1944 : Les archives allemandes saisies à la Libération

La violente réaction du 8 octobre 1986 de notre Conseil d’Administration stigmatisant l’insinuation d’un ancien Directeur du S.D.E.C.E. selon laquelle les archives nazies saisies à la Libération n’auraient pas été exploitées, a suscité le plus vif intérêt aussi bien dans l’opinion et la presse qu’au sein de notre Association. De nombreux camarades nous ont fait part de leur approbation dans des termes qui nous prouvent l’extrême sensibilité de l’amicale au respect de la VÉRITÉ et de l’Honneur de notre Maison. Nous donnons, ci-après, quelques extraits caractéristiques de nombreux messages qui nous ont été adressés

De Léon HUSSER le solide germanisant et technicien de nos anciens Services, pilier de nos réseaux de renseignements et de contre-espionnage « .. J’attendais le prochain Bulletin pour connaître vos réactions aux propos de M. de MARENCHES. L’ EXPRESS ». Reçu ce samedi 11 octobre comble mon coeur de fierté d’avoir ouvré à vos côtés »…

Du Colonel BERNARD le précieux collaborateur de notre T.R. ancien et de son chef le Colonel VERNEUIL « … J’avais adressé à M. de MARENCHES la lettre dont je vous joins copie. Cette missive était assez courtoise dans sa forme et précise dans son fond pour mériter, au minimum, un accusé de réception. Tel n’a pas été l’avis de ce monsieur que je considère, désormais, comme dénué de la plus élémentaire éducation. « Si vous estimez que mon texte peut servir au rétablissement de la VÉRITÉ j’en serais très heureux. Ce que vous déciderez sera parfait . Décidément cette sacrée vérité sort bien difficilement de son puits »…

 

Par le Colonel BERNARD

NOTE Concernant l’exploitation des archives allemandes saisies en 1944 par le Colonel BERNARD. A la Libération, la section des Services Spéciaux chargée de la chasse aux traîtres était confiée par le Colonel PAILLOLE, Directeur de la Sécurité Militaire, au Colonel LAFFONT, alias VERNEUIL.

Né le 7 juin 1897 à SENEUJOLS (Haute-Loire, à une douzaine de kilomètres au S.-S.-O. du PUY), Roger LAFFONT était entré à vingt-quatre ans au S.R. et y avait fait toute sa carrière. Avant 1939, sous le pseudo de « BERNARD », il avait dirigé l’antenne S.R. de FORBACH et s’y était distingué en pénétrant profondément le poste Abwehr de SARREBRUCK commandé par le Capitaine DERNBACH.

En 1940, le Capitaine LAFFONT se trouvait en poste à BELGRADE. Rentré en France après l’invasion de la YOUGOSLAVIE, il devint l’adjoint du Commandant PAILLOLE au Commandant du Contre-Espionnage clandestin (T.R.).

En janvier 1943, PAILLOLE établit le P.C. de son Service à ALGER et LAFFONT prit la tête du réseau T.R. laissé en France métropolitaine. Ayant servi dans ce réseau pendant toute la période clandestine, il ne m’appartient pas de porter un jugement sur son efficacité : je laisserai ce soin à l’ennemi.

Le 17 novembre 1943, l’Einsatzkommando III / I de la Gestapo de STRASBOURG envoyait, en effet, aux postes Gestapo d’Alsace, sous le n° L III – 3000 19/10/43 – G, une synthèse concernant les Services Spéciaux français.




1940 : Des archives secrètes tombent aux mains des Allemands

Le journaliste luxembourgeois Henri KOCH-KENT, ami du Colonel DOUDOT, nous a fait parvenir un très intéressant article qu’il a pu rédiger récemment, sur la base d’informations recueillies auprès d’un ancien officier de l’Abwehr, à propos des Archives secrètes françaises tombées aux mains des Allemands en gare de LA CHARITE-SUR-LOIRE en Juin 1940.Cette affaire, amplement exploitée à l’époque par la propagande allemande et les journaux collaborationnistes Français, a parfois été utilisée pour discréditer le 2ème Bureau et les Services Spéciaux. On a prétendu également que grâce aux documents récupérés, les Allemands ont pu identifier certains agents de nos Services, ce qui est inexact. Nous publions ci-dessous l’article de M. KOCH-KENT en le remerciant de son obligeance.

” On sait qu’en Juin 1940, les Allemands découvrirent, à La Charité-sur-Loire, de nombreux dossiers secrets du Grand Quartier Général Français. On crut longtemps qu’il s’agissait des archives du 2ème Bureau. L’affaire fut exploitée à fond par la propagande hitlérienne. Tous les journaux ennemis publièrent de longs extraits des documents saisis. La radio de Goebbels leur consacra d’innombrables émissions en plusieurs langues. Ribbentrop, le ministre des Affaires Etrangères, fit paraître, à l’intention du public français, un ” livre blanc ” de 400 pages, avec la reproduction, en fac-similé, de 70 rapports militaires ou lettres officielles.

D’après le major-général Ulrich LISS, qui centralisait les renseignements pour le Haut Commandement de l’Armée allemande (O.K.H.), le butin n’avait pas une valeur immédiate pour la conduite de la guerre. Il comportait cependant des aspects politiques compromettants pour certains pays, comme la Suisse qui avait signé secrètement avec la France une convention militaire dirigée contre le III ème Reich. Dans l’attente des représailles allemandes, elle vécut des heures d’angoisse.Il y eut des commentaires passionnés, en France comme à l’étranger, au sujet du drame de La Charité. Pour les uns le mythe de la ” cinquième colonne ” étant à son apogée, c’était l’œuvre de ” traîtres ” haut placés. D’autres attribuèrent la prise à l’efficacité de l’Abwehr, dont ils ignoraient à cette époque les démêlés avec le S.D., et l’inefficacité en France où ses réseaux avaient été décapités.

Il est établi désormais que la découverte des documents ne fut que le résultat du hasard. Cette thèse est confirmée par un témoin, le colonel e. r. Erwin Kaffke, qui a bien voulu reconstituer le déroulement des événements.

Major en 1940, le colonel Kaffke, officier de l’Abwehr, était attaché à l’Etat-Major de la 2ème Armée allemande, établi depuis le 14 juin à Clamecy. En pleine nuit, à 2 h. 30, un courrier motorisé remet sans commentaire à l’officier de service trois dossiers qui portent l’inscription ” Grand Quartier Général ” et dont le contenu est muni du cachet ” Secret ” ou ” Très secret “.

Immédiatement alerté, le major Irkens, chef du bureau des renseignements de la 2ème Armée, charge son collègue Kaffke d’identifier le lieu de la découverte des dossiers, qui avaient été transmis sans note explicative. Celui-ci apprend qu’ils ont été trouvés à la gare de La Charité, à une soixantaine de kilomètres de Clamecy. Il se rend sur place pour voir s’il y a d’autres documents à saisir. En même temps, par ordre téléphonique, la gare de La Charité est placée sous surveillance.

Vers 3 h. 30, le major Kaffke se met en route, accompagné de quatre officiers, de deux gradés de la police militaire secrète et de quelques interprètes… Arrivés à l’aube devant la gare, les enquêteurs questionnent les soldats qui montent la garde, conformément aux instructions reçues. Personne n’est au courant de la découverte des documents. Il faut procéder à la fouille systématique des trains bloqués à cause des destructions subies par le pont ferroviaire, situé à proximité, sur la ligne de Bourges.

Après une heure de recherches minutieuses, le capitaine de cavalerie Neinhaus (maire de Heidelberg) est le premier à repérer l’endroit d’où provenait le butin initial. Dans deux voitures de marchandises, il découvre les archives secrètes du Général chef d’état-major de la Défense Nationale. Elles sont entassées dans un fatras indescriptible, parmi des objets hétéroclites. Bouteilles de vin, aliments divers, machines à écrire, téléscripteurs, matériel de téléphone, appareils de projection, films ultra-secrets, vêtements militaires, le tout avait été fourré pêle-mêle dans les wagons, en même temps que les dossiers. Pêchant dans le tas des documents, les Allemands poussent des cris de surprise quand ils tombent sur des pièces officielles qui portent les signatures de contemporains illustres. Il s’agit d’une véritable collection d’autographes de personnalités alliées, civiles et militaires, comme Churchill, Chamberlain, Daladier, Gamelin, Ironside, Reynaud et Weygand. Les papiers sont souvent souillés par des taches de confiture ou de moutarde.

Réalisant l’importance de la trouvaille, le groupe Kaffke ramène en hâte son butin à Clamecy, où une équipe de traducteurs trie provisoirement les documents, en les annotant. Le lendemain, ils seront acheminés, par deux avions spéciaux, au quartier général de l’Armée (O.K.H.), quelque part à l’arrière, où se trouvait Hitler.

Chargé non seulement de mettre la main sur les dossiers de La Charité, mais aussi de rédiger le rapport sur les circonstances de la découverte, il fallut une semaine au major Kaffke pour fixer les détails de cette invraisemblable affaire.

Tout a commencé par la destruction du pont de la Loire. Parmi les voitures des trains bloqués à La Charité se trouvaient celles du Grand Quartier Général. Elles étaient en route pour Vichy. Un détachement de reconnaissance ouvrit le feu sur les soldats français affectés à la garde du train. Avec les cinq officiers qui les commandaient, ils furent faits prisonniers, pour être interrogés plus tard par le major Kaffke.

Quelques heures après cet incident, le lieutenant Runzer, chef d’un détachement de transmission radio, se trouvait à court de carburant. Pour se ravitailler en essence, il envoya son chauffeur, le caporal Kranzer, à La Charité. Après avoir fait en vain le tour de la ville, presque déserte, Kranzer décida d’inspecter les voitures de marchandises arrêtées sur les quais de la gare. Il y trouva bientôt les bidons qu’il lui fallait.

A-t-il alors poursuivi ses investigations dans l’espoir de ramener quelques bonnes bouteilles? Pour éviter l’accusation de pillage, il s’est bien gardé de faire des aveux au major Kaffke, venu l’interroger, après avoir mis trois jours pour retrouver sa trace, les unités allemandes ayant continué leur progression, malgré le cessez-le-feu du 17 Juin.

Kranzer emporta, on le sait, trois dossiers, sans réaliser l’importance de sa prise. Il n’avait pas compris non plus la signification de l’inscription, tracée à la craie sur les wagons en question :” Grand Quartier Général Matériel “.

Le lieutenant Runzer à qui il remit les documents, était loin, lui aussi, de se douter du trésor découvert par son chauffeur. Par routine, il transmit les documents à l’état-major de sa division, sans toutefois en spécifier l’origine. Ce n’est qu’à l’état-major de la 2ème Armée qu’on se rendit compte de la portée du renseignement.

En agissant vite, le major Kaffke a probablement empêché des cheminots de récupérer la précieuse cargaison abandonnée à La Charité.

Sans l’alléchante présence des bouteilles, le caporal Kranzer n’aurait probablement pas remarqué les dossiers qui avaient éveillé sa curiosité. Ainsi se confirme le dicton que les petites cause sont souvent à l’origine des grands effets.”




