Conflit IRAN IRAK 1987- Conference Colonel Michel Garder-Engrenage dangereux ou gesticulation.

Au cours de l’été dernier, l’interminable conflit irano irakien est subitement devenu l’événement majeur de la « situation » internationale. On en avait certes beaucoup parlé tout au long de l’hiver et du printemps derniers — du fait du scandale de l’« Irangate » — mais l’attention des observateurs se fixait alors sur Washington et non sur le champ de bataille. Beaucoup plus que l’avenir du Golfe il s’agissait de la survie politique du Président Reagan et les auditions publiques du Colonel North ou de l’Amiral Pointdexter prenaient le pas dans les journaux sur les offensives iraniennes en direction de Bassora ou les bombardements irakiens du terminal pétrolier de Kharg. A force d’attendre l’effondrement de l’un des deux adversaires on avait fini par s’installer intellectuellement dans cette guerre qui rappelait davantage la boucherie statique de 14-18 que l’empoignade mouvante de 39-45. Puis, subitement, la menace qui se précisait contre la navigation des pétroliers neutres dans le Golfe, l’accroissement de la tension entre l’Iran et le Koweït et les incidents sanglants de La Mecque incitèrent les États-unis — imités avec un certain décalage par leurs alliés, à intervenir dans le Golfe. Le Conseil de Sécurité de l’O.N.U. devenu miraculeusement unanime à défaut d’être efficace enjoignit aux belligérants de cesser les hostilités.

De son côté l’U.R.S.S. — membre dudit Conseil, profita de l’occasion pour tenter de se poser en arbitre du conflit, rôle pour lequel Moscou n’avait aucune qualification spéciale. Gros importateur du pétrole iranien, le Japon se demandait s’il n’y avait pas lieu de changer de fournisseur. Seule parmi les grandes puissances la Chine conservait son sang-froid. Amis des Arabes de toutes tendance et en même temps des mollahs de Téhéran, les dirigeants de Pékin pouvaient se permettre de ravitailler massivement et équitablement l’Irak et l’Iran en armes et munitions.

De ce fait ils étaient les seuls à ne pas s’émouvoir des conséquences éventuelles du conflit au même titre que les Occidentaux, le monde arabe, l’empire soviétique ou bien l’État d’Israël. Il faut dire que la Chine — à l’inverse des États-unis ou de l’Union Soviétique, ne portait aucune responsabilité dans le déclenchement du conflit, même si elle n’avait pas à l’époque mieux compris qu’eux l’essence et la portée réelles de la révolution iranienne.

UNE RÉVOLUTION DEROUTANTE

L’été de 1978 devait être marqué par deux événements qui allaient modifier toutes les données de la situation internationale, l’accord Sino-nippon et le début de la révolution iranienne, suivis en octobre de la même année par un troisième non moins important l’élection au Vatican d’un Pape polonais.

Nous avons eu suffisamment l’occasion de souligner dans ÉSOPE la signification historique de l’accord Sino-nippon du 12 août 1978.

A Moscou, cet accord — qui évoquait celui de Rapallo entre l’U.R.S.S. et l’Allemagne en 1922, avait abasourdi des dirigeants aux yeux desquels un éventuel rapprochement entre Pékin et Tokyo représentait le danger majeur; le préambule de l’accord comportant une clause « anti-hégémonique » annonçait d’ailleurs la couleur. Il s’agit bien, selon le Kremlin, d’un pendant asiatique de l’Alliance Atlantique — le Japon étant par ailleurs l’allié des États-unis. A cela s’ajoutait le fait que la Chine avait noué auparavant d’excellentes relations avec l’Iran dont le Chah s’efforçait depuis le début des années 70 de constituer un Axe Téhéran-Kaboul-Islamabad-Pékin.

C’est d’ailleurs pour faire avorter ce projet que Moscou avait fomenté en Afghanistan la révolution de 1973 abolissant la monarchie et le coup d’État d’avril 1978 amenant au pouvoir le communiste Taraki.

Aussi les premières émeutes graves de septembre 1978 en Iran auraient dû alerter les Soviétiques quant à la vulnérabilité du régime monarchique. Curieusement il n’y eut de la part du Kremlin aucune tentative sérieuse d’exploitation d’une occasion aussi inespérée. Bien au contraire, Brejnev et son équipe de gérontes s’efforcèrent même de faire comprendre au Chah qu’ils reconnaissaient la légitimité de son pouvoir.

Et c’est ainsi qu’en octobre 1978, au lendemain de la visite à Téhéran de Hua Kuo Feng — le très provisoire chef du P.C. chinois, Leonid Brejnev crut bon d’adresser au Chah, à l’occasion de la Fête Nationale Iranienne, un message chaleureux — à la limite de la flagornerie, de voeux de prospérité et de réussite. Il est fort possible qu’aux yeux des analystes du Comité Central, des émeutes fomentées par quelques mollahs et des marchands du Bazar ne pouvaient constituer le prologue d’une révolution. Un souverain disposant d’une armée puissante et d’une police omniprésente — allié de surcroît des États-unis, n’avait évidemment rien à craindre des incantations d’un Ayatollah installé en France, ni des bruyantes manifestations de braillards anarchisants. Ce n’est que vers la fin des années 1978 que le K.G.B. a, semble-t-il, entrepris une action sérieuse de noyautage du mouvement révolutionnaire iranien aux multiples composantes.

Des cadres du Tudeh réfugiés en U.R.S.S. furent expédiés en Iran en vue de se joindre aux fanatiques religieux et d’orienter leurs actions dans un sens « progressiste ». Ils devaient être à pied d’oeuvre au moment de la fin de la monarchie et du retour triomphal de l’Ayatollah Khomeini en février 1979.

Cela n’avait pas grande importance d’ailleurs, car les stratèges moscovites avaient commis une double erreur de jugement. D’une part raisonnant par analogie ils ont cru possible d’appliquer à l’Iran leur schéma — forcément inexact, de la révolution russe de 1917 et, d’autre part, toujours pour les mêmes raisons, ils ont estimé que la « Savagh » était une réplique de l’Okhrana tsariste ne pouvant survivre à la chute du souverain.

S’ils avaient réfléchi en historiens et non en lénino- marxistes primaires, ils auraient compris que la révolution iranienne était bien plus proche de la révolte des « vieux croyants russes » sous le règne d’Alexis Romanov que de l’explosion anarchique de mars 1917 de la Russie en guerre.

Cette dernière était une négation de l’identité nationale et religieuse russe, de son credo mobilisateur « Pour Dieu, le Tsar et la Patrie », alors que la révolution prônée par les mollahs et le Bazar était au contraire une affirmation de Dieu et d’un Iran islamisé.

Le Chah n’était que le fils d’un usurpateur cherchant à imposer au pays un matérialisme occidental aussi pervers — sinon plus, que le matérialisme soviétique qu’il prétendait combattre.

Pour ce qui était de la Savagh institution autrement puissante et ramifiée que ne l’avait été l’Okhrana russe — celle-ci n’avait pas attendu la chute du Chah pour se rallier à la cause des mollahs et des marchands, imités en cela par une partie du Haut Commandement et d’une fraction importante des cadres de l’armée. Ce dernier point explique le fait qu’il n’y ait pas eu de guerre civile en Iran.

C’est ainsi que les « révolutionnaires professionnels » du Tudeh eurent la désagréable surprise de retrouver toujours en fonction leurs ennemis jurés les « policiers professionnels » affublés d’une étiquette nouvelle. Pendant ce temps les Occidentaux — et en premier lieu les Américains, de plus en plus sensibles aux arguments des émigrés iraniens de toutes tendances dénonçant la dictature sanglante du Shah et les excès de la Savagh, voyaient d’un bon oeil l’émergence d’un Iran démocratique.

L’incompatibilité totale entre la foi en Dieu des mollahs et l’athéisme militant de l’Empire communiste constituait à leurs yeux une garantie contre la mainmise de l’U.R.S.S. sur une éventuelle république islamique iranienne. On voyait mal par ailleurs que les mollahs pussent gouverner un grand pays tout seuls, pays en voie de modernisation, sans l’aide agissante de spécialistes pro-occidentaux. D’allié privilégié le Chah se transformait en gêneur qu’il n’y avait pas lieu de soutenir. Les dirigeants des pays arabes modérés n’étaient pas tout à fait de cet avis, ayant de la force explosive d’un Islam exacerbé — chiite de surcroît, une vision plus réaliste. Toutefois le Chah n’étant pas un Arabe, il ne pouvait être considéré en « frère ».

Bien entendu les pays arabes progressistes — l’Irak mis à part, soutenaient la cause de la révolution. En ce qui concerne les communistes chinois, ceux-ci n’étaient pas contre le fait révolutionnaire en soi, mais avaient cru — à tort — déceler dans son origine une intervention directe du Kremlin. Rassurés sur ce point dès le printemps de 1979, ils n’allaient pas manquer de nouer avec le nouveau pouvoir iranien des relations réalistes discrètes. Ami de fraîche date de la Chine, le Japon allait faire de même — ne serait-ce que pour assumer son ravitaillement en pétrole. Toutefois en matière de réalisme et de discrétion la palme devait revenir à l’État d’Israël dont les dirigeants considéraient l’Iran comme un allié potentiel — quel que fût son régime.

UNE ANNÉE D’ERREURS ET DE MALENTENDUS GRAVES

Tout au long de l’année 1979 on va assister à un véritable « concours » d’erreurs entre l’Empire soviétique et les Occidentaux à propos de la révolution iranienne. Ajoutons que dans ce concours chacun des antagonistes raisonne en fonction de son interprétation de la situation mondiale et du rôle qu’il attribue à l’Iran dans cette situation. Pour les stratèges du Kremlin, l’accord sino-nippon d’août 1978 a eu pour conséquence un dangereux encerclement de l’Empire dans lequel la coalition occidentale (États-unis/Europe) se raccorde au binôme Chine-Japon par un axe hostile : Téhéran—Islamabad-Pékin.

