La sûreté aux armées par le Commissaire F SALAS

Nous avons souvent souligné les mérites de la Sûreté aux Armées. Jamais encore nous n’avions pu publier un récit documenté montrant son travail. C’était une lacune dans l’oeuvre historique que nous nous sommes assignée.

C’est pour nous une grande satisfaction de pouvoir, aujourd’hui, la combler grâce à notre camarade F. SALAS, Commissaire Principal de la Police Nationale, ancien de l’équipe B.S.M./SA-509. Nous le félicitons et le remercions.

Au-delà de sa personne, ce sont tous les magnifiques fonctionnaires de la Police Nationale que nous saluons, et plus spécialement les volontaires de la S.A, qui, avec un merveilleux esprit patriotique, ont participé avec courage et compétence à la Sécurité des Armées françaises et alliées.

Une réglementation rigoureuse et mal adaptée aux circonstances, n’a pas permis jusqu’à présent de donner à ces fonctionnaires la récompense administrative que leurs services de guerre leur a pourtant acquis.

Nous le déplorons comme nous déplorons tant d’ingratitude à l’égard de ceux qui ont servi généreusement leur Pays, dans la discrétion et sans se soucier d’autre récompense que celle que procure la satisfaction du DEVOIR accompli.

BUREAUX DE SECURITE MILITAIRE ET SURETE AUX ARMEES (1943-1945) Août 1944 !

Sur les côtes de Provence, le formidable débarquement des Forces Françaises et Alliées a commencé le 15, entre HYERES et SAINT-RAPHAËL.

A l’intérieur des Divisions françaises de la 1ère Armée du Général de LATTRE de TASSIGNY, les Bureaux de Sécurité Militaire et de Sûreté aux Armées (B.S.M.-S.A.) rattachés à l’Etat-Major de chaque Division forment des groupes bien modestes, comparés à l’énorme machine de guerre 25 à 30 hommes au maximum.

Le B.S.M. 509 placé en Novembre 1943, en ALGERIE, auprès de la 9ème Division d’Infanterie Coloniale (9ème D.I.C.), débarque d’un L.S.T. le 17 Août sur la plage de La NARDELLE, entre SAINTE-MAXIME et SAINT-RAPHAËL. Ce bureau a déjà participé à des missions de protection du secret et de Contre-espionnage en ALGERIE, en CORSE, et à l’ILE D’ELBE, mais son personnel sait bien, en débarquant en PROVENCE, que sa véritable mission va commencer. Il est prêt !

La fin de la guerre, et la Victoire, le trouveront à TUTTLINGEN, en ALLEMAGNE.

Il avait bien et complètement rempli la mission qui lui avait été donnée à son départ de la terre d’ALGERIE , en participant activement aux Batailles de TOULON, du DOUBS, d’ALSACE et d’ALLEMAGNE, et en capturant un grand nombre d’agents ennemis. 22 Août 1944. TOULON tient toujours.

Les troupes coloniales progressent vers le grand port militaire.

A bord de ma jeep, j’aperçois les premières maisons de LA FARLEDE, les tirai!leurs sénégalais du 6ème R.T.S. aspergeant de rafales un mamelon sur ma droite d’où un groupe de mortiers cherche à interdire la progression des véhicules sur la route nationale.

Quelques jeeps brûlent ; morts et blessés gisent à terre. J’atteins les premières maisons puis la rue principale du village, jonchée de cadavres allemands.

J’ai mis pied à terre. J’aperçois un groupe d’hommes armés, vêtus d’uniformes bleus et portant des brassards tricolores. Des F.F.I. !

Ils poussent devant eux, vigoureusement, un jeune homme en civil. Je m’approche. Le Chef de groupe est un barbu, énergique. Je me fais connaître. Il me fait part de son intention de fusiller son prisonnier, sur-le-champ.

D’après lui, il s’agit d’un collaborateur. Le jeune homme a les yeux bandés ; il est pâle et muet. A peine 20 ans.

Les rafales crépitent dans le village, tout autour de nous. J’interdis aux maquisards une si expéditive justice. Palabres et discussions.

Le Chef consent enfin à me remettre son prisonnier. Je lui signe un papier. Je me dirige avec le groupe vers la Gendarmerie. Personne ! Je m’installe.

Le prisonnier s’appelle B…-M…. Il est signalé sur les listes ” S.M. Débarquement ” en ma possession, comme ” Journaliste du RNP (de Marcel DEAT) et propagandiste “.

Je m’entretiens durant une heure avec lui. A l’issue de ce premier contact, je suis convaincu que ce garçon, intelligent et cultivé, n’a pas pu ne pas jouer un rôle dans le grand drame de l’Occupation et de la Résistance.

Je dois partir car j’ai d’autres objectifs à atteindre dans la journée, figurant également sur mes listes, et notamment à SOLLIES-PONT et à TOULON où nos premiers éléments ont pénétré.

Je laisse B…-M… sous la garde du groupe de F.F.I., avec mission de lui permettre, sans l’importuner, de rédiger le curriculum vitae très détaillé que j’ai exigé de lui.

Un saut jusqu’à TOULON ! Personne aux adresses indiquées ! La ville est en effervescence, joies de la Libération, tireurs isolés, femmes rasées que l’on promène dans les rues.

Les forts tiennent toujours, canonnades et crépitements d’armes automatiques.

J’ai laissé DABADIE à SOLLIES-PONT ” s’occuper ” du Maire de la Ville, et de sa secrétaire, inscrits sur nos listes comme collaborateurs.

Retour à LA FARLEDE, tard dans la nuit. Mon prisonnier est… toujours en vie, et je le trouve plus détendu que je l’avais laissé.

Il a noirci plusieurs pages, que je lis. Je le connais mieux, maintenant !

Recruté dans l’Organisation TODT, déplacements nombreux dans les massifs boisés de SAVOIE et du JURA.

Missions de renseignements? Il ne m’en parle que dans la nuit. Je le ” traite ” à fond jusqu’au matin. Je veux en savoir davantage. Petit déjeuner, toilette, et je le laisse à nouveau à ses confessions.

Un saut jusqu’à un village de la région où le Maire a été ” démissionné ” et emprisonné par des F.T.P.

La Mairie est pleine de civils en armes, farouches et peu décidés à écouter cet Officier venu d’on ne sait où et qui exige la libération immédiate du Maire (80 ans) et sa réinstallation à la Mairie.

Rapide ” Référendum ” auprès des gens du village et, très démocratiquement, ce à quoi ne peuvent s’opposer les F.T.P., remise en place du Maire !

Retour à LA FARLEDE. B…-M… a précisé quelques points, en réponse au questionnaire que je lui ai laissé.

Il est bien un ” agent ” recruté par le S.R. allemand, ayant accompli des missions!

Je termine son interrogatoire et j’établis la procédure. Le temps presse et il me faut continuer sur TOULON.

Travail un peu ” bâclé “, mais j’ai obtenu l’essentiel dans cette affaire. D’autres le traiteront, d’une manière plus approfondie, en partant des renseignements déjà recueillis.

Je conduis mon prisonnier à la Prison de TOULON, gardée par nos militaires.

Je dois, quant à moi, aller vers d’autres missions et suivre le sort de ma Division, la 9ème D.I.C.

(Je devais apprendre, plus tard, à BESANÇON, que B…-M… avait été condamné à 20 ans de détention et ce malgré le très bon rapport que j’avais établi à son sujet, à la suite des faits qui vont suivre.) * J’avais traité B…-M… de la manière la plus humaine. J’avais tenu à ce qu’il soit traité correctement et il l’avait été.

Au moment de me séparer de lui à la Prison de TOULON, il me remercia, et notamment ” de lui avoir sauvé la vie “.

” Pour me témoigner sa reconnaissance “, me dit-il, ” il voulait me fournir un renseignement qu’il n’avait pas voulu dévoiler lors de ses interrogatoires, estimant également, après son passage dans notre service, que les activités au profit de l’ALLEMAGNE devaient être neutralisées, la libération du Territoire étant menée par d’authentiques soldats français, contrairement à ce que la propagande avait fait croire aux populations, etc. “

B…-M… m’apprit alors qu’une jeune femme nommée V…, artiste peintre de son état et domiciliée à ANTIBES, jouait un rôle déterminant au profit du S.R. Allemand.

Il l’avait appris de sa bouche même et V… lui avait également confié que le S.R.A. avait placé auprès d’elle un technicien radio chargé de la transmission des renseignements à une Centrale installée quelque part en Forêt Noire.

B…-M… ne connaissait pas ce technicien ; il savait seulement, par V…, qu’il était Français et qu’il avait été un des premiers opérateurs en ondes ultra-courtes, notamment lors d’une expédition du Docteur CHARCOT au SPITZBERG.

Muni de ces renseignements je filai aussitôt sur ANTIBES.

Tout le secteur de la Côte d’Azur venait d’être occupé par la 36ème Division U.S., qui n’était entrée dans ANTIBES que la veille. (Je ne l’appris qu’en cours de route, par des civils, aucun soldat français n’étant visible dans ce secteur entièrement dévolu à l’Armée américaine).

Je me rendis rapidement au domicile de V…, dont B…-M… m’avait communiqué l’adresse.

Je n’y trouvais que sa mère, seule. Une visite des lieux n’apporta rien à mes recherches, pas de documents, pas de carnets d’adresses ! La mère prétendait qu’elle n’avait pas revu sa fille, depuis la veille au soir et que, les Américains ayant pénétré dans ANTIBES, elle avait pu quitter la ville.

Je me mis à la recherche d’autorités françaises responsables. En pure perte. Personne à la Mairie, au Commissariat de Police et à la Gendarmerie.

La Résistance locale ? Je demandai, au hasard, à une personne rencontrée, d’inviter un membre de la Résistance à se présenter à moi au Commissariat de Police, où je m’installais.

Une heure après, deux hommes se présentaient. L’un d’eux se disait ” Capitaine ROGER “, l’autre était un médecin antibois qui tentait d’organiser les services de la Mairie.

Après m’être fait connaître ès qualité, je leur fis part à tous deux de la nécessité urgente de retrouver V…, sans leur donner de détails.

Je leur dis que la veille elle se trouvait encore à ANTIBES et, qu’à mon avis, elle n’avait peut-être pas pu quitter la ville.

Je leur demandai de mobiliser tous les membres de la Résistance locale pour la retrouver et, en cas de découverte, de la faire conduire devant moi, immédiatement. Ils me quittèrent en me promettant d’agir rapidement.

Une heure après, le ” Capitaine ROGER ” se présentait, seul, à mon bureau. Il commença par me dire qu’il connaissait bien V… et qu’il savait qu’elle travaillait pour les Allemands.

Il paraissait gêné, allant jusqu’à mettre en doute ma qualité d’Officier français, et me faisant part de son étonnement de n’avoir pas vu d’autres soldats français, que moi.

Cet homme cachait quelque chose, cela me paraissait flagrant ! Je me souviens d’avoir fait la grosse voix et de l’avoir menacé d’un rapport foudroyant… ” ROGER ” m’apprit ensuite, et après bien des réticences, qu’il savait où se trouvait V…

Je lui ordonnai vivement de me conduire vers elle.

Nous partîmes ensemble vers la Place principale d’ANTIBES. Là, dans une rue qui y débouche, nous pénétrâmes dans un immeuble de bel aspect.

En cours de route, ” ROGER ” m’avait expliqué que V… s’était réfugiée chez une de ses amies, dans cet immeuble depuis la veille.

Au 3ème étage, ” ROGER ” prit une clé dans sa poche et ouvrit la porte d’un appartement.

Silence complet ! Personne? Je me dirigeai vers une des chambres : une jeune femme, vêtue d’une courte chemise de nuit, gisait à plat ventre, sur le lit non défait, un poignard planté entre les omoplates !

Je me retournai. ” ROGER ” était là, silencieux. Il me fit signe qu’il s’agissait de V…. Je lui demandai aussitôt des explications, sur sa connaissance de cette retraite, sur la possession de la clé de l’appartement, sur ses réticences, sur la découverte de V…, assassinée… Cet homme cachait vraiment quelque chose !

Il s’expliqua, enfin ” La veille”, alors que les premiers Américains étaient aux portes d’ANTIBES, il avait été contacté par un homme qui, sachant qu’il appartenait à la Résistance, lui avait confié appartenir au ” 2ème Bureau français “.

Cet homme lui avait parlé de V…. Il lui avait dit que cette femme était un agent de l’ALLEMAGNE et qu’elle détenait une liste de personnes d’ANTIBES qu’elle s’apprêtait à remettre aux Allemands, que ces otages seraient fusillés le jour même si l’on n’empêchait pas V… de remettre cette liste, et qu’il fallait immédiatement l’exécuter, au nom de la Résistance. “.

” Cet homme savait que ” ROGER ” connaissait bien V….

Il lui ordonna de se charger de cette exécution. ” ROGER ” rendit compte à la Résistance locale et il fut décidé de passer à l’exécution de l’ordre reçu.

” ROGER ” fit porter un billet à V…, à son domicile. Il lui demandait de le rejoindre de toute urgence, à l’appartement de son amie… (” ROGER ” m’avoua, à ce moment, qu’il était l’amant de V…, depuis plusieurs mois). “

” V… vint rapidement. ” ROGER ” lui fit croire à un rendez-vous galant. Elle se déshabilla et, alors qu’elle se tenait contre lui, et qu’il l’embrassait, il lui planta un stylet entre les épaules, sans lui demander d’explications.

La liste d’otages resta introuvable. ” ROGER ” coucha V… sur le lit, dans la position que je l’avais découverte, et il quitta l’appartement pour aller rendre compte de l’accomplissement de sa mission et du résultat négatif concernant la liste. “

Le premier et le plus important maillon de cette chaîne d’espionnage, que je sentais, disparaissait avec la mort de V…. Il me fallait, coûte que coûte, découvrir les autres, c’était trop important !

” ROGER ” ? L’interrogatoire auquel je le soumis, ainsi que le Médecin, ne m’apporta rien ! Ils paraissaient bien avoir agi de bonne foi, et pour la Résistance.

J’étais fatigué (plusieurs nuits sans sommeil), et découragé… Je m’apprêtais à quitter ANTIBES pour TOULON. J’alertai le Commissaire de Police (revenu à son Commissariat), de la découverte du corps de V…, exécutée par la Résistance, mais je ne lui parlai pas du rôle de ” ROGER “.

Je pensai, à ce moment, à cet agent du 2ème Bureau. Il paraissait être bien renseigné et il pouvait, peut-être, m’aider à remonter la filière, en partant de V…

Je demandai à le rencontrer. Je le vis dans un Hôtel, près de la Place d’ANTIBES. Il était accompagné de son épouse, qu’il me présenta. C’était un homme d’une cinquantaine d’années, d’aspect ” petit bourgeois rangé “. Il se nommait A…. Sa ” femme ” – son amie, m’avoua-t-il au cours de notre conversation, avec un petit air entendu – se nommait S….

A… me confirma son appartenance au ” 2ème Bureau “. Je le fis parler. Mon impression fût qu’il s’agissait plutôt d’un agent occasionnel, d’un quelconque réseau de Résistance. Il n’avait pas la manière ! et il y avait en lui, cependant, un air matois qui m’intriguait.

Depuis quand était-il à ANTIBES ? Qui l’avait renseigné sur V… ? Il m’expliqua qu’il avait été recruté à la terrasse d’un café de TOULON par un Officier français en civil qui s’était présenté à lui sous le nom de ” MATISSE “.

