Du renseignement a l’Armee de metier

Confiant dans notre parapluie nucléaire, le Président de la République a lancé une autre bombe.

Le 22 février 1996, il a annoncé pour 2001 la fin de la conscription et la création d’une Armée de métier, apte à projeter hors de France, un corps d’intervention moderne de 50 à 60.000 hommes.

Reste ouverte la transformation du Service National, obligatoire ou volontaire.

Une certitude, le maintien, voire l’amplification de l’effort en faveur du Renseignement. Nous verrons que déjà, pour 1996, les faits confirment cet engagement.

Notre association ne saurait être indifférente à une réforme aussi fondamentale et dont notre éditorial expose avec humour les étapes et quelques conséquences.

J’imagine que notre Assemblée Générale se fera l’écho des réactions qu’elle inspire.

Mon propos, ici, est d’essayer d’éclairer le débat et de formuler mes premières réflexions.

Le Service National

Et d’abord entendons-nous sur le sens des mots ainsi que sur la situation actuelle du Service National.

C’est une loi du 21 mars 1905 qui l’a institué. Tous les Français y sont astreints. Il est égal pour tous et l’accomplir est un honneur.

L’Armée mobilisée en 1914 sous ces principes diffusés par un corps enseignant imprégné de civisme et de patriotisme, fut celle de Verdun et de la Victoire du 11 Novembre 1918.

La loi de 1965, respectant ces grands principes, a actualisé le Service National; aujourd’hui remis en cause.

Nous devons nous souvenir de ce qu’il est, même s’il est facile de se gausser de ses imperfections et de ses dévoiements:

Tous les Français de 18 à 50 ans y sont assujettis. Ses composants sont au nombre de quatre:

– Le Service Militaire qui comprend le service actif dans l’Armée (actuellement 10 mois), la disponibilité et les réserves.

– Le Service de Défense, levé en cas de mobilisation ou de mise en garde de la Nation. Les assujettis à ce service sont soumis aux règles de la discipline militaire.

– Le Service d’Aide Technique, modalité du service actif pour faciliter le développement des D.O.M. et T.O.M.

– Le Service de Coopération qui permet de répondre aux demandes de certains états, généralement en voie de développement.

Trois forces découlent, entre autres considérations, de ce qui précède:

– La force stratégique nucléaire.

– La force de manœuvre et d’intervention.

– La force de défense opérationnelle du territoire.

Il est compréhensible que les progrès techniques des équipements et de l’armement aient imposé depuis 1965 jusqu’à 1996, c’est-à-dire en trente ans, une professionnalisation progressive de l’Armée, notamment dans les forces nucléaires, de manœuvre et d’intervention.

Cette professionnalisation est le fait de militaires de carrière et d’engagés volontaires. Elle est prépondérante dans la Gendarmerie, l’Armée de l’Air et la Marine. Ainsi en 1996, sur 500.000 militaires, les appelés par conscription représentent 200.000 hommes, les “professionnels” sont 300.000.

Observons que l’Armée utilise — notamment dans ses services dits communs — 100.000 civils.

Certes, les principes fondamentaux du Service National ne sont plus strictement observés. Un nombre de plus en plus important de jeunes Français échappe à la conscription, tandis que beaucoup d’autres rejoignent l’Armée en traînant les pieds.

Les causes sont multiples : évolution des mentalités et manque d’esprit civique, diminution des effectifs nécessaires à une défense de plus en plus modernisée dans un contexte politique sans menaces extérieures affirmées et de plus en plus orientée vers des accords de paix internationaux et des alliances.

Je reviendrai sur cet aspect politico-diplomatique et les contraintes qu’il impose à la France.

A ce point de mon exposé, je ne veux pas cacher ma crainte de voir notre nation abandonner ce que Jean-François Deniau appelle la ” notion de devoir “, sous les prétextes subalternes que j’expose.

J’ai regretté qu’une décision démagogique ait exclu les militaires du contingent de toute participation à la guerre du Golfe, pourtant présentée (hypocritement), comme une croisade contre une dictature et ses excès.

Ainsi s’amorçait cette discrimination scandaleuse qui pourrait confier le devoir de défendre sa patrie aux seuls “mercenaires” d’une Armée de métier.

A cette considération majeure qui me fait repousser toute idée d’abandon total de la conscription s’ajoute la nécessité plus évidente que jamais d’intégration des diversités régionales.

Je ne veux pas alourdir mon propos en démontrant que l’Armée demeure aujourd’hui l’ultime formation nécessaire à cette intégration, base fondamentale de notre défense.

Nos engagements extérieurs

Cette fin de siècle a vu nos forces armées intervenir hors de nos frontières dans des conditions confuses et avec des moyens inadaptés.

C’est la conséquence d’accords internationaux dont le flou ou la complexité ne sont guère accessibles qu’aux spécialistes du clair obscur diplomatique. Essayons cependant de dégager l’essentiel.

La France est un membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies (O.N.U.) au même titre que les quatre autres états détenteurs de l’arme nucléaire: Etats-Unis, Grande-Bretagne, Russie et Chine. C’est l’exécutif politique de l’O.N.U., dont les missions essentielles sont le règlement pacifique des différends et l’action (?) en cas de menaces contre la paix ou d’agression.

Cette action a pour limites juridiques (art 2 – G 7) les compétences nationales. Elle peut être entravée par la règle de l’unanimité dans les décisions du Conseil de Sécurité (droit de veto).

Cette paralysie de l’O.N.U., le ” machin “du Général de Gaulle, est à l’origine de ses défaillances et inspire le doute sur son efficacité.

L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (l’O.T.A.N.) est une alliance créée en 1949 pour faire face aux menaces de l’Est, sauvegarder la Paix et la Sécurité des nations atlantiques.

C’est en fait à présent le bras séculier de l’O.N.U.

La France, tout en restant dans l’alliance, s’est retirée en 1966 de ses structures intégrées.

L’effondrement du régime communiste a transformé son comportement. Vecteur de l’influence primordiale des Etats-Unis, l’O.T.A.N. affirme sa vocation en Europe avec de plus en plus d’autorité (ainsi en ex-Yougoslavie). La France s’est incorporée dans cette force sans que soit reposé le problème de son intégration.

Situation ambiguë que le Traité de Maastricht est loin d’avoir clarifié. Son article J 4 donne à l’organisation européenne ” compétence en matière de sécurité “, y compris en matière de défense. C’est l’Union de l’Europe Occidentale (U.E.O.) (1), pour le coup revigorée, qui devient la composante de défense de l’organisation européenne.

L’Europe, c’est normal, prétend désormais à l’unité et à l’autonomie politico stratégique. Elle entend assumer sa défense.

Pouvoirs publics et associations confirment en France cette volonté.

