement ce dont il a besoin, c’est-à-dire l’information qui lui est utile à lui. D’où la naissance de tous les nouveaux métiers de l’information et du concept d’Intelligence Economique.

5. Il faut aussi préciser un aspect particulier de l’Intelligence Economique : c’est celui de l’ « information grise ». Il s’agit de la partie de l’information qui n’est pas totalement publique parce qu’on ne la trouve, par exemple, ni dans les journaux, ni dans les banques de données et qui n’est pas pour autant protégée par la loi; ainsi, une synthèse d’informations ouvertes est le premier pas dans l’élaboration d’un renseignement; des propos tenus dans une réunion technique sont protégés par la discrétion des participants mais pas forcément par la loi; quelqu’un qui pose des questions même indiscrètes n’enfreint pas la loi il suffit de ne pas lui répondre : un chercheur trouve un procédé nouveau avant de le publier, il doit le protéger par un brevet : nous sommes dans le domaine de l’information grise, terrain de chasse de prédilection des professionnels de l’économie concurrentielle qui adorent par exemple faire parler ces Français si bavards. C’est aussi l’un des aspects de l’Intelligence Economique que de préparer le personnel de nos entreprises à maîtriser ces risques et ces dangers.

6. Notre pays aborde l’Intelligence Economique dans la phase de concurrence économique effrénée que vous savez; il n’y a désormais plus ni alliés ni amis : voyez le ton comminatoire adopté par les Américains, par exemple dans les négociations du G.A.T.T., depuis qu’ils ont moins besoin du consensus européen puisqu’il n’y a plus d’ennemi soviétique. Il faut donc nous préparer à un nouveau type d’affrontement, sur un terrain nouveau, avec des règles nouvelles : celui de la Guerre économique; toutes les forces de notre pays y sont nécessaires mais cette idée-même n’est pas encore perçue par tous. Et pourtant d’autres pays nous montrent le chemin : les Japonais et les Allemands se sont bâtis un système cohérent d’Intelligence économique dès la fin de la Guerre et leurs performances sont éloquentes : ils ont su créer des synergies entre les banques et les entreprises, entre les entreprises et les autorités locales, entre le secteur privé et le secteur étatique… Ils ont une démarche globale et collective pour conquérir les marchés… Et nous, nous interrogeons encore!

7. Toutefois en France le problème commence à être examiné sérieusement : depuis septembre 1992, un groupe de travail d’une cinquantaine de personnes — très pluridisciplinaire — réfléchit à la question au Commissariat Général du Plan — organisme de prévision du Premier Ministre — Sous la direction d’Henri Martre, ancien Président de l’Aérospatiale, nous préparons un rapport qui sera publié sous le titre : « Intelligence économique et stratégie des entreprises ». Ce rapport irriguera tous les canaux de l’administration et d’une grande partie des entreprises. Les idées qui sont ici présentées en sont largement inspirées. Elles sont développées dans deux articles à paraître sous ma signature dans la Revue de Défense Nationale. Tout ceci démontre l’ampleur du problème et le niveau auquel on s’efforce de le traiter. En conclusion, on peut retenir : — Que la maîtrise de l’information devient l’une des clés de la puissance et de la souveraineté des Etats et qu’avec la fin de la menace soviétique, il y a transfert sur le terrain économique de la compétition entre Blocs, Etats et Entreprises. — Que l’Intelligence Economique est nécessaire aux différents acteurs, quelque soit leur niveau, entreprises, Etats ou blocs, pour se maintenir au milieu de la guerre économique qui se déroule tous les jours. Cette Intelligence ne concerne que le domaine ouvert mais c’est 90 % du total informatif. — Que la masse des informations disponibles aujourd’hui est telle que seuls des systèmes organisés pourront la maîtriser pour en extraire la fraction utile il faut donc créer ces systèmes entre tous les acteurs; au sein de l’Entreprise, une organisation nouvelle est à mettre en place : on peut appeler cela l’ingénierie de l’information ; elle est génératrice de nouveaux métiers, nombreux et rentables. Au sein de notre pays, il y a des passerelles à jeter par exemple entre l’institution étatique (détentrice de beaucoup d’informations qui sont loin d’être secrètes), les structures territoriales (telles que les Chambres de Commerce et d’Industrie) et les entreprises, pour organiser les flux montant et descendant des informations utiles, comme le font le Japon et l’Allemagne depuis longtemps, et comme sont en train de le faire les Etats Unis avec le plan Clinton des « autoroutes de l’information », doté de milliards de dollars. C’est l’organisation progressive du « savoir à écoulement libre » de Toffler. En résumé, il s’agit bien d’un problème nouveau mais majeur qui voit les intérêts fondamentaux des pays, transférés sur le terrain économique. Nous devons donc renouveler notre manière d’aborder la défense de ces intérêts et prendre conscience de l’urgence d’un effort collectif d’Intelligence Economique. C’est à ce prix que nous pouvons espérer survivre en tant que Puissance maîtresse de ses décisions.




Pour un systeme francais d’intelligence economique (1995)

Par André Lanata en 1995 :

En 1992, alors qu’il visitait, à Seattle, les installations de la société Boeing, le Président Bush déclarait : “ il nous faut tuer l’industrie aéronautique européenne “.

Cet événement est significatif du nouveau tour pris dans les relations internationales et de l’âpreté de la compétition économique qui se déroule sur l’échiquier mondial.

Si pour certains il s’agit de compétition tout semble démontrer que du stade de compétition nous sommes parvenus à celui de guerre économique. Les inconditionnels d’un libéralisme forcené continuent cependant à ne pas vouloir admettre la situation actuelle. Celle-ci conduit à reconnaître la nécessité de doter la France d’un véritable système d’information économique à la tête duquel l’Etat retrouverait le rôle qui devrait être le sien, celui de l’échelon décisionnel et coordinateur du système d’information au service de notre économie.

Cette maîtrise du cycle d’information que d’autres pays ont déjà compris et intégré est au centre de l’idée d’un dispositif d’intelligence économique pour notre pays.

Après avoir réaffirmé que nous sommes effectivement dans un contexte de guerre économique voyons en quoi le concept d’intelligence économique permet d’apporter une réponse à la situation et quels modèles étrangers pourraient inspirer la création d’un système français. *

Il faut d’abord faire preuve de clairvoyance face au nouveau contexte économique dans lequel nous vivons et soutenir l’idée selon laquelle nous devons désormais nous placer dans une logique de guerre économique. Une guerre non déclarée dont les effets sont pourtant bien visibles puisqu’ils prennent la forme du chômage et de l’exclusion.

Une certaine intelligentsia continue cependant de refuser cette réalité préférant ne voir dans les affrontements économiques actuels qu’une forme particulière de concurrence.

L’économiste Jean-Louis Levet redoutait en 1993 cet obscurantisme et déclarait dans “la Révolution des pouvoirs”: “Une partie encore trop importante des acteurs économiques, en France en particulier et de son intelligentsia, refusent d’analyser les échanges internationaux sous l’angle des rapports de forces et de la dialectique du combat “. Et pourtant malgré le voile jeté sur cet aspect non avouable des relations internationales, ces dernières années ont été riches en événements démontrant l’action invisible des états (avec une vigueur proportionnelle aux enjeux économiques planétaires).

En inventant le concept de sécurité économique et en créant en 1993 un Conseil économique national (lié au N.S.C. : National Security Council), l’administration Clinton a reconnu de fait l’existence d’agressions étrangères contre les intérêts économiques américains et organisé le verrouillage de son marché ainsi que les contre-attaques.

Ce nouveau tour pris dans les relations internationales est-il réellement neuf ou reflète-t-il tout simplement la reconnaissance d’une partie des rapports de forces internationaux occultée pendant de nombreuses années ?

Tout semble démontrer que la guerre froide est en partie responsable du masque qui s’est opéré dans un domaine qui est historiquement l’enjeu de forces géostratégiques mondiales. Les esprits se sont, en effet, focalisés sur la lutte contre le bloc soviétique en imposant une solidarité nécessaire à la cohésion du bloc occidental mais occultant les oppositions classiques.

Cette cohésion de façade a eu deux conséquences: la première, directe, a vu, avec la prédominance du débat idéologique, le placement des enjeux économiques sur un échiquier de second ordre quasiment invisible, la seconde, indirecte, a progressivement vu le discours dominant présenter la loi du marché comme un état de fait.

Ce concept d’échiquiers invisibles où les rapports de forces entre les nations s’expriment à l’aune de leurs intérêts économiques et de la puissance, semble se révéler à mesure que le débat idéologique lui cède la place. La mission principale du Conseil économique national américain demandant “que son pays s’affirme comme le leader du monde” en témoigne si besoin est.

Ainsi est implicitement reconnu le conflit animant les nations sur un terrain économique.

Il convient, à cet égard, de remarquer que cet aspect économique des menaces susceptibles de s’exercer sur les intérêts vitaux d’une nation est un phénomène très ancien dans l’histoire des civilisations. Il a simplement été occulté pendant l’intermède de la guerre froide.

Le discours sur la libre concurrence est en revanche beaucoup plus insidieux. Il divise d’abord le monde en deux camps: les bons qui respectent les lois du marché et les méchants qui les transgressent. Les régulières dénonciations de la part des Etats-Unis du non respect par le Japon des règles du jeu du commerce international sont là pour le démontrer. Ensuite, il a tendance à entretenir parmi les élites une vision très réductrice des problèmes et de la situation. Ceux-ci ne peuvent, en effet, se limiter à des questions de libre concurrence et les restreindre de la sorte conduit à oublier ces échiquiers invisibles où les parties perdues sans guerres apparentes sont nombreuses.

