1981 : le 26eme Congrès du parti communiste et les événements de Pologne par Michel Garder

Au lendemain du 26e Congrès du Parti Communiste de l’Union Soviétique qui s’est tenu du 23 février au 3 mars 1981, nous avons pu, au travers des discours des principaux dirigeants soviétiques ou satellites, discerner les grandes lignes du nouveau plan stratégique du Kremlin. Ce plan qui comportait une modification majeure par rapport à celui qui était en vigueur depuis le 25e Congrès de 1976, pouvait se résumer ainsi :

Sur le théâtre extérieur :

Report de l’effort principal de l’Afrique sur l’Asie : Golfe Persique et Chine, celle-ci étant nommément désignée comme ennemie. Les objectifs principaux de cet effort principal semblaient devoir être les suivants :

– renforcement de la présence soviétique dans la zone du Golfe : Afghanistan et, si possible, en Iran et au Pakistan ;

– isolement de la Chine en la dissociant du Japon et des Occidentaux, soit encerclement en s’appuyant sur l’Inde et surtout le Vietnam, et si possible une révolution à Pékin.

Face aux Occidentaux on multiplierait les offensives de paix compor­tant au besoin quelques concessions apparentes et visant à les couper totalement de la Chine, à amadouer les Américains, à dissocier ceux-ci des Européens et à jouer sur les contradictions entre ces derniers, la France étant choisie comme le « maillon » important du dispositif.

Enfin en Afrique on se contenterait de maintenir les positions acquises tout en diminuant nettement l’effort.

Sur le théâtre intérieur :

Aucun changement. Autrement dit, « poursuite du renforcement de l’Union Soviétique et maintien de la cohésion et de la sécurité du camp socialiste ».

En d’autres termes, l’U.R.S.S. s’efforcerait de poursuivre à la fois le renforcement de son potentiel militaire et le développement de son économie au besoin grâce à l’aide de « l’adversaire capitaliste » (Amérique, Europe, Japon) et veillerait au maintien de l’intégrité et du monolithisme de l’Empire, l’Afghanistan et la Pologne constituant ses deux préoccupations immédiates.

1. UNE STRATEGIE RIGIDE ET UN PLAN CONTESTABLE

Contrairement à une idée fausse partagée par bon nombre de responsables occidentaux, les dirigeants soviétiques sont beaucoup moins opportunistes et pragmatiques qu’il n’y paraît, et leur stratégie totale n’est nullement souple.

Cette erreur d’appréciation provient d’une part de ce que lesdits responsables ne se donnent pas la peine de suivre au jour le jour le jeu stratégique de Moscou, en effectuant au besoin des retours en arrière à des fins de vérification et, d’autre part, du fait qu’au plan tactique les Soviétiques font effectivement preuve d’une certaine souplesse.

En réalité, prisonniers des dogmes au nom desquels ils détiennent le pouvoir, les oligarques soviétiques raisonnent en fonction des schémas établis une fois pour toutes et s’accrochent en ce domaine, comme en celui de l’économie, aux vertus magiques de la planification. Ce détail essentiel du fonctionnement de cet état-major général que représente l’appareil du Comité Central échappe curieusement à la quasi totalité de nos « Kremlinologues »: C’est ainsi que Michel VOSLENS y fait à peine allusion clans sa « Nomnenklatura » et que Mme CARRERE D’ENCAUSSE n’en parle absolument pas dans son excellent ouvrage « Le Pouvoir confisqué ».

La majeure partie des succès soviétiques, sur le théâtre extérieur, son justement dus à cette grave méconnaissance chez leurs adversaires de la véritable nature d’une stratégie par excès de planification, laquelle, Dieu merci, a valu par ailleurs bien des déboires au Kremlin. Il se trouve même que nous sommes probablement à la veille d’une éclatante démonstration de cette dernière affirmation, dans la mesure où les stratèges de Moscou paraissent incapables tant d’en modifier le plan – pourtant contestable – qu’ils mettent actuellement en oeuvre que de résoudre les contradictions existant entre les objectifs des théâtres extérieurs et intérieurs.

En effet, si les stratèges soviétiques avaient été effectivement pragmatique et opportunistes, autrement dit libres de leurs initiatives, ils auraient eu dans la situation actuelle le choix entre deux solutions : soit un rapprochement réel avec les Occidentaux pour se retrouver en position de force vis-à-vis des Asiatiques, soit à l’inverse une franche ouverture en direction de ces derniers.

Dans le premier cas il leur eût suffi de quelques gages : retrait progressif d’Afghanistan et attitude compréhensive en ce qui concerne le règlement de problèmes du Moyen-Orient par exemple, avec, en retour, une aide substantielle à leur économie.

Dans le second cas, la seule restitution des Îles Kouriles au Japon et éventuellement quelques avances à la Chine auraient pu modifier la situation du tout au tout.

Mais une loi non écrite et pourtant formelle interdit aux oligarques soviétiques d’avoir des alliés. Moscou ne peut avoir que des subordonnés ou des ennemis. De là la rigidité de sa stratégie et l’avantage que détient en l’occurrence Pékin qui ne dédaigne aucune alliance contre l’« hégémonisme soviétique ».

C’est également la raison pour laquelle les oligarques moscovites ne peuvent souffrir la moindre incartade de leurs subordonnés et traitent immédiatement en ennemis ceux qui tentent de se libérer de leur férule.

Rien d’étonnant dès lors que le plan stratégique rappelé ci-dessus, plan auquel on s’accroche envers et contre tout à Moscou, soit plus que contestable.

2. UN MOIS ET DEMI DE TÂTONNEMENTS

Dès la fin du Congrès, le Kremlin avait tenté de mener de pair sa grande offensive de paix vis-à-vis de l’Occident et la remise au pas de la Pologne. Convoqués une fois de plus à Moscou, les dirigeants de Varsovie avaient promis de faire leur possible pour « normaliser » la situation dans leur pays. C’était là une promesse purement gratuite car, en réalité, la situation leur échappait totalement et pour obtenir la moindre solution il fallait à Stanislas KANIA et au général JARUSELSKY implorer la bénédiction de l’Eglise et passer par les exigences de « Solidarité ». Pour un régime qui se voulait encore totalitaire c’était un constat de faillite.

Au Kremlin pendant ce temps, on ne pouvait pas croire à la liquéfaction du Parti polonais, et l’on s’accrochait à l’espoir qu’il suffirait aux camarades de Varsovie de faire preuve d’un peu plus d’énergie pour en imposer à la fois à l’Église et aux syndicats autonomes.

Les manoeuvres du Pacte de Varsovie prévues pour la deuxième quinzaine de mars devaient apporter aux « nomenclaturistes » polonais l’appui moral nécessaire à une reprise en main de la population.

Cependant en Pologne, les paysans qui n’avaient toujours pas pu obtenir la reconnaissance de leur propre syndicat autonome accentuaient leur pression sur les autorités, et à Bygdoszcz leurs représentants s’étaient emparés de la préfecture pour une occupation illimitée. Maladresse ou provocation, les autorités locales crurent bon de faire intervenir brutalement la milice. D’où une réponse énergique de « Solidarité » exigeant une enquête officielle et des sanctions contre les responsables locaux. Ce fut le début d’une épreuve de force risquant de tourner à l’avantage des syndicats, ce que Moscou pouvait difficilement tolérer. Du coup les manoeuvres en cours se transformèrent en une mise en place d’un important dispositif opérationnel aux frontières et à l’intérieur même du territoire polonais. On procéda, semble-t-il, à des rappels de réservistes dans les régions militaires de la Baltique, de Biélorussie et des Carpates ; la flotte de la Baltique simulait un blocus des côtes de la Pologne avec exercices de débarquement d’unités blindées et de détachements de fusiliers-marins ; des divisions de l’Allemagne de l’Est s’installaient carrément sur la rive droite de l’Oder et, sous prétexte de manoeuvres, paradaient sur les anciens territoires allemands cédés à la Pologne depuis 1945.

Cependant « Solidarité » lançait le 27 mars une grève d’avertissement de quatre heures, massivement suivie dans tout le pays, et annonçait pour le 31 une grève générale illimitée.

Une intervention des forces armées du Pacte de Varsovie paraissait imminente. Les États-unis et les pays membres de l’Alliance Atlantique crurent bon d’adresser à Moscou d’énergiques mises en garde.

L’offensive de paix soviétique risquait d’être totalement compromise. Réuni à Varsovie le 29 mars 1981, le Plenum du Comité Central du Parti Polonais devait, entre-temps faire l’étalage de ses divisions et de son impuissance.

Sur le conseil de l’épiscopat, Lech WALESA estima bon d’assouplir quelque peu l’attitude de « Solidarité » et de sauver en quelque sorte le pouvoir, grâce à un compromis et à l’annulation de l’ordre de grève. Au même moment, aux États-unis l’attentat contre le président REAGAN captait l’attention de l’opinion publique mondiale et dédramatisait – dans une certaine mesure – les événements de Pologne.

Nous ignorons bien entendu l’effet produit sur l’oligarchie soviétique par l’attentat de Washington, mais il n’est pas exclu que celui-ci ait renforcé la position de ceux qui étaient opposés à une intervention en Pologne Il n’est pas exclu, en particulier, que l’argument selon lequel les Américains auraient pu trouver un lien entre les deux événements ait été invoqué à cette occasion.

Toutefois, du jour au lendemain, la propagande soviétique allait changer de thèmes et englober dans ses anathèmes les forces anti-socialistes polonaises et le laxisme des dirigeants de Varsovie.

Les manoeuvres se poursuivant, on eut de nouveau l’impression en Occident que l’engrenage fatal s’était remis en route, cela d’autant plus que les dirigeants des pays satellites donnaient de plus en plus de la voix, Allemands de l’Est et Tchécoslovaques étant les plus virulents.

Le point culminant devait être atteint le vendredi 3 avril ; puis le samedi 4 ce fut la surprise de l’annonce de la participation de Leonid BREJNEV au Congrès du Parti Communiste Tchécoslovaque deux jours plus tard.

Dès lors il devenait évident que l’intervention se trouvait remise « sine die », ce que le secrétaire du Parti Communiste Soviétique allait confirmer par son discours de Prague qui contrastait curieusement avec celui du camarade HUSSAK, écrit probablement au moment où celui-ci croyait encore à l’inévitabilité d’une « aide fraternelle à la Pologne ».

En marge de ce Congrès il y eut une mystérieuse entrevue BREJNEV-JALLOD, le second Libyen venant peut-être réclamer de nouvelles armes à son fournisseur soviétique.

Depuis, nous avons assisté à la fin des manoeuvres et, semble-t-il, à la démobilisation des réservistes. Certes le Kremlin allait jouer dans la coulisse un certain rôle dans les événements du Moyen-Orient, coïncidant avec la visite du général HAIG dans cette partie du monde ; toutefois le ton de la propagande moscovite était devenu moins virulent. Il y eut ensuite le Congrès du Parti Est-Allemand au cours duquel l’irascible SOUSLOV, « missus dominicus » au Kremlin, se montra moins en verve que d’habitude, cependant que le repré­sentant du Parti Communiste Français se permit de condamner l’éventualité d’une intervention soviétique en Pologne. Il fallait attendre l’avant-veille de Pâques pour que de nouvelles concessions de l’oligarchie polonaise vinssent rappeler au reste de l’Empire Soviétique qu’il n’y avait pas lieu de trop compter sur le Parti ouvrier unifié polonais pour résoudre lui-même ses problèmes.

3. UNE SITUATION INTOLÉRABLE POUR LE KREMLIN

Il est vrai qu’en ce jour de Vendredi-Saint on devait apprendre coup sur coup que les autorités de Varsovie avaient accepté d’enregistrer avant le 10 mai un syndicat autonome rural et pris bonne note des revendications formulées à Torun par un vaste forum de contestataires de la base du Parti. Ces deux faits dépassaient largement en importance tous les événements précédents. D’une part le Parti reconnaissait à trois millions et demi de petits propriétaires (de koulaks, selon le jargon soviétique) le droit de se grouper en un syndicat et de partager avec les dix millions d’ouvriers et employés le beau titre de « Solidarité ». Ainsi toute la population active du pays, ne reconnaissant au fond que la seule autorité de l’Église, tendait à se dresser face à une poignée d’« apparatchiks », lesquels d’autre part se voyaient contestés par leur propre base et acceptaient humblement cette contestation.

Devant l’énormité de ces deux événements, le Kremlin surpris une fois de plus, est demeuré pratiquement sans réaction. L’agence Tass s’est contentée de citer sans commentaire des extraits de l’agence de presse polonaise annonçant la reconnaissance du syndicat rural. De son côté, un des stratèges du Kremlin, M. ZAMIATINE, Chef du département d’information internationale du Comité Central du Parti Communiste Soviétique, devait reprendre tous les thèmes officiels de la propagande en vigueur depuis la reculade du 4 avril : ingérences occidentales, forces anti-socialistes manipulées par le « Comité de Défense antisociale » (K.O.R.), et réitérer la confiance de son Parti aux dirigeants polonais. En revanche à Prague on s’est montré moins confiant vis-à-vis de ces derniers en les accusant d’avoir « cédé une nouvelle fois à la pression politique de « Solidarité ».