Le Ministre des Affaires Européennes déclare le 13 mars 1996 devant l’Assemblée Nationale …“ l’Union (européenne) doit faire naître une politique étrangère et de sécurité commune et digne de ce nom “…

L’association “Euro-Défense” qu’animent l’Amiral de Langres et notre camarade Pierre Schwed expriment le sentiment de l’Institut des Hautes Études de la Défense Nationale (I.H.E.D.N.) lorsqu’ils écrivent: …“ L’Union Européenne et l’U.E.O. sont dans le cadre du Traité de Maastricht, les éléments privilégiés de la mise en œuvre d’une politique commune de sécurité et de défense, en cohérence avec l’Alliance Atlantique “…

Déjà le corps d’armée européen (France, Allemagne, Belgique, Luxembourg, Espagne) et le possible concours de notre arme nucléaire à la défense de l’Europe, marquent bien la concrétisation de la mission fondamentale de l’U.E.O. (art. 5 du traité) qui l’institue …“ porter aide et assistance par tous les moyens “…

Force est de constater les rivalités de compétence en Europe : O.T.A.N., U.E.O. et pourquoi pas l’O.N.U., sans oublier l’O.S.C.E. (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe).

Autre ambiguïté: les limites de l’intervention de ces forces internationales. Où commence la possible ingérence dans les affaires des Etats?

Notre Ministre Charles Millon a résumé les graves problèmes posés par les résolutions des crises et des conflits extérieurs : … “définir des objectifs clairs et réalistes, préciser les rôles de l’O.N.U., de l’O.T.A.N., de l’U.E.O., tout en gardant une ambition européenne en cohérence avec une politique de défense commune “…

Les réponses à ces problèmes constituent, à mon sens, les préalables indispensables à la définition de la Force Française d’Intervention.

Les réponses peuvent être variables en fonction des zones sensibles où l’action internationale peut être engagée.

Le rôle du Renseignement devient ici capital.

Le Renseignement

C’est le Renseignement qui décèle les menaces, c’est lui qui avertit des risques.

Il est l’animateur fondamental de la Défense et de la Sécurité.

Vaste mission pour les services spéciaux français que sont la D.G.S.E., la D.P.S.D., la D.R.M. et la D.S.T.

“Vous aviez un champ d’action bien déterminé et des objectifs précis. Notre champ d’action est sans limite et nos objectifs sont diffus “… Ainsi s’exprimait l’un de mes camarades de la D.G.S.E., il y a quelques jours.

Je relevais au début de cet exposé l’intérêt accru que portaient le Président de la République et le gouvernement au Renseignement.

En dépit d’une situation économique préoccupante, le budget de 1996 marque cette volonté d’une façon positive en maintenant à leur niveau, sinon en en augmentant, les crédits financiers de nos services spéciaux.

En dehors de l’action essentielle de ces services au bénéfice de la France et de ses intérêts dans le monde, ils ont la charge de collaborer avec leurs homologues alliés, européens (essentiellement) au profit des politiques extérieures communes. Nous avons vu, et nous le retiendrons, qu’elles sont loin d’être claires et structurées.

En résumé

Les lecteurs ont compris mes réserves à l’égard d’une réforme radicale qui supprimerait toute obligation de “devoir” aux citoyens de ce pays.

Ils ont compris que la définition d’un corps moderne d’intervention ne pouvait utilement se concevoir sans une définition satisfaisante des motifs d’action et des responsabilités respectives de chacun des partenaires internationaux.

Ils ont encore compris que l’évolution rapide et profonde de la science et des techniques, impose la professionnalisation de plus en plus accentuée de l’Armée.

Mais à côté de cette Armée professionnelle, complétée par des engagés volontaires, il faut veiller à la défense territoriale, aux besoins inéluctables d’effectifs instruits, pour faire face à des crises graves.

Je n’aime pas le service civique obligatoire, sorte de travail forcé que condamne d’ailleurs la Convention Européenne des droits de l’homme.

Je n’aime pas davantage le service civique volontaire dont il est aisé de comprendre les aléas de son recrutement, sauf à en forcer l’intérêt par des salaires incompatibles avec la notion de “service volontaire “… et nos finances.

Je pense en complément de l’Armée de métier, à une formation militaire de base pour tous les Français, réduite à quelques mois (3 ou 4) d’instruction, complétée par de courtes périodes de réserve…

Je pense surtout qu’il faut réfléchir, procéder par étapes, notamment en fonction des affirmations plus éclairantes de nos éventuels engagements militaires extérieurs.

En bref:

– Ne pas céder aux pulsions déraisonnables d’une jeunesse mal instruite et des milieux antimilitaristes traditionnels.

– Redonner aux Français, avec l’orgueil d’une Armée rénovée et moderne, la notion de devoir envers leur patrie.




A L’OMBRE DE WALL STREET – Complicités et financements soviéto-nazis

Sous ce titre, notre camarade Pierre de Villemarest publie un ouvrage consacré à l’étude du financement de la révolution bolchevique et de la survie de l’U.R.S.S. jusqu’en 1990 par des banques et firmes étrangères, voire même américaines.

Pendant la deuxième guerre mondiale cette coopération financière internationale avec l’Allemagne comme avec les soviets, nous est révélée avec tous ses aspects scandaleux et sordides.

Pierre de Villemarest, ancien de notre réseau Kléber, patriote intransigeant, s’est spécialisé depuis 1950 dans l’étude des pays de l’Est et plus particulièrement sur l’U.R.S.S. elle-même. Chroniqueur très apprécié dans divers journaux et publications nationales, sa compétence fait autorité en France et dans plusieurs pays voisins.

Nos camarades liront avec intérêt ces nouvelles révélations sur un monde “faisandé” dont les responsabilités mériteraient l’attention des historiens et de la justice

Voir la fiche du livre




Le Livre “Histoire de la resistance” du Professeur François-Georges DREYFUS

Préfacé par l’Abbé René de Maurois, compagnon de la Libération, l’ouvrage de notre camarade F.-G. Dreyfus se caractérise par son objectivité, son impartialité et son courage.

En cela, il se différencie de tant d’autres auteurs qui ont traité de la Résistance depuis la libération, en imprégnant leurs œuvres d’idéologie politique ou partisane, voire de tendances hagiographiques appuyées.

Avec tact, F.-G. Dreyfus aborde les aspects les plus délicats, parfois les plus controversés, du comportement des Français face à l’ennemi, face à la politique de Vichy, face aux épreuves des années d’occupation, face aux sollicitations des alliés.

D’un énorme travail de recherche et de documentation, il construit une synthèse de cette résistance aux multiples facettes. Y compris les plus humbles et les moins connues.

C’est ainsi que la résistance des militaires depuis juillet 1940, y compris celle de nos réseaux clandestins de renseignements, de contre-espionnage et de sécurité, apparaît à sa vraie place et dans sa vraie grandeur.

Professeur d’histoire contemporaine à la Sorbonne, ancien directeur du centre d’études germaniques et de l’institut des hautes études européennes à Strasbourg, F.-G. Dreyfus, alors adjoint au Maire de Strasbourg, accueillait naguère chaleureusement nos camarades réunis en Congrès en Alsace.

L’A.A.S.S.D.N. retrouve dans son livre le souffle patriotique qui inspirait ses paroles et ses actes.

Il leur souhaite un plein succès dans l’intérêt de la Vérité Historique.