Le desastre de Mai 1940 : témoignage du Général Marty

Notre Président National vient de recevoir du général MARTY, la lettre ci-après, que nous reproduisons in-extenso. Peu à peu, l’explication de notre désastre de Sedan se dessine…, tandis que la VÉRITÉ sur le rôle de nos Services commence à percer les ténèbres si souvent volontairement et tendancieusement entretenus.

” Mon Cher Président,

Duloir m’a prêté votre n° 94 du bulletin des anciens des Services Spéciaux. J’y trouve la controverse sur le ” 10 mai 1940 ” et je suis en mesure de vous apporter une information personnelle qui renforce votre position.

Affecté, fin janvier 1940, à l’E.M. de Montry, j’étais l’otage du 2ème Bureau à la section d’études du front N.-E. ( je venais du 2ème Bureau de La Ferté sous Jouarre où j’avais jour après jour, rédigé le bulletin d’information du G.Q.G. que je faisais signer au général Roton ).

Fin avril, j’ai été chargé d’étudier l’hypothèse suivante : Hitler envahit la Belgique et la Hollande, avec un effort principal sur Sedan. ( J’imagine aujourd’hui que cette étude avait été provoquée par vos renseignements du 12 avril sur la vraisemblance d’une attaque par les Ardennes ).

Le problème est simple: on connaît de façon très satisfaisante le dispositif allemand ( voir ouvrage de Gauché ). La masse des forces est déployée au nord de la Moselle. Le gros des unités blindées en fait partie.

Un axe principal d’effort en direction de Sedan est tout à fait logique. Son offensive dans ce secteur ne trouvera pas d’obstacle sérieux. Les forces belges au contact se replieront vers la Meuse et Bruxelles. La 5ème Division légère de cavalerie ( à cheval ) ne pourra que jalonner l’avance ennemie. On a dit que les Ardennes sont peu perméables aux chars. C’est stupide, s’agissant d’une simple traversée sans combat.

Mon étude conclut que, 48 heures après le début de l’offensive, les allemands peuvent avoir un groupement blindé de plusieurs divisions sur la Meuse de Sedan et passer à l’attaque de notre position défensive.

Mon travail personnel ( 2ème Bureau ) est alors terminé. Il passe entre les mains de mon homologue du 3ème Bureau ( commandant G… ), quelle n’est pas ma stupéfaction de constater qu’il a conclu qu’il faudrait plusieurs semaines aux Allemands pour mettre en place la quantité d’artillerie ( G… est artilleur) nécessaire à rompre cette position.

C’est en contradiction formelle avec tout ce que le S.R. nous a appris sur les méthodes allemandes, dont on a constaté l’efficacité en Pologne. On connaît aussi la faiblesse de notre dispositif dans ce secteur. Mais le 3ème Bureau est plein de ses certitudes . C’est à peine si j’obtiens l’adjonction dans le rapport de l’expression ” sous réserve de la surprise technique “.

On connaît trop bien la suite.




IG FARBEN L’espionnage economique et commercial : les “Zefis”

Dans les archives américaines, un document inédit, daté du 26 juillet 1946 a permis, grâce à Bernard Towell, alias ” Holland “, de la branche X-2 (contre-espionnage), d’établir, à l’intention du Département d’État, la liste du réseau d’espionnage économique mondial organisé par IG-Farben avant la guerre, réseau qui a fonctionné jusqu’en 1945, et peut-être au-delà (dossier L4-9567).

Quatre départements de l’IG-Farben camouflaient dans leur personnel des ” Zéfis “, appellation donnée à des hommes de confiance postés dans tous les bureaux étrangers de la firme, uniquement chargés d’espionnage économique et commercial.

C’est Hermann Schmitz, homme de confiance du Haut État-major allemand qui, dès 1928, a entrepris cette implantation. Ami intime de Martin Bormann jusqu’en 1945, il chargea son associé à la direction de l’IG-Farben, Max Ilgner, de remplir son rôle de gestionnaire du réseau en 1940, tandis que lui-même s’occupait spécifiquement de le greffer sur l’organisation secrète de Bormann, à partir de 1943.

Max Ilgner avait pour adjoints Walter Bachem, Wilhelm Helmerking et Emil de Haas (spécialement chargé de l’implantation en Chine) qui était secrétaire de la Karl Schurz Association, basée aux États-Unis.

Cette association, en apparence américaine, créa ensuite une filiale en Allemagne. Le parti nazi ne la contrôlait pas, mais l’infiltra à partir de 1936.

Les renseignements des Zéfis étaient transmis par courriers spéciaux à l’organisme de ” Vowi ” (initiales de ” Économie du Peuple “) contrôlé par Hermann Schmitz, qui se chargeait de les répercuter aux bureaux des Ministère des Affaires Étrangères et à l’organisation à l’étranger du parti nazi.

Les notes les plus confidentielles étaient réservées à H. Schacht, le grand financier du Reich jusqu’en hiver 1939 (remplacé ensuite par W. Funk) et à Martin Bormann.

Tout Zéfi itinérant devait rendre compte de ses contacts, conversation et remarques, etc… Les listes en notre possession, valables jusqu’en 1945, couvrent une vingtaine de pays sur tous les continents.

En France, un certain W. P… était un Zéfi. Son frère Mario exerçait en Italie en tant que journaliste. En Suisse, M. F… ; en Inde, K… et Karl K… ; en Norvège, F…, puis F…, etc… Aux États-Unis, c’est le groupe Chemnyko, sous la supervision de Walter Duisberg (dont l’auteur a connu la famille après la guerre en Allemagne) et de Rudold Ilgner, frère de Max, qui manipulait plusieurs Zéfis, ou hommes de confiance. Rudolf avait réussi à se faire naturaliser américain à la veille de la guerre de 1939.

Max Ilgner, arrêté en 1945, a été interrogé par Holland (Towell) et a dénoncé sans trop de pressions, l’industriel B… qui, près de Berlin, avait camouflé chez lui d’importants dossiers, puis un certain H…, directeur de l’Économie nationale, qui cachait chez lui en Haute-Bavière, d’autres documents.

L’enquête a conduit ensuite à des dossiers dissimulés dans la mine ” Theodor “, à Dillingen puis à Mademoiselle F…, à Würzburg-Neue Velt, Leulfresserweg.

Ces documents ont été mis sous le coude parce qu’Ilgner révélait en 1945 que des transactions illégales, menées grâce aux Zéfis, étaient passées par la National City Bank et l’Internationale Acceptance Bank, où Paul Warburg avait son mot à dire.

A la veille de la capitulation de l’Allemagne, Ilgner et Schmitz ont fait déposer sur des comptes secrets de quoi payer trois mois de salaires à tous les Zéfis, qu’ils fussent revenus en Allemagne ou encore en poste à l’étranger. Ce budget, d’une valeur de 600 millions de marks en 1944, était réparti dans seize banques. Cette note est tirée de l’annexe d’un ouvrage à paraître de Pierre de Villemarest qui, dans ses archives, possède la liste complète et nominative des ” Zéfis ” à l’échelle mondiale, datée du printemps 1945, juste avant la défaite du Reich.

On en déduit que l’inventeur de l’espionnage économique systématique, à ce degré, est bien Hermann Schmitz qui possédait alors autant d’actions de la Standard Oil of New Jersey que David Rockefeller, son patron. Mort en 1969 à 79 ans, Schmitz avait comparu en 1948 devant les tribunaux de Nuremberg, qui l’avaient condamné à 4 ans de prison ; mais il fut libéré quelques mois après. Nombre de ses amis et associés étaient conseillers d’Adenauer …

L’organisation secrète de Bormann dont il est question dans cette note – annexe, s’appelait ” Hacke “, et a fonctionné jusqu’en 1948.




Commentaires de l’ouvrage d”Anthony Cave Brown. « La Guerre Secrète 1939-1945 »

Dans le présent bulletin une place de choix est réservée au remarquable article de notre Président National, consacré une fois de plus à « cette sacrée vérité ». Sous le titre sans ambiguïté de « Comment on fausse l’histoire », le colonel Paillole exécute en quelques pages les neuf cent huit que comporte la traduction en français de l’ouvrage d’Anthony Cave Brown. « La Guerre Secrète 1939-1945 ».

Ce n’est hélas pas la première fois que, depuis 1945, on nous assène des explications lumineuses – dans leur concision et leur simplicité – d’une guerre secrète dont les uns et les autres nous avons eu l’honneur d’être les acteurs à divers échelons. On peut même dire qu’il y a eu dans cette cascade de révélations une curieuse gradation dans le sensationnel.

Cela avait commencé par une condamnation sans appel des services spéciaux occidentaux en général et de notre « vieille maison » en particulier. Sur­classés, ridiculisés par le tandem « Abwehr – 5e Colonne », l’I.S. britannique et l’ensemble S.R.- S.C.R.-S.T. français portaient une responsabilité écrasante dans les revers de la première phase de la guerre et, plus spécialement, dans la catastrophe de Mai-Juin 1940.

Dieu merci la relève de ces « incapables » allait être assurée à la fois en Grande-Bretagne par des réservistes géniaux et, en France, par une levée en masse de résistants apprenant sur le terrain les rudiments du Renseignement.

A la thèse du « vide initial » et de l’apparition providentielle de « l’Armée de l’An II du Renseignement » devait succéder celle de l’omniprésence et de l’omniscience des services spéciaux soviétiques. Avec « l’Orchestre Rouge » tout devenait clair, y compris les pertes effroyables de l’Armée Rouge de juin à octobre 1941, La guerre avait été « gagnée en Suisse » selon certains, au G.O.G. d’Hitler selon d’autres.

A lui seul, Leopold Trepper s’était payé le luxe d’abattre la Wehrmacht. Rappelons-nous simplement le bruit fait en France autour de ce personnage qui se targuait de son « ancienneté dans la Résistance » – dès 1938, avait-il l’impudence d’affirmer, alors que jusqu’en juin 1941 il avait été tout simplement le Résident en Europe Occidentale du Service de Renseignements d’un pays ami de l’Allemagne – en s’intéressant avant tout à la France, à la Belgique et aux Pays-Bas.

Certes, entre-temps, nous avions tenté de réagir au service de « cette sacré vérité », mais les ouvrages énumérés dans l’article du Président National n’on pas toujours eu le retentissement de certains livres à sensation, tant il est vrai qu’en France les « produits étrangers » ont toujours tenu le haut du pavé Cette amère vérité se confirme une fois de plus avec le succès du livre de Brown. Grâce à lui une nouvelle explication globale de la défaite allemand basée sur la triade Ultra (alias Enigma) – Intoxication – Orchestre Noir – , supplanté celle de l’Orchestre Rouge. On en arrive à se demander comment dans ces conditions, l’Allemagne hitlérienne a-t-elle pu tenir jusqu’en 1945 ?