De toutes façons, il est évident que la situation est devenue franchement intolérable pour le Kremlin et qu’au sein de l’oligarchie, comme à la veille de l’intervention en Tchécoslovaquie, partisans de « l’aide fraternelle à la Pologne » et tenants d’une hypothétique solution polonaise s’affrontent durement.

4. PERSPECTIVES D’AVENIR

« L’observateur étranger — écrit l’éditorialiste du Monde des 19 et 20 avril 1981 – doit se borner à « toucher du bois » sans formuler de pronostics qui, au-delà d’un certain point pourraient porter le mauvais sort ». Après quoi il conclut assez justement : « En réalité, le Kremlin hésite entre deux risques également catastrophiques : celui d’une contagion non endiguée qui mettrait à bas son système de domination, et celui d’une intervention qui l’obligerait à livrer une coûteuse guerre en Europe, à sacrifier toute son offensive diplomatique en direction de l’Occident et à assurer seul la charge de 36 millions de Polonais aussi affamés qu’indisciplinés ».

Il nous semble, quant à nous, qu’aux deux hypothèses du dilemme posé par Le Monde, il conviendrait d’en ajouter une troisième : celle d’une révolution de palais au Kremlin.

Ceci dit, nous allons tenter d’examiner tour à tour ces trois hypothèses dont pour le moment il paraît difficile d’établir l’ordre de probabilité.

La première hypothèse H-1, celle de la « contagion non endiguée » est peut-être la moins probable, mais après les deux reculades du Kremlin, en décembre 1980 et début avril 1981, elle ne peut être exclue « a priori ».

En effet, la centaine de vieillards qui constitue l’échelon de décision de l’oligarchie soviétique, c’est-à-dire le Bureau Politique, le Secrétariat, les chefs de département et leurs adjoints, doit certainement comporter une solide majorité d’anti-interventionnistes, ce qui explique les reculades mentionnées plus haut. Il y a bientôt treize ans, à quelques unités près, les mêmes ont hésité longuement avant d’intervenir en Tchécoslovaquie. D’après ce que nous croyons savoir, la décision a été prise à 51 voix contre 49.

Or les situations ne sont pas comparables. Tout d’abord la Pologne est un morceau beaucoup plus dur que la Tchécoslovaquie. Ensuite, en 1968 les États-unis se trouvaient en pleine campagne présidentielle avec à leur tête un président, Lyndon B. JOHNSON, qui terminait son mandat sans aucune ambition. De nos jours, le Kremlin a été averti qu’une intervention en Pologne provoquerait des réactions sérieuses de la part de l’administration REAGAN, et celle-ci pourrait ne pas se limiter à des sanctions économiques. Or il est certain que les États-unis, actuellement en pleine résurrection, impressionnent fortement le Kremlin. De plus, l’U.R.S.S. ressent sur ses arrières le poids du binôme sino-nippon auquel l’oligarchie a tendance à prêter des intentions agressives. Enfin il y a, qu’on le veuille ou non, l’enlisement en AFghanistan.

La deuxième hypothèse H-2, autrement dit celle de l’intervention, paraît a priori difficilement évitable. Ceci dit, il n’est pas aisé d’en imaginer les différents scénarios, car celui de la Tchécoslovaquie en 1968 ne convient pas et celui de l’Afghanistan ne devrait pas convenir. En dehors de la formule du journal Le Monde énoncée ci-dessus, il s’agirait d’un bain de sang totalement improductif, lequel pourrait fort bien ne pas se limiter au territoire polonais. Rien ne dit en effet qu’engagée en Pologne l’U.R.S.S. ne soit entraînée à élargir son action à la Yougoslavie pour tenter par la même occasion de mettre un terme au scandale des Balkans. Enfin la tentation de profiter des circonstances pour s’emparer dans la foulée de l’Europe Occidentale – avant que les États-unis n’aient reconquis leur supériorité militaire sur l’U.R.S.S. et redonné un souffle nouveau à l’Alliance Atlantique – est également à prendre en considération.

Les inconvénients de H-1, catastrophiques à plus ou moins long terme, et les perspectives peut-être apocalyptiques de H-2 rendent finalement fort probable l’hypothèse H-3, c’est-à-dire une révolution de palais au Kremlin, soit anticipant sur H-2, soit consécutivement à celle-ci.

Cette révolution pourrait comporter trois variantes principales :

– H-31. La révolution de palais serait l’œuvre d’une conjuration grou­pant de jeunes « apparatchiks » bien placés dans les rouages du Comité Central et de « jeunes loups » du K.G.B.

– H-32. La conjuration serait l’oeuvre d’une combinaison de « jeunes apparatchiks » et de « jeunes officiers brevetés » (,généraux et colonels de l’EMG et de la Région Militaire de Moscou).

– H-33. Il s’agirait tout simplement d’un putsch militaire fomenté par les officiers mentionnés dans H-32.

Dans ces trois variantes le but des conjurés serait de mettre fin au totalitarisme lénino-marxiste et d’instaurer un régime autoritaire susceptible de faire revenir une Russie nouvelle dans le concert des nations.

Le plus gros risque que comporterait cette hypothèse – et plus spécialement sa variante H-33 – serait celui d’une cassure au sein des forces armées débouchant sur une guerre civile à l’échelle de tout l’Empire.

Cette nouvelle hypothèse H-4 pourrait être encore plus catastrophique que H-2 et fait actuellement l’objet d’une étude du C.E.S.T.E.

Nous estimons de notre devoir de la mentionner dès maintenant, car sans être a priori la plus probable, elle nous paraît parfaitement concevable.

En soixante ans de totalitarisme sanglant, le régime bolcheviste a accumulé sur les territoires qu’ils contrôle tant de haines inexpiables qu’une explosion de ce genre ne pourrait être qu’épouvantable et, de plus, devrait avoir des répercussions graves hors des limites de l’Empire Soviétique.

Ajoutons pour finir que compte tenu de l’accélération des événements de Pologne, H-2, H-3, et peut-être même H-4 pourraient fort bien se produire dans un avenir très proche, la période dangereuse étant selon nous l’été de 1981.

TOUT BOUGE A L’EST

ADDITIF à l’exposé de Michel GARDER

Un peu plus d’un mois après le point que nous avons fait à Ramatuelle, l’évolution de la situation mondiale, vue de Moscou s’oriente, semble-t-il, dans la direction de l’hypothèse H3, autrement dit d’une révolution de palais au Kremlin.

En effet, au moment même où une violente campagne de propagande, orchestrée par Moscou et reprise par tous les satellites – y compris la Roumanie – dénonçait le laxisme du Parti polonais et la catastrophe à laquelle ne pouvait qu’aboutir le futur congrès de ce Parti et qu’un dispositif militaire d’invasion était mis en place aux frontières de la Pologne, une volte-face spectaculaire de l’oligarchie soviétique allait infléchir la crise vers un semblant de solution à l’amiable.

C’est ainsi que coup sur coup on allait enregistrer :

– l’annulation « pour des raisons sérieuses » de la session plénière du Comité Central du P.C. soviétique du 26 juin 1981,

– l’annonce quelques jours plus tard de la visite à Varsovie du Ministre des Affaires Étrangères André GRMYKO, d’abord fixée au 1er juillet puis deux fois retardée d’un jour,

– le brusque départ en « vacances » de Leonid BREJNEV, un mois plus tôt que les années précédentes.

Venu finalement à Varsovie le 3 juillet non pas « ès-qualité » mais en tant que membre du Bureau Politique, c’est-à-dire, la plus haute instance du pouvoir soviétique, André GROMYKO a semble-t-il, donné au Parti polonais le feu vert pour le congrès du 14 juillet, congrès dont jusqu’ici on ne voulait à aucun prix à Moscou.

Au même moment, changeant de ton, le roumain CEAUCESCU venait apporter son soutien au Parti polonais.

La presse occidentale concluait, en conséquence, à une détente entre Moscou et Varsovie. Or ladite détente ne fait l’affaire ni d’une partie de la « Nomenklatura » avec à sa tête Michel SOUSLOV, ni des services Spéciaux (K.G.B.) ni, semble-t-il, du haut commandement des Forces armées soviétiques, sans parler de la plupart des dirigeants satellites. Une épreuve de force serait déjà en cours au sein des hautes instances de l’oligarchie du Kremlin et des surprises de taille pourraient ébranler d’ici peu l’atmosphère détendue des vacances estivales.




Conderence du colonel M Garder 1980- des minarets de Kaboul a Gdansk.

L’année 1980 avait débuté dans l’angoisse du fait de l’invasion de l’Afghanistan et s’est achevée dans le soulagement à cause du sursis accordé par le Kremlin à la Pologne. D’ailleurs peu de temps avant Noël, le camarade Boris PONOMAREV, secrétaire du P.C. soviétique chargé de superviser les partis communistes des pays capitalistes, est venu en France nous rassurer sur les intentions de Moscou, et, profitant d’une page du Monde (1), nous vanta les vertus pacificatrices de la stratégie totale soviétique. « Jamais, en aucune circonstance, la politique extérieure soviétique ne vise à torpiller la détente. Cela est entièrement valable quant à l’aide de l’U.R.S.S. à l’Afghanistan. En répondant à la demande du gouvernement afghan, en apportant son aide à ce pays victime de l’agression, l’Union Soviétique a agi en pleine conformité avec la charte de l’O.N.U. On peut donc se demander depuis quand il est admis qu’une agression n’aggrave pas la situation, tandis que la riposte à cette agression l’aggrave ?» (1).

Les agresseurs, en l’occurrence, étaient bien entendu, les Américains qui avaient assisté sans réagir à l’assassinat de leur ambassadeur à Kaboul et qui, par la suite avaient attendu six mois pour tenter vainement une opération aéroportée pour libérer leurs diplomates retenus en otages par les Iraniens !

La vérité historique et les vraies responsabilités étant ainsi rétablies par notre haut dignitaire de la Nomenklatura moscovite, ce dernier nous a invités à méditer une phrase particulièrement profonde de son souverain, le maréchal Leonid BREJNEV, extraite de son immortel ouvrage « Pages d’une vie » : « il est très important que (…) la coopération soviéto-française reste un facteur dynamique et agissant de la détente et de la sécurité dans le monde, que nos pays et peuples se montrent des partenaires liés par la confiance mutuelle » (1).

Quand on se souvient que « la détente » n’est qu’une des formes de la « coexistence pacifique » et que celle-ci veut dire pour le Kremlin « la poursuite de la lutte par tous les moyens, à l’exclusion d’un, recours direct à la force », la phrase du maréchal-président ne prête à aucune équivoque.

La France se trouve impérativement conviée à seconder l’Union Soviétique dans la lutte contre ses propres alliés et cela en vue de « sauver la détente ». C’est d’ailleurs certainement pour « sauver la détente » qu’au même moment armés et conseillés par les Soviétiques, les Libyens du colonel KHADAFI intervenaient de façon décisive au Tchad et qu’en Érythrée les troupes éthiopiennes du grand ami de Moscou, le colonel MENGISTU, réglaient leur compte aux nationalistes locaux en attendant, soit de s’attaquer à la Somalie, coupable d’avoir rompu avec l’U.R.S.S., soit de se lancer en liaison avec la Libye dans d’autres aventures en Afrique où les objectifs à déstabiliser ne manquent pas.

Il serait temps que les responsables occidentaux cessent une fois pour toutes d’utiliser ce mot de « détente » qui pour les Soviétiques s’identifie au conflit mondial qu’ils mènent et qui pour nous devrait uniquement – selon la boutade de feu Alexandre SANGUINETTI – signifier une pièce du fusil.

Cette vérité essentielle étant rappelée, nous constatons une fois de plus qu’à la fin de 1980 c’était encore sur le continent africain que s’exerçait, et cela depuis 1976, l’effort principal de la stratégie totale soviétique. Pendant ce temps face aux deux groupements adverses dont l’oligarchie moscovite voudrait empêcher la réunion définitive, à savoir l’alliance atlantique d’une part et le binôme Chine-Japon d’autre part, on en était toujours au dilemme de l’âne de Buridan.

Il reste à savoir, en ce début de 1981, s’il en sera de même au cours d’une année qui nous paraît, quant à nous, peut-être encore plus menaçante que celle que nous venons d’enterrer.