La Releve de Camelia arrive a Clermont Ferrand

Un artile de Colonel Xavier Bernard tire des archives du Colonel Paul Bernard son pere. Il relate l’arrivee a Clermont Ferrand en 1944 pour reprendre la direction de Camelia apres l’arrestation du Capitaine Mercier.




Ingerence ou Mediation ?

Un article du Bulletin 226 Avril 2012 de Xavier Guilhou CEO de XAG conseil (cabinet specialise en prevention des risques) sur le devoir de proteger et la gestion des risques.




L’Evolution des services de renseignement francais selon le General Pichot-Duclos (1993)

La recherche de « Cette Sacrée Vérité » ne saurait exclure l’actualité et encore moins l’avenir. Ce titre se propose donc d’accueillir et de réunir les contributions traitant de nos préoccupations.Après la description de l’organisation et des moyens de notre renseignement, je voudrais maintenant dans une dernière partie, vous exposer les tendances qui se dessinent et les problèmes qui restent à résoudre.

Tendances et problèmes actuels

La nécessaire réforme du Renseignement s’inscrit dans le bouleversement des données stratégiques de ces dernières années.

Avec la fin du Pacte de Varsovie qui mobilisait toutes nos forces nous devions revoir tout notre système de défense puisque l’adversaire est désormais partout et nulle part et la menace multiforme. Il faut donc repenser le dispositif et redéployer les moyens dans un contexte d’intervention tous azimuts et de technologie galopante sans oublier que l’homme reste la donnée essentielle du combat. Exemples de cette apparente contradiction :

A deux ans d’intervalle, la guerre du Golfe a montré ce que pourrait être la guerre de l’espace (puisqu’un Patriote interceptait un Scud sur signal donné par un satellite alerté par le dégagement thermique du départ du coup), ceci tandis que la guerre des Balkans nous démontre chaque jour qu’un SNIPER peut paralyser l’O.N.U. Et puis, avons-nous déjà oublié que personne — sauf le Colonel Garder dont je salue ici la mémoire et la perspicacité prémonitoire — n’avait prévu l’effondrement proche de l’Empire Soviétique, ni percé les intentions réelles de Saddam Hussein?

Le Renseignement de demain dépend donc à la fois des ressources financières qui lui donneront les moyens techniques indispensables et de la qualité des hommes qui les serviront : il s’agit ici de l’homme de bon sens et de l’homme-ingénieur unis pour utiliser intelligemment les fantastiques possibilités de la technique. Telle est donc la première tendance lourde de l’époque.

La seconde tendance concerne la maîtrise de l’information elle-même dont l’abondance provoque la submersion des mémoires et la manipulation provoque la subversion des systèmes de référence. Ce n’est pas par hasard que les Britanniques, comme avant eux les Chinois, ont toujours associé la fonction « influence » à la fonction « Intelligence » « Renseignement ». Aujourd’hui, ce n’est plus seulement nécessaire, c’est indispensable à toute puissance qui veut survivre et pour ce faire doit maîtriser l’information, source du Renseignement.

Quant aux problèmes qui demeurent, ils sont chez nous d’ordre essentiellement culturel :

— Nous nous disons cartésiens mais quel décideur civil ou miliaire accepte de subordonner ses intuitions — nécessairement géniales — aux humbles exercices de l’esprit que sont l’analyse minutieuse, la comparaison difficile, les choix déchirants et la synthèse pragmatique?

Pour balayer devant notre porte, quel chef accepte de faire sienne la vieille formule du Général Bradley, génial organisateur du débarquement et qui disait « Mon deuxième bureau me dit ce que je dois faire, mon quatrième bureau me dit ce que je peux faire et moi je dis à mon troisième bureau ce que je veux faire. » Nous sommes cartésiens, soit, soyons aussi bradlésiens.

— Nous sommes aussi un peuple bavard mais nous ignorons trop souvent les langues étrangères. Un effort serait bienvenu, en particulier en arabe et en turc.

— Nous sommes un peuple de soldats, mais nous négligeons de méditer nos échecs et préférons célébrer de glorieuses défaites plutôt que de réfléchir à leurs causes et nous dire « plus jamais cela » en en conservant les enseignements.

Nous pourrions donc imaginer une fonction nouvelle qui serait celle de l’historien de la structure ou de l’Etat-major, que son rang comme sa compétence affranchirait des pesanteurs de la hiérarchie afin qu’il puisse dire : Cette solution ou cette absence de décision a déjà entraîné tel désastre…

Mais je rêve peut-être devant vous.

— Nous sommes un peuple prompt à la division : le Renseignement a besoin d’unité et de coordination. Ce problème n’est actuellement pas réglé dans le contexte politique.

— Il faudrait enfin que les décideurs, surtout les politiques, comprennent que la fonction du Renseignement est noble et que ses serviteurs ne sont les ennemis de personne, qu’ils sont seulement les humbles amis de la Vérité et qu’il faut leur donner les moyens de la faire jaillir.

C’est à ce prix qu’à la prochaine guerre du Golfe ou d’ailleurs, nous ne dépendrons plus du Renseignement des autres, fussent-ils nos alliés.




Intervention du Général Pichot-Duclos sur l’Intelligence economique (1993)

La forme et l’interprétation journalistique des propos confiés par le Général Pichot-Duclos au supplément économique d’un grand quotidien du matin avaient, en leur temps ému certains de nos amis. Bien que l’intervention du Général Pichot-Duclos au cours du dernier conseil d’administration apporte tous les éclaircissements possibles, une analyse plus complète et plus démonstrative s’imposait. Tel est donc l’objet de la question

Qu’est-ce que l’intelligence économique ?

L’Intelligence Economique est un concept nouveau, en cours de formalisation en France, pratiqué depuis de nombreuses années à l’étranger, consistant à organiser la maîtrise du cycle complet de l’information ouverte intéressant les acteurs économiques (et en priorité l’entreprise) ceci au terme d’une approche globale, collective et systématique, concrètement, cela veut dire

1. Que l’on ne s’intéresse qu’à l’information publique dont la collecte est autorisée par la loi soit environ 90 % du total informatif, on exclut ainsi du champ de l’Intelligence Economique l’information fermée, protégée par le secret d’Etat ou d’entreprise, soit environ 10 % du total informatif, qui sont la cible des services de renseignements des Etats.

2. Que l’on s’efforce de traiter tous les aspects successifs de la vie de l’information : recherche, traitement, exploitation, diffusion, protection en sont les actes élémentaires; il s’agit d’en organiser la maîtrise au sein d’un système complet intégré à la structure par exemple de l’entreprise; jusqu’à présent un certain nombre seulement de ces actes élémentaires est pris en compte il y a des centres de documentation, des cellules de veille technologique ou concurrentielle, il y a des services de sécurité mais il n’y a pas de représentation de la fonction maîtrise de l’information — en tant que telle — dans les Directions Générales; il n’y a pas de prise en compte globale de cette fonction qui permette de coordonner la recherche, le traitement, etc., afin de répondre exactement aux besoins des Directions Générales en information de niveau stratégique; il n’y a pas de mobilisation de l’ensemble du personnel pour mieux voir à l’extérieur ce qui peut être utile à l’entreprise… bref, il n’y a pas de culture collective de l’information qui permette à l’entre prise d’atteindre les niveaux de performance de ses concurrents japonais ou allemands; l’Intelligence Economique, c’est le concept qui permet d’atteindre cette mobilisation collective au service d’un système global d’information dans un univers concurrentiel.