Il avait rencontré cet Officier plusieurs fois et lui avait fourni des renseignements sur TOULON. Il ne s’expliqua pas sur ce point et je n’insistai pas ; je le laissai parler.

C’était ” MATISSE ” qui l’avait envoyé à ANTIBES, il y avait un mois, pour surveiller V…, située comme agent de renseignements de l’ALLEMAGNE.

A… était entré en relation avec elle en l’accostant dans la rue ; il lui avait ensuite rendu visite chez elle. Il n’avait pas pu recueillir des renseignements intéressants sur son activité et n’avait donné aucune nouvelle à ” MATISSE “, depuis son arrivée à ANTIBES.

Tout cela ne me paraissait pas clair ! Je décidai de conduire A… et son amie à TOULON, prétextant un contrôle indispensable de son appartenance à un de nos services. A… se montra réticent. J’insistai gentiment…

Dans le Command-Car qui nous ramenait à TOULON, il ne fut plus question de V…, ni des services de renseignements.

A… s’intéressait au débarquement en PROVENCE, me disait combien il avait été impressionné par l’importance des moyens mis en oeuvre et par l’allure des troupes.

Il me demanda mon origine, me fit parler de l’ALGERIE qu’il ne connaissait pas, disait-il, comme il ne connaissait ni l’AFRIQUE ni les Pays méditerranéens, étant surtout attiré par les pays nordiques.

Il me confia qu’il avait fait de nombreux voyages dans ces pays et, dans la conversation, me lâcha ” qu’il avait même participé à la première expédition du Docteur CHARCOT au SPITZBERG ! ! ! “

Cette phrase était terrible… et lumineuse !

J`avais là, près de moi, à portée de ma main, le technicien radio du S.R. Allemand, dont m’avait parlé B…-M… !!!

Quel frémissement de joie me saisit ! Quel effort dus-je faire pour ne rien en laisser paraître!

Le voyage se poursuivit. Il n’y eut, entre nous, que conversations aimables jusqu’à l’arrivée.

Il était près de minuit lorsque nous arrivâmes à l’Hôtel où notre service s’était installé, à l’angle du Boulevard de Strasbourg et de la rue Colbert. Je fis conduire A… et sa compagne dans une chambre, leur fis servir une collation et leur souhaitai bonne nuit.

Je me rendis, quant à moi, auprès du Capitaine MASSE, Chef du B.S.M. Il était avec le Lieutenant LAGUGNE, Commissaire de la Sûreté aux Armées.

Je leur parlai de l’Affaire V… et de ses développements, le dernier étant l’identification du technicien radio du réseau.

Je ne tenais pas en place.

Après un léger dîner, je décidai de ne pas attendre le lendemain pour poursuivre l’affaire. Je me rendis chez A….

Je le trouvai en robe de chambre, détendu et calme. Je l’invitai à me suivre dans une chambre voisine et, devant lui et très ostensiblement, je chargeai un de nos soldats 3 de surveiller très étroitement sa compagne “. Ses traits pâlirent.

Lorsque nous fûmes seuls et dès mes premières paroles, il comprit la situation.

Il ” craqua ” après avoir tenté de me faire promettre qu’il ne serait pas fusillé.

J’exigeai de lui toute la vérité, l’assurant que seule sa franchise pourrait influencer favorablement le Tribunal Militaire devant lequel il comparaîtrait. Il me raconta son histoire.

Contacté puis employé par les troupes allemandes d’occupation en raison de ses très sérieuses connaissances en matière de radiotélégraphie, il avait été ensuite recruté par les Services de renseignements de l’Abwher, et avait accepté la mission d’implanter un réseau radio tout le long de la côte méditerranéenne française, de MENTON à PORT-VENDRES.

Ce réseau comptait douze opérateurs et devait fonctionner dès le débarquement, après stabilisation du front, situation qui était envisagée par le Commandement allemand, dans la Région Sud de la FRANCE.

Le réseau était en place. A… me donna l’identité des opérateurs et le nom de la ville où ils se trouvaient. Je notai toute la nuit le maximum de précisions à ce sujet.

Je fis transmettre l’ensemble car il s’avérait impossible d’exploiter efficacement cette affaire, à notre seul échelon. Je m’étais réservé cependant quelques objectifs et je poursuivis l’affaire.

Dès le lendemain matin, A… nous conduisait chez lui. Il habitait une villa, au CANNET, au-dessus de CANNES. Admirablement située sur les hauteurs, isolée, sa visite allait être fructueuse.

Dès l’arrivée, une double antenne impressionnante, et très visible sur le toit, nous le faisait prévoir.

A l’intérieur, dans une pièce, se trouvaient bien rangés sur deux tables distinctes, deux postes radio émetteurs-récepteurs, parfaitement équipés, avec quartzs et tableaux de fréquences.

Dans un placard, une quantité importante de clichés photographiques, parmi lesquels de nombreuses vues de la côte méditerranéenne.

Tout devait et allait rester en l’état, l’exploitation du réseau à notre profit étant dès lors envisagé, compte tenu de la totale coopération qu’A… promettait.

Après les mesures conservatoires qui s’imposaient – garde militaire installée – nous reprenions la route de TOULON.

A… m’avait appris qu’il avait été chargé, d’installer, ” techniquement “, le réseau allemand et que cette installation était terminée.

Il m’apprit aussi que chaque opérateur dépendait d’un réseau de renseignements auprès duquel il était placé.

Il ne connaissait, quant à lui, que les opérateurs et ignorait les réseaux de renseignements, sauf pour les réseaux d’ANTIBES-NICE et de MARSEILLE.

Le réseau de renseignements d’ANTIBES-NICE était dirigé par V… qui devait disposer dans la région, probablement, d’agents nombreux.

La liaison Renseignements-Transmission devait se faire uniquement entre V… et lui-même.

Les renseignements seraient chiffrés par la soi-disant compagne d’A…, S…, en réalité agent chargé du chiffre, ayant suivi un stage au 3 Réseau CONDOR 3, à TOULOUSE.

L’opérateur du réseau de MARSEILLE était un nommé G…, domicilié sur le PRADO, à une adresse qu’A… me communiqua.

A… m’apprit aussi que la propre soeur de G… était l’agent chargé des renseignements.

Elle se nommait L… et était l’épouse… d’un Commandant d’Artillerie qui venait de débarquer avec la 9ème D.I.C. ! (et qui n’était nullement au courant des activités de son épouse, l’enquête dont il fit l’objet l’établissant de manière irréfutable.)

Avant de partir pour MARSEILLE, il me fallait compléter l’affaire A… – V… – S….

Je m’y employai, aidé par tout le B.S.M.

Tout paraissait clair, désormais. Craignant l’arrestation de V…, trop marquée sur le plan local en raison de ses sentiments pro allemands connus, A… n’avait pas hésité à la faire supprimer, au nom de la Résistance, pour éviter toute dénonciation de sa part.

En m’avouant cela, A… prétendit qu’il ne voulait pas servir les Allemands, après le débarquement, et, qu’en revanche, il tenait à servir les Français.

Avec V…, vivante, ces décisions n’auraient pas été possibles !…

Le déplacement à MARSEILLE revêtait deux aspects : conduire A… et S… auprès du T.R., et appréhender G… et sa soeur.

L’équipe se partagea le travail. Je filai vers le domicile de G…, pendant que MASSE et LAGUGNE présentaient A… et sa compagne au T.R.

G… fut introuvable. Sa sœur fut cueillie à son domicile personnel et interrogée sur-le-champ. Peu d’aveux.

Nous manquions de moyens pour atteindre G…, qui n’avait pas quitté MARSEILLE ; sa soeur nous l’apprit.

Liaison opérée avec le B.S.M. Territorial et la B.S.T., qui venaient de s’installer à MARSEILLE. Je leur laissai la femme L…, leur expliquai le rôle de G… et le sien, dans le réseau allemand de la Méditerranée, et je leur précisai bien l’utilisation envisagée de tout le réseau à notre profit, en recommandant expressément de rendre compte au Commandement des résultats obtenus.

(Messages et notes nombreux avaient été adressés les jours précédents aux Autorités militaires et rien ne devait se faire sans ordre du Commandement.)

Je rejoignis l’autre équipe chez le Capitaine BERTRAND chargé du T.R., installé dans une villa sur la Corniche. Lorsque j’arrivai, A… était interrogé par les Officiers du service.

La décision était prise, dans la journée, de le conduire avec S…, au G.Q.G. de la VII ème Armée U.S. à CANNES.

Le Capitaine BERTRAND et ses Officiers s’en chargeaient, mais je les accompagnai, avec MASSE et LAGUGNE.

Présentation à l’ HÔTEL MARTINEZ, un court exposé aux Officiers américains et nous nous retirons.

L’affaire ne nous appartenait plus. Elle allait être poursuivie, d’une part, par les Services Territoriaux de Sécurité Militaire et de la Surveillance du Territoire en ce qui concernait les agents identifiés à neutraliser et, d’autre part, par le T.R. et les Services Spéciaux américains, pour la manipulation, à notre profit, de tout le réseau.

Je n’ai jamais su quelle suite a été donnée à cette exploitation. A-t-elle été faite ?

Je n’ai également jamais connu les développements et les arrestations qui ont dû suivre.

Ce que j’ai appris – et cela nous fit tous entrer dans une grande fureur au B.S.M. 509 – c’est que les Services de MARSEILLE avaient arrêté G… et que – malgré nos fermes et précises recommandations – son affaire avait été largement divulguée et commentée dans la presse marseillaise, sur plusieurs colonnes !!!

Bel exemple de discrétion et de modestie !

La manipulation du réseau était irréalisable, après un tel gâchis, bien sûr, mais certains devaient être fiers d’avoir réalisé cette ” belle affaire “.

Nous, au B.S.M. 509, nous avons continué à remplir notre mission… discrètement… jusqu’en ALLEMAGNE, et jusqu’après l’Armistice, fiers et heureux d’avoir parfois réussi.




La Tragedie de l’ ABWEHR

Le 20 juillet 1944, la bombe qui devait tuer HITLER et mettre fin au régime manquait son but. Elle révélait au monde un complot dont les dessous n’allaient apparaître qu’après l’effondrement de l’Allemagne. Où se situaient les moteurs de la conspiration ? Quand était elle née ? Quels hommes l’animaient ou la cautionnaient ? Autant de questions auxquelles le procès de Nuremberg d’abord, les récits de témoins ensuite, et enfin une étude pertinente du Docteur ABSHAGEN, biographe de CANARIS, semblaient avoir répondu de manière décisive. Pas tout à fait cependant. Dans un livre récent de Karl BARTZ “Die Tragödie der deustchen Abwehr”, nous trouvons des précisions nouvelles et maintes obscurités tombent. Reprenant la succession des faits, maintenant connus, qui traduisaient, dès les premiers défis hitlériens à l’Europe, l’opposition un peu diffuse de nombreux Allemands de l’école classique, Karl BARTZ nous fait découvrir, dissimulé derrière l’aspect politique de cette dissidence, l’organe militaire demeuré longtemps “tabou”, source et noeud de la conspiration : l’Abwehr de l’Amiral CANARIS. Nous le savions déjà, certes, nous le savons mieux maintenant. La nouveauté dans l’ouvrage de BARTZ, c’est la preuve par le détail inédit. Ces contacts noués dans une ombre redoutable avec les opposants des divers milieux, ces négociations engagées par l’ABWEHR dans les coulisses de la Diplomatie étrangère pour y quêter des appuis et y susciter une résistance au débordement hitlérien, une police d’Etat qui guette les défaillances du Chef de l’ABWEHR trop assuré de ses ruses, un Commandement suprême dont la confiance en l’ABWEHR s’effrite dès la fin de 1942 à la constatation d’évidentes carences, cette lutte enfin, chaque jour aggravée, contre un pouvoir irrité qui flaire la trahison sans la pouvoir démontrer, toute cette atmosphère lourde de pièges et de menaces et annonciatrice de drames, nous est décrite avec des traits vivants et passionnants.

Pour clore ce tableau de la déchéance progressive de l’ABWEHR, Karl BARTZ évoque la découverte de documents massue, au début de 1945, à Zossen, devenu le siège de ce service en 1944. Ils furent pour la police et pour le gouvernement la révélation stupéfiante que CANARIS travaillait au renversement du régime, non point depuis 1942 comme ils l’avaient appris un peu tard, mais depuis 1938, quand BECK et CANARIS avaient acquis la conviction qu’HITLER lançait l’Allemagne dans une nouvelle aventure.

Cette découverte scellait le sort de CANARIS arrêté depuis le 23 juillet 1944. Déjà en février il avait été relevé de ses fonctions, ses collaborateurs mis en prison ou exécuté, et l’ABWEHR incorporée au R.S.H.A amalgame de polices qui exprimait la police d’Etat. Tragédie, oui. Interne d’abord, Quand la police, triomphante, fut libre d’agir contre les conjurés, il apparut que les caractères n’étaient pas tous à hauteur de l’épreuve, on connut les rivalités et les intrigues qui divisaient les collaborateurs de CANARIS.

Des hommes que l’on croyait unis par des sentiments et des buts identiques se déchargèrent sur leurs camarades des actes qu’on leur reprochait. CANARIS lui-même recourut à d’inutiles mensonges. Toutes les vertus civiques n’habitaient pas ce temple, naguère si orgueilleux. On en éprouve une insurmontable gêne.
Tragédie surtout, en ce sens que pour avoir quitté la légalité en vue d’atteindre au salut de l’Allemagne, le chef de l’ABWEHR a subi le sort que tout régime, même aux abois, réserve aux traîtres à sa loi. Il n’a finalement sauvé ni son pays de la défaite, ni son service de la destruction.

Les successeurs en tireront-ils la conclusion qu’un service de enseignements national se doit d’être en toutes circonstances le loyal serviteur du régime qui l’abrite, même quand ce régime s’écarte, contre l’opinion d’une fraction du pays, de la politique traditionnelle où la nation avait accoutumé de chercher sa grandeur ?

En définitive, la question reste entière ; qui était contre l’Allemagne ? CANARIS ou HITLER ?




BARBIE et Nos Services Speciaux

A maintes reprises et le plus souvent de façons fantaisistes, nos anciens Services ont été mis en cause par les media à propos de Klaus BARBIE et des conditions dans lesquelles il avait échappé à la Justice.

Dans son éditorial Michel Garder situe le personnage et, fort justement, dit ce qu’il pense de son prochain procès. Il m’a semblé, quant à moi, nécessaire de préciser ce que furent nos interventions dans ce que l’on peut appeler l’affaire BARBIE.

C’est en avril 1943 que la Direction de la Sécurité Militaire à ALGER reçut les premiers renseignements sur l’Oberstumführer (Lieutenant) BARBIE. Notre poste T.R. 114 de LYON nous indiquait qu’il était le Chef de la Section IV de la SPIDO/SD de cette ville. Il soulignait son intense activité et sa brutalité. D’autres renseignements allaient nous confirmer le rôle cruel joué par BARBIE et sa section IV dans les arrestations — parfois en liaison avec l’Abwehr, de plusieurs de nos agents. Ainsi, les officiers du POSTE S.R. de Lyon : LOMBARD, SCHMIDT, MISSOFFE, etc…; la chasse brutale diligentée par BARBIE contre l’abbé VORAGE et Henri MORTIER (déporté N.N.), les interrogatoires « musclés » à l’hôtel TERMINUS de notre camarade Mme CHAMPION.