L’INTERACTION DES DEUX THEÂTRES

Certes, il n’est absolument pas question pour nous de jouer, en l’occurrence, les oracles même si connaissant les règles de la stratégie totale soviétique et la façon de raisonner de ceux qui l’élaborent et la mettent en oeuvre, nous persistons à croire que les secrets de l’oligarchie bolcheviste sont loin d’être impénétrables. La stratégie totale soviétique n’étant qu’une application pratique de la dialectique lénino-marxiste, c’est en nous pliant aux règles de cette méthode que nous allons procéder à un examen sommaire de la situation générale, vue du Kremlin, et tenter ensuite d’en déduire les conséquences qui pourraient s’imposer aux responsables moscovites.

A ce propos il est bon de se rappeler que pour ces derniers le conflit en cours comporte deux théâtres d’action, pour ne pas dire de guerre : le théâtre intérieur – c’est-à-dire l’Empire Soviétique lui-même et le théâtre extérieur – autrement dit le reste du monde. Le premier nommé qui englobe l’U.R.S.S., les démocraties populaires attenantes et les bastions isolés (Viet­nam, Éthiopie, Mozambique, Angola, Cuba) est bien entendu le plus important puisqu’il conditionne le maintien au pouvoir de l’oligarchie et le renforce­ment des moyens nécessaires à la conduite des opérations sur le théâtre extérieur.

STALINE l’avait d’ailleurs souligné dans son fameux énoncé des cinq principes conditionnant la victoire dans n’importe quelle guerre en citant en premier « la sécurité des arrières » et ensuite « le moral des populations et de la troupe ».

Cette primauté du théâtre intérieur n’empêche pas que les résultats obtenus sur le théâtre extérieur conditionnent aussi dans une certaine mesure l’évolution de la situation intérieure. C’est ainsi que des succès spectaculaires remportés à l’extérieur renforcent le pouvoir totalitaire et que le maniement adroit du mot détente permet d’obtenir des pays capitalistes la technologie, les fonds ou bien le blé dont l’Empire a un besoin vital. Il faut ajouter à cela que jusque-là « l’Adversaire Capitaliste » – sauf peut-être dans une certaine mesure l’administration NIXON de 1969 à 1973 – s’est montré idéalement compréhensif facilitant au maximum le jeu de la stratégie totale soviétique et l’interaction des deux théâtres.

A l’intérieur l’oligarchie pouvait faire emprisonner et déporter des millions d’individus sans se faire taxer de totalitaire. Tout au plus quelques téméraires la mettaient sur le même pied que de minables dictatures sud-américaines. Alors que le Kremlin disposait dans la plupart des pays capitalistes d’organisations officielles politiques et syndicales quasi totalement intégrées au jeu de sa stratégie totale, les Occidentaux se voyaient accusés d’entretenir la subversion dans l’Empire Soviétique par l’intermédiaire de dissidents sans aucun lien avec leurs services spéciaux.

Ainsi le pouvoir totalitaire faisait-il coup double d’une part en déconsidérant sur le théâtre intérieur les dissidents grâce à l’étiquette infamante d’agents de l’étranger et en jouant sur le théâtre extérieur sur le complexe de culpabilité des hommes d’État occidentaux soucieux d’éviter toute ingérence dans les affaires intérieures de l’U.R.S.S. Certes, le président CARTER a eu parfois quelques velléités de condamner publiquement les atteintes aux droits de l’homme dans les pays de l’Est, mais même après sa vive réaction dans l’affaire afghane, on ne peut pas parler d’une véritable manœuvre acculant les stratèges du Kremlin à la défensive. Le boycott des Jeux Olympiques, non appliqué par une partie des alliés des États-unis, et l’embargo sur les céréales – tourné par Moscou avec la complicité cupide de certains États capitalistes – devaient marquer les limites de la contre-offensive américaine.

Avec des « arrières sûrs » et une propagande sans faiblesse se substituant au « moral des populations et de la troupe », la stratégie totale moscovite pouvait intensifier ses actions sur le théâtre extérieur, et cela en dépit de la mésaventure afghane.

Les événements de Pologne et la victoire électorale de Ronald REAGAN aux États-unis allaient, en fin d’année 1980, modifier les données du problème en affectant à la fois le théâtre intérieur et le théâtre extérieur.

DES MINARETS DE KABOUL AU CALCAIRE DE GDANSK

Contrairement à une idée fausse quasi généralement admise en Occident, l’affaire afghane, vue de Moscou, relevait du théâtre intérieur et, d’ailleurs, l’opération militaire, lancée sur Kaboul en décembre 1979, était calquée sur le modèle tchécoslovaque de 1968. Aussi le fait même que plus d’un an après un pays intégré à l’Empire se trouve encore en rébellion contre celui-ci constitue un échec grave pour l’oligarchie moscovite. Que des Kremlinologues occidentaux soient parvenus finalement à des conclusions différentes en estimant que l’U.R.S.S. avait gagné en Afghanistan ne change rien à une réalité fort différente. Sans la moindre intervention des Occidentaux, la majeure partie de la population d’une colonie asiatique de l’U.R.S.S. en voie d’intégration refuse, au nom de sa foi en Dieu, le pouvoir totalitaire lénino-marxiste. Il avait fallu naguère douze années pour imposer ce pouvoir aux Turkmènes, aux Ouzbeks, aux Tadjiks et autres Kazakhs qui avaient fait partie de l’Empire russe avant la révolution de 1917 ; il est difficile de dire combien de temps durera la guerre coloniale d’Afghanistan, laquelle n’en est encore qu’à ses débuts.

De plus, entre 1922 et 1934, l’armée rouge des ouvriers et paysans, tel était le nom officiel à l’époque de ce qui n’est plus depuis 1946 que l’armée soviétique, représentait encore l’espoir d’un renouveau de la société humaine. Désormais il en va tout autrement et les Afghans montrent à la face du monde qu’ils ne veulent pas de la pseudo-religion lénino-marxiste imposée de force par les « chouravis » (2).

Toutefois ce refus du totalitarisme idolocratique par un ensemble de tribus musulmanes constituant à peine une nation, est beaucoup moins grave pour le Kremlin que le rejet de ce totalitarisme par la nation polonaise à l’issue d’une résurrection quasi miraculeuse à laquelle nous venons d’assister entre juillet et décembre 1980. Dans ce dernier cas il ne s’agissait pas – contrairement aux mensonges de la propagande soviétique, d’une tentative contre-révo­lutionnaire, mais bien d’une révolution au sens réel du terme – autrement dit d’une conversion de 180° débouchant sur l’émergence d’une société civile nouvelle, laquelle, sous le beau nom de solidarité, remettait totalement en cause le totalitarisme moscovite et son succédané polonais.

A l’ancien duopole Parti-Eglise, se substituait le binôme Solidarité + Église qui réduisait à un rôle de plus en plus honorifique un Parti vidé de sa substance et confiné dans des tâches administratives.

C’était, à un an de distance, la conséquence en quelque sorte de l’aventure afghane. Fin décembre 1979, du haut des minarets de Kaboul, des muezzins afghans avaient lancé le « Allah Akbar » (3)invitant les fidèles à la guerre sainte. Le 16 décembre 1980, un million de Polonais massés face aux Trois ancres crucifiées sur le calvaire de Gdansk leur faisaient écho en alternant l’hymne à la Vierge Marie, « Reine de Pologne » et le chant national.

Ce cri de guerre et ces hymnes interpellaient les oligarques moscovites en leur rappelant les limites et la fragilité de leur pouvoir. Cependant si à la rigueur en Afghanistan ils pouvaient encore espérer, selon nous à tort, que le temps devrait travailler en leur faveur, en Pologne ils se trouvaient subitement confrontés à un dilemme dramatique. Demeurer passif signifiait immanquablement pour le pouvoir totalitaire le début de la fin ; intervenir militaire­ment en Pologne risquait de déboucher sur une aventure aux conséquences incalculables.

Or ce dilemme coïncidait avec l’arrivée au pouvoir aux États-unis d’une administration décidée à redonner à Washington les moyens d’imposer au monde la « Pax Americana » que le Président NIXON avait failli réaliser en 1973 avant de disparaître dans la trappe de l’histoire en 1974.

Aussi au Kremlin l’année nouvelle a-t-elle débuté bien moins glorieusement que la précédente.

LES PERSPECTIVES D’UNE REPRISE DE L’INITIATIVE PAR LES ÉTATS-UNIS

A en croire bon nombre de spécialistes français des relations internationales « on ne serait nullement fâché au Kremlin d’avoir désormais à Washington des interlocuteurs durs en affaires mais sérieux ». Si tel est effectivement le cas, ce dont nous doutons fort, les stratèges moscovites ne manqueront pas de déchanter très vite. Nous avons d’ailleurs eu l’occasion dans le numéro précédent d’ÉSOPE d’exposer nos prévisions quant aux grandes lignes de la politique étrangère, pour ne pas dire de la stratégie totale, de l’administration REAGAN. Des contacts récents avec des personnes très proches de cette administration nous ont permis de vérifier et de confirmer nos hypothèses.

La nouvelle stratégie totale américaine visera en particulier à reprendre l’initiative partout en Europe, en Asie, au Moyen-Orient, en Afrique et en Amérique Latine. C’est ainsi, en particulier, que le Kremlin serait fermement averti que les États-unis ne pourraient pas demeurer passifs devant un coup de force en Pologne, que les liens américano-pakistanais étant renforcés la résistance afghane pourrait bénéficier d’une aide militaire, financière et technique importante tant américaine, qu’égyptienne ou chinoise, que dans le Golfe Persique la situation pourrait se modifier et que l’aventure africaine de l’U.R.S.S., même par Libyens et Cubains interposés, pourrait s’achever sur un fiasco.

Bien sûr, dans le cas de la Pologne, Moscou pourrait passer outre, mais à quel prix ? Même si les Occidentaux ne voudraient pas « mourir pour Gdansk », une administration américaine décidée et sûre d’elle-même, pourrait, en reprenant en main tous ses alliés, imposer à l’U.R.S.S. des sanctions économiques autrement graves que celles prises par le président CARTER en 1980. De plus, et contrairement aux Hongrois et aux Tchèques, les Polonais, y compris ceux des forces armées, ne manqueront pas de se défendre avec acharnement et, après avoir perdu la première manche, de résister plus ou moins passivement aux occupants soviétiques. Enfin, il y a de très fortes chances que dans une telle éventualité l’Union Soviétique sera forcée d’étendre sa manoeuvre aux Balkans afin d’y mettre un terme à la semi indépendance de la Roumanie, de la Yougoslavie et de l’Albanie. Ce serait alors le début d’un engrenage pouvant en fin de compte déboucher sur la guerre générale.

En ce qui concerne l’Asie du Sud, il nous paraît évident que la nouvelle administration américaine s’efforcera de rectifier les erreurs de la précédente en renouant des relations plus confiantes avec le Pakistan et en prenant ouvertement à son compte le soutien à la résistance afghane. Dès lors la guerre coloniale d’Afghanistan pourrait prendre une tournure nouvelle, le Haut Commandement soviétique se voyant contraint d’envoyer de plus en plus de troupes et de s’adapter à un ennemi équipé de moyens modernes anti-chars et anti-aériens.

Dans la région du Golfe Persique et au Moyen-Orient, nous pourrions assister – à la condition que les États-unis se donnent la peine d’utiliser tous les atouts dont ils disposent dans ce régions – à des changements spectaculaires, en particulier en Iran où le régime actuel n’est certainement pas éternel et en Syrie où la situation intérieure pourrait se dégrader totalement. Toutefois c’est en Afrique que l’on devrait s’attendre à des renversements de situation les plus spectaculaires. Il suffirait pour cela que Washington laisse les mains libres – et en même temps ne ménage pas son aide – aux pays tels que l’Égypte, le Soudan et le Maroc pour mettre un terme aux aventures du colonel KHADAFI, et soutienne en Angola, au Mozambique et, éventuellement, en Érythrée les mouvements de résistance locaux. Si de plus les États-unis coordonnent leurs actions avec celles de la France et de la Grande-Bretagne et trouvent une langue commune avec l’Afrique du Sud, l’épopée africaine de l’U.R.S.S. se trouvera sérieusement compromise.

L’INCONNUE CHINOISE

Dans l’immédiat on s’interroge ici et là sur l’issue de la nouvelle phase de la lutte pour le pouvoir qui doit connaître son dénouement lors d’un prochain congrès du Parti Communiste Chinois. Dans l’ensemble la majorité des observateurs s’accordent pour créditer M. Deng XIAOPING d’une victoire aux points tout en estimant que les tâches qui attendent son équipe dans un proche avenir sont des plus redoutables. Toutefois il nous semble que l’on a tendance, en Occident, à minimiser les risques d’une nouvelle guerre sino­vietnamienne. Celle-ci pourrait même bien éclater avant le congrès du P.C. chinois, ne serait-ce que pour devancer celui du P.C. soviétique en plaçant les stratèges du Kremlin dans une position plus que difficile.