3. Pourquoi le mot Intelligence et non pas information ou renseignement ? Pour beaucoup de raisons tout à fait fondées. Tout d’abord, le concept britannique d’ « Intelligence » est beaucoup plus riche que le vocable français issu du latin « intellego », c’est-à-dire « je comprends », le Français aime comprendre : à la limite, cela lui suffit, il ne lie pas nécessairement cette compréhension à l’action qui donne un sens à la recherche. Le Britannique cherche à savoir pour agir et il prépare puis prolonge en permanence cette recherche et cette action par une politique d’influence positive (lobbying) ou négative (désinformation). Cet ensemble riche, cohérent et efficace constitue l’ « Intelligence ». On n’en démontre plus l’efficience; on n’ira pas non plus jusqu’à prétendre que celle de notre pratique à nous lui est supérieure. Deuxième raison pour adopter la formule « Intelligence économique » C’est la meilleure traduction possible des vocables anglo-saxons de « business intelligence » ou « competitive intelligence » qui décrivent partiellement le concept détaillé plus haut; elle a de surcroît l’avantage d’éviter d’employer le terme de « renseignement » qui chez nous a une connotation fermée de recherche plus ou moins confidentielle ou clandestine alors que l’intelligence économique ne traite que ce qui est du domaine public ou accessible légalement : ce n’est pas la moindre originalité du concept.

4. Autre point important l’appellation « d’Intelligence économique » est un néologisme qui désigne une réponse nouvelle à un problème nouveau, et c’est peut-être sa principale justification. En effet dans ses ouvrages ” Le Choc du futur ” puis ” Les Nouveaux Pouvoirs “, Alvin Toffler prévoyait dès 1974 que l’information constituerait la principale matière première et la principale richesse du futur. Les faits quotidiens démontrent la justesse de ces affirmations : grâce aux moyens de communication de masse, à l’informatique et à la télématique, le flux d’informations produites double tous les quatre ans. Personne ne peut plus prétendre maîtriser la totalité d’un pareil gisement et pourtant, il faut s’en assurer le maximum. Tous les services de renseignement du monde sont débordés, ils ne peuvent déjà plus exploiter tout ce qu’ils captent avec les écoutes électroniques, aussi vont-ils de plus en plus se concentrer sur leur mission, c’est-à-dire les 10 % d’informations secrètes qu’eux seuls peuvent obtenir et traiter. Les 90 % restant sont à tout le monde… mais la difficulté pour chacun est d’y trouver strictement ce dont il a besoin, c’est-à-dire l’information qui lui est utile à lui. D’où la naissance de tous les nouveaux métiers de l’information et du concept d’Intelligence Economique.

5. Il faut aussi préciser un aspect particulier de l’Intelligence Economique : c’est celui de l’ « information grise ». Il s’agit de la partie de l’information qui n’est pas totalement publique parce qu’on ne la trouve, par exemple, ni dans les journaux, ni dans les banques de données et qui n’est pas pour autant protégée par la loi; ainsi, une synthèse d’informations ouvertes est le premier pas dans l’élaboration d’un renseignement; des propos tenus dans une réunion technique sont protégés par la discrétion des participants mais pas forcément par la loi; quelqu’un qui pose des questions même indiscrètes n’enfreint pas la loi il suffit de ne pas lui répondre : un chercheur trouve un procédé nouveau avant de le publier, il doit le protéger par un brevet : nous sommes dans le domaine de l’information grise, terrain de chasse de prédilection des professionnels de l’économie concurrentielle qui adorent par exemple faire parler ces Français si bavards. C’est aussi l’un des aspects de l’Intelligence Economique que de préparer le personnel de nos entreprises à maîtriser ces risques et ces dangers.

6. Notre pays aborde l’Intelligence Economique dans la phase de concurrence économique effrénée que vous savez; il n’y a désormais plus ni alliés ni amis : voyez le ton comminatoire adopté par les Américains, par exemple dans les négociations du G.A.T.T., depuis qu’ils ont moins besoin du consensus européen puisqu’il n’y a plus d’ennemi soviétique. Il faut donc nous préparer à un nouveau type d’affrontement, sur un terrain nouveau, avec des règles nouvelles : celui de la Guerre économique; toutes les forces de notre pays y sont nécessaires mais cette idée-même n’est pas encore perçue par tous. Et pourtant d’autres pays nous montrent le chemin : les Japonais et les Allemands se sont bâtis un système cohérent d’Intelligence économique dès la fin de la Guerre et leurs performances sont éloquentes : ils ont su créer des synergies entre les banques et les entreprises, entre les entreprises et les autorités locales, entre le secteur privé et le secteur étatique… Ils ont une démarche globale et collective pour conquérir les marchés… Et nous, nous interrogeons encore!

7. Toutefois en France le problème commence à être examiné sérieusement : depuis septembre 1992, un groupe de travail d’une cinquantaine de personnes — très pluridisciplinaire — réfléchit à la question au Commissariat Général du Plan — organisme de prévision du Premier Ministre — Sous la direction d’Henri Martre, ancien Président de l’Aérospatiale, nous préparons un rapport qui sera publié sous le titre : « Intelligence économique et stratégie des entreprises ». Ce rapport irriguera tous les canaux de l’administration et d’une grande partie des entreprises. Les idées qui sont ici présentées en sont largement inspirées. Elles sont développées dans deux articles à paraître sous ma signature dans la Revue de Défense Nationale. Tout ceci démontre l’ampleur du problème et le niveau auquel on s’efforce de le traiter. En conclusion, on peut retenir : — Que la maîtrise de l’information devient l’une des clés de la puissance et de la souveraineté des Etats et qu’avec la fin de la menace soviétique, il y a transfert sur le terrain économique de la compétition entre Blocs, Etats et Entreprises. — Que l’Intelligence Economique est nécessaire aux différents acteurs, quelque soit leur niveau, entreprises, Etats ou blocs, pour se maintenir au milieu de la guerre économique qui se déroule tous les jours. Cette Intelligence ne concerne que le domaine ouvert mais c’est 90 % du total informatif. — Que la masse des informations disponibles aujourd’hui est telle que seuls des systèmes organisés pourront la maîtriser pour en extraire la fraction utile il faut donc créer ces systèmes entre tous les acteurs; au sein de l’Entreprise, une organisation nouvelle est à mettre en place : on peut appeler cela l’ingénierie de l’information ; elle est génératrice de nouveaux métiers, nombreux et rentables. Au sein de notre pays, il y a des passerelles à jeter par exemple entre l’institution étatique (détentrice de beaucoup d’informations qui sont loin d’être secrètes), les structures territoriales (telles que les Chambres de Commerce et d’Industrie) et les entreprises, pour organiser les flux montant et descendant des informations utiles, comme le font le Japon et l’Allemagne depuis longtemps, et comme sont en train de le faire les Etats Unis avec le plan Clinton des « autoroutes de l’information », doté de milliards de dollars. C’est l’organisation progressive du « savoir à écoulement libre » de Toffler. En résumé, il s’agit bien d’un problème nouveau mais majeur qui voit les intérêts fondamentaux des pays, transférés sur le terrain économique. Nous devons donc renouveler notre manière d’aborder la défense de ces intérêts et prendre conscience de l’urgence d’un effort collectif d’Intelligence Economique. C’est à ce prix que nous pouvons espérer survivre en tant que Puissance maîtresse de ses décisions.