Cet axe se trouve interrompu par l’incorporation à l’ « Empire » d’un Afghanistan en voie de communisation.

La révolution iranienne peut permettre d’élargir la brèche en orientant le nouveau régime vers un neutralisme progressiste en attendant de le transforme en démocratie populaire.

Tout en oeuvrant patiemment dans ce sens— et faute d’avoir pu enfoncer un coin dans le binôme silo nippon — fin 1978, par le biais de l’intervention vietnamienne au Cambodge ! Moscou esquisse en avril 1979 un certain rapprochement avec les États-unis en acceptant de signer les accords SALT II auxquels le Président Carter tient beaucoup.

Brejnev et Carter vont se rencontrer à Vienne pour parapher le document et le Président américain s’imagine ouvrir une nouvelle ère dans les rapports Washington-Moscou — les deux « supergrands » pouvant désormais régler en commun nombre de problèmes dont celui de l’Iran.

En ce qui concerne ce dernier pays on espère encore à Washington que la raison va triompher à Téhéran dans la mesure où les États-unis se refusent d’appuyer le Chah et ses partisans réduits à l’exil .Les Américains ont depuis des années investi en Iran — en premier lieu dans le domaine militaire. Il leur est difficile de perdre d’un seul coup cet « avant-poste » face au flanc sud de l’Union Soviétique. Aussi avant d’envisager de s’en remettre à son « nouvel ami » Brejnev, le candide président des États-unis laisse à ses diplomates et à ses équipes de la C.I.A. le soin d’amadouer les farouches mollahs et de pousser leur régime dans la voie de la démocratisation. Cependant le régime « politico-religieux » ne se laisse influencer ni par l’action subversive du Tudeh et du K.G.B., ni par les missionnaires de la démocratie libérale.

Pour Khomeini et ses fidèles, les deux « grands Satans » agissent de concert et les deux offensives — en fait contradictoires et divergentes, aboutissent à un renforcement du nouveau pouvoir. La « Savagh déguisée » obtient des succès faciles contre des agents américains auxquels elle était naguère liée et contre des agents soviétiques qu’elle connaissait fort bien. Ainsi qu’il convient en bonne stratégie, les Services iraniens vont d’abord s’occuper des Américains en faisant semblant de tolérer les communistes. Le point culminant de l’offensive anti-occidentale sera atteint en nombre 1979 avec le sac et l’occupation de l’ambassade des États-unis à Téhéran. En toute naïveté le Président Carter s’imagine que son « ami » Brejnev ne pourra tolérer une violation aussi grave des lois internationales et que l’U.R.S.S. voisine de l’Iran exercera des pressions énergiques sur Téhéran en vue de l’évacuation de l’ambassade et de la libération des diplomates américains. Malheureusement au Kremlin on perçoit la situation quelque peu différemment. Persuadés que les Américains seront tôt ou tard contraints d’intervenir par la force en Iran pour libérer les otages de leur ambassade, les stratèges moscovites décident de profiter de l’occasion pour régler une fois pour toute le problème afghan.

Rappelons que depuis le coup d’État d’avril 1978 et l’arrivée au pouvoir à Kaboul d’une équipe communiste, l’Afghanistan était en proie à une guerre civile dont le nouveau régime risquait de faire les frais.

De plus les communistes afghans étaient eux-mêmes divisés en deux factions rivales et se livraient entre eux à une lutte fratricide aboutissant, en octobre 1979, à la liquidation physique du numéro Un du régime, Taraki, par son second Amin. Ce dernier avait cru nécessaire de consolider son pouvoir par le massacre des communistes de la faction adverse, en même temps qu’il avait la prétention de mater la rébellion anticommuniste. Moscou pouvait difficilement laisser se développer de tels désordres dans un pays admis depuis dix-huit mois dans la « grande famille socialiste ». La conjonction de l’affaire de l’ambassade américaine à Téhéran et de la grande pagaille qui s’installe en Afghanistan sera ainsi à l’origine de l’intervention soviétique du 27 décembre 1979.

A Moscou on s’imagine que l’opération sera de courte durée — un peu comme celle des Vietnamiens au Cambodge; qu’elle ne provoquera aucune réaction de la part de Téhéran du fait de la compréhension manifestée par l’U.R.S.S. dans l’affaire de l’ambassade et que la mauvaise humeur des Américains en train de préparer leur propre intervention en Iran sera toute relative. L’avenir se chargera de démentir des prévisions optimistes. L’opération de courte durée en est largement à sa huitième année. Le régime des mollahs remerciera les Soviétiques de leur compréhension en liquidant les cadres du Tudeh et en aidant la résistance afghane, et plus que déçu par le comportement de son « ami » Brejnev. Jimmy Carter décidera le boycott des Jeux Olympiques de Moscou en 1980 et un embargo sur les ventes de blé à l’Union Soviétique.

LE RECOURS A BAGDAD

Il est évidemment difficile d’imaginer ce qui aurait pu se passer à Téhéran si en novembre 1979 le Kremlin avait réagi selon les voeux du Président Carter au lieu de préparer une intervention en Afghanistan.

– On peut penser néanmoins qu’une condamnation sans équivoque de la violation flagrante des lois internationales perpétrée par le pouvoir des mollahs émanant de Moscou et des autres capitales de l’Empire soviétique aurait nettement modifié les données du problème. A l’époque le nouveau régime iranien n’était pas encore consolidé et un front uni englobant les puissances occidentales, l’Empire, et probablement la quasi-totalité des pays arabes — les progressistes se ralliant à l’appel de l’U.R.S.S. — eût été à même de faire céder les autorités de Téhéran. Il s’en serait suivi une perte de face génératrice d’une crise intérieure grave. Ces quelques spéculations n’ont d’intérêt que dans la mesure où elles font ressentir la lourde responsabilité de l’U.R.S.S. dans la consolidation du pouvoir politico-religieux iranien. Cette responsabilité est d’ailleurs quelque peu partagée par la plupart des alliés occidentaux des États-unis dont le moins que l’on puis dire est qu’ils n’ont fait preuve ni de solidarité ni de fermeté face au défi de Téhéran. Il allait en être de même dans le cas de l’invasion de l’Afghanistan — tant en ce qui concerne la livraison de céréales à l’U.R.S.S. que le boycott des Jeux Olympiques. Réduits à agir seuls les Américains vont ainsi essuyer un échec lors de leur tentative d’opération héliportée d’avril 1980. Et c’est ainsi que l’on va aboutir à ce que l’on peut appeler le recours à Bagdad. Même si nous ne pouvons affirmer avec certitude que le Général Saddam Hussein ait été directement incité par les Américains à déclencher, en septembre 1980, les hostilités contre l’Iran, son initiative ne pouvait à l’évidence déplaire à Washington.

Les dirigeants de Bagdad partaient avec de sérieux atouts face à un adversaire affaibli par les remous d’une révolution sanglante. Plus de dix-huit mois après la chute du Chah, l’armée iranienne devait se trouver totalement désorganisée du fait des purges et de la fin de l’aide militaire américaine. Quelques rescapés de ces purges — officiers généraux ou supérieurs, se trouvaient d’ailleurs en Irak pour appuyer ce point de vue et conseiller le Président Saddam Hussein.

Pour des raisons diverses, ce dernier bénéficiait du soutien discret des puissances occidentales et de la sympathie agissante des pays arabes du Proche-Orient, à l’exception de la Syrie. La France, en particulier, pouvait du fait de ses relations privilégiées avec l’Irak espérer un renforcement de son influence au sein du monde arabe. De son côté l’U.R.S.S. dont les troupes n’avaient pas réussi en dix mois d’intervention à pacifier l’Afghanistan, apportait une aide militaire généreuse à l’Irak en misant, elle aussi, sur un prompt effondrement de l’Iran dont le Tudeh aurait pu être le bénéficiaire. Une telle solution lui aurait permis de régler plus rapidement le problème afghan et d’obtenir un accès direct au Golfe. Toutefois Moscou ne se contentait pas — à l’instar des Occidentaux, de jouer uniquement la carte irakienne .

Grâce à la Syrie — dont l’équipe dirigeante était hostile à celle de Bagdad, elle pouvait espérer maintenir le contact avec Téhéran en vue de l’hypothèse (peu probable à l’époque) d’une victoire de l’Iran. De toute façon personne — en septembre 1980, n’envisageait l’hypothèse d’une guerre longue et meurtrière avec ses phénomènes annexes : reprise du terrorisme en Europe et remous dans le monde arabe.

LA GUERRE DE SEPT ANS… ET PLUS

Les premiers mois de la guerre irako-iranienne déclenchée — on l’oublie souvent de nos jours, par Bagdad — seront très vite éclipsés par des événements tels que l’émergence de Solidarnosc, l’éventualité d’une intervention soviétique en Pologne, la victoire de Ronald Reagan aux élections présidentielles américaines etc…

Après quelques gains territoriaux minimes, l’armée irakienne s’était enlisée — faute d’avoir su utiliser ses unités blindées. Pendant ce temps, face à l’agresseur irakien avec à sa tête des dirigeants champions de la laïcité, le pouvoir des mollahs appelait à la « guerre sainte » — et le nationalisme persan aidant, mobilisait l’ensemble de la nation.