Cependant même si cet affrontement n’a pas lieu dans un avenir immédiat, l’épreuve de force entre la Chine et le Vietnam ne peut manquer de se poursuivre obligeant l’Union Soviétique d’intensifier son aide à Hanoi.

Par ailleurs, comme il faut s’attendre dans cette partie du monde à un renforcement des liens américano-chinois d’une part et sino-nippons d’autre part en vue de s’opposer à « l’hégémonisme soviétique », il en résultera une raison de plus pour que Moscou révise son plan stratégique actuel et reporte sa direction principale d’effort du continent africain sur l’Asie.

LE VINGT-SIXIEME CONGRÈS DU PARTI COMMUNISTE SOVIÉTIQUE

Cette révision pourrait, peut-être, s’effectuer à l’occasion du XXVIe Congrès du Parti Communiste convoqué pour le 23 février 1981. En principe ce Congrès ne devrait pas réserver de grandes surprises au sein de l’oligarchie où un certain équilibre paraît avoir été atteint. Toutefois face aux conséquences sur le théâtre intérieur, des événements de Pologne et d’Afghanistan, les perspectives des rapports avec la nouvelle administration américaine en particulier dans le domaine de l’économie et enfin l’évolution de la situation en Extrême-Orient, il est fort possible que l’équipe de Leonid BREJNEV – autrement dit celle des anciens de Dniepropetrovsk – opte pour une alliance tactique avec la faction des Asiatiques (Kounaev, Aliev, Rachidov). Nous pourrions assister alors à une opération similaire, mais en sens inverse, à celle qui s’est déroulée fins 1975 -début 1976 au moment où sur les instances de Fidel CASTRO un accord s’est réalisé entre l’équipe de BREJNEV – que certains désignent sous le nom de « conservateurs russes » et celle des champions de l’internationalisme prolétarien – en vue d’un effort sur le continent africain. Alors on avait remarqué l’apparition en tenue de maréchal au XXVe Congrès du P.C. soviétique en février 1976 du leader cubain, dont les troupes devaient jouer un rôle de premier plan en Angola, au Mozambique et en Éthiopie. Il n’est pas exclu que cette fois la vedette appartienne aux délégations des Partis frères d’Asie – et en particulier les Partis vietnamien, laotien, cambodgien, indien – et bien entendu afghan.

Toutefois l’évolution de la situation en Pologne pourrait, au cas où le pouvoir lénino-marxiste serait totalement débordé par la société civile, inverser les relations au sein de l’oligarchie et faire apparaître une nouvelle majorité favorable à une riposte brutale au défi de Gdansk.

De toute façon nous pensons que si cette dernière éventualité aux conséquences incalculables ne se produisait pas, le danger d’une explosion générale n’en disparaîtra pas pour autant. Même si l’oligarchie bolcheviste accepte, comme un moindre mal, l’expérience polonaise, il lui faudra faire face à la conjonction de la guerre coloniale d’Afghanistan, de l’évolution de la situation dans le Golfe Persique et de l’antagonisme sino-vietnamien, sans parler de la nécessité de faire revenir l’Inde dans la mouvance soviétique. Et c’est ainsi qu’après avoir révisé sa stratégie totale d’ici le printemps de 1981, l’Union Soviétique pourrait être amenée à se heurter une fois de plus de front avec la Chine et cela à une plus grande échelle qu’en 1969.

SAUVER LA PAIX ?

On ne répétera jamais assez que ce qui est en danger, ce n’est pas une mythique détente mais la paix mondiale et que l’oligarchie moscovite porte en l’occurrence, contrairement aux affirmations de Boris PONOMAREV, « une responsabilité écrasante ». Certes le Kremlin n’est pas à l’origine de phénomènes tels que le régime Khomeyniste en Iran ou bien des rêves de grandeur du colonel KHADAFI, mais il serait intéressant de savoir ce que la diplomatie soviétique a fait pour contrer les aspects dangereux de ceux-ci.

Dans le cas de l’inqualifiable prise en otage des diplomates américains par les « étudiants révolutionnaires » iraniens, Moscou a approuvé au fond cette atteinte au droit international alors qu’il était loisible au président BREJNEV de se ranger, pour une fois, du côté des peuples civilisés. Quant à l’épopée libyenne celle-ci n’a été rendue possible que grâce à l’armement et aux conseillers militaires soviétiques et allemands communistes.

On sait par ailleurs que le K.G.B. contrôle plus ou moins directement le mouvement terroriste international et que la vision conflictionnelle du monde qui caractérise la Nomenklatura moscovite est absolument incomparable avec la notion même de paix. Cette paix, seul un Occident uni, fort, courageux et sans illusion peut l’imposer aux stratèges bolchevistes. Espérons que la nouvelle administration américaine sera en état de réaliser l’unité du camp occidental et que celui-ci, et en particulier l’Europe, saura avoir le sursaut nécessaire pour dissuader l’Empire Soviétique et éviter la catastrophe.




Conference du Colonel Michel Garder et du colonel Lechat chef de cabinet du general Beaufre

Avant d’aborder le thème de son exposé, à savoir « La nécessité d’une dissuasion totale face à une situation mondiale explosive », Michel GARDER présente à l’assistance son ami et collaborateur, le colonel Jacques LECHAT, et donne quelques détails sur son Centre d’Etudes. Ancien chef de cabinet du général BEAUFRE, le colonel (E.R.) LECHAT, breveté de l’enseignement militaire supérieur, a été plusieurs années durant professeur à l’École Supérieure de Guerre où il a dirigé notamment un cours spécial pour officiers étrangers. Depuis son départ à la retraite, il apporte son concours au Centre d’Études de Stratégie Totale, en même temps qu’il anime à la Sorbonne des séminaires consacrés aux problèmes de défense. Organisme privé d’étude et de réflexion, le Centre d’Études de Stratégie Totale poursuit l’oeuvre de l’ancien I.F.D.E.S. du général BEAUFRE. Il groupe un certain nombre d’officiers généraux ou supérieurs en retraite, ainsi que quelques civils particulièrement compétents dans des domaines tels que l’Économie, la Production Industrielle ou le Commerce International.

Le CESTE se trouve en contact avec des organismes étrangers similaires et produit des études qui lui sont commandées par des organismes officiels français, tels le Ministère de la Défense Nationale et le Commissariat à l’Énergie Atomique.

Après cette brève présentation, le conférencier explique son intention de procéder tout d’abord à un survol de la situation mondiale dont la clé se trouve toujours, selon lui, à Moscou ; d’examiner ensuite les hypothèses relatives à l’avenir du régime soviétique, et enfin de présenter à l’assistance les grandes lignes du Concept de Dissuasion Totale élaboré par le CESTE. Il laissera ensuite au colonel LECHAT le soin de développer un des aspects importants de ce concept : celui de la dissuasion par la bataille, grâce à l’emploi de la « Bombe à neutrons » et de donner quelques indications sur les possibilités d’une autre arme nouvelle : la Bombe Gamma. Lui-même reprendra la parole pour, avant de conclure, dire quelques mots à propos de l’inclusion dans une dissuasion totale du facteur population.

L’ÉVOLUTION DE LA SITUATION MONDIALE

Exposé du Colonel GARDER

Se référant à son exposé de mai 1979 à l’occasion du Congrès de Lille, Michel GARDER rappelle les conséquences sur le comportement de l’oligarchie soviétique du rapprochement sino-nippon du 12 août 1978 et de la reconnaissance officielle de la Chine communiste par les Etats-Unis, en décembre 1978. Alors que jusque là les stratèges du Kremlin pouvaient se croire en position de force face à des adversaires désunis et de ce fait facilement maniables – surtout depuis que l’U.R.S.S. avait massivement pris pied sur le continent africain -, la perspective d’une alliance contre l’Empire soviétique entre les Occidentaux et le binôme sino-nippon venait modifier profondément leur vision optimiste de l’avenir. Il s’agissait dans une certaine mesure d’une résurgence au sein de l’oligarchie moscovite du complexe d’encerclement dont la direction bolcheviste avait constamment souffert, de Lénine à Staline. Placée entre deux alliances hostiles dont il s’agissait d’empêcher un rapprochement débouchant sur une véritable coalition, l’U.R.S.S. avait, en bonne logique, le choix entre deux solutions

– soit se rapprocher des États-unis et des Européens occidentaux en jouant – dans la coulisse – de l’argument solidarité des blancs face au « péril jaune » ;

– soit au contraire faire des concessions aux Asiatiques afin de se réconcilier avec la Chine en mettant un terme à la « brouille de famille » d’une part et, d’autre part, de s’attirer les bonnes grâces du Japon en lui restituant les îles Kouriles et en lui concédant des facilités dans le domaine de l’exploi­tation des richesses naturelles de la Sibérie orientale.

Or aucune de ces solutions ne pouvait convenir aux dirigeants soviétiques pour lesquels les puissances étrangères ne sont envisageables que comme « subordonnées » ou comme « ennemies ».

C’est ce qui explique le fait que tout au long de l’année 1979 et des trois trimestres écoulés de 1980, le Kremlin sera, tel l’âne de Buridan, hésitant entre ces deux nécessités vitales et précipitera par-là même l’amorce de coalition redoutée.

Après avoir, fin 1978, donné le feu vert au Vietnam pour envahir le Cambodge, l’U.R.S.S. va d’un seul coup, d’une part renforcer le rapproche­ment sino-nippon et, d’autre part, accélérer la normalisation des relations américano-chinoises.

En mars 1979, surpris par l’attaque chinoise contre le Vietnam, le Haut Commandement soviétique ne sera pas en mesure de voler à temps au secours d’un allié dans le besoin, avec par voie de conséquence une grave perte de face en Asie.

A la suite de cette mésaventure, l’oligarchie moscovite va enfin esquisser un pas en direction des États-unis dont le Président souhaite le règlement des négociations sur la limitation des armements stratégiques (SALT II). Devenus subitement beaucoup plus souples, les négociateurs soviétiques acceptent une partie des desiderata américains, ce qui permet en juin la signature des accords par MM. CARTER et BREJNEV, assortie d’une spectaculaire accolade.

Cependant, cette lune de miel américano-soviétique sera de courte durée. Nombreux sont les spécialistes américains qui considèrent que le traité SALT II constitue un marché de dupes. De plus, la découverte en septembre d’une brigade soviétique stationnée à Cuba empoisonne l’atmosphère. BREJNEV va bien tenter de jeter du lest en promettant le retrait d’une dizaine de milliers d’hommes stationnés en Allemagne de l’Est, mais l’installation au même moment en territoire soviétique de fusées intermédiaires modernes – les SS-20 – braquées sur l’Europe occidentale entraîne une riposte de la part des Alliés.

C’est à la même époque, c’est-à-dire au début de novembre 1979, qu’éclate l’affaire des otages américains de Téhéran, une affaire qui va bouleverser les États-unis et placer la Maison Blanche dans une situation délicate.

L’INVASION DE L’AFGHANISTAN

L’invasion de l’Afghanistan par l’armée soviétique est, en partie – selon Michel GARDER -, la conséquence de l’affaire des otages. En effet, à la Maison Blanche on espérait à l’époque un geste du Kremlin pour obliger le régime islamico-révolutionnaire de Téhéran à libérer les diplomates américains, dans la mesure où l’U.R.S.S. ne pouvait tout de même pas tolérer une telle violation des lois internationales.

Or, au même moment, à Moscou, on tenait manifestement un raisonnement quelque peu différent, basé sur la quasi-inévitabilité d’une intervention militaire américaine en Iran et sur la tentation de plus en plus forte de profiter de celle-ci pour régler une fois pour toutes l’affaire afghane.

Cette affaire afghane remontait à 1975 et en était à sa troisième phase. Elle avait débuté par une révolution fomentée par le KGB en vue de remplacer le roi ZAHER, en voyage à l’étranger, par son cousin DAOUD, un prince « rouge » très soviétophile. Grâce à DAOUD, l’Afghanistan devenait une réplique asiatique de la Finlande, l’U.R.S.S. contrôlant de plus les forces armées et la police afghanes.

Toutefois, trois ans plus tard, en avril 1978, le KGB devait s’apercevoir que son homme de paille s’était laissé acheter par le Chah d’Iran, lequel à l’époque s’efforçait de créer un axe Téhéran-Kaboul-Islamabad-Pékin. Ce fut la brutale révolution du 27 avril 1978. Mais alors que la prudence eût voulu le remplacement du prince DAOUD par un général quelconque, les services spéciaux soviétiques crurent bon de le remplacer par TARAKI, un communiste athée ne représentant qu’une des faction du minuscule P.C. afghan.

A partir de cette erreur grave commence l’engrenage d’une résistance d’abord larvée, puis de plus en plus affirmée. Les soviétiques en sont réduits à décupler les effectifs de leurs conseillers militaires, cependant que le flot croissant des déserteurs de l’armée afghane va grossir les rangs de la Résistance.

