Le TR Italie recit du colonel Parisot

Il a échu au plus ancien des survivants de nos services ayant participé à la Campagne d’Italie, d’en rappeler le souvenir.

Malgré toute la juste publicité donnée au débarquement allié en Normandie, il convient en effet de ne pas oublier que l’effort de guerre français a été soutenu en majeure partie par l’Armée d’Afrique ; après avoir largement participé, dans des conditions particulièrement méritoires, à la dure campagne de reconquête de la Tunisie, et sans escamoter l’entreprise exclusivement française de la libération de la Corse ni le débarquement de vive force à l’Île d’Elbe, il y a lieu de se souvenir que nos services étaient déjà présents en Sicile avant même le désistement italien. Ainsi notre ami le Docteur Rigaud a-t-il pu goûter en toute connaissance de cause l’évocation de certaines péripéties relatées dans notre bulletin 152 (1991/IV) concernant l’année 1943.

Les magnifiques exploits du Corps Expéditionnaire Français d’Italie, le génie manoeuvrier de son chef prestigieux, le futur Maréchal Juin, ont fait l’objet de maintes relations, aussi bien limiterons-nous notre article au rôle que nous avons rempli à l’échelon du 15ème Groupe d’Armées (8ème Armée britannique et 5ème américaine) ou à celui plus modeste du CEF – partie intégrante de la 5ème Armée US.

A notre débarquement à Naples et lors de notre pause à Maddaloni, nos équipes de Sécurité Militaire étaient coiffées par un camarade expérimenté, Gacon, qu’assistaient Cot, Whiteway, Delseny, Huet…

Le TR était représenté par votre serviteur, secondé par son ancien complice du débarquement américain au Maroc du 8 novembre 1942, Lupatelli. Le SRO avait été confié à Weil, qui prenait suffisamment au sérieux le renseignement dit ” de contact ” pour se faire un jour, ” piquer ” sa jeep et son chauffeur Ginestar au cours d’une échauffourée avec une patrouille allemande dans les Apennins.

Le rôle des équipes SM était évidemment la chasse aux espions. Ceux d’entre eux qui étaient jugés susceptibles d’être retournés, étaient proposés au TR, chargé de les transformer si possible en “W” (agents doubles). A lui, alors, de les manipuler, de façon à intoxiquer l’Abwehr au moyen de ” fournitures ” savamment dosées et préalablement discutées avec les services alliés. Ceux-ci pouvaient d’ailleurs à l’occasion être nos concurrents, en dépit d’excellentes relations personnelles avec l’équipe du Major britannique Malcolm Smith et de son adjoint français Walter Borg (qui s’était fait prendre au Cap Bon en flagrant délit d’émission avec Malte, pour signaler à ceux qui n’étaient pas encore rede­venus nos alliés, les convois ennemis passant par le canal de Sicile).

Quant au SIM ” indigène ” – Servizio Informazioni Militare – en complète déconfiture, il était de surcroît trop peu sûr pour être fréquenté.

Les Britanniques n’en ont pas moins récupéré sournoisement Roatta.

Me sentant peu qualifié pour exposer l’historique de l’ensemble de nos Services Spéciaux au cours de la Campagne d’Italie, je me bornerai à évoquer les points forts ou les plus pittoresques de notre seule activité TR.

A Naples, il nous a fallu cornaquer une antenne de l’important réseau allemand coiffé en Tunisie. Un de ses ” W ” a été par nos soins intégré dans l’Institut français, permettant à son chef ” Gilbert “, depuis Tunis, de donner une origine vraisemblable aux fournitures qu’il répercutait par radio au Colonel Reile, patron de l’Abwehr.

Mais bientôt la SM nous a livré un étudiant génois ” Sergio ” qui avait accepté une mission des Allemands ; nous en avons patiemment fait un double au prix d’une action psychologique assez longue, après avoir pris sur lui un indéniable ascendant : tout à fait par hasard en explorant le dédale des souterrains de Naples, nous avions découvert un itinéraire menant des locaux de la SM à notre appartement de la Via dei Mille ; si bien que notre hôte, bluffé par ce raffinement, ne savait qui nous étions, où nous logions, et ne risquait pas de nous vendre. Lorsque ce double a été mûr, il a fallu le renvoyer à ses employeurs en lui faisant franchir les lignes nuitamment dans le sauvage parc national des Abruzzes ; nous y avons même craint, sans armes, d’être attaqués par les loups qui hantaient ces solitudes et souffraient, eux aussi, d’un ravitaillement succinct ! Dans une autre circonstance Lupatelli, un beau jour surpris par des tirs d’artillerie a attrapé des sueurs froides en s’apercevant qu’il s’était mis à l’abri derrière un dépôt d’obus.

Il était moins dangereux de coiffer un ” pianiste ” (émetteur radio) italo-bulgare, qui opérait sur une terrasse offrant une vue sublime sur les vieux toits de tuiles de Rome. Nous l’avons retrouvé à Florence, pendant la semaine où la ville, sillonnée de patrouilles adverses et sous les tirs de partisans juchés sur les toits, se trouvait entre les lignes. Dans une trattoria minable, il nous a remis une liasse de billets et un questionnaire de ses employeurs, en nous tendant discrètement d’une table voisine le contenu d’un pot de moutarde mal rincé. A la même époque le fidèle aspirant Rabouille – celui qui récupéra pour nous, plus tard, l’intégralité du trésor de la Milice de Darnand, arrêté à Milan (1) , y gagna sa médaille militaire dans un combat de rues non programmé.

Mais auparavant, c’est bien à Rome, où nous avons pénétré le 4 juin 1944 (les troupes y sont entrées le lendemain) que s’est déroulé le plus clair de notre activité. Nous y avons bénéficié de précieuses relations entretenues jusqu’à l’entrée en guerre de l’Italie, par l’auteur de mes jours, attaché militaire au Palais Farnèse (2).

A ses ” HC ” (Honorables Correspondants) de grande classe, dont un cardinal français, doyen du Sacré Collège et patron des Églises d’Orient, S.E. Mgr Tisserant alias ” Minerve “, qui ne reniait pas ses activités passées d’officier de renseignement au Levant, s’est ajouté un ministre italien, Giuseppe Bottai, qui a joué un rôle de premier plan dans l’éviction de Mussolini le 25 juillet 1943. Je suis allé le chercher dans un couvent, et selon son désir – mais à la barbe de tous les services alliés ou ennemis qui le recherchaient, français y compris, je l’ai accompagné jusqu’à Bel Abbés pour l’engager à la légion où il a fait le reste; la campagne de France et d’Allemagne comme mitrailleur d’un blindé léger. Il avait du cran, et le logement où on l’avait hébergé, annexe de notre PC des Parioli, a ainsi mérité son nom très pompéien de ” Villa des Mystères “. Il ne fallait pas se faire prendre et déjeunant avec luià l’escale de Naples pour changer d’avion, j’ai eu très peur qu’il ne soit reconnu par les serveurs italiens du mess américain intrigués par sa barbiche (malgré la tenue française qui avait remplacé… la soutane qu’il portait au couvent).

Enfin, bien qu’il s’agisse d’une escapade marginale, improvisée avec les moyens du bord mais avec l’autorisation du Commandant Paillole, nous avons pris pied dans les Balkans en Albanie, au cours d’une équipée que j’ai relatée dans le bulletin n° 36 (1962/IV) de l’A.S.S.D.N. et qui a été reproduite sans notre aval par un plagiaire, directeur de la revue H…….a.

Cette aventure nous a permis de blouser le dictateur communiste Enver Hodja en lui extorquant la récupération des ” Malgré-nous ” alsaciens et mosellans, déserteurs de la Wehrmacht.

Nous avons aussi mis la main sur les photos aériennes des puits locaux de pétrole.

Le chef de poste de notre antenne de Tiran, le captain J. Wisdorff, montait en toute simplicité un pur-sang du Roi Zog, évincé par les italiens.

Nous avons aussi bien failli faire de notre camarade, Jean Nadal, Père de la congrégation de Bétharram et Lieutenant de réserve, le premier nonce apostolique dans les Balkans libérés de l’occupation italo-allemande, mais pas de celle des Soviétiques…

Entre Noël 1945 et le nouvel An 1946, notre camarade, le Capitaine Lacat ayant disparu en mer entre Malte et la Sicile, j’ai dû quitter mon équipe d’Italie, d’ailleurs un peu féminisée et de moins en moins laïque ( que de jupons ! ) pour aller prendre à la Centale ( installée Boulevard Suchet dans les meubles de la Luftwaffe ) sa succession à la section géographique 25-7 ( Sud Europe ). La guerre chaude était finie, la guerre froide commençait.

(1) Une partie du très important magot – des sacs de doublons d’Espagne, sans doute volés à des juifs – était camouflée dans les tuyaux d’orgue d’un monastère de Tirana (Valteline, tout près de la frontière suisse).

(2) A ce sujet, qu’il me soit permis d’évoquer ici la plus grande joie de ma carrière : je l’ai eprouvée le jour où, exactement 4 ans après, j’ai assisté avec un bataillon de tirailleurs à un lever de conteurs expiatoire, sur les ruines de la villa Incisa all’olgiata où mon père avait été contraint, comme dernier attaché militaire à Rome, la mort dans l’âme, de signer l’Armistice de 1940 avec les Italiens




La liberation de la Corse Du S.R. au bataillon de Choc

Curieuse compagnie que la nôtre ! Le Commandant Gambiez ne disposait d’aucune réserve en uniforme pour nous équiper. C’est donc en vêtements civils, qu’après quelques jours d’entraînement commando, nous prîmes part aux premières opérations de Libération de la Corse. Afin de ne pas être traités comme des francs-tireurs en cas de capture, nous avions été pourvus d’un brassard blanc portant la tête de maure, emblème de la Corse. Cette précaution me parut très illusoire à un moment où les maquisards étaient l’objet de terribles représailles de la part des troupes allemandes. Nous fûmes par contre dotés du même armement que celui dont étaient pourvues les autres unités du Bataillon de Choc. Il comprenait essentiellement le fusil-mitrailleur Brent, le pistolet-mitrailleur Sten et la grenade Gammon dont la charge de plastic causait de terribles ravages au moment de l’impact.

J’avais retrouvé dans mes bagages un vieux béret alpin et mon ancien blouson des Corps Francs de 1940; ces deux attributs, complétés par des galons de lieutenant un peu défraîchis, me donnèrent une allure assez convenable dont se souciaient assez peu les garçons que j’avais à commander.

En rejoignant le Bataillon de Choc, je ne faisais que retrouver mon statut d’Officier de carrière. Pourtant pour les autorités civiles locales je demeurais Marcel CIMA, Délégué Départemental de l’Artisanat.

Il me fallait me dépouiller de ce déguisement. J’écrivis une lettre officielle au Préfet de la Corse pour lui annoncer ma démission de mes fonctions civiles et ma réintégration dans l’Armée.

Les événements évoluaient rapidement.

En effet, les Allemands ne furent pas longs à réagir. La Corse constituait pour eux un tremplin qui leur permettait d’acheminer par la plaine orientale et par Bastia vers l’Italie du Nord, leurs unités stationnées en Sardaigne. Ils ne tenaient pas à ce que ce marchepied leur fut interdit par l’armée française ou la résistance corse.

La mission du Bataillon de Choc était de s’opposer par tous les moyens (embuscades, coups de main, harcèlement) aux mouvements des unités allemandes qui se dirigeaient vers Bastia.

Notre compagnie, dont les sections opéraient isolement, prit vaillamment sa part dans cette mission.

Nos déplacements s’effectuaient soit en camion, soit souvent à pied. Je me souviens des marches exténuantes sur des sentiers de montagne auxquelles nos volontaires à tête de moines, non entraînés, étaient peu préparés. Ils furent en tous points remarquables par leur courage et leur entrain.

A plusieurs reprises ma section fut transportée sur des camions de l’armée italienne conduite par des soldats italiens en uniforme. Ces garçons auraient d’ailleurs fait n’importe quoi pour nous être agréable et se faire pardonner.

Nous arrivâmes ainsi un soir à Vescovato, village à 20 kilomètres au sud de Bastia.

Depuis notre départ d’Ajaccio, le Lieutenant Riquebourg avait été remplacé à la tête de notre compagnie par le Capitaine Charles Torri, un de mes grands anciens de Saint-Cyr.

Il vint me retrouver à Vescovato pour me fixer la mission du lendemain.

Il avait appris que les troupes allemandes occupaient le petit village d’Olmo (3 kilomètres à l’ouest de Vescovato). Il savait aussi que chaque matin, un ou plusieurs camions militaires allemands montaient à Olmo pour ravitailler le poste et y amener du personnel.

Ma mission consistait à tendre une embuscade pour détruire ces camions le lendemain matin.

Le « Maquis » mit un guide à ma disposition et nous quittâmes Vescovato avant l’aube.

La progression lente et pénible dans une végétation très dense et sur un terrain escarpé fut soudainement arrêtée par des rafales de pistolets- mitrailleurs. Nous venions de tomber nous-mêmes dans une embuscade ou sur une patrouille allemande chargée de découvrir si Vescovato était tenu par les Français.

Le guide Corse qui marchait devant moi avait été tué sur le coup.

La réaction de la section fut immédiate. Aux rafales allemandes succédèrent celles de nos P-M. et les explosions de nos grenades.

Il ne pouvait plus être question de remplir une mission dont le succès reposait sur la surprise. Je fis replier ma section qui fut accompagnée sur le chemin du retour par des tirs de mortier. Un de mes hommes fut légèrement blessé. Je n’étais pas fier, et mes hommes étaient furieux.

Le Capitaine Torri vint me retrouver quelques heures après à Vescovato.

Mis au courant des événements il me dit simplement : « Tu recommences demain matin. »

Ce qui fut fait, mes hommes avaient la rage au ventre.

Après une progression aussi lente et aussi pénible que celle de la veille, je fis mettre des fusils-mitrailleurs en batterie sur une pente qui dominait la route.

Un camion de la Wehrmacht l’emprunta ce matin-là. Foudroyé par les fusils-mitrailleurs il n’alla pas plus loin. Ses occupants non plus.

Après la libération complète de la Corse et le regroupement du Bataillon de Choc à Calvi, je revins à Vescovato pour revoir cette pittoresque localité dont le médecin m’avait hébergé.