Nous sommes donc en présence d’une guerre qui ne dit pas son nom mais dont on peut apprécier les conséquences comme la lente conquête de nos entreprises par des capitaux étrangers; une guerre de moins en moins masquée, faite d’actions souterraines, de pratiques protectionnistes, de position monétaire dominante où l’important est d’être “juridiquement correct “.

Qui a par exemple transmis, à la veille du salon aéronautique de Dubaï, aux média, l’information selon laquelle les missiles Exocet français destinés à Chypre devaient en fait approvisionner l’Iran ?

Ainsi de temps à autre certains indices témoignent de l’activité se déroulant sur les échiquiers invisibles. * Dans cette situation les Etats n’ont pas été sans réactions. Au-delà de la mise en place d’un arsenal défensif comme aux Etats-Unis avec le Conseil économique national ou le “National Industry Security Programm “, des mesures offensives ont été prises telle que la diplomatie économique, c’est-à-dire l’aide active de l’Etat aux entreprises dans leur conquête des marchés.

L’intervention du Président Clinton dans le contrat civil obtenu par la société Boeing en Arabie Saoudite en 1994 souligne le nouveau degré de mobilisation du pouvoir politique. Mais c’est surtout dans la prise de conscience de l’importance désormais occupée par la maîtrise de l’information que réside l’essentiel. L’environnement mondial est effectivement en pleine mutation.

Outre le contexte de guerre économique évoqué précédemment et la modification considérable du paysage politique et géostratégique, la mondialisation des phénomènes économiques planétaires et une de ses causes, l’accélération des progrès en matière de communication imposent des réactions de plus en plus rapides et coordonnées. A cela s’ajoute une croissance exponentielle des flux d’informations. Ceux-ci doublent, en effet tous les quatre ans. Or la maîtrise de l’information conditionne l’efficacité. Le domaine économique n’échappe pas à cette règle que les militaires connaissent bien.

Dans ce nouveau contexte mondial, l’information devient une matière première stratégique. Le rapport “Japan 2000” rédigé en 1991 par la C.I.A. rendait compte que la puissance de ce pays s’appuyait essentiellement sur la connaissance et sur la technologie de l’information. Il reconnaissait en outre que “dans le contexte d’une nouvelle économie et d’un nouvel ordre mondial, la connaissance deviendra le fondement primordial de la puissance économique “.

Ainsi émerge le concept d’intelligence économique où le sens du mot intelligence est à prendre dans l’acception anglo-saxonne du terme (savoir pour agir), englobant les opérations de recherche, d’actions connexes et d’influence.

Il s’agit : “ de définir un ensemble d’actions coordonnées de recherche, de traitement, de diffusion et de protection de l’information utile aux acteurs économiques” (définition de l’intelligence économique retenue par le groupe de travail du Commissariat général du plan).

En d’autres termes le concept d’intelligence économique s’appuie sur un véritable système d’information et de communication (le C 31 anglo-saxon) à des fins économiques, reliant dans une démarche globale et collective les différents acteurs économiques et l’État.

L’intelligence économique s’inscrit dans un cadre légal et ne concerne que l’information ouverte qui représente tout de même 90 % du total des flux d’information.

Le problème consiste donc au moins autant à extraire l’information utile de ces flux en croissance constante que d’organiser une recherche clandestine du renseignement du ressort des services spéciaux : Ces deux méthodes se complètent.

Unissant étroitement le savoir et l’action, l’intelligence économique dépasse les simples actions partielles de veille technologique, de protection du patrimoine concurrentiel ou d’influence. Elle résulte, en effet, résolument d’une démarche stratégique destinée à piloter les actions partielles évoquées ci-dessus dans une approche globale du marché intégrant de nombreux autres facteurs que le seul produit (rapports de force, facteurs humains, etc…).

Le champ des actions d’intelligence économique envisageable est extrêmement vaste: manœuvres d’influence, désinformation, infiltration d’organisations humanitaires en vue de conquêtes commerciales ultérieures, analyse systématique des produits concurrents, recherche de renseignement d’origine humaine (interrogatoires d’ingénieurs indiscrets), enquêtes techniques menées par un “client “, sabotage de l’image du produit concurrent (publicité comparative ou campagne d’influence), etc…

La maîtrise de l’information dépasse donc largement les simples fonctions documentaires de veille technologique. Il peut même s’agir d’aller recueillir des informations dans ce que les spécialistes appellent la “zone grise “, zone intermédiaire entre l’information ouverte et l’information protégée, c’est-à-dire ce qui n’est pas ouvert sans être protégé. Ce peut être par exemple ce qui est immoral sans être illégal (attaques contre la vie privée d’un concurrent) ou encore l’obtention d’informations sur un procédé nouveau qui n’est pas encore protégé par un brevet (indiscrétions) d’où un nouvel aspect de l’intelligence économique qui consiste à protéger l’entreprise contre ce genre de risques (sensibilisation du personnel).

Ce nouveau contexte impose à ses acteurs une adaptation culturelle. Il s’agit de faire face à la complexité qui est, avec la mondialisation des échanges et la multiplicité des interactions, une des caractéristiques de l’ère nouvelle qui s’ouvre devant nous contrastant en cela avec le rationalisme bipolaire. Mais c’est également la nécessité d’entreprendre une démarche globale donc collective où les cultures traditionnellement individualistes sont ou vont être handicapées.

Ainsi s’affirme la nécessité, d’adhérer au concept d’intelligence économique qui réunit dans le savoir et l’action la seule issue au défi de la maîtrise des flux d’information.

Ceux-ci constituent en effet la nouvelle matière première stratégique, clef de la compétition économique sans merci que se livrent désormais les nations. Il serait illusoire cependant de penser que certaines nations n’ont pas déjà compris ce principe. * Les dispositifs nationaux d’intelligence économique les plus évocateurs sont ceux du Japon, de l’Allemagne et dans un autre ordre d’idée celui des Etats-Unis.

Ces modèles peuvent inspirer la création d’un modèle français. L’analyse de ces systèmes démontre par ailleurs leur forte dilution dans les pratiques et les mentalités locales, en un mot dans les cultures. Elle met de plus en exergue le rôle de l’Etat comme centre de décision stratégique. La puissance du système d’intelligence économique japonais puise d’abord sa force dans un patriotisme élevé des entreprises et une culture collective de l’information résolument économique.

Le défi posé par la nécessaire reconstruction de la nation à l’issue de la deuxième guerre mondiale constitue également un des fondements du système. On peut y observer un maillage stratégique reliant tous les partenaires économiques dont le fameux Miti mais également les nombreuses agences étatiques telles que le Jetro, le monde politique, syndical, industriel, les services de renseignement, etc…

Il en résulte une irrigation continuelle du tissu économique par les flux de connaissance. Une stratégie globale est ainsi mise au point grâce à la concertation permanente existant entre les institutions et les milieux financiers et industriels.

Cette stratégie est ensuite suivie d’un travail de terrain parfaitement illustré par l’exemple rapporté par M. Harbulot dans la livraison d’avril 1995 de la revue ” Enjeux Atlantiques ” “L’implantation méthodique d’entreprises japonaises dans un pays endetté et en état de crise industrielle comme le Mexique peut surprendre. A priori, le Japon pourrait choisir des cibles plus rentables à court terme. Mais ce serait ignorer les possibilités d’actions indirectes qu’offre la côte pacifique mexicaine vers l’économie californienne “, surtout depuis la signature d’accords préférentiels entre les Etats-Unis et le Mexique qui permettent aux Japonais de contourner le dispositif protectionniste américain.

Le rapport de la C.I.A. Japan 2000 soulignait encore que: “l’acquisition de la connaissance, ressource perpétuellement renouvelable, a été et demeure toujours un fantastique atout de supériorité en faveur du Japon sur le plan économique “.

Le système allemand est bien plus ancien que son homologue nippon. Ses fondements remontent, en effet, à l’expansion commerciale germanique au Moyen- Age et à la création d’un réseau marchand international par la ligne hanséatique. Le cœur du dispositif d’intelligence économique allemand constitué des banques, des groupes industriels et des compagnies d’assurance réalise les choix stratégiques. La puissance fédérale effectue la synthèse et le traitement de l’information recueillie par un important réseau de partenaires (syndicats, communautés émigrées, sociétés de commerce, cabinets de consultants, etc…). L’efficacité du système allemand est appuyée par le patriotisme animant l’entreprise, lieu de concertation avec les partenaires sociaux sur les objectifs économiques à atteindre. Les méthodes de recueil et de traitement renforcent encore le dispositif. Faites d’une rigueur et d’une méthodologie toute germanique elles sont à certains égards empruntées aux méthodes de renseignement militaire.

Aux Etats-Unis, le dispositif d’intelligence économique bute sur des obstacles culturels. Champions du libre échange, les Américains ont du mal à réaliser l’osmose nécessaire entre l’intérêt de l’Etat et l’intérêt privé des entreprises. L’administration et les entreprises ne peuvent, de la sorte, établir une stratégie concertée. Le système d’intelligence économique américain est caractérisé par deux ensembles entre lesquels il n’existe que peu de communication : le premier est centré sur l’exécutif, le second sur les entreprises. La fonction d’intelligence économique est cependant reconnue car un élément comme l’autre la pratique. Les entreprises en particulier créent des cellules spécialisées (Bis: Business Intelligence Systems). Toutes cependant n’atteignent pas la ” masse critique “leur permettant de se doter d’un instrument d’intelligence économique. Elles font alors appel à des sociétés privées. Ce cloisonnement de l’information ôte, cependant, à l’ensemble, la compréhension globale de leur environnement qu’exige la mondialisation des marchés.