Les forces iraniennes retrouvaient une certaine cohésion et il ne restait plus qu’à trouver de nouveaux fournisseurs pour ses armements. Dans le lot, Israël — officiellement honni et promis à la destruction, allait discrètement occuper une place de choix. Ce seront ensuite la Corée du Nord et surtout la Chine. Dans le cas d’Israël les raisons de son attitude étaient parfaitement logiques. L’Irak avec ses dirigeants bassistes professant une forme de national-socialisme arabe représentait le danger majeur. Sa victoire devait lui permettre de prendre la tête d’un front arabe uni contre l’ennemi hébreu— avec de plus l’éventualité de l’acquisition par Bagdad de l’arme nucléaire . L’Iran — même hostile aux Juifs, constituait le moindre mal. La propagation de son Islam fondamentaliste (d’inspiration chiite) avait beaucoup plus de chances de susciter des troubles au sein des pays arabes que d’unir ces pays sous l’égide de l’Ayatollah Khomeini.

Comme par ailleurs les forces armées iraniennes étaient au départ équipées de matériels américains, Israël s’imposait à Téhéran en tant que fournisseur indispensable. Ainsi l’État hébreu — disposant lui-même d’un petit arsenal nucléaire, profitait-il de cette guerre pour devenir la seule grande puissance régionale du Proche-Orient. C’est cette nouvelle appréciation de la situation qui allait inciter Jérusalem à se lancer dans la campagne du Liban de 1982, sans le soutien des États-unis, qui aurait pu — sans l’épisode des camps de Sabra et de Chatila être profitable non seulement à Israël, mais à l’ensemble du camp occidental.

Des succès aussi importants que le démantèlement de la Défense aérienne syrienne, l’affront infligé à l’U.R.S.S. de Brejnev, les coups portés à l’O.L.P. de Yasser Arafat sont finalement restés sans lendemain, cependant que les Occidentaux se laissaient embarquer dans la galère libanaise avec les résultats que nous connaissons. Obligé d’évacuer le Liban, Israël abandonnait le terrain à la Syrie et aux factions rivales libanaises et palestiniennes. Pendant ce temps le conflit irako- iranien se poursuivait sans que les deux protagonistes parviennent à prendre un avantage décisif. Au Kremlin Andropov succédait à Brejnev en attendant de disparaître au profit de Tchernenko. Réélu triomphalement en 1984.

Reagan semblait devoir entamer un deuxième mandat en position de force, face à un Empire soviétique à bout de souffle — même si à la tête de cet Empire le jeune et énergique Mikhaïl Gorbatchev devait, en mars 1985, succéder au malheureux Tchernenko.

Il ne venait certainement à l’idée d’aucun observateur de politique internationale que le président des États-unis allait être sérieusement amoindri du fait de la Guerre du Golfe — et plus précisément des Services Spéciaux iraniens.

Faute de pouvoir obtenir du Congrès les moyens nécessaires à une action sérieuse contre le pouvoir cryptocommuniste du Nicaragua les proches collaborateurs du Président seront amenés à monter une opération secrète illégale de livraison d’armes aux Iraniens afin de pouvoir financer la contre-révolution nicaraguayenne. L’opération menée par la C.I.A. oeuvrant pour le compte de l’État-major de la Maison-Blanche devait s’avérer fructueuse.

Toutefois les Américains allaient découvrir à leurs dépens l’esprit tortueux des Services Spéciaux iraniens — autrement dit des successeurs de la Savagh. Il est fort possible d’ailleurs que ces derniers qui avaient quelque temps auparavant décimé les réseaux soviétiques en Iran aient estimé utile de rendre « un petit service » de dédommagement au K.G.B. à un moment où Mikhaïl Gorbatchev venait d’essuyer un échec à Reykjavik. C’est alors, dès la fin de novembre 1986, le scandale de l’« Irangate » qui porte (qu’on le veuille ou non) un coup sévère au prestige du Président, même si ses collaborateurs parviennent à le disculper.

L’intervention américaine dans le Golfe, en août dernier, sera en quelque sorte une réplique à la tortueuse manoeuvre iranienne de l’automne 1986.

Une fois de plus l’U.R.S.S., tout étant signataire de la résolution du Conseil de Sécurité de l’O.N.U. exigeant l’arrêt des hostilités, cherchera à tirer son épingle du jeu en se rapprochant de l’Iran. D’où l’orientation prise par la Propagande du Kremlin dénonçant l’intervention des « forces navales de l’O.T.A.N. » dans le Golfe et les dangers d’escalade qui en découlent. En fait l’intervention des Américains et de leurs alliés britannique et français ne paraît pas dangereuse en soi, mais elle est inadéquate. Ainsi que le constate très justement Yves Cuau dans « L’Express » , les énormes moyens engagés dans le Golfe valaient-ils la peine « d’employer de coûteux et d’inefficaces marteaux-pilons pour tenter d’écraser des mouches, même enragées » ? Ajoutons qu’il nous paraît évident que cette inadéquation des moyens renforce encore le prestige de l’Ayatollah et le pouvoir politico-religieux iranien.

Les gesticulations stratégiques sont peut-être valables dans le cas de puissances classiques, voire même de l’Empire lénino-marxiste, mais sont inopérantes avec un régime totalitaire dans lequel religion et nationalisme se confondent. C’est d’ailleurs le caractère spécifique de ce régime issu d’une révolution unique dans son genre qui déroute depuis des années les Occidentaux, les Soviétiques et même les Arabes.

ENGRENAGE DANGEREUX OU GESTICULATION DE ROUTINE ?

La question posée par le titre du présent article est celle qui vient normalement à l’esprit lorsque les grandes puissances croient — par un déploiement de force, mettre un terme à une guerre entre deux adversaires irréconciliables. Nous avons dit plus haut qu’à notre sens la gesticulation de routine à laquelle nous assistons actuellement dans le Golfe était inopérante. Tout au plus joue-t-elle un rôle dans le domaine du ravitaillement en pétrole des clients de l’Iran — c’est-à-dire qu’elle ne concerne pas le conflit en tant que tel. Reste le risque d’engrenage. Il ne paraît pas exagéré dans l’immédiat et ne pourrait devenir réel que dans deux éventualités – l’effondrement subit de l’un des belligérants, – l’extension de l’onde de déstabilisation au sous-continent indien. La première de ces éventualités est celle que redoutent la plupart des observateurs, divisés toutefois quant au degré de gravité que comporterait la victoire de l’un ou l’autre camp. Nous avons dit que pour Israël le pire serait un triomphe de l’Irak. A la réflexion il semble que Jérusalem ait raison — du moins à court terme. La seconde qui n’est évoquée, semble-t-il nulle part, devrait être sérieusement prise en considération car elle pourrait conduire à des malentendus graves entre toutes les grandes puissances.




Colonel M Garder : Reflexions sur Les services speciaux (1986)

En cette fin d’année 1986, que de thèmes de réflexion s’imposent à nous, anciens des Services Spéciaux, à propos de deux anniversaires : celui de la fin de la Bataille de Verdun, en décembre 1916, et celui du début du prologue de la Seconde Guerre Mondiale avec, fin août 1936, le rétablissement du service militaire obligatoire en Allemagne!

En effet, il y a soixante-dix ans, à la suite de l’échec allemand devant Verdun, nos grands anciens apportaient leur concours — sans être dans le secret des dieux, à la préparation d’une nouvelle bataille grâce à laquelle le Haut Commandement espérait reprendre l’initiative et forcer la décision.

Nul ne savait encore que celle-ci prendrait le nom du « Chemin des Dames », celui d’une route reliant l’Aisne et l’Ailette. Il leur fallait quant à eux reconstituer l’ordre de Bataille de l’Ennemi, suivre les mouvements des troupes sur les arrières, percer les intentions du Grand État-Major Impérial et neutraliser ses espions.

Humbles artisans — conscients de leur rôle d’auxiliaires discrets de la machine de guerre française, ces grands anciens, que notre ami le Colonel Allemand nous a fait si bien connaître dans ce Bulletin, ne prétendaient ni se substituer au Commandement qu’ils renseignaient, ni à la Troupe qu’ils servaient. Chacun était à sa place et la victoire de 1918 a été celle de tous.

De côté, ceux de notre génération qui — voilà un demi-siècle, servaient au 2 bis, avenue de Tourville sous les ordres du regretté Colonel Rivet; le faisaient dans le même esprit que leurs anciens de 14-18.

Ceux d’entre nous qui devaient les rejoindre entre 1940 et 1944 pour participer à la Résistance d’abord, et à la Libération ensuite, ont découvert ainsi des Services devenus clandestins sans pour autant avoir la prétention de se substituer à la Direction Politico-Militaire de la France Combattante.

Là aussi chacun était à sa place, même si le tribut payé par nos Services pour que la France retrouve sa place parmi les vainqueurs devait être plus lourd que lors du conflit précédent.

Or de nos jours, devenus par la force des choses les spectateurs ou tout au plus les figurants du conflit permanent en cours depuis 1945, nous assistons à une curieuse interversion des rôles.

Pour commencer, les responsables au sommet — surtout en ce qui concerne le Monde Occidental, paraissent incapables de percevoir la nature et de comprendre les règles de l’affrontement total dans lesquels leurs pays respectifs se trouvent engagés. Les Forces Armées ne sont sollicitées que périodiquement à l’occasion de conflits secondaires, leur mission essentielle étant, de part et d’autre, de dissuader l’adversaire — autrement dit de se neutraliser mutuellement.

En revanche les Services Spéciaux — au sein desquels la Branche « Action » a pris définitivement le pas sur le S.R. et le C.E., jouent les premiers rôles échappant souvent au contrôle d’un pouvoir politique dépassé par ce conflit d’un genre nouveau.

C’est ainsi qu’en U.R.S.S. le K.G.B. détient depuis plusieurs années la réalité du pouvoir et que dans les démocraties occidentales nous assistons avec tristesse à un dérèglement de la machine dont de récents événements fournissent la pénible illustration.