Le Président National s’est donné la peine de démonter le mécanisme de cette nouvelle trouvaille des falsificateurs de l’histoire. Il appartient à chacun de nous de diffuser, aussi largement que possible – en profitant de toutes le occasions -, l’essentiel de sa mise au point.

« LA GUERRE SECRÈTE » 1939-1945 (l)

par le Colonel Paul PAILLOLE

,.. « On n’en a jamais révélé autant »…

… « Une dimension jusque là inconnue »… … « Passionnant »…

Passionnant, il l’est ce livre (1) encensé en de tels termes par la presse de France et des pays occidentaux, à l’exception de l’Allemagne.

Un tirage énorme sanctionne ces commentaires. Certes, les lecteurs avides de mystères, de combinaisons secrètes, de complots, de trahisons de haut vol, de manoeuvres occultes en tous genres y trouvent leur compte.

L’auteur pratique avec une singulière habileté une manipulation des événements. Ses références aux archives, aux témoignages, aux historiens sont impressionnantes. Elles emportent l’adhésion du profane, à fortiori celle de l’amateur de choses secrètes. J’ai lu cet ouvrage avec application et ma surprise est extrême devant ce concert d’éloges.

Je croyais moins naïfs nos médias spécialisés. Il me semblait qu’un minimum de connaissances historiques, associé à la nécessaire conscience professionnelle obligeaient les commentateurs d’oeuvres aussi spéciales à donner à la recherche de la vérité une priorité sur les produits de l’imagination et l’attrait du « suspense »… Je me trompais.

Ainsi, au fil des ans, avec de telles complicités, s’estompe la réalité des faits. La répétition amplifiée des mensonges, l’accumulation des erreurs, la multiplication des oeuvres subjectives, finissent par étouffer l’Histoire, tout comme les mauvaises herbes ruinent le champ de blé.

* *

Je n’ai pas l’intention d’écrire ici une recension du livre d’Anthony Cave BROWN. Je veux simplement mettre en garde ses éventuels lecteurs contre une acceptation sans nuance de sa relation de la Guerre Secrète et de ses effets dans le deuxième conflit mondial. Ce faisant, je souhaiterais mettre un frein au crédit trop vite et trop facilement accordé à des ouvrages du même type qui spéculent sur l’appétit des lecteurs pour les affaires ténébreuses et leur incommensurable crédulité.

Je résume : pour BROWN, la victoire alliée de mai 1945 s’est forgée essentiellement sur trois éléments dont les Services Spéciaux anglo-saxons ont usé à merveille. On remarquera au passage, qu’en 928 pages, l’auteur réussit le tour de force de ne consacrer que quelques lignes (truffées d’erreurs) à l’action des services spéciaux français traditionnels (S.R. et C.E.) (2).

Ces trois éléments clés sont :

– La machine à chiffrer allemande ENIGMA reproduite par les alliés pour permettre le décryptement des messages ennemis, (C’est ce que l’auteur appelle la source de renseignements « Ultra ») ;

– L’intoxication de l’adversaire par les faux renseignements ;

– La « Schwarze Kapelle », vaste organisation militaire clandestine allemande et de haut niveau qui, de 1933 à 1945, se serait fixé pour but de renverser le régime nazi.

Machine Enigma et Intoxication ont fait l’objet de larges exposés dans nos bulletins et dans les livres de nos camarades (3). La contribution de nos Services à leur mise en oeuvre y est décrite avec objectivité. Elle fut décisive, mais elle avait ses limites.

Tout cela BROWN l’ignore. Ses affabulations donnent aux résultats de ces deux éléments des dimensions hors de proportion avec leurs possibilités. Elles font fi des réactions de l’adversaire.

S’il est des domaines où l’efficacité d’une action clandestine est difficilement décelable, c’est bien ceux où cette action s’inspire d’un renseignement ou d’un travail très secret dont l’origine ne peut être révélée. Nul ordre, nul compte rendu ne saurait faire état d’une telle origine sans compromettre une source ou une manoeuvre d’un intérêt capital. Dès lors, je vois mal vers quelles archives sérieuses peuvent se tourner ceux qui prétendent révéler l’impossible. Restent les acteurs, les témoins : nous en sommes et nos souvenirs en valent d’autres. Se référer à eux m’apparaît aussi essentiel que d’ausculter des documents discutables.

Et voilà le troisième élément : la « Schwarze Kapelle »… Pour la première fois, sous cette dénomination et à une telle échelle, apparaît une entre­prise de trahison qui, avant et pendant la deuxième guerre mondiale, aurait miné le IIIe Reich et entraîné sa chute (4).

Selon BROWN, et avant lui, quelques auteurs plus timides en quête de sensationnel, cette vaste conspiration, structurée et animée depuis le haut­commandement allemand (O.K.W.) visait, non seulement à renverser le régime nazi en se débarrassant d’HITLER (ce que je ne nie pas en bloc), mais encore et surtout à s’associer clandestinement avec les alliés pour précipiter la défaite de l’Allemagne.

Autrement dit, des soldats de l’envergure de ROMMEL, von FALKENHAUSEN, BECK, von STÜLPNAGEL et autres CANARIS pactisaient avec l’ennemi, livraient les secrets du Reich et de la Wehrmacht avant de sombrer avec STAUFFENBERG dans l’échec de l’attentat contre le Führer, le 20 juillet 1944.

Devant de telles « révélations » je reste confondu. Ami, parfois même confident des patrons des Services Alliés que BROWN associe à ce complot permanent MENZIES (5), Dick WHITE (6), DUNDERDALE (7), DONOVAN (8) et d’autres, je me suis demandé si, de 1939 à 1945, j’avais été atteint de cécité, de surdité ou, ce qui eut été plus grave, inconscient des événements que nous avions la charge d’observer.

Bien sûr, comme tout autre pays, y compris le nôtre, l’Allemagne a eu son lot de traîtres. Ces cas particuliers nous les connaissons et nous en avons profité. Ce n’est pas d’eux qu’il s’agit.

Bien sûr, dès l’avènement d’HITLER, nous avons su que l’armée allemande acceptait mal le nouveau régime. Nous avons connu les discussions suscitées par les décisions du Führer, les réserves soulevées par sa politique et ses initiatives. Quel régime est exempt de critiques, voire d’opposition ? Rien en cela ne s’apparente à la trahison.

L’opposition militaire allemande, mal structurée, après avoir accumulé jusqu’en 1939 des manifestations d’hostilité plus ou moins apparentes a vu sa virulence fondre sous l’accumulation des succès intérieurs et extérieurs du IIIe Reich. Dès lors, réduite chez certains opposants irréductibles à un état d’esprit, elle n’a repris vigueur qu’à partir de 1943, lorsque la défaite est apparue inéluctable aux moins fanatiques des opposants du régime.

Abattre le Führer devint pour les militaires les plus soucieux de l’avenir de l’Allemagne la condition préalable à toute tentative de négociation de paix honorable. Acte ultime de leur résistance, la tentative d’assassinat d’HITLER du 20 juillet 1944 n’a nullement le goût amer d’une trahison. … « Qu’il y ait eu au sein de la Wehrmacht des oppositions au régime nazi, c’est certain et c’est moralement acceptable. Que des officiers aient trahi en pactisant avec l’ennemi pour des raisons politiques eut été contraire à l’honneur »…

Tel est le jugement d’un officier supérieur de l’Abwehr, collaborateur intime de CANARIS, sur cette évanescente « Schwarze Kapelle ».

Deux personnalités allemandes dont la notoriété et le sérieux sont exceptionnels corroborent cette opinion : le professeur JÄCKEL, spécialiste mondialement connu de l’histoire moderne et plus particulièrement de la guerre secrète m’écrit le 27 juillet 1981 :… « les officiers généraux ou supérieurs de l’opposition allemande contre HITLER, n’ont jamais trahi des secrets militaires à l’étranger. Cela ressort clairement de toutes les études historiques sérieuses… »; le général SPEIDEL qui fut le chef de l’état-major du maréchal ROMMEL (9) et son confident.

Anthony Cave BROWN les classe tous deux parmi les chefs de sa « Schwarze Kapelle ». SPEIDEL a publié ses mémoires en 1964, relaté la tragique mort de ROMMEL et la fin du IIIe Reich. En vain cherche-t-on dans son livre l’ébauche d’une trahison ou d’une tentative de négociation avec l’ennemi. On trouve par contre, exposés avec mesure les tourments d’un grand soldat devant son impuissance à convaincre HITLER et l’O.K.W. de lui donner les moyens de s’opposer au débarquement allié en Normandie. Ce n’est que le 9 juillet 1944 et en désespoir de cause que ROMMEL accepte de s’associer avec « les résistants berlinois »: BECK, HOFACKER, STAUFFENBERG, etc., pour « préparer la synchronisation des mesures révolutionnaires » visant à l’élimination d’HITLER et à la cessation des hostilités à l’ouest.

Malgré cela, dans un ultime et vain effort de persuasion, ROMMEL, le 1er juillet 1944, se tourne encore vers le Führer ; il lui adresse un véritable ultimatum :… « La situation sur le front de Normandie tend vers un grave crise… la troupe combat partout héroïquement, mais cette lutte inégale approche de sa fin… Je suis obligé de vous prier de tirer immédiatement les conséquences de cette situation »… et ROMMEL ajoute à l’intention de SPEIDEL … « Je lui ai donné sa dernière chance. S’il ne veut pas en tirer le conséquences, nous agirons »…

Le 17 juillet 1944, à 16 heures, ROMMEL était grièvement blessé sur la route de Livarot à Vimoutiers… « Le coup qui le frappait privait le plan du seul homme capable de porter sur ses épaules le double poids effroyable de la guerre extérieure et de la guerre civile »… (Ernst JÜNGER).

Trois jours après, l’attentat contre HITLER échouait.

Le 14 octobre 1944, ROMMEL, encore convalescent, allait mourir :« Sur l’ordre du Führer, j’ai le choix ou de m’empoisonner ou de me laisser traîner devant le tribunal du peuple ».

Son sens de l’honneur et sa virilité imposaient le sacrifice.

La tentation était grande de piéger le lecteur par une sorte de parallèle (du moins dans la terminologie) entre la « Schwarze Kapelle » évanescent et la redoutable « Rote Kapelle » (10) des Soviets.

Plus grande encore était la tentation de séduire en faisant mieux et plus.

A la « trahison » de grands chefs militaires, le livre d’Anthony Cave BROWN voudrait ajouter l’incapacité du commandement allemand à maîtriser le secret de ses transmissions et sa crédulité infantile devant les manoeuvre d’intoxication des alliés.

Son épilogue donne des signes de trouble :

« Si CANARIS ne travaillait pas vraiment pour les Britanniques, il est toutefois certain qu’il travaillait contre HITLER » (page 416, 2° tome).

« Il n’existe aucun document, actuellement accessible aux historiens, pour établir le bien-fondé de la conviction (…) que la Schwarze Kapelle et les Services Secrets alliés avaient conclu une espèce de pacte » (page 419, 2, tome).