En juin 1943, c’est l’affaire de CALUIRE avec la dramatique arrestation de Jean MOULIN et de ses compagnons. J’en passe. Toutes ces informations confirmaient les méthodes odieuses en usage chez les nazis. Elles nous amenèrent à faire figurer BARBIE et ses chefs Lyonnais, les S.S. KNAB et HOLLBERT sur nos synthèses du R.S.H.A. et, surtout, sur nos listes des individus dangereux que nous avions le devoir de mettre hors d’état de nuire.

Vient la préparation du débarquement. Dès le début de 1944, sous la responsabilité de la D.S.M. d’ALGER sont constituées les listes des individus à appréhender en raison de leurs actions criminelles en FRANCE. Ce travail énorme est réalisé en liaison avec les Services de Sécurité alliés et le B.C.R.A.

Dans chaque Grande Unité alliée et française appelée à participer aux opérations de libération de la métropole, nos Services (S.R.-S.M. et T.R.) doivent être représentés. Ils devront disposer, ainsi que leurs homologues US. et britanniques, d’une documentation complète leur permettant d’assurer leur mission répressive dans leurs zones d’intervention. Restait à obtenir du Haut Commandement (Général EISENHOWER) des directives s’imposant à tous en matière de Sécurité et de Contre-Espionnage. Ce fut l’objet de mes négociations à LONDRES du 15 au 30 mai 1944 et de l’accord signé avec le Colonel U.S. SCHEEN représentant le Général EISENHOWER. Aux termes de cet accord (voir mon livre Services Spéciaux éditions Robert Laffont) nos Services devaient exercer en pleine souveraineté l’exploitation des affaires découlant de la documentation établie par nos soins et ainsi diffusée. Klaus BARBIE y figurait en bonne place ainsi que ses chefs OBERG et KNOCHEN en tête. Je ne saurais être plus clair : Tout Service de Sécurité français, anglais ou américain avait le devoir de rechercher BARBIE et de nous le livrer. * * Le 3 septembre 1944, LYON est libéré par la 1° Armée Française. Nos camarades, aussi bien ceux attachés aux unités débarquées que ceux du T.R. ou de la Sécurité Militaire clandestine en poste dans la région, fouillent les repaires connus des Services Spéciaux ennemis. En vain. Depuis le 24 août les derniers éléments du R.S.H.A. (S.I.P.O.-S.D.) se sont repliés avec armes et bagages les uns vers ÉPINAL d’autres en ALSACE.

BARBIE, blessé le 28 août au nord de Lyon dans des circonstances pas très claires, est évacué sur BADEN-BADEN. Rétabli, il semble qu’il ait achevé sa carrière paramilitaire dans le cadre d’une armée allemande basée fin 1944 à la frontière suisse .Elle combattra contre les américains jusqu’au 5 mai 1945.

Après l’armistice de mai 1945, conscient de ses responsabilités coupables, soucieux d’échapper aux recherches dont il sait être l’objet de la part des Français, il se réfugie dans les zones d’occupation anglaise, puis américaine. Fin 1946 ou début 1947 (je n’ai pu préciser) BARBIE fait des offres de Service au COUNTER INTELLIGENCE CORPS (C.I.C.) U.S.A. de MUNICH.

En raison de son « expérience , de sa « compétence » et de la médiocrité des moyens d’investigation, notamment dans les milieux communistes, dont disposent les Américains, son offre est acceptée d’emblée.

On se garde d’aviser nos Services. Peu importent les accords de 1944. Les circonstances ont évolué. Les Services Spéciaux français ont été profondément modifiés, perturbés, le gouvernement français lui-même a incorporé des communistes en son sein…

BARBIE bien que parfaitement identifié comme le criminel de LYON recherché par le C.E. français devient l’agent X-3054 du C.I.C. de Munich. On l’oriente sur les activités communistes, spécialement en Italie du Nord. Je répète : On ne dit rien aux Français et, notamment, à l’antenne du S.D.E.C.E. (dénommée D.A.L.O.) que dirige en Allemagne, à WILDBAD, le colonel GER (adjoint capitaine Maurice DUMONT et, entre autres collaborateurs, le lieutenant WHITEWAY et le Commissaire BIBES de la Sûreté aux Armées dont nous reparlerons plus loin). Pourtant les rapports personnels entre GERAR-DUBOT, ses collaborateurs et leurs camarades U.S.A. sont excellents, j’ose même affirmer exceptionnellement confiants. Il est vrai qu’ils ont été noués en 1943 et 1944. Autre époque, dont certains conservent la nostalgie…

* * Ce qui va suivre est extrait des archives que le colonel GERAR-DUBOT m’a confiées bien avant sa mort.

DALO dispose de la documentation de base établie à ALGER. Elle a été reproduite à PARIS en novembre 1944 et largement diffusée. Jamais DALO n’a cessé de rechercher BARBIE. Vers mars 1948, l’Allemand est situé par les informateurs du poste comme agent des Américains. Devant l’importance du personnage et de son témoignage dans l’instruction judiciaire en cours à l’encontre de HARDY, DALO prend l’initiative d’user de ses bons rapports avec les Américains pour demander à ses amis du C.I.C. de pouvoir, au moins, procéder à son audition.

Négociation délicate. Elle exige habileté et discrétion. L’autorisation est finalement accordée sous la condition formelle que l’audition se fera en zone U.S. et « qu’il n’en résultera aucune suite fâcheuse pouvant entraver l’emploi de BARBIE par les Services Américains ». (sic.) Cette condition ne peut être qu’acceptée par GERAR-DUBOT. L’audition a lieu le 14 mai 1948 à 9 heures du matin à FRANCFORT dans les locaux de la mission française.

Le Lieutenant WHITEWAY (qui fut longtemps à Alger notre précieux officier de liaison auprès des Services Spéciaux U.S.) dirige la délégation mandatée par GERAR-DUBOT. Elle comprend le Commissaire BIBES de la Sûreté aux Armées, Officier de Police judiciaire et son adjoint l’Inspecteur LEHRMANN.

BARBIE, sûr de lui et en confiance, est accompagné de deux américains qui parlent Français comme lui. L’interrogatoire va durer plus d’une heure. Il donnera lieu à un procès-verbal de cinq pages que tout le monde signera. « BARBIE, rend compte GERAR-DUBOT, a parlé sans réticence et son témoignage accable HARDY »…

Le P.V. transmis à Paris fait l’effet d’une bombe. DALO est invité à poursuivre. Une deuxième entrevue avec BARBIE a lieu le 18 mai 1948 dans les mêmes conditions, à MUNICH cette fois.

Toujours coopératif le Hauptsturmführer (capitaine) précise ses accusations contre HARDY. Le 28 juin 1948, PARIS écrit à DALO «… Il n’est pas possible de négliger un témoignage d’une telle importance. Ci-joint une commission rogatoire que vous devez faire exécuter dans les meilleurs délais étant entendu que le magistrat instructeur (en l’occurrence le Commandant GONNOT juge d’instruction de l’affaire HARDY) donne toute garantie de sécurité en ce qui concerne la situation actuelle de BARBIE (sic).

… Le S.D.E.C.E. transmet à DALO (GERAR-DUBOT) une longue et détaillée commission rogatoire : treize pages accompagnées de photographies et documents divers. BARBIE répond abondamment aux questions du juge le 16 juillet 1948. Il est interrogé à MUNICH dans les mêmes conditions que le 18 mai. Il confirme et précise ses déclarations antérieures. Elles accablent toujours HARDY. Le 30 juillet 1948. PARIS après avoir remercié DALO, lui demande d’obtenir du C.I.C. l’autorisation d’entendre un autre témoin. C’est un collaborateur de BARBIE à LYON l’Oberscharführer Harry STENGRITT. Il a participé à l’opération de CALUIRE. Une nouvelle commission rogatoire lui est transmise avec ce commentaire flatteur :… « Grâce aux multiples efforts de DALO, l’affaire HARDY a pris une tournure nouvelle »… Le 2 août 1948, à STUTTGART, l’équipe de GERAR-DUBOT entend ce nouveau témoin. Il confirme les accusations de BARBIE et précise que l’identité de Jean MOULIN a été révélée à la Gestapo par les autres personnes arrêtées à CALUIRE (sic). Dernières contributions de nos anciens Services à cette affaire BARBIE-HARDY.

1) Le 4 décembre 1948 DALO propose de faire venir à Paris le témoin STENGRITT sous certaines garanties. Proposition acceptée. STENGRITT est entendu par le juge d’instruction le 7 décembre 1948. Il réitère ses déclarations antérieures. Il témoignera au procès Hardy. Plus tard, en dépit des garanties avancées pour sa venue à Paris il sera condamné à mort et gracié au bout de 15 ans de prison.

2) Le 2 février 1950 DALO propose sous certaines conditions d’obtenir des Américains le « prêt » de BARBIE pour venir témoigner au procès HARDY. Le 7 février 1950 cette proposition n’est pas acceptée par le Gouvernement.

3) Le Commissaire BIBES convoqué comme témoin à charge au procès HARDY le lundi 24 avril 1950 sera vivement pris à partie par la Défense de l’inculpé. Insulté, ridiculisé pour n’avoir pas « enlevé » BARBIE il rentrera à WILDBAD écoeuré. Il quittera les Services pour s’installer définitivement en Allemagne où il est récemment décédé.

* * Le 9 mai 1950 René HARDY était une nouvelle fois acquitté à la minorité de faveur par le Tribunal Militaire de Paris… « S’il reste un millième de doute en sa faveur, il faut que vous l’acquittiez »… avait adjuré le témoin Claudius PETIT. BARBIE, réclamé à corps et à cris par l’opinion autant que par les autorités françaises, restait, imperturbable, sous l’identité de Klaus ALTMANN, au service et sous la protection des U.S.A. Le 22 mars 1951, accompagné de son épouse, il quitte GENES avec la bénédiction du C.I.C. Le 23 avril 1951 il arrive à LA PAZ. On connaît la suite.

Peut-être et ce sera ma conclusion, pouvait-on faire l’économie d’un procès coûteux qui risque d’éclabousser la Résistance, de passionner sinon d’irriter et diviser les Français. Il ne nous apprendra, en définitive, que quelques horreurs supplémentaires sur le comportement des nazis. Une mesure D aurait, sans nul doute, fait justice à meilleurs frais Mais, puisque désormais cette affaire BARBIE est placée sur un plan légal, je ne peux m’empêcher de me souvenir que les Chefs de ce misérable, OBERG & KNOCHEN, condamnés à mort à PARIS, ont été graciés et libérés…

Il est décidément bien difficile de rendre, quarante-trois ans plus tard, une justice équitable et sereine.




La machine ENIGMA et ” Notre espion chez Hitler”

Les révélations du livre de notre Président n’ont pas fini de susciter des réactions de tous ordres. C’est ainsi que la télévision FR3 se propose de produire un film sur le rôle de la machine ENIGMA dans la bataille de l’Atlantique. M. Gilbert BLOCH, expert en matière de cryptologie, nous communique à ce propos une étude particulièrement documentée que nous nous faisons un plaisir de reproduire.

LES MACHINES « ENIGMA » DE LA MARINE MILITAIRE ALLEMANDE

La Marine militaire allemande a été la première arme à adopter l’Enigma le 9 février 1926, elle mettait en service la « Funkschliissel C », une Enigma commerciale légèrement modifiée.

L’adoption de l’Enigma par la Marine a certainement joué un rôle déterminant dans la décision ultérieure du Colonel Fellgiebel d’adopter à son tour l’Enigma pour l’Armée de terre; cette décision fut accompagnée de modifications importantes apportées à la machine.

La « Funkschlflssel C » de la Marine se trouva donc déclassée par rapport au modèle G mis en service le 15 juillet 1928 par l’Armée de terre, et surtout par rapport à l’Enigma militaire type I du 1er juin 1930 .

PARTICULARISME DE LA MACHINE «ENIGMA »-MARINE

Certes, la « Funkschsltissel C » était déjà une machine à trois tambours mobiles, mais son clavier comportait 29 touches (au lieu de 26 pour les modèles de l’Armée de terre. La différence était constituée par la présence des trois touches A, 0, et U, supprimées par l’Armée de terre, ces lettres étant transmises comme AE, 0E et UE) et, surtout, les « steckers » étaient absents (fiches mobiles).

Une unification était indispensable elle se produisit en octobre 1934, la Marine mettant alors en service la « Funkschliissel M » (M = Marine) pratiquement identique à l’Enigma militaire type I et utilisant les mêmes tambours mobiles que celle-ci. Une parfaite homogénéité s’établissait donc pour l’en semble des forces armées allemandes. Malgré tout, la Marine militaire allemande tenait, tout en utilisant des machines compatibles avec celles des autres armes, à posséder son propre système; pour ce faire, elle ajouta à la batterie de tambours mobiles commune aux autres armes des tambours complémentaires réservés à son propre usage.

C’est ainsi qu’à la fin de 1938, alors que l’Armée de terre et la Luftwaffe disposaient d’un choix de cinq tambours mobiles, la Marine en possédait sept (les 5 de l’Armée de terre et de la Luftwaffe, plus 2 spéciaux à la Marine). Un huitième tambour mobile fut introduit peu avant le début de la guerre.

Bien entendu, la Marine allemande « compartimentait » ses transmissions en créant des « groupes d’utilisateurs » distincts selon les types de navires, la nature des opérations, les théâtres d’activités, etc., etc. L’évolution de la guerre donna une importance toute particulière aux transmissions relatives à la guerre sous-marine.

LE DECRYPTEMENT BRITANNIQUE — SES SUCCÈS — SES DEBOIRES

La multiplication des possibilités de choix des trois tambours mobiles (60 possibilités pour les 5 tambours utilisés par l’Armée de terre et la Luftwaffe, 336 possibilités pour les 8 tambours utilisés par la Marine) rendait le décryptement des messages de la Marine allemande beaucoup plus difficile que celui des messages émis par les autres armes.

L’extension de la guerre sous-marine et le danger mortel constitué par les pertes de navires qui en résultaient, impliquaient pour l’Angleterre de considérer ce décryptement comme une nécessité vitale.

Dès le début de 1941, la Marine britannique entreprit une série d’opérations visant à capturer des « Enigma » de type « Marine » et leurs instructions des succès partiels furent obtenus dans ce domaine par le raid sur les lies Lofoten (23 février 1941), la capture de deux chalutiers « météorologiques », le « München » ( 7 mai 1941) et le Lauenberg » (25 juin) ; surtout, les Anglais capturèrent sur le sous-marin U 110, le 8 mai, une Enigma Marine complète et ses instructions d’emploi valides jusqu’à la fin juin.

Ces captures — et un immense effort cryptologique — permirent à Bletchley Park de « rentrer dans le système » à partir du 1er août 1941 et de déchiffrer régulièrement les messages ce qui permit à l’Amirauté d’assurer une relation sécurité de ses convois dans l’Atlantique. Ce succès britannique prit brutalement fin le 1er février 1942 avec la mise en service par la Marine allemande d’une nouvelle Enigma, la « Funkschlüssel M 4 », remplaçant la « Funkschlüssel M 3 ».

La période allant du 1er février à décembre 1942 fut, pour l’Amirauté britannique, celle du « grand black-out ».