Plus tard encore, le Capitaine Torri y fut enterré. C’était son village.

A CALVI

Fin 1943, le Bataillon de Choc fut regroupé à Calvi où il s’installa dans la citadelle qu’occupe maintenant la Légion Etrangère.

Les souvenirs de cette ville sympathique se sont progressivement estompés. Il ne reste dans ma mémoire que la vision d’une rade magnifique sur fonds de montagnes et ce promontoire autoritaire que constituait la citadelle dominant la cité.

Notre 4e Compagnie avait enfin reçu ses uniformes et équipements américains. Blouson Corps Franc, Béret alpin et brassard à tête de Maure trouvaient désormais leur place parmi d’autres reliques. L’instruction et l’entraînement poussés auxquels nous étions astreints achevaient de nous intégrer dans le Bataillon de Choc. Seul ne pouvait nous être donné l’entraînement parachutiste auquel avaient été soumis en Algérie tous les chasseurs de la prestigieuse unité. La Corse avait été libérée. Il fallait être en mesure de la défendre d’éventuels retours en force des Allemands. Le Bataillon avait reçu une mission de défense des côtes dans la région de Calvi en attendant de se voir confier une tâche plus conforme à sa vocation. C’est à Calvi que me parvinrent fin décembre 1943 l’ordre de rejoindre la Direction du Service de Renseignements à Alger pour une autre destinée.




Le S.S.M. et le T.R. dans les premieres operations de debarquement en Italie Juillet 1943, PANTALLERIA et SICILE

Nous publions cet extrait des souvenirs du Colonel Parisot spécialement à la mémoire et en hommage au Sous-Lieutenant Renaud qui fut le premier officier S.M. de débarquement tué au cours de la première opération de libération du continent européen.

Outre ce dramatique épisode qui coûta le 14 juin 1943 la vie à notre héroïque camarade dans l’îlot de Pantelleria, le récit de Serge Parisot chef de notre première équipe S.M./T.R. de débarquement en Italie comporte des révélations fort révélatrices sur la nature des rapports avec nos alliés… ainsi qu’avec la gente féminine italienne.

DÉBARQUEMENT EN SICILE EN JUILLET 1943

Le lecteur alléché par ce titre risque fort d’être déçu : il ne sera question ici ni d’un héroïque assaut sous un feu d’enfer ni d’un abordage en tapinois par une nuit sans lune… Mon arrivée comme celle des fameux carabiniers fut si tardive que toutes les côtes méridionales de la grande île étaient déjà truffées de troupes anglo-américaines lorsque je fus admis (en même temps qu’un tabor de goums marocains prévu pour d’éventuels et obscurs combats en montagne) à l’honneur de représenter la participation française à l’opération.

L’EMBARQUEMENT DE L’ÉQUIPE S.S.M./T.R.

Car notre armée d’Afrique en dépit de sa contribution importante sinon décisive à la libération de la Tunisie, a tout de suite été traitée de façon indigne et évincée par nos alliés ; sous prétexte de haute politique. Il ne fallait pas que les Français risquent de se venger du coup de poignard dans le dos reçu des Italiens en juin 1940 ; en effet, les Anglo-Saxons espéraient bien la défection pure et simple des forces armées fascistes, et notre encombrante présence n’était pas souhaitable en raison des incidents à craindre.

Les goumiers engagés en petit nombre dans l’intérieur de l’île, ne seraient pas gênants et pourraient être précieux en terrain difficile ; les Services Spéciaux d’Alger qui venaient de rendre au débarquement en Sicile un service signalé en menant à bien l’Affaire Gilbert (opération d’intoxication menée par nos Services dans le cadre de la Force A) pourraient aussi être d’autant plus utiles à la coalition.

J’avais naguère voyagé en Sicile et j’offrais à démarrer dans l’île, sinon en Europe, une extension de la fameuse affaire (dont j’avais été l’officier traitant).

Le seul ennui était qu’un uniforme français serait plus voyant à Syracuse qu’au fin fond des djebels siciliens.

J’avais décliné l’offre flatteuse de revêtir l’uniforme britannique et décidé de remplir notre mission en civil.

Voilà comment au port de la Goulette je pris place avec Guillaume pour adjoint et deux sous-officiers français également ” en bourgeois ” dont un pianiste, c’est-à-dire un opérateur radio sur un honnête et pacifique chalutier battant pavillon neutre (portugais).

A bord une autre équipe de passagers, cette fois en tenue, appartenait aux Services Spéciaux britanniques : un captain irlandais arborant sur le côté de son béret un joli petit plumet vert, un Français d’origine maltaise frais émoulu des torrides geôles – pontons tunisiennes (pour avoir été pris quelques mois trop tôt en train de poser des mines ventouses sous le ventre de bateaux italiens), un juif tunisien et un aventurier italien ; le tout avec la bénédiction du sympathique major Trevor Wilson représentant de l’I.S. sur les territoires français libérés en Afrique du Nord.

Le bâtiment en cause ” Le Prodigal ” avait bel et bien droit aux initiales ” H.M.S. ” (on His Majesty Service). Son pittoresque commandant (un lieutenant de vaisseau anglais de Tanger parlant espagnol, français et arabe) et l’équipage de ” pêcheurs ” étaient intégralement fournis par la Royal Navy.

En principe, l’outil et ses forbans avaient été prévus pour travailler dans l’Adriatique parmi le dédale de ” canali ” et d’îles bordant la côte dalmate, leur mission normale était le largage d’agents yougoslaves opérant en liaison avec les partisans tchétniks (royalistes de Mikhaïlovitch) ou titistes (communistes) soulevés contre les occupants allemands.

Les mauvaises rencontres pouvaient être fréquentes entre bâtiments de nationalités incertaines, et le ” Prodigal ” était muni d’un dispositif ingénieux, permettant en appuyant sur un bouton, de démasquer instantanément un petit canon et deux postes de mitrailleuses jumelées normalement dissimulées derrière le plat-bord escamotable.

LA FIN DU SOUS-LIEUTENANT RENAUD A PANTELLERIA

Nous devions faire escale à Pantelleria ce petit chicot de lave noirâtre que des propriétaires italiens avaient aménagé au milieu du canal de Sicile à la fois en terrain d’aviation, en poste d’observation fortifié sur la route de Malte et, enfin, en ” confino ” camp de concentration pour déportés politiques.

Trois semaines auparavant, mon jeune camarade et co-équipier du poste de contre-espionnage de Tunis, le Sous-Lieutenant Renaud, y avait trouvé une mort héroïque dans les circonstances suivantes : sa connaissance de l’italien, du grec, du turc et de l’arabe (il était né à Alexandrie d’Égypte) lui avait valu la mission de recherches outre la documentation et le personnel des services spéciaux italiens, d’éventuels prisonniers échappés lors du repli du pénitencier et susceptibles d’être utilisés comme agents ; il avait comme compagnon de mission un journaliste israélite de Tunis et un gendarme secrétaire lui-même étant radio et muni d’un poste-valise pour communiquer avec notre poste de Tunis. A peine débarqué il avait déployé son antenne dans un bâtiment en ruines et attendait l’heure toute proche de la vacation, lorsqu’une vague de stukas entreprit un bombardement en piqué.

Ayant commencé ses appels il ne voulut pas céder aux objurgations de ses compagnons pressant d’interrompre l’émission et de chercher un meilleur abri. Sous le souffle des explosions ce qui restait de la toiture s’effondra et ensevelit notre camarade sous un chaos de pierres et de plâtre ; dans un nuage de poussière on parvint à le dégager en soulevant une énorme poutre qui l’étouffait. Pâle mais sans blessures autres que superficielles, il souriait et semblait presque intact. Les sauveteurs se félicitaient déjà de ce dénouement lorsqu’il rendit le dernier soupir, tué à retardement par le choc en ayant succombé à une hémorragie interne. Je tiens ces détails du journaliste de Tunis, Lucien Smadja que j’avais bien inconsidérément apostrophé en le voyant rentrer au poste de la rue d’Angleterre à Tunis avec la mine décomposée.

A PANTELLERIA NOUS AVONS RELACHE QUELQUES HEURES. Essuyant une tempête sévère j’y ai horriblement souffert ; pour la première et sans doute la dernière fois de mon existence, du mal de mer ; mais l’honneur était sauf car presque tous nos bourlingueurs étaient également hors de combat.

DÉBARQUEMENT EN SICILE

Pour notre arrivée à Syracuse nous avons eu droit à un étincelant feu d’artifice dû à une attaque aérienne. L’adorable fontaine Arethuse, désertée par ses colombes blanches, recélait des pièces de D.C.A. en batterie sur une affreuse plateforme datant sans doute des Allemands et masquant les papyrus de la célèbre vasque. Tous les murs de la ville étaient déjà bariolés d’affiches représentant Roosevelt ou Churchill souriant sur le fond tricolore de leurs couleurs nationales ; les moustaches de Giraud n’apparaissaient nulle part et il n’était pas davantage question de notre bleu, blanc, rouge. Très vite notre équipe s’est mise au travail en liaison avec les Services Spéciaux alliés.

Désormais nous portions ingénument nos tenues françaises, j’arborais même un képi et aucun Anglais ni Américain ne s’est permis de nous en faire la moindre réflexion. La suite de l’histoire comporte un épisode croustillant qu’il eût été dommage de passer sous silence : Une quinzaine de jours plus tard alors que nous étions à Catane nous apprenons que le ” Prodigal ” faisait escale dans le port. C’était le moment où jamais de rendre à son sympathique ” pacha ” la cordiale hospitalité qu’il nous avait offerte à son bord. Après quelque libations il nous a avoué chercher pour le repos du guerrier ” une femme au cheveux noirs, et sans conscience “. Après le dîner, comme nous le raccompagnions dans la chambre que nous lui avions réservée, il a eu l’agréable surprise de découvrir sous sa moustiquaire l’objet de ses désirs (1) dûment défrayée par anticipation, car pour l’honneur du pavillon il faut savoir recevoir.




En deportation avec Michel Garder

De sa campagne de 1940 à son arrestation

A l’aube du 4 juin 1940, sur le chemin de halage du canal de la Moselle, une patrouille d’infanterie voit surgir devant elle deux sauvages barbus aux uniformes sales, déchirés et chiffonnés. Se disant rescapés du 2e escadron du 11e cuirassiers, les deux hommes sont conduits au fort de Dugny, près de Verdun, où siège l’état-major du Général Huntziger.

Après les avoir entendus, le Général les félicite puis ordonne de diffuser une note à toutes les unités relatant l’aventure des deux sous-officiers, exemplaire à l’heure où tant de soldats décrochent et se débandent au premier contact avec l’ennemi.

Vingt-cinq jours derrière les lignes adverses avec une seule idée en tête, reprendre leur place au combat, méritait qu’on s’attarde sur la performance des maréchaux des logis Garder et Mongé.

Le 10 mai précédent, lorsque les troupes alliées se portaient au secours de la Belgique, les cavaliers français du 11e cuirassiers, entraient le soir même à Neufchâteau. Le lendemain matin, pour le 2em escadron chargé d’ouvrir la route au régiment, les obstacles s’accumulaient dès le départ. Routes nationales et secondaires sillonnées par des formations ennemies l’obligeaient sans cesse à se mettre à couvert, à tel point qu’il s’était enfoncé en forêt, perdant le contact avec le régiment et tout sens de l’orientation.

Le capitaine chargeait alors le maréchal des logis Garder d’aller reconnaître de jour l’itinéraire à emprunter de nuit par l’escadron.

Sans carte ni boussole, cheminement épuisant que de trouver, puis de mémoriser pour la nuit le parcours le moins exposé. Sans plus de repos que de nourriture, à l’aube du sixième jour, lorsque l’escadron s’était camouflé dans le parc du château des Amerois, anéantis de fatigue, les hommes de la patrouille n’avaient pu repartir. La frontière était si proche que Michel Garder repartait seul avec son collègue Mongé.

Lorsqu’ils avaient entrevu la fin du cauchemar avec les premières maisons de Pourrou-aux-Bois, une désagréable surprise les attendait : les Allemands occupaient le village. Ils échappaient par miracle aux balles des ennemis qui les poursuivaient, se perdaient en voulant brouiller les pistes et ne retrouvaient le parc du château des Amerois que le surlendemain, pour assister impuissants à l’anéantissement de leur escadron par un bataillon de feldgrau.

Les Allemands disparus, exténués et sous le coup de la perte de leurs camarades, ils étaient restés sur place, persuadés d’être dégagés par une contre-offensive française.

Après une semaine décourageante, tenaillés par la faim et la soif, ils repartaient à travers bois, marchant de jour et de nuit, évitaient hameaux et villages, risquaient cent fois la capture, se nourrissant du peu qu’ils trouvaient jusqu’à ce qu’une rivière les arrête. Par chance, amarré à un ponton de fortune, une embarcation abandonnée recelait une nasse de poissons vivants qu’ils allaient dévorer sur la rive opposée. Ragaillardis, ils poursuivaient leur route toute la nuit pour tomber, au petit matin, le long du canal de la Moselle, sur une patrouille française. C’est au soir de cette journée que nous les retrouvons à la popote des officiers du fort de Dugny. Malgré l’avalanche de mauvaises nouvelles que leur réserve le Capitaine Henri Massis, écrivain et futur académicien, nos deux héros ne s’intéressent qu’aux assiettes qu’ils vident aussitôt remplies.

A la fin du repas, Michel Garder apprend que son frère Victor a été tué à l’ennemi le 28 mai. Sous le choc, il demande la permission d’aller combattre.

Devant l’impossibilité de rejoindre le 11e cuirassiers, pris dans les filets de Saint-Valéryen-Caux, il est affecté à un bataillon de Sénégalais à l’heure où la Wehrmacht reprend l’offensive.

Ses illusions s’évanouissent sur le champ. Fusils contre blindés ! C’est la fuite… Les vaines actions de retardement sont entravées par une multitude de fuyards civils et militaires qui encombrent les routes et gênent toute manoeuvre. Des chevaux affolés galopent en tous sens. Ils sont si nombreux que Michel Garder, aidé de quelques autres cavaliers se voit chargé de les récupérer pour les sauver de la capture.