Pourquoi donc avoir consacré plus de 900 pages à flirter avec la Vérité et mystifier le lecteur qui n’a pas le courage de pousser la lecture jusqu’à l’épilogue ? Attrait du sensationnel ? de l’intérêt commercial ? Ambition personnelle ?

Il n’en reste pas moins que ce livre aura sa place dans l’Histoire. Et c’est regrettable.

(1) Anthony Cave BROWN, 2 vol., 928 pages (Editions Pygmalion). Traduit de l’anglais.

(2) Pour occuper plus de place dans le livre, le B.C.R.A. et son action ne sont pas traités avec beaucoup plus de compréhension et de sympathie.

(3) Enigma, par Gustave BERTRAND (Ed. Plon). La guerre secrète des Services Spéciaux, par Michel GARDER (Ed. Plon). Services Spéciaux 1939-1945, par Paul PAILLOLE (Ed. Robert Laffont). Le Service de Renseignements, par Henri NAVARRE (Ed. Plon). Mes camarades sont morts, par Pierre NORD (Ed. Librairie des Champs-Elysées). Le S.R. Air, de Jean BÉZY (Ed. France-Empire). L’intoxication, par Pierre NORD (Ed. Fayard).

(4) Durant toute la guerre (…) la Schwarze Kapelle (dont l’amiral CANARIS, patron de l’Abwehr était l’un des chefs) avait systématiquement procuré au commandement allié des renseignements secrets d’une importance vitale pour les opérations militaires !… (La guerre secrète d’Anthony BROWN, page 30).




1939-40 : Comment le commandement militaire français est informé des plans d’invasion allemands

Un de nos camarades de l’École Supérieure de Guerre résumait ainsi le drame du Renseignement en France « Chez nous, l’Ennemi est toujours de trop. On a tellement d’ennuis avec nos propres forces et surtout avec nos Alliés, qu’on n’a pas le temps de s’occuper de ce cochon-là. Mais comme il faut quand même un ennemi dans un Ordre d’opérations – il existe un paragraphe à cet effet, on s’en crée un sur mesure en fonction de sa propre idée de manoeuvre. » Le dernier livre de notre Président National “Notre espion chez Hitler” confirme amplement la boutade de notre camarade. Ainsi nos services avaient la chance de posséder au coeur même de la machine de guerre ennemie – cela en dehors d’autres sources de premier plan, un agent aussi précieux que H.E., sans que pour autant le Haut Commandement français eût cru bon de reconsi­dérer son plan d’Opérations. Celui-ci, avec en particulier la fameuse “Hypothèse Dyle”, avait été établi en fonction d’un Ennemi auquel on avait prêté l’intention de recommencer la même manoeuvre à travers la Belgique qu’en 1914.

Même en admettant que la source H.E. n’ait pu indiquer à temps, de façon explicite, que l’effort principal du Plan jaune devait porter sur les Ardennes et ensuite en direction de la Manche, elle avait néanmoins fourni suffisamment d’informations sur les forces blindées allemandes et sur leur doctrine. Dès lors il est incompréhensible que l’État-major français ait couru le risque d’une bataille de rencontre avec un adversaire plus puissant et plus mobile dans « le plat pays » plutôt que de l’attendre à l’abri du système fortifié prolongeant la Ligne Maginot. Or il se trouve que grâce à d’autres sources citées par le Colonel Paillole dans son livre précédant “Services Spéciaux”, l’intention allemande d’agir en priorité sur l’axe Sedan-Dunkerque apparaissait nettement. On n’en a pas tenu compte en haut lieu sous le prétexte discutable de l’imperméabilité aux blindés du massif des Ardennes.

On pourra nous rétorquer que l’Armée française n’a pas été la seule à avoir connu une surprise stratégique au cours de la dernière guerre mondiale et que l’Armée Rouge a, elle aussi, été prise en défaut en 1941. En fait il existe une grande différence entre les deux catastrophes initiales, française et soviétique, dans la mesure où en U.R.S.S. la responsabilité incombait totalement à Joseph Staline et non au Commandement – lequel n’osait pas contre­dire le dictateur, alors qu’en France, malheureusement, les militaires sont les premiers responsables.

Cette amère constatation n’absout en rien les fautes accumulées depuis la victoire de 1918 par le pouvoir civil, mais en tant qu’Anciens du Renseignement nous nous devons d’être objectifs. Il s’agit là d’une constante de notre Histoire militaire qui fait que depuis Napoléon nous avons connus mains revers dus à la marginalisation du Renseignement. Le Bureau Noble, par définition, a toujours été le 3em – Opérations ; les bureaux utiles étant le 1er – Mobilisation­ – Avancement-Décoration et le 4em – Logistique. Le 2em n’était, hélas, que celui des Cassandre. Il suffit d’évoquer la catastrophe de 1870 et les difficiles débuts de 1914 pour s’en convaincre.Il est réconfortant pour nous de constater que Notre Chère Vieille Maison a été à la hauteur de sa tâche avant et pendant les deux Guerres Mondiales. Cela ne nous empêche pas d’éprouver quelques appréhensions en ce qui concerne l’avenir du pays.




La sûreté aux armées par le Commissaire F SALAS

Nous avons souvent souligné les mérites de la Sûreté aux Armées. Jamais encore nous n’avions pu publier un récit documenté montrant son travail. C’était une lacune dans l’oeuvre historique que nous nous sommes assignée.

C’est pour nous une grande satisfaction de pouvoir, aujourd’hui, la combler grâce à notre camarade F. SALAS, Commissaire Principal de la Police Nationale, ancien de l’équipe B.S.M./SA-509. Nous le félicitons et le remercions.

Au-delà de sa personne, ce sont tous les magnifiques fonctionnaires de la Police Nationale que nous saluons, et plus spécialement les volontaires de la S.A, qui, avec un merveilleux esprit patriotique, ont participé avec courage et compétence à la Sécurité des Armées françaises et alliées.

Une réglementation rigoureuse et mal adaptée aux circonstances, n’a pas permis jusqu’à présent de donner à ces fonctionnaires la récompense administrative que leurs services de guerre leur a pourtant acquis.

Nous le déplorons comme nous déplorons tant d’ingratitude à l’égard de ceux qui ont servi généreusement leur Pays, dans la discrétion et sans se soucier d’autre récompense que celle que procure la satisfaction du DEVOIR accompli.

BUREAUX DE SECURITE MILITAIRE ET SURETE AUX ARMEES (1943-1945) Août 1944 !

Sur les côtes de Provence, le formidable débarquement des Forces Françaises et Alliées a commencé le 15, entre HYERES et SAINT-RAPHAËL.

A l’intérieur des Divisions françaises de la 1ère Armée du Général de LATTRE de TASSIGNY, les Bureaux de Sécurité Militaire et de Sûreté aux Armées (B.S.M.-S.A.) rattachés à l’Etat-Major de chaque Division forment des groupes bien modestes, comparés à l’énorme machine de guerre 25 à 30 hommes au maximum.

Le B.S.M. 509 placé en Novembre 1943, en ALGERIE, auprès de la 9ème Division d’Infanterie Coloniale (9ème D.I.C.), débarque d’un L.S.T. le 17 Août sur la plage de La NARDELLE, entre SAINTE-MAXIME et SAINT-RAPHAËL. Ce bureau a déjà participé à des missions de protection du secret et de Contre-espionnage en ALGERIE, en CORSE, et à l’ILE D’ELBE, mais son personnel sait bien, en débarquant en PROVENCE, que sa véritable mission va commencer. Il est prêt !

La fin de la guerre, et la Victoire, le trouveront à TUTTLINGEN, en ALLEMAGNE.

Il avait bien et complètement rempli la mission qui lui avait été donnée à son départ de la terre d’ALGERIE , en participant activement aux Batailles de TOULON, du DOUBS, d’ALSACE et d’ALLEMAGNE, et en capturant un grand nombre d’agents ennemis. 22 Août 1944. TOULON tient toujours.

Les troupes coloniales progressent vers le grand port militaire.

A bord de ma jeep, j’aperçois les premières maisons de LA FARLEDE, les tirai!leurs sénégalais du 6ème R.T.S. aspergeant de rafales un mamelon sur ma droite d’où un groupe de mortiers cherche à interdire la progression des véhicules sur la route nationale.

Quelques jeeps brûlent ; morts et blessés gisent à terre. J’atteins les premières maisons puis la rue principale du village, jonchée de cadavres allemands.

J’ai mis pied à terre. J’aperçois un groupe d’hommes armés, vêtus d’uniformes bleus et portant des brassards tricolores. Des F.F.I. !

Ils poussent devant eux, vigoureusement, un jeune homme en civil. Je m’approche. Le Chef de groupe est un barbu, énergique. Je me fais connaître. Il me fait part de son intention de fusiller son prisonnier, sur-le-champ.

D’après lui, il s’agit d’un collaborateur. Le jeune homme a les yeux bandés ; il est pâle et muet. A peine 20 ans.

Les rafales crépitent dans le village, tout autour de nous. J’interdis aux maquisards une si expéditive justice. Palabres et discussions.

Le Chef consent enfin à me remettre son prisonnier. Je lui signe un papier. Je me dirige avec le groupe vers la Gendarmerie. Personne ! Je m’installe.

Le prisonnier s’appelle B…-M…. Il est signalé sur les listes ” S.M. Débarquement ” en ma possession, comme ” Journaliste du RNP (de Marcel DEAT) et propagandiste “.

Je m’entretiens durant une heure avec lui. A l’issue de ce premier contact, je suis convaincu que ce garçon, intelligent et cultivé, n’a pas pu ne pas jouer un rôle dans le grand drame de l’Occupation et de la Résistance.

Je dois partir car j’ai d’autres objectifs à atteindre dans la journée, figurant également sur mes listes, et notamment à SOLLIES-PONT et à TOULON où nos premiers éléments ont pénétré.

Je laisse B…-M… sous la garde du groupe de F.F.I., avec mission de lui permettre, sans l’importuner, de rédiger le curriculum vitae très détaillé que j’ai exigé de lui.

Un saut jusqu’à TOULON ! Personne aux adresses indiquées ! La ville est en effervescence, joies de la Libération, tireurs isolés, femmes rasées que l’on promène dans les rues.

Les forts tiennent toujours, canonnades et crépitements d’armes automatiques.

J’ai laissé DABADIE à SOLLIES-PONT ” s’occuper ” du Maire de la Ville, et de sa secrétaire, inscrits sur nos listes comme collaborateurs.

Retour à LA FARLEDE, tard dans la nuit. Mon prisonnier est… toujours en vie, et je le trouve plus détendu que je l’avais laissé.

Il a noirci plusieurs pages, que je lis. Je le connais mieux, maintenant !

Recruté dans l’Organisation TODT, déplacements nombreux dans les massifs boisés de SAVOIE et du JURA.

Missions de renseignements? Il ne m’en parle que dans la nuit. Je le ” traite ” à fond jusqu’au matin. Je veux en savoir davantage. Petit déjeuner, toilette, et je le laisse à nouveau à ses confessions.