Désespérément, les spécialistes de Bletchley cherchèrent à renouer le fil. Finalement, grâce à des efforts cryptologiques inouïs, à l’élaboration et à la mise en service de nouvelles « Bombes » à grande vitesse, à la récupération de matériel et de documents sur des sous-marins endommagés (notamment l’U 559 le 30 octobre 1942), Bletchley réussit à reprendre les décryptements en décembre 1942 et — mis à part quelques interruptions temporaires — ne devait plus en perdre la maîtrise.

Ce résultat fut obtenu — et maintenu jusqu’à la fin de la guerre — en dépit des constants changements effectués par la Marine allemande dans les procédures d’emploi. C’est ainsi que les réglages de la machine ENIGMA furent modifiés toutes les huit heures, au lieu de 24 heures.

LA VICTOIRE DE L’ATLANTIQUE — MAI 1943

Le calendrier des événements de 1942-43 illustre à la fois l’importance et les limites du décryptement.

Alors que les messages recommencèrent à être décryptés vers la mi-décembre 1942, il fallut plusieurs semaines pour en tirer une vue claire de la situation.

La pénurie de moyens de défense adéquats ne permit pas d’en tirer immédiatement avantage.

Les premiers mois de 1943 furent, pour les pertes en tonnage, les mois les plus tragiques. Le retournement s’opéra brutalement en mai 1943 lorsque des moyens aériens largement accrus, de nouveaux escorteurs, des patrouilles spéciales « Hunter Killer », aidés par un équipement radar et des moyens de destruction appropriés purent efficacement profiter des renseignements. Le nombre des sous-marins allemands coulés monta en flèche et le 24 mai, l’Amiral Dönitz repliait les survivants vers des zones moins exposées que l’Atlantique.

La Marine militaire allemande avait pourtant utilisé ses Enigma avec une parfaite maîtrise, un impeccable professionnalisme et un matériel plus sophistiqué que celui des autres armes.

Le fait que, malgré tout, les Britanniques ont décrypté finalement ses messages lui a occasionné d’énormes pertes (679 sous-marins sur les 1.184 mis en service, 28.000 sous-mariniers sur 42.000 !).

Cette situation conduisit le Haut Commandement de la Marine allemande à s’interroger sur les causes de ces pertes et à mettre en doute la sécurité de ses communications Enigma.

Ces doutes étaient d’autant plus forts que le Service de Décryptement de la Marine allemande, le « B. Dienst » (« Beobachtung-Dienst », c’est-à-dire Service d’Observation) put de son côté décrypter jusqu’à Juin 1943 le « code des convois », utilisé par les Britanniques, et constater à de multiples reprises combien les indications fournies relatives à la position et aux mouvements des sous-marins allemands, étaient exactes. Des enquêtes furent ouvertes : elles conclurent toujours à l’inviolabilité de l’Enigma. Ce n’est qu’à la suite du Colloque International organisé en novembre 1978 à BONN et STUTTGART par les Professeurs Jürges ROHWER et Eberhard JACKEL que les experts allemands durent convenir de l’efficacité du travail de décryptement allié. Au cours de ce colloque — où, hélas, les représentants du S.R. français ne furent pas conviés — des techniciens et historiens allemands, anglais, américains et polonais purent mettre en évidence de façon irréfutable non seulement le rôle de la machine ENIGMA dans le 2em conflit mondial, mais aussi la part du S.R. français et des savants mathématiciens polonais et anglais dans la découverte de ses secrets. – Machine ENIGMA dont Hans Thilo Schmidt (H.E.) révéla les secrets au S.R. français dès 1931. (Cf. ” Notre Espion chez Hitler “, par P. Paillole




“Notre espion chez Hitler” : Commentaires apres la parution du livre

QUELQUES COMMENTAIRES ET EXTRAITS DE PRESSE .

COMMENTAIRES

De Charles Hernu, Ministre de la Défense (le 11 sept. 1985)

… « C’est un livre bien émouvant (d’autant plus que l’actualité s’y prête). Je dois dire que je l’ai lu en une seule nuit tellement il est passionnant »…

De Henri Amouroux de l’Institut (12 sept. 1985)

… « Votre livre est passionnant. Il m’a mené jusqu’à 3 heures du matin, ce qui est d’un bon compagnon. On reste stupéfait devant l’inertie des autorités françaises militaires et gouvernementales »…

De quelques « anciens du 2 bis »

… « Je m’associe pleinement aux observations que vous faites sur l’inutilisation par le haut- Commandement des informations et des avertissements que lui fournissait le S.R. J’ai fait la même observation tout au long de ma carrière y compris au S.D.E.C.E. et dans les deux États-majors alliés auxquels j’ai appartenu. La chose la plus difficile dans l’art du renseignement est de convaincre l’échelon supérieur de la certitude de ce qu’on lui transmet… » ( Colonel B. GALLIZIA).

… « Page après page j’ai eu le plaisir et l’émotion de voir revivre le Chef et les camarades – hélas aujourd’hui tous disparus – de notre 2 bis : Rivet, Perruche, Schlesser, Navarre, Bertrand et plus particulièrement ce dernier devenu pour moi un grand ami (…)

Il reste que vos pages constituent un excellent témoignage de l’efficacité de nos Services Spéciaux actuellement si décriés. Il est malheureusement vrai que depuis la Libération l’accroissement constant de la quantité a eu sans doute comme corollaire l’affaiblissement de la qualité, et aussi, sans doute surtout, les patrons n’ont plus été des professionnels formés dans et par le métier (…) quand on confie la direction d’un orchestre à un bonhomme qui ne connaît pas la musique, il faut s’attendre à des fausses notes »… (Colonel P.H. ARNAUD).

… « Émouvant de revoir tous ces noms si cordialement familiers et porteurs de souvenirs (…) Poignant de revivre ces temps qui, vous le montrez bien, nous laissent un goût amer. D’autant que ce ne sont pas les temps actuels et leurs désolantes affaires qui apportent consolation (…)

Merci, et même si vous le permettez, merci pour le 2 bis ! (Colonel R. TRUTAT)

Du Général Pierre RENAULT (Professeur à l’École de Guerre)

… « Je vous avais promis de vous adresser des remarques sur quelques pages (1) de votre remarquable ouvrage. Dans ces pages se révèle une confusion entre le 39em Corps blindé de SCHMIDT et le 15em Corps de Hoth. (…) Cela n’affecte en rien l’ensemble passionnant de votre livre »…

Échos de l’étranger :

… « J’ai lu cette histoire avec grand intérêt et admiration. La contribution française à la reconstruction et au décryptement de l’E.N.I.G.M.A. nous a été indispensable »… (Colonel T. LISICKI, ancien collaborateur du Colonel LANGER au bureau du Chiffre polonais).

… « J’ai lu votre livre avec beaucoup d’intérêt et d’admiration pour vos recherches. Je compte faire usage de vos résultats et attirer l’attention sur leur importance dans mon prochain ouvrage à paraître en 1986 sur L’Histoire du Renseignement en Grande-Bretagne (Professeur Sir Harry HINSLEY, Maître de conférences à Cambridge.)

… « Je vous félicite d’avoir écrit une oeuvre de première importance pour l’histoire de l’espionnage, de la cryptographie et de la 2em guerre mondiale. Vous avez apporté beaucoup de faits inconnus ainsi que des documents inédits et votre travail aidera énormément les historiens »… (David KAHN, NEW YORK, U.S.A., spécialiste de renommée mondiale en cryptologie et histoire.)

… « Je viens de recevoir votre livre et m’empresse de vous en féliciter. Cela est, vous permettez de le dire, un récit à la fois lucide, important et bizarre (sic). Je trouve stupéfiant que l’Abwehr ait découvert la trahison de SCHMIDT dès mars 1943 et que néanmoins nous avons continué à lire les codes E.N.I.G.M.A. jusqu’à la fin de la guerre. Il reste toujours des mystères… » (Peter CALVOCO­RESSI, spécialiste de la machine E.N.I.G.M.A. à BLETCHLEY-PARK.)

… « Je suis persuadé que vous réussirez pleinement à intéresser le public à ce grand sujet dont vous faites fort bien ressortir l’importance… » Professeur J. STENGERS, spécialiste d’Histoire contemporaine à l’Université Libre de Bruxelles.)

EXTRAITS DE PRESSE

… « Il a fallu 40 ans pour qu’un as des services secrets français nous fasse cette stupéfiante révélation : dès 1931 nous avions notre espion chez Hitler ! Dans quarante ans on nous dévoilera peut-être l’étendue des dégâts récemment causés en R.F.A. et aux États-unis par des espions à la solde des Soviétiques.

Aujourd’hui le Colonel PAILLOLE révèle qu’en 1939 la France possédait un espion au sein même de l’État-major allemand. Mais on ne l’a pas écouté »… Le Figaro Magazine, 14 septembre 1985.)




Services Speciaux et valises diplomatiques

L’affaire de la ” Malle égyptienne ” qui devait transporter de Home, mi-Caire pour ” examen de la situation “, un infortuné ” agent double “, a relancé l’intérêt porté aux valises diplomatiques dont nul n’ignore puisque qu’en font la plupart (les Services Spéciaux du monde).

Les valises et la petite Histoire

Le premier ” scandale ” retenu par la petite Histoire remonte à Louis IV : les services diplomatiques se querellaient fort en ce temps-là ; deux ou trois politiques contradictoires se menaient à la Cour de Versailles, ayant chacune ses agents et sa police.

Des adversaires (de Choiseul, se permirent un jour de forcer la valise diplomatique que le ministre expédiait à Vienne. Ils espéraient y trouver les documents leur permettant de prendre avantage sur lui.

Ils n’y découvrirent, en dehors de quelques papiers d’importance nulle, que deux mignonnes pantoufles féminines et un peu de lingerie de dentelle.

L’aventure fut vite connue, elle amusa paris et malgré les efforts du ” clan anti-Choiseul ” pour envenimer l’historiette, tout se termina au mieux. Par des chansons et deux ou trois épigrammes.

Depuis, on ne compte plus les aventures des valises diplomatiques.

Pendant l’entre-deux-guerres, neuf ou dix fois au moins leurs secrets furent trahis par des porteurs Candides ou corrompus.

Et l’opinion publique s’agita quelques jours.

En juillet 1939, la valise afghane, égarée, retrouvée, vit sortir de ses soufflets près d’un million (million or) de stupéfiants ; des notes assez aigres furent échangées à l’époque entre Paris et Kaboul. Puis l’oubli se lit.

La précédente année, la valise espagnole avait fait parler d’elle : elle ne renfermait aucun dossier, mais plusieurs ciboires, ostensoirs et précieux, ainsi que quelques lourds lingots, toujours de tout.

Une valise officielle, subtilisée au Consul britannique a Saint-Sébastien, au cours de l’été 1938, puis reprise en mauvais état à ses voleurs. transportait les plans de deux ou trois opérations d’envergure préparées par un gang d’espions francoistes travaillant en France.

L’enquête permit de mettre en fuite une douzaine de péninsulaires qui s’intéressaient un peu trop aux arsenaux. Le Consul anglais n’était pour rien dans l’affaire il avait été berné par les services secrets madrilènes.

Les valises à la veille de la Deuxième Guerre Mondiale

A la veille de la Deuxième Guerre Mondiale, nos services de contre-espionnage avaient quelques raisons d’être inquiets des activités à peine occultes de la plupart des ambassades étrangères résidant â Paris.

Le Quai d’Orsay, maintes fois alerté, faisait la sourde oreille.

Le ” secret ” de la diplomatie française de 1938 était de ne rien faire qui puisse soulever des incidents avec les états adverses et notamment avec ceux dont il était notoire qu’ils préparaient la guerre.

Faute d’obtenir par la voie officielle ta fin des agissements préjudiciables à la France, de certaines représentations étrangères, il fallut bien se résoudre a faire éclater quelques scandales et persuader ainsi le Gouvernement français de l’obligation qui lui était faite de réagir.

Un coup de main sur la valise diplomatique allemande fit découvrir un obus français de fabrication nouvelle qui partait allègrement pour Berlin.

Une ” visite ” de la valise diplomatique japonaise amena la découverte d’énormes liasses de dessins complets d’un nouveau moteur français d’avion qui devait être embarqué sur un bateau nippon faisant escale à Marseille.

Bien entendu ces ” scandales ” furent étouffés ” diplomatiquement “. mais permirent à nos Services Spéciaux d’obtenir une meilleure collaboration des Affaires Etrangères françaises et surtout une série de mesures défensives essentielles en cette année 1939.

Les valises pendant la guerre La guerre n’interrompit pas cet usage des valises diplomatiques.

Les Italiens que, par une incompréhensible complaisance (?) le Gouvernement français n’avait pas voulu priver de leurs consulats dans la zone des Armées, acheminèrent par valises diplomatiques sur Rome et Berlin, et pendant toute la ” drôle de guerre ” les renseignements recueillis par eux sur le dispositif de nos troupes.

Il fallut la perspicacité et l’obstination du poste de contre-espionnage de Lille, Colonel ROBERT-DUMAS en tête, pour faire cesser ces agissements criminels en faisant encore une fois éclater un ” scandale de valise “.

On pourrait assimiler à l’usage fait des valises diplomatiques, l’utilisation que comptait faire l’ambassade d’Allemagne de Bruxelles du ” train diplomatique ” (?) mis à sa disposition pour évacuer, en mai 1940, son ” personnel ” de Belgique.

Il s’agissait, ni plus ni moins, par ce moyen extraordinaire, que de mettre à l’abri plusieurs centaines d’agents de l’Abwehr brûlés dans le Nord et le Bénélux.

Le ” train ” devait transiter par la France pour gagner la Suisse. Fort heureusement, malgré l’opposition du Quai d’Orsay et sous la pression des Services Spéciaux français, il dût s’arrêter à Jeumont et à Fresnes, où, en dépit des protestations véhémentes de l’Ambassadeur d’Hitler, des ” visites ” permirent d’extraire les agents de l’Abwehr et de les interroger avec un intérêt exceptionnel…

Mais, revenons aux ” valises normales “. Pour la plus grande commodité de nos services clandestins (S.R. et C.E.) elles furent largement ouvertes de 1940 à 1942 pour acheminer nos courriers vers Londres, vers Genève ou vers Lisbonne.

Qu’il nous soit permis, au passage, de rendre une fois de plus hommage au personnel de la ” valise française ” de Vichy qui seconda si courageusement les efforts de résistance de nos réseaux, et à M. Dupuis, Ministre du Canada, qui achemina régulièrement vers Londres par la voie diplomatique canadienne, nos courriers les plus secrets.

Les ” valises modernes “

En 1958 la valise avait été la grande vedette de l’actualité. M. Lov Henderson, adjoint à M. Dulles, était en mission spéciale au Moyen-Orient.

Fin octobre, sa valise lui fut dérobée et l’on n’en retrouva plus trace. Quelques jours plus tard, M. Krouchtchev accusa avec violence les U.S.A. de tramer avec la Turquie un complot contre la sécurité syrienne. Il affirmait en avoir la preuve indiscutable. Les diplomaties occidentales sont à peu près unanimes à penser que ces preuves c’est dans la valise Henderson qu’il les avait trouvées. A quand et à qui la prochaine valise ? Le moyen est commode, encore que très éventé. Peu importe. La valise diplomatique continue ses bons et loyaux services comme le prouve l’affaire de la « malle égyptienne ». Pour les Services Spéciaux le vrai problème n’est pas de savoir si leurs ” clients ” utilisent ou non la valise diplomatique, mais bien de savoir quand il est opportun d’en provoquer l’ouverture, avec toutes les conséquences que cela peut comporter..