Dès lors, sous le feu de l’ennemi, c’est une entreprise folle que de rassembler et conduire vers l’arrière un troupeau sans cesse dispersé par la peur. Fort heureusement après Tours, l’ennemi se fait moins pressant, ses incursions aériennes plus rares. A Monbazillac, terme de cette équipée, il apprend sa nomination au grade de sous-lieutenant ainsi que la signature de l’armistice.

Pas plus qu’il ne s’accommode du renoncement, il ne peut supporter l’idée de son frère mort au champ d’honneur pour une simple passe d’armes sans lendemain. Il veut continuer à se battre. Pas un instant, il ne savoure la fierté d’arborer son nouveau grade comme une légitime revanche sur un destin jusque là contraire…

Cinq ans plus tôt, brillamment reçu à l’École de Saint-Cyr, sa candidature n’avait pas été retenue vu la date trop récente de sa naturalisation.

D’origine russe, fils d’un baron, capitaine de l’artillerie à pied de la Garde Impériale, il avait fui la Russie avec sa famille après l’accession au pouvoir des bolcheviks en 1920. Ce moment cruel s’était incrusté à jamais dans sa mémoire. Il se revoyait toujours à la coupée du destroyer. Les grandes personnes agitaient leurs mouchoirs. Un très vieux général sanglotait ” Adieu Russie “. Tout près de lui, pâle, digne et amaigrie par le typhus dont elle venait de réchapper, sa mère disait simplement : ” Nous reviendrons bientôt, après la victoire “. Avec l’exil, les Garder affrontaient les cruelles conditions d’existence des camps de travail de Gallipoli en Turquie, avant de débarquer en France où il fallait survivre.

Comme tant d’autres dignitaires de l’Empire déchu, l’ex-capitaine obtenait un emploi de chauffeur de taxi parisien et retrouvait ses camarades vétérans, regroupés au sein de ” L’union des Services de l’Armée “. Ils se réunissaient périodiquement dans des permanences locales afin de résoudre les nombreux problèmes posés par l’exil.

Parmi ceux-ci, ” L’union des Services ” fondait pour ses fils, dans la plus pure tradition impériale de la Sainte-Russie, des lycées comme celui de Cannes où Michel Garder était admis avec son frère, après la mort prématurée de leur père en 1925. Là, sa foi religieuse n’avait d’égale que sa haine du bolchevisme, haine impuissante qu’il tente d’assouvir en prononçant avec trois autres amis du pensionnat le serment solennel de libérer son pays du joug communiste. Dans cet internat, on ignorait les jours fériés : la semaine on y enseignait en français selon le programme national, le week-end étant réservé à la langue et à la culture russe. A ce rythme, le niveau moyen des élèves était très élevé. Bachelier à dix sept ans, Michel Garder réussissait à dix neuf ans le concours d’entrée à Saint-Cyr.

N’y pouvant accéder, il s’engageait ” volontaire ” au 11e cuirassiers. Nous le retrouvons cinq ans plus tard, sous-lieutenant à Monbazillac.

Dès qu’il a connaissance de l’appel du Général de Gaulle, qui en quelques phrases annulait la déroute et maintenait la France dans la guerre, il décide d’aller le rejoindre. Il s’en confie à sa mère qui l’en dissuade :” un exil suffit, pas deux “.

La nomination d’Henri Massis, le capitaine du fort de Dugny, au poste de conseiller ministériel le tire d’embarras. A Vichy, ce dernier, le dirige vers son ancien chef du 11e cuirassiers, le Commandant Gasser. Directeur de Cabinet du Général Weygand, nouveau Ministre de la Guerre, solidaire des protagonistes du serment de Bon-Encontre. Gasser le juge apte à poursuivre le combat au sein des Services Spéciaux clandestins sous le couvert moral du ministre mais en dehors de l’Armée de l’Armistice.

Après un bref passage aux écoutes téléphoniques à la Poste Centrale de Vichy, il intègre la légendaire société des Travaux Ruraux du non moins légendaire Colonel Paillole. Rapidement formé au T.R. 113 de Clermont-Ferrand par le Commandant Johannès, il est dépêché, sans tarder, à Paris afin d’y créer l’antenne 113 bis destinée à infiltrer le contre-espionnage ennemi et ses ramifications françaises.

L’esprit d’initiative et la liberté de comportement que requiert cette forme de guerre où la fonction prime le grade, ont de quoi enthousiasmer le jeune officier fraîchement sorti du rang. Se partageant entre la zone libre et la zone occupée, il évolue à l’aise, menant une action des plus efficaces jusqu’à son arrestation le 9 septembre 1943.




Souvenirs de deportation (2)

Le Kommando venu de NEUENGAMME est employé au ” dégagement ” des bombes non éclatées et les matinées de ce dangereux travail se passent à approcher au plus près et surtout au plus profond possible de l’engin repéré ce qui plaçait alors les déportés à l’abri … des vues du personnel d’escorte, celui-ci se tenant, bien entendu, prudemment à distance)
Lorsque par la grâce de Dieu, la bombe répondait à l’appel de la sonde, la joie régnait parmi les terrassiers; dès cet instant, en effet, le travail pouvait se poursuivre à l’extrême ralenti; il n’y avait plus de mystère vis-à-vis des “schupos ” qui demeuraient toujours invisibles, le travail continuait, matérialisé par des bruits divers de pelles et de pioches, au rythme rapide de la matinée.

Que de quarts d’heure (et d’heures !) avons-nous ainsi volé au service de déminage de la Wehrmacht ? A force de se relayer, à force de creuser (ce fut quelquefois sans espoir 🙂 une des deux sous-équipes se trouvait soudain en présence de la bombe : elle était là, verticale ou inclinée, parfois horizontale, cachant sa charge de poudre et montrant son dangereux dispositif d’explosion. Un soupir sortait de nos poitrines car nous savions bien qu’un très léger coup de pioche eût quelquefois suffi à nous faire passer, en une fraction de seconde, de vie à trépas.

Vers 18 heures, un très dynamique artificier de la Wehrmacht se rendait auprès de chaque équipe pour contrôler le travail; il désamorçait lui-même les bombes qui se trouvaient dégagées.

Dans une atmosphère d’absolue sécurité, on fumait alors une cigarette, offerte par lui, en attendant le camion qui devait nous reconduire dans notre baraque.

Durant la période du 26 Juillet au 31 Août, date à laquelle je quittai KIEL avec quelques camarades, chaque équipe avait en moyenne dégagé une bombe par jour; le chiffre total s’élevait donc, pour l’ensemble du kommando, à environ 450.

” Les Anglais fabriquent de mauvaises bombes, une sur quinze n’éclate pas ” m’avait confié un jour l’artificier. C’était me dévoiler que 6.300 bombes étaient tombées sur KIEL et avaient effectivement éclaté : Beau travail !

Cependant il n’y avait pour nous ni dimanches ni jours fériés, nous travaillions comme en semaine, de 7 heures du matin à 8 heures du soir. J’ai présent à la mémoire le jour du 15 Août au cours duquel nous n’avons cessé de creuser sous une chaleur accablante. Le découragement et le désespoir s’emparaient de nous; nous étions obsédés par l’idée que PARIS allait être ou était déjà évacué par l’armée allemande, et nous voyions de notre lointaine terre d’exil, Parisiens et Parisiennes fêter joyeusement la Libération.

Combien de fois ai-je ce jour là, pensé à tous les miens, à mon patron de la Résistance, à mes amis et à mes camarades : je n’étais pas seul à m’évader dans ces rêves, car le silence entre nous était complet. Nous n’entendions que le cliquetis monotone des outils, et parfois, quelque délicieux chant d’oiseaux.

Le lendemain, l’équipe à laquelle j’appartenais fut désignée pour accomplir une mission particulière. On nous conduisit au canal de KIEL pour retirer un cadavre qui flottait à quelques mètres de la berge. C’était le corps d’un malheureux aviateur anglais que la mer avait poussé jusque là. Il était affreusement gonflé; par endroits, des lambeaux de chair pendaient; sa face était rongée.

Pauvre ami anglais, tu étais lourd sur nos épaules et souvent, tu voulais t’échapper. Ce sont quatre Français qui t’ont posé sur une civière et qui se sont, un instant, recueillis devant toi.

Le bruit avait couru au moment de notre arrivée à KIEL, que nous étions des condamnés de droit commun, des bandits, des assassins et des … ” terroristes “. Le terme de terroriste se devinait sur toutes les bouches lorsque nous traversions la ville pour nous rendre au travail, et semait un certain désordre dans les rues ou sur les places publiques. Le fait suivant illustrera la peur qu’éprouvait devant nos uniformes de bagnards la population de la ville.

Au début du mois d’Août, deux équipes avaient été désignées pour aller dégager deux bombes non éclatées qui venaient de traverser un immeuble de 6 étages. Une foule compacte se serrait autour du cordon interdisant l’accès du terrain dangereux. Soudain, cette foule disparut comme une volée de moineaux ; les ” terroristes ” arrivaient .

Nous eûmes l’occasion, par la suite, de constater un revirement dans l’attitude de la population. Lorsqu’en fin de journée, par exemple, les camions nous reconduisaient vers notre baraque, plus d’une main anonyme nous jeta en cachette quelque friandise ou quelques cigarettes.
* *
Nous sommes le 25 Août 1944; mes trois camarades et moi travaillons déjà depuis de longues heures sous une chaleur tropicale. Nous ne sommes pas encore prêts de trouver la bombe qui est venue s’enfoncer dans un terrain sablonneux qui s’éboule sans cesse. Nous avons soif, terriblement soif. Friedrich et Walter, nos deux gardiens, nous font cesser le travail et Friedrich me demande de l’accompagner au village le plus proche pour aller chercher quelques litres d’eau. Nous marchons longtemps sous la grande chaleur avant d’atteindre la première maison dans laquelle nous pénétrons. Dans le couloir je tombe à terre, exténué. Friedrich sonne à la porte et réclame un seau d’eau à la maîtresse de maison; auprès d’elle se tient son fils âgé de 12 ans environ.
Un dialogue significatif : Pendant l’absence de sa mère, le jeune garçon entame une conversation avec Friedrich et j’entends, dans mon épuisement, le bref dialogue suivant qui mérite d’être rapporté : Le jeune garçon me montrant du doigt : – Qu’est-ce que c’est que celui-là ? – Friedrich : C’est un prisonnier français. – Le gosse : où travaille-t-il ? – Friedrich : A la campagne, aux bombes – Le gosse : Ah, tant mieux : – Friedrich ; Pourquoi ? – Le gosse : Parce que les Français sont nos ennemis héréditaires. Pourquoi n’abats-tu pas celui-là tout de suite avec ton fusil ? – Friedrich : Tu es trop petit pour comprendre. Sache seulement que c’est un homme comme moi et d’autres Allemands ….
Dans les derniers jours du mois d’Août, le travail tirait à sa fin; le S.S. reçut l’ordre de réduire l’effectif du kommando et de renvoyer 20 hommes au camp de NEUENGAMME.

Un sentiment me dicta d’être volontaire pour partir; je ne fus d’ailleurs pas le seul à vouloir changer d’air, car le travail était trop dangereux. Si jusque-là il n’y avait eu aucun accident c’était, nous le savions, l’effet du hasard.

Le S.S. n’avait d’ailleurs jamais manqué de semer l’angoisse parmi nous en nous annonçant notamment que plusieurs équipes du kommando de HAMBOURG avaient disparu dans les airs en moins d’une semaine.

Le 30 Août, les 20 hommes désignés pour partir prirent congé des autres plus ou moins volontaires pour demeurer à KIEL. Nos adieux, empreints d’une grande cordialité (on chanta et on s’embrassa), ne plurent guère au S.S. qui nous sépara assez brutalement et nous interdit de parler et de bouger.

Le camion des 20 partants arriva près de la baraque et lorsque, peu après il démarra, tous les bras s’agitèrent en signe d’adieu et tout le monde cria ” à bientôt “.

L’allure du camion est rapide, on dirait que le chauffeur est, pressé de nous faire connaître le sort qui nous attend.

Nous parlons beaucoup des camarades restés à KIEL et, en particulier de l’équipe de la cantine de l’arsenal qui, avant notre départ, a donné à chacun de nous quelques pincées de tabac. (Elle en avait un petit stock dans un endroit secret ).

Le paysage à travers le Schleswig-Holstein est joli. Nous traversons NEUMUNSTER, petite ville très riante, où les ménagères venant du marché rentrent chez elles avec des paniers pleins.

Les schupos qui nous accompagnent manifestent une humeur excellente; ils commentent – chose incroyable – les nouvelles de la radio anglaise, et j’apprends que BRUXELLES a été abandonnée par les Allemands. De joie, je roule une cigarette.

Nous apercevons au loin une immense étendue grisâtre. C’est HAMBOURG. Nous traversons la ville et sur plusieurs kilomètres, nous voyons des maisons effondrées et des installations industrielles réduites à des tas de ferraille. Cà et là des troupes de gens attendent devant des fruitiers ou des boulangers.

Un sentiment de satisfaction nous envahit. ” La guerre ne peut plus durer 107 ans ” lance un camarade auquel un Schupo (qui a compris) réplique avec persuasion : ” Non, dans trois mois, tout sera fini “.

Une partie de la longue route qui relie HAMBOURG à NEUENGAMME est bordée tous les 20 ou 30 mètres d’amas de pierres ou de briques, vestiges de villas qui avaient dû ressembler à celles de St-Cloud ou de St-Germain, et dont quelques directeurs d’usines ou membres influents du parti étaient vraisemblablement propriétaires. Aucune de ces maisons n’a été épargnée; nous avons compté des centaines de décombres.

Le camp de NEUENGAMME est maintenant en vue. Plus nous approchons, plus nous devenons silencieux. Nous regrettons d’avoir quitté le groupe sympathique de KIEL et ignorons ce que nous allons devenir.

Retour à NEUENGAM

Dès l’entrée dans le camp, nous assistons, mes camarades et moi, à un spectacle qui en dit long sur l’état d’esprit régnant alors entre la Wehrmacht et les S.S. : paraissant inquiets et fatigués, 19 Sous-officiers de la Wehrmacht sont alignés sur la grande place d’appel; soudain arrivent deux S.S, qui les déséquipent, se font remettre leurs objets personnels et procèdent ensuite, selon les règles de ” l’art “, à un sérieux ” passage à tabac ” de leurs victimes.