Un saut jusqu’à un village de la région où le Maire a été ” démissionné ” et emprisonné par des F.T.P.

La Mairie est pleine de civils en armes, farouches et peu décidés à écouter cet Officier venu d’on ne sait où et qui exige la libération immédiate du Maire (80 ans) et sa réinstallation à la Mairie.

Rapide ” Référendum ” auprès des gens du village et, très démocratiquement, ce à quoi ne peuvent s’opposer les F.T.P., remise en place du Maire !

Retour à LA FARLEDE. B…-M… a précisé quelques points, en réponse au questionnaire que je lui ai laissé.

Il est bien un ” agent ” recruté par le S.R. allemand, ayant accompli des missions!

Je termine son interrogatoire et j’établis la procédure. Le temps presse et il me faut continuer sur TOULON.

Travail un peu ” bâclé “, mais j’ai obtenu l’essentiel dans cette affaire. D’autres le traiteront, d’une manière plus approfondie, en partant des renseignements déjà recueillis.

Je conduis mon prisonnier à la Prison de TOULON, gardée par nos militaires.

Je dois, quant à moi, aller vers d’autres missions et suivre le sort de ma Division, la 9ème D.I.C.

(Je devais apprendre, plus tard, à BESANÇON, que B…-M… avait été condamné à 20 ans de détention et ce malgré le très bon rapport que j’avais établi à son sujet, à la suite des faits qui vont suivre.) * J’avais traité B…-M… de la manière la plus humaine. J’avais tenu à ce qu’il soit traité correctement et il l’avait été.

Au moment de me séparer de lui à la Prison de TOULON, il me remercia, et notamment ” de lui avoir sauvé la vie “.

” Pour me témoigner sa reconnaissance “, me dit-il, ” il voulait me fournir un renseignement qu’il n’avait pas voulu dévoiler lors de ses interrogatoires, estimant également, après son passage dans notre service, que les activités au profit de l’ALLEMAGNE devaient être neutralisées, la libération du Territoire étant menée par d’authentiques soldats français, contrairement à ce que la propagande avait fait croire aux populations, etc. “

B…-M… m’apprit alors qu’une jeune femme nommée V…, artiste peintre de son état et domiciliée à ANTIBES, jouait un rôle déterminant au profit du S.R. Allemand.

Il l’avait appris de sa bouche même et V… lui avait également confié que le S.R.A. avait placé auprès d’elle un technicien radio chargé de la transmission des renseignements à une Centrale installée quelque part en Forêt Noire.

B…-M… ne connaissait pas ce technicien ; il savait seulement, par V…, qu’il était Français et qu’il avait été un des premiers opérateurs en ondes ultra-courtes, notamment lors d’une expédition du Docteur CHARCOT au SPITZBERG.

Muni de ces renseignements je filai aussitôt sur ANTIBES.

Tout le secteur de la Côte d’Azur venait d’être occupé par la 36ème Division U.S., qui n’était entrée dans ANTIBES que la veille. (Je ne l’appris qu’en cours de route, par des civils, aucun soldat français n’étant visible dans ce secteur entièrement dévolu à l’Armée américaine).

Je me rendis rapidement au domicile de V…, dont B…-M… m’avait communiqué l’adresse.

Je n’y trouvais que sa mère, seule. Une visite des lieux n’apporta rien à mes recherches, pas de documents, pas de carnets d’adresses ! La mère prétendait qu’elle n’avait pas revu sa fille, depuis la veille au soir et que, les Américains ayant pénétré dans ANTIBES, elle avait pu quitter la ville.

Je me mis à la recherche d’autorités françaises responsables. En pure perte. Personne à la Mairie, au Commissariat de Police et à la Gendarmerie.

La Résistance locale ? Je demandai, au hasard, à une personne rencontrée, d’inviter un membre de la Résistance à se présenter à moi au Commissariat de Police, où je m’installais.

Une heure après, deux hommes se présentaient. L’un d’eux se disait ” Capitaine ROGER “, l’autre était un médecin antibois qui tentait d’organiser les services de la Mairie.

Après m’être fait connaître ès qualité, je leur fis part à tous deux de la nécessité urgente de retrouver V…, sans leur donner de détails.

Je leur dis que la veille elle se trouvait encore à ANTIBES et, qu’à mon avis, elle n’avait peut-être pas pu quitter la ville.

Je leur demandai de mobiliser tous les membres de la Résistance locale pour la retrouver et, en cas de découverte, de la faire conduire devant moi, immédiatement. Ils me quittèrent en me promettant d’agir rapidement.

Une heure après, le ” Capitaine ROGER ” se présentait, seul, à mon bureau. Il commença par me dire qu’il connaissait bien V… et qu’il savait qu’elle travaillait pour les Allemands.

Il paraissait gêné, allant jusqu’à mettre en doute ma qualité d’Officier français, et me faisant part de son étonnement de n’avoir pas vu d’autres soldats français, que moi.

Cet homme cachait quelque chose, cela me paraissait flagrant ! Je me souviens d’avoir fait la grosse voix et de l’avoir menacé d’un rapport foudroyant… ” ROGER ” m’apprit ensuite, et après bien des réticences, qu’il savait où se trouvait V…

Je lui ordonnai vivement de me conduire vers elle.

Nous partîmes ensemble vers la Place principale d’ANTIBES. Là, dans une rue qui y débouche, nous pénétrâmes dans un immeuble de bel aspect.

En cours de route, ” ROGER ” m’avait expliqué que V… s’était réfugiée chez une de ses amies, dans cet immeuble depuis la veille.

Au 3ème étage, ” ROGER ” prit une clé dans sa poche et ouvrit la porte d’un appartement.

Silence complet ! Personne? Je me dirigeai vers une des chambres : une jeune femme, vêtue d’une courte chemise de nuit, gisait à plat ventre, sur le lit non défait, un poignard planté entre les omoplates !

Je me retournai. ” ROGER ” était là, silencieux. Il me fit signe qu’il s’agissait de V…. Je lui demandai aussitôt des explications, sur sa connaissance de cette retraite, sur la possession de la clé de l’appartement, sur ses réticences, sur la découverte de V…, assassinée… Cet homme cachait vraiment quelque chose !

Il s’expliqua, enfin ” La veille”, alors que les premiers Américains étaient aux portes d’ANTIBES, il avait été contacté par un homme qui, sachant qu’il appartenait à la Résistance, lui avait confié appartenir au ” 2ème Bureau français “.

Cet homme lui avait parlé de V…. Il lui avait dit que cette femme était un agent de l’ALLEMAGNE et qu’elle détenait une liste de personnes d’ANTIBES qu’elle s’apprêtait à remettre aux Allemands, que ces otages seraient fusillés le jour même si l’on n’empêchait pas V… de remettre cette liste, et qu’il fallait immédiatement l’exécuter, au nom de la Résistance. “.

” Cet homme savait que ” ROGER ” connaissait bien V….

Il lui ordonna de se charger de cette exécution. ” ROGER ” rendit compte à la Résistance locale et il fut décidé de passer à l’exécution de l’ordre reçu.

” ROGER ” fit porter un billet à V…, à son domicile. Il lui demandait de le rejoindre de toute urgence, à l’appartement de son amie… (” ROGER ” m’avoua, à ce moment, qu’il était l’amant de V…, depuis plusieurs mois). “

” V… vint rapidement. ” ROGER ” lui fit croire à un rendez-vous galant. Elle se déshabilla et, alors qu’elle se tenait contre lui, et qu’il l’embrassait, il lui planta un stylet entre les épaules, sans lui demander d’explications.

La liste d’otages resta introuvable. ” ROGER ” coucha V… sur le lit, dans la position que je l’avais découverte, et il quitta l’appartement pour aller rendre compte de l’accomplissement de sa mission et du résultat négatif concernant la liste. “

Le premier et le plus important maillon de cette chaîne d’espionnage, que je sentais, disparaissait avec la mort de V…. Il me fallait, coûte que coûte, découvrir les autres, c’était trop important !

” ROGER ” ? L’interrogatoire auquel je le soumis, ainsi que le Médecin, ne m’apporta rien ! Ils paraissaient bien avoir agi de bonne foi, et pour la Résistance.

J’étais fatigué (plusieurs nuits sans sommeil), et découragé… Je m’apprêtais à quitter ANTIBES pour TOULON. J’alertai le Commissaire de Police (revenu à son Commissariat), de la découverte du corps de V…, exécutée par la Résistance, mais je ne lui parlai pas du rôle de ” ROGER “.

Je pensai, à ce moment, à cet agent du 2ème Bureau. Il paraissait être bien renseigné et il pouvait, peut-être, m’aider à remonter la filière, en partant de V…

Je demandai à le rencontrer. Je le vis dans un Hôtel, près de la Place d’ANTIBES. Il était accompagné de son épouse, qu’il me présenta. C’était un homme d’une cinquantaine d’années, d’aspect ” petit bourgeois rangé “. Il se nommait A…. Sa ” femme ” – son amie, m’avoua-t-il au cours de notre conversation, avec un petit air entendu – se nommait S….

A… me confirma son appartenance au ” 2ème Bureau “. Je le fis parler. Mon impression fût qu’il s’agissait plutôt d’un agent occasionnel, d’un quelconque réseau de Résistance. Il n’avait pas la manière ! et il y avait en lui, cependant, un air matois qui m’intriguait.

Depuis quand était-il à ANTIBES ? Qui l’avait renseigné sur V… ? Il m’expliqua qu’il avait été recruté à la terrasse d’un café de TOULON par un Officier français en civil qui s’était présenté à lui sous le nom de ” MATISSE “.

Il avait rencontré cet Officier plusieurs fois et lui avait fourni des renseignements sur TOULON. Il ne s’expliqua pas sur ce point et je n’insistai pas ; je le laissai parler.

C’était ” MATISSE ” qui l’avait envoyé à ANTIBES, il y avait un mois, pour surveiller V…, située comme agent de renseignements de l’ALLEMAGNE.

A… était entré en relation avec elle en l’accostant dans la rue ; il lui avait ensuite rendu visite chez elle. Il n’avait pas pu recueillir des renseignements intéressants sur son activité et n’avait donné aucune nouvelle à ” MATISSE “, depuis son arrivée à ANTIBES.

Tout cela ne me paraissait pas clair ! Je décidai de conduire A… et son amie à TOULON, prétextant un contrôle indispensable de son appartenance à un de nos services. A… se montra réticent. J’insistai gentiment…

Dans le Command-Car qui nous ramenait à TOULON, il ne fut plus question de V…, ni des services de renseignements.

A… s’intéressait au débarquement en PROVENCE, me disait combien il avait été impressionné par l’importance des moyens mis en oeuvre et par l’allure des troupes.

Il me demanda mon origine, me fit parler de l’ALGERIE qu’il ne connaissait pas, disait-il, comme il ne connaissait ni l’AFRIQUE ni les Pays méditerranéens, étant surtout attiré par les pays nordiques.