Juin 1941 :Rencontre entre le colonel Groussard et Winston Churchill Extrait du livre de J Stead

Nos lecteurs trouveront ci-après le récit de l’émouvante entrevue du Premier Britannique WINSTON CHURCHILL et du colonel GROUSSARD à Londres le 14 juin 1941. Ce récit, fertile en informations et peu connu, éclaire d’un jour particulier les sentiments de notre Allié le Royaume Uni, à l’égard de la France à cette époque.

“Churchill m’attendait sur le pas de sa porte et me serra vigoureusement les mains ; sa cordialité me toucha ; il me mit ensuite le bras sur les épaules et me conduisit près d’un vaste bureau situé à l’autre bout de la pièce. ” Je pus constater la rigueur avec laquelle étaient suivies les consignes de la défense passive : aucune lueur ne pouvait certainement filtrer à l’extérieur. Churchill me désigna un fauteuil de cuir, plaça tout près de nous le Général et le Commandant et dans un discours, moitié anglais, moitié français, exprima sa joie de me rencontrer ! “.

Le Colonel Groussard parlait heureusement l’anglais couramment, ce qui lui permit de suivre facilement l’exposé de Churchill. Ce dernier se frotta les mains, et, s’approchant d’un plateau chargé de whisky et de soda, en remplit quatre verres et tous burent à la santé de la France.
L’entretien dura deux heures ; le Premier Ministre fut, pour ainsi dire, seul à parler. Groussard avait suffisamment fréquenté les hauts personnages pour savoir qu’ils aiment bien s’exprimer par monologue, afficher leurs connaissances et développer leurs idées.
Le Premier Ministre, vêtu avec soin d’une tenue kaki, arpentait la pièce en tirant d’énormes bouffées de son cigare ; il le posait, le mâchonnait ou le rallumait, tout en écoutant les réponses de Groussard, en admiration devant tant d’énergie. Churchill était sûr de la victoire. Il ne fit aucun mystère des difficultés présentes de la Grande-Bretagne.

Il décrivit d’une façon saisissante l’effort de l’Empire en guerre, et affirma, qu’avec l’aide des États-unis, la production de guerre de l’Angleterre surpasserait bientôt celle de l’Allemagne. Dans cet ordre d’idée, le pire était passé. La conversation roula ensuite sur la France. Groussard fut au comble de la stupéfaction : à entendre Churchill, on aurait cru qu’il venait d’arriver de Paris occupé, tellement il paraissait bien informé de ce qui s’y passait réellement.

Son objectivité était parfaite. C’était l’homme qui comprenait vraiment la situation tragique dans laquelle la France se débattait. Groussard lui exposa l’objet de son voyage. Churchill lui répondit : ” Dites bien à ceux qui vous ont envoyé que je comprends le tragique de votre situation… Je sais que la tâche de vos chefs est surhumaine, j’approuve leur désir de sauvegarder de leur mieux la France et les Français : mais je leur demande de ne pas oublier que leurs alliés sont toujours dans la lutte. Je leur demande d’avoir foi en l’avenir. Si j’étais à la tête de votre Gouvernement, je ne dirais pas aux Allemands que je les hais, car il faut toujours, à tout prix, éviter le pire, j’essayerais moi aussi de ne pas trop me compromettre et de gagner du temps, mais je ferais en sorte, et de toutes les manières possibles, de venir en aide à ceux qui sont toujours mes camarades de combat, mes compagnons d’armes. ” Dites encore à Vichy que je respecte profondément la personne du Maréchal Pétain. Jamais je n’ai pensé que cet homme pouvait souhaiter la victoire de l’Allemagne; néanmoins, je dois constater qu’il aurait pu, à maintes reprises, depuis l’armistice, nous être utile, et qu’il n’en a rien fait… “

Churchill souffla un nuage de fumée et but un verre de whisky. ” J’admets même que l’on m’attaque dans votre presse et qu’on y vilipende l’Angleterre, si cela doit vous aider à donner le change à l’ennemi. ” Je suis d’accord avec vous pour que vous remettiez cent cartouches aux Allemands, si cette opération vous permet de leur en soustraire un millier. La seule chose que je ne puisse admettre, c’est de voir la France oublier que la cause des alliés est aussi la sienne. ” Vous avez des membres du Gouvernement de Vichy qui sont des criminels avérés ; il faut agir à leur insu, ou les mettre hors d’état de nuire. Votre patrie n’est pas neutre. Que se passerait-il si, la guerre terminée, vos compatriotes se réclamaient d’une neutralité, qu’ils auraient revendiquée aujourd’hui ? Dites bien, quoi qu’il arrive, que mon désir sera toujours de restaurer la France dans son intégrité territoriale d’avant-guerre. Insistez sur ce fait, et demandez, simplement à ceux qui doutent, si l’Allemagne a l’impudence de vous faire la même promesse… “

Le Premier Ministre ajouta que l’Angleterre et la France devaient s’épauler de leur mieux. ” Il est aussi honteux que ridicule pour la France d’essayer de pratiquer le jeu de balancé entre ses alliés et ses ennemis, comme Vichy le fait. ” ” La France ne bénéficiera de la Victoire que dans la mesure où elle y aura contribué. ” Churchill se rendait bien compte de l’avantage qu’il y avait pour l’Angleterre, comme pour la France, d’avoir, dans ce pays, un gouvernement régulier, susceptible de tenir tête à l’occupant et capable de l’empêcher d’agir tout à fait à sa guise : “]e sais combien il est précieux pour nous de voir à la tête de votre Gouvernement un Pétain, plutôt qu’un Doriot ou un Laval. ” Le Maréchal peut à Vichy servir la France avec autant d’utilité que le Général de Gaulle le fait à Londres ; mais vous n’êtes pas sans savoir que, dans son Empire, la France dispose encore d’énormes ressources et que ces ressources doivent être utilisées à notre profit. ” Je ne serais pas ce soir ici avec vous s’il n’en était pas ainsi. “

Il y a, à Vichy, quantité de gens de bonne foi qui pensent que le salut de la France est de suivre une politique de stricte neutralité; ce sont des imbéciles; d’autres savent qu’ils doivent contribuer en France ou dans vos possessions d’outre-mer, à travailler pour la cause des alliés. A ceux-ci je dis : Nous n’aboutirons à rien si nous ne suivons pas une politique commune. C’est parce que je suis persuadé de cette possibilité d’accord entre nous que je suis si content de vous voir ici. Ce sera votre mission : forger cette entente, cette commune compréhension : je vous promets de vous donner tous les moyens susceptibles d’en faciliter au maximum d’accomplissement. Nous devons tous deux conserver un contact direct; j’espère que vous reviendrez bientôt à Londres, plus tôt vous le pourrez, mieux cela vaudra. Vous me remettrez alors personnellement les messages dont vous aurez été chargé. “

Churchill s’enquit ensuite auprès de Groussard des sentiments de certaines personnalités Vichyssoises. Ce dernier lui dépeignit les sentiments antibritanniques d’un grand nombre d’amiraux, que Darlan avait placés au Gouvernement. Churchill demande à Groussard ce qu’il pensait de ce dernier : ” Je le connais personnellement très peu ; je ne l’ai rencontré que deux ou trois fois au plus ; mon sentiment est qu’il est un parfait arriviste. Il est capable, par ambition, de suivre la politique allemande ; mais il agira certainement avec moins de conviction que Laval ; c’est donc un moindre mal, qu’il soit actuellement Vice-Président du Cabinet plutôt que Laval. “

Ils parlèrent ensuite de Pétain. Groussard insista tout particulièrement sur son grand âge et son hostilité envers l’Allemagne. ” Je ne vois pas ce que vient faire ici son grand âge, rétorqua Churchill, en haussant les épaules ; la vérité est tout autre ; il n’est pas capable d’assumer la tâche qu’il voudrait accomplir : c’est un soldat ; il a passé sa vie à donner des ordres en exécution de directives reçues ; maintenant, il est tout à coup appelé à résoudre des problèmes dont il ignore complètement les éléments. Il ne possède que les nombreuses connaissances classiques du soldat blanchi sous le harnois. “

La conversation se porta ensuite sur l’Afrique du Nord. Groussard dit à Churchill qu’il était à son avis nécessaire de ne pas attirer l’attention de l’ennemi sur les possessions françaises dans cette région. Il insista sur le fait, qu’en tenant compte de l’Armée de Franco au Maroc, il faudrait, si l’on voulait donner quelque chance à un soulèvement contre l’Axe dans ce secteur, que les alliés débarquent en Afrique du Nord un minimum de 10 divisions, dont trois blindées, appuyées par mille avions au moins. A ce moment, le Premier Britannique qui s’était assis un instant auparavant en face de Groussard se dressa, leva les bras au ciel et dit au petit Général : ” Vous avez entendu ? Ce sont exactement les mêmes chiffres que ceux donnés par Weygand en février dernier. Jusqu’à nouvel ordre, il nous est humainement impossible de fournir un tel effort. “

Le Colonel Groussard en conclut, in petto, que, dès février 1941, Weygand avait déjà été en contact direct avec les Anglais. Il expliqua alors que, dans ces conditions, les alliés feraient bien de ne se limiter qu’à des préparatifs clandestins, en vue d’une action extérieure en Afrique du Nord. Les deux interlocuteurs en vinrent ensuite à parler de la Syrie, occupée par les troupes anglaises, en dépit de la présence de l’Armée française. Groussard souligna les difficultés rencontrées par le Général Dentz, Haut-Commissaire de France dans ce pays. ” Je comprends tout cela, dit Churchill, mais il était facile à Dentz de sauver la face, sans verser tant de sang ! “

Ce fut ensuite au tour de de Gaulle. Groussard affirma que sa popularité, en France, croissait à mesure que l’occupation allemande devenait plus rigoureuse ; mais quelle tristesse de voir la France divisée : Groussard s’efforça de résumer la situation avec clarté. Un des objectifs les plus importants, à l’heure actuelle, est d’unifier la Résistance en France.

” Pour l’instant, de Gaulle est sans discussion possible la force d’attraction la plus grande de la Résistance. ” Les Français viendront de plus en plus nombreux prendre part à la lutte contre l’Allemagne; mais on peut compter aussi sur ceux qui, par antipathie personnelle, animosité envers ses partisans, méfiance ou toute autre raison, ne voudront pas se trouver sous la coupe de la France Libre. Ce n’est là actuellement qu’une minorité. Il est cependant possible que cette minorité atteigne un jour une telle importance qu’il deviendra nécessaire de l’utiliser pour hâter, dans une certaine mesure, l’issue de la guerre. “

Churchill répondit qu’il y pensait depuis longtemps. Il y avait une grande tâche à remplir, il fallait en France et dans les territoires d’Outre-Mer unifier les forces combattantes de la France ; mais, du point de vue des alliés, il était encore plus important d’utiliser sans distinction toute l’aide qui se présentait. Groussard conseilla à Churchill de s’emparer de la Martinique. ” L’idéal serait ” que le Maréchal Pétain se mette secrètement d’accord avec le Général de Gaulle, pour ne pas contraindre l’Amiral Robert à livrer bataille, ce qui entraînerait des ” pertes sanglantes. ” Churchill sembla hésiter. Groussard pensa qu’un arrangement entre Vichy et les Forces Françaises Libres le rendait sceptique. Par malheur de Gaulle n’était pas à Londres mais en Syrie. Groussard donna à Churchill l’assurance qu’à son retour à Vichy il s’efforcerait de conclure un accord secret entre certains membres du Gouvernement du Maréchal et les Français Libres. ” Essayez, dit Churchill, je suis certain qu’un accord précis entre Vichy et nous facilitera considérablement l’entente que nous désirons entre de Gaulle et Pétain. ” Il posa à Groussard quelques questions sur Huntziger et dit à plusieurs, reprises :” Huntziger est un gentleman “.

Groussard néanmoins insista sur le fait que même un succès total de sa mission n’entraînerait, en aucun cas, un revirement de la politique de Vichy à l’égard des Alliés ; il ne ferait seulement qu’établir une coopération effective entre les Alliés et certains membres du Gouvernement de Vichy. Groussard estimait bon de ne porter la conclusion de cet accord qu’à la connaissance d’un groupe très restreint de personnalités, telles que le Maréchal Pétain et quelques-uns de ses collaborateurs immédiats : Huntziger, Weygand, l’Amiral Leahy et peut-être Bergeret. ” De toute façon, je ne voudrais pas prendre le risque d’informer l’Amiral Darlan de mon voyage en Angleterre, j’aurais trop peur que la Gestapo vienne ” le lendemain me chercher… “

Churchill souhaitait vivement que le secret de ma mission soit strictement conservé ; m’ayant entendu mentionner le nom de l’Amiral Leahy, il me déclara que la participation des États-unis à la guerre était désormais une certitude : ” La guerre prendra un tournant décisif le jour où les États-unis jetteront dans la balance le poids écrasant de leur puissance. Je vous assure que vous n’aurez plus de longs mois à attendre pour que cet événement se réalise ; d’ailleurs, ajouta-t-il, avant l’entrée en guerre des États-unis, nous pourrions avoir une grande surprise. “

C’était là une allusion à l’attaque imminente d’Hitler contre la Russie. (Groussard était encore à Londres quand elle eut lieu.) Il se leva pour prendre congé ; Churchill l’accompagna jusqu’à la porte et lui exprima de nouveau son désir de voir la France revenir à son ancienne grandeur. Les larmes aux yeux, il lui serra les deux mains et lui souhaita bon voyage. Groussard venait ainsi d’accomplir la première partie de sa mission. Il sortir et disparut dans le ” black out ” de Londres.

Pendant son séjour à Londres, le Colonel Groussard prit plusieurs contacts importants. Il se rendit au Foreign Office et fut reçu par M Eden. Il lui exposa la nécessité qu’il y avait, d’après lui, à rassembler les Français dans une Résistance unique, sans idée politique. Là aussi, l’accueil fut bon et encourageant. Alors, par voie détournée, il envoya au Général Huntziger un message radio l’informant de la tournure favorable que prenait sa mission. Il rendit également visite à M. Winant, l’Ambassadeur des États-unis, très impatient, lui aussi, de savoir quand son pays déclarerait la guerre. La conversation fut courtoise et franche; Winant désirait vivement savoir quelles étaient, en France, les possibilités d’action du Général de Gaulle, et quels étaient les sentiments réels de Pétain, Huntziger et Darlan.

Le Colonel Groussard lui fit, sur la situation en France, le même exposé que celui qu’il allait faire à l’officier commandant les services secrets anglais, celui que l’on appelait le ” vieux Colonel ” : ” Une proportion relativement faible de la population française, d’ailleurs divisée, déteste de Gaulle et son activité : ce sont les ” collaborateurs “. La grande majorité sympathise de tout coeur avec de Gaulle, et écoute la radio de Londres quand elle peut. Une courageuse minorité enfin combat dans la clandestinité et témoigne ainsi que le seul chef reconnu par eux est l’Homme du 18 Juin. ” Entre ces extrêmes, vous avez la masse de ceux qui, faute de termes mieux appropriés, peut prendre le nom de ” Pétainistes “. Il ne faut pas se dissimuler qu’actuellement (il n’en sera pas toujours ainsi), ceux-ci, quoique en lente diminution, ont des racines profondes dans le pays. La déroute de nos armées a été pour nous, Français, un choc si violent, le nombre de nos prisonniers de guerre est tellement considérable, la propagande de Vichy par la presse et la radio est d’une telle insistance, enfin, le prestige du Maréchal Pétain est si grand, qu’il aurait difficilement pu en être autrement. Ce sont d’ailleurs pour la plupart des hommes simples. Il est impossible, à leurs yeux, que le vainqueur de Verdun puisse se tromper, ou qu’il puisse jouer le jeu des Allemands. La position de Pétain est autrement plus forte que celle de de Gaulle : Il représente, en premier lieu, le Gouvernement légal. D’autre part, son autorité et sa personnalité lui confèrent une profonde influence tant auprès des vétérans de 1914-18 qu’au sein du peuple entier. “

Groussard conclut son exposé en affirmant qu’il était cependant possible de s’appuyer sur certains membres du Gouvernement de Vichy dans le but de poursuivre la lutte engagée contre l’ennemi. Sur ces entrefaites, Groussard apprit par une communication de Vichy que le Maréchal avait été informé de sa mission et qu’il lui donnait son approbation. Ce qu’il fallait maintenant réaliser, c’était un accord secret entre les membres du Gouvernement de Vichy et les Alliés, d’une part, et entre Vichy et de Gaulle, d’autre part.