L’un des deux leur cingle le visage avec un ceinturon tandis que l’autre leur distribue sans compter de magistraux coups de bottes au derrière. Les Sous-officiers de la Wehrmacht qui ont ” encaissé ” les coups sans broncher, sont pourchassés comme des chiens jusqu’à la porte de la prison du camp. Le bruit courut le même jour qu’ils devaient être pendus le lendemain; sans doute avaient-ils été mêlés à la conspiration du 20 Juillet.

Cet incident grave renforça l’espoir que nous avions déjà de rentrer bientôt en France; pour nous, une chose pareille signifiait une révolution au sein de l’armée allemande et, partant, une fin rapide de la guerre.

Tous nos anciens camarades de COMPIEGNE en rentrant du travail ce soir-là se réjouirent de cet évènement. Harassés par leur dure besogne (lls déchargeaient des péniches à longueur de journée), cette nouvelle leur apporta un véritable réconfort. Jamais depuis notre départ de France, notre moral n’avait été meilleur.

Notre séjour à NEUENGAMME ne devait pas être de longue durée, dès notre arrivée au camp on parlait déjà de l’envoi d’un kommando de 60 hommes pour les environs de HANNOVER. Ferions-nous partie de ce convoi ou … d’un autre qui serait formé plus tard ? Nous ne le savions pas. En tous cas, l’administration du camp prit soin de nous ; les 20 « Kiélois » passèrent aux douches, au ” coiffeur “, et reçurent en échange de leurs loques crasseuses, un uniforme propre et … bien repassé.

Le lendemain s’écoula assez calmement; personne d’entre nous ne partit travailler. C’était l’indice certain d’un très proche départ. Le jour suivant, on nous rassembla sur la grande place du camp où 40 russes et polonais se trouvaient déjà.

Le sort en était jeté : nous partions avec eux dans les environs de HANNOVER. Notre embarquement se fit en gare de NEUENGAMME, en fin de matinée. Le kommando avait été divisé en deux groupes de 30 hommes,occupant chacun un wagon-à-bestiaux.
Malgré ce confort relatif, le souvenir de l’embarquement du 15 Juillet (Compiègne) me revint à l’esprit avec intensité; je mesurai le chemin que j’avais parcouru.

Qu’allions-nous maintenant devenir ? Quand nous dirigerions-nous enfin vers le Rhin et vers Paris ? Pour 1’instant, nous traversions une grande forêt recouverte de bruyères qui scintillaient au soleil. C’était la ” Lüneburger Heide”, paysage magnifique, respirant la paix et qui éveilla en nous certaine tentation.

Il ne fallait cependant pas y songer; nos nombreux gardiens, répartis dans deux wagons-voyageurs qui encadraient les nôtres, veillaient sur nous. C’eut été d’essayer de mettre nos rêves à exécution.

– V – Au CAMP de HANNOVER-MISBURG (2 Septembre – 2 Novembre 1944)
Le train stoppa vers 8 heures du soir en gare de MISBURG : on forma les rangs rapidement et la colonne se mit aussitôt en route vers le camp. Le Sous-officier S.S. qui commandait le détachement ne voulut pas manquer de se signaler à cette occasion en bottant sérieusement le derrière de quelques malheureux traînards ou de quelques autres qui n’avaient pas, à son gré, une allure suffisamment martiale.

A notre gauche s’étendait sur plusieurs kilomètres. la raffinerie de pétrole dont nous avait parlé un gardien au moment de notre arrivée en gare.

Ses nombreuses cheminées lézardées ou renversées, ses grands réservoirs inclinés ou complètement aplatis témoignaient – à notre vive satisfaction – de nombreux passages efficaces de bombardiers lourds.

Bientôt nous vîmes au loin, au milieu d’un pré, quatre tentes immenses autour desquelles circulaient en nombre considérable des “bagnards” qui portaient l’uniforme bleu et blanc. Sans aucun doute, c’était là que nous nous rendions.

Notre arrivée ne passa pas inaperçue, car nous fûmes aussitôt entourés par les détenus du camp qui, sauf quelques Français et quelques Belges, nous réservèrent un accueil assez froid et même hostile; une grande partie d’entre eux nous fit comprendre par toutes sortes de gestes, que nous pouvions nous préparer à être maltraités.

Le “doyen” du camp, un Allemand, condamné de droit commun, se trouva quelque peu embarrassé pour nous loger. Après s’être enquis auprès de ses 4 sous-ordres, chefs de ” block ” , des possibilités de couchage, il appela le ” docteur ” du camp (un étudiant en médecine, français)

et nous entendîmes avec stupéfaction le dialogue suivant : – Le “doyen” :” J’ai encore besoin de 8 châlits pour coucher les derniers; combien y a-t-il de morts aujourd’hui ? ” Le “docteur” : ” trois ” Le “doyen” : ” trois seulement ? ” Le “docteur” (à part et tout bas) : ” c’est bien suffisant “. Le “doyen” (s’adressant alors aux chefs de block) : ” J’espère qu’il y aura d’autres morts cette nuit; demain nous pourrons loger les derniers; pour l’instant, qu’ils s’arrangent “…
Telle fut notre première prise de contact avec le camp de MISBURG.

L’effectif du camp était de 1.600 hommes environ. Chaque tente en abritait 400. Grosso modo, on comptait 50 % de Russes, 40 % de Polonais et 10 % de Français et Belges.

L’unique ameublement de la tente comprenait 130 châlits à 3 étages posés à même le sol et séparés entre eux par de très étroits passages; il y avait aussi – à tout seigneur tout honneur – le châlit, la table et le tabouret personnel du ” Kapo ” (ainsi s’appelait le chef de block); ils étaient placés à l’extrémité de la porte d’entrée, seul endroit où il y avail un peu d’air et de lumière.

Faute de place, les détenus n’avaient pas de réfectoire; pour manger, ils s’installaient dans la cour du camp. Par mauvais temps, le ” Kapo ” distribuait la soupe à l’intérieur de la tente mais la cohue était telle, pendant et après la distribution, que beaucoup de détenus préféraient aller manger sous la pluie ou .. dans les cabinets.

Le “Kapo” était responsable devant le “doyen” de l’ordre et de la discipline à l’intérieur de son “block”. Il était secondé par quelques Allemands, comme lui condamnés de droit commun, qui briguaient d’ailleurs sa place. Il voulait constamment être tenu au courant des faits et gestes de ses forçats; il était à cet effet entouré d’une trentaine d’informateurs ou conseillers qu’il choisissait parmi les plus jeunes détenus et qu’il répartissait à l’intérieur du ” block “.

Cet Etat-Major auquel venait encore s’ajouter le coiffeur, le portier et le balayeur, menait une vie joyeuse : plusieurs fois par semaine, les élus se réunissaient la nuit autour de la table du Kapo pour festoyer. Que de rations appartenant à la collectivité ont ainsi été englouties. Que de coups de matraque ont été donnés à ceux qui, par malheur, avaient eu l’audace de s’insurger contre de pareils procédés.

A 5 heures, quelques brefs coups de sifflet annonçaient l’heure du réveil; il fallait faire vite pour se lever car les fidèles adjoints du ” Kapo ” maniaient la matraque avec facilité.

Hâtés de retourner sa paillasse et de ramasser les nombreux petits brins de paille qui se trouvaient sur le sol plein de crachats.

Les 1.600 détenus du camp ne disposaient que de 30 robinets pour faire leur toilette; il est vrai que beaucoup d’entre eux ne se lavaient que tous les deux ou trois jours ou même pas du tout. Néanmoins, il fallait là encore ne pas s’attarder afin d’échapper aux coups qui impitoyablement s’abattaient sur les derniers.

Le rassemblement pour l’appel avait lieu à 5 h.45, l’appel à 6 h.30, le départ pour l’usine à 6 h.
Une raffinerie bien repérée :

La raffinerie de pétrole dans laquelle nous travaillions et qui occupait aussi des prisonniers de guerre français et anglais, était située à moins de 500 mètres du camp.

Fortement encadrées par des gardiens S.S., les équipes – qui comprenaient entre 30 et 60 hommes – arrivaient sur leur chantier à 7 heures et se mettaient aussitôt au travail.

L’entreprise, déjà très sévèrement touchée par les bombes de la R.A.F., n’en continuait pas moins à recevoir la visite des aviateurs anglais.

Pratiquement, notre travail qui consistait à déblayer les ruines, à remettre en état de nombreuses canalisations et à réparer les voies ferrées transformées en montagnes russes, ne servait absolument à rien.

Ce que nous accomplissions en huit jours était automatiquement réduit à néant le neuvième et tout était à recommencer.

Il va sans dire qu’il en résultait un certain relâchement dans le travail; mais les ” Vorarbeiter ” (condamnés allemands faisant fonction de contremaîtres) nous rappelaient souvent à l’ordre et ne se trouvaient pas embarrassés pour stimuler notre énergie : ils nous lançaient dans les mollets tout ce qui pouvait leur tomber sous la main.

A n’en pas douter, c’était entre les ” Vorarbeiter ” des différentes équipes, la lutte pour la prime de rendement !

A 10 heures, une pause de 10 minutes nous permettait de reprendre un peu de souffle et deux heures plus tard, les ” Vorarbeiter ” assuraient sur le chantier même la distribution de notre soupe.

Fréquemment, ils faisaient preuve de la plus flagrante injustice en remplissant plus ou moins les deux louches auxquelles chaque détenu avait droit; inévitablement des querelles éclataient mais l’ordre était immédiatement rétabli par les ” Vorarbelter ” qui donnaient de violents coups de louche sur la tête de ceux qui n’avaient pas l’heur de leur plaire.

Nous, Français, n’étions pas leurs préférés, mais nous possédions l’amitié des prisonniers de guerre français et anglais, qui, saisissant des occasions favorables, venaient jusqu’à nous pour nous donner leur ” rabiot “, il fallait faire vite et, bien souvent, nous n’eûmes même pas le temps de serrer la main de nos braves compagnons.

Le travail reprenait à 13 heures et cinq heures durant les détenus accomplissaient leur lourde besogne d’esclaves. Aucune pause générale n’était prévue dans l’après-midi mais, par groupes de 10 ou 12 (sous la conduite d’un gardien) les détenus de chaque équipe étaient autorisés à se rendre aux lieux d’aisances situés en dehors des chantiers. On gagnait là un temps précieux car le nombre de ” places ” se réduisait à quatre et chacun se faisait prier pour sortir. Plus d’une fois le gardien vint interrompre les derniers en les délogeant à coups de crosse.
La ” parade ” de rentrée :

A 18 heures enfin les 1.600 détenus, las, couverts de poussière et ruisselants de sueur, se rassemblaient et regagnaient le camp. A l’entrée se tenaient le grand chef S.S., son Etat-Major et les Kapos ; malheur à celui dont le pas cadencé laissait à désirer : Il était immédiatement roué de coups par les Kapos qui, sous l’oeil de leur maître, se sentaient autorisés à donner libre cours à leurs instincts sanguinaires.

Lorsque les détenus avaient rejoint le camp, ils n’avaient qu’un seul souci : celui de remplir leur ventre affamé. La nourriture du soir était plus substantielle que la soupe du midi. Elle était amenée dans plusieurs bacs devant l’entrée de chaque tente et répartie par les soins du Kapo et de quelques ” Vorarbeiter “.

Les 4.000 détenus, maintenus en files Indiennes par un imposant service d’ordre, défilaient un à un devant les préposés à la distribution et recevaient,dans leur gamelle, ce que comportait le menu du jour.

Ainsi des pommes de terre ou des carottes non épluchées et non lavées, des sardines salées ou de la mortadelle – erzatz – nageaient dans la soupe aux choux ou dans la soupe aux navets.

Les plus difficiles s’étaient très rapidement accommodés de cette pâtée peu séduisante car il fallait manger et l’on mangeait de bon appétit; la longue et harassante journée de travail pouvait excuser en partie notre gloutonnerie; mais ce qui l’excusait davantage, c’était la crainte de tomber dans un guet-apens ou d’être victimes de la bousculade journalière, combinée par des êtres plus affamés que d’autres, et au cours de laquelle, invariablement, le contenu des gamelles se répandait à terre.

C’était alors une mêlée générale pour la possession de quelques pommes de terre, sardines ou feuilles de choux. Les “Kapos” et “Vorarbeiter” demeuraient absolument indifférents à ce spectacle; jamais ils ne voulaient intervenir dans ces conflits qu’ils jugeaient insignifiants.

A 20 heures, un coup de sifflet ramenait le calme dans le camp. Tout le monde rentrait au ” bercail ” mais il fallait faire bien des calculs au moment de pénétrer dans la tente pour ne pas être gratifié d’un dernier coup de gourdin de notre puissant seigneur.
Triste week-end :

Personne ne quittait le camp le samedi après-midi. L’emploi du temps prévoyait une série de travaux de nettoyage et d’entretien à l’extérieur et à l’intérieur de chaque baraque et, en plus, le passage aux ” douches ” de tous les détenus.

Ces ” douches ” qui n’étaient en fait qu’un simple passage sous les robinets grands ouverts, n’attiraient cependant pas tout le monde; quelques détenus essayaient de s’y dérober en se faufilant dans une baraque voisine ou dans le refuge permanent qu’offraient les lieux d’aisances.

Cela n’échappait pas toujours au ” Kapo ” ou à ses dévoués informateurs qui amenaient immédiatement les délinquants sous les robinets; ils leur faisaient alors subir le supplice de la brosse à chiendent jusqu’à ce que le sang apparaisse sur leur peau tuméfiée.

Ce supplice durait parfois 10 minutes et les hurlements que ces malheureux faisaient entendre n’avaient plus rien d’humain. Sous peine de subir le même sort, nous ne pouvions pas essayer d’intervenir; nous étions là, impuissants devant le martyre de nos camarades, impuissants surtout contre la cruauté du chef de bloc et de ses acolytes.