Que le système totalitaire soviétique récolte ce qu’il a semé en subissant la férule de son propre outil de coercition est après tout admissible. Mais que dans nos pays de vieille tradition démocratique le pouvoir politique ne sache pas utiliser de façon rationnelle des Services parfaitement adaptés au conflit en cours nous paraît à la fois désolant et dangereux.

Il serait quand même temps que ceux qui ont accepté la lourde charge de gouverner les pays du monde libre comprennent que la « paix » est devenue la forme de la guerre moderne par excellence et que pour survivre leurs pays doivent pouvoir utiliser tous les moyens nécessaires à leur Sécurité et à leur Défense.

Les Services Spéciaux sont actuellement les premiers de ces moyens. Encore faut-il savoir les utiliser




La situation internationale 1986 – Relations sino japonaise et sovietiques- Colonel Michel Garder

FIN AVRIL 1986 En cette fin du premier quart de l’année 1986, la situation internationale est toujours caractérisée par le conflit qui oppose l’Empire soviétique à une coalition « de facto » englobant une Alliance Occidentale américo-européenne et le binôme sino-nippon.

C’est dans cet affrontement confus que se situent les cinq pôles politico stratégiques mentionnés plus haut.

Le reste du monde, à savoir l’ensemble insulaire du Pacifique, l’Asie du Sud — et plus spécialement le sous-continent indien, la « nébuleuse » arabo-musulmane de la Zone du Golfe au Maghreb, l’Afrique centrale et australe, l’Amérique latine et l’Amérique du Sud, constitue à la fois un champ de bataille pour les pôles en conflit et une clientèle disparate pour chacun d’eux.

I. — L’EMPIRE SOVIÉTIQUE

Au début de l’année 1986 on pouvait croire que le 27e Congrès du P.C. soviétique allait permettre à Mikhaïl Gorbatchev de renouveler totalement l’équipe dirigeante du Kremlin et d’être ainsi en mesure de s’attaquer à l’énorme tâche qui s’impose à lui, tant à l’intérieur de son Empire qu’à l’extérieur.

Or, contrairement à nos prévisions, le Congrès a uniquement permis au Secrétaire Général de définir les grandes lignes du nouveau plan stratégique du Kremlin, mais sans mettre à sa disposition un Comité Central suffisamment renouvelé pour lui assurer un pouvoir absolu.

I — 1. Le Nouveau Plan Stratégique

Les grandes lignes du nouveau plan stratégique ressortent du « Rapport Politique » présenté d’entrée de jeu par Mikhaïl Gorbatchev lui-même. L’épithète « politique » constituait déjà à elle seule une indication ayant été utilisée pour la dernière fois par Staline au Congrès de 1930. Le style et le ton du Rapport ne rappelaient en rien celui du Congrès précédent présenté il y a cinq ans par feu Brejnev.

Deux mots-clés y apparaissaient en ce qui concerne le Théâtre Intérieur : Réforme et Restructuration.

Le premier était audacieux en soi puisque proscrit du jargon lénino marxiste comme « contre-révolutionnaire ».

Le second pouvait signifier l’intention de résoudre dialectiquement des problèmes aussi délicats que ceux d’un retour camouflé à une forme de privatisation du sol, ou bien de l’amorce d’une certaine libéralisation de circuits de distribution.

Ainsi le plan sur le Théâtre Intérieur se présente-t-il comme suit :

— Maintien officiel d’une Économie étatique planifiée avec ses 4 secteurs A) Militaro-industriel — toujours prioritaire avec 40 % de moyens B) Biens d’Équipement C) Biens de Consommation D) Agriculture

— Le monolithisme de l’U.R.S.S. assuré par la propagande et la coercition.

— La cohésion de l’Empire grâce au Pacte de Varsovie, au C.O.M.E.C.O.N. et au K.G.B. (et aux Forces Armées en ce qui concerne l’Afghanistan).

Pendant ce temps sur le Théâtre Extérieur le schéma est celui qui s’est esquissée depuis l’arrivée au pouvoir de Gorbatchev, avec :

— effort principal sur l’ensemble Europe-Amérique visant à dissocier l’Europe de son puissant allié en utilisant en particulier l’argument de l’ « Initiative de Défense Stratégique » (I.D.S.) pour prouver aux Européens que les Américains envisagent de se détacher de leur continent.

En même temps Moscou s’efforcera d’attirer progressivement dans sa mouvance l’ensemble de l’Europe occidentale en faisant avant tout effort sur l’Allemagne Fédérale :

— Offensive de paix sur le binôme sino-nippon tout en s’efforçant de régler au plus vite le problème afghan. — Maintien des positions acquises au Moyen-Orient et en Afrique.

I — 2. Poursuite de la lutte pour le pouvoir au Kremlin.

Cependant la surprise du Congrès a été le modeste renouvellement du Comité Central (un tiers des membres) qui a laissé en place un important noyau d’anciens brejnéviens et a pour conséquence de ne pas modifier le rapport des forces au sein du Bureau Politique.

Dans cette instance suprême du pouvoir Gorbatchev doit compter avec un certain nombre d’opposants potentiels — dont trois généraux du K.G.B., le chef de cet organisme Tchébrikov, le Ministre des Affaires Etrangères : Chevarnadzé et le Premier Vice-président du Conseil : Aliyev. Le fait que les Forces Armées ne sont même pas représentées au Sommet puisque le Ministre de la Défense le Maréchal Sokolov n’est que membre suppléant du Bureau Politique, est également significatif.

Nous assistons, semble-t-il, à ce que les sportifs appellent « un round d’observation » à l’issue duquel il faut s’attendre à un véritable heurt frontal entre les deux tendances qui s’affrontent.

Dans un proche avenir on peut, de ce fait, prévoir les trois hypothèses suivantes :

H-1 — L’ampleur de la tâche et la peur des conséquences incitent Gorbatchev à se contenter de « faire semblant ». Ce sera alors le retour à l’immobilisme « à la Brejnev ».

H-2 — Une conjuration montée par les nantis menacés oblige Gorbatchev à recourir à une « révolution par le haut » du type stalinien, mais en sens inverse, en s’appuyant sur les Forces Armées.

H-3 — Les « nantis » devancent la manoeuvre de Gorbatchev et, s’assurant le concours du K.G.B., éliminent le Secrétaire Général à l’instar de leurs anciens se débarrassant de Khroutchev en 1964.

II. — L’ALLIANCE OCCIDENTALE

Face au nouveau plan stratégique moscovite, l’Alliance Atlantique connaît quelques difficultés, faute pour ses membres de connaître la nature exacte de l’action adverse. C’est ainsi que les Européens, par exemple, ne veulent pas suivre le Président Reagan lorsqu’il accuse Moscou de tirer les ficelles du terrorisme mondial, ou bien — à l’exception de la Grande-Bretagne, ne font pas preuve de solidarité vis-à-vis de l’Allié américain lors de la punition infligée à la Libye.

Toutefois, jusqu’à présent, le Kremlin n’est toujours pas parvenu à entamer sérieusement cette libre association des pays démocratiques.

II — 1. Les États-unis

En ce deuxième mandat du Président Reagan, les États-unis qui avaient connu une véritable résurrection politico-économique lors du premier quadriennat éprouvent quelques difficultés à ne pas baisser de rythme.

Bien que contrairement à l’Union Soviétique les États-unis ne pratiquent pas toujours une stratégie totale.

Certains aspects de leur politique étrangère — sans parler de leur politique de Défense, s’inspirent d’un raisonnement stratégique. C’est le cas en premier lieu de l’utilisation par Washington du projet d’ Initiative de Défense Stratégique » (I.D.S.), lequel n’en est encore qu’au stade des recherches, mais joue déjà le rôle d’une arme psycho-politique à la fois pour cimenter la cohésion de l’Alliance et pour mener des négociations avec le Kremlin en position de force.

Cela dit, les grands axes de la « stratégie totale » américaine sont :

— maintenir la concorde de l’ensemble américain, en particulier en Amérique Centrale;

— rétablir l’influence pacifique des États-unis au Moyen-Orient en visant à la fois la survie d’Israël et le renforcement des liens avec les États arabes modérés

— contrecarrer l’expansionnisme soviétique en Afrique du Nord et dans le reste du continent africain;

— empêcher l’U.R.S.S. de prendre pied dans la Région du Golfe;

— s’efforcer de dégager l’Inde de l’emprise soviétique;

— établir une solide barrière entre la menace soviétique en Extrême-Orient en réalisant un Axe Japon/Corée du Sud/Chine;

— maintenir l’hégémonie américaine sur le Pacifique — en particulier en soutenant le nouveau régime aux Philippines.

Bien entendu, en ce mois d’avril 1986, tous les objectifs sont loin d’être atteints, même si dans l’ensemble les progrès réalisés par l’administration Reagan sont sensibles.

En Amérique latine le Nicaragua pose toujours des problèmes préoccupants à la Maison Blanche et, de plus, une éventuelle catastrophe économique au Mexique peut à tout moment déstabiliser toute la Région.

En ce qui concerne l’Alliance Atlantique, la cohésion a été maintenue tant bien que mal, en dépit des effets pervers de l’affaire libyenne.

C’est au Moyen-Orient que les États-unis connaissent les plus grandes difficultés.

L’allié israélien n’est pas toujours commode et les pays arabes amis, tels l’Égypte, la Jordanie ou l’Arabie Saoudite sont pour des raisons diverses déçus par la politique américaine.

La guerre irano irakienne n’arrange guère la situation. La menace d’extension de l’intégrisme musulman à l’ensemble du monde arabe demeure latente. Enfin la Syrie est devenue un pion important dans le jeu soviétique tout en conservant une relative liberté d’action.