Pour un systeme francais d’intelligence economique (1995)

Par André Lanata en 1995 :

En 1992, alors qu’il visitait, à Seattle, les installations de la société Boeing, le Président Bush déclarait : “ il nous faut tuer l’industrie aéronautique européenne “.

Cet événement est significatif du nouveau tour pris dans les relations internationales et de l’âpreté de la compétition économique qui se déroule sur l’échiquier mondial.

Si pour certains il s’agit de compétition tout semble démontrer que du stade de compétition nous sommes parvenus à celui de guerre économique. Les inconditionnels d’un libéralisme forcené continuent cependant à ne pas vouloir admettre la situation actuelle. Celle-ci conduit à reconnaître la nécessité de doter la France d’un véritable système d’information économique à la tête duquel l’Etat retrouverait le rôle qui devrait être le sien, celui de l’échelon décisionnel et coordinateur du système d’information au service de notre économie.

Cette maîtrise du cycle d’information que d’autres pays ont déjà compris et intégré est au centre de l’idée d’un dispositif d’intelligence économique pour notre pays.

Après avoir réaffirmé que nous sommes effectivement dans un contexte de guerre économique voyons en quoi le concept d’intelligence économique permet d’apporter une réponse à la situation et quels modèles étrangers pourraient inspirer la création d’un système français. *

Il faut d’abord faire preuve de clairvoyance face au nouveau contexte économique dans lequel nous vivons et soutenir l’idée selon laquelle nous devons désormais nous placer dans une logique de guerre économique. Une guerre non déclarée dont les effets sont pourtant bien visibles puisqu’ils prennent la forme du chômage et de l’exclusion.

Une certaine intelligentsia continue cependant de refuser cette réalité préférant ne voir dans les affrontements économiques actuels qu’une forme particulière de concurrence.

L’économiste Jean-Louis Levet redoutait en 1993 cet obscurantisme et déclarait dans “la Révolution des pouvoirs”: “Une partie encore trop importante des acteurs économiques, en France en particulier et de son intelligentsia, refusent d’analyser les échanges internationaux sous l’angle des rapports de forces et de la dialectique du combat “. Et pourtant malgré le voile jeté sur cet aspect non avouable des relations internationales, ces dernières années ont été riches en événements démontrant l’action invisible des états (avec une vigueur proportionnelle aux enjeux économiques planétaires).

En inventant le concept de sécurité économique et en créant en 1993 un Conseil économique national (lié au N.S.C. : National Security Council), l’administration Clinton a reconnu de fait l’existence d’agressions étrangères contre les intérêts économiques américains et organisé le verrouillage de son marché ainsi que les contre-attaques.

Ce nouveau tour pris dans les relations internationales est-il réellement neuf ou reflète-t-il tout simplement la reconnaissance d’une partie des rapports de forces internationaux occultée pendant de nombreuses années ?

Tout semble démontrer que la guerre froide est en partie responsable du masque qui s’est opéré dans un domaine qui est historiquement l’enjeu de forces géostratégiques mondiales. Les esprits se sont, en effet, focalisés sur la lutte contre le bloc soviétique en imposant une solidarité nécessaire à la cohésion du bloc occidental mais occultant les oppositions classiques.

Cette cohésion de façade a eu deux conséquences: la première, directe, a vu, avec la prédominance du débat idéologique, le placement des enjeux économiques sur un échiquier de second ordre quasiment invisible, la seconde, indirecte, a progressivement vu le discours dominant présenter la loi du marché comme un état de fait.

Ce concept d’échiquiers invisibles où les rapports de forces entre les nations s’expriment à l’aune de leurs intérêts économiques et de la puissance, semble se révéler à mesure que le débat idéologique lui cède la place. La mission principale du Conseil économique national américain demandant “que son pays s’affirme comme le leader du monde” en témoigne si besoin est.

Ainsi est implicitement reconnu le conflit animant les nations sur un terrain économique.

Il convient, à cet égard, de remarquer que cet aspect économique des menaces susceptibles de s’exercer sur les intérêts vitaux d’une nation est un phénomène très ancien dans l’histoire des civilisations. Il a simplement été occulté pendant l’intermède de la guerre froide.

Le discours sur la libre concurrence est en revanche beaucoup plus insidieux. Il divise d’abord le monde en deux camps: les bons qui respectent les lois du marché et les méchants qui les transgressent. Les régulières dénonciations de la part des Etats-Unis du non respect par le Japon des règles du jeu du commerce international sont là pour le démontrer. Ensuite, il a tendance à entretenir parmi les élites une vision très réductrice des problèmes et de la situation. Ceux-ci ne peuvent, en effet, se limiter à des questions de libre concurrence et les restreindre de la sorte conduit à oublier ces échiquiers invisibles où les parties perdues sans guerres apparentes sont nombreuses.

Nous sommes donc en présence d’une guerre qui ne dit pas son nom mais dont on peut apprécier les conséquences comme la lente conquête de nos entreprises par des capitaux étrangers; une guerre de moins en moins masquée, faite d’actions souterraines, de pratiques protectionnistes, de position monétaire dominante où l’important est d’être “juridiquement correct “.

Qui a par exemple transmis, à la veille du salon aéronautique de Dubaï, aux média, l’information selon laquelle les missiles Exocet français destinés à Chypre devaient en fait approvisionner l’Iran ?

Ainsi de temps à autre certains indices témoignent de l’activité se déroulant sur les échiquiers invisibles. * Dans cette situation les Etats n’ont pas été sans réactions. Au-delà de la mise en place d’un arsenal défensif comme aux Etats-Unis avec le Conseil économique national ou le “National Industry Security Programm “, des mesures offensives ont été prises telle que la diplomatie économique, c’est-à-dire l’aide active de l’Etat aux entreprises dans leur conquête des marchés.

L’intervention du Président Clinton dans le contrat civil obtenu par la société Boeing en Arabie Saoudite en 1994 souligne le nouveau degré de mobilisation du pouvoir politique. Mais c’est surtout dans la prise de conscience de l’importance désormais occupée par la maîtrise de l’information que réside l’essentiel. L’environnement mondial est effectivement en pleine mutation.

Outre le contexte de guerre économique évoqué précédemment et la modification considérable du paysage politique et géostratégique, la mondialisation des phénomènes économiques planétaires et une de ses causes, l’accélération des progrès en matière de communication imposent des réactions de plus en plus rapides et coordonnées. A cela s’ajoute une croissance exponentielle des flux d’informations. Ceux-ci doublent, en effet tous les quatre ans. Or la maîtrise de l’information conditionne l’efficacité. Le domaine économique n’échappe pas à cette règle que les militaires connaissent bien.