Les Etats-Unis, bien conscients de ces handicaps ont réagi sous l’impulsion des Présidents Bush puis Clinton. Reconnaissant que la “connaissance est désormais le fondement de la puissance économique” (rapport Japan 2000), ils ont réorienté les missions de la C.I.A. et les crédits de recherche et développement militaires vers le secteur civil, assuré un meilleur accès à l’information aux P.M.I., développé un programme de contrôle de l’accès à l’information et surtout imaginé le concept des ” autoroutes de l’information “qui devrait préfigurer les besoins du siècle prochain.

Malgré ces mesures, le handicap américain dans le domaine de l’intelligence économique semble bien devoir demeurer car d’ordre culturel. Comme le souligne le numéro de décembre 1993 de la Revue de la défense nationale : ” (aux Etats-Unis) la primauté fondamentale de l’individu en tant que centre de savoir et de décision autonome est remise en cause par l’émergence d’une culture nouvelle, globale et collective, de la connaissance “.

La situation en France témoigne d’une carence dont certaines personnes commencent à prendre conscience. Les principales insuffisances du système français sont essentiellement culturelles et organisationnelles.

Sur le plan culturel d’abord, le traditionnel individualisme gaulois se heurte à la nécessité d’une démarche collective à tous les niveaux. Il y a également l’image négative que le renseignement a toujours eu au sein de l’intelligentsia. Celui-ci a toujours symbolisé les opérations occultes de la raison d’Etat. Il implique ensuite des entreprises de long terme auxquelles notre culture latine a toujours préféré des résultats plus directs. Au niveau des institutions ensuite, un centralisme historique s’oppose à la libre circulation des informations et en particulier dans le sens transversal.

L’absence de démarche stratégique tant au niveau de l’Etat que dans l’entreprise est une raison supplémentaire et la conséquence de ces handicaps. Le problème commence cependant à être examiné sérieusement et la récente création d’un Comité pour la compétitivité et la sécurité économique, présidé par le Premier Ministre en témoigne (Décret du 1er avril 1995) ainsi que la désignation d’un “Ministère du Développement Economique et du Plan “, chargé de la sécurité économique.

Un dispositif français ne peut s’organiser qu’autour des données françaises du problème. Il ne peut ainsi ressembler ni au modèle nippon en raison de son aspect collectif, ni au modèle anglo-saxon jugé trop libéral. Le modèle allemand peut, en revanche, offrir un projet en partie transposable. L’Etat doit être à la fois la tête et l’incitateur du dispositif d’intelligence.

Il faut refaire de l’Etat le guide et non pas le fardeau de l’économie. Il s’agit surtout de maîtriser le cycle de l’information: recueil, traitement et diffusion. Concernant le recueil il faut valoriser des sources plus diverses comme les organisations humanitaires ou le formidable atout que constitue la francophonie. Le traitement doit permettre l’organisation de la stratégie qui doit guider les grands axes de conquête économique et donner des signes à nos entreprises. La diffusion, enfin, ne doit pas souffrir du centralisme. Celui-ci ne vaut, en effet, que s’il associe des liaisons descendantes et transversales c’est-à-dire un meilleur accès à l’information pour tous les acteurs économiques.

L’Etat doit également avoir un rôle incitateur qui consisterait, par exemple, à promouvoir une véritable ingénierie de l’information. On le voit, il faut pour cela disposer d’un projet politique ce dont, malheureusement, nous manquons, trop occupé que sont nos dirigeants à gérer sous l’urgence médiatique au lieu d’organiser une véritable stratégie.

Cet aspect témoigne une fois de plus de notre inadaptation organisationnelle et culturelle face ” à une logique d’affrontement indirect fondée sur la maîtrise de l’information et sur les stratégies d’influence ” (Revue de la défense nationale, mai 1995).

Il y a ensuite les collectivités locales (conseils régionaux, chambres de commerce et d’industrie, etc…) qui non seulement entretiennent des liens privilégiés avec l’étranger, l’Etat, les banques et les entreprises mais disposent, également de sources d’information (Arist: agences régionales d’information scientifiques et techniques, centres régionaux de documentation internationale, etc…). Elles doivent, par conséquent, jouer un rôle essentiel de recueil de l’information, de sensibilisation à l’intelligence économique et de coordination des entreprises d’intelligence.

C’est enfin l’entreprise vers laquelle doit converger les finalités du projet et qui doit, à ce titre, intégrer les impératifs organisationnels de l’intelligence économique (création d’un département et de cellules d’intelligence économique). Elle doit également accorder une large part à la sensibilisation de tous ses échelons afin de vaincre les obstacles culturels et de susciter l’adhésion.

Malgré la création du Comité pour la compétitivité et la sécurité économique et d’un ministère, l’essentiel reste encore à faire en France.

Il s’agit surtout de mobiliser les volontés derrière le projet de maîtrise de l’information que constitue l’intelligence économique avant d’adapter nos structures à ce nouveau défi.

* Avec la fin de la guerre froide, la compétition économique mondiale a pris un tour de plus en plus conflictuel. Une véritable guerre aux dimensions planétaires que certains considèrent encore comme la libre expression des lois du marché, occupe le terrain des relations économiques internationales. A mesure du rétrécissement des marchés sous l’effet conjugué de cette concurrence effrénée et de la mondialisation des échanges, les acteurs économiques sont conduits à des réactions extrêmement rapides et coordonnées.

Dans ce nouveau contexte, seule une parfaite organisation de la maîtrise du cycle d’information permet d’assurer la survie économique. Le concept d’intelligence économique répond à ce besoin.

Il consiste précisément à accroître la compétitivité de tous les secteurs économiques en s’appuyant sur une stratégie bâtie sur une large diffusion et une exploitation ” intelligente ” de l’information ouverte. Il suppose par conséquent des structures et des esprits adaptés à cette nouvelle stratégie.

Des pays comme l’Allemagne et le Japon ont déjà compris les nouvelles perspectives offertes par cette approche systématique des marchés. Cela explique en partie leur position compétitive sur l’échiquier planétaire.

Le récent Comité pour la compétitivité et la sécurité économique devra jeter, en France, les bases d’un dispositif français. Les premières mesures devraient viser à sensibiliser les acteurs économiques sur le sujet et donner à l’Etat le rôle de direction du système. Au-delà des aspirations françaises, l’Europe pourrait, à terme, offrir, à ses partenaires, le cadre d’une solidarité économique renforcée à travers la construction d’un système d’intelligence économique européen.




A Propos du colloque sur l’ Intelligence economique- Fevrier 1997

Quand je voyage à l’étranger, je vais vendre la France. C’est aussi cela le rôle du politique “… En s’exprimant ainsi à la télévision, Jacques Chirac traduisait l’obligation pour nos compatriotes de concourir au succès de notre guerre économique.

” La France en guerre économique : quelle riposte, quelles armes, quels acteurs “… tel était le programme proposé le 26 février 1997 à l’Assemblée nationale, par les Chambres de Commerce et d’Industrie.

Justement inquiètes de l’exacerbation de la concurrence entre les États qu’entraîne la mondialisation de l’économie, nos Chambres de Commerce et d’Industrie entendent faire de ” l’Intelligence Économique ” une question primordiale à laquelle doit réfléchir et répondre la représentation nationale.

Devant le dynamisme de certaines nations et notamment les États-Unis, elles observent que ” l’administration américaine fait porter ses efforts pour assurer une position dominante à ses industriels nationaux et s’assurer ainsi des zones réservées et un contrôle quasi-exclusif de ses technologies-clefs “.

Loin de redouter l’Europe, la prospérité future définie par l’administration américaine doit assurer à son économie et jusqu’à l’horizon 2010, une priorité mondiale, y compris sur les marchés européens.

Et tandis que les U.S.A. se dotent de tout un arsenal de moyens pour assurer leur action économique à l’extérieur – depuis l’engagement personnel de Clinton jusqu’aux organismes spécialisés coopérants avec la C.I.A. – l’espionnage économique est durement réprimé aux U.S.A.

Les discussions au cours du Forum entre parlementaires et représentants de grandes entreprises (Dassault-Aviation, Total, Matra-Hachette, etc…) ont mis l’accent sur la dispersion des efforts des entreprises, l’insuffisance des appuis de l’administration française lorsqu’il s’agit d’imposer leur savoir-faire à l’extérieur.

Il existe pourtant à l’intérieur de l’entreprise une véritable conscience des devoirs de solidarité et ” d’intelligence “. Parfois même entre certaines entreprises. Mais il ne suffit pas de produire ce qu’il y a de meilleur pour décrocher des marchés… encore faut-il qu’à ” l’intelligence économique ” réponde une ” intelligence politique ” apte à soutenir à l’étranger la ” Maison France “.

Tirant la conclusion des débats, les Chambres de Commerce et d’Industrie, s’expriment ainsi : ” L’intelligence économique est une méthode d’observation et de surveillance des environnements économiques, technologiques et techniques en vue d’une stratégie “. ” Le volet interne de cette stratégie a pour objectif de protéger notre patrimoine technique et industriel tandis que le volet externe tend à promouvoir la Maison France sur les marchés étrangers “.

Ce qui inspira à un participant au forum cette réflexion : ” En fait l’intelligence économique est l’éclairage du champ de bataille “.




1997 : Création de l’Ecole de Guerre Economique : Discours du General Pichot Duclos

Le 2 octobre, dans le cadre d’un partenariat entre Défense Conseil International (D.C.I./INTELCO) et l’École Supérieure Libre des Sciences Commerciales Appliquées (E.S.L.S.C.A.), s’est ouvert à Paris un enseignement d’un type radicalement nouveau :” L’École de Guerre Économique “.

Pourquoi une « École de Guerre Économique » ?