Pendant son séjour à Londres, Groussard, resté en contact avec ses réseaux du continent, avait reçu divers renseignements intéressant la Marine. Les Services de Renseignement Britanniques, auxquels il les transmit, lui en furent très reconnaissants.

Il reçut également une invitation à dîner de celui qu’il avait appelé le ” vieux Colonel “. Comme bien des services secrets, le Service de Renseignement Anglais avait une organisation double.

” Le vieux Colonel était chargé de tout ce qui était ultra secret. Il avait à prendre les décisions les plus importantes ; il était, assurément, l’homme au ” monde le plus redouté ” ; c’est lui que les combattants des armées secrètes craignaient, en tout cas, le plus. ” Ils dînèrent dans un club de Londres avec l’officier supérieur chargé de mission auprès de Groussard. Le ” vieux Colonel ” était âgé d’environ 6o ans, il était chauve, de taille moyenne, bâti en force ; ses mouvements étaient mesurés, son visage exprimait le calme. Il parlait parfaitement le français. Ses connaissances sur la France impressionnèrent Groussard : ” J’avais l’impression qu’il en savait sur mon pays plus que moi. “

Le ” vieux Colonel ” dit à Groussard que ses projets lui semblaient réalisables : jamais la conclusion d’un accord entre les éléments sains du Gouvernement de Vichy et les Anglais ne s’était présentée sous un jour aussi favorable. ” En réfléchissant bien, je pense que ceux qui pourraient se succéder au Gouvernement ne feront pas mieux. Huntziger s’en ira, Weygand aura de plus en plus les mains liées et quant à Pétain, plus le temps passera, plus il risquera de faiblir, de se décourager, de se laisser abuser par les manoeuvres des Allemands ” et de leurs valets. “

Le regard du ” vieux Colonel ” s’assombrit, il laissa paraître une nuance de regret :” Quel malheur, dit-il, que vous n’ayez pu venir à Londres aussitôt après ” votre entente avec Huntziger ! je ne dis pas que c’est maintenant trop tard, mais l’atmosphère de Vichy est devenue si lourde, l’attitude de Darlan si équivoque, qu’il nous faudra non seulement être prudent ou utiliser la ruse, mais aussi avoir beaucoup de chance. “

Après quelques instants de silence, le ” vieux Colonel ” reprit :” Vous avez 50%de chances de réussir, ce n’est pas si mal. “

Le Colonel Groussard éprouvait un grand respect pour les Services Secrets Anglais. Il estimait que les Anglais étaient, sous ce rapport, les maîtres de la deuxième guerre, comme ils l’avaient déjà été lors de la première guerre. Il fit donc grand cas du jugement porté par le ” vieux Colonel ” sur la situation.

Pendant les jours qui précédèrent son départ, Groussard fut très occupé. Il assista à des manoeuvres de Corps d’Armée, exécutées par le Général Montgomery, sous la direction du Général Alexander. Il fut très favorablement impressionné par les progrès réalisés par l’Armée anglaise depuis la période de mars à juin 1940, époque à laquelle il l’avait, pour la dernière fois, vue combattre sur le front. Il assista également d’un poste de contrôle ” quelque part en Angleterre ” à la direction des opérations aériennes, au-dessus d’Abbeville.

Il ne s’agissait plus maintenant que d’organiser une liaison avec le Général de Gaulle. Cette deuxième partie de sa mission était d’autant plus difficile à réaliser que de Gaulle était en Syrie. Churchill et Eden avaient formellement interdit à Groussard toute prise de contact avec le Directeur politique du Général de Gaulle : M. Dejean. Groussard, néanmoins, crut bon de passer outre : il eut un entretien avec Dejean. Ce fut une grande déception, car ce dernier n’avait alors sur la Résistance que des vues étroites et partisanes.
Le contact le plus fructueux avec la France Libre fut celui qu’il eut avec son ancien subordonné à Saint-Cyr, le Commandant Passy, alors chef du 2ème Bureau du Général de Gaulle. Groussard joua cartes sur table ; il lui révéla quelle était son activité en France, les cellules qu’il avait organisées, depuis la dissolution de la police auxiliaire qu’il commandait. Il lui parla de ses cinq réseaux de renseignement, de son groupe de représailles. Il proposa de les mettre à la disposition du Général de Gaulle. L’essentiel était d’obtenir des résultats ; pour cela, il fallait de l’argent. Il préférait évidemment que le financement soit effectué par la France Libre. Dans le cas contraire, il l’obtiendrait des Anglais.

Ils conclurent un accord provisoire sur la somme de deux millions de francs, que l’agent gaulliste Fourcaud lui remettrait à son retour en France. Cet argent suffisait pour assurer pendant deux mois, la marche des cinq réseaux de renseignements.

Groussard devait faire au mieux avec les cellules qu’il venait de mettre sur pied, et réexaminer la question avec Passy, à son prochain voyage à Londres. D’un commun accord, ils décidèrent que Groussard s’efforcerait, sous sa propre responsabilité, d’unifier la Résistance intérieure française, et d’en référer au plus tôt à de Gaulle et de se soumettre à ses décisions, en cas de réussite.

La mission Groussard était maintenant accomplie. Il avait obtenu, auprès des Français Libres, la compréhension qu’il avait recherchée ; il avait établi des relations avec Churchill, Eden et Winant.

L’Intelligence Service aurait désormais avec certains ministres de Vichy des relations officielles tout en demeurant secrètes. Groussard avait les noms et adresses des gens par lesquels il pouvait sans délai communiquer avec l’Angleterre. Le 1er juillet, enfin, il prit de nouveau l’avion pour Lisbonne.

Au Portugal, ” Georges Gilbert ” redevint ” Georges Guérin “, et s’envola pour Madrid, il gagna Pau par le train et se rendit à Toulouse, puis à Marseille, pour y rencontrer Fourcaud et ses chefs de réseaux ; il se dirigea ensuite vers Vichy. Il s’installa aux environs de Ferrières-sur-Sichon, chez Louis Guillaume, directeur d’une agence de détectives privée bien connue. Il fit savoir au Général Huntziger qu’il était de retour et, le lendemain, il était reçu par le Ministre de la Guerre.

Il découvrit que Huntziger craignait par-dessus tout d’être compromis par une indiscrétion :” J’ai toujours la confiance du Maréchal, mais j’ai, en la personne de Darlan, un ennemi acharné. Je suis continuellement surveillé, et je ne sais ce qui se passerait si l’Amiral avait des preuves lui permettant de m’attaquer ouvertement. Dans les circonstances présentes, je ne pourrais me défendre avec succès. ” . Il fut satisfait du résultat des entretiens avec Churchill, mais manifesta une certaine appréhension lorsqu’il eut connaissance des contacts pris par Groussard avec Dejean et Passy.

Pourtant, en tant que Français, Groussard ne pouvait pas agir autrement. Huntziger devait aller voir le Maréchal et obtenir son approbation pour une nouvelle mission à Londres.

Le lendemain, Groussard reçut un message d’Huntziger lui demandant un rapport écrit. La note était rassurante :” J’ai vu le Maréchal, hier soir, tout va bien. ” Le rapport du Colonel Groussard ne tarda pas à être remis au Maréchal. Groussard reprit ses relations avec les Colonels Baril et Ronin, il revit le Docteur Ménétrel et plusieurs autres personnalités favorables.

Pendant ce temps on établissait le programme de sa mission. Ménétrel lui procura un nouveau passeport revêtu du visa espagnol . Le Docteur dit à Groussard que le Maréchal était satisfait de la perspective de négociations avec les Alliés, mais qu’il lui interdisait tout rapport avec les Français Libres. Ménétrel crut bon d’ajouter que l’Amiral Darlan et Pucheu, son ministre de l’Intérieur, représentaient un véritable danger ; il promit, au cas où quelque chose irait mal, de l’en aviser à Ferrières et s’engagea, en cas de nécessité, à le conduire personnellement en voiture de l’autre côté de la frontière espagnole.

A sa sortie de l’Hôtel du Parc, Groussard s’aperçut qu’il était suivi ; cela ne l’inquiéta pas outre mesure, Louis Guillaume lui ayant en effet prêté une voiture rapide.

Il consacra les jours suivants à préparer sa mission, à s’entretenir avec Huntziger, à évaluer la puissance de ses adversaires : Darlan et Pucheu à Vichy, Laval, Brinon, Luchaire, Deloncle, Doriot, Bucart, Chateaubriant à Paris.” Ne nous faisons aucune illusion, dit Huntziger, tôt ou tard, et sans doute hélas, plut tôt que tard, les Allemands apprendront que nous sommes en train de négocier. Dans la conjoncture actuelle, il est de la première importance d’être en mesure de travailler le plus longtemps possible. ” Il serra la main de Groussard. Ils ne devaient plus se revoir. La nuit suivante, Groussard était chez Guillaume à Ferrières en train de déchiffrer des messages de Londres quand la police fit irruption dans la pièce où il se trouvait, et le mit en état d’arrestation. Darlan et Pucheu avaient eu vent de l’affaire et avaient agi trop rapidement pour que Ménétrel pût intervenir. Groussard fut conduit à Vichy sous escorte. Huntziger fit son possible, mais ne put obtenir de Darlan qu’il lâche sa proie. Le Maréchal ne leva pas le petit doigt pour venir à son secours. Le Colonel Groussard eut encore de nombreuses aventures tout au long de la guerre secrète contre les puissances de l’Axe.

Les Services de Renseignements Britanniques ont eu de multiples raisons d’être reconnaissants à Groussard pour les rapports de ses milliers d’agents, transmis de Suisse où il avait installé son Poste de Commandement. Le Colonel Groussard ne porte aujourd’hui aucune condamnation contre Pétain, pour ne pas l’avoir couvert lors de son arrestation : ” C’était le jeu , dit-il à l’auteur de ce livre ;” les agents secrets doivent toujours s’attendre à être désavoués. ” Il n’éprouve pas plus de rancune à l’égard de Laval, qui le fit également arrêter (Groussard fut arrêté deux fois) ; il est en effet persuadé que Laval avait agi de bonne foi, et qu’il considérait la victoire allemande comme certaine, grâce à l’emploi de nouvelles armes secrètes. A l’occasion, il marque même son estime à l’égard des officiers allemands de l’Armée active.

L’histoire du Colonel Groussard symbolise d’une manière parfaite le courageux esprit d’initiative, la farouche résolution de résistance qui régnaient alors dans l’esprit des officiers de l’Armée française. Elle brosse un tableau saisissant de la vie et du monde de Vichy sous l’occupation. C’est en plus l’histoire d’un vrai gentilhomme de France…




Services speciaux et Deuxieme bureau

Dans nos derniers Bulletins, nous avons publié quelques avis autorisés sur les SERVICES SPECIAUX et leurs oeuvres.

Aujourd’hui, l’un de nos camarades, que nous considérons comme l’un des spécialistes les plus qualifiés du “2ème BUREAU”, nous donne son point de vue – celui du Commandement. En fait,- sur l’indispensable liaison à établir entre SERVICES SPÉCIAUX et 2ème BUREAU.

Dans le Bulletin N° 13, plusieurs témoignages dénonçaient le scepticisme général en matière de Renseignement et de Sécurité, l’inorganisation aussi de Services Spéciaux et Militaires adaptés aux formes nouvelles des conflits.

Cette fois encore, au travers du travail technique de notre correspondant, apparaît le manque de coordination et d’impulsion qui doit être l’oeuvre du Commandement (Civil ou Militaire) à l’échelon le plus élevé.

En diffusant des avis de spécialistes aussi autorisés, nous espérons que nous finirons par intéresser les “Pouvoirs publics” à un problème dont ils ignorent le plus souvent les données élémentaires.

Nous poursuivrons donc ce travail contre vents et marées, parce que nous savons que dans la conjoncture actuelle, l’utilisation rationnelle des SERVICES SPECIAUX et leur développement adapté aux circonstances est la meilleure défense de notre Patrie.

Alors que les profanes, dont l’éducation a été faite exclusivement par le film et le roman policier, font une confusion regrettable des SERVICES SPECIAUX et des 2èmes BUREAUX, il existe souvent, en fait, une rivalité entre les organismes voués au Renseignement, rivalité qui peut conduire les uns et les autres à des comportements incompatibles avec l’intérêt général.

Ce petit exposé est l’oeuvre d’un “spécialiste” du 2ème Bureau, n’ayant jamais appartenu aux Services Spéciaux, ayant toujours – ou presque – entretenu avec eux les meilleures relations et en ayant ainsi apprécié le bénéfice.

Que les adhérents de l’A.S.S.D.N. ne s’étonnent donc pas de trouver ici un point de vue sensiblement différent, sans doute, de celui qu’ils adoptent généralement. Qu’ils n’y voient nul amour-propre mal placé, mais le seul désir d’aider à la création d’un climat toujours favorable pour le meilleur service du Commandement responsable.

LE CHEF DE GUERRE a besoin de RENSEIGNEMENTS pour DECIDER et AGIR.

Tout acte de guerre exige une décision de la part d’un Chef ou, plus exactement, un ensemble de décisions prises à chaque échelon par le chef responsable de chacun d’eux. On peut dire, bien entendu, qu’il y a guerre dès qu’il y a un ennemi, intérieur ou extérieur, même sans rupture officielle des relations entre deux pays, voire entre le pays légal et une opposition.

Or aucune décision n’est valable, qui ne tienne compte de l’ennemi. La connaissance de l’adversaire est une des bases indispensables au succès. On s’est toujours efforcé de l’avoir aussi parfaite, aussi complète que possible.

Il fut un temps où ce système était relativement facile à résoudre celui où les armées, peu nombreuses, lentes, se trouvaient, lors de la rencontre dans le champ visuel du Chef. Celui-ci pouvait alors décider sur un ennemi bien connu dont rien ne lui échappait. Mais très vite le Chef éprouva l’impérieuse nécessité de savoir, avant la rencontre, à qui il aurait affaire, où et quand ?

Ce jour-là le problème du Renseignement fut posé. Il ne tarda pas à prendre une ampleur considérable.

Pour le résoudre, l’idée d’envoyer des informateurs chez l’ennemi lui-même, de susciter des trahisons, se forma vite. L’informateur avant la bataille, les yeux pendant la bataille suffisaient. Le Chef lui-même pouvait ensuite utiliser, exploiter ces renseignements qui d’ailleurs trouvaient dans le temps un échelonnement normal. Le rôle de l’informateur s’effaçait lorsque le contact était pris. Cette époque n’est pas si lointaine. Napoléon, il y a cent cinquante ans, ne laissait à personne le soin de lancer ses agents puis d’observer le combat.