En Afrique du Nord il y a avant tout le problème libyen. Faute de pouvoir le résoudre, les Américains pourraient connaître d’autres difficultés au Soudan et dans les pays du Maghreb.

Quant à l’Afrique Noire, elle offre aux Américains bon nombre de possibilités pour y contrecarrer l’influence soviétique, en particulier en Angola. Toutefois le problème de l’Afrique du Sud gêne énormément les manoeuvres de Washington.

En ce qui concerne la Région du Golfe, l’enlisement soviétique en Afghanistan atténue quelque peu la menace. Là aussi, les conséquences de la guerre irano irakienne peuvent être dangereuses. Par ailleurs, la situation intérieure du Pakistan peut à tout moment être remise en question, tant à la suite d’une action subversive menée par l’U.R.S.S. que par le fait d’une guerre malheureuse contre l’Inde. Heureusement Rajiv Gandhi paraît vouloir adopter une attitude indépendante vis-à-vis de l’U.R.S.S. et vient même d’esquisser un rapprochement avec le Pakistan et le Bangladesh, ce qui favorise le jeu américain.

Il en va de même du renforcement du binôme Sino-nippon sur lequel nous reviendrons plus loin, et que facilite pour le moment la stratégie totale américaine. Reste le problème de la maîtrise des Océans. Les Soviétiques sont présents en force dans l’Océan Indien et pourraient bien chercher des bases aux Philippines, en cas de victoire des communistes dans ces îles-clés du Pacifique.

II — 2. L’Europe Occidentale

Comme dit plus haut, l’offensive soviétique sur l’Alliance Occidentale vise non plus comme naguère à dissocier les pays européens, mais à couper une « Europe Unie » de l’Amérique.

Il semble que dans l’immédiat l’utilisation pour y parvenir du projet américain de Défense Stratégique (I.D.S.) dénoncée par le Kremlin sous le nom de « Guerre des Étoiles » ne soit pas très heureuse, surtout depuis le changement de majorité en France. Il reste néanmoins quelques failles à exploiter dans l’édifice européen, telles que :

— certaines différences dans les intérêts nationaux de ses composants

— les problèmes posés par la neutralité de l’Autriche, de la Suisse et de la Suède;

— l’existence d’importants partis communistes en France, en Italie, en Espagne et au Portugal;

— enfin et surtout la division de l’Allemagne — avec à l’arrière-plan le gauchissement important du Parti Social Démocrate en Allemagne Fédérale à un moment où ce parti pourrait revenir au pouvoir.

III. — Le BINÔME SINO-NIPPON

Le concept même de « binôme » associant deux entités aussi opposées en apparence que la Chine et le Japon n’est pas entré dans les habitudes des commentateurs. Pourtant il y a là une réalité dont il faudrait tenir compte, surtout quand on envisage l’horizon 2000.

Déjà surpris en août 1978 par le rapprochement sino-nippon, les analystes occidentaux et même soviétiques parviennent difficilement à comprendre l’ampleur du phénomène. Or jamais convergence d’intérêts entre deux pays complémentaires n’a été aussi profonde.

Plus encore que les accords de Rapallo de 1922 entre l’Allemagne et l’Union Soviétique, le rapprochement du Japon et de la Chine porte en lui des développements ultérieurs qui pourraient étonner le monde d’ici une décennie ou deux. A court terme, le phénomène joue en faveur de la « coalition de facto » qui s’oppose à l’Empire Soviétique. A plus long terme, il pourrait en être autrement.

IV. — LE POINT DU CONFLIT FIN AVRIL 1986

Nous avons vu plus haut que le problème du pouvoir n’était toujours pas réglé en U.R.S.S. De ce fait, Mikhaïl Gorbatchev et son équipe ne sont pas à même, pour le moment, de se lancer à fond sur les Théâtres Intérieur ou Extérieur.

C’est ainsi qu’à moins de réaliser la « révolution de palais » de l’Hypothèse H-2 présentée ici, cette équipe peut tout au plus esquisser des actions dans le domaine économique, ou en vue de résoudre les problèmes polonais et afghan.

Sur le Théâtre Extérieur nous avons pu voir les réactions embarrassées du Kremlin lors du raid américain sur la Libye. De même, l’offensive de charme en direction du binôme Sino-nippon n’a apparemment aucune chance de succès et, ce qui est plus grave, l’U.R.S.S. peut de moins en moins compter sur l’Inde en tant qu’alliée en Asie.

Le seul théâtre sur lequel Moscou est à même d’agir dans l’immédiat est celui de l’Europe Occidentale, en s’efforçant d’exploiter les failles énumérées au § II — 2. Il pourrait en être autrement au cas où Gorbatchev parviendrait à éliminer les « opposants » et disposerait d’un pouvoir absolu. Il aurait intérêt à faire vite car il se trouve que cette hypothèse soit parfaitement plausible.




Hommage à Madame Yvonne ROUYER, une grande Dame de l’AASSDN

Discours du Colonel Henri Debrun, Président de l’AASSDN, prononcé le 1er Aout 2013 et lu à ses obsèques par Madame Donzeau, membre de l’ASSDN et proche de la famille de Madame Rouyer

Madame et très chère Amie,

Par déférence, ne devrais-je pas vous appeler “ Madame la Générale ”, selon
l’expression dont aimait faire courtoisement usage mon illustre prédécesseur, le
Colonel Paillole, Chef du contre-espionnage français camouflé pendant la guerre
sous le nom “ d’Entreprise des Travaux Ruraux ”, plus couramment “ T.R. ” ?
Vous aviez été très proche de lui au Poste de Vichy baptisé “ Violette ” et dirigé,
à partir de 1943, par votre mari alors Capitaine. Vous accomplissiez des tâches
de secrétariat, de transport de courrier et d’agent de liaison, tâches à haut risque
dans cette France entièrement occupée par l’ennemi.

Vous étiez aussi en relation étroite avec le 152e Régiment d’Infanterie, le glorieux
“ 15/2 ” entré en clandestinité totale dans l’Allier, régiment que rejoignit
votre mari comme capitaine, puis chef de bataillon pour combattre jusqu’à la fin
de la guerre avec la 1re Armée française.

Mais de ces actions, de vos souvenirs, vous aviez la discrétion de ne pas en
parler beaucoup, n’ayant, estimiez-vous, accompli que votre devoir.
Dès fin 1944, vous avez rejoint la toute nouvelle DGER qui devint le SDECE
et ce, jusqu’en 1951, comme secrétaire du Colonel Lafont, dit “ Verneuil ” qui,
à partir de novembre 1942, avait été le successeur sur le terrain du Commandant
Paillole.
Vous avez été parmi les premières à rejoindre notre Amicale des Anciens des
Services Spéciaux de la Défense Nationale (ASSDN) créée fin 1953 par vos
compagnons de combat clandestins et dont la présidence fut confiée d’emblée au
Colonel Paul Paillole.

Membre du Conseil d’Administration pendant de nombreuses années, vous
avez longtemps été notre trésorière. En reconnaissance de votre passé et des services
remarquables que vous avez rendus, nous avons eu à coeur de vous conférer
la distinction de “ Membre d’honneur de l’ASSDN ”.

Très attachée à l’Amicale, dont vous avez parcouru toute l’histoire et étiez
l’une de nos dernières amies à avoir vécu ces années fondatrices qui furent pour
vous tous celles d’un combat clandestin impitoyable, vous étiez pour nous une
référence, détentrice d’une part importante de notre mémoire que je n’hésitais
pas à consulter.

Vous m’accordiez en effet beaucoup d’affection et j’éprouvais pour vous, qui
m’aviez demandé de vous appeler “ Yvonne ”, un sentiment équivalent empreint
de respect.

Vous avez également présidé l’Amicale des Anciens du “ 15/2 ” et en étiez
devenue la Présidente d’honneur, c’est dire l’estime que ce régiment vous portait.

Agent de renseignement “ P 2 ”, sous-lieutenant chargé de mission, vous avez
été nommée Chevalier de la Légion d’honneur et de l’Ordre national du Mérite
et êtes titulaire de la Croix de Guerre avec citation à l’ordre du Corps d’Armée,
de la Croix du Combattant, de la Médaille de la Résistance française, de la Croix
du Combattant Volontaire 39/45 et de la Croix du Combattant volontaire de la
Résistance.

Aujourd’hui vous rejoignez votre mari, le Général de Division André Rouyer
et votre fille, laissant votre fils Christian et votre petit-fils dans le chagrin. Vous
rejoignez de même la cohorte de vos amis des Services Spéciaux qui vous ont
précédée dans l’Au-delà.

Pour nous qui avons eu la chance de vous connaître, votre décès crée dans nos
rangs un vide à la fois sentimental, amical et historique. Nous perdons plus
qu’une amie et nous en éprouvons une grande peine.

Je prie votre fils Christian, ancien Ambassadeur de France au Mali, ainsi que
son fils et toute votre famille, de croire, au nom de l’ASSDN et à titre personnel,
à notre profonde tristesse et à nos plus sincères et amicales condoléances.
Étant à plus de 600 km de Brunoy, je me trouve, à mon très grand regret, dans
l’impossibilité de vous accompagner comme je l’aurais souhaité.

Mais, Yvonne, permettez-moi de vous appeler affectueusement par votre prénom,
“ Vous n’êtes pas loin, juste de l’autre côté du chemin ”, comme disait le
poète Charles Péguy.