La dureté croissante des affrontements économiques et les dispositifs nouveaux adoptés par les États étrangers et leurs entreprises démontrent que les temps ont changé : seuls les acteurs organisés collectivement et pratiquant résolument l’offensive peuvent désormais s’assurer des parts de marchés importantes. Ceux qui ne le comprennent pas disparaîtront ou perdront leur autonomie. Trop souvent frileux et routiniers, formés à la seule défensive, les acteurs français doivent réagir : nos managers en particulier doivent posséder la culture stratégique et la méthodologie de maîtrise de l’information issues de la Défense qu’on ne leur a pas enseignées.

Dans des locaux de l’E.S.L.S.C.A., c’est l’équipe dirigeante d’INTELCO qui va assurer ce transfert de connaissances aux élèves de cette École de Guerre Économique. Renforcée des meilleurs experts de la recherche ou de la protection de l’information de la propriété industrielle , cette équipe s’est donnée pour mission de former les cadres de la Guerre économique d’aujourd’hui et de demain, afin d’aider les divers acteurs français à relever les nouveaux défis de la mondialisation. En particulier, dans le contexte radicalement nouveau d’une société de l’information, cette formation va préparer les jeunes diplômés et les cadres à doter leur entreprise d’un nouveau modèle managérial articulé autour de l’Intelligence économique. Au-delà de la maîtrise complète du ” cycle du renseignement ” issu de la Défense, il s’agit pour les élèves de conduire l’inévitable changement qui s’impose en matière d’approche, désormais collective et offensive, de l’information.

Qu’il s’agisse d’exporter mieux, de protéger plus efficacement son patrimoine, de développer une stratégie d’influence ou de faire face à tous les aspects de ” la guerre de l’information ” qui commence, l’entreprise doit changer. Il faut qu’elle exploite mieux son patrimoine immatériel (la connaissance) d’une part en valorisant ses ressources informationnelles internes et, d’autre part, en développant les approches indirectes héritées de l’histoire (les échiquiers invisibles).

Le Comité pour la compétitivité et la sécurité économique avait ainsi défini l’Intelligence économique :” la coordination des actions de recherche, de traitement et de diffusion de l’information ouverte, c’est-à-dire obtenue par des moyens légaux, afin d’éclairer la stratégie des entreprises “.

Ainsi, l’École de Guerre Économique va-t-elle s’efforcer de former un nouveau modèle de managers apte à la mettre en œuvre. Elle décernera un diplôme de 3eme cycle qui fera de ses titulaires des candidats d’autant plus recherchés que l’offre est inférieure à la demande.

Thèmes et méthodologies enseignés: L’enseignement s’articule autour des thèmes ci-dessous, étudiés sur 450 heures.

– Initiation aux principes stratégiques.

– Intelligence économique : définition, généralisation, concept, méthodologie.

– Intelligence et Management des hommes : conduite du changement dans l’entreprise, approche collective et partage de l’information.

– Intelligence territoriale : établissement des synergies et des réseaux sur le territoire, développement économique, création d’emplois.

– Intelligence financière : faire face à la délinquance financière, le blanchiment d’argent, la fraude fiscale et l’établissement de stratégie financière offensive.

– Intelligence de l’information : gagner la guerre de l’information, contrôler et maîtriser l’information ouverte. – Intelligence et commerce international : toutes les stratégies d’export, les stratégies indirectes (influence, échiquier invisible…).

– Intelligence et outil informatique : architecte des systèmes et des logiciels, utilisation pratique et concrète d’Internet.

L’objectif est d’équilibrer l’enseignement entre l’étude du contexte (” comprendre ” : 200 heures) et la pratique des instruments (” agir “: 250 heures). La première promotion comprend 30 élèves (15 étudiants, 15 cadres d’entreprise).




Amiral Pierre Lacoste : L’évolution de la culture francaise du renseignement (1997)

En ce début d’année 1998 je veux rendre hommage à l’A.A.S.S.D.N. et à son prestigieux Président, le Colonel Paillole, en témoignage de mon affectueuse admiration. Sous son impulsion, l’Association a su préserver la mémoire des services rendus à la Nation par les membres des Services Spéciaux dont l’action discrète, clandestine et souvent héroïque, avait été trop souvent oubliée. Sous l’effet d’une écriture simpliste ou parfois abusivement partiale de l’histoire des années terribles de la Deuxième Guerre Mondiale, leurs exploits seraient demeurés méconnus sans la vigilante attention de leurs camarades survivants.

D’autant plus que, dans notre pays, le renseignement en général et les Services Spéciaux en particulier, sont particulièrement mal connus. Ils continuent à être traités par les médias en fonction des mythes et des phantasmes habituels : les ” espions “, les traîtrises et les coups tordus ; les ” barbouzes ” et les aventuriers douteux… L’opinion publique est totalement ignorante des réalités mais, plus grave encore, les milieux dirigeants de la politique et de la haute administration ne sont guère mieux informés. J’ai eu l’occasion de constater à quel point les intellectuels et les universitaires français sont en retard par rapport à leurs homologues étrangers, notamment anglo-saxons.

Il y a heureusement depuis quelques années une certaine prise de conscience dans notre pays. Dans le domaine de l’économie ” l’Intelligence économique ” est devenue un sujet à la mode.

En 1994, pour la première fois, un document gouvernemental a fait du renseignement une des priorités de la Défense. Le Livre Blanc publié cette année-là était destiné à remplacer celui qui, depuis 1971, avait fixé pour près de 20 ans les grandes lignes de la doctrine française. La fin de la guerre froide imposait en effet que soient reconsidérés les choix essentiels de notre politique en fonction des nouvelles données de la situation internationale. Et la Guerre du Golfe avait spectaculairement mis en évidence les insuffisances de notre Renseignement militaire et stratégique en montrant la dépendance quasi totale de nos forces par rapport aux informations fournies par les Américains.

Contrairement au document de 1971 qui n’y faisait pas du tout allusion, le livre Blanc de 1994 a donc fait du Renseignement la première des capacités prioritaires de nos forces armées, en insistant sur son caractère d’instrument de la politique militaire aux trois niveaux, stratégique, opératif et tactique. Il a précisé les thèmes et les zones d’intérêt privilégiés, invitant à un effort d’organisation, de formation des hommes et de gestion des moyens, dont les plus modernes comme ceux de l’espace et des techniques avancées de l’information.

Le Ministère de la Défense a créé et développé la nouvelle Direction du Renseignement militaire, la D.R.M., dotée de ressources humaines et techniques incomparablement supérieures à celles de son prédécesseur, le C.E.R.M. des années 70.

Engagées dans les opérations de Somalie, de Yougoslavie et d’Afrique, les armées françaises ont eu l’occasion de montrer, aux yeux du gouvernement comme à ceux de nos voisins et alliés, qu’elles avaient parfaitement pris en compte les exigences et les atouts du Renseignement et qu’elles étaient capables d’y exceller. Est-ce à dire que la partie soit gagnée ? Je ne le crois pas. Une chose est d’avoir modifié nos comportements ” opérationnels militaires “, une autre est de changer durablement et en profondeur les habitudes acquises dans notre pays par des générations de responsables politiques et de haut fonctionnaires, en un mot de faire évoluer ” la culture française du Renseignement “.

Il faut agir dans la durée en s’attachant en priorité à l’éducation et à la formation des hommes, à commencer par les jeunes. C’est pour cette raison que j’ai entrepris depuis 1994 d’introduire cette matière à l’université en créant un ” séminaire de troisième cycle ” consacré à la culture française du Renseignement. Les travaux de la première année 1995-96 ont déjà fait l’objet d’une publication à la documentation française ceux de 1996-97 sont en cours d’édition et j’espère pouvoir diffuser de la même façon ceux de la troisième et dernière année qui est encore en cours.

Mais ces travaux sont bien modestes au regard des besoins et de l’énorme documentation réunie par les chercheurs et les universitaires étrangers sur le sujet. Mon ambition a surtout un caractère incitatif : il s’agit de faire prendre conscience à des historiens, à des politologues, à des juristes, à des sociologues et à des spécialistes français des relations internationales, qu’il y a là pour eux un champ vierge qu’il leur faut défricher, chacun dans sa spécialité. Je voudrais qu’ils se rendent compte des lacunes de leur savoir sur le sujet comparées aux connaissances de leurs collègues anglo-saxons. Je voudrais qu’ils soient, comme moi, scandalisés par le fait que la seule étude universitaire récente sur l’histoire des Services Secrets français ait été écrite par un historien américain, le professeur Douglas Porch, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il s’est trop souvent laissé aller à émettre des opinions subjectives plutôt que de s’en tenir à une stricte objectivité.

C’est pourquoi je me réjouis qu’une convention ait été signée entre l’A.A.S.S.D.N. et l’École Spéciale Militaire de Saint-Cyr – Coëtquidan et que les jeunes officiers qui se consacrent à des études historiques aient eu l’occasion d’être longuement reçus par le Colonel Paillole au mois de décembre. J’ai recueilli les échos de leur enthousiasme et je vois avec le plus grand intérêt s’accumuler des travaux de qualité dans le cadre de mémoires ou de thèses d’histoire. Mais, comme tous les historiens, ils sont avides de trouver des sources inédites, et de ce point de vue l’A.A.S.S.D.N. représente une mine de savoirs et, sans doute d’archives encore inconnues, qu’il faudrait absolument exploiter.

Des témoignages oraux n’ont sans doute pas encore été tous recueillis, des documents personnels mériteraient d’être exploités. De même que les connaissances et les compétences de nombreux camarades qui se sont jusqu’à présent strictement conformés aux règles traditionnelles de discrétion liées à la déontologie du métier.

En raison des contrevérités qui courent encore, en raison du besoin d’explication et d’éducation qui s’impose, à mon avis, vis-à-vis des générations montantes, je souhaite qu’ils acceptent de nous apporter leur savoir.