La journée du dimanche se déroulait généralement dans le calme; chacun s’allongeait sur sa paillasse, se laissant gagner par le sommeil




Souvenirs de deportation (1)

J’ai été arrêté le 27 Avril 1944. Il était 10 heures lorsque deux agents de la Gestapo me dirent : ” Suivez-nous jusqu’à la rue des Saussaies, nous vous rendrons votre liberté dans quelques minutes, il s’agit d’un simple interrogatoire d’identité “. Je ne fus pas surpris d’être longuement interrogé sur mon activité dans la résistance. Ces ” messieurs “, fort bien renseignés, ne se montrèrent cependant pas satisfaits de mes déclarations. A 20 heures, ils me firent conduire à la prison de Fresnes.
« Wehrmachtgefängnis : Abt. Fresnes » Le premier souci, pour un détenu, est de graver un calendrier dans un petit coin de mur de sa cellule. La tenue à jour de ce calendrier, tout en permettant de conserver la notion du temps, est une occupation agréable. Le lendemain de mon arrivée, je me mis en devoir d’établir un calendrier pour trois mois. Cependant, au cours de mon travail. je fus interrompu deux fois par le gardien rôdeur. La première fois (6 Juin) devait coïncider avec l’annonce du débarquement allié, la seconde (15 juillet) avec celle de ma déportation en Allemagne.

Je partageais ma cellule avec :

– H.. un vieillard aux cheveux blancs qui avait mis son appareil téléphonique à la disposition d’agents de l’intelligence Service. (Sa femme, arrêtée avec lui, était à la 3ème division).

– J., jeune homme fort sympathique, qui assurait la liaison entre deux réseaux clandestins. Une réelle camaraderie naquit entre nous. Nous partagions la même savonnette, la même cigarette et il nous arrivait parfois de diviser un morceau de sucre en trois.

Hélas, aujourd’hui l’un de nous n’est plus ; « Vous ne verrez plus J.., m’a écrit sa soeur, il a travaillé très dur dans une mine de sel et, ayant eu une faiblesse au cours d’une marche forcée, il a été abattu d’une balle dans la nuque “.

H.. et moi l’avons pleuré ensemble.

Les détenus de Fresnes étaient toujours bien renseignés. Les principales informations provenaient : 1°/- des détenus nouvellement arrivés, 2°/- d’un détenu américain appelé par ses fonctions d’aide infirmier, à circuler assez librement à l’intérieur de la 1ère division, 3°/- de petits carrés de journaux mis gracieusement, chaque matin, à la disposition des détenus.
Les renseignements, qui en valaient la peine, étaient aussitôt transmis en morse aux cellules voisines (coups de cuiller contre les murs), par la cheminée, à celles des étages inférieur et supérieur.

Enfin, « Radio-Fresnes » (un détenu de la 2ème division mettant à profit l’heure de la relève du service de garde) diffusait tous les soirs, à 17 heures, la synthèse des évènements importants.

La transmission des nouvelles était très rapide. Pour ne donner qu’un exemple : le 6 Juin à 10 heures du matin, l’annonce du débarquement allié sur les côtes de France avait déjà fait le tour de la prison. Cette nouvelle avait été annoncée par l’aide infirmier américain. Le même jour, ” Radio-Fresnes ” donnait déjà d’intéressants détails et terminait par ” on les aura ” son extraordinaire et presque incroyable « émission ».

C’est en criant ” Promenade ” que les gardiens nous annonçaient chaque jeudi l’heure de notre sortie hebdomadaire. Dans une courette de 30 mètres carrés environ, entourée de murs de 4 mètres, nous pouvions, mes deux amis et moi, respirer un air « relativement » pur, nous donner un peu d’exercice par une marche rapide ou au pas gymnastique,et cueillir çà et là – et avec quelle joie – trois ou quatre pissenlits.

Mais le temps passe vite quand on peut voir le ciel. A la dixième minute, sur un coup de sifflet, nous regagnions tristement notre cellule sans soleil.

Le 6 Juin, à la suite d’une très sommaire visite médicale, je fus déclaré ” bon “, car je n’étais ni tuberculeux ni syphilitique. Je devais donc m’attendre à quitter assez rapidement la 1ère division pour rejoindre le camp de Compiègne. Cette pensée m’était extrêmement pénible, d’autant plus que nous venions d’apprendre la nouvelle du débarquement.

Les jours, cependant, s’écoulaient; 10 Juin, 12 juin. 15 Juin, 21 Juin, j’étais toujours avec mes amis H.. et J..

En Normandie et dans le Cotentin, les troupes alliées avançaient, c’est du moins ce que nous annonçait tous les soirs ” Radio-Fresnes “. J’espérais, J’étais même par moments optimiste.

Mais le 27 un message d’une cellule voisine parla de l’imminence d’un départ. Le 28, ce message fut confirmé par les gardiens eux-mêmes. Le 29 au matin, enfin, je fis à mes deux amis les adieux que l’on devine. Quatre camions attendaient dans la cour ; un peu à l’écart, les gardiens du convoi, l’arme à la main, regardaient et ricanaient. « Vingt-cinq hommes par camion, montez » dit un sous-officier. Rapidement, sous une pluie torrentielle, le convoi se dirigea sur Compiègne.
– II – LE CAMP DE ROYALLIEU (29 Juin – 15 Juillet 1944)

Le camp de Royallieu offrait aux détenus venant des prisons de l’air, de l’espace et des distractions.

En effet, en dehors des petites corvées d’entretien du camp, assurées à tour de rôle par chaque baraque, on pouvait circuler ” librement “, faire de longues siestes au soleil ou pratiquer quelques jeux sportifs. Malheureusement, on savait que c’était là un camp de passage et qu’il constituait un tremplin vers d’autres camps plus lointains et moins paisibles.

Le jour même de mon arrivée, je rencontrai L.., mon camarade du SSM/TR, chez lequel, au moment de sa capture, la Gestapo avait malheureusement trouvé mon numéro de téléphone .

Longuement L.. me parla de son interrogatoire.

« Je vais bientôt partir pour l’Allemagne, me dit-il, le prochain convoi est annoncé pour le 2 Juillet ». En effet, le 2 Juillet, L.. franchit la porte du camp. Quelques minutes avant, nous avions pu nous serrer la main. L., n’est pas revenu : dans ce convoi, il y avait 100 hommes par wagon et beaucoup sont morts asphyxiés pendant leur transfert en Allemagne. L.. est mort ainsi au milieu de quelques camarades de notre réseau.

Un imposant convoi de détenus venant des prisons évacuées de Bretagne et de Normandie est attendu au camp. Les « policiers » (ce sont des détenus français chargés du maintien de la discipline dans le camp) désignent une corvée pour préparer les chambres et le couchage de ces détenus. Je ne me dérobe pas à cette tâche. Avec plusieurs autres camarades, je balaie, je lave à grande eau, j’éponge, je mets des lits en place. Je tourne et retourne des paillasses. La chambre est grise de poussière. Un régiment de puces s’en va vers de nouvelles conquêtes. J’en ai dans le cou, dans le dos, et …ailleurs. Cela devient insupportable. En l’absence du ” policier “, je quitte rapidement les lieux pour me rendre dans un endroit discret. J’ai tué là 73 puces.
Vers l’inconnu 15 Juillet, après-midi : sous un soleil torride, on fait 1’appel des 2.000 détenus qui, dans la soirée, quitteront Compiègne pour l’Allemagne. L’appel est long et compliqué. Soudain, un grand coup de sifflet annonce l’heure du départ. En colonne par cinq, au pas cadencé, encadrés par des gardiens armés, les détenus traversent la ville en direction de la gare.

De nombreux Compiègnois accourent pour nous crier des mots de sympathie, mais, menacés par l’arme d’un gardien, ils se dispersent rapidement. Derrière une fenêtre. J’aperçois une vieille femme qui pleure. Nous arrivons à la gare.

Sur le quai, devant les wagons de marchandises qui composent notre train, des groupes de 60 hommes se forment. Peu après, l`ordre d’embarquer retentit : tel un troupeau pourchassé, nous nous bousculons pour monter dans le wagon.

Les premiers d’entre nous ont la chance de choisir une place offrant un appui contre la paroi. Les derniers, moins heureux, s’installent dans le centre. L’agitation qu’a occasionné l’embarquement s’apaise peu à peu et pendant prés de deux heures d’attente, règne un silence quasi complet.

Soudain le train s’ébranle. Ceux qui s’étaient endormis se réveillent. Des conversations s’engagent, certains affirment leur intention de s’évader, d’autres, en raison du grave danger et des représailles qu’entraînerait une tentative de fuite, les en dissuadent. Inévitablement, des querelles et des bagarres éclatent.

Le train roule depuis longtemps maintenant. La chaleur, qui est devenue suffocante, provoque des cris de rage et de détresse. Cet enfer a duré trois jours et trois nuits. Plus de cent détenus de ce convoi ne purent survivre à pareille épreuve.

J’avais préparé un message pour ma femme dans lequel je lui annonçais mon départ pour l’Allemagne. Pendant que le train roulait, je jetai mon message sur le quai de la gare de ROZOY (dans l’Aisne), il parvint à ma femme grâce à un cheminot résistant. – III – LE CAMP DE NEUENGAMME (18-24 Juillet 1944)

18 Juillet .- Le train arrive enfin à destination. Sur le quai de la gare du camp de Neuengamme, des S.S. et des chiens-loups attendent. Rapidement, sous la brutalité des coups de botte et de matraques, les détenus descendent des wagons et les rangs se forment.

Entièrement dévêtus, une centaine d’hommes se trouvent en fin de colonne. Qu’ont-ils donc fait pour subir pareille peine ?

Certains ont tenté de s’évader, mais des innocents sont parmi ces hommes. Qu’importe à ces brutes de S.S. : Harassés, sous un soleil brûlant, les détenus se dirigent vers le camp situé à plusieurs centaines de mètres.

A leur arrivée, tous les détenus du convoi sont enfermés dans un étroit sous-sol où, bientôt, l’air devient irrespirable. Le calme règne cependant car tout le monde se ressent des suites du voyage infernal.

Près de la porte d’entrée du sous-sol un groupe de prêtres et de séminaristes subissent, sans mot dire, les moqueries, les mesquineries et ensuite les coups des deux gardiens S.S.

Après une attente prolongée, un triste défilé commence ; 1°/- Vers le bureau chargé de recueillir les objets personnels des détenus (adieu alliance, chevalière, montre, stylo, portefeuille et photos…) 2°/- Vers le « salon de coiffure » où opèrent des « coiffeurs » inexpérimentés, mais qui réussissent cependant à épiler complètement un homme en moins de deux minutes; 3°/- Vers les douches, seul endroit où semble régner, pendant quelques secondes, une sorte de bien-être; 4°/- Vers le magasin d’habillement où sont distribués en toute hâte des vêtements usagés (trop étroits et trop courts pour les uns, trop amples et trop longs pour les autres); 5°/- Vers le bureau administratif où s’effectue l’établissement des fiches individuelles; 6°/- Vers la grande place du camp où se tiendra un interminable appel ; 7°/- Vers notre « bloc » que commande un condamné de droit commun (il est à Neuengamme depuis 1932); 8°/- Vers nos couchettes, enfin, sur lesquelles, complètement épuisés, nous sombrons dans un profond sommeil.
Les détenus, nouvellement arrivés, étaient en ” quarantaine “.

Dans une inactivité totale, ils passaient de longues journées (le réveil était à 4h30) assis au soleil devant leur baraque; ils ne parlaient guère. Avec impatience, ils attendaient l’heure de la distribution de la soupe de midi et celle du casse-croûte du soir; avec plus d’impatience encore ils attendaient l’heure à laquelle il leur était permis de se coucher (19h.).

L’aviation anglaise effectuait de fréquents vols de nuit au-dessus de la région. Les sirènes hurlaient au milieu de la nuit; au pas de gymnastique, les détenus se dirigeaient alors vers un soi-disant abri situé à 200 mètres de la baraque, malheur à celui qui s’attardait pour essayer de retrouver un sabot égaré, il était roué de coups pendant toute la durée de l’alerte.

Celle-ci. parfois, durait plusieurs heures. Aussi le signal de fin d’alerte était-il accueilli par tous avec un soupir de soulagement. Chacun, alors, retournait vers sa couchette, heureux de se rendormir. Mais ne fallait-il pas, quelques heures plus tard, se précipiter à nouveau vers l’abri ? Ainsi la nuit s’écoulait, moins calme que le jour.

Nous sommes à Neuengamme depuis quelques jours. Pour la plupart d’entre nous la fatigue du voyage s’est dissipée. Cependant, quelques camarades portent non seulement encore la trace d’une fatigue physique, mais aussi celle d’un épuisement moral. Ils demeurent absolument indifférents à la nouvelle réconfortante du complot du 20 Juillet, qui circule de bouche en bouche.

En proie à une crise de désespoir suivie d’une crise de folie, l’un d’entre eux – un homme d’une cinquantaine d’années – est étendu à terre, l’écume aux lèvres. Il ne cesse de crier et de hurler. Rapidement, le chef de bloc l’emmène. Il a ” succombé ” le même jour.

Notre ” quarantaine ” ne devait pas être de longue durée. Cinq jours après notre arrivée à Neuengamme, tout notre convoi fut rassemblé en carré sur la grande place du camp. Nous ne devions pas tarder à apprendre qu’un kommando de cinquante hommes devait être formé.

On fit appel à des ” volontaires ” et, bien qu’aucune indication ne fut donnée sur le genre de travail qu’aurait à accomplir ce kommando, il y en eut un certain nombre. Un S.S. en désigna au hasard pour compléter l’effectif.

Je m’étais présenté comme volontaire car, comme certains, j’avais hâte de rejoindre un petit kommando dont plusieurs ” anciens ” avaient exposé les avantages.

Nous devions, le lendemain, recevoir un uniforme rayé bleu et blanc (en échange des vieilles « frusques » perçues à notre arrivée) et partir pour une destination inconnue.

Avant notre départ, chacun reçut un casse-croûte et quelques cigarettes. Il n’en fallait pas davantage pour provoquer une bonne humeur qui dura presque pendant toute la durée du voyage.

Nos quatre gardiens partageaient notre joie et nous demandaient fréquemment de chanter. Ils applaudirent même lorsque nous entonnâmes “Lili Marlène” dont, heureusement, ils ne comprirent pas la version française. Soudain cette gaîté générale me donna l’audace de demander à un gardien ce que nous allions devenir.