Il me confia qu’il avait fait de nombreux voyages dans ces pays et, dans la conversation, me lâcha ” qu’il avait même participé à la première expédition du Docteur CHARCOT au SPITZBERG ! ! ! “

Cette phrase était terrible… et lumineuse !

J`avais là, près de moi, à portée de ma main, le technicien radio du S.R. Allemand, dont m’avait parlé B…-M… !!!

Quel frémissement de joie me saisit ! Quel effort dus-je faire pour ne rien en laisser paraître!

Le voyage se poursuivit. Il n’y eut, entre nous, que conversations aimables jusqu’à l’arrivée.

Il était près de minuit lorsque nous arrivâmes à l’Hôtel où notre service s’était installé, à l’angle du Boulevard de Strasbourg et de la rue Colbert. Je fis conduire A… et sa compagne dans une chambre, leur fis servir une collation et leur souhaitai bonne nuit.

Je me rendis, quant à moi, auprès du Capitaine MASSE, Chef du B.S.M. Il était avec le Lieutenant LAGUGNE, Commissaire de la Sûreté aux Armées.

Je leur parlai de l’Affaire V… et de ses développements, le dernier étant l’identification du technicien radio du réseau.

Je ne tenais pas en place.

Après un léger dîner, je décidai de ne pas attendre le lendemain pour poursuivre l’affaire. Je me rendis chez A….

Je le trouvai en robe de chambre, détendu et calme. Je l’invitai à me suivre dans une chambre voisine et, devant lui et très ostensiblement, je chargeai un de nos soldats 3 de surveiller très étroitement sa compagne “. Ses traits pâlirent.

Lorsque nous fûmes seuls et dès mes premières paroles, il comprit la situation.

Il ” craqua ” après avoir tenté de me faire promettre qu’il ne serait pas fusillé.

J’exigeai de lui toute la vérité, l’assurant que seule sa franchise pourrait influencer favorablement le Tribunal Militaire devant lequel il comparaîtrait. Il me raconta son histoire.

Contacté puis employé par les troupes allemandes d’occupation en raison de ses très sérieuses connaissances en matière de radiotélégraphie, il avait été ensuite recruté par les Services de renseignements de l’Abwher, et avait accepté la mission d’implanter un réseau radio tout le long de la côte méditerranéenne française, de MENTON à PORT-VENDRES.

Ce réseau comptait douze opérateurs et devait fonctionner dès le débarquement, après stabilisation du front, situation qui était envisagée par le Commandement allemand, dans la Région Sud de la FRANCE.

Le réseau était en place. A… me donna l’identité des opérateurs et le nom de la ville où ils se trouvaient. Je notai toute la nuit le maximum de précisions à ce sujet.

Je fis transmettre l’ensemble car il s’avérait impossible d’exploiter efficacement cette affaire, à notre seul échelon. Je m’étais réservé cependant quelques objectifs et je poursuivis l’affaire.

Dès le lendemain matin, A… nous conduisait chez lui. Il habitait une villa, au CANNET, au-dessus de CANNES. Admirablement située sur les hauteurs, isolée, sa visite allait être fructueuse.

Dès l’arrivée, une double antenne impressionnante, et très visible sur le toit, nous le faisait prévoir.

A l’intérieur, dans une pièce, se trouvaient bien rangés sur deux tables distinctes, deux postes radio émetteurs-récepteurs, parfaitement équipés, avec quartzs et tableaux de fréquences.

Dans un placard, une quantité importante de clichés photographiques, parmi lesquels de nombreuses vues de la côte méditerranéenne.

Tout devait et allait rester en l’état, l’exploitation du réseau à notre profit étant dès lors envisagé, compte tenu de la totale coopération qu’A… promettait.

Après les mesures conservatoires qui s’imposaient – garde militaire installée – nous reprenions la route de TOULON.

A… m’avait appris qu’il avait été chargé, d’installer, ” techniquement “, le réseau allemand et que cette installation était terminée.

Il m’apprit aussi que chaque opérateur dépendait d’un réseau de renseignements auprès duquel il était placé.

Il ne connaissait, quant à lui, que les opérateurs et ignorait les réseaux de renseignements, sauf pour les réseaux d’ANTIBES-NICE et de MARSEILLE.

Le réseau de renseignements d’ANTIBES-NICE était dirigé par V… qui devait disposer dans la région, probablement, d’agents nombreux.

La liaison Renseignements-Transmission devait se faire uniquement entre V… et lui-même.

Les renseignements seraient chiffrés par la soi-disant compagne d’A…, S…, en réalité agent chargé du chiffre, ayant suivi un stage au 3 Réseau CONDOR 3, à TOULOUSE.

L’opérateur du réseau de MARSEILLE était un nommé G…, domicilié sur le PRADO, à une adresse qu’A… me communiqua.

A… m’apprit aussi que la propre soeur de G… était l’agent chargé des renseignements.

Elle se nommait L… et était l’épouse… d’un Commandant d’Artillerie qui venait de débarquer avec la 9ème D.I.C. ! (et qui n’était nullement au courant des activités de son épouse, l’enquête dont il fit l’objet l’établissant de manière irréfutable.)

Avant de partir pour MARSEILLE, il me fallait compléter l’affaire A… – V… – S….

Je m’y employai, aidé par tout le B.S.M.

Tout paraissait clair, désormais. Craignant l’arrestation de V…, trop marquée sur le plan local en raison de ses sentiments pro allemands connus, A… n’avait pas hésité à la faire supprimer, au nom de la Résistance, pour éviter toute dénonciation de sa part.

En m’avouant cela, A… prétendit qu’il ne voulait pas servir les Allemands, après le débarquement, et, qu’en revanche, il tenait à servir les Français.

Avec V…, vivante, ces décisions n’auraient pas été possibles !…

Le déplacement à MARSEILLE revêtait deux aspects : conduire A… et S… auprès du T.R., et appréhender G… et sa soeur.

L’équipe se partagea le travail. Je filai vers le domicile de G…, pendant que MASSE et LAGUGNE présentaient A… et sa compagne au T.R.

G… fut introuvable. Sa sœur fut cueillie à son domicile personnel et interrogée sur-le-champ. Peu d’aveux.

Nous manquions de moyens pour atteindre G…, qui n’avait pas quitté MARSEILLE ; sa soeur nous l’apprit.

Liaison opérée avec le B.S.M. Territorial et la B.S.T., qui venaient de s’installer à MARSEILLE. Je leur laissai la femme L…, leur expliquai le rôle de G… et le sien, dans le réseau allemand de la Méditerranée, et je leur précisai bien l’utilisation envisagée de tout le réseau à notre profit, en recommandant expressément de rendre compte au Commandement des résultats obtenus.

(Messages et notes nombreux avaient été adressés les jours précédents aux Autorités militaires et rien ne devait se faire sans ordre du Commandement.)

Je rejoignis l’autre équipe chez le Capitaine BERTRAND chargé du T.R., installé dans une villa sur la Corniche. Lorsque j’arrivai, A… était interrogé par les Officiers du service.

La décision était prise, dans la journée, de le conduire avec S…, au G.Q.G. de la VII ème Armée U.S. à CANNES.

Le Capitaine BERTRAND et ses Officiers s’en chargeaient, mais je les accompagnai, avec MASSE et LAGUGNE.

Présentation à l’ HÔTEL MARTINEZ, un court exposé aux Officiers américains et nous nous retirons.

L’affaire ne nous appartenait plus. Elle allait être poursuivie, d’une part, par les Services Territoriaux de Sécurité Militaire et de la Surveillance du Territoire en ce qui concernait les agents identifiés à neutraliser et, d’autre part, par le T.R. et les Services Spéciaux américains, pour la manipulation, à notre profit, de tout le réseau.

Je n’ai jamais su quelle suite a été donnée à cette exploitation. A-t-elle été faite ?

Je n’ai également jamais connu les développements et les arrestations qui ont dû suivre.

Ce que j’ai appris – et cela nous fit tous entrer dans une grande fureur au B.S.M. 509 – c’est que les Services de MARSEILLE avaient arrêté G… et que – malgré nos fermes et précises recommandations – son affaire avait été largement divulguée et commentée dans la presse marseillaise, sur plusieurs colonnes !!!

Bel exemple de discrétion et de modestie !

La manipulation du réseau était irréalisable, après un tel gâchis, bien sûr, mais certains devaient être fiers d’avoir réalisé cette ” belle affaire “.

Nous, au B.S.M. 509, nous avons continué à remplir notre mission… discrètement… jusqu’en ALLEMAGNE, et jusqu’après l’Armistice, fiers et heureux d’avoir parfois réussi.




La Tragedie de l’ ABWEHR

Le 20 juillet 1944, la bombe qui devait tuer HITLER et mettre fin au régime manquait son but. Elle révélait au monde un complot dont les dessous n’allaient apparaître qu’après l’effondrement de l’Allemagne. Où se situaient les moteurs de la conspiration ? Quand était elle née ? Quels hommes l’animaient ou la cautionnaient ? Autant de questions auxquelles le procès de Nuremberg d’abord, les récits de témoins ensuite, et enfin une étude pertinente du Docteur ABSHAGEN, biographe de CANARIS, semblaient avoir répondu de manière décisive. Pas tout à fait cependant. Dans un livre récent de Karl BARTZ “Die Tragödie der deustchen Abwehr”, nous trouvons des précisions nouvelles et maintes obscurités tombent. Reprenant la succession des faits, maintenant connus, qui traduisaient, dès les premiers défis hitlériens à l’Europe, l’opposition un peu diffuse de nombreux Allemands de l’école classique, Karl BARTZ nous fait découvrir, dissimulé derrière l’aspect politique de cette dissidence, l’organe militaire demeuré longtemps “tabou”, source et noeud de la conspiration : l’Abwehr de l’Amiral CANARIS. Nous le savions déjà, certes, nous le savons mieux maintenant. La nouveauté dans l’ouvrage de BARTZ, c’est la preuve par le détail inédit. Ces contacts noués dans une ombre redoutable avec les opposants des divers milieux, ces négociations engagées par l’ABWEHR dans les coulisses de la Diplomatie étrangère pour y quêter des appuis et y susciter une résistance au débordement hitlérien, une police d’Etat qui guette les défaillances du Chef de l’ABWEHR trop assuré de ses ruses, un Commandement suprême dont la confiance en l’ABWEHR s’effrite dès la fin de 1942 à la constatation d’évidentes carences, cette lutte enfin, chaque jour aggravée, contre un pouvoir irrité qui flaire la trahison sans la pouvoir démontrer, toute cette atmosphère lourde de pièges et de menaces et annonciatrice de drames, nous est décrite avec des traits vivants et passionnants.

Pour clore ce tableau de la déchéance progressive de l’ABWEHR, Karl BARTZ évoque la découverte de documents massue, au début de 1945, à Zossen, devenu le siège de ce service en 1944. Ils furent pour la police et pour le gouvernement la révélation stupéfiante que CANARIS travaillait au renversement du régime, non point depuis 1942 comme ils l’avaient appris un peu tard, mais depuis 1938, quand BECK et CANARIS avaient acquis la conviction qu’HITLER lançait l’Allemagne dans une nouvelle aventure.