La France est elle en guerre économique? Exposé du General Pichot Duclos (1999)

Le 1er octobre 1998, lors d’une conférence donnée à l’Association des Auditeurs de l’I.H.E.D.N., on fit prononcer au Président du Conseil d’Administration de cet organisme, la phrase suivante :” guerre économique, expression fallacieuse car la concurrence économique n’est pas une vraie guerre “.

Ainsi, à la périphérie même de la sphère régalienne, met-on en doute la réalité d’une forme nouvelle d’affrontement rendue planétaire par la mondialisation et dont les dégâts politiques, humains et matériels sont croissants.

On peut donc se demander si, oui ou non, nous sommes en guerre économique. Pour y voir plus clair, nous examinerons successivement le concept de guerre économique, l’exemple américain et les réalités françaises.

Officiellement on ne connaît que ” la défense économique “

Il faut d’abord observer que tous les conflits ont eu leurs volets économiques ; la terre brûlée, le siège consistant à priver la garnison d’eau et de vivres en étaient les plus banals. Le blocus continental organisé par Napoléon pour ruiner le commerce britannique incarne exactement une stratégie de guerre économique au service de buts de guerre politiques.

Aujourd’hui, en Afrique Orientale, l’arme alimentaire se banalise. A l’échelon mondial, depuis la fin du Pacte de Varsovie, les affrontements découlant de la lutte pour le leadership se déroulent ouvertement sur le plan économique : c’est une forme de transfert de techniques d’agression d’un terrain à un autre et elles entraînent de lourdes pertes matérielles et humaines. Que de vies brisées par la délocalisation d’une usine, la faillite organisée ou le blocus comme celui dont sont actuellement victimes l’Arménie et l’Irak ! Le sophisme consistant à nier la guerre économique au prétexte que ” la guerre détruit tandis que l’économie construit ” repose sur le refus de considérer que l’affrontement a changé de dimension et de niveau.

Au XIXe siècle, la concurrence opposait des entreprises libérales ; depuis 1989, en conséquence de la mondialisation, ce sont des États ou des blocs économiques qui s’opposent, mettant en jeu des moyens régaliens (diplomatie, armée, Services Spéciaux) pour conquérir ou conserver des marchés – l’exemple américain le démontre – dès lors il ne s’agit plus de concurrence mais de conflits ouverts.

La guerre contre l’Irak et l’intervention de l’OTAN au Kosovo n’auraient probablement pas eu lieu si la politique pétrolière et arabe des États-Unis n’avait pas été concernée : l’invasion du Koweït et les atrocités serbes ont fourni les prétextes nécessaires au renforcement de la politique de Washington.

Ainsi le concept de guerre économique est-il aujourd’hui validé. Il n’est pas pour autant pris en compte par les institutions françaises. Officiellement, on ne connaît que la ” défense économique ” décrite dans l’Ordonnance de 1959 qui se situait dans un contexte de guerre froide et ne traitait que les problèmes d’approvisionnement au cours d’un conflit armé.

Le gouvernement d’Édouard Balladur tenta d’y remédier. Ce fut le Livre blanc sur la Défense qui prenait en compte une partie du changement de décor géostratégique mais escamota les nouvelles données découlant de la mondialisation de l’économie.

Toutefois, conscient de cette carence, le Premier Ministre créa en avril 1994 un Comité pour la Compétitivité et la Sécurité Économique (CCSE), fort bien venu mais rapidement stérilisé par les gouvernements suivants.

Aujourd’hui, il n’existe plus d’organisme opérationnel interministériel capable de coordonner à l’échelon de l’État des actions ressortissant à la guerre économique… Au cours de l’été 1998, le Secrétaire général à la Défense nationale qui abritait le CCSE supprima même la cellule d’intelligence économique créée en 1994 à la suite du Rapport du Commissariat général au Plan, intitulé ” Intelligence économique et stratégie des entreprises “.

Une ” école de guerre économique ” vient pourtant de s’ouvrir à Paris Ainsi, qu’il s’agisse de concept ou de structures, la carence étatique est-elle avérée en matière de guerre économique.

C’est la conséquence du profond déficit culturel souligné dans le rapport ci-dessus : nos élites ne sont formées ni à la stratégie ni à ” l’intelligence “. Les corporatismes – en particulier ceux du Quai d’Orsay et de Bercy – ont fait le reste. Heureusement – et la presse n’y est pas pour rien – les idées cheminent. Les entreprises ont, pour la plupart, compris la nouvelle donne tandis que les jeunes cadres sont persuadés qu’il faut adapter leur organisation managériale et adopter de nouveaux comportements pour conquérir des parts de marché. Une ” école de guerre économique ” s’est ouverte à Paris il y a deux ans et fonctionne avec un succès croissant . Nous sommes donc capables d’évoluer. L’exemple américain peut nous fournir des indications précieuses. Vers la fin des années 70, les États-Unis se découvrirent envahis par l’automobile et l’informatique japonaises que personne n’avait vu venir. Le Président Bush commanda à la CIA le fameux rapport Japan 2000, partiellement publié, qui mit en exergue certaines carences du renseignement fédéral, obnubilé par le danger soviétique, et des entreprises américaines orientées vers le marché intérieur. Le Président Clinton persuada ces dernières d’entrer dans un jeu de connivence minimum pour améliorer la performance commerciale globale, et réorienta l’appareil d’État vers une aide à la conquête des marchés et à la maîtrise des technologies de pointe : ce fut la création d’un Conseil de sécurité économique et la naissance du concept d’advocacy network (réseau de ” conseil “) sous la férule directe du Vice-président Al Gore, devenu un authentique spécialiste de la guerre économique dont il est explicitement chargé depuis huit ans. Les performances de l’économie américaine témoignent de l’efficacité de ces diverses mesures.

États-unis : des aides camouflées derrière une proclamation libérale

En bref, le Conseil de sécurité économique coordonne les actions des agences fédérales (C.I.A., N.S.A., F.B.I.) et du Département d’État pour détecter la douzaine de technologies nouvelles qui commanderont l’avenir et pour sélectionner les appels d’offre internationaux les plus intéressants. L’advocacy center recueille les besoins en renseignement des entreprises et les leur procure.

L’ensemble du système se charge d’éliminer les obstacles qu’elles rencontrent : pressions politiques directes sur les gouvernements (le Président Clinton a persuadé le roi Fahd d’acheter Boeing plutôt qu’Airbus), conseils amicaux prodigués par le F.M.I. ou la Banque mondiale auprès des pays endettés. L’énorme appareil de la N.S.A., tel le réseau Echelon, capte toutes les informations nécessaires concernant les marchés, les concurrents, les personnages importants… La C.I.A. ou des organismes privés amènent à la raison les récalcitrants par des méthodes adéquates : ce furent l’affaire Bull en Pologne et l’affaire Promis aux États-Unis. De surcroît, un arsenal juridique adapté permet de mener une politique vigoureusement protectionniste : loi d’Amato, loi Helms et Burton, loi Cohen, article Super 301… On multiplie les ” obstacles non tarifaires ” à la pénétration des entreprises étrangères : par exemple, questionnaire obligatoire de soixante mille pages ! Par ailleurs, on commence à s’interroger sur les liens des grands cabinets conseils américains ou même de certaines églises prétendument scientifiques avec l’autorité fédérale… Enfin, des aides camouflées à l’agriculture et très probablement à l’industrie automobile achèvent de dénaturer une économie qui se proclame à grand bruit authentiquement libérale.

Au total tout se passe comme si une analyse globale de la situation avait débouché sur un dispositif systémique de domination de l’économie mondiale, coordonné par l’État et auquel participe une grande majorité des secteurs privés, ce qui est en soi une petite révolution culturelle au pays du cow-boy solitaire. En tout cas les résultats sont là : impôts très bas, chômage en voie de résorption, santé insolente de l’économie nationale et enlisement de l’Europe, légitimement perçue comme adversaire principal.

Réalités françaises : ni l’état, ni les banques ne jouent leurs rôles propres

Les réalités françaises sont quelque peu différentes. Aux carences culturelles évoquées plus haut s’ajoutent l’individualisme des acteurs privés et le poids d’une administration étatique stérilisante, dont les fonctionnaires ignorent pour la plupart les réalités de l’entreprise – c’est le problème de l’ENA (…). Il faut aussi mentionner les défauts d’un système bancaire qui ne joue pas son rôle à force d’avoir développé la culture du parapluie. Nous n’avons pratiquement pas de banques d’affaires à l’allemande qui partagent le risque et le renseignement avec leurs clients. Cette situation devient d’autant plus insupportable que nous disposons d’un formidable potentiel de dynamisme et de créativité. Nos produits de haute technologie en témoignent : Airbus, Ariane, le T.G.V…. La recherche française est de la plus haute qualité : nous sommes les troisièmes producteurs mondiaux d’information scientifique et technique… mais les seizièmes utilisateurs. ! Les informaticiens français sont partout recherchés mais nos jeunes diplômés des grandes écoles s’expatrient. Nous sommes les champions de la grande distribution et nos P.M.E. témoignent d’un dynamisme remarquable à l’exportation. Bref, nous avons un tigre dans notre moteur mais les freins sont bloqués et il n’y a pas de conducteur.

Que faudrait-il faire ? D’abord que l’État joue son rôle qui consiste à créer les conditions générales libérant les énergies individuelles et à coordonner l’action des administrations. Cela passe notamment par une baisse résolue des impôts – on peut toujours rêver – et par la création d’un Conseil national de sécurité économique capable de définir une stratégie globale et d’accompagner des opérations ciblées en partenariat avec les entreprises ; et aussi par la coordination des actions des ministères et services concernés pour maîtriser le cycle de l’information économique utile aux entreprises (cela avait été expressément demandé par le rapport cité plus haut).