Dans ce nouveau contexte mondial, l’information devient une matière première stratégique. Le rapport “Japan 2000” rédigé en 1991 par la C.I.A. rendait compte que la puissance de ce pays s’appuyait essentiellement sur la connaissance et sur la technologie de l’information. Il reconnaissait en outre que “dans le contexte d’une nouvelle économie et d’un nouvel ordre mondial, la connaissance deviendra le fondement primordial de la puissance économique “.

Ainsi émerge le concept d’intelligence économique où le sens du mot intelligence est à prendre dans l’acception anglo-saxonne du terme (savoir pour agir), englobant les opérations de recherche, d’actions connexes et d’influence.

Il s’agit : “ de définir un ensemble d’actions coordonnées de recherche, de traitement, de diffusion et de protection de l’information utile aux acteurs économiques” (définition de l’intelligence économique retenue par le groupe de travail du Commissariat général du plan).

En d’autres termes le concept d’intelligence économique s’appuie sur un véritable système d’information et de communication (le C 31 anglo-saxon) à des fins économiques, reliant dans une démarche globale et collective les différents acteurs économiques et l’État.

L’intelligence économique s’inscrit dans un cadre légal et ne concerne que l’information ouverte qui représente tout de même 90 % du total des flux d’information.

Le problème consiste donc au moins autant à extraire l’information utile de ces flux en croissance constante que d’organiser une recherche clandestine du renseignement du ressort des services spéciaux : Ces deux méthodes se complètent.

Unissant étroitement le savoir et l’action, l’intelligence économique dépasse les simples actions partielles de veille technologique, de protection du patrimoine concurrentiel ou d’influence. Elle résulte, en effet, résolument d’une démarche stratégique destinée à piloter les actions partielles évoquées ci-dessus dans une approche globale du marché intégrant de nombreux autres facteurs que le seul produit (rapports de force, facteurs humains, etc…).

Le champ des actions d’intelligence économique envisageable est extrêmement vaste: manœuvres d’influence, désinformation, infiltration d’organisations humanitaires en vue de conquêtes commerciales ultérieures, analyse systématique des produits concurrents, recherche de renseignement d’origine humaine (interrogatoires d’ingénieurs indiscrets), enquêtes techniques menées par un “client “, sabotage de l’image du produit concurrent (publicité comparative ou campagne d’influence), etc…

La maîtrise de l’information dépasse donc largement les simples fonctions documentaires de veille technologique. Il peut même s’agir d’aller recueillir des informations dans ce que les spécialistes appellent la “zone grise “, zone intermédiaire entre l’information ouverte et l’information protégée, c’est-à-dire ce qui n’est pas ouvert sans être protégé. Ce peut être par exemple ce qui est immoral sans être illégal (attaques contre la vie privée d’un concurrent) ou encore l’obtention d’informations sur un procédé nouveau qui n’est pas encore protégé par un brevet (indiscrétions) d’où un nouvel aspect de l’intelligence économique qui consiste à protéger l’entreprise contre ce genre de risques (sensibilisation du personnel).

Ce nouveau contexte impose à ses acteurs une adaptation culturelle. Il s’agit de faire face à la complexité qui est, avec la mondialisation des échanges et la multiplicité des interactions, une des caractéristiques de l’ère nouvelle qui s’ouvre devant nous contrastant en cela avec le rationalisme bipolaire. Mais c’est également la nécessité d’entreprendre une démarche globale donc collective où les cultures traditionnellement individualistes sont ou vont être handicapées.

Ainsi s’affirme la nécessité, d’adhérer au concept d’intelligence économique qui réunit dans le savoir et l’action la seule issue au défi de la maîtrise des flux d’information.

Ceux-ci constituent en effet la nouvelle matière première stratégique, clef de la compétition économique sans merci que se livrent désormais les nations. Il serait illusoire cependant de penser que certaines nations n’ont pas déjà compris ce principe. * Les dispositifs nationaux d’intelligence économique les plus évocateurs sont ceux du Japon, de l’Allemagne et dans un autre ordre d’idée celui des Etats-Unis.

Ces modèles peuvent inspirer la création d’un modèle français. L’analyse de ces systèmes démontre par ailleurs leur forte dilution dans les pratiques et les mentalités locales, en un mot dans les cultures. Elle met de plus en exergue le rôle de l’Etat comme centre de décision stratégique. La puissance du système d’intelligence économique japonais puise d’abord sa force dans un patriotisme élevé des entreprises et une culture collective de l’information résolument économique.

Le défi posé par la nécessaire reconstruction de la nation à l’issue de la deuxième guerre mondiale constitue également un des fondements du système. On peut y observer un maillage stratégique reliant tous les partenaires économiques dont le fameux Miti mais également les nombreuses agences étatiques telles que le Jetro, le monde politique, syndical, industriel, les services de renseignement, etc…

Il en résulte une irrigation continuelle du tissu économique par les flux de connaissance. Une stratégie globale est ainsi mise au point grâce à la concertation permanente existant entre les institutions et les milieux financiers et industriels.

Cette stratégie est ensuite suivie d’un travail de terrain parfaitement illustré par l’exemple rapporté par M. Harbulot dans la livraison d’avril 1995 de la revue ” Enjeux Atlantiques ” “L’implantation méthodique d’entreprises japonaises dans un pays endetté et en état de crise industrielle comme le Mexique peut surprendre. A priori, le Japon pourrait choisir des cibles plus rentables à court terme. Mais ce serait ignorer les possibilités d’actions indirectes qu’offre la côte pacifique mexicaine vers l’économie californienne “, surtout depuis la signature d’accords préférentiels entre les Etats-Unis et le Mexique qui permettent aux Japonais de contourner le dispositif protectionniste américain.

Le rapport de la C.I.A. Japan 2000 soulignait encore que: “l’acquisition de la connaissance, ressource perpétuellement renouvelable, a été et demeure toujours un fantastique atout de supériorité en faveur du Japon sur le plan économique “.

Le système allemand est bien plus ancien que son homologue nippon. Ses fondements remontent, en effet, à l’expansion commerciale germanique au Moyen- Age et à la création d’un réseau marchand international par la ligne hanséatique. Le cœur du dispositif d’intelligence économique allemand constitué des banques, des groupes industriels et des compagnies d’assurance réalise les choix stratégiques. La puissance fédérale effectue la synthèse et le traitement de l’information recueillie par un important réseau de partenaires (syndicats, communautés émigrées, sociétés de commerce, cabinets de consultants, etc…). L’efficacité du système allemand est appuyée par le patriotisme animant l’entreprise, lieu de concertation avec les partenaires sociaux sur les objectifs économiques à atteindre. Les méthodes de recueil et de traitement renforcent encore le dispositif. Faites d’une rigueur et d’une méthodologie toute germanique elles sont à certains égards empruntées aux méthodes de renseignement militaire.