Eloge funèbre du Commandant Hélie de Saint-Marc

Discours prononcé le vendredi 30 août 2013 à Lyon par le Général d’armée (2s) Bruno Dary
ancien Gouverneur militaire de Paris

Mon Commandant,
Mon ancien,

Ils sont là, ils sont tous présents, qu’ils soient vivants ou disparus, oubliés de
l’histoire ou célèbres, croyants, agnostiques ou incroyants, souffrant ou en pleine
santé, jeunes soldats ou anciens combattants, civils ou militaires, ils sont tous présents,
si ce n’est pas avec leur corps, c’est par leur coeur ou par leur âme ! Tous ceux
qui, un jour, ont croisé votre chemin, ou ont fait avec vous une partie de votre route
ou plutôt de votre incroyable destinée, sont regroupés autour de vous : les lycéens de
Bordeaux, les résistants du réseau Jade Amicol, les déportés du camp de Langenstein,
vos frères d’armes, vos légionnaires que vous avez menés au combat, ceux qui sont
morts dans l’anonymat de la jungle ou l’indifférence du pays, les enfants de Talung
que vous avez dû laisser derrière vous, les harki abandonnés puis livrés aux mains du
FLN ! Je n’oublie pas vos parents et votre famille, qui ont partagé vos joies et vos
épreuves : il faut ajouter à cette longue liste les jeunes générations qui n’ont connu
ni la Guerre de 40 ni l’Indochine, pas plus que l’Algérie, mais qui ont dévoré vos
livres, qui vous ont écouté et que vous avez marqués profondément ! Cette liste ne
serait pas complète, si n’était pas évoquée la longue cohorte des prisonniers, des
déchus, des petits et des sans-grades, les inconnus de l’histoire et des media, ceux
que vous avez croisés, écoutés, respectés, défendus, compris et aimés et dont vous
avez été l’avocat. Eux tous s’adressent à vous aujourd’hui, à travers ces quelques
mots et, comme nous en étions convenus la dernière fois que nous nous sommes vus
et embrassés chez vous, je ne servirai que d’interprète, à la fois fidèle, concis et surtout
sobre. Aujourd’hui, Hélie, notre compagnon fidèle, c’est vous qui nous quittez,
emportant avec vous vos souvenirs et surtout vos interrogations et vos mystères ;
vous laissez chacun de nous, à la fois heureux et fier de vous avoir rencontré mais
triste et orphelin de devoir vous quitter. Vous laissez surtout chacun de nous, seul
face à sa conscience et face aux interrogations lancinantes et fondamentales qui ont
hanté votre vie, comme elles hantent la vie de tout honnête homme, qui se veut à la
fois homme d’action et de réflexion, et qui cherche inlassablement à donner un sens
à son geste ! Parmi tous ces mystères, l’un d’eux ne vous a jamais quitté. Il a même
scandé votre vie ! C’est celui de la vie et de la mort. Car qui d’autres mieux que
vous, aurait pu dire, écrire, prédire ou reprendre à son compte ce poème d’Alan
Seeger, cet Américain, à la fois légionnaire et poète, disparu à 20 ans dans la tourmente
de 1916 : “ j’ai rendez-vous avec la mort ” ? C’est à 10 ans que vous avez
votre premier rendez-vous avec la mort, quand gravement malade, votre maman
veille sur vous, nuit et jour ; de cette épreuve, vous vous souviendrez d’elle, tricotant
au pied de votre lit et vous disant : “ Tu vois Hélie, la vie est ainsi faite comme
un tricot : il faut toujours avoir le courage de mettre un pied devant l’autre, de
toujours recommencer, de ne jamais s’arrêter, de ne jamais rien lâcher ! ”. Cette
leçon d’humanité vous servira et vous sauvera quelques années plus tard en camp de
concentration. Votre père, cet homme juste, droit et indépendant, qui mettait un point
d’honneur durant la guerre à saluer poliment les passants marqués de l’étoile jaune,
participera aussi à votre éducation ; il vous dira notamment de ne jamais accrocher
votre idéal, votre “ étoile personnelle ” à un homme, aussi grand fût-il ! De l’époque
de votre jeunesse, vous garderez des principes stricts et respectables, que les aléas de
la vie ne vont pourtant pas ménager ; c’est bien là votre premier mystère d’une éducation
rigoureuse, fondée sur des règles claires, simples et intangibles, que la vie va
vous apprendre à relativiser, dès lors qu’elles sont confrontées à la réalité ! Puis, à
20 ans, vous aurez votre deuxième rendez-vous avec la mort ! Mais cette fois-ci, vêtu
d’un méchant pyjama rayé, dans le camp de Langenstein. Deux ans de déportation
mineront votre santé et votre survie se jouera à quelques jours près, grâce à la libération
du camp par les Américains. Mais votre survie se jouera aussi par l’aide fraternelle
d’un infirmier français qui volait des médicaments pour vous sauver d’une
pneumonie, puis celle d’un mineur letton, qui vous avait pris en affection et qui chapardait
de la nourriture pour survivre et vous aider à supporter des conditions de vie
et de travail inhumaines. En revanche, vous refuserez toujours de participer à toute
forme d’emploi administratif dans la vie ou l’encadrement du camp d’internement,
ce qui vous aurait mis à l’abri du dénuement dans lequel vous avez vécu. Vous y
connaîtrez aussi la fraternité avec ses différentes facettes : d’un côté, celle du compagnon
qui partage un quignon de pain en dépit de l’extrême pénurie, du camarade
qui se charge d’une partie de votre travail malgré la fatigue, mais de l’autre, les rivalités
entre les petites fraternités qui se créaient, les cercles, les réseaux d’influence,
les mouvements politiques ou les nationalités… Mystère, ou plutôt misère, de
l’homme confronté à un palier de souffrances tel qu’il ne s’appartient plus ou qu’il
perd ses références intellectuelles, humaines et morales ! Vous avez encore eu rendez-
vous avec la mort à 30 ans, cette fois, à l’autre bout du monde, en Indochine.
Vous étiez de ces lieutenants et de ces capitaines pour lesquels de Lattre s’était
engagé jusqu’à l’extrême limite de ses forces, comme sentinelles avancées du monde
libre face à l’avancée de la menace communiste. D’abord à Talung, petit village à la
frontière de Chine, dont vous avez gardé pieusement une photo aérienne dans votre
bureau de Lyon. Si les combats que vous y avez menés n’eurent pas de dimension
stratégique, ils vous marquèrent profondément et définitivement par leur fin tragique
: contraint d’abandonner la Haute région, vous avez dû le faire à Talung, sans
préavis ni ménagement ; ainsi, vous et vos légionnaires, quittèrent les villageois, en
fermant les yeux de douleur et de honte ! Cette interrogation de l’ordre que l’on exécute
en désaccord avec sa conscience vous hantera longtemps, pour ne pas dire toujours
! Plus tard à la tête de votre compagnie du 2e Bataillon étranger de
parachutistes, vous avez conduit de durs et longs combats sous les ordres d’un chef
d’exception, le chef d’escadron Raffalli ; Nhia Lo, la Rivière Noire, Hoa Binh,
Nassan, la Plaine des Jarres. Au cours de ces moments, à l’instar de vos compagnons
d’armes ou de vos aînés, vous vous sentiez invulnérables ; peut-être même vous sentiez-
vous tout permis, parce que la mort était votre plus proche compagne : une balle
qui vous effleure à quelques centimètres du coeur, votre chef qui refuse de se baisser
devant l’ennemi et qui finit par être mortellement touché ; Amilakvari et Brunet de
Salrigné vous avaient montré le chemin, Segrétain, Hamacek, Raffalli et plus tard
Jeanpierre, Violès, Bourgin, autant de camarades qui vous ont quitté en chemin.
Parmi cette litanie, on ne peut oublier votre fidèle adjudant d’unité, l’adjudant
Bonnin, qui vous a marqué à tel point que, plus tard, vous veillerez à évoquer sa personnalité
et sa mémoire durant toutes vos conférences ! Et avec lui, se joignent tous
vos légionnaires, qui ont servi honnêtes et fidèles, qui sont morts dans l’anonymat
mais face à l’ennemi, et pour lesquels vous n’avez eu le temps de dire qu’une humble
prière. Tel est le mystère de la mort au combat, qui au même moment frappe un compagnon
à vos côtés et vous épargne, pour quelques centimètres ou une fraction de
seconde ! Dix ans plus tard, vous aurez encore rendez-vous avec la mort ! Mais cette
fois-ci, ce ne sera pas d’une balle perdue sur un champ de bataille, mais de 12 balles
dans la peau, dans un mauvais fossé du Fort d’Ivry. En effet, vous veniez d’accomplir
un acte grave, en vous rebellant contre l’ordre établi et en y entraînant derrière
vous une unité d’élite de légionnaires, ces hommes venus servir la France avec honneur
et fidélité. Or, retourner son arme contre les autorités de son propre pays reste
un acte très grave pour un soldat ; en revanche, le jugement qui sera rendu – 10 ans
de réclusion pour vous et le sursis pour vos capitaines – montre qu’en dépit de toutes
les pressions politiques de l’époque, en dépit des tribunaux d’exception et en dépit
de la rapidité du jugement, les circonstances atténuantes vous ont été reconnues.
Elles vous seront aussi reconnues cinq ans après, quand vous serez libéré de prison,
comme elles vous seront encore reconnues quelques années plus tard quand vous
serez réhabilité dans vos droits ; elles vous seront surtout reconnues par la nation et
par les media à travers le succès éblouissant de vos livres, celui de vos nombreuses
conférences et par votre témoignage d’homme d’honneur. Ces circonstances atténuantes
se transformeront finalement en circonstances exceptionnelles, lorsque, 50
ans plus tard, en novembre 2011, le Président de la République en personne vous élèvera
à la plus haute distinction de l’Ordre de la Légion d’honneur ; au cours de cette
cérémonie émouvante, qui eut lieu dans le Panthéon des soldats, nul ne saura si l’accolade
du chef des armées représentait le pardon du pays à l’un de ses grands soldats
ou bien la demande de pardon de la République pour avoir tant exigé de ses soldats
à l’époque de l’Algérie. Le pardon, par sa puissance, par son exemple et surtout par
son mystère, fera le reste de la cérémonie !… Aujourd’hui, vous nous laissez
l’exemple d’un soldat qui eut le courage, à la fois fou et réfléchi, de tout sacrifier
dans un acte de désespoir pour sauver son honneur ! Mais vous nous quittez en
sachant que beaucoup d’officiers ont aussi préservé leur honneur en faisant le choix
de la discipline. Le mot de la fin, si une fin il y a, car la tragédie algérienne a fait couler
autant d’encre que de sang, revient à l’un de vos contemporains, le Général de
Pouilly qui, au cours de l’un des nombreux procès qui suivirent, déclara, de façon
magistrale et courageuse, devant le tribunal : “ Choisissant la discipline, j’ai également
choisi de partager avec la Nation française la honte d’un abandon… Et pour
ceux qui, n’ayant pas pu supporter cette honte, se sont révoltés contre elle, l’Histoire
dira sans doute que leur crime est moins grand que le nôtre ” ! Et puis, quelque vingt
ans plus tard, alors que, depuis votre sortie de prison, vous aviez choisi de garder le
silence, comme seul linceul qui convienne après tant de drames vécus, alors que vous
aviez reconstruit votre vie, ici même à Lyon, vous êtes agressé un soir dans la rue par
deux individus masqués, dont l’un vous crie, une fois que vous êtes à terre : “ Taistoi
! On ne veut plus que tu parles ! ” Cette agression survenait après l’une de vos
rares interventions de l’époque ; elle agira comme un électrochoc et vous décidera
alors à témoigner de ce que vous avez vu et vécu à la pointe de tous les drames qui
ont agité la France au cours du XXe siècle. Ainsi, au moment où vous comptiez
prendre votre retraite, vous allez alors commencer une troisième carrière d’écrivain
et de conférencier. Alors que le silence que vous aviez choisi de respecter vous laissait
en fait pour mort dans la société française, ce nouvel engagement va vous redonner
une raison de vivre et de combattre ! Toujours ce mystère de la vie et de la mort !
Au-delà des faits et des drames que vous évoquerez avec autant d’humilité que de
pudeur, vous expliquerez les grandeurs et les servitudes du métier des armes et plus
largement de celles de tout homme. A l’égard de ceux qui ont vécu les mêmes
guerres, vous apporterez un témoignage simple, vrai, poignant et dépassionné pour
expliquer les drames vécus par les soldats qui, dans leur prérogative exorbitante de
gardiens des armes de la cité et de la force du pays, sont en permanence confrontés
aux impératifs des ordres reçus, aux contraintes de la réalité des conflits et aux exigences
de leur propre conscience, notamment quand les circonstances deviennent
exceptionnellement dramatiques. A l’égard des jeunes générations, qui n’ont pas
connu ces guerres, ni vécu de telles circonstances, mais qui vous ont écouté avec ferveur,
vous avez toujours évité de donner des leçons de morale, ayant vous-même trop
souffert quand vous étiez jeune des tribuns qui s’indignaient sans agir, de ceux qui
envoyaient les jeunes gens au front en restant confortablement assis, ou de notables
dont la prudence excessive servait d’alibi à l’absence d’engagement. Vous êtes ainsi
devenu une référence morale pour de nombreux jeunes, qu’ils fussent officiers ou
sous-officiers ou plus simplement cadres ou homme de réflexion. Puis dans les dernières
années de votre vie, vous avez aussi eu plusieurs rendez-vous avec la mort, car
votre “ carcasse ” comme vous nous le disiez souvent, finissait par vous jouer des
tours et le corps médical, avec toute sa compétence, sa patience et son écoute, ne pouvait
plus lutter contre les ravages physiques des années de déportation, les maladies
contractées dans la jungle indochinoise et les djebels algériens, les conséquences des
années de campagnes, d’humiliation ou de stress. Pourtant, vous avez déjoué les pronostics
et vous avez tenu bon, alors que vous accompagniez régulièrement bon
nombre de vos frères d’armes à leur dernière demeure ! Là encore, le mystère de la
vie et de la mort vous collait à la peau. Et puis, aujourd’hui, Hélie, notre ami, vous
êtes là au milieu de nous ; vous, l’homme de tous les conflits du XXe siècle, vous
vous êtes endormi dans la paix du Seigneur en ce début du XXIe siècle, dans votre
maison des Borias que vous aimiez tant, auprès de Manette et de celles et ceux qui
ont partagé l’intimité de votre vie. Mais, Hélie, êtes-vous réellement mort ? Bien sûr,
nous savons que nous ne croiserons plus vos yeux d’un bleu indéfinissable ! Nous
savons que nous n’écouterons plus votre voix calme, posée et déterminée ! Nous
savons aussi que lors de nos prochaines étapes à Lyon seule Manette nous ouvrira la
porte et nous accueillera ! Nous savons aussi que vos écrits sont désormais achevés !
Mais, Hélie, à l’instar de tous ceux qui sont ici présents, nous avons envie de nous
écrier, comme cet écrivain français : “ Mort, où est ta victoire ? ” Mort, où est ta
victoire, quand on a eu une vie aussi pleine et aussi intense, sans jamais baisser les
bras et sans jamais renoncer ? Mort, où est ta victoire, quand on n’a cessé de frôler
la mort, sans jamais chercher à se protéger ? Mort, où est ta victoire, quand on a toujours
été aux avant-gardes de l’histoire, sans jamais manquer à son devoir ? Mort, où
est ta victoire, quand on a su magnifier les valeurs militaires jusqu’à l’extrême limite
de leur cohérence, sans jamais faillir à son honneur ? Mort, où est ta victoire, quand
on s’est toujours battu pour son pays, que celui-ci vous a rejeté et que l’on est toujours
resté fidèle à soi-même ? Mort, où est ta victoire, quand après avoir vécu de
telles épreuves, on sait rester humble, mesuré et discret ? Mort, où est ta victoire,
quand son expérience personnelle, militaire et humaine s’affranchit des époques, des
circonstances et des passions et sert de guide à ceux qui reprendront le flambeau ?
Mort, où est ta victoire, quand après avoir si souvent évoqué l’absurde et le mystère
devant la réalité de la mort, on fait résolument le choix de l’Espérance ? Hélie, notre
frère, toi qui a tant prôné l’Espérance, il me revient maintenant ce vieux chant scout
que tu as dû chanter dans ta jeunesse et sans doute plus tard, et que tous ceux qui sont
présents pourraient entonner : “ Ce n’est qu’un au revoir, mon frère ! Ce n’est qu’un
au revoir ! Oui, nous nous reverrons Hélie ! Oui, nous nous reverrons ” ! Oui,
Hélie, oui, nous nous reverrons à l’ombre de Saint Michel et de Saint Antoine, avec
tous tes compagnons d’armes, en commençant par les plus humbles, dans un monde
sans injure, ni parjure, dans un monde sans trahison, ni abandon, dans un monde sans
tromperie, ni mesquinerie, dans un monde de pardon, d’amour et de vérité ! A Dieu,
Hélie… A Dieu, Hélie et surtout merci ! Merci d’avoir su nous guider au milieu des
“ champs de braise ! ”.