Surpris par cette question, il fut un peu embarrassé mais me répondit bientôt avec un sourire aigre-doux : “Vous allez à Kiel pour déterrer des bombes non éclatées”. Surpris à mon tour et consterné, j’annonçai aussitôt cette nouvelle à mes 49 camarades, Les chants cessèrent, la joie fit place à une angoisse générale. Nous ne tardâmes pas à arriver à Kiel et plus d’un d’entre nous, regrettant Neuengamme, se repentit d’avoir été volontaire.
– IV – LE CAMP DE KIEL. (25 Juillet – 30 Août 1944)
Après avoir traversé Kiel au pas cadencé (escortés d’une garde imposante de 25 gendarmes), nous arrivâmes dans un camp de travailleurs – soi disant libres – russes, dont une baraque avait été libérée pour être mise à notre disposition.

Cette baraque qui comprenait huit chambres, devait non seulement abriter les 50 hommes de notre kommando, mais aussi notre ” chef ” un S.S. de 1 m, 90, ainsi qu’une dizaine de gardiens déjà assez âgés appartenant à la “Schupo”.

Le kommando disposait de trois chambres dont chacune avait pour tout ameublement une table et un tabouret. Deux jours après notre arrivée, nous reçûmes pour le groupe une quarantaine de paillasses bourrées de déchets de papier.

Nous ne vivions pas comme à NEUENGAMME, dans la crainte perpétuelle de recevoir des coups de matraque et pouvions donner libre cours à nos paroles, à nos plaisanteries et à nos jeux. Par ailleurs, la nourriture était relativement bonne et copieuse.
Aussi l’inquiétude manifestée au moment de notre arrivée se trouva bientôt apaisée en dépit du travail extrêmement dangereux que nous accomplissions et que les gardiens appelaient ” Himmelfahrt ” (promenade au ciel ou « Ascension »).

Le réveil avait lieu à 6 heures, l’appel à 6h45. Un quart d’heure plus tard, 3 groupes de 12 hommes et un groupe de 14 hommes étaient formés devant la baraque pour être conduits en camion à proximité des points où les bombes non éclatées (ou quelquefois à retardement) avaient été signalées.

Les points considérés comme dangereux étaient très nombreux et se situaient en général dans la banlieue de KIEL, dans un rayon de 5 à 6 kilomètres au Nord, à l’ouest et au sud de cette ville.

Munie de pelles et de pioches, une équipe de quatre hommes, escortée de deux ” Schupos “, se dirigeait vers un point de chute déterminé. Notre travail, duquel nos gardiens avaient bien soin de se tenir à respectable distance, consistait tout d’abord à tracer une ébauche – c’était en général un carré de 3 m x 3 m quelquefois davantage, autour de l’excavation causée par la chute de la bombe – ensuite à faire usage d’une grande sonde pour essayer de repérer l’endroit exact de l’engin que nous recherchions.

D’une manière générale, par la nature meuble du terrain, les bombes pénétraient loin dans le sol (certaines équipes creusèrent parfois jusqu’à 6 mètres de profondeur) et la matinée s’écoulait lentement; mais lorsque le coup de sifflet de midi annonçait la cessation provisoire du travail, nous avions fait déjà de gros efforts puisqu’il nous était impossible, du fond de notre trou, de voir autre chose que le ciel.

Ce zèle était voulu. A midi, les équipes étaient rassemblées et conduites – soit à pied, soit en camion – au restaurant le plus proche où le menu du jour leur était servi. Après le déjeuner, mais sans conviction réelle, chaque équipe reprenait ses outils.




1942-1943 : Sabotage des liaisons telephoniques allemandes et arrestation du Capitaine Gatard

Nous publions ci-après le témoignage de M. Jacques DUMAS-PRIMBAULT, Directeur régional des Télécommunications, à Limoges en 1943, sur les circonstances qui ont précédé l’arrestation à Limoges en mai 1943 du Capitaine GATARD, dont l’A.A.S.S.D.N. a honoré la mémoire au cours de son Congrès de Lyon.

Ce récit a le mérite de souligner l’intensité de l’action résistante dans cette région et le patriotisme engagé des fonctionnaires des Télécommunications.

Quand, en novembre 1941, les Allemands occupent la zone sud, Limoges devient pour eux un centre de communication important, et ils réquisitionnèrent nombre de circuits pour leur usage.

Or il se trouve que, dès 1942, j’avais reçu la visite d’un de nos jeunes ” conscrits ” de l’école polytechnique, le Capitaine Jean Gatard, qui, en fait, faisait de l’espionnage, ou plutôt du contre-espionnage, pour le compte de l’armée française.

Nous devînmes intimes et, pendant un an, je lui passais pas mal de renseignements. En avril ou mai 1943, il m’annonça, tout joyeux, qu’il disposait maintenant d’une liaison directe (radio, bien sûr avec Alger et qu’on lui demandait la carte des circuits de commandement allemands.

Dès le soir, vers 19 heures, à l’heure où le bâtiment était vide et l’équipe allemande au ” rata “, je descendis et relevai la liste des circuits allemands. Le lendemain, vers midi et demie, dans le bâtiment tranquille comme d’habitude, Gatard passa me voir et je la lui remis.

Or, au milieu de l’après-midi, son épouse, Denise Gatard, qui s’était liée d’amitié avec ma femme, vint lui annoncer que son mari avait été arrêté vers 14 heures par la police alors qu’il rentrait chez lui. Coup dur, car il devait avoir sur lui la liste manuscrite, de ma main, des renseignements recueillis la veille.

J’eus très, très chaud…, et restais sur le qui-vive pendant 24 heures, jusqu’à, ce que, le lendemain, Étienne Moineville, qui appartenait au même réseau, m’apprît que Gatard avait eu le temps, dès la visite qu’il m’avait faite la veille, de passer voir son radio…. et, par conséquent, de lui remettre le papier compromettant.

J’étais donc hors d’affaires ! Gatard ne l’était pas hélas ! Incarcéré par les Allemands à la caserne Marceau qu’ils occupaient, il essaya de s’en évader et se brisa les deux chevilles en sautant d’un mur. Repris, maltraité, durement interrogé, il put cependant donner de ses nouvelles par M. de Cathen qui, en sa qualité de délégué de la Croix-Rouge, obtenait parfois, à cette époque, l’autorisation de visiter certains prisonniers.

C’est par cette voie que le malheureux Gatard put faire passer à sa femme le nom du ” traître ” qui l’avait vendu.

Quelques semaines plus tard, Gatard fut transféré à Lyon, condamné par un conseil de guerre, et fusillé au Fort Montluc en août 1943.

Bien sûr, les autorités allemandes avaient des liaisons radio hors d’atteinte de tout sabotage, mais elles tenaient cependant beaucoup à leur réseau fil, et celui ci était beaucoup plus fragile.

Le câble Limoges-Ussel (un des deux seuls câbles LGD qui, à l’époque, desservaient Limoges), avait été vite coupé au pont de Combade. Quant aux grandes artères aériennes sur voie ferrée, vers Châteauroux, Guéret, Brive, Périgueux, leur état, au fur et à mesure que l’on avançait vers la libération, était devenu une vraie mascarade.

Les voitures K du service des lignes partaient chaque matin pour réparer les artères signalées coupées… et les rétablissaient de façon que les Allemands du répartiteur puissent constater leur action ; puis les chefs d’équipe faisaient le nécessaire auprès du maquis ou de ses patriotes locaux, pour qu’elles soient recoupées dans la nuit.




Le Réseau Marco du réseau Klebler SR Guerre

Parmi les formations du « Réseau Kléber » du S.R. Guerre, le réseau « Marco » a eu un rôle essentiel que retrace son créateur, notre ami de SAINT­-HILAIRE et dont l’ouvrage du général NAVARRE « Le Service de Renseignements » a souligné l’importance et les mérites.

Nous reproduisons ci-après les circonstances qui ont présidé à la reconsti­tution historique de « Marco » et les commentaires de SAINT-HILAIRE sur la naissance et la vie de ce réseau qui fut son oeuvre.

Un jour d’automne, en 1980, un lunch de « retrouvailles » réunissait une quarantaine de personnes. Elles étaient toutes entre deux âges, c’est-à-dire entre le troisième et le quatrième. Les plus jeunes qui n’avaient pas encore trois fois vingt ans, évoquaient des souvenirs de leur vingtième année. Les plus anciens venaient d’avoir quatre fois vingt ans, et les mêmes souvenirs étaient ceux de la « force de l’âge ». Les uns et les autres avaient surmonté, ensemble mais souvent sans se connaître, les rigueurs des années « terribles », celles de l’occupation allemande, en s’efforçant de contribuer à l’avènement de jours meilleurs par des moyens à leur portée.

Ils avaient choisi un combat où l’adversaire est constamment traqué par des cerveaux, des yeux et des oreilles, tenant lieu d’armes à des combattants sans armures, sans uniforme et sans troupe. Certes, ils avaient des chefs, mais ils n’en connaissaient généralement qu’un seul ; et les missions qu’ils en recevaient les éloignaient de lui comme de leurs camarades. Parfois, à leur retour, ils ne trouvaient plus personne. D’autres fois, c’est eux qui ne reve­naient pas.

C’est pourquoi les anciens combattants réunis ce jour-là ne ressemblaient guère à une amicale régimentaire. D’abord, ils étaient des deux sexes. Ensuite, ils ne se connaissaient que par petits groupes, et certains groupes n’avaient jamais vu les autres. Enfin, les grands chefs, celui qui commandait depuis l’Auvergne (le clandestin), et celui qui siégeait à Alger, voyaient pour la première fois un important échantillonnage des quelque cent soixante-dix agents immatriculés par le réseau.

Quant au chef de réseau, sans avoir pu connaître à l’époque considérée tous ses collaborateurs dispersés sur la moitié nord de la France – car il était installé (si l’on peut dire) à Paris – il était seul à en savoir assez, ses archives aidant, pour répondre aux voeux de tous : reconstituer l’histoire de leur réseau.

Un service de renseignements, avec ses structures nationales et internationales permanentes et parfois anciennes, obtient toujours les résultats appréciables. Tel fut le cas du S.R. français, institutionnel ou clandestin, et l’Histoire se charge de le démontrer.

Il n’en est pas forcément de même pour un Réseau de Renseignement clandestin, créé de toutes pièces pour répondre aux nécessités stratégiques de l’époque, mais soumis à tous les aléas de la clandestinité, pourchassé par l’adversaire, et parfois ballotté dans les mouvements du champ de bataille.

On peut toujours dire que l’on a créé un Réseau de Renseignement parce qu’on a eu l’intention de « faire du renseignement ». Encore faut-il prouver que ce but a été atteint. Et pour qu’il en soit ainsi, il est nécessaire que le renseignement ait été recueilli, transmis à qui de droit, et en temps utile. Reste à savoir si l’exploitation est intervenue, également en temps utile, mais ce n’est plus de la responsabilité d’un Réseau.

En ce qui concerne le réseau MARCO, avant de dire ce qu’il a pu faire en matière de renseignement – son activité exclusive – il convient d’abord de constater ou de rappeler :

– qu’il a pris la suite du poste S.R. de Paris (antenne de P2) en assurant ainsi dans la zone nord la continuité du S.R. KLÉBER, mais qu’il y a tout de même eu « hiatus » dans la fourniture du renseignement de type « O.D.B. » du fait que la destruction de P2 précéda la création de MARCO ;

– que l’intervention relativement tardive de MARCO dans la bataille du renseignement (vers le 1er janvier 1944), et sa courte durée en clandestinité (environ 8 mois), lui permirent de résister au perpétuel harcèlement de l’adversaire (1), donc de rester efficace ;

– que la quasi-totalité de son effectif permanent était composée de résistants anciens récemment reconvertis au renseignement ; un recrutement sélectif et un encadrement de quelques officiers déjà entraînés (2) avaient heureusement réglé le problème de l’instruction technique.

La mission prioritaire pour MARCO me semblait être de fournir en permanence aux États-majors concernés les renseignements leur permettant de tenir à jour l’ordre de bataille (ODB) des troupes d’occupation. Sauf le cas rarissime d’une information globale obtenue par document (ce qui ne nous est jamais arrivé), je n’ai pas imaginé d’autre procédé que le « ratissage » systématique du terrain, permettant de déceler et d’identifier les unités et les états-majors en stationnement ou en mouvement.

Aux échelons d’exploitation, le rassemblement des morceaux du « puzzle » reconstituerait les grandes unités, seules prises en compte pour l’ordre de bataille.

Il s’agissait donc d’une prospection méthodique que nous programmions nous-mêmes, mais nous avions aussi à répondre aux questionnaires, et à nous conformer aux orientations. Pour y parvenir sans discontinuité, il nous fallait un effectif nombreux et de qualité, et nous pûmes le réunir au point d’être en mesure de pallier de nombreux accidents. On sait aussi que les liaisons et transmissions ont fonctionné de telle sorte que les résultats acquis par les équipes de recherche sont parvenus en temps utile aux destinataires habituels (le S.R. d’Alger et le B.C.R.A. de Londres). Et l’on a vu qu’avant la libération de Paris, nous avons pu renseigner directement l’O.S.S. (3) du XIIe groupe d’armées U.S., en opérations.

Mais la notion de « Réseau » serait beaucoup trop restrictive si on n’y comprenait que les agents recrutés, instruits et administrés pour servir à plein temps, tout comme dans une unité de l’armée régulière. Autrement dit, les éléments constitutifs d’un réseau (au moins dans le « renseignement ») ne sont pas seulement ceux que l’on appelait « les agents P2 ou P1 » (4) dans le jargon administratif de la clandestinité. Chez MARCO, les agents de recherche dont il vient d’être question – tous « P » évidemment – ne furent pas les seuls à travailler pour l’O.D.B. Participèrent également à cette tâche des organisations amies qui avaient aussi une activité S.R., généralement accessoire, mais parfois structurée quand elles avaient créé un « Deuxième Bureau ».

Mais dans tous les cas elles n’avaient pas les moyens de transmettre à un utilisateur qualifié, directement et en temps utile, des renseignements qui sont toujours urgents par hypothèse.