Pour tout observateur sérieux il était dès lors évident que tôt ou tard l’U.R.S.S. serait contrainte d’intervenir massivement à l’appui du gouvernement communiste fantoche imposé à Kaboul par le KGB.

La troisième phase va débuter en octobre 1979 avec l’assassinat de TARAKI par son second AMIN, à l’issue d’un conseil des ministres tumultueux. Une fois de plus, les soviétiques surpris ne réagissent pas et le Kremlin reconnaît le « camarade » AMIN. Néanmoins, le processus de désagrégation de l’armée afghane s’accélère, cependant que l’équipe d’AMIN tente de consolider son pouvoir par une répression sanglante. L’oligarchie moscovite paraît divisée sur l’attitude à adopter vis-à-vis de cette équipe, lorsque l’affaire des otages américains de Téhéran va précipiter les événements.

UNE OPÉRATION MONTÉE EN DÉPIT DU BON SENS…

Contrairement à ce que l’on pouvait croire à l’époque, l’opération visant à reprendre en main l’Afghanistan a été montée en dépit du bon sens, ce qui explique les résultats discutables obtenus par les soviétiques en neuf mois de présence dans ce malheureux pays.

Au départ, les responsables soviétiques ont dû s’inspirer du précédent tchécoslovaque de 1968. A l’époque, leurs parachutistes avaient capturé sans coup férir tous les dirigeants tchécoslovaques cependant que les troupes du Pacte de Varsovie avaient occupé le pays sans rencontrer de véritable résistance.

Lancée sur Kaboul, une division aéroportée devait procéder en douceur au remplacement d’AMIN par Babrak KARMAL. Cette substitution exécutée, le nouvel « homme fort » du système devait manifester à la fois son attachement à la religion musulmane et un certain libéralisme politique. Or, par un curieux concours de circonstances rien, en dehors de la liquidation physique du « camarade » AMIN censé avoir appelé à son aide l’armée soviétique, ne devait fonctionner conformément au plan.

A l’inverse des tchèques, les soldats afghans se crurent autorisés à utiliser leurs armes contre les « libérateurs » soviétiques, se permettant même de tuer le général-lieutenant PAPOUTINE qui dirigeait l’opération. Surpris, les aéroportés soviétiques durent se battre pour de bon, subir eux-mêmes des pertes et, après avoir remporté une victoire à la Pyrrhus au Palais Gouvernemental, désarmer par la force une partie de la garnison de Kaboul.

Installé à la sauvette, le nouveau dictateur « musulman et libéral » allait de son côté commettre un impair de taille en oubliant de se déchausser dans la mosquée où il avait cru bon de se rendre pour une « action de grâce » publique.

Pendant ce temps, parties d’une région militaire secondaire, celle de l’Asie Centrale, six divisions de fusiliers mécanisées de « deuxième catégorie » venaient parachever les effets de l’opération « en douceur » des aéroportés. Bien que couvrant une des frontières de l’Union, la R.M. d’Asie Centrale fait face à un pays en principe ami : l’Afghanistan, pouvant difficilement constituer une base d’agression contre l’U.R.S.S. Aussi sur son territoire qui correspond aux républiques du Tadjikistan, d’Ouzbekistan et du Turkmenistan ne stationnaient, ces dernières années, que six divisions de fusiliers mécanisées de « deuxième catégorie », c’est-à-dire à effectifs incomplets (70 % environ des effectifs réglementaires). Ce type de division conçu en vue d’une guerre générale à l’Ouest possède, avec ses quelque 240 blindés, ses véhicules tout-terrain, ses engins, son artillerie moderne, une puissance de feu et de choc impressionnante, une mobilité exceptionnelle et un pourcentage très faible de fantassins.

A effectifs complets, chaque division mécanisée compte 2.500 fusiliers aptes au combat d’infanterie. Or les divisions qui vont devoir occuper l’Afghanistan n’étaient pas, ainsi que nous venons de le dire, à effectifs complets et manquaient avant tout de fantassins. Alerté quelques jours à peine avant l’opération, l’État-major de la R.M. d’Asie Centrale dut procéder en catastrophe à un rappel de réservistes locaux pour compléter aux moindres frais les divisions destinées à la promenade militaire en Afghanistan. Comme il fallait toutefois fournir à ces rappelés – pour la plupart turkmènes, tadjiks ou ouzbeks – une motivation sérieuse, on leur expliqua qu’ils allaient aider leurs frères afghans à chasser des envahisseurs chinois.

La suite est évidente. S’étant très vite rendus compte de l’inanité des affirmations de leurs cadres politiques et devenus militairement inutilisables – du fait de leurs rapports fraternels avec la Résistance , les réservistes durent être relevés au bout d’un mois par des appelés russes, ukrainiens ou baltes, prélevés sur des divisions stationnées dans d’autres régions militaires (voire même en Europe de l’Est). Une septième division fut même dépêchée sur les lieux sans que « l’aide fraternelle au peuple afghan » ait abouti à autre chose qu’à un enlisement dans une guerre coloniale à laquelle on ne s’était pas préparé à Moscou.

Neuf mois après, les soviétiques en sont toujours au même point, après avoir perdu trois généraux et près de cinq mille hommes, en tués, et une bonne vingtaine de milliers de blessés, le tout sous l’oeil critique, sinon goguenard, de leurs propres musulmans.

ET PENDANT CE TEMPS…

Enlisés en Afghanistan, les soviétiques n’ont pu exploiter réellement des événements aussi importants que la tentative de libération des otages américains de Téhéran, ou bien la mort du Maréchal TITO. En Afrique noire, leur offensive débouchait quatre ans après son lancement, sur une série de semi-échecs. En Angola et en Mozambique, seuls des arrangements secrets avec les « racistes de Pretoria » leur ont permis d’éviter une banqueroute économique aboutissant à des révoltes qui auraient définitivement compromis leur présence et celle de leurs mercenaires cubains. En Éthiopie, leur aide massive et leurs conseils éclairés n’ont toujours pas permis aux troupes de leur allié MENGISTU de reconquérir l’Érythrée, cependant que la Somalie est en passe de devenir une alliée des États-unis. Certes en Afrique du Nord ils ont désormais un allié actif en la personne du colonel KHADAFI, mais il n est pas dit qu’ils puissent en tirer les profits qu’ils escomptaient. Bien sûr, le semi boycottage des Jeux Olympiques de Moscou a permis à la propagande soviétique de parler d’un succès, mais une fois les lampions éteints, l’été ne devait apporter au Kremlin aucune satisfaction particulière.

Dès le mois d’août, on devait assister au processus des grèves en Pologne débouchant en septembre sur la victoire des ouvriers et des intellectuels polonais sur le pouvoir ; et depuis peu nous sommes le témoin de la guerre irano-irakienne, laquelle ne profite pas forcément à l’Union Soviétique.

Or, en fin de compte, c’est au Kremlin que se trouve la clé de la guerre et de la paix.

UN AVENIR ANGOISSANT

C’est de l’évolution du régime totalitaire soviétique et des décisions prises à Moscou que dépend actuellement, en premier lieu, l’avenir de notre planète…, un avenir que Michel GARDER trouve angoissant. Selon lui, cet avenir se réduit à quatre hypothèses :

– la première, H-1, serait la continuation, avec ou sans BREJNEV, du conflit actuel sur deux fronts, dont les 3 variantes pourraient être :

– H-11, une tendance au rapprochement avec les Occidentaux ;

– H-12, à l’inverse, une série d’ouvertures en direction de la Chine et du Japon ;

– H-13, un durcissement vis-à-vis des deux groupements adverses, occi­dental et asiatique.

– la seconde, H-2, qui pourrait être la conséquence de H-13, serait celle de la « fuite en avant », autrement dit le recours à la force avec les trois variantes suivantes :

– H-21, une offensive éclair sur le théâtre européen visant à s’emparer de tout notre continent et de se trouver ainsi en position de force vis-à-vis tant des États-unis que des Asiatiques ;

– H-22, une offensive contre les installations nucléaires chinoises et éventuellement contre le Japon, visant à mettre les Asiatiques hors de combat et à se trouver en position de force vis-à-vis de l’Occident

– H-23, une guerre sur deux fronts, soit directement, soit par une extension de H-21 ou H-22.

– la troisième, H-3, serait une révolution de palais au Kremlin exécutée par des éléments désireux d’éviter à tout prix H-2 en mettant fin à l’engrenage qui conduit. Là aussi on peut envisager trois variantes :

– H-31, à l’origine du coup d’État se trouveraient des jeunes de l’appareil du Parti et des policiers (K.G.B.) ;

– H-32, le coup d’État serait l’oeuvre d’apparatchiks et de militaires ;

– H-33, il s’agirait d’une prise de pouvoir par des militaires.

– la quatrième, H-4, serait une guerre civile provoquée par une cassure au sein des forces armées soviétiques, soit à la suite de l’échec de l’une des variantes de H-3, soit d’une révolte des musulmans de l’Union. Cette hypothèse serait presque aussi catastrophique que celle de la guerre, H-2, dans la mesure où elle mettrait en oeuvre deux fractions de l’énorme potentiel militaire soviétique.

Michel GARDER considère quant à lui que les deux hypothèses les plus probables sont H-2 et H-3. L’idéal serait que l’Occident soit assez fort pour dissuader H-2 et assez manoeuvrier en Stratégie Totale pour faciliter H-3. Cette deuxième condition étant difficilement réalisable, sinon impossible, il reste la dissuasion. Face à un adversaire pratiquant une Stratégie Totale, celle-ci devrait obligatoirement être Totale.

UNE DISSUASION TOTALE

Après avoir rappelé l’évolution du concept de dissuasion en Occident et souligné que dans la pensée militaire soviétique on n’en trouvait pas l’équivalent, Michel GARDER expose les grandes lignes du concept de dissuasion totale élaboré par son Centre sur la base des travaux entrepris du temps du regretté général BEAUFRE. Selon ce principe, il s’agit de dissuader un adversaire potentiel – l’Empire Soviétique dans le cas considéré – à tous les niveaux de confrontation, à savoir les niveaux Stratégique global “0”, Stratégique régional “1”, Corps de bataille aéro-terrestre-nucléaire tactique “2”, population “3”.

Le niveau Stratégique global “0” n’est accessible qu’aux deux superpuissances : les États-unis et l’U.R.S.S., avec leurs satellites, leurs fusées globales ou simplement intercontinentales. A ce niveau les deux Grands se neutralisent entièrement et il y a stabilité.

Cette stabilité se trouve à peu près réalisée au Niveau régional “1” où, du côté occidental, nous trouvons les forces nucléaires stratégiques britannique et française. Certes depuis un an l’U.R.S.S. s’est assurée une certaine prééminence avec ses nouvelles fusées SS-20, mais la mise en place en Europe occidentale des fusées M.X. et Pershing devrait rétablir l’équilibre dans trois ans.

C’est au niveau “2” qu’apparaît la première faille dans la dissuasion occiden­tale, dans la mesure où nous dissocions les armes nucléaires tactiques – dont l’emploi dépend d’une décision au sommet – du corps de bataille aéro-terrestre, alors que du côté soviétique les « armes nucléaires tactico-opérationnelles » se trouvent incorporées dans le corps de bataille dont elles constituent le fer de lance.

La deuxième faille réside au niveau “3”, celui de la population où, de notre côté, on s’est contenté d’esquisser un effort dans le domaine de la Défense Opérationnelle du Territoire en négligeant totalement les aspects « défense civile » et « résistance populaire ». Michel GARDER se propose de revenir sur ces derniers points après que son ami, le colonel LECHAT, aura exposé les idées du CESTE sur le niveau “2”.

Exposé du Colonel LECHAT

Se référant à l’exposé précédent, le colonel LECHAT rappelle que la France ne peut pas jouer un rôle très significatif au niveau “0”, et que c’est aux niveaux “1” et “2” que des progrès substantiels pourraient être faits en vue de renforcer notre système de dissuasion.

Selon la doctrine officielle actuelle, le recours aux armes atomiques stratégiques n’est crédible qu’après une période de combats conventionnels d’abord, puis incluant l’arme atomique tactique, ceci, selon les termes mêmes du « Livre Blanc de la Défense » afin de « tester la volonté ennemie d’agression ». Il s’agirait dans cette phase de porter aux forces ennemies un « coup significatif » destiné à le faire réfléchir avant de poursuivre son agression. S’il persistait dans ses intentions, l’emploi de la force nucléaire stratégique serait alors crédible.

Comme l’adversaire potentiel possède des moyens classiques très supérieurs aux nôtres, il est prévu dans notre doctrine de valoriser l’action de nos divisions par l’emploi d’armes nucléaires tactiques. Or celles-ci sont équipées de têtes à fission de 10 à 25 kilotonnes lancées par fusées. C’est le système d’armes « Pluton ».