En savoir plus sur Hélie de Saint-Marc




Livre : Des services secrets pour la France (1856-2013)

A l’origine, un Mémoire adressé au ministère de la Guerre en 1856, vibrant plaidoyer pour la création d’un service de renseignement efficace et centralisé. Son auteur, le capitaine Joseph Tanski, précurseur de l’espionnage à la française, appelait les responsables militaires à inventer de nouvelles méthodes pour regrouper et analyser l’information.

160 ans plus tard, la réforme de Nicolas Sarkozy permet enfin à la France de disposer d’une communauté du renseignement mieux adaptée aux menaces du XXIe siècle. Entre-temps, les atermoiements politiques, les rivalités entre services, les querelles entre le Quai d’Orsay et le ministère de la Guerre auront longtemps constitué un handicap pour l’efficacité du renseignement français.

De la naissance des premières structures d’espionnage sous le Second Empire à la création de la DCRI en 2008, de la guerre de Crimée à l’ère post-guerre froide en passant par le 2e Bureau, le BCRA et la DGSE, Gérald Arboit signe la première étude de fond sur l’histoire de nos services secrets. S’appuyant sur de nombreuses archives déclassifiées et libérées des fantasmes, il montre qu’après s’être longtemps désintéressés du renseignement, les responsables militaires et politiques ont compris son importance dans leur rivalité avec l’Allemagne. Engagée dès les années 1900, la professionnalisation des espions et contre-espions permettra alors d’engranger des succès incomparables mais il faudra attendre la fin de la guerre froide pour que voient le jour des services secrets formés aux technologies nouvelles, au contre-terrorisme ou à l’intelligence économique.

 
Gérald ARBOIT
Historien spécialiste des relations internationales contemporaines, ancien auditeur de l’Institut des hautes études de Défense nationale, Gérald Arboit est directeur de recherche au sein du Centre français de recherche sur le renseignement. Il est notamment l’auteur de James Angleton, le contre-espion de la CIA (2007) et de La Guerre froide (2012).



Henri Giraud : l’évasion d’un général d’armée

Sorti de Saint-Cyr en juillet 1900, jeune capitaine au 4ème régiment de zouaves, il est blessé d’une balle au poumon et laissé pour mort sur le champ de bataille de Guise, le 30 août 1914. Fait prisonnier par les Allemands, il s’évade le 30 octobre 1914 de l’hôpital d’Origny-Sainte-Benoîte.