Dans la catégorie des organisations ayant une structure de « renseignement », je citerai :

– Le Deuxième Bureau de l’O.R.A. qui, dans ses synthèses reproduisait des renseignements O.D.B. signés MARCO, mais apportait aussi des renseignements de même nature en provenance de ses officiers régionaux ;

– Le S.S.M.-précurseur du lieutenant-colonel NAVARRE; on sait que ce dernier échangeait avec moi, chaque semaine, des papiers S.R. contre mes papiers C.E.;

– Le Deuxième Bureau de « Libération », dont le pseudo était « Léon ».

Pendant quelques mois nous avons transmis le « courrier de Léon » auquel « Kléber » attachait de l’importance, mais aujourd’hui nos trous de mémoire ne nous permettent plus d’identifier la personne de « Léon ».

– Le Deuxième Bureau des F.F.I. de la Région parisienne avec lequel j’étais en rapports personnels ; il avait habituellement ses moyens de transmission autonomes ; mais on a vu qu’au mois d’août 1944, il a dû me confier son courrier O.D.B. pour l’armée américaine ;

– Le Comité d’Action contre la Déportation (C.A.D.), dont le chef était alors Léo HAMON. Nous avions des contacts assez fréquents dans les bosquets des Tuileries, et il m’apportait fidèlement la collecte de son organisation ;

– Enfin Jean MAURICHEAU-BEAUPRE, très introduit dans le milieu des Beaux-arts, et qui logeait à ce titre dans les combles du Louvre, affectionnait aussi les Tuileries pour nos rendez-vous. Il avait bien sûr des « tuyaux » de toute provenance. Mais il devint un jour chef du Groupe France-Sud « rattaché » au réseau « Samson » du S.R. Air. « Il couvrait une bande de 50 km le long de la Méditerranée, de la frontière italienne à Montpellier » (cf. Le S.R. Air du général BEZY, page 185).

C’est sans doute la raison pour laquelle, paradoxalement, les archives de MARCO – réseau de la zone nord – sont abondamment pourvues de renseignements O.D.B. sur toute « la Côte », et sur l’Italie. (Je me rappelle les avoir remis à l’O.S.S., faute de mieux, en août 1944). Il faut croire que ce groupe France- Sud avait plus de facilités à évacuer ses fournitures sur Paris (MARCO) et sur sa hiérarchie méridionale.

Cependant, parmi les amis qui renseignaient MARCO, et que MARCO a pu aider, notamment pour la transmission de leurs fournitures, il n’y avait pas que des spécialistes de l’O.D.B.

Il y eut aussi, par exemple, de bons observateurs de la politique et de la haute administration, des industriels connaissant bien la question du pillage de l’économie française, et de l’utilisation de notre industrie par les autorités civiles et militaires d’occupation. Il y eut enfin le cas très rare d’un diplômé des hautes études germaniques, autorisé à circuler librement en Allemagne, et « s’autorisant » à rapporter de ses voyages toutes informations intéressant les Alliés, dont celles concernant la fabrication des armes secrètes.

Mais son réseau « AUBRAY » était une émanation du très officiel commissariat à la main-d’oeuvre en Allemagne. Ce qui nous ramène aux divers organismes ou réseaux faisant du noyautage des administrations publiques, plus ou moins affiliés au « N.A.P. » et au « Super N.A.P. », spécialisés en la matière.

Il y avait donc, sur le terrain, un certain enchevêtrement de compétences, grâce aux bonnes relations et la grande appétence pour le renseignement « tous azimuts », dans un milieu somme toute assez restreint, si l’on ne compte que les personnes susceptibles d’avoir entre elles, sans enfreindre les règles du cloisonnement, des relations « au sommet ».

Pour n’oublier personne et rendre justice à tous, une dernière constatation s’impose :

Les réseaux n’avaient pas le monopole du patriotisme et de la compétence, et la plus élémentaire prudence les dissuadait de toute publicité. Un fonctionnaire bien placé pour telle ou telle catégorie de renseignement pouvait être collègue sans le savoir d’un membre du N.A.P. ou super-N.A.P., et devenir le fournisseur d’un réseau de renseignement qu’il « glanait » sur tout le territoire. Cela s’est produit souvent chez MARCO, et c’est pourquoi j’en parle savamment.




A la mémoire du Colonel Serot : 45 ème anniversaire de sa mort

45 eme Anniversaire de la mort du colonel Serot .

Article paru dans le Bulletin N° 159

Par le colonel Paul PAILLOLE

Le 17 septembre 1948, vers 16 heures, le Colonel André Sérot, médiateur de l’O.N.U. était abattu par une rafale de pistolet-mitrailleur dans le quartier juif de Jérusalem.

Il pressentait son destin.

Sa vision lucide de la situation créée au Moyen-Orient par les Nations Unies, son analyse des caractères, son expérience de plus de vingt ans dans les Services de Renseignements et de Sécurité, son robuste bon sens de Vosgien, tout l’amenait à désespérer de voir un jour la paix dans ces pays de passions et de rivalités livrés à l’aventure par les Nations Unies.

Un jour d’août 1948 il était venu en mission à Paris et m’avait consacré quelques heures.
II m’avait confié ses déceptions devant ce qu’il pensait être sa mission de Paix. Serein, il m’avait dit ses craintes pour l’avenir et aussi pour lui- même

« Mourir à Jérusalem, Paillole, croyez-vous qu’un chrétien puisse avoir une plus belle mort. »
Je ne l’ai plus revu. Un funeste pressentiment me faisait chaque jour écouter les radios, lire les nouvelles, et puis est venu ce jour fatal où le plus pur, le plus noble, le plus héroïque de nos soldats de la Paix est mort assassiné.

Trois jours avant, le 14 septembre 1948, il écrivait à l’un de ses intimes collaborateurs de la Sécurité Air qu’il avait créée en 1942 et dirigée jusqu’en 1948, une lettre bouleversante de simplicité de vérité et de stoïcisme.

Avec l’autorisation de son destinataire, le Colonel de l’Armée de l’Air Panthène, nous en publions ci-après de larges extraits.

Les anciens retrouveront dans ces lignes le visage de celui qui fut leur chef et qu’ils ont vénéré.
Les plus jeunes et surtout ceux qui ont chaque année rendu hommage au Colonel André Sérot devant sa stèle édifiée dans les locaux de leur service de Sécurité, apprendront à mieux le connaître et à comprendre jusqu’où peut aller l’esprit de sacrifice et la conception élevée du Devoir.

Tous pourront méditer sur le sort prévu, par Sérot et réservé à ce Moyen Orient où s’enlise toujours une Paix impossible.

Jérusalem, 14 septembre 1948.

Mon cher ami,
Aujourd’hui, j’en suis à mon 54e jour de mon second séjour à Jérusalem. Mais cette seconde trêve n’est pas du tout la même que la précédente, — autrement dit, il n’y a pas de trêve à Jérusalem. Nous avons eu, des journées et des nuits, de véritables batailles et nous nous bornons à enregistrer les coups. L’avant-dernière nuit par exemple, les observateurs, dans le secteur nord ont enregistré plus de 400 coups de mortiers. Cette nuit-ci, c’est la colline de Sion qui a été le centre d’activité.

Et nous sommes en plein dans le bain. Le couvent des Dominicains où j’habite avec huit officiers est en première ligne.

A cinq miles de là, l’Américan School où se trouve mon P.C. et où habitent une vingtaine d’Officiers. Entre les deux une petite butte sur laquelle l’arab legion a installé un Canon de 57 antichars et s’amuse de temps en temps à chatouiller les juifs avec son frère jumeau installé lui de l’autre côté des Dominicains. Et les Juifs les contrebattent à coup de mortiers… Nuit et jour, douze à quatorze observateurs sont en ligne de chaque côté. C’est très dur comme travail, et ce n’est pas sans danger vous le voyez. Jusqu’à présent, nous n’avons eu qu’un seul officier légèrement blessé : Pourvu que ça dure! Les deux groupes sont coiffés par un capitaine de vaisseau américain. Ce dernier devant rejoindre les Etats-Unis., l’Etat-major de Haïfa m’a demandé si j’acceptais de prendre la direction de l’ensemble du groupe de Jérusalem, soit 80 officiers. J’ai accepté pour mieux défendre les intérêts français. Je dois dire que j’ai une équipe d’officiers, français, excellente dans son ensemble, qui ont décidé de rester à Jérusalem et de ne pas profiter des possibilités de relève qui leur ont été offertes. Car le secteur de Jérusalem a la réputation d’être le secteur dangereux et pénible. Je me contenterai d’envoyer mes officiers en permission de détente à Beyrouth ou ailleurs lorsqu’ils seront fatigués.

J’ai interrompu ma lettre pour aller en liaison. J’apprends à mon retour que je prends décidément l’ensemble de Jérusalem et dès demain je vais abandonner la ville arabe pour m’installer dans la ville juive. Ça ne m’emballe pas mais il n’y a pas moyen de faire autrement. Je dois vous dire que la Défense Nationale se désintéresse de nous. Elle a été bien ennuyée lors qu’il a fallu envoyer en Palestine 125 officiers. Mais elle se désintéresse de la mission, les consignes qui nous ont été données sont lamentables « Pas de zèle! Et surtout votre sécurité avant tout ». Qu’on me laisse rire! la sécurité à Jérusalem n’existe pas, on peut recevoir une balle au moment où on s’y attend le moins; et nous vivons dans un secteur qui est battu par les bouches de mortiers. Quant au zèle, il faut bien qu’on vive et on ne peut pas moins faire que d’écouter les doléances des arabes et des juifs. Et pourtant il y a ici une partie importante qui se joue. Les Américains l’ont fort bien compris, ils ont envoyé des généraux, des Capitaines de Vaisseau, des Colonels anciens qui ont pris tout en mains et ont évincé les officiers (suédois) supérieurs incapables. Et nous Français, nous sommes considérés comme des gens de second plan. C’est la raison pour laquelle étant un des rares officiers français ayant un gros poste, j’ai accepté celui encore plus important du groupe total de Jérusalem. Je voudrais y monter une affaire spécifiquement française. Je m’aperçois que je vous raconte des histoires et que j’écris sans me rendre compte que je suis arrivé à la fin de mes deux pages.

J’espère que vous ne m’en voudrez pas et que vous ne pensiez pas qu’après avoir reçu votre lettre, j’ai voulu, en représailles, vous imposer un pensum.
(Entre nous, si j’écris mal et peu lisiblement je crois que vous êtes dans le même cas! )
Cette expédition m’a permis de faire, non seulement un merveilleux voyage, mais un pèlerinage que je n’aurais jamais songé faire. Je peux dire que je connais Jérusalem., la vieille cité et ses environs immédiats, le mont des Oliviers, les jardins, la vallée de Josaphat, la colline de Sion, etc… Tous ces lieux sont devenus pour moi familiers. Jéricho, Bethléem, Emmaüs, que sais-je encore! Et si j’en ai le temps et le loisir, je voudrais avant mon retour voir Naplouse…, Nazareth et le lac de Tibériade. Mais pour cela il faudrait que la paix revienne dans ce malheureux pays. Mais y reviendra-t-elle jamais?


Toute notre bureaucratie se fait en langue anglaise, ce qui ne facilite pas les choses et c’est pour moi un travail supplémentaire d’essayer de comprendre parfaitement les papiers que je signe…
J’ai, paraît-il, fait des progrès en anglais et j’arrive à exprimer des choses pas très compliquées.

Autre question? Combien de temps resterons-nous ici? Je n’en sais rien. Mais plutôt que de ne rien faire à Paris, je préfère rester ici. La vie y est dure et austère, mais je me sens en pleine forme physique et morale.
Ne croyez pas que j’ai coupé les ponts avec le passé! Ma pensée est souvent à Paris vers ce service que j’aurais tant voulu avoir le temps de « peaufiner ».
J’en ai quelques rares nouvelles.

J’en reviens à mes officiers, la moitié sont américains; plusieurs capitaines de frégate et de corvette; j’ai aussi sous mes ordres un Colonel français Commandant le 40e régiment d’artillerie de Verdun; plusieurs Lieutenants-Colonels et Commandants brevetés. Dans l’ensemble tous ont fait très correctement et avec beaucoup de cran un métier dur et risqué.

J’ai aussi quelques belges. Mes relations avec l’Arab Legion sont excellentes, mes relations avec les juifs sont bonnes. Mais le métier est terriblement décevant. Il n’est pas facile de négocier avec de tels adversaires. Nous faisons de notre mieux et je suis un peu effrayé de la responsabilité que je viens d’endosser en acceptant l’ensemble du groupe de Jérusalem. A la grâce de Dieu!

Deux de mes camarades sont morts tragiquement à Gaza, littéralement assassinés par des irréguliers égyptiens. Parmi eux le Lieutenant-colonel Ceren du boulevard Suchet. Lorsque son nom a été donné à la radio, il a été si mal prononcé que certains ont cru que c’était moi la victime.

A Xertigny les gens venaient aux nouvelles à la maison. La nouvelle aurait été infirmée par la presse et mon père en apprenant que j’aurai pu être tué a eu une attaque. Pauvre papa! Je ne sais pas ce que l’année me réserve mais vraiment ce serait une misérable destinée que de perdre la vie ici.


signé : André SEROT.

Article paru dans le Bulletin N° 159

Par le colonel Paul PAILLOLE

Le 17 septembre 1948, vers 16 heures, le Colonel André Sérot, médiateur de l’O.N.U. était abattu par une rafale de pistolet-mitrailleur dans le quartier juif de Jérusalem.

Il pressentait son destin.

Sa vision lucide de la situation créée au Moyen-Orient par les Nations Unies, son analyse des caractères, son expérience de plus de vingt ans dans les Services de Renseignements et de Sécurité, son robuste bon sens de Vosgien, tout l’amenait à désespérer de voir un jour la paix dans ces pays de passions et de rivalités livrés à l’aventure par les Nations Unies.

Un jour d’août 1948 il était venu en mission à Paris et m’avait consacré quelques heures.
II m’avait confié ses déceptions devant ce qu’il pensait être sa mission de Paix. Serein, il m’avait dit ses craintes pour l’avenir et aussi pour lui- même

« Mourir à Jérusalem, Paillole, croyez-vous qu’un chrétien puisse avoir une plus belle mort. »
Je ne l’ai plus revu. Un funeste pressentiment me faisait chaque jour écouter les radios, lire les nouvelles, et puis est venu ce jour fatal où le plus pur, le plus noble, le plus héroïque de nos soldats de la Paix est mort assassiné.