L’emploi éventuel de ces armes appelle tout de suite deux remarques : le fait qu’elles soient livrées par fusées impose un temps de préparation tel que l’on ne pourra pas tirer sur l’ennemi présent, mais sur l’ennemi futur tel qu’il se présentera plusieurs heures après que notre commandement aura reçu l’autorisation d’employer de telles armes. De ce fait, la doctrine d’emploi prévoit des frappes massives, et non une succession de coups individuels. En second lieu, la frappe massive avec des armes d’assez forte puissance risque de provoquer des dommages collatéraux très importants sur les personnes civiles et leurs biens, même s’il est prévu d’épargner les agglomérations. Comme la bataille risque de se dérouler sur notre sol ou sur celui de nos alliés, l’emploi de telles armes est difficilement crédible ; ce manque de crédibilité se reporte de plus sur l’emploi des armes nucléaires stratégiques. Comment en effet songerait-on à recourir à ces dernières alors que l’on n’aurait pas osé utiliser des armes de moindre puissance ?

Même dans le cas improbable où les « Pluton » seraient employés, il est douteux que cette décision serait de nature à porter un coup significatif à l’ennemi. En effet, ce dernier possède davantage de divisions et davantage d’armes nucléaires tactiques que nous. Il serait donc fondé à riposter, ce qui rendrait très aléatoire pour nous une issue victorieuse de la bataille. Et si, sur le point d’être vaincue, la France menaçait de recourir aux armes nucléaires stratégiques, l’ennemi aurait beau jeu de menacer notre pays de représailles atomiques telles que la menace française n’aurait plus aucune crédibilité.

Notre système actuel de dissuasion est donc bancal par manque de crédibiité de l’emploi des armes nucléaires tactiques, celui des armes nucléaires stratégiques devenant de son côté hautement improbable. Il faut donc rendre crédible le recours à l’Atome tactique.

L’ARME A NEUTRONS, CONDITION DE LA CRÉDIBILITÉ

Or la technologie actuelle offre une solution à ce problème : c’est l’arme à radiations renforcées, ou arme à neutrons.

Tout projectile atomique a simultanément trois effets : le souffle, la chaleur et les radiations. Les armes nucléaires tactiques, telles que le Pluton, agissent surtout par les deux premiers effets, lesquels risquent justement d’infliger des dommages collatéraux importants aux populations civiles. Or, l’arme à neutrons ne cause de dégâts par souffle et chaleur que sur un hectare. Par contre, les radiations émises traversent, sur une surface de un kilomètre carré, tous les blindages et tous les bétons.

Elles ne sont arrêtées que par deux mètres de terre mouillée. Par ailleurs, l’explosion d’un projectile à neutrons ne crée aucune radioactivité rémanente sur le terrain.

On voit donc qu’avec de telles armes il serait possible et facile d’épargner les populations civiles et les biens. De plus, de telles armes peuvent être miniaturisées, ce qui permet leur lancement par canon de 155 ou mortier de 120. Ceci signifie qu’au lieu de viser l’ennemi futur comme le fait la fusée Pluton, l’arme à neutrons lancée par canon pourrait frapper à coup sûr l’ennemi du moment, après un simple réglage d’artillerie avec obus classiques. Or, selon les procédés de combat adverses, une surface de 1 km2 est occupée par une compagnie de chars ou une compagnie d’infanterie mécanisée. On voit donc que l’arme à neutrons peut faire équilibre à l’énorme supériorité numérique des moyens adverses, tout en ménageant les populations civiles et leurs biens. De ce fait, l’emploi de telles armes tactiques devient crédible, comme devient crédible aussi l’issue victorieuse de la première bataille.

Enfin, si l’on veut que la dissuasion soit crédible, il faut que le choix de l’escalade soit laissé à l’agresseur. L’escalade de l’agressé, presque vaincu par moyens classiques, n’est pas crédible. En revanche, la riposte de l’agressé victorieux dans une première bataille est hautement probable au cas où l’agresseur menace de recourir aux armes atomiques de forte puissance. Pour nous résumer, le raisonnement « plutôt mort que rouge » n’emporte pas la conviction adverse ; mais la réaction si tu me détruis je me vengerai avant de mourir » est parfaitement rationnelle.

Il est d’ailleurs possible de pousser l’analyse plus loin. Dans ce qui précède, seule a été examinée l’hypothèse de la possession unilatérale de l’arme à neutrons. Son existence bilatérale aurait pour effet de rendre pour longtemps impossible le recours aux armes conventionnelles.

En effet, supposons deux adversaires détenteurs tous deux de telles armes ainsi que des missiles antichars et antiaériens actuels.

Nous savons déjà que, lors du dernier affrontement israélo-arabe, une brigade blindée israélienne a perdu, en une demi-heure, soixante pour cent de ses chars du fait des missiles adverses. Si à l’effet des missiles venait s’ajouter celui de l’arme à neutrons, on disposerait d’un système défensif aussi efficace contre les blindés que le fut le duo « mitrailleuse-artillerie » contre l’infanterie et la cavalerie de 1914. La défensive reprendrait une supériorité absolue sur l’offensive, ce qui dissuaderait les adversaires potentiels de recourir à la guerre classique. Si les généraux des différents belligérants de 1914-1918 avaient correctement estimé les effets des armes du temps, personne n’aurait osé entrer en guerre avant d’avoir inventé le char de combat. Aujourd’hui, aucun général sensé ne préconiserait une offensive de blindés contre le duo arme à neutrons-missiles anti­chars, et cela jusqu’à ce que l’on découvre un nouveau moyen offensif invulnérable à ces armes.

LE RENFORCEMENT DE LA CRÉDIBILITÉ DES ARMES STRATEGIQUES

Le manque de crédibilité des armes nucléaires stratégiques provient de l’effet apocalyptique de ces dernières sur les populations. Pour parer à cet inconvénient il faut les humaniser. La technique nucléaire actuelle nous en offre le moyen à peu de frais.

Il est en effet possible d’irradier dans un réacteur à très haut flux des millions de microbilles, d’une substance adéquate et relativement bon marché, pour inonder de rayons « gamma » de très larges étendues. C’est ainsi que cent kilos d’uranium 235 pourraient irradier une quantité de microbilles suffisante pour paralyser toute activité de surface sur des milliers de kilomètres carrés. Les effets seraient parfaitement contrôlables dans l’espace, dans le temps et dans l’intensité. Dans l’espace, car une pluie de microbilles peut être localisée, alors que les retombées radioactives des armes à fusion et à fission ne le sont pas. Dans le temps, car la durée de l’effet des radiations dépend des matériaux choisis. Dans son intensité enfin, en fonction de la densité des microbilles et de leur nature. De plus, un tel système est relativement bon marché. Pour interdire toute activité civile et militaire sur la même surface, il faudrait un nombre impressionnant de projectiles à fission qui agiraient, eux, au prix de dégâts effroyables.

Enfin l’emploi de telles armes serait plus humain. En effet, si les guerres classiques rompent les pourparlers entre les adversaires, on ne conçoit pas d’emploi contrôlé des armes nucléaires sans maintien constant du dialogue entre les belligérants. Les actions menées par engins « gamma » pourraient ainsi être annoncées à l’avance de manière à provoquer des exodes massifs dans les zones choisies comme objectifs. Si celles-ci étaient convenablement déterminées, il deviendrait possible de vaincre un pays en le désorganisant, sans pour cela détruire atomiquement sa population et ses biens.

Il existe donc, par le biais de cette technique, une possibilité de renforcer la crédibilité de notre dissuasion stratégique et d’en augmenter les effets à peu de frais par la multiplication de projectiles relativement bon marché.

Avec le projectile à neutrons et l’engin « gamma », notre pays disposerait d’un système de dissuasion d’une efficacité bien supérieure à ce qu’elle possède actuellement. Mais pour que cette dissuasion devienne totale, il faudrait d’une part protéger nos populations et, d’autre part, ne laisser planer aucun doute sur notre détermination de résister à un ennemi qui contrôlerait notre sol, quel que soit le moyen de contrôle – guerre ou subversion – qu’il aurait employé pour atteindre ce résultat.

Conclusions du Colonel GARDER

Reprenant la parole, Michel GARDER rappelle tout d’abord – si besoin était – la faiblesse des Occidentaux en général et de la France en particulier, au niveau “3” – celui de la population. Il ne suffit pas qu’un faible pourcentage de celle-ci apporte son concours à la défense du territoire sous la forme de réservistes. Il faut, ainsi que le disait le colonel LECHAT, que la population soit protégée et se prête au besoin à participer activement à une résistance organisée et planifiée à l’avance.

La défense civile fonctionne non seulement dans les pays communistes, mais également en Suède et en Suisse. C’est une question de volonté et d’organisation. Espérons que les instances dirigeantes de notre pays finiront par se pénétrer de cette nécessité vitale. Quant à la Résistance, les anciens combattants de l’ombre ici rassemblés savent les difficultés, les dangers et les sacrifices que ce mot recouvre, surtout lorsqu’il s’agit d’improviser comme ce fut notre cas en 1940. Or en l’occurrence il faut à la fois s’efforcer de participer à la dissuasion totale en faisant savoir à l’ennemi éventuel la détermination de résister et d’être prêt effectivement à passer à l’action au cas où l’agresseur prendrait néanmoins le dessus. Le C.E.S.T.E., organisme privé, s’occupe de l’étude de ces problèmes. Son président est heureux, en sa qualité de membre de l’AASSDN, d’en informer ses camarades et espère que notre association apportera son appui à la propagation d’idées visant essentiellement le renforcement de notre pays face aux menaces qui s’accumulent à l’horizon.

Si avec nos alliés nous sommes assez forts militairement et moralement pour dissuader l’ennemi éventuel et empêcher par là l’hypothèse catastrophique “H-2”, nous contribuerons peut-être à la réalisation de “H-3”, avec par voie de conséquence le retour d’une Russie nouvelle dans le Concert des Nations et l’amorce d’une solution pacifique aux problèmes de notre temps.




1967 : la situation politique mondiale et perspectives d’avenir par Michel Garder

Le Samedi 14 Janvier 1967, sur l’initiative de la Délégation de Paris, un déjeuner-conférence a été organisé dans les locaux de Rhin et Danube, où de nombreux parisiens et des camarades de province étaient présents. A l’issue de ce déjeuner, notre Secrétaire Général Adjoint le Colonel GARDER fit une conférence sur la ” Situation Politique mondiale actuelle et les perspectives d’avenir “. En présentant le Conférencier, le Président National, a rappelé que celui-ci était en outre l’auteur d’un ouvrage ” La Guerre Secrète des Services Spéciaux Français 1935/1945 ” qui doit, paraître aux Editions Plon le 10 Avril 1967 et qui constitue l’histoire de notre Maison.

Par le Colonel Michel GARDER ” Le fait majeur de notre époque est que nous nous trouvons depuis le début du siècle dans une guerre ininterrompue, dont on distingue artificiellement deux phases la 1ère et 2ème Guerres mondiales, alors qu’en réalité nous nous trouvons dans le 4ème conflit mondial sans qu’on se soit aperçu ni d’avoir vécu le 3ème ni de vivre actuellement en plein conflit.

La 1ère phase de ce conflit a été, selon la définition de Lyautey, la ” Guerre Civile Européenne “, en gestation pendant longtemps (Guerres Russo-Japonaise, Balkanique), qui a éclaté en 1914, et qui aboutit à :

– la disparition de 4 empires continentaux Russe, Austro-Hongrois, Allemand et Ottoman ;

– l’ébranlement de 2 empires extra-continentaux, Britannique et Français;

– l’entrée en jeu dans l’histoire européenne de deux puissances extra-continentales : Etats-Unis d’Amérique et Japon.

Elle a, en plus, donné naissance à un phénomène nouveau socialo-religieux, le Communisme Russe, et, par contrecoup, à des phénomènes fascistes Hongrie, Italie, Allemagne, Espagne d’où une mutation de cette guerre civile en guerres de religion dont le point culminant a été l’affrontement 1939/45.

Cet affrontement est apparu comme, un conflit classique entre deux coalitions, alors qu’il était, sous une forme classique, la suite de la guerre de religion issue du premier conflit mondial.

A Yalta débutait le 3ème conflit mondial.

Si, pour Roosevelt, homme d’Etat classique et idéaliste par surcroît, il s’agissait de régler la situation mondiale d’après-guerre entre les deux vrais vainqueurs, pour Staline, chef d’Etat et Religieux à la fois, il s’agissait du début d’une nouvelle étape ” l’Evangélisation du reste du Monde “.

Dès 1947, ce conflit, entré dans sa phase aiguë sous le nom de ” Guerre Froide ” a connu des péripéties diverses, telles que :

– liquidation des empires coloniaux ;

– recours à la dissuasion mutuelle thermo-nucléaire ;

– recours à tous les moyens de lutte à l’exclusion d’une guerre généralisée.