Il rejoint le Maroc, pour de grandes victoires. Dar-Caïd-Medboh contre Abd-el-Krim, alors que Lieutenant-colonel il commande le14ème Tirailleurs Marocains, celle du Djebel-Sagho, sa prise du Tafilalet, sa liaison d’une sensationnelle témérité, avec les forces du Soudan, au milieu du désert à Bir-Moghrein, alors qu’il est Général.
Toutes ces victoires remportées de sa propre initiative, et parfois en dehors même des ordres du commandement, préfigurent longtemps à l’avance le Giraud qu’il sera en 1942, le Giraud d’Alger.

Le préfigure aussi son attitude cassante et désinvolte à l’égard de certains membres du Gouvernement en la trouble année de 1936, alors qu’il est Commandant de la sixième région Militaire et gouverneur de Metz. Il s’en faut de peu que sa carrière ne soit brusquement interrompue. Mais il est si populaire parmi la troupe, que l’on hésite et puis la Guerre de 1939, menace.

En mai 1940, aux frontières de Hollande, il est à la tête de la VII Armée. Un haut commandement ayant perdu tout sang froid, tout esprit de manoeuvre, lui enlève par une succession d’ordres impératifs ses meilleures divisions, pour lui confier les débris de la IX armée. Le 19 mai 1940, il est fait prisonnier par les Allemands. Le 17 avril 1942, il s’évadera de Königstein (Elbe). Le 8 novembre 1942, les Américains débarquent au Maroc et en Algérie. Giraud prévenu, a été sollicité par eux pour prendre le commandement des opérations à la tête de l’armée d’Afrique, qu’il relancera dans la guerre aux cotés des Alliés, afin de rendre à la France sa place de grande puissance et la délivrer de l’oppression ennemie. Il a accepté.

Le 24 décembre 1942, muni de tous les pouvoirs, il va pleinement s’accomplir. Giraud inspire confiance, à son appel beaucoup de réservistes français et indigènes ont remis le sac au dos. Très rapidement, il aura avec lui prés de 350.000 hommes de cette Armée d’Afrique, sauvegardée par la clairvoyance du Général Weygand.
C’est lui, qui prépare les plans de la bataille de Tunisie et conduit à l’écrasement de l’Afrika-Corps de Rommel à Tunis et à Bizerte. Avec l’appui matériel de nos alliés américains, il fera de cette armée d’Afrique, une armée moderne un outil de premier ordre, dont la pointe d’acier ira pénétrer comme un doigt vengeur jusqu’au coeur de l’Allemagne. C’est lui, avec le Général Juin, qui met sur pied l’organisation de l’immortelle campagne d’Italie, qui allait donner aux Français la gloire d’enfoncer l’ennemi sur le Garigliano pour s’en aller défiler dans Rome libéré.

Le 24 janvier 1943, les accords d’Anfa concrétisent les accords Murphy-Giraud du 2 novembre 1942:

  • Armement de 11 Divisions françaises.
  • Parité du franc et du dollar.
  • Loi prêt-bail.
  • Souveraineté des territoires administrés par la France.

Fort de son soutien des militaires et malgré les conseils de collaborateur vigilants, Giraud invitera le Général de Gaulle à venir partager ses pouvoirs avec lui, à Alger. Les deux hommes ne pourront s’entendre. Voulant passionnément l’union de tous les Français, le Général ne peut admettre la séparation de Londres et d’Alger. Il dira “Je ne veux pas donner le spectacle de deux Généraux français se disputant entre eux, alors que leur pays agonise sous la botte allemande”.
Juillet 1943. Voyage en Amérique. Le Président Roosevelt octroie la totalité du matériel que le Général Giraud réclame pour l’armée française.
C’est aussi lui, chef incontesté, qui prend la décision du débarquement en Corse, offrant aux français leur premier département libéré, et mettant à la disposition de nos Alliés un magnifique porte-avions à proximité des côtes de Provence.

La libération de la Corse, initiative individuelle, en accord avec les Alliés, sera à l’origine du remaniement du CFLN. Ordonnance et décret rapidement adoptés à la majorité, détermineront la séparation du pouvoir du Gouvernement (commissariat) et de l’autorité de commandement. Le Général Giraud restera Commandant en chef sous les ordres du commissaire à la Défense Nationale. L’exploitation calomnieuse de l’affaire Pierre Pucheu, viendra à point pour précipiter l’éviction du Général du commandement des Armées. Il se verra proposer par le CFLN, le poste Honorifique, d’Inspecteur Général des Armées.

Le 17 avril 1944, peu enclin aux intrigues, Giraud, fidèle à sa volonté d’union, refusant le poste proposé, se laissera écarter, puis évincé du Gouvernement. Le 21 avril 1944, son avion quittera ce même jour Boufarik, pour l’emmener en exil “Volontaire” dans le village de Mazagran situé à deux kilomètres à l’ouest de Mostaganem. Le 28 août 1944, à 18 h45, une balle frappe le Général Giraud sous le maxillaire gauche pour ressortir sous le médullaire. Le Général est blessé mais vivant. Version officielle: Attentat causé par un tirailleur sénégalais ivre. Le meurtrier sera condamné à mort à Oran au début de 1945.

L’homme qui a préparé le débarquement américain en Afrique, qui a libéré la Tunisie, la Corse, qui a contribué à organiser l’armée française de la Libération qui devait s’illustrer dans les campagnes d’Italie, de France et d’Allemagne, s’est éteint à l’Hôpital militaire de Dijon le 11 mars 1949. Quelques jours avant, il avait reçu la veille la médaille militaire, la plus haute distinction pour un officier Général. Ainsi disparaissait à 70 ans ce grand soldat qui, par sa bravoure, son audace, son courage indomptable et son patriotisme, incarnait les plus nobles vertus militaires, celui qui s’interdisait et interdisait aux siens de se résigner à la défaite, celui que la France reconnut comme l’une des gloires les plus pures de son armée et à qui il fera des obsèques nationales. Le Général Henri Giraud, repose avec les autres grands capitaines de notre Histoire, dans la crypte de la Chapelle Saint-Louis des Invalides.

En savoir plus sur le Général Henri Giraud :

De J.C. Petermann, d’après des notes du Général Chambe et de “Un seul But la Victoire” H Giraud – Julliard 1949




Congrès 2014 : Les discours du Président de l’AASSDN

Cérémonie du 8 Mai 2014 à RamatuelleVous trouverez ici deux discours du Colonel Henri Debrun, Président de l’AASSDN, prononcés en marge du congrès de l’AASSDN de Ramatuelle, pour le 70e anniversaire du débarquement de 1944 :




2014 : 70 ans après le Débarquement de Normandie

Du 5 juin au 21 août 2014, la Normandie célébrera le 70e anniversaire du Débarquement et de la bataille de Normandie.

Cet anniversaire sera un temps de recueillement et de communion nationale et internationale, mais aussi un moment privilégié pour la transmission de la mémoire et le partage des valeurs fondamentales pour lesquelles tant de jeunes hommes sont allés jusqu’au sacrifice suprême : la paix, la liberté, la fraternité, la dignité de l’Homme.

Cet anniversaire sera notamment l’occasion d’évoquer le sort de personnalités des Services Spéciaux, souvent inconnues du grand public, et qui sont mortes pour la France. Les Services Spéciaux ont joué un rôle clé dans le débarquement de Normandie, notamment avec Paul Paillole, qui a été le premier officier français associé à la préparation du débarquement de Normandie :

Le 15 avril 1944, le SHAEF (Supreme Headquarters Allied Expeditionary Force), le quartier général des forces alliées en Europe nord-occidentale commandé par le Général Dwight Eisenhower, demande au président du Comité français de Libération nationale (CFLN), chef des armées, d’avoir la participation de Paul Paillole et du service de sécurité militaire SSM aux missions de sécurité et de CE dans les territoires qui doivent être libérés. L’intervention des Services français a ainsi contribué à éviter ainsi que la France ne devienne un territoire administré par l’AMGOT, le gouvernement militaire allié après la libération.




Archives inédites : Les courriers Alger-métropole perdus en 1944

Peu avant le 15 août 1944, Le réseau TR « Camélia » avait expédié son courrier mensuel (de la métropole à Alger) qui devait normalement emprunter des filières terrestres jusqu’à Barcelone puis un sous-marin de Barcelone à Alger.

 
Mais le 15 août se produisit le Débarquement Allié en Provence. Pour des raisons qui nous échappent aujourd’hui le courrier « Camélia » ne put franchir la frontière pyrénéenne et, après des péripéties variées, finit par échouer en Suisse où il fut pris en charge par le poste TR de Berne. Le temps avait passé, la Libération de la France s’achevait et une grande partie des renseignements contenus dans le courrier « Camélia » avait perdu tout intérêt.
 
Tous les renseignements politiques, économiques ou militaires étaient soit périmés, soit moins complets que les archives officielles Vichystes dont disposaient désormais les autorités Gaullistes. Le Chef du poste TR de Berne utilisa donc uniquement la quarantaine de pages du courrier qui avait encore de l’intérêt (identification d’agents ennemis ou de personnels du Sicherheitdienst [ SD ] et renseignements encore actuels sur l’Abwehr ou la Gestapo).
Le reste du courrier fur gardé tel quel et … versé tel quel aux archives de la Centrale lorsque dernière eut regagné Paris. Quelques années plus tard ce paquet poussiéreux allait être incinéré lorsqu’il fut reconnu par l’ancien Chef de « Camélia ». Ce dernier obtint de ses supérieurs l’autorisation de conserver à titre de souvenirs cette liasse de papiers qui lui rappelait bien des choses.
C’est ainsi qu’un « courrier mensuel » presque intact des Inspections TR, c’est-à-dire grosso modo le tiers d’un courrier mensuel du réseau TR, peut être étudié encore aujourd’hui, à des fins historiques.