L’augmentation des effectifs engagés rendit impossible l’observation directe de l’ensemble du champ de bataille et, à fortiori, du ou des théâtres d’opérations. L’existence de moyens ennemis non engagés conduisit à poursuivre l’investigation des agents alors que la bataille était déjà en cours. Le Chef dut abdiquer en partie et confier à un auxiliaire le soin de recevoir ces renseignements et de les lui présenter. Ainsi naquit le 2ème BUREAU.

Chaque élément de premier échelon dut signaler ce qu’il constatait chez l’ennemi au contact. Le rapport qui existait entre l’ennemi vu à l’arrière et l’avant avait toujours été retenu. La rapidité des mouvements faisait de plus en plus immédiate la menace que l’ennemi lointain pouvait constituer pour le front d’engagement. Il n’était absolument plus possible de considérer avant et arrière comme deux domaines indépendants. Ils avaient été analysés par les agents et les troupes au contact. Il fallait confronter ces analyses, parvenir à une vue d’en­semble. Le Chef, axé sur une bataille qui offrait une complexité de plus en plus grande pouvait-il encore s’attacher aux détails qu’ils soient de mouvements, de ravitaillement ou de Renseignement ? Certainement pas. Aussi, dans ce dernier ordre d’idées, le 2ème BUREAU, de simple collecteur, devint-il organe de synthèse.

En outre, l’observation directe, complétée par l’action lointaine des agents, fut bientôt renforcée par d’autres moyens. L’aviation, les écoutes, le radar, remplirent le hiatus qui existait entre le contact et l’arrière éloigné et que ne comblaient suffisamment ni les interrogatoires de prisonniers, ni l’étude des documents.

La recherche, la centralisation et l’exploitation des renseignements devinrent ainsi un énorme travail pour les 2èmes Bureaux.

La nécessité de saisir l’ennemi sous les aspects de plus en plus différents qu’il présentait : courants envoyés sur les fils, ondes, avions rapides s’imposa, s’ajoutant aux activités multiples du contact, sur mouvements des arrières.

On ne conçoit pas aujourd’hui la possibilité de faire un tableau exact et complet de l’ennemi en négligeant systématiquement un des aspects qu’il soit aérien, radio, ou tout bonnement terrestre. Mais encore plus, on ne comprendrait pas, sinon dans un but d’information technique, une description de l’ennemi ne comportant qu’un seul aspect.

Comment engager une action valable en connaissant seulement l’activité aérienne ou uniquement la situation terrestre de l’adversaire ?

Or, chacun des moyens de recherche ne donne, soit du fait de ses caractéristiques techniques, soit de par les conditions dans lesquelles il travaille, qu’un aspect incomplet de l’ennemi. L’aviation n’a jamais pu donner à coup sûr les effectifs, l’observation terrestre est limitée par la première crête. Les agents, qui peuvent donner presque tout, sont sans possibilité sur l’extrême avant et connaissent même de grosses difficultés quand il s’agit de travailler sur les arrières, à l’intérieur de dispositifs compacts et vigilants.

NECESSITE DE RECOUPEMENT ET DE LA SYNTHESE.

De plus, chacun sait l’intérêt du recoupement : or, il n’y en a pas de meilleur au renseignement recueilli par un moyen, qu’une investigation faite sur le même objet par un autre moyen.

Enfin, un renseignement recueilli par un moyen quelconque, isolé, aviation, radar, troupes terrestres; services spéciaux, risque de laisser dans l’ombre un point intéressant. Confronté avec les résultats obtenus par d’autres sources, il prend toute sa valeur.

Une synthèse n’est jamais polyvalente. Elle doit toujours répondre aux besoins réels du commandement responsable, suivant sa zone d’action, sa mission, les nuances mêmes de celle-ci, l’effort dans le temps et l’espace.

Un seul Bureau centralise toutes les questions de transport, de ravitaillement et coiffe les services chargés de leur réalisation. C’est par une seule voie que le Chef doit recevoir la synthèse répondant à ses soucis. Lui en envoyer plusieurs, c’est l’obliger à choisir, à faire une super synthèse, lui-même, ou à travailler sur des notions fragmentaires.

Le 2ème BUREAU reçoit du Chef responsable le Plan de Renseignements, énoncé des besoins pour la manoeuvre à effectuer. Ce plan est le guide pour l’établissement de la synthèse.

TRAVAIL EN COMMUN DES 2èmes BUREAUX ET SERVICES SPECIAUX.

Cet examen schématique de l’évolution du problème du renseignement permettra peut être de mieux comprendre le point de vue du 2ème BUREAU.

Il semblerait résulter de cette étude que ce Bureau voudrait se voir subordonner les SERVICES SPECIAUX, et, plus exactement, voir ses services découpés en tranches correspondant aux divers échelons de responsabilité.

Il n’en est rien.

Le 2ème BUREAU sait parfaitement qu’il est deux catégories de moyens de recherche : ceux qui travaillent normalement dans le cadre des unités tactiques et stratégiques, et ceux qui échappent à ce cadre. Parmi les premiers figurent par exemple les unités au contact, l’observation terrestre. A ceux-ci, le 2ème BUREAU peut rapidement et facilement faire donner l’ordre d’effectuer des mouvements, des actions même, nécessaires pour obtenir un renseignement particulier ; il leur adresse des “ordres de recherche”, traduction technique des “plans de renseignements”.

Aux moyens qui n’appartiennent pas à son échelon tactique ou stratégique, le 2ème BUREAU ne peut adresser que des demandes de recherche. Il sait que limiter leur action à un cadre étroit, les compartimenter, c’est réduire leur rendement. ­C’est bien le contraire qu’il désire,

Mais ce qu’il demande, c’est que ces organes de recherches lui donnent tous les renseignements sous une forme brute, la seule qui lui permette d’établir la synthèse que son chef veut avoir. Il demande aussi que les renseignements ne soient pas envoyés ou communiqués directement au chef responsable ou au bureau “opérations”. Ceci parait secondaire; mais combien de fois a-t-on vu tout un travail de synthèse ruiné par un renseignement qui, présenté isolément, a été négligé, ou au contraire, grossi exagérément, a suffi pour déclencher une action intempestive.

A chaque échelon de commandement, il y a un responsable. Ne rendons pas sa tâche impossible.

Le Chef ne doit pas recevoir deux ou plusieurs synthèses; peut être contradictoires, sûrement divergentes. La confrontation des résultats doit se faire entre le chef du 2ème BUREAU et le responsable local des SERVICES SPECIAUX, avant toute présentation .

Il va de soi que cette liaison n’est pas à sens unique. Le 2ème BUREAU doit se considérer comme appartenant à une “Equipe”, englobant tous les autres 2èmes Bureaux et les organes de recherche. Il lui faut, non seulement, répondre aux demandes de recherche que lui adressent les SERVICES SPECIAUX, mais encore favoriser les recoupements, mettre ces Services dans son ambiance en leur communiquant ses préoccupations, ses bulletins de renseignements, voire ses synthèses.

Dans cette aide donnée par le 2ème BUREAU, n’oublions pas que, s’il existe un front, il est responsable du passage des agents. Mieux que n’importe qui, il sait où le franchissement sera le plus facile et même le plus immédiatement payant.

On voit donc comment cette collaboration doit s’établir à tous les échelons, faite d’ailleurs plus de contacts personnels et d’union intellectuelle, que de documents échangés.

Mais nous avons vu les raisons qui justifiaient l’établissement de ces règles. C’est en particulier l’abondance des moyens de recherche, qui, dans la zone de contact, conduit à cette primauté du 2ème BUREAU. Sur les arrières lointains, il n’en est plus de même. La part des SERVICES SPECIAUX peut y être telle, si même ils n’y sont pas seuls à pouvoir agir, qu’ils deviennent naturellement les meneurs du jeu. S’ils sont seuls à faire l’investigation analytique, seuls aussi ils peuvent faire la synthèse utile au Commandement ou au Gouvernement. Qu’ils n’oublient pas l’appoint possible des autres moyens.

L’IMPORTANCE CROISSANTE DES SERVICES SPECIAUX.

C’est d’ailleurs au Commandement Civil ou Militaire, responsable, qu’il appartient de répartir les responsabilités entre les moyens et de prescrire les centralisations et les liaisons qu’ils doivent assurer.

On voudrait être sûr que, dans le domaine du renseignement, ils pensent quelquefois !

La situation présente et les conditions dans lesquelles se dérouleront les conflits de l’avenir ne peuvent manquer d’accroître le rôle des SERVICES SPECIAUX.

En effet, alors qu’avec les moyens “classiques” un temps appréciable s’écoule entre la mise sur place, la fabrication, l’instruction des unités et des armes et leur engagement, et que ces délais donnent le loisir de déterminer la valeur de ces moyens et la direction qu’ils prennent, l’avenir sera bien différent.

De l’usine au point de chute, les délais seront à peu près nuls. Les engins seront “tous azimuts”. On devra se borner à déceler leur existence. Mais on ne pourra le faire qu’au stade de l’étude ou de la fabrication. Seuls les SERVICES SPECIAUX pourront s’en charger.

L’Aviation pourra être une aide. De même, les “écoutes-radio”, sans doute d’autres moyens .. Et alors les SERVICES SPECIAUX devront tenir compte des renseignements obtenus par d’autres organes de recherche, qui travailleront pour eux. Il leur faudra bien synthétiser ces résultats, ou il faudra bien que quelqu’un le fasse pour eux. Nous avons de bonnes raisons de croire que ce travail n’est pas fait ac­tuellement avec une méthode rigoureuse.

AUTRES MISSIONS COMMUNES AUX 2èmes BUREAUX ET SERVICES SPECIAUX.

Les SERVICES SPECIAUX n’ont certes pas cette seule mission de renseignement dans le domaine militaire. C’est elle qui exige le plus d’entente mais déclenche le plus de “compétitions” avec les 2èmes Bureaux, C’est pour cela que nous lui avons donné la première place.

Les autres missions tout aussi importantes, réclament aussi des liaisons entre ces différentes organisations.

Certes, le 2ème BUREAU n’a pas à s’immiscer dans la lutte menée contre l’ennemi intérieur, jusqu’à ce que celle-ci se transforme en guérilla. Mais il ne peut être pris au dépourvu. Si l’Autorité Civile se dessaisit de ses pouvoirs au profit de l’Autorité Militaire, celle ci doit être renseignée et se préparer à la tâche qui l’attend. Les SERVICES SPECIAUX doivent songer en permanence à cette responsabilité qui peut échoir au Chef Militaire. C’est une obligation pour eux que d’informer les 2èmes Bureaux de ce qui les attend.

Enfin qu’il s’agisse de la lutte contre l’Espionnage ou du maintien de la cohésion nationale, il est indispensable qu’il connaisse le point d’application de l’effort ennemi. Il y a souvent une liaison intime entre la zone où l’ennemi intensifie ses renseignements, le sabotage matériel ou moral et l’action frontale à venir. Ces renseignements sur l’effort de l’adversaire en profondeur, confrontés avec les possibilités qu’il a pu se constituer pour une action purement militaire, permettent de lever bien des doutes.

Pour ce qui est de la mission “Action” sur les arrières ennemis, dont sont chargés les SERVICES SPECIAUX, la part des organes de synthèse sera du même ordre. Bien orientée, la recherche au contact pourra déceler des objectifs intéressants : les documents recueillis, les interrogatoires des prisonniers contiennent de nombreuses données sur la vie des arrières lointains. Encore faut-il les rechercher et, avant tout, savoir l’intérêt qu’elles présentent.

Ces actions ne sont pas sans répercussions sur les moyens au contact ne serait-ce que sur leur moral. Il appartient aux 2èmes Bureaux de les rechercher. Il ne s’agit pas pour cela de les mettre dans tous les secrets mais bien d’utiliser leurs possibilités. Pour cela, point n’est besoin de dévoiler les buts que l’on veut atteindre au loin. Des demandes de recherches bien étudiées et bien rédigées suffisent.

Des 2èmes Bureaux instruits et disciplinés savent exécuter de tels ordres intelligemment, tout en comprenant les servitudes du secret .

Recherche et Exploitation doivent être coordonnées à l’Echelon le plus élevé.

Tout le problème des rapports entre les 2èmes BUREAUX et les SERVICES SPECIAUX peut se traduire en quelques mots :

Il y a UN ennemi, mais d’aspects de plus en plus complexes.

Le Chef responsable doit prendre ses décisions en toute connaissance de cet ennemi.

Les différents aspects de l’Ennemi sont relevés par des moyens de recherche de plus en plus nombreux et de moins en moins unifiés. La part de chacun est variable suivant les circonstances.

Tous ces aspects sont indispensables pour faire un tableau ressemblant de l’ennemi, c’est la synthèse que le Chef ne peut plus faire lui-même.

Qui doit lui présenter cette synthèse ? Organe de recherche, ou organe de synthèse ? L’un ou l’autre. Certainement pas l’un et l’autre. La technique, les règles qui commandent le fonctionnement du renseignement donnent à ces deux organismes le moyen d’assurer leurs liaisons et le meilleur rendement de l’ensemble. Encore faut-il que le Chef responsable au niveau le plus, élevé, – qu’il soit civil ou militaire – répartisse les rôles de chacun. C’est une question d’organisation générale qu’il faut, aujourd’hui plus que jamais, pousser à un degré extrême de minutie. Nous craignons fort qu’en dépit des affirmations, et des bonnes volontés des exécutants, cette organisation soit négligée ou insuffisante. Peut être parce qu’aux échelons nationaux et gouvernementaux on n’a pas encore compris l’importance capitale du RENSEIGNEMENT.




L’inspecteur du C.E. francais etait un espion allemand

Le but suprême de tout C.E. offensif consiste à pénétrer et à noyauter le S.R. adverse. Le C.E. offensif de l’Abwehr allemande (section III f) n’a été créé qu’en 1936 alors que notre C.E. offensif récoltait toutes les semaines le fruit du travail commencé déjà avant l’évacuation de la Rhénanie (10 juin 1930). Néanmoins, les sections III f ont réussi avant la guerre quelques petites opérations de ce genre. L’une de ces opérations fait l’objet de la présente histoire vécue. Si je dis 3 petites opérations ” ce n’est pas pour minimiser les succès des services spéciaux allemands, car pendant la guerre le C.E. offensif allemand a été en mesure d’intoxiquer avec succès plusieurs S.R. alliés, notamment dans l’affaire « Nordpol » en Hollande.

Revenons à nos adversaires directs d’avant-guerre. A partir de mars 1936, date de l’occupation militaire de la Rhénanie par l’armée allemande, l’Abwehrstelle de Kassel (Vehrkreis IX) détacha un Capitaine III f en antenne avancée à Trèves, face au Grand-Duché de Luxembourg, à la Belgique et à notre Région Militaire, avec mission d’opérer surtout contre la France.

Cet officier, camouflé comme commerçant, choisit des pseudonymes commençant toujours par la lettre R : Ritter, Robert, etc. Nous apprîmes plus tard que son nom réel était REILE Oscar.

Les officiers du S.R. allemand avaient une prédilection pour le titre de ” Docteur “.

Le Docteur RITTER n’échappa pas à cette règle et, pour se moquer de cette manie, certains officiers du S.R. français firent quelquefois de même, par exemple Docteur SORGE.