En 1953, à la mort de Staline, la lutte pour le pouvoir en U.R.S.S. devait aboutir à un ébranlement de l’empire soviétique et à un transfert de l’orthodoxie communiste de Moscou à Pékin, le communisme soviétique étant déjà sévèrement ébranlé par la leçon des faits, alors que le chinois, beaucoup plus jeune, pouvait encore proclamer son triomphe sur la nature des choses.

En 1962, l’épreuve de force de Cuba aboutit à un armistice déguisé entre Moscou et Washington, marqué par les accords de Moscou de 1963 sur l’arrêt des expériences nucléaires, et, en même temps, donnait naissance au 4ème Conflit Mondial, c’est-à-dire à une nouvelle guerre de religion le Conflit Sino-Soviétique, qui est le conflit dominant de notre époque, et c’est par rapport à lui que tendent, dans une confusion générale, à s’esquisser de nouvelles alliances.

La confusion réside dans le fait que la majeure partie des participants croient lutter encore dans le 3ème conflit Mondial et que les mobiles qui l’ont déclenché subsistent toujours.

Il suffit de rappeler le schéma :

– Soviétiques et Chinois se font la guerre au nom de la lutte qu’ils prétendent mener contre l’impérialisme;

– les U.S.A. pensent exploiter ce différent en étant les alliés de facto des Soviétiques, qu’ils obligent ainsi à aider plus les Viets-Congs contre eux ;

– au sein de l’O.T.A.N., l’alliance s’affaiblit parce que le centre de gravité de la lutte a changé d’aire géographique;

– en face, au sein du pacte de Varsovie, l’U.R.S.S., pour revigorer l’unité rouge, doit invoquer le danger revanchard allemand.

Cependant en Chine et en U.R.S.S. les développements de la situation intérieure viennent encore compliquer le problème.

Pour le moment c’est en Chine que ce phénomène est le plus sensible.

Mais, d’ici quelques années il en sera probablement de même en U.R.S.S.

En effet la Chine se trouve d’ores et déjà en situation de guerre civile, une guerre civile d’autant plus curieuse qu’elle a été déclenchée par le pouvoir lui-même contre ses propres structures dans l’espoir insensé de régénérer la ” foi communiste “.

A l’origine de cet ” accès de folie organisé ” il y a eu les échecs subis par le communisme chinois dans le Tiers-monde depuis 1965, c’est-à-dire depuis que les Américains bombardent impunément le Nord Vietnam. Il semble que d’ores et déjà la Chine soit hors de combat en tant que grande puissance et qu’elle s’achemine à plus ou moins long terme vers le chaos. Contrairement aux apparences ce chaos ne peut pas profiter aux dirigeants soviétiques, eux-mêmes aux prises avec des problèmes intérieurs insolubles, conséquence pour une bonne part de la faillite de la ” crypto religion Lénino-marxiste “.

Une maladie mortelle ronge le régime 3 théocratique matérialiste 3 soviétique : la laïcisation. Dans son immense majorité la jeunesse ne croit plus aux vertus de la pseudo-religion.

Les véritables élites du pays (savants., administrateurs, ingénieurs, etc.) se rendent compte de la nécessité de se débarrasser du 3 clergé régnant 3 (c’est-à-dire de l’appareil du Parti).

Pour le moment le conflit entre ces élites (exclues des allées du pouvoir) et les ” prêtres de la religion matérialiste ” est latent, mais il ne peut que s’aggraver de jour en jour. Ainsi, sous nos yeux, et sans que nous y soyons pour quelque chose, nous voyons se développer la crise sans issue de ce que fut le Monde Communiste.

L’issue de cette crise, laquelle pour le conférencier ne peut être qu’une révolution en Russie, aura des répercussions extraordinaires dans l’Univers entier.

” En fait, dit le Colonel GARDER, nous assistons à l’effondrement du mythe de la Révolution avec un grand R. Ce mythe né ici même en France à la fin du XVIII ème siècle est passé par trois stades.

Le premier a été celui des ” révolutionnaires romantiques ” c’est-à-dire des gens qui mouraient pour la Révolution.

Dans le courant du XIXe siècle nous avons vu apparaître les ” révolutionnaires professionnels ” c’est-à-dire des gens qui vivaient par la Révolution.

Désormais nous sommes dans le troisième stade, celui des ” fonctionnaires de la Révolution “, c’est-à-dire des gens qui vivent de la Révolution.

En Chine le dernier carré des ” révolutionnaires professionnels ” s’efforce d’aller à contre-courant, de revenir aux sources. Malheureusement pour eux on ne peut jamais revenir en arrière “.

Malheureusement, remarque le conférencier, au moment même où à l’Est d’immenses changements se préparent et où en Russie notamment nous pouvons nous attendre dans quelques années à une résurrection extraordinaire du spiritualisme, en réaction à la longue période de matérialisme, en Occident il n’en va pas de même.

La subversion intellectuelle se poursuit d’elle-même sans être télécommandée de Moscou.

Nous avons nos propres centres d’infection qui se suffisent à eux-mêmes.

Ce qui est à craindre chez nous ce n’est pas tant une Révolution que la Décadence et la pourriture, un phénomène que des civilisations antérieures à la nôtre ont déjà connu dans le passé.

” Ce ne sont pas les barbares qui ont vaincu Rome… mais Rome qui s’est effondrée d’elle-même !! “.

En dépit de cette note pessimiste, le conférencier conclut sur une vision moins sombre.

Pour lui l’évolution de la situation mondiale devrait, en particulier du fait des bouleversements qui ont affecté le ” Monde Communistes “, pouvoir déborder, à plus ou moins long terme, sur l’unité de l’hémisphère Nord, incluant dans un immense ensemble l’Amérique, l’Europe et l’Asie russe, c’est-à-dire tous les peuples issus de la même civilisation judéo-chrétienne.

Ce serait l’aboutissement du 4ème conflit mondial, dernier acte de ” la guerre de notre siècle “.




Disparition du General Chretien

C’est une grande figure de nos Services qui vient de s’éteindre, un acteur et témoin des grands événements qui ont marqué la Deuxième Guerre mondiale et, notamment, ce tournant décisif que fut le débarquement allié du 8 novembre 1942 en A.F.N. où le Général CHRETIEN avait la responsabilité de la Sécurité Militaire.

Engagé à dix-sept ans pendant la Grande Guerre, sous-lieutenant blessé à VERDUN, il est affecté après la victoire dans un 2e Bureau de l’Armée d’Occupation.

Muté dans la Coloniale en 1926, après un séjour en CHINE et une brève incursion dans la vie civile il retrouve l’armée en 1932.

En 1934, il est affecté comme Capitaine à la Section de politique étrangère de l’E.M.A. à PARIS. Nommé Commandant en 1936 et muté à la Section économique, il travaille sous les ordres du Colonel GROUSSARD.

C’est en 1938 qu’il rejoint le S.R. Colonial nouvellement créé. II est affecté à DAKAR.

En 1941, le Colonel RIVET, patron de nos Services M.A. et clandestins, fait appel à lui pour diriger les B.M.A. et le T.R. d’A.F.N. Après avoir efficacement contribué au succès du débarquement allié il rejoint la troupe en mars 1943 et participe aux opérations de guerre en ITALIE et en FRANCE.

Fin novembre 1944, il prendra à la D.G.E.R. la direction des Bureaux de Documentation Extérieure (B.D.O.C.) qu’il quittera en 1946 pour se lancer dans la vie civile.

Officier Général d’une grande bravoure et d’une vaste culture, le Général CHRETIEN laisse le souvenir d’un camarade charmant dont l’existence militaire mouvementée et l’action résistante discrète ont toujours été inspirées par un pur esprit patriotique.

Le Général CHRETIEN a été inhumé le 15 février 1988 dans son village de MALBUISSON. Une délégation de l’AASSDN dirigée par notre délégué régional Gilbert M. assistait à ses obsèques.




Disparition d’un grand patron, d’un grand francais : Professeur Maurice Recordier – Hommage

Il était mon ami, mon frère, depuis notre enfance. Ensemble nous avons fréquenté toutes les classes du Lycée de Marseille. Moi-même, orphelin de guerre, ses parents étaient mes correspondants. Je vivais chez eux, comme un fils.

Nos destinées professionnels ont divergé à la fin de nos études secondaires lui, élève surdoué, est devenu un Grand Patron de la Médecine, Professeur et Chef de Service des Hôpitaux auxquels il a consacré sa vie. Sa réputation était mondiale en matière de Rhumatologie.

Jamais nous ne nous sommes séparés.

Lorsqu’en juillet 1940, dans la détresse de la débâcle, j’ai dû prendre la responsabilité de l’organisation clandestine de la lutte contre les Services Spéciaux de l’envahisseur, c’est posé le problème d’une installation discrète apte à camoufler nos archives et nos activités tout en permettant des liaisons faciles avec l’Afrique du Nord, j’ai pensé, bien sûr, à plusieurs solutions dans la zone dite libre en bordure de la côte méditerranéenne.

Marseille a retenu mon choix pour des raisons géographiques, démographiques, techniques évidentes, mais aussi parce que je savais que je trouverai chez les Recordier une ambiance familiale, un appui, totalement désintéressé et acquis à la cause de la Résistance.

Il en fut ainsi — Maurice comme sa famille et spécialement son frère — répondit à tous nos appels, à tous nos besoins : camouflage de camarades recherchés, soins à notre personnel, fourniture de médicaments, admission gratuite et discrète dans les hôpitaux de Marseille recrutement d’informateurs et à partir de novembre 1942 accueil de nos agents venus d’A.F.N., sauvetage in extremis de nos archives T.R., les plus secrètes enterrées chez ses parents à Eyguières où elles échappèrent aux recherches de l’ennemi.

C’est chez son frère, Marcel, qu’échoue mon ami Henri FRENAY en août 1940 pour lancer son mouvement « COMBAT ». C’est chez Recordier que FRENAY fait en juillet 1941 la connaissance de Jean MOULIN, c’est RECORDIER qui reçoit Jean MOULIN parachuté le 1° janvier 1942 dans les marais de Fontvieille, près d’Aix-en-Provence, c’est RECORDIER enfin qui ménage l’entrevue décisive de FRENAY et de Jean MOULIN, chargé par de GAULLE de réaliser en zone sud l’unité de la Résistance (1)

Telle est cette famille, ma famille, dont le dernier descendant, sans doute le plus illustre, nous a quittés fin avril 1987 en évitant de nous alerter sur le sort implacable que lui réservait le mal dont il se savait frappé depuis cinq ans. Je suis allé pleurer sur sa tombe à Eyguières.

Vrais « Pères Tranquilles » de la RÉSISTANCE, je ne suis pas sûr que la France ait honoré les frères RECORDIER à la mesure des services qu’ils lui ont rendus. Du moins, l’A.A.S.S.D.N. n’oubliera jamais ce qu’elle leur doit. (1) J’ai dit dans « Services Spéciaux 1935-1945 » p. 305, combien il est regrettable que cette occasion unique de rapprocher nos Services de ceux de Londres n’ait pas été saisie par l’envoyé de DE GAULLE. Sans doute ai-je ma part de responsabilité, car sachant la présence de Jean MOULIN à Marseille, j’aurais peut-être dû prendre une initiative qu’il semblait éviter et que FRENAY n’a pas encouragée. Ainsi va l’HISTOIRE, notre HISTOIRE !




Les allies et les services speciaux -Temoignage du General Bedel Schmidt

Le général W. Bedell Smith, Chef d’Etat-major du Général Eisenhower écrit à Monsieur le Directeur Général des Études et Recherches ( DGER )

– 1er novembre 1944

« Je pense qu’il est opportun de vous transmettre les félicitations de notre Commandant pour les magnifiques résultats obtenus par ceux qui ont voué leurs efforts, et dans de nombreux cas, leur vie, afin de fournir continuellement aux Alliés, d’abondants renseignements militaires, au sujet des forces allemandes stationnées en France.

Depuis 1940, un certain nombre d’hommes et de femmes courageux ont monté un mécanisme destiné à fournir aux Commandants alliés un flot constant de renseignements, et, en dépit des énormes risques courus par ceux qui poursuivaient leur tâche, ils continuèrent jusqu’à ce que, dans bien des cas, les groupes d’agents soient débordés par les Forces Alliées.

L’on m’a signalé que ces organisations en France ont expédié par la radio clandestine, au cours du mois de mai 1944, 700 rapports télégraphiques et que chaque émission effectuée était en elle-même un risque pour l’opération. Au cours de la même période 3000 rapports documentaires sont arrivés à Londres, venant de France.

Le rôle qui consiste à recueillir des renseignements, n’est pas spectaculaire, surtout si l’on considère l’attrait plus évident que présente la possibilité de rejoindre les groupes de résistance. Des milliers d’hommes et de femmes courageux sont restés calmement à leur poste, accomplissant une tâche essentielle, sans avoir les mêmes possibilités d’action stimulante ni de reconnaissance, mais avec la certitude toujours présente qu’ils travaillaient sous un danger permanent.