Aux Etats-Unis, le dispositif d’intelligence économique bute sur des obstacles culturels. Champions du libre échange, les Américains ont du mal à réaliser l’osmose nécessaire entre l’intérêt de l’Etat et l’intérêt privé des entreprises. L’administration et les entreprises ne peuvent, de la sorte, établir une stratégie concertée. Le système d’intelligence économique américain est caractérisé par deux ensembles entre lesquels il n’existe que peu de communication : le premier est centré sur l’exécutif, le second sur les entreprises. La fonction d’intelligence économique est cependant reconnue car un élément comme l’autre la pratique. Les entreprises en particulier créent des cellules spécialisées (Bis: Business Intelligence Systems). Toutes cependant n’atteignent pas la ” masse critique “leur permettant de se doter d’un instrument d’intelligence économique. Elles font alors appel à des sociétés privées. Ce cloisonnement de l’information ôte, cependant, à l’ensemble, la compréhension globale de leur environnement qu’exige la mondialisation des marchés.

Les Etats-Unis, bien conscients de ces handicaps ont réagi sous l’impulsion des Présidents Bush puis Clinton. Reconnaissant que la “connaissance est désormais le fondement de la puissance économique” (rapport Japan 2000), ils ont réorienté les missions de la C.I.A. et les crédits de recherche et développement militaires vers le secteur civil, assuré un meilleur accès à l’information aux P.M.I., développé un programme de contrôle de l’accès à l’information et surtout imaginé le concept des ” autoroutes de l’information “qui devrait préfigurer les besoins du siècle prochain.

Malgré ces mesures, le handicap américain dans le domaine de l’intelligence économique semble bien devoir demeurer car d’ordre culturel. Comme le souligne le numéro de décembre 1993 de la Revue de la défense nationale : ” (aux Etats-Unis) la primauté fondamentale de l’individu en tant que centre de savoir et de décision autonome est remise en cause par l’émergence d’une culture nouvelle, globale et collective, de la connaissance “.

La situation en France témoigne d’une carence dont certaines personnes commencent à prendre conscience. Les principales insuffisances du système français sont essentiellement culturelles et organisationnelles.

Sur le plan culturel d’abord, le traditionnel individualisme gaulois se heurte à la nécessité d’une démarche collective à tous les niveaux. Il y a également l’image négative que le renseignement a toujours eu au sein de l’intelligentsia. Celui-ci a toujours symbolisé les opérations occultes de la raison d’Etat. Il implique ensuite des entreprises de long terme auxquelles notre culture latine a toujours préféré des résultats plus directs. Au niveau des institutions ensuite, un centralisme historique s’oppose à la libre circulation des informations et en particulier dans le sens transversal.

L’absence de démarche stratégique tant au niveau de l’Etat que dans l’entreprise est une raison supplémentaire et la conséquence de ces handicaps. Le problème commence cependant à être examiné sérieusement et la récente création d’un Comité pour la compétitivité et la sécurité économique, présidé par le Premier Ministre en témoigne (Décret du 1er avril 1995) ainsi que la désignation d’un “Ministère du Développement Economique et du Plan “, chargé de la sécurité économique.

Un dispositif français ne peut s’organiser qu’autour des données françaises du problème. Il ne peut ainsi ressembler ni au modèle nippon en raison de son aspect collectif, ni au modèle anglo-saxon jugé trop libéral. Le modèle allemand peut, en revanche, offrir un projet en partie transposable. L’Etat doit être à la fois la tête et l’incitateur du dispositif d’intelligence.

Il faut refaire de l’Etat le guide et non pas le fardeau de l’économie. Il s’agit surtout de maîtriser le cycle de l’information: recueil, traitement et diffusion. Concernant le recueil il faut valoriser des sources plus diverses comme les organisations humanitaires ou le formidable atout que constitue la francophonie. Le traitement doit permettre l’organisation de la stratégie qui doit guider les grands axes de conquête économique et donner des signes à nos entreprises. La diffusion, enfin, ne doit pas souffrir du centralisme. Celui-ci ne vaut, en effet, que s’il associe des liaisons descendantes et transversales c’est-à-dire un meilleur accès à l’information pour tous les acteurs économiques.

L’Etat doit également avoir un rôle incitateur qui consisterait, par exemple, à promouvoir une véritable ingénierie de l’information. On le voit, il faut pour cela disposer d’un projet politique ce dont, malheureusement, nous manquons, trop occupé que sont nos dirigeants à gérer sous l’urgence médiatique au lieu d’organiser une véritable stratégie.

Cet aspect témoigne une fois de plus de notre inadaptation organisationnelle et culturelle face ” à une logique d’affrontement indirect fondée sur la maîtrise de l’information et sur les stratégies d’influence ” (Revue de la défense nationale, mai 1995).

Il y a ensuite les collectivités locales (conseils régionaux, chambres de commerce et d’industrie, etc…) qui non seulement entretiennent des liens privilégiés avec l’étranger, l’Etat, les banques et les entreprises mais disposent, également de sources d’information (Arist: agences régionales d’information scientifiques et techniques, centres régionaux de documentation internationale, etc…). Elles doivent, par conséquent, jouer un rôle essentiel de recueil de l’information, de sensibilisation à l’intelligence économique et de coordination des entreprises d’intelligence.

C’est enfin l’entreprise vers laquelle doit converger les finalités du projet et qui doit, à ce titre, intégrer les impératifs organisationnels de l’intelligence économique (création d’un département et de cellules d’intelligence économique). Elle doit également accorder une large part à la sensibilisation de tous ses échelons afin de vaincre les obstacles culturels et de susciter l’adhésion.

Malgré la création du Comité pour la compétitivité et la sécurité économique et d’un ministère, l’essentiel reste encore à faire en France.

Il s’agit surtout de mobiliser les volontés derrière le projet de maîtrise de l’information que constitue l’intelligence économique avant d’adapter nos structures à ce nouveau défi.

* Avec la fin de la guerre froide, la compétition économique mondiale a pris un tour de plus en plus conflictuel. Une véritable guerre aux dimensions planétaires que certains considèrent encore comme la libre expression des lois du marché, occupe le terrain des relations économiques internationales. A mesure du rétrécissement des marchés sous l’effet conjugué de cette concurrence effrénée et de la mondialisation des échanges, les acteurs économiques sont conduits à des réactions extrêmement rapides et coordonnées.

Dans ce nouveau contexte, seule une parfaite organisation de la maîtrise du cycle d’information permet d’assurer la survie économique. Le concept d’intelligence économique répond à ce besoin.

Il consiste précisément à accroître la compétitivité de tous les secteurs économiques en s’appuyant sur une stratégie bâtie sur une large diffusion et une exploitation ” intelligente ” de l’information ouverte. Il suppose par conséquent des structures et des esprits adaptés à cette nouvelle stratégie.

Des pays comme l’Allemagne et le Japon ont déjà compris les nouvelles perspectives offertes par cette approche systématique des marchés. Cela explique en partie leur position compétitive sur l’échiquier planétaire.

Le récent Comité pour la compétitivité et la sécurité économique devra jeter, en France, les bases d’un dispositif français. Les premières mesures devraient viser à sensibiliser les acteurs économiques sur le sujet et donner à l’Etat le rôle de direction du système. Au-delà des aspirations françaises, l’Europe pourrait, à terme, offrir, à ses partenaires, le cadre d’une solidarité économique renforcée à travers la construction d’un système d’intelligence économique européen.