Autant que nous ayons pu en juger, REILE traitait avant la guerre au Luxemhourg, en Sarre et le long de la frontière française surtout des petits ” Grenzspione “, c’est-à-dire des frontaliers recrutés parmi les bergers, les cheminots, les anciens légionnaires et les douaniers allemands ; tous ces agents étaient incapables de renseigner le S.R. allemand en profondeur sur la France. La police spéciale, objectif du C.E. allemand REILE faillit réussir un coup de maître en mars 1936 non pas par le recrutement d’un membre du S.R. français, mais d’un inspecteur de la police spéciale française. L’affaire dura un peu plus d’un an. On sait que la police spéciale dans les gares et aux postes frontière était chargée du renseignement politique et de la répression de l’espionnage jusqu’au moment de la création des Commissariats de Surveillance du Territoire dans les Régions Militaires.

Aux yeux des services spéciaux allemands toutefois toute la police spéciale française faisait partie du S.R. français, probablement en souvenir de la Sûreté de l’Armée du Rhin, qui, de 1919 à 1930, faisait souvent concurrence à notre S.R. militaire en Rhénanie et dans la Ruhr. Il y aurait beaucoup à dire sur ce triste chapitre qui provoqua des incidents multiples, même pour la diplomatie (arrestation de l’inspecteur Klein à Remagen, en Rhénanie non occupée, etc.).

D’ailleurs quelques rares anciens fonctionnaires de cette Sûreté de l’Armée du Rhin avaient conservé, après le repli de l’Armée du Rhin en France, cette manie de faire du renseignement militaire au-delà des frontières, sans en avoir les moyens ni la compétence, à tel point qu’un Commissaire spécial considérait le Grand-Duché de Luxembourg comme son propre ” fief ” et gênait souvent nos propres contacts dans ce pays.

Rendons cependant justice au personnel de la Sûreté : les rares exceptions de concurrence ” déloyale ” étaient largement compensées par de nombreux autres fonctionnaires de cette Sûreté qui collaboraient loyalement et efficacement avec nos S.R. et C.E. en recrutant des agents pour notre compte, servant souvent d’intermédiaires, de boîtes aux lettres. L’exemple de Kemppff est à cet égard particulièrement probant.

Mais venons-en au fait. J’entends examiner cette affaire de l’inspecteur traître, au double point de vue : français et allemand Intervention de ce Français à Longwy Les aveux

En août 1938, un touriste français, revenu un dimanche soir d’une excursion en Allemagne par le poste frontière luxembourgeois de Remich sur la Moselle, signala à un de nos camarades du Service qu’il avait vu en territoire allemand un nommé B…, qu’il connaissait vaguement comme inspecteur de la police spéciale de Longwy ; B… y avait discuté dans un café d’une façon ” conspirative ” avec un Allemand louche. C’était surtout le fait qu’après avoir traversé le pont de la Moselle, B… avait changé à Remich un billet de 100 marks qui avait incité le touriste en question à faire part de ses soupçons. Il était bigrement bien inspiré.

Remarquons en passant que contrairement aux touristes britanniques circulant en pays étrangers, qui faisaient à leur retour leurs rapports à l’I.S., le Français voyageant à l’étranger a toujours répugné à rendre compte au ” Deuxième Bureau ” des faits militaires, politiques et autres qu’il a pu constater en pays étrangers.

Après avoir consulté le Service Central (SCR) nous avons estimé que pour plusieurs raisons (dont il sera peut-être question dans un autre récit) le Commissaire Spécial, Chef du secteur de C.E. de Longwy, ne nous paraissait pas l’homme idoine pour tirer l’affaire B… au clair.

Etant donné le personnage de B… (connu comme individu brutal) et ses fonctions au poste de C.E. à la frontière, il a été convenu de ” faire affaire ” avec le concours du Commissaire de la B.S.T. de Nancy, poste nouvellement créé et dirigé par un ami très compétent, Albert KOENIG.

Un examen de la situation devait avoir lieu immédiatement à Longwy même.

B… était en congé chez lui ; il fut convoqué au bureau et pour qu’il ne nous fausse pas compagnie, son logement avait été surveillé.

Il arriva immédiatement au bureau de la gare, un peu étonné, et comprit de suite la signification des messieurs inconnus de lui qui l’interrogèrent.

L’accouchement se fit assez rapidement sans césarienne. B… avait commis l’imprudence de se rendre en Allemagne. Résultat (provisoire) : vingt ans de travaux forcés en 1939 à Metz.

C’était le S.R. français de Metz qu’il avait été chargé de pénétrer en première urgence.

B…, vu par le S.R. allemand

Quinze ans après la guerre, le Lieutenant-Colonel REILE (cheveux châtain clair, yeux bleus, teint brun) de l’Abwehr III f a relaté à sa façon, l’affaire de l’inspecteur B… qu’il appela ” Flobert ” et dont il fit un Commissaire du service secret français, recruté par l’agent allemand Peter Brenner du Luxembourg (bien connu de nos services longtemps avant la guerre).

REILE prétendit que B… avait reçu à plusieurs reprises des sommes de mille marks en échange de photocopies des documents secrets français. B… avait avoué avoir seulement perçu des centaines de marks (il avait changé un billet de 100 marks à Remich) et avoir remis les originaux des documents (ils étaient pliés !).

REILE précisa d’ailleurs que dans la suite il avait donné à B… des sommes relativement faibles pour le maintenir sous pression. Qui a raison ?

REILE ajouta qu’il ne pouvait pas avoir de rendez-vous avec B… en territoire allemand, ” B… aurait couru le trop grand risque d’être vu par des indicateurs du S.R. français au moment de franchir la frontière allemande “.

Ce fut pourtant ainsi qu’il a été démasqué.

REILE spécifia que les fournitures de B… était de la plus haute importance pour l’Abwehr entre autres, ces documents secrets permirent au S.R. allemand de retirer, avant arrestation, des agents allemands ” brûlés ” en France.

REILE prétendit que B… connaissait des officiers du soi-disant 2ème Bureau français opérant contre l’Allemagne à partir de la région frontière, recrutant des agents ” en masse “.

B… avait donc été chargé de renseigner sur les méthodes de travail, le personnel et les objectifs du S.R. français, notamment de celui de Metz que ” B… était normalement chargé de protéger “, dit REILE.

Il ajouta textuellement : ” FLOBERT était un vulgaire traître. Quoique français de naissance, il a divulgué tous les secrets qu’il possédait ou qu’il pouvait apprendre sur les services français. Il a ainsi causé à son pays le plus grand préjudice, ce qui ne semblait nullement le gêner… pour la forme et à contre-coeur je le traitais comme un gentleman… il nous était difficile de trouver un homme comme lui qui, à chaque entrevue, livrait froidement (als Messer liefern) les agents du service secret français. En 1937, différents agents m’ont fourni de France des renseignements et de la documentation secrète, mais FLOBERT resta mon fournisseur le plus précieux et le plus rentable ; en outre il avait réussi à se lier d’amitié avec des membres du 2e Bureau et il promit de fournir à l’avenir également des informations sur l’activité du S.R. militaire français… “.

Lorsqu’il apprit l’arrestation de B…, REILE exprima ses craintes que B…, caractère faible et mou, ne résisterait pas aux méthodes d’interrogatoire de l’adversaire.

REILE réorganisa son service qui devint « Abwehrnebenstelle » du Wehrkreis XII de Wiesbaden, n’alla plus au Grand-Duché, réexamina le cas de tous ses informateurs et retira du circuit luxembourgeois tous ses collaborateurs qui avaient eu affaire à B… .

B… eut le tort de nier d’abord qu’il avait été deux jours auparavant en territoire allemand et ne voulut pas reconnaître qu’il y avait reçu de l’argent allemand qu’il avait changé à Remich.

Au point de vue psychologique, c’était un cas intéressant : B… s’était enferré dans ses mensonges et n’eut d’autre ressource de s’en tirer, croyait-il, qu’en avouant une partie de la vérité.

Devant nos méthodes expérimentées d’interrogatoire basées sur nos connaissances des méthodes du S.R. allemand, B… espérait retourner sa veste et pouvoir à l’avenir travailler pour la France. Il fut d’ailleurs contraint de faire des aveux complets à la suite d’un incident bizarre.

Nous avions examiné de près les archives du Commissariat spécial de Longwy confiées spécialement à cet inspecteur. Tous les documents secrets qu’il avait livrés depuis un an au S.R. allemand étaient légèrement pliés au milieu ; il les avait emportés dans sa poche pour ne pas attirer l’attention par une serviette en allant au Luxembourg.

Nous avions ainsi pu nettement délimiter le préjudice causé : il s’agissait pour la plupart des documents secrets, circulaires du Ministère de l’Intérieur, mandats d’arrêts pour espionnage, listes de suspects, textes officiels sur l’organisation et les attributions des Commissariats de Surveillance du Territoire, etc.

B…, avait passé en 1932 le concours d’inspecteur de police spéciale et fut affecté à Longwy.

A la suite de beuveries au Grand-Duché de Luxembourg et d’histoires de femmes, il s’endetta et devint une proie facile pour le S.R. allemand qui le fit recruter par l’intermédiaire d’un Luxembourgeois, son compagnon d’orgies.

A ce moment ses dettes risquaient de lui coûter sa carrière et il avait accepté avec empressement l’argent du S.R. allemand en échange d’une fourniture d’essai de documents provenant de son service. D’autres livraisons eurent lieu environ une fois par mois.

Il rencontra REILE pour la première fois à Echternach, en territoire luxembourgeois, à la frontière allemande ; d’autres rendez-vous suivirent, toujours en territoire luxembourgeois, jusqu’au jour où, d’une part, le gouvernement grand-ducal vota une loi analogue à la législation helvétique, c’est-à-dire interdiction de faire du S.R. sur son territoire quelle que soit la nation au profit ou au détriment de laquelle l’agent travaillait et où, d’autre part, le S.R. allemand s’était rendu compte que certains de ses agents et même des officiers traitants de l’Abwehr s’étaient fait arrêter dans ce petit pays. Réapparition du traître et l’inévitable conclusion

En été 1940, tous les espions allemands se trouvant en prison en France occupée furent libérés immédiatement par les détachements III f de l’Abwehr, B… à la Centrale de Clairvaux fut ainsi relaxé.

” Qui a bu, boira “, dit le proverbe, B… fut envoyé par l’Abwehr suivre un cours à Bruxelles dans une école de formation d’espions allemands.

Affecté ensuite à l’Abwehrstelle nouvellement créé à Lille, il s’y fit passer comme agent de l’I.S. à la recherche de parachutistes anglais dans le Nord.

Il fit arrêter par les Allemands ses compatriotes français, membres d’une chaîne française d’évasion vers l’Angleterre et déporter des membres du réseau de la ” Voix du Nord “.

Il fut également responsable de l’arrestation de quelques membres du réseau de résistance de la police de Lille (ses camarades !) et de la mort au camp de concentration de plusieurs Français.

Même en Allemagne où il avait suivi ses employeurs au moment de la retraite de 1944, il continua sa sale besogne de traître en dépistant des résistants parmi les requis du S.T.O.

Sa femme l’avait suivi partout. Sous la fausse identité de D… .

Ils revinrent en France. B… travailla d’abord au déminage à Vannes, puis avec sa femme, pour une société d’explosifs dans la Sarthe.

Dans les fournitures faites pour la Défense Nationale on constata, en 1952, des malfaçons et l’instruction ouverte pour atteinte à la Sûreté extérieure de l’Etat permit de découvrir la véritable identité des époux B…

Résultat (définitif) : en mars 1955, le tribunal militaire des Forces Armées de Rennes condamna : – B…, pour intelligence avec l’ennemi, à la peine de mort. – G…, sa femme, à cinq ans de prison.

Cinq cents arrestations, cinquante victimes, voilà le triste bilan reproché à B…

Si B… avait travaillé pour son propre pays, on aurait pu lui appliquer la phrase de George V d’Angleterre : ” Parmi tous les soldats, l’espion me paraît le plus grand ; si l’ennemi le méprise le plus, c’est uniquement parce qu’il le redoute le plus “.




Les Barbouzes

Nous sommes venus dans les SERVICES SPECIAUX par idéal. Ceux qui en étaient dépourvu ne restaient pas, à moins que, gagnés par la contagion, ils découvrissent à leur tour le caractère exaltant de nos missions et la joie de lui sacrifier toute ambition. Il est vrai qu’aux extrémités de nos tentacules se trouvaient parfois des besogneux. Ils trouvaient dans des gains substantiels – et somme toute légitimes – la justification de l’aide qu’ils nous apportaient. Ce n’étaient ni les meilleurs, ni les plus sûrs. Il s’agissait de veiller en tous temps à la sûreté du Pays, à la sécurité de la Nation, de protéger son patrimoine ; cela à l’encontre des entreprises les plus insidieuses et les plus secrètes de nos adversaires extérieurs quels qu’ils fussent, quels que fussent leurs zélateurs. Travail discret, obstiné, difficile, exclusif. NOTRE CONSCIENCE ET NOTRE SENS NATIONAL ETAIENT SOUVENT NOS SEULS GUIDES. Au delà des intrigues, des régimes et de leurs fluctuations politiques, la force d’un ÉTAT, comme la sauvegarde d’une NATION, est de disposer en permanence d’une telle force insensible à tout autre intérêt que celui de la PATRIE.

L’Honneur d’un Gouvernement et son mérite sont de lui conférer puissance et invulnérabilité. Son devoir est de l’employer, l’écouter et l’entendre – dût son oreille quelquefois en souffrir.

Puissance et invulnérabilité découlent de considérations multiples qu’il n’est pas dans mon propos d’analyser ici.

Je veux souligner simplement l’importance du choix des hommes et de leur autorité morale.

Le choix doit porter sur les élites, toutes les élites, sans autres exclusives que celles des personnes attachées à la politique ou liées à des partis – à fortiori à des factions ou à des hommes.

Si l’invulnérabilité des SERVICES SPECIAUX, j’allais écrire leur indépendance – s’acquiert à ce prix, l’autorité morale qui en découle doit trouver un support dans l’estime et le respect dont les Pouvoirs Publics doivent les entourer.

Leurs efforts seraient vains si leurs objectifs étaient tributaires des régimes politiques, leur rendement dérisoire s’il devait s’inspirer du désir de plaire, leurs possibilités compromises et leur existence précaire si des parasites (officiels ou officieux) prétendaient se substituer, même partiellement, à eux, ou si des missions autres que les leurs leur étaient imposées.

Le rocambolesque n’est pas leur vocation, le roman n’est pas leur ” bible “, la délation et le crime ne sont pas de leur compétence. Contrairement à des légendes trop facilement établies, les SERVICES SPECIAUX et leurs cadres ne sont ni aptes à tout, ni capables de tout.

Ils doivent laisser à d’autres le privilège de commercialiser quelques prétendues connaissances en matière d’espionnage, comme ils doivent laisser à d’autres les missions qui ne sont pas les leurs.

Il faut de tout pour faire un monde : Mais il ne peut être question d’autoriser quiconque à spéculer sur leur crédit. ” Barbouzes ” ? Nous voulons bien ! Les soldats de Napoléon étaient fiers d’être les ” Grognards ” de l’Empire.

Mais ce serait la mort des Services Spéciaux que de les laisser confondre avec tant d’organes ténébreux, qui n’ont de commun avec eux qu’un sobriquet dérisoire