C’est pour cette raison que je désire vous féliciter du travail accompli par ces organismes de renseignements, sans oublier ces Français courageux, qui, fréquemment, quittaient Londres pour retourner en France afin de seconder un organisme, non seulement, une fois mais souvent deux ou plusieurs fois.

Je ne peux achever cette lettre sans rendre hommage à ceux qui ont sacrifié leur vie ou subi l’emprisonnement et des tortures indicibles à la suite de leur activité dans le domaine des renseignements. Nous partageons l’anxiété du peuple français en ce qui concerne le sort de ceux qui sont encore aux mains de l’ennemi, et nous sommes certains que vous prendrez toutes les mesures nécessaires pour assurer le bien-être futur de tous ceux qui ont joué, dans ce domaine particulier, un rôle important pour la Libération de la France, à laquelle ses fils ont participé de tant d’autres façons ».

W. B. SMITH

Traduction de la lettre du deuxième bureau des Forces alliées au chef’ du S.R. opérationnel.

CONFIDENTIEL – G.B.I./S.E.C./3000

17 octobre 1944

Objet: Renseignements fournis à G2 AFHQ pour les opérations dans le sud de la France. Au commandant Simoneau, chef S.R.O., deuxième bureau – 1ère Armée française

Je désire saisir cette occasion pour exprimer la reconnaissance des A.C. de S., G2 AFHQ pour l’excellence des renseignements qui nous ont été fournis au cours du ” planning ” des opérations dans le sud de la France. Sans aucun doute ces renseignements, particulièrement l’ordre de bataille, ont beaucoup contribué à assurer le succès de ces opérations.

L’information fut non seulement d’une extrême précision, mais elle fut aussi livrée avec une telle rapidité qu’elle était encore ” brûlante ” lorsqu’elle était reçue. Ce qui montrait que vos sources savaient parfaitement ce qui devait se révéler comme étant de la plus extrême valeur, et nous permettre de faire des modifications de la dernière minute dans les plans tactiques des forces d’assaut.

Outre les diagrammes de l’ordre de bataille des grandes unités, l’attention apportée aux unités non divisionnaires fut particulièrement valable, et nous permit de dresser le tableau des renseignements dans ses moindres détails, et d’une manière beaucoup plus efficace qu’il n’eût été autrement possible de le faire.

Nous éprouvons le sentiment que nos très aimables et utiles relations avec le S.R. se poursuivront.

C.C. SLOANE, Jr. Colonel G.S.C.




Hommage aux Freres Recordier – Mai 1995

Il était temps de rendre hommage à deux camarades dont la simplicité et la modestie étaient à la mesure de leur patriotisme et de leur dévouement.

Engagés à nos côtés dès juillet 1940, les frères Recordier, Marcel l’aîné et Maurice, originaires de la commune provençale d’Eyguières (près de Salon) ont été honorés par leurs compatriotes et par L’AASSDN le 20 mai 1995. La cérémonie organisée par nos délégués, en plein accord avec la municipalité, les anciens combattants du village et le Souvenir Français a débuté 11 h. 30 dans le parc d’Eyguières.

C’est la fille de Marcel Recordier, Madame de Saboulin qui avec M. Savournin, maire de la commune, a dévoilé la plaque qui porte le nom des frères Recordier, ” Combattants de la Résistance de 1940 à 1944 “.

Après que le Maire eut rappelé éloquemment les origines des frères Recordier et souligné l’honneur qui rejaillissait sur sa commune de leurs actions patriotiques et humaines (tous deux étaient des médecins réputés) en même temps que le devoir de mémoire de ses compatriotes, il appartenait au Colonel Paillole, ami d’enfance des Recordier, de mettre en évidence leur rôle patriotique essentiel à Marseille et dans les environs.

L’aîné, Marcel, premier agent de ” Mouvement de Libération Nationale ” recruté par Frenay devient avec son épouse et sa jeune fille, la ” plaque tournante ” du recrutement, du financement et de l’activité de ce ” mouvement ” qui allait devenir le ” groupe Combat “.

C’est chez Marcel Recordier qu’en août 1941 eut lieu la première rencontre, décisive, entre Frenay et Jean Moulin.

A son retour d’Angleterre, c’est toujours par Marcel Recordier que Jean Moulin put reprendre contact avec Frenay en janvier 1942 et jeter les bases de l’organisation unifiée de la résistance.

Le cadet, Maurice, futur professeur de rhumatologie de notoriété internationale, fut à partir d’août 1940 l’indispensable appui de notre réseau clandestin aussi bien pour l’installation de notre P.C. que pour la protection de nos camarades recherchés, les liaisons entre nos postes et nos agents, les soins discrets pour ceux des nôtres en difficulté.

A la veille de l’occupation de Marseille par la Wehrmacht (nov. 1942) il assura dans une de ses caches d’Eyguières le camouflage de nos archives les plus secrètes.

Le Colonel Paillole se plût à souligner les engagements simultanés des deux frères dans des réseaux parallèles sous l’impulsion de deux officiers du même âge, issus ensemble de Saint-Cyr, liés par une profonde estime et une grande affection.

Pour conclure, il montra que l’engagement spontané des frères Recordier dans l’action patriotique, trouvait ses origines profondes dans leur éducation familiale faite de civisme, de respect des valeurs morales et de l’amour de la France. ……




Disparition de Henri Frenay-un soldat precursseur de la Resistance

Le 6 août 1988, Henri Frenay s’est éteint à Porto-Vecchio, où il résidait avec son épouse d’origine Corse. La Presse, la Radio, la T.V. ont, en général, rendu un juste hommage à ce grand Français qui a marqué l’histoire de la Résistance de sa forte et généreuse personnalité.

Hommage insuffisant à mon sens, car qui peut vanter d’avoir sur le sol de France, dès juillet 1940, sacrifié sa carrière de militaire, risqué sa liberté et sa vie, pour se lancer à corps perdu dans la lutte contre l’envahisseur ?

Je fus témoin de son engagement, de sa volonté farouche, de sa foi en la France. Il était mon ami. Depuis ce jour d’octobre 1925 où la tradition saint-cyrienne a fait de lui mon initiateur dans le métier des armes, nous ne nous sommes jamais perdus de vue.

Il fut pour moi un « ancien » attentif et fidèle, toujours prêt à m’aider dans ma vie de soldat. J’ai dit dans « Services Spéciaux 1935-1945 » ce que furent nos destinées après la défaite de 1940. Pour nous deux le combat continuait.

Lui, décidé à quitter l’Armée pour échapper à sa discipline et agir librement contre l’occupant. Moi, décidé à rester dans l’Armée pour en utiliser les ressources et pour suivre notre mission de Défense. Choix crucial.

Il comprit mes motivations et celles de mes camarades. Ce fut, dès lors, entre nous, une collaboration confiante qui ne se démentit jamais des intrigues partisanes et des rivalités de personnes. En France comme en A.F.N., de 1940 à 1945.




Hommage à Roger WYBOT

J’arrivais à la dernière phrase de sa lettre du 18 septembre 1997, écrite d’une main tremblante lorsque l’annonce brutale de sa fin m’a fait mal.

Nous étions amis depuis 57 ans. Cette affirmation surprendra surtout ceux qui jugent superficiellement des hommes et se délectent à les opposer. L’estime réciproque, les mêmes sentiments de civisme, les engagements sans retour dans une même idéologie patriotique, tels étaient les fondements de notre amitié.

Elle a résisté aux épreuves de la vie, comme au temps et à l’éloignement. J’ai connu Varin (alias Wybot) au soir de la débâcle de juin 1940. Lieutenant d’Artillerie, il avait été remarqué par le Colonel Groussard et affecté par lui au groupe de protection du Maréchal Pétain dont la motivation réelle était de s’opposer à l’envahisseur. Ainsi fut-il en décembre 1940 l’exécuteur de l’élimination de Pierre Laval au pouvoir. Sous la pression des autorités allemandes, le groupe de protection fut dissous et Varin mis à la disposition du Colonel d’Alès qui constituait les B.M.A. avec un personnel choisi en raison de sa valeur et de ses sentiments patriotiques.

Affecté à Marseille dans le poste le plus important de cette formation nouvelle, Varin-Wybot me fut signalé au début de 1941 par le Commandant Jonglez de Ligne, chef du B.M.A. comme un officier de grand choix, ardent, mal à l’aise dans une organisation statique et plein d’admiration et d’envie pour les activités clandestines du réseau T.R. que je dirigeais.

Nos premiers contacts scellèrent notre amitié. J’aimais sa farouche détermination, sa franchise parfois brutale, sa volonté d’être tout de suite au combat direct contre l’ennemi. Il fut séduit par nos méthodes d’action, les résultats que nous avions déjà obtenus et sans doute aussi par la passion avec laquelle je lui exposais nos objectifs ainsi que mes vues prospectives pour la délivrance de notre pays et l’organisation de sa sécurité.

L’occasion de satisfaire le désir de Wybot me fut offerte en novembre 1941. Je lui proposais de prendre à Paris la direction de notre antenne T.R. 112 bis devenue vacante à la suite de l’arrestation de son chef par l’Abwehr.

 

Il a exposé lui-même la suite de sa destinée en ces termes : ” J’avais été choisi par Paillole, grand maître du Renseignement pour être une de ses antennes à Paris. Je concevais ma mission comme devant être liée avec Londres où un télégramme de l’un de mes adjoints me conviait pour rencontrer de Gaulle. ” Ce que je fis. Dans ma conversation avec le Chef de la France Libre, je lui ai dit qu’il y avait fort peu de gaullistes en France. Il me répondit que j’étais trop intoxiqué par Vichy et que je devais diriger mon réseau depuis Londres. Ce qui n’avait aucun sens. ”

Il décida que je ne repartirai pas en France et m’affecta au S.R. de Passy. ” Le 18 décembre 1941, je proposais à Passy de remplacer son petit S.R. par un vaste B.C.R.A. dont je lui donnais un projet d’organigramme. ” Passy accepta ainsi que le Général et dès 1942, le B.C.R.A. remplaça le S.R. en changeant de local, passant de la rue Saint-James à l’immeuble de Duke Street dont j’occupais le 3eme étage avec mon nouveau service de C.E. ” Pendant près d’un an je dirigeais ce service dont je démissionnais fin 1942. ”

Le 16 décembre 1942, je voguais en convoi sur l’océan pour me rendre à Beyrouth et recevoir une affectation comme Capitaine au Premier Régiment d’Artillerie de la Première D.F.L. commandée par Koenig “.

 

Au cours d’une escale à Alger, Wybot tint à me rencontrer. C’était en avril ou mai 1943. Il avait belle allure dans son uniforme d’officier et témoignait toujours à mon égard d’une respectueuse amitié.

Il m’exposa son expérience peu concluante dans le B.C.R.A. et sa satisfaction de servir dans une unité combattante. Je lui proposais de le reprendre et de réaliser avec moi ce qu’il n’avait pu réaliser à Londres.

Dans les rapports trop distants que nous entretenions avec Passy à cette époque, j’entrevoyais ainsi une amorce de clarification et d’union. Son refus fut courtois, mais catégorique. Je ne le revis qu’en octobre 1944 alors qu’André Pelabon, nommé Directeur de la Sûreté Nationale au Ministère de l’Intérieur, lui proposait de remettre d’aplomb la surveillance du territoire totalement dissoute en France occupée depuis novembre 1942. Le challenge le séduisait.

On sait avec quelle ardeur et quelle efficacité il a dirigé ce grand service pendant quinze ans, laissant le souvenir d’un haut fonctionnaire d’autorité, redoutable pour les uns, énigmatique pour d’autres, mais toujours intransigeant lorsqu’il y allait de la sécurité de la France et de son avenir.

J’avais quitté l’armée. Je ne le voyais que très rarement mais j’ai le souvenir de son appel téléphonique d’un soir tragique où la République chancelait dans les déboires de la guerre d’Algérie: ” Mon Colonel, nous sommes le dos au mur, on ne peut plus reculer, faites quelque chose !”…

Depuis quelques années nos rapports s’étaient faits plus fréquents. Sa voix altérée par un mal incurable essayait de m’interroger sur les événements. Il s’intéressait à tout, avec une intelligence aiguë et profonde. Sachant que je souffrais d’un zona, il me fit un cours d’acupuncture qu’il conclua en m’adressant le livre qu’il avait écrit avec une compétence reconnue par les plus grands maîtres de cette spécialité.

Il s’est éteint dans la nuit du 25 au 26 septembre 1997, laissant allumée sa lampe de chevet aux côtés de la liste de ses amis dont j’étais.

Une délégation de l’A.A.S.S.D.N. avec son drapeau, assistait aux obsèques de Roger Wybot, le 1er octobre 1997 aux Invalides.