A Propos du colloque sur l’ Intelligence economique- Fevrier 1997

Quand je voyage à l’étranger, je vais vendre la France. C’est aussi cela le rôle du politique “… En s’exprimant ainsi à la télévision, Jacques Chirac traduisait l’obligation pour nos compatriotes de concourir au succès de notre guerre économique.

” La France en guerre économique : quelle riposte, quelles armes, quels acteurs “… tel était le programme proposé le 26 février 1997 à l’Assemblée nationale, par les Chambres de Commerce et d’Industrie.

Justement inquiètes de l’exacerbation de la concurrence entre les États qu’entraîne la mondialisation de l’économie, nos Chambres de Commerce et d’Industrie entendent faire de ” l’Intelligence Économique ” une question primordiale à laquelle doit réfléchir et répondre la représentation nationale.

Devant le dynamisme de certaines nations et notamment les États-Unis, elles observent que ” l’administration américaine fait porter ses efforts pour assurer une position dominante à ses industriels nationaux et s’assurer ainsi des zones réservées et un contrôle quasi-exclusif de ses technologies-clefs “.

Loin de redouter l’Europe, la prospérité future définie par l’administration américaine doit assurer à son économie et jusqu’à l’horizon 2010, une priorité mondiale, y compris sur les marchés européens.

Et tandis que les U.S.A. se dotent de tout un arsenal de moyens pour assurer leur action économique à l’extérieur – depuis l’engagement personnel de Clinton jusqu’aux organismes spécialisés coopérants avec la C.I.A. – l’espionnage économique est durement réprimé aux U.S.A.

Les discussions au cours du Forum entre parlementaires et représentants de grandes entreprises (Dassault-Aviation, Total, Matra-Hachette, etc…) ont mis l’accent sur la dispersion des efforts des entreprises, l’insuffisance des appuis de l’administration française lorsqu’il s’agit d’imposer leur savoir-faire à l’extérieur.

Il existe pourtant à l’intérieur de l’entreprise une véritable conscience des devoirs de solidarité et ” d’intelligence “. Parfois même entre certaines entreprises. Mais il ne suffit pas de produire ce qu’il y a de meilleur pour décrocher des marchés… encore faut-il qu’à ” l’intelligence économique ” réponde une ” intelligence politique ” apte à soutenir à l’étranger la ” Maison France “.

Tirant la conclusion des débats, les Chambres de Commerce et d’Industrie, s’expriment ainsi : ” L’intelligence économique est une méthode d’observation et de surveillance des environnements économiques, technologiques et techniques en vue d’une stratégie “. ” Le volet interne de cette stratégie a pour objectif de protéger notre patrimoine technique et industriel tandis que le volet externe tend à promouvoir la Maison France sur les marchés étrangers “.

Ce qui inspira à un participant au forum cette réflexion : ” En fait l’intelligence économique est l’éclairage du champ de bataille “.




1997 : Création de l’Ecole de Guerre Economique : Discours du General Pichot Duclos

Le 2 octobre, dans le cadre d’un partenariat entre Défense Conseil International (D.C.I./INTELCO) et l’École Supérieure Libre des Sciences Commerciales Appliquées (E.S.L.S.C.A.), s’est ouvert à Paris un enseignement d’un type radicalement nouveau :” L’École de Guerre Économique “.

Pourquoi une « École de Guerre Économique » ?

La dureté croissante des affrontements économiques et les dispositifs nouveaux adoptés par les États étrangers et leurs entreprises démontrent que les temps ont changé : seuls les acteurs organisés collectivement et pratiquant résolument l’offensive peuvent désormais s’assurer des parts de marchés importantes. Ceux qui ne le comprennent pas disparaîtront ou perdront leur autonomie. Trop souvent frileux et routiniers, formés à la seule défensive, les acteurs français doivent réagir : nos managers en particulier doivent posséder la culture stratégique et la méthodologie de maîtrise de l’information issues de la Défense qu’on ne leur a pas enseignées.

Dans des locaux de l’E.S.L.S.C.A., c’est l’équipe dirigeante d’INTELCO qui va assurer ce transfert de connaissances aux élèves de cette École de Guerre Économique. Renforcée des meilleurs experts de la recherche ou de la protection de l’information de la propriété industrielle , cette équipe s’est donnée pour mission de former les cadres de la Guerre économique d’aujourd’hui et de demain, afin d’aider les divers acteurs français à relever les nouveaux défis de la mondialisation. En particulier, dans le contexte radicalement nouveau d’une société de l’information, cette formation va préparer les jeunes diplômés et les cadres à doter leur entreprise d’un nouveau modèle managérial articulé autour de l’Intelligence économique. Au-delà de la maîtrise complète du ” cycle du renseignement ” issu de la Défense, il s’agit pour les élèves de conduire l’inévitable changement qui s’impose en matière d’approche, désormais collective et offensive, de l’information.

Qu’il s’agisse d’exporter mieux, de protéger plus efficacement son patrimoine, de développer une stratégie d’influence ou de faire face à tous les aspects de ” la guerre de l’information ” qui commence, l’entreprise doit changer. Il faut qu’elle exploite mieux son patrimoine immatériel (la connaissance) d’une part en valorisant ses ressources informationnelles internes et, d’autre part, en développant les approches indirectes héritées de l’histoire (les échiquiers invisibles).

Le Comité pour la compétitivité et la sécurité économique avait ainsi défini l’Intelligence économique :” la coordination des actions de recherche, de traitement et de diffusion de l’information ouverte, c’est-à-dire obtenue par des moyens légaux, afin d’éclairer la stratégie des entreprises “.

Ainsi, l’École de Guerre Économique va-t-elle s’efforcer de former un nouveau modèle de managers apte à la mettre en œuvre. Elle décernera un diplôme de 3eme cycle qui fera de ses titulaires des candidats d’autant plus recherchés que l’offre est inférieure à la demande.

Thèmes et méthodologies enseignés: L’enseignement s’articule autour des thèmes ci-dessous, étudiés sur 450 heures.

– Initiation aux principes stratégiques.

– Intelligence économique : définition, généralisation, concept, méthodologie.

– Intelligence et Management des hommes : conduite du changement dans l’entreprise, approche collective et partage de l’information.

– Intelligence territoriale : établissement des synergies et des réseaux sur le territoire, développement économique, création d’emplois.

– Intelligence financière : faire face à la délinquance financière, le blanchiment d’argent, la fraude fiscale et l’établissement de stratégie financière offensive.

– Intelligence de l’information : gagner la guerre de l’information, contrôler et maîtriser l’information ouverte. – Intelligence et commerce international : toutes les stratégies d’export, les stratégies indirectes (influence, échiquier invisible…).

– Intelligence et outil informatique : architecte des systèmes et des logiciels, utilisation pratique et concrète d’Internet.

L’objectif est d’équilibrer l’enseignement entre l’étude du contexte (” comprendre ” : 200 heures) et la pratique des instruments (” agir “: 250 heures). La première promotion comprend 30 élèves (15 étudiants, 15 cadres d’entreprise).