Cinq ans après, on a entrepris de réformer le Centre Français du Commerce Extérieur (C.F.C.E.) et d’améliorer le fonctionnement des Agences Régionales pour l’Information Scientifique et Technique (A.R.I.S.T.). Certains ministères comme celui de l’agriculture introduisent officiellement l’intelligence économique comme méthode de travail. Le Président de la République, à l’imitation de Bill Clinton, a entrepris avec succès de promouvoir lui-même les produits français.

Nous savons parfois bloquer des manoeuvres hostiles comme celle de l’accord mutuel sur les investissements (A.M.I.) en 1997. Mais au total, on est loin de la réforme générale et transversale qui s’impose dans une administration d’État trop cloisonnée. Il faudrait aussi que les acteurs de terrain, groupes et entreprises, placent résolument la maîtrise de l’information ouverte (80 % du total) au centre de leur système de management. Cela suppose, en particulier, le partage de l’information en interne et avec les partenaires extérieurs.

Pour ne pas vouloir le comprendre, nos groupes industriels de l’armement et beaucoup de nos P.M.E. perdent trop de marchés. Notre individualisme n’est plus adapté à la guerre économique que l’on ne peut gagner qu’en équipe. Il faut une révolution des mentalités.

Adopter une nouvelle attitude et de nouvelles organisations

Il s’agit donc d’adopter une nouvelle attitude et de nouvelles organisations face à une économie mondialisée et, de surcroît, gangrenée par l’argent sale (au moins 8 % des capitaux échangés par les réseaux électroniques est d’origine douteuse ; ce chiffre est en expansion régulière).

Par ailleurs, le monde des réseaux exige des structures les plus plates et les plus réactives possible. L’avalanche croissante d’informations, nouvelle matière première de l’activité humaine et enjeu capital, impose des dispositifs d’intelligence économique et d’influence que peu d’entreprises et de chambres de commerce ont adopté.

Il faut enfin une attitude anticipatrice et résolument offensive face à la concurrence. Les Américains ont tracé des pistes. A nous de mettre au point nos propres méthodes. Nous avons tout ce qui est nécessaire, seule manque la volonté d’oser. François Mitterrand, qui maîtrisait son langage, disait :” La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre avec l’Amérique ” .

Ainsi, n’en déplaise à certains cénacles attardés ou manipulés, la guerre économique est-elle bien devenue une réalité mondiale. Le choc des États dépasse le stade de la concurrence pour atteindre celui du conflit. Du reste, nos chefs d’entreprise et la presse ne s’y sont pas trompés.

Malgré le freinage d’une partie de ses élites, la France doit prendre en compte cette réalité nouvelle et adopter au plus vite un grand projet collectif où chacun va jouer son rôle : l’individu, l’entreprise, l’administration. Nous avons tous les atouts nécessaires, mais le temps nous est compté : nos entreprises passent progressivement sous contrôle essentiellement américain, arabe et japonais. En juin 1999, l’Assemblée nationale adoptait un texte reconnaissant que les ” les événements d’Algérie ” intervenus entre 1954 et 1962 constituaient bien une guerre. Il nous a donc fallu quarante-cinq ans pour reconnaître une évidence.

Combien de temps nous faudra-t-il pour admettre que la France est en guerre économique ?




L’affaire Farewell selon le Colonel Patrick Ferrand

Le propre des histoires d’espionnage est souvent d’être racontée par ceux qui en savent le moins. Les archives des services qui traitent ces affaires en professionnels, ne s’ouvrent jamais tout à fait et ne laissent entrevoir que ce qui est possible ou utile.

Ainsi, jusqu’à maintenant, l’Histoire de la Deuxième Guerre Mondiale, pour sa partie française, a été étudiée sans tenir compte des archives (qui viennent de s’ouvrir) des services secrets français qui ont pourtant joué un grand rôle en particulier dans les opérations de déception préparant aux différents débarquements, ou dans la Libération du Pays.

La guerre de l’ombre que ce sont livrés les officiers de renseignement des deux blocs durant la guerre froide fait partie plus ou moins importante , certes, mais partie intégrale de l’histoire de cette période .

Dans cette guerre, l’histoire des “taupes” recrutées par les deux camps au cœur des dispositifs adverses tient une place essentielle qui ne sera sans doute jamais connue dans tous ses détails.

Il convient d’ailleurs maintenant de rétablir un certain équilibre. La force de la propagande soviétique relayée par les “idiots utiles” et les partisans idéologiques faisaient de tous les “occidentaux” recrutés par le KGB, le GRU ou par les réseaux émanant du Komintern des héros positifs, puisque ayant choisi de servir le “camp de la Paix”; ainsi en a-t-il été des 5 de Cambridge (à vérifier?), de l’Orchestre Rouge ou du Réseau Sorge .

Les membres des Services Soviétiques et assimilés qui choisissaient de travailler avec des Services Occidentaux étaient qualifiés, eux, de traîtres, souvent alcooliques, corrompus par l’argent capitaliste, etc. Qu’on se souvienne de l’affaire Kravtchenko ( J’ai choisi la liberté) , du sort réservé au général du GRU Krivitsky, etc.

Et pourtant, ces officiers de renseignement de l’Est qui ont choisi l’Occident, ont joué un grand rôle dans l’histoire du rapport des forces entre les deux blocs, en faveur de la Liberté, de notre Liberté…

Les conditions de manipulation de ces “héros” par les services occidentaux qui les avaient abordés , recrutés, parfois formés, méritent certes de l’intérêt. C’est souvent la partie de l’histoire la plus spectaculaire, celle que l’on présente au public , toujours avide de films d’espionnage et de suspens.

Cette partie est de plus importante, rien que du point de vue du contre espionnage, de la fiabilité de la source et donc des renseignements fournis; l’intoxication des adversaires est une arme à part entière.

Mais le plus important semble être l’aspect global de l’affaire: quelle est la situation internationale au moment où l’affaire se déroule? Comment vont être utilisés les renseignements obtenus ? Quelle est la situation après, ou quels sont les effets obtenus?

Ainsi de Penkovsky, au moment de la crise de Cuba, et de bien d’autres que l’Occident ne saura jamais assez remercier.

Ainsi en particulier de Farewell, dont on a d’autant plus tendance à négliger l’importance qu’il a coopéré avec un service français, la DST; de plus, ceux qui ont écrit sur lui étaient ou mal informés (normal dans ce genre d’investigation) ou mal intentionnés ( normal dans ce genre de guerre de l’information).

On connaît Farewell. De son vrai nom Vladimir Ippolitovitch Vetrov, ingénieur en chef de l’armement (un grade équivalent à celui de colonel); il a été en poste à Paris, où il se montre actif, recrutant des sources et les manipulant le soir ou le week-end en forêt de Fontainebleau; il lui est arrivé une mésaventure qui ne semble pas avoir été connue de sa hiérarchie: il a un accident de voiture, alors qu’il a un peu trop bu; c’est son ami/objectif, cadre de Thomson qui, appelé à l’aide, va faire réparer la voiture et lui permettre de rentrer sans problème; d’où une amitié réelle .

Le service français va tenter une première approche; sans succès. Puis c’est un poste au Canada, d’où il est rappelé avant la fin de son séjour: une indélicatesse connue de ses chefs lui aurait valu ce rappel, et sans doute la jalousie de quelque pistonné de son service qui pense que le meilleur moyen de prendre ce poste convoité est d’en faire chasser l’occupant; c’est une manœuvre habituelle , sans doute dans tous les services du monde.

Rentré à Moscou, il est affecté à la direction T (renseignement scientifique et technique) de la Première direction générale (PDG) du KGB. Il prépare les dossiers les plus pointus pour les présenter devant les plus hautes autorités afin d’obtenir leur aval pour le déclenchement des opérations de recherche par les postes KGB ou GRU à l’étranger.

A priori , il s’agit d’un poste de confiance, et, dans le système soviétique, le détenteur d’un tel poste n’a plus aucune chance de repartir à l’étranger, ou même de côtoyer des étrangers.

Parce que c’est un bon professionnel, il a constaté les lacunes et les vices du système soviétique; il souhaite améliorer la qualité de son travail et écrit un rapport sur les modifications qui, selon lui, doivent être apportées au système. Ces chefs n’y prêteront pas attention , d’où une certaine frustration.

C’est un bon vivant, qui aime rencontrer ses amis et faire la fête avec eux. Il adore son fils, sa fierté; il aime son pays, comme sans doute seul les Russes peuvent le faire, et cet amour est devenu charnel depuis qu’il a acheté une isba et un lopin de terre. Il admire sa femme, mais là c’est son problème; démon de la cinquantaine ou lassitude, chacun donne des coups de canif au contrat initial; et lui a “dans la peau” une de ses collègues, voisine de bureau.

Il pourrait vivre heureux … Mais rien n’est simple. A-t-il une tendance à boire, comme le laisse penser les commentaires inspirés après coup par les autorités soviétiques; sans doute comme tous les Russes de cette époque, pas plus.

Mais surtout, comme beaucoup de soviétiques ayant vécu à l’étranger, il a une tendance à la schizophrénie, phénomène étudié par exemple dans le livre “Les hommes doubles” de Dymov ; en Occident, il a vu le niveau de vie, il a apprécié la liberté des conversations grappillées de ci de-là avec des Français; et ici, chez lui à Moscou, avec ses collègues, il est obligé de jouer celui qui n’a rien vu, de dire le contraire de ce qu’il pense profondément. Et la situation internationale en ces années 80 lui donne à penser.