Cette découverte scellait le sort de CANARIS arrêté depuis le 23 juillet 1944. Déjà en février il avait été relevé de ses fonctions, ses collaborateurs mis en prison ou exécuté, et l’ABWEHR incorporée au R.S.H.A amalgame de polices qui exprimait la police d’Etat. Tragédie, oui. Interne d’abord, Quand la police, triomphante, fut libre d’agir contre les conjurés, il apparut que les caractères n’étaient pas tous à hauteur de l’épreuve, on connut les rivalités et les intrigues qui divisaient les collaborateurs de CANARIS.

Des hommes que l’on croyait unis par des sentiments et des buts identiques se déchargèrent sur leurs camarades des actes qu’on leur reprochait. CANARIS lui-même recourut à d’inutiles mensonges. Toutes les vertus civiques n’habitaient pas ce temple, naguère si orgueilleux. On en éprouve une insurmontable gêne.
Tragédie surtout, en ce sens que pour avoir quitté la légalité en vue d’atteindre au salut de l’Allemagne, le chef de l’ABWEHR a subi le sort que tout régime, même aux abois, réserve aux traîtres à sa loi. Il n’a finalement sauvé ni son pays de la défaite, ni son service de la destruction.

Les successeurs en tireront-ils la conclusion qu’un service de enseignements national se doit d’être en toutes circonstances le loyal serviteur du régime qui l’abrite, même quand ce régime s’écarte, contre l’opinion d’une fraction du pays, de la politique traditionnelle où la nation avait accoutumé de chercher sa grandeur ?

En définitive, la question reste entière ; qui était contre l’Allemagne ? CANARIS ou HITLER ?




BARBIE et Nos Services Speciaux

A maintes reprises et le plus souvent de façons fantaisistes, nos anciens Services ont été mis en cause par les media à propos de Klaus BARBIE et des conditions dans lesquelles il avait échappé à la Justice.

Dans son éditorial Michel Garder situe le personnage et, fort justement, dit ce qu’il pense de son prochain procès. Il m’a semblé, quant à moi, nécessaire de préciser ce que furent nos interventions dans ce que l’on peut appeler l’affaire BARBIE.

C’est en avril 1943 que la Direction de la Sécurité Militaire à ALGER reçut les premiers renseignements sur l’Oberstumführer (Lieutenant) BARBIE. Notre poste T.R. 114 de LYON nous indiquait qu’il était le Chef de la Section IV de la SPIDO/SD de cette ville. Il soulignait son intense activité et sa brutalité. D’autres renseignements allaient nous confirmer le rôle cruel joué par BARBIE et sa section IV dans les arrestations — parfois en liaison avec l’Abwehr, de plusieurs de nos agents. Ainsi, les officiers du POSTE S.R. de Lyon : LOMBARD, SCHMIDT, MISSOFFE, etc…; la chasse brutale diligentée par BARBIE contre l’abbé VORAGE et Henri MORTIER (déporté N.N.), les interrogatoires « musclés » à l’hôtel TERMINUS de notre camarade Mme CHAMPION.

En juin 1943, c’est l’affaire de CALUIRE avec la dramatique arrestation de Jean MOULIN et de ses compagnons. J’en passe. Toutes ces informations confirmaient les méthodes odieuses en usage chez les nazis. Elles nous amenèrent à faire figurer BARBIE et ses chefs Lyonnais, les S.S. KNAB et HOLLBERT sur nos synthèses du R.S.H.A. et, surtout, sur nos listes des individus dangereux que nous avions le devoir de mettre hors d’état de nuire.

Vient la préparation du débarquement. Dès le début de 1944, sous la responsabilité de la D.S.M. d’ALGER sont constituées les listes des individus à appréhender en raison de leurs actions criminelles en FRANCE. Ce travail énorme est réalisé en liaison avec les Services de Sécurité alliés et le B.C.R.A.

Dans chaque Grande Unité alliée et française appelée à participer aux opérations de libération de la métropole, nos Services (S.R.-S.M. et T.R.) doivent être représentés. Ils devront disposer, ainsi que leurs homologues US. et britanniques, d’une documentation complète leur permettant d’assurer leur mission répressive dans leurs zones d’intervention. Restait à obtenir du Haut Commandement (Général EISENHOWER) des directives s’imposant à tous en matière de Sécurité et de Contre-Espionnage. Ce fut l’objet de mes négociations à LONDRES du 15 au 30 mai 1944 et de l’accord signé avec le Colonel U.S. SCHEEN représentant le Général EISENHOWER. Aux termes de cet accord (voir mon livre Services Spéciaux éditions Robert Laffont) nos Services devaient exercer en pleine souveraineté l’exploitation des affaires découlant de la documentation établie par nos soins et ainsi diffusée. Klaus BARBIE y figurait en bonne place ainsi que ses chefs OBERG et KNOCHEN en tête. Je ne saurais être plus clair : Tout Service de Sécurité français, anglais ou américain avait le devoir de rechercher BARBIE et de nous le livrer. * * Le 3 septembre 1944, LYON est libéré par la 1° Armée Française. Nos camarades, aussi bien ceux attachés aux unités débarquées que ceux du T.R. ou de la Sécurité Militaire clandestine en poste dans la région, fouillent les repaires connus des Services Spéciaux ennemis. En vain. Depuis le 24 août les derniers éléments du R.S.H.A. (S.I.P.O.-S.D.) se sont repliés avec armes et bagages les uns vers ÉPINAL d’autres en ALSACE.

BARBIE, blessé le 28 août au nord de Lyon dans des circonstances pas très claires, est évacué sur BADEN-BADEN. Rétabli, il semble qu’il ait achevé sa carrière paramilitaire dans le cadre d’une armée allemande basée fin 1944 à la frontière suisse .Elle combattra contre les américains jusqu’au 5 mai 1945.

Après l’armistice de mai 1945, conscient de ses responsabilités coupables, soucieux d’échapper aux recherches dont il sait être l’objet de la part des Français, il se réfugie dans les zones d’occupation anglaise, puis américaine. Fin 1946 ou début 1947 (je n’ai pu préciser) BARBIE fait des offres de Service au COUNTER INTELLIGENCE CORPS (C.I.C.) U.S.A. de MUNICH.

En raison de son « expérience , de sa « compétence » et de la médiocrité des moyens d’investigation, notamment dans les milieux communistes, dont disposent les Américains, son offre est acceptée d’emblée.

On se garde d’aviser nos Services. Peu importent les accords de 1944. Les circonstances ont évolué. Les Services Spéciaux français ont été profondément modifiés, perturbés, le gouvernement français lui-même a incorporé des communistes en son sein…

BARBIE bien que parfaitement identifié comme le criminel de LYON recherché par le C.E. français devient l’agent X-3054 du C.I.C. de Munich. On l’oriente sur les activités communistes, spécialement en Italie du Nord. Je répète : On ne dit rien aux Français et, notamment, à l’antenne du S.D.E.C.E. (dénommée D.A.L.O.) que dirige en Allemagne, à WILDBAD, le colonel GER (adjoint capitaine Maurice DUMONT et, entre autres collaborateurs, le lieutenant WHITEWAY et le Commissaire BIBES de la Sûreté aux Armées dont nous reparlerons plus loin). Pourtant les rapports personnels entre GERAR-DUBOT, ses collaborateurs et leurs camarades U.S.A. sont excellents, j’ose même affirmer exceptionnellement confiants. Il est vrai qu’ils ont été noués en 1943 et 1944. Autre époque, dont certains conservent la nostalgie…

* * Ce qui va suivre est extrait des archives que le colonel GERAR-DUBOT m’a confiées bien avant sa mort.

DALO dispose de la documentation de base établie à ALGER. Elle a été reproduite à PARIS en novembre 1944 et largement diffusée. Jamais DALO n’a cessé de rechercher BARBIE. Vers mars 1948, l’Allemand est situé par les informateurs du poste comme agent des Américains. Devant l’importance du personnage et de son témoignage dans l’instruction judiciaire en cours à l’encontre de HARDY, DALO prend l’initiative d’user de ses bons rapports avec les Américains pour demander à ses amis du C.I.C. de pouvoir, au moins, procéder à son audition.

Négociation délicate. Elle exige habileté et discrétion. L’autorisation est finalement accordée sous la condition formelle que l’audition se fera en zone U.S. et « qu’il n’en résultera aucune suite fâcheuse pouvant entraver l’emploi de BARBIE par les Services Américains ». (sic.) Cette condition ne peut être qu’acceptée par GERAR-DUBOT. L’audition a lieu le 14 mai 1948 à 9 heures du matin à FRANCFORT dans les locaux de la mission française.

Le Lieutenant WHITEWAY (qui fut longtemps à Alger notre précieux officier de liaison auprès des Services Spéciaux U.S.) dirige la délégation mandatée par GERAR-DUBOT. Elle comprend le Commissaire BIBES de la Sûreté aux Armées, Officier de Police judiciaire et son adjoint l’Inspecteur LEHRMANN.

BARBIE, sûr de lui et en confiance, est accompagné de deux américains qui parlent Français comme lui. L’interrogatoire va durer plus d’une heure. Il donnera lieu à un procès-verbal de cinq pages que tout le monde signera. « BARBIE, rend compte GERAR-DUBOT, a parlé sans réticence et son témoignage accable HARDY »…

Le P.V. transmis à Paris fait l’effet d’une bombe. DALO est invité à poursuivre. Une deuxième entrevue avec BARBIE a lieu le 18 mai 1948 dans les mêmes conditions, à MUNICH cette fois.

Toujours coopératif le Hauptsturmführer (capitaine) précise ses accusations contre HARDY. Le 28 juin 1948, PARIS écrit à DALO «… Il n’est pas possible de négliger un témoignage d’une telle importance. Ci-joint une commission rogatoire que vous devez faire exécuter dans les meilleurs délais étant entendu que le magistrat instructeur (en l’occurrence le Commandant GONNOT juge d’instruction de l’affaire HARDY) donne toute garantie de sécurité en ce qui concerne la situation actuelle de BARBIE (sic).

… Le S.D.E.C.E. transmet à DALO (GERAR-DUBOT) une longue et détaillée commission rogatoire : treize pages accompagnées de photographies et documents divers. BARBIE répond abondamment aux questions du juge le 16 juillet 1948. Il est interrogé à MUNICH dans les mêmes conditions que le 18 mai. Il confirme et précise ses déclarations antérieures. Elles accablent toujours HARDY. Le 30 juillet 1948. PARIS après avoir remercié DALO, lui demande d’obtenir du C.I.C. l’autorisation d’entendre un autre témoin. C’est un collaborateur de BARBIE à LYON l’Oberscharführer Harry STENGRITT. Il a participé à l’opération de CALUIRE. Une nouvelle commission rogatoire lui est transmise avec ce commentaire flatteur :… « Grâce aux multiples efforts de DALO, l’affaire HARDY a pris une tournure nouvelle »… Le 2 août 1948, à STUTTGART, l’équipe de GERAR-DUBOT entend ce nouveau témoin. Il confirme les accusations de BARBIE et précise que l’identité de Jean MOULIN a été révélée à la Gestapo par les autres personnes arrêtées à CALUIRE (sic). Dernières contributions de nos anciens Services à cette affaire BARBIE-HARDY.