Trois jours avant, le 14 septembre 1948, il écrivait à l’un de ses intimes collaborateurs de la Sécurité Air qu’il avait créée en 1942 et dirigée jusqu’en 1948, une lettre bouleversante de simplicité de vérité et de stoïcisme.

Avec l’autorisation de son destinataire, le Colonel de l’Armée de l’Air Panthène, nous en publions ci-après de larges extraits.

Les anciens retrouveront dans ces lignes le visage de celui qui fut leur chef et qu’ils ont vénéré.
Les plus jeunes et surtout ceux qui ont chaque année rendu hommage au Colonel André Sérot devant sa stèle édifiée dans les locaux de leur service de Sécurité, apprendront à mieux le connaître et à comprendre jusqu’où peut aller l’esprit de sacrifice et la conception élevée du Devoir.

Tous pourront méditer sur le sort prévu, par Sérot et réservé à ce Moyen Orient où s’enlise toujours une Paix impossible.

Jérusalem, 14 septembre 1948.

Mon cher ami,
Aujourd’hui, j’en suis à mon 54e jour de mon second séjour à Jérusalem. Mais cette seconde trêve n’est pas du tout la même que la précédente, — autrement dit, il n’y a pas de trêve à Jérusalem. Nous avons eu, des journées et des nuits, de véritables batailles et nous nous bornons à enregistrer les coups. L’avant-dernière nuit par exemple, les observateurs, dans le secteur nord ont enregistré plus de 400 coups de mortiers. Cette nuit-ci, c’est la colline de Sion qui a été le centre d’activité.

Et nous sommes en plein dans le bain. Le couvent des Dominicains où j’habite avec huit officiers est en première ligne.

A cinq miles de là, l’Américan School où se trouve mon P.C. et où habitent une vingtaine d’Officiers. Entre les deux une petite butte sur laquelle l’arab legion a installé un Canon de 57 antichars et s’amuse de temps en temps à chatouiller les juifs avec son frère jumeau installé lui de l’autre côté des Dominicains. Et les Juifs les contrebattent à coup de mortiers… Nuit et jour, douze à quatorze observateurs sont en ligne de chaque côté. C’est très dur comme travail, et ce n’est pas sans danger vous le voyez. Jusqu’à présent, nous n’avons eu qu’un seul officier légèrement blessé : Pourvu que ça dure! Les deux groupes sont coiffés par un capitaine de vaisseau américain. Ce dernier devant rejoindre les Etats-Unis., l’Etat-major de Haïfa m’a demandé si j’acceptais de prendre la direction de l’ensemble du groupe de Jérusalem, soit 80 officiers. J’ai accepté pour mieux défendre les intérêts français. Je dois dire que j’ai une équipe d’officiers, français, excellente dans son ensemble, qui ont décidé de rester à Jérusalem et de ne pas profiter des possibilités de relève qui leur ont été offertes. Car le secteur de Jérusalem a la réputation d’être le secteur dangereux et pénible. Je me contenterai d’envoyer mes officiers en permission de détente à Beyrouth ou ailleurs lorsqu’ils seront fatigués.

J’ai interrompu ma lettre pour aller en liaison. J’apprends à mon retour que je prends décidément l’ensemble de Jérusalem et dès demain je vais abandonner la ville arabe pour m’installer dans la ville juive. Ça ne m’emballe pas mais il n’y a pas moyen de faire autrement. Je dois vous dire que la Défense Nationale se désintéresse de nous. Elle a été bien ennuyée lors qu’il a fallu envoyer en Palestine 125 officiers. Mais elle se désintéresse de la mission, les consignes qui nous ont été données sont lamentables « Pas de zèle! Et surtout votre sécurité avant tout ». Qu’on me laisse rire! la sécurité à Jérusalem n’existe pas, on peut recevoir une balle au moment où on s’y attend le moins; et nous vivons dans un secteur qui est battu par les bouches de mortiers. Quant au zèle, il faut bien qu’on vive et on ne peut pas moins faire que d’écouter les doléances des arabes et des juifs. Et pourtant il y a ici une partie importante qui se joue. Les Américains l’ont fort bien compris, ils ont envoyé des généraux, des Capitaines de Vaisseau, des Colonels anciens qui ont pris tout en mains et ont évincé les officiers (suédois) supérieurs incapables. Et nous Français, nous sommes considérés comme des gens de second plan. C’est la raison pour laquelle étant un des rares officiers français ayant un gros poste, j’ai accepté celui encore plus important du groupe total de Jérusalem. Je voudrais y monter une affaire spécifiquement française. Je m’aperçois que je vous raconte des histoires et que j’écris sans me rendre compte que je suis arrivé à la fin de mes deux pages.

J’espère que vous ne m’en voudrez pas et que vous ne pensiez pas qu’après avoir reçu votre lettre, j’ai voulu, en représailles, vous imposer un pensum.
(Entre nous, si j’écris mal et peu lisiblement je crois que vous êtes dans le même cas! )
Cette expédition m’a permis de faire, non seulement un merveilleux voyage, mais un pèlerinage que je n’aurais jamais songé faire. Je peux dire que je connais Jérusalem., la vieille cité et ses environs immédiats, le mont des Oliviers, les jardins, la vallée de Josaphat, la colline de Sion, etc… Tous ces lieux sont devenus pour moi familiers. Jéricho, Bethléem, Emmaüs, que sais-je encore! Et si j’en ai le temps et le loisir, je voudrais avant mon retour voir Naplouse…, Nazareth et le lac de Tibériade. Mais pour cela il faudrait que la paix revienne dans ce malheureux pays. Mais y reviendra-t-elle jamais?


Toute notre bureaucratie se fait en langue anglaise, ce qui ne facilite pas les choses et c’est pour moi un travail supplémentaire d’essayer de comprendre parfaitement les papiers que je signe…
J’ai, paraît-il, fait des progrès en anglais et j’arrive à exprimer des choses pas très compliquées.

Autre question? Combien de temps resterons-nous ici? Je n’en sais rien. Mais plutôt que de ne rien faire à Paris, je préfère rester ici. La vie y est dure et austère, mais je me sens en pleine forme physique et morale.
Ne croyez pas que j’ai coupé les ponts avec le passé! Ma pensée est souvent à Paris vers ce service que j’aurais tant voulu avoir le temps de « peaufiner ».
J’en ai quelques rares nouvelles.

J’en reviens à mes officiers, la moitié sont américains; plusieurs capitaines de frégate et de corvette; j’ai aussi sous mes ordres un Colonel français Commandant le 40e régiment d’artillerie de Verdun; plusieurs Lieutenants-Colonels et Commandants brevetés. Dans l’ensemble tous ont fait très correctement et avec beaucoup de cran un métier dur et risqué.

J’ai aussi quelques belges. Mes relations avec l’Arab Legion sont excellentes, mes relations avec les juifs sont bonnes. Mais le métier est terriblement décevant. Il n’est pas facile de négocier avec de tels adversaires. Nous faisons de notre mieux et je suis un peu effrayé de la responsabilité que je viens d’endosser en acceptant l’ensemble du groupe de Jérusalem. A la grâce de Dieu!

Deux de mes camarades sont morts tragiquement à Gaza, littéralement assassinés par des irréguliers égyptiens. Parmi eux le Lieutenant-colonel Ceren du boulevard Suchet. Lorsque son nom a été donné à la radio, il a été si mal prononcé que certains ont cru que c’était moi la victime.

A Xertigny les gens venaient aux nouvelles à la maison. La nouvelle aurait été infirmée par la presse et mon père en apprenant que j’aurai pu être tué a eu une attaque. Pauvre papa! Je ne sais pas ce que l’année me réserve mais vraiment ce serait une misérable destinée que de perdre la vie ici.


signé : André SEROT.




A la mémoire du colonel Serot : 33 éme anniversaire de sa mort

A la mémoire du colonet Serot -Article paru dans le Bulletin N° 108-octobre 1980

Cette année nous commémorons le 33° anniversaire de l’assassinat à Jérusalem de notre ami et camarade, le colonel André SEROT.

Il était médiateur de l’O.N.U. aux côtés du comte Folke BERNADOTTE.

Nous devons à l’obligeance de notre camarade lyonnais RÉAUX un émouvant récit de cet attentat. Nous l’avons extrait de son journal de marche, en même temps que quelques passages édifiants sur le climat qui régnait en Israël.

 

Mais est-ce bien différent aujourd’hui ?

 

par Mr. REAUX

 

Dans la nuit du 17 au 18 août 1948, des détachements des trois armées se glissent vers le Government House, les Juifs avec des camions blindés, les Arabes à pied.

Rencontre sérieuse, combat de nuit, échange de mortiers et d’obus. La bataille fait rage jusqu’au jour.

Du côté juif : 50 tués ou blessés.

Le commandement juif prétend qu’averti de l’intention des Arabes de s’emparer de l’hôpital, il a voulu les devancer afin d’évacuer des malades juifs qui s’y trouvaient.

Mais les Arabes ont réagi, et le 17 au matin, ils occupent le Government House, tandis que les Juifs se sont installés dans l’université arabe et l’école d’agriculture juive.

Arabes, Égyptiens et Juifs sont au contact et chacun s’organise sur le terrain conquis.

Dans la journée, les observateurs de l’O.N.U. essaient en vain d’obtenir le retrait des troupes de part et d’autre.

 

Le 18 seulement, on obtiendra une trêve permettant de relever les cadavres et blessés restés entre adversaires. Malheureusement, malgré les engagements les Arabes tirent sur les brancardiers juifs et 3 cadavres restent sur le terrain, d’où ils ne seront relevés qu’en septembre. Les cadavres juifs ramenés sont atrocement mutilés, selon la vieille coutume arabe !…

Vers 10 heures, je descends en jeep avec deux camarades jusqu’à l’American School, P.C. du colonel SÉROT, commandant le secteur arabe de Jérusalem.

Je retrouve avec joie ce dernier, avec qui j’ai passé deux ans au S.R. de Belfort, en 37-38, et à qui j’ai toujours été très cordialement attaché.

 

Depuis quelques jours, violente campagne dans les journaux contre l’O.N.U., et surtout contre BERNADOTTE.

 

 

31 août 1948.

 

Un radio américain et un ouvrier juif sont grièvement blessés au carrefour du consulat américain. Cela fait les 4e et 5e victimes. On pense (enfin !)… à rechercher un itinéraire moins dangereux.

A 21 heures, je suis à Lifta avec tous mes officiers. La nuit est magnifique.. Sous le ciel bleu parsemé d’étoiles, à 40 m. des mitrailleurs au créneau, derrière la maison du P.C., une vaste cour entourée d’oliviers et de figuiers ; des chaises et des bancs sur toutes les faces. Au centre, un énorme projecteur qui inonde de lumière les dalles roses de la cour.

 

Cinq cents personnes au moins, civiles et militaires, s’y entassent. On nous a réservé des places à la table d’honneur, aux côtés du colonel venu pour l’occasion. Dans un coin, un orchestre à cordes sur une estrade.

 

La nuit est calme, fraîche. A l’arrivée du colonel, un commandement bref retentit, tout le monde est au garde-à-vous… L’hymne national retentit, chanté avec une ardeur sauvage, presque mystique…

 

 

18 septembre 1948.

 

Le comte Folke BERNADOTTE et le colonel SEROT sont assassinés par le groupe STERN (groupe choc de l’AGANA dont le chef était M. BEGIN).

On a beaucoup écrit, beaucoup épilogué sur ce meurtre. Voici exactement comment les faits se sont passés.

 

Dans la voiture de tête, l’officier de liaison juif, le secrétaire et l’aide de camp de BERNADOTTE.

Dans la deuxième voiture, devant : le commander Mox et, comme chauffeur, Mr. BUGLEY, chef de la sûreté de l’O.N.U. ; derrière, de gauche à droite, le général LANDSTROËM, le colonel SEROT au centre, le comte BERNADOTTE à droite.

 

Brusquement, une jeep barre la route au convoi, deux Juifs en descendent, mitraillette au poing, inspectent la première voiture, puis arrivent à la deuxième. Celui de gauche passe le canon de son arme par la portière de gauche et descend à bout portant le colonel SEROT qui se penchait vers lui, couvrant BERNADOTTE, puis le comte, qui s’effondre frappé à mort. Le comte meurt pendant son transfert à l’hôpital.

 

Mr. BUGLEY, non armé, n’a pu intervenir. Les deux Juifs se sont replié en tirant, crevant même le pneu avant droit de la voiture de tête, et la jeep a disparu.

 

L’officier de liaison juif (le capitaine HILLMANN) n’a « naturellement » rien vu ! On ne retrouvera jamais les agresseurs.

 

Dans l’après-midi, les corps sont déposés sur des brancards, dans une salle du YMCA transformée en chapelle ardente, et nous veillons toute la nuit les corps de ces martyrs de la Paix » dont la toilette funèbre a été faite par des religieuses françaises.

 

 

20 septembre 1948.

 

Les corps de BERNADOTTE et de SEROT sont transférés à Haïfa. Long cortège d’une vingtaine de voitures. Autorités juives et consulaires. A Latrum, l’Arab Legion, alignée le long de la route, rend les honneurs.

 

Parti à 9 heures, le cortège arrive vers 13 heures, en pleine chaleur. Les corps sont immédiatement embaumés.

 

Nuit d’une chaleur étouffante.

 

A 6 heures du matin, les corps de nos infortunés camarades sont partis en avion pour la France.

 

Nous leur adressons du terrain d’Haïfa un dernier adieu. Pauvre Mme SÉROT !…

 

A 8 heures, je prends l’avion à mon tour.

 

A 9 h 30 je suis à Colundia et à 17 heures je réintège le YMCA, sans incident, mais « vanné » !

 

Triste corvée enfin terminée !

 

La nuit est agitée, mais le sommeil l’emporte.

Les Juifs s’attendent à une réaction en Europe, et à l’application des sanctions.

 

22 septembre 1948.

 

Police, patrouilles, contrôles… le grand jeu ! Mais on a l’impression que c’est du bluff et que les coupables sont déjà à l’abri. Il faut bien calmer l’opinion mondiale ;

A 10 heures, service religieux, chez les Pères de Ratisbonne, pour le repos de l’âme du colonel SÉROT. Autorités juives et étrangères y sont représentées.