C’est la fin de la crise des SS 20, ces missiles dont la précision et la mobilité (qualités dues à l’apport de l’espionnage technologique) allait donner la supériorité stratégique au Camp de la Paix; “Échec et mat” pensait-on au Kremlin.

Mais cela ne s’est pas passé comme prévu: les Occidentaux, États-unis en tête ont répliqué par le déploiement des Pershings et par celui des missiles de croisière.

Il y a eu des cas de mutinerie sur des navires de la Flotte; il y a l’Afghanistan , la Pologne et ce diable de Pape Polonais qui dit: “N’ayez pas peur”.

Là où il est, il ressent parfaitement l’ambiance de guerre qui envahit la population mais surtout la classe dirigeante; il sait que la doctrine soviétique envisage l’emploi normal de l’arme atomique.

Il connaît la capacité de riposte occidentale.

Il comprend, par les papiers qu’il traite, que la nomenklatura essaye de reprendre l’avantage; des joueurs d’échec…Bien sûr, ses doutes et ses angoisses , il ne peut les partager avec personne;

– bien sûr, pour le journaliste russe Sergueï Kostine, ” rien dans le comportement de Vetrov ne permet de le considérer comme un combattant de l’ombre contre le système communiste ou un précurseur de la perestroïka. Cette supposition, qui se présente comme une certitude dans les publications françaises, a fait rire tous ceux qui ont connu Vetrov ” (1).

En 1981, il offre ses services à la DST, franchit l’étape la plus difficile rencontrée par tous les candidats à la défection: éviter de se faire repérer par le contre espionnage soviétique qui peut posséder des agents au sein des services occidentaux, et trouver rapidement le bon canal pour trouver la liaison et l’oreille du service auquel il va proposer sa collaboration.

Alors il va continuer à faire rire tous ceux qui l’ont connu; il va augmenter son côté pochard, et beaucoup viendront “boire avec lui” les innombrables bouteilles que lui procurera son traitant.

Pour lui, il est impératif d’apporter aux pays occidentaux la preuve que leur insouciance sécuritaire permet à l’URSS de piller leurs laboratoires en lui donnant ainsi de forger les armes qui doivent lui donner l’avantage.

Sa haine du système, ses diverses frustrations, son passé lui donnent la possibilité de passer à l’action, de trouver des amis avec qui il peut parler “po doucham” (à cœur ouvert) comme disent les Russes.

C’est un professionnel, il sait comment travaillent ceux qui sont chargés de protéger la sécurité et les secrets soviétiques; il convaincra ses traitants de lui faire confiance; mais il reste lucide: le pire peut arriver: pour lui, la balle dans la nuque; pour ses traitants successifs, ce devrait être l’accident de circulation, l’écrasement par un poids lourd, par un métro. Message qui serait compris par le service intéressé.

Tout cela , approche, semble-t-il, de la vérité.

Dans de telles affaires , bien malin qui peut sonder les reins et les cœurs. Les spécialistes de la DST se posent plus de questions qu’il n’y a de réponses; le doute envahira souvent la réflexion de ses responsables. Mais les documents arrivent, en masse. S’il y a machination, où en est l’intérêt, l’objectif ?

Au cours de l’année suivante, il fournira près de 4.000 documents de toute première importance sur la collecte et l’analyse scientifique et technique par le KGB. 70 % des informations de Farewell concernent les États-unis, parce que c’est ce pays qui a le meilleur potentiel technologique, mais tous les pays occidentaux sont concernés.

Grâce aux milliers de documents fournis par Farewell, ce n’est pas tant l’ampleur du pillage scientifique et technologique soviétique que les gouvernements occidentaux découvrent, que sa planification et son organisation systématiques par la VPK, la Commission de l’industrie militaire. Une collecte faite à la demande : les divers secteurs militaires et industriels faisaient connaître chaque année leurs insuffisances et leurs retards.

À charge pour les agents des services secrets soviétiques infiltrés (2) dans le monde entier de leur fournir les informations technologiques qui leur manquaient. Les économies ainsi réalisées sont méthodiquement chiffrées: 6,5 milliards de francs entre 1976 et 1980. Les bilans de la VPK montrent qu’entre 1979 et 1981, de nombreux systèmes d’armes soviétiques ont bénéficié chaque année de la technologie occidentale.

Vetrov ignore par contre l’identité des agents occidentaux au service des Soviétiques et ne peut qu’aider à en définir les caractéristiques. …

Il fournira par contre l’identité de 222 officiers du KGB de la ligne X sous couverture diplomatique dans l’ensemble des pays du bloc de l’Ouest et 70 agents clandestins de la Direction T.

Ce chiffre a d’ailleurs étonné certains professionnels qui n’ignorent pas le cloisonnement efficace existant entre les différents départements du KGB, mais qui n’ont pas compris qu’au poste où il se trouvait, il n’y avait plus ce cloisonnement, que les documents “Soverchenno sekret” quittaient les coffres forts où ils étaient conservés, pour transiter pendant quelques jours par le bureau de Vetrov qui en faisait profiter son traitant, avant de retourner dans l’espace cloisonné sécurisant.

Mais son apport à la cause du monde libre, et cela on le sait moins, n’a pas consisté qu’en informations d’ordre purement technologique.

En professionnel, il n’aimait pas être orienté sur des sujets qu’il ne dominait pas parfaitement; mais les réponses qu’il apportait dans divers domaines avaient une certaine valeur: l’évolution de la situation en Pologne, des évaluations sur l’implication soviétique dans l’attentat contre le Pape (Gromyko affirmant aux représentants des pays du Pacte que ce problème allait être réglé), etc.

C’est en témoin qu’il a pu raconter la réunion qui a eu lieu à Kaliningrad, en présence de Brejnev, qui tirait les conclusions du lancement de la première navette américaine, avec la participation du fin du fin du complexe militaro- industriel.; le directeur de la séance avait demandé à chacun de répondre en disant la vérité, pour une fois…

A la première question sur le danger représenté par la navette pour la sécurité du pays, la réponse avait été que cette nouvelle menace pouvait être mortelle. A la seconde question sur la capacité du complexe à y faire face, la réponse avait été positive, “mais en arrêtant tous les autres programmes…”.

La conclusion avait été qu’il fallait tout faire pour freiner au maximum l’effort technologique et militaire américain. Comment ? par des offensives de Paix, de désarmement… Cela annonçait la suite.

Mais brusquement, après février 1982, Farewell ne se présente plus aux rendez-vous fixés.

Non que son double jeu ait été découvert par le KGB, mais, comme le découvrira la DST à l’automne seulement (et cela grâce aux Américains), il a été arrêté pour crime de droit commun !

Selon la version officielle, il a tenté de tuer sa maîtresse, qui exerçait sur lui un chantage depuis qu’elle avait trouvé dans son veston des documents dérobés au sein de la centrale soviétique.

Surpris par un milicien, il l’aurait abattu à l’aide d’un couteau de chasse… Sur ce point, courent bien d’autres variantes, invérifiables (la vérité est sans doute dans le dossier de l’enquête du KGB- mais d’après les informations qui en ont filtré (Livre de Kostine d’après un résumé de l’enquête), on comprend que Vetrov, comme tous les prévenus du monde, va balader les enquêteurs, essayer de gagner du temps, de protéger ses traitants auxquels le lie une véritable amitié, peut-être de sauver sa peau).

Jugé et condamné à 12 ans d’emprisonnement, il quitte la prison de Lefortovo pour Irkoutsk, en Sibérie. Sa trahison n’aurait été découverte par le KGB qu’un an plus tard, en avril 1983, après l’expulsion par la France de 47 ” diplomates ” russes choisis parmi les agents de Moscou dénoncés par Vetrov. Selon la coutume, il aurait reçu une balle dans la nuque, dans les couloirs de la prison. Ici aussi, il y a plusieurs variantes.

Comment cette affaire a-t-elle été vécue par les différentes parties?

En France:

Il est indéniable que cette affaire a permis au Président Mitterand, informé depuis sa nomination à l’Élysée du travail de cette taupe au profit de son pays, de marquer un point vis à vis du Président Reagan, lors du sommet d’Ottawa (17-20 juillet). Était ainsi annulé le froid engendré dans les relations entre les deux pays créé par l’entrée de ministres communistes au gouvernement.

Plus tard, on ne sait trop sous quelle influence, certains conseillers du Président auraient commencés à voir dans cette affaire (ou au moins dans l’insistance du patron de la DST à obtenir de nouvelles expulsions sans doute justifiées , mais peu politiques) une machination américaine visant à l’intoxiquer…

On a reproché à la DST d’avoir exagéré l’importance de la manipulation, pour justifier son existence, sérieusement remise en question après mai 1981. La DGSE ne fut mise au courant de l’affaire qu’en 1983 ou 1984; dans ce service certains, sans en rien savoir, n’ont voulu y voir qu’une opération de pénétration des soviétiques.

En tous cas, la DST a dévoilé une partie des agents soviétiques impliqués et a neutralisé le dispositif de recherche de l’URSS. Il en a été ainsi dans les autres pays d’Europe.

Quelle manœuvre d’intoxication, quel grand objectif supérieur auraient pu pousser l’URSS à sacrifier ainsi ses réseaux ?

Les Etats-Unis:

Mais c’est indéniablement le Président Reagan qui va utiliser au mieux cette affaire. Il ne va plus jouer aux échecs, mais impose une partie de poker.

Bien sûr des agents seront arrêtés. Mais il va comprendre que tout cela lui fournit l’information permettant d’asphyxier l’URSS, de la mettre KO debout en la lançant dans une course technologique à l’armement , qu’elle ne pourra pas suivre – ce sera la première version de la Guerre des étoiles, le grand bluff qui a réussi, allant jusqu’à fausser les essais d’interception de missiles pour affoler l’adversaire.