1) Le 4 décembre 1948 DALO propose de faire venir à Paris le témoin STENGRITT sous certaines garanties. Proposition acceptée. STENGRITT est entendu par le juge d’instruction le 7 décembre 1948. Il réitère ses déclarations antérieures. Il témoignera au procès Hardy. Plus tard, en dépit des garanties avancées pour sa venue à Paris il sera condamné à mort et gracié au bout de 15 ans de prison.

2) Le 2 février 1950 DALO propose sous certaines conditions d’obtenir des Américains le « prêt » de BARBIE pour venir témoigner au procès HARDY. Le 7 février 1950 cette proposition n’est pas acceptée par le Gouvernement.

3) Le Commissaire BIBES convoqué comme témoin à charge au procès HARDY le lundi 24 avril 1950 sera vivement pris à partie par la Défense de l’inculpé. Insulté, ridiculisé pour n’avoir pas « enlevé » BARBIE il rentrera à WILDBAD écoeuré. Il quittera les Services pour s’installer définitivement en Allemagne où il est récemment décédé.

* * Le 9 mai 1950 René HARDY était une nouvelle fois acquitté à la minorité de faveur par le Tribunal Militaire de Paris… « S’il reste un millième de doute en sa faveur, il faut que vous l’acquittiez »… avait adjuré le témoin Claudius PETIT. BARBIE, réclamé à corps et à cris par l’opinion autant que par les autorités françaises, restait, imperturbable, sous l’identité de Klaus ALTMANN, au service et sous la protection des U.S.A. Le 22 mars 1951, accompagné de son épouse, il quitte GENES avec la bénédiction du C.I.C. Le 23 avril 1951 il arrive à LA PAZ. On connaît la suite.

Peut-être et ce sera ma conclusion, pouvait-on faire l’économie d’un procès coûteux qui risque d’éclabousser la Résistance, de passionner sinon d’irriter et diviser les Français. Il ne nous apprendra, en définitive, que quelques horreurs supplémentaires sur le comportement des nazis. Une mesure D aurait, sans nul doute, fait justice à meilleurs frais Mais, puisque désormais cette affaire BARBIE est placée sur un plan légal, je ne peux m’empêcher de me souvenir que les Chefs de ce misérable, OBERG & KNOCHEN, condamnés à mort à PARIS, ont été graciés et libérés…

Il est décidément bien difficile de rendre, quarante-trois ans plus tard, une justice équitable et sereine.




La machine ENIGMA et ” Notre espion chez Hitler”

Les révélations du livre de notre Président n’ont pas fini de susciter des réactions de tous ordres. C’est ainsi que la télévision FR3 se propose de produire un film sur le rôle de la machine ENIGMA dans la bataille de l’Atlantique. M. Gilbert BLOCH, expert en matière de cryptologie, nous communique à ce propos une étude particulièrement documentée que nous nous faisons un plaisir de reproduire.

LES MACHINES « ENIGMA » DE LA MARINE MILITAIRE ALLEMANDE

La Marine militaire allemande a été la première arme à adopter l’Enigma le 9 février 1926, elle mettait en service la « Funkschliissel C », une Enigma commerciale légèrement modifiée.

L’adoption de l’Enigma par la Marine a certainement joué un rôle déterminant dans la décision ultérieure du Colonel Fellgiebel d’adopter à son tour l’Enigma pour l’Armée de terre; cette décision fut accompagnée de modifications importantes apportées à la machine.

La « Funkschlflssel C » de la Marine se trouva donc déclassée par rapport au modèle G mis en service le 15 juillet 1928 par l’Armée de terre, et surtout par rapport à l’Enigma militaire type I du 1er juin 1930 .

PARTICULARISME DE LA MACHINE «ENIGMA »-MARINE

Certes, la « Funkschsltissel C » était déjà une machine à trois tambours mobiles, mais son clavier comportait 29 touches (au lieu de 26 pour les modèles de l’Armée de terre. La différence était constituée par la présence des trois touches A, 0, et U, supprimées par l’Armée de terre, ces lettres étant transmises comme AE, 0E et UE) et, surtout, les « steckers » étaient absents (fiches mobiles).

Une unification était indispensable elle se produisit en octobre 1934, la Marine mettant alors en service la « Funkschliissel M » (M = Marine) pratiquement identique à l’Enigma militaire type I et utilisant les mêmes tambours mobiles que celle-ci. Une parfaite homogénéité s’établissait donc pour l’en semble des forces armées allemandes. Malgré tout, la Marine militaire allemande tenait, tout en utilisant des machines compatibles avec celles des autres armes, à posséder son propre système; pour ce faire, elle ajouta à la batterie de tambours mobiles commune aux autres armes des tambours complémentaires réservés à son propre usage.

C’est ainsi qu’à la fin de 1938, alors que l’Armée de terre et la Luftwaffe disposaient d’un choix de cinq tambours mobiles, la Marine en possédait sept (les 5 de l’Armée de terre et de la Luftwaffe, plus 2 spéciaux à la Marine). Un huitième tambour mobile fut introduit peu avant le début de la guerre.

Bien entendu, la Marine allemande « compartimentait » ses transmissions en créant des « groupes d’utilisateurs » distincts selon les types de navires, la nature des opérations, les théâtres d’activités, etc., etc. L’évolution de la guerre donna une importance toute particulière aux transmissions relatives à la guerre sous-marine.

LE DECRYPTEMENT BRITANNIQUE — SES SUCCÈS — SES DEBOIRES

La multiplication des possibilités de choix des trois tambours mobiles (60 possibilités pour les 5 tambours utilisés par l’Armée de terre et la Luftwaffe, 336 possibilités pour les 8 tambours utilisés par la Marine) rendait le décryptement des messages de la Marine allemande beaucoup plus difficile que celui des messages émis par les autres armes.

L’extension de la guerre sous-marine et le danger mortel constitué par les pertes de navires qui en résultaient, impliquaient pour l’Angleterre de considérer ce décryptement comme une nécessité vitale.

Dès le début de 1941, la Marine britannique entreprit une série d’opérations visant à capturer des « Enigma » de type « Marine » et leurs instructions des succès partiels furent obtenus dans ce domaine par le raid sur les lies Lofoten (23 février 1941), la capture de deux chalutiers « météorologiques », le « München » ( 7 mai 1941) et le Lauenberg » (25 juin) ; surtout, les Anglais capturèrent sur le sous-marin U 110, le 8 mai, une Enigma Marine complète et ses instructions d’emploi valides jusqu’à la fin juin.

Ces captures — et un immense effort cryptologique — permirent à Bletchley Park de « rentrer dans le système » à partir du 1er août 1941 et de déchiffrer régulièrement les messages ce qui permit à l’Amirauté d’assurer une relation sécurité de ses convois dans l’Atlantique. Ce succès britannique prit brutalement fin le 1er février 1942 avec la mise en service par la Marine allemande d’une nouvelle Enigma, la « Funkschlüssel M 4 », remplaçant la « Funkschlüssel M 3 ».

La période allant du 1er février à décembre 1942 fut, pour l’Amirauté britannique, celle du « grand black-out ».

Désespérément, les spécialistes de Bletchley cherchèrent à renouer le fil. Finalement, grâce à des efforts cryptologiques inouïs, à l’élaboration et à la mise en service de nouvelles « Bombes » à grande vitesse, à la récupération de matériel et de documents sur des sous-marins endommagés (notamment l’U 559 le 30 octobre 1942), Bletchley réussit à reprendre les décryptements en décembre 1942 et — mis à part quelques interruptions temporaires — ne devait plus en perdre la maîtrise.

Ce résultat fut obtenu — et maintenu jusqu’à la fin de la guerre — en dépit des constants changements effectués par la Marine allemande dans les procédures d’emploi. C’est ainsi que les réglages de la machine ENIGMA furent modifiés toutes les huit heures, au lieu de 24 heures.

LA VICTOIRE DE L’ATLANTIQUE — MAI 1943

Le calendrier des événements de 1942-43 illustre à la fois l’importance et les limites du décryptement.

Alors que les messages recommencèrent à être décryptés vers la mi-décembre 1942, il fallut plusieurs semaines pour en tirer une vue claire de la situation.

La pénurie de moyens de défense adéquats ne permit pas d’en tirer immédiatement avantage.

Les premiers mois de 1943 furent, pour les pertes en tonnage, les mois les plus tragiques. Le retournement s’opéra brutalement en mai 1943 lorsque des moyens aériens largement accrus, de nouveaux escorteurs, des patrouilles spéciales « Hunter Killer », aidés par un équipement radar et des moyens de destruction appropriés purent efficacement profiter des renseignements. Le nombre des sous-marins allemands coulés monta en flèche et le 24 mai, l’Amiral Dönitz repliait les survivants vers des zones moins exposées que l’Atlantique.

La Marine militaire allemande avait pourtant utilisé ses Enigma avec une parfaite maîtrise, un impeccable professionnalisme et un matériel plus sophistiqué que celui des autres armes.

Le fait que, malgré tout, les Britanniques ont décrypté finalement ses messages lui a occasionné d’énormes pertes (679 sous-marins sur les 1.184 mis en service, 28.000 sous-mariniers sur 42.000 !).

Cette situation conduisit le Haut Commandement de la Marine allemande à s’interroger sur les causes de ces pertes et à mettre en doute la sécurité de ses communications Enigma.

Ces doutes étaient d’autant plus forts que le Service de Décryptement de la Marine allemande, le « B. Dienst » (« Beobachtung-Dienst », c’est-à-dire Service d’Observation) put de son côté décrypter jusqu’à Juin 1943 le « code des convois », utilisé par les Britanniques, et constater à de multiples reprises combien les indications fournies relatives à la position et aux mouvements des sous-marins allemands, étaient exactes. Des enquêtes furent ouvertes : elles conclurent toujours à l’inviolabilité de l’Enigma. Ce n’est qu’à la suite du Colloque International organisé en novembre 1978 à BONN et STUTTGART par les Professeurs Jürges ROHWER et Eberhard JACKEL que les experts allemands durent convenir de l’efficacité du travail de décryptement allié. Au cours de ce colloque — où, hélas, les représentants du S.R. français ne furent pas conviés — des techniciens et historiens allemands, anglais, américains et polonais purent mettre en évidence de façon irréfutable non seulement le rôle de la machine ENIGMA dans le 2em conflit mondial, mais aussi la part du S.R. français et des savants mathématiciens polonais et anglais dans la découverte de ses secrets. – Machine ENIGMA dont Hans Thilo Schmidt (H.E.) révéla les secrets au S.R. français dès 1931. (Cf. ” Notre Espion chez Hitler “, par P. Paillole