Ce sera toute une grande manip, réussie, tendant à lancer la recherche technologique soviétique sur de fausses pistes…Mais cela dépasse le cadre de notre étude.

Il y a eu des doutes aussi: le dossier Farewell contraignait les Américains à changer les codes de guidage de leurs missiles de croisière que les Soviétiques avaient percés à jour . Ce qui , bien sûr a pu être interprété comme l’un des objectifs de la “manipulation d’intoxication ” qu’auraient pu mener les Soviétiques.

Que penser des nombreuses critiques de l’affaire, mettant en cause la main mise américaine, etc.

Que penser des pages de Gilles Ménage consacrée à cette affaire? Des personnalités proches du pouvoir ont-elles pu réellement se couper ainsi des réalités et du bon sens.

Non, les Américains n’ont pas été impliqués dans la manipulation à Moscou; cela aurait été à l’encontre de la simplicité voulue dans celle-ci.

Oui, ils ont fourni la technologie de l’appareil photo; oui, au début, ils étaient seuls à pouvoir développer; mais le problème a été vite réglé.

Oui encore, une majorité de renseignements concernait les États-unis; on a vu comment la majorité des objectifs soviétiques étaient américains.

A priori, non, ils n’ont pas manigancé cette intoxication en fournissant par un (faux?) colonel du KGB , à Moscou, de fausses informations, de faux documents portant la vraie signature de Brejnev à un amateur français.

Faut-il ajouter que c’est dès cette époque que les Soviétiques recrutaient au sein de la CIA et du FBI des agents efficaces qui ont entre autres permis l’arrestation et l’exécution d’une dizaine d’agents recrutés par les Américains à Moscou.

En URSS:

Il est normal que les responsables du KGB aient voulu expliquer le succès de l’entreprise ou de la traîtrise de Vetrov par l’aide considérable apportée par les Américains à Moscou même; ils ne pouvaient comparer cela qu’aux gros dispositifs qu’ils mettaient en place par exemple à Paris pour couvrir des contacts importants et balader toutes les forces de la DST.

Il est normal qu’ils aient voulu salir sa mémoire. Il est quasi réglementaire qu’il ait été abattu d’une balle dans la tête; c’était la tradition et cela devait servir d’exemple aux éventuels candidats.

Mais on peut affirmer que Vetrov a amené la direction soviétique sur la voie de la perestroïka, à la chute du Mur de Berlin , à la fin de la guerre froide…

Il y a eu un effet Farewell, au sein même des services soviétiques et post soviétiques.

Cette affaire aurait eu un retentissement psychologique considérable sur les membres du KGB. Cela n’a bien sûr pas été un élément fondamental de la Perestroïka, mais elle a révélé le malaise profond et les contradictions qui ont provoqué l’implosion du système.

Cette affaire, et la façon dont Vetrov a fait face aux interrogatoires, a eu un effet corrosif sur la façade du KGB.

Des officiers ont admiré en secret son courage et sa détermination à lutter contre le népotisme.

En 1988, le mécontentement a commencé à se manifester ouvertement, avec un premier incident lors de l’ouverture de la réunion qui devait élire le Bureau du 1er Directorat.

Trois brillants officiers traitants ont contesté la présence sur l’estrade, à côté du général Bobkov, alors vice-président du service, d’un ” pistonné “, ancien du directorat, où il n’avait jamais brillé ni par sa compétence, ni par son efficacité.

Prise au dépourvu, la direction n’avait pu que battre en retraite.

La brèche ainsi ouverte n’a cessé de s’élargir tandis que le régime se délitait, pour aboutir l’année suivante à la signature, par plus de 200 officiers du KGB de Sverdlovsk, d’une lettre ouverte à leur direction.

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Alors, l’affaire Farewell a-t-elle été l’une des plus grandes affaires d’espionnage du XXe siècle, comme l’aurait affirmé le Président Reagan; a-t-elle été une grange manipulation, menée par les Soviétiques, les Américains ?

Un jour, on saura, et on s’étonnera de la simplicité de toute cette affaire très humaine: bon sens, patriotisme, amitié. Et il faudra rendre hommage à Vladimir Ippolitovitch Vetrov du rôle qu’il a accepté de jouer, quelques soient ses véritables motivations, et qui a contribué à l’évolution du monde.




La fin d’un monde un nouvel ordre international ou le chaos- Expose du General de Marolles (1994)

LA SITUATION PRESENTE : LA FIN D’UN MONDE

Si. nous faisons effort pour nous remémorer un passé que je situerais en 1989, lors de la chute du mur de Berlin, il y a cinq ans, nous ne pouvons que constater que nous avons vécu une suite ininterrompue d’événements d’importance majeure qui ont bouleversé notre univers politique, économique, social, culturel, voire mental.

En effet, en 1989 s’est produit l’effondrement du régime communiste, ramenant dans notre monde plus d’un milliard et demi de personnes qui en vivait jusque là séparé.

Ce fut le signal de l’éclatement de ce qu’était l’U.R.S.S. en 15 entités différentes. C’est l’unification de l’Allemagne qui redevient la première puissance européenne, effaçant en partie les inconvénients de la défaite de 1944. C’est l’éclatement de la fédération yougoslave avec le début de la guerre civile en Bosnie, avec la menace que ces guerres civiles se multiplient dans tout ce qui a été l’Est.

Nous avons vécu en direct et presque en temps réel, grâce à la télévision, la guerre du Golfe qui a bouleversé les données de la situation stratégique et politique du Moyen-Orient et qui a permis l’événement majeur que nous constatons aujourd’hui, c’est-à-dire, la tentative de rapprochement et de cohabitation entre Israël et les Palestiniens.

Nous assistons aussi quotidiennement à la guerre larvée que mène l’Islamisme contre les régimes qui se sont formés à notre contact et qui ont essayé dans le monde arabe, arabo- musulman, une montée de sociétés modernes. Elles se trouvent particulièrement menacées et demain poseront un problème au sud de la Méditerranée aux nations de l’Europe.

Nous avons été les témoins de la faillite de la transposition de notre modèle de société en Afrique Noire, faillite totale, politique, économique, sociale et culturelle, au travers de la famine et du développement de la guerre civile. Rien ne se fera plus dans ce monde qui est retourné au tribalisme, sans une autre vision de l’Afrique. Espérons que l’expérience qui se mène en Afrique du Sud, tout en restant sceptiques, prendra bonne tournure. Ce serait la seule chance présente de voir l’Afrique échapper au chaos total.

Enfin, pendant le même temps, nous avons découvert que se développait sur le continent asiatique un monde nouveau qui risque de devenir dangereux pour notre propre modèle de développement.

Nous sommes nous-mêmes pris par les turbulences d’une dynamique que nous avons pourtant contribué à créer. C’est celle d’une économie basée sur la productivité et la mondialisation ainsi que sur la technologie. Elle fonctionne comme une formidable machine d’exclusion menaçant notre modèle de civilisation et nos sociétés. Ceci nous indique que nous avons vraiment vécu la fin d’un monde et que notre univers, politique, économique, social et culturel est profondément bouleversé.

LES CARACTERISTIQUES DU NOUVEAU MONDE

La première réflexion que nous pouvons nous faire c’est que nous avons quitté le monde de la mécanique causale, celui qui relie directement la cause à l’effet, pour rentrer dans un monde qui est le monde de la complexité.

Si un problème naît quelque part, dans le domaine politique ou économique ou social ou militaire ou stratégique ou culturel, il s’étend rapidement aux autres facteurs d’évolution et aux autres domaines qui s’imbriquent les uns avec les autres, s’enchevêtrent et sont souvent interactifs.

Ce que doivent apprendre les responsables, c’est à comprendre les complexités, à les dominer et à les maîtriser et c’est la raison pour laquelle, je crois, que ce qui est le plus important c’est d’avoir cette capacité d’analyse qui donne l’intelligence des choses. Elle n’est possible que par une approche systématique.

Je crois que là est la première réflexion. Dans ces mondes complexes, il n’est pas possible de gouverner à vue. Il faut gouverner avec des outils modernes seuls capables de permettre de comprendre et de gérer des situations complexes.

Aujourd’hui me semble-t-il, aucune analyse, encore moins aucune conclusion ne peut être prise sans une analyse globale et sans une vision planétaire qui englobe d’une façon synoptique tous les facteurs qui s’enchevêtrent.

Et si nous voulons comprendre ce monde moderne et la conjoncture à laquelle nous sommes confrontés, c’est-à-dire l’événement du moment et le début d’un autre univers dont nous ne savons pas encore s’il donnera naissance à un nouvel ordre international ou bien s’il débouchera sur le chaos comme le prétend Alain Minc.

Je vous proposerai une autre option à laquelle je crois et que nous aurons l’occasion de développer, cela serait plutôt à un retour des Empires. L’espace communiste et plus particulièrement la zone d’influence de la Russie devrait retrouver son calme par un retour de l’empire russe. Le monde troublé Arabo-islamique devrait donner naissance à un ou deux empires islamiques situés entre l’océan atlantique et l’océan indien. Trouveront-ils leur centre à Téhéran ou à Ankara, nous ne pouvons pas encore le prévoir, mais c’est entre ces deux capitales que se disputera cette position. En Asie, il est bien clair que le Japon a refait, avec sa sphère de prospérité, un empire qui ne porte pas ce nom. Près de 400 millions d’hommes vivent dans le système économique japonais. La Chine redevenant la Chine, constituera un autre empire. Le monde indien aussi. Quant aux Etats-Unis, ils ont la vocation d’un empire sans frontières.

Je crois donc que c’est plutôt vers cette troisième solution que nous allons ? un ordre mondial s’articulant autour de ces empires plutôt qu’un ordre mondial uni.