Georges Agoutin : Des gaz de la Grande Guerre aux geôles nazies

Des tranchées de 14-18 au peloton d’exécution de 1943, sans jamais déroger à sa ligne, Georges Agoutin est l’image d’un indéfectible patriotisme. Peu en sont capables, quelques-uns laissent leur nom dans l’Histoire, ne laissons pas ceux qui restent dans l’ombre tomber dans l’oubli.

Engagé volontaire pour la Première Guerre mondiale à 19 ans, Georges Agoutin est incorporé au 26e régiment d’artillerie en février 1916 et depuis près de 7 mois sur le front, en pleine bataille de la Somme, quand les Allemands emploient un gaz moins connu que le gaz moutarde, le phosgène, incolore, à l’odeur de « foin moisi », sur nommé Etoile blanche lorsqu’il est mélangé à du chlore (d’après le marquage des fûts qui le contiennent). Le phosgène sera responsable de 85 % des tués par arme chimique.
Le 10 octobre, Georges est gazé devant le moulin de Becquincourt. Évacué, il survivra, avec les séquelles que cela peut représenter, et sortira de cette guerre avec trois citations et la Croix de guerre.

Rien ne semblait prédisposer à un engagement militaire ce jeune Normand aux yeux gris, à la silhouette élancée (1,76 m était une belle taille à l’époque), muni de son brevet élémentaire et d’un diplôme d’agriculture, si ce n’est cet amour de son pays qui lui devra de recevoir aussi la Médaille de la Résistance la guerre suivante.

Né dans un village de l’Eure, Mesnil-sur-Estrée, le 22 septembre 1897, il n’avait pas connu sa mère, Berthe Harang, morte quelques jours après sa naissance. Son père, Joseph Agoutin, remarié, devait avoir une fille et un autre fils.
En octobre 1917, maréchal des logis, il est versé dans la réserve, puis détaché, le 7 juillet 1918, au 1er Groupe d’aérostation dépendant de l’aéronautique de la X e Armée.
Peu après, il se marie avec Yvonne Bicherel. Une fille, Marie-Rose, leur naîtra en janvier 1921 et, en avril 1926, un fils, Michel (qui sera, plus tard, dans la Division Leclerc).

Quand survient la mobilisation de 1939, Georges Agoutin entre comme lieutenant, dans l’aviation, d’abord à Chartres, puis à Reims au Groupe aérien d’observation (GAO) 504, enfin à Tours à la base aérienne 109. En mai 1940, il effectue une mission périlleuse sur le LeO 45 n°4 (Istres-Tunis- les Baléares-Lézignan- Saint Raphael, 2 400 km en mer en 5h27). Un mois plus tard, il participe aux bombardements de Genevo Spezzia, de Livora, de Pise et du Lido de Rome. Enfin, au cours du bombardement de Palerme, il est atteint au bras par des balles de mitrailleuse et reçoit la Légion d’Honneur et la Croix de guerre (deux citations). Enfin, à sa sortie de l’hôpital militaire de Blida, il rentre en France, où il sera affecté au 2e Bureau de l’état major, à Avignon, avant d’être rendu, en 1941, à la vie civile.
Il tient alors un hôtel à Paris dans le XVIIe arrondissement, l’hôtel Demours, 14 rue Pierre Demours. Des Allemands y sont logés.

Il devient chef d’un réseau des Services spéciaux

C’est alors qu’il est contacté par un agent du SR Guerre et recruté par ce service à partir du 2 avril 1941, comme agent P2.
Son chef, le colonel Simoneau (chef du Poste P2 et futur directeur du Service de renseignements opérations (SRO), précisera que Georges Agoutin est alors chef d’un réseau assez important du SR Air (sous le pseudonyme de Alain Agniol, ou Agniel) et fournit d’excellents renseignements. Certains membres de son réseau sont connus, ainsi, Mme Gardes, une employée du chemin de fer de Versailles, qui sera inculpée en même temps que lui, et Mme Charlotte Poirier Marchebout qui, du 15 septembre 1940 au 15 mai 1942, exerce des activités de renseignements et de liaisons sous sa direction, dans l’Ouest parisien, l’Eure-et-Loir et la Normandie. C’est elle qui, lorsque Georges Agoutin est recherché en septembre 1941, l’héberge et facilite son passage en zone libre (cette femme discrète, uniquement connue par un prénom ne sera identifiée qu’en 1951).

Mais Georges Agoutin est finalement arrêté le 17 mai 1942.
Ce soir-là, il est en famille, à son hôtel, où il habite. Un rapport concernant l’artillerie allemande qu’il a dissimulé, vient de lui être apporté par un agent de son réseau, André Gardes, qui a été son compagnon d’armes au GAO 504 à Chartres et qu’il a lui-même recruté en septembre 1940. Dix minutes plus tard arrivent des policiers en civil, armés : lors de la perquisition, la Gestapo va droit à l’endroit où se trouvent les papiers cachés.
Cette précision laisse penser qu’Agoutin a été trahi par un agent de liaison. Son appartement est bouleversé.

Il est frappé et emmené avec sa compagne, Germaine, et sa petite fille, Jeanine, dans une villa de Neuilly connue comme un lieu de tortures.
Enfermé dans la cave durant trois jours, attaché à un mur et sauvagement traité, c’est un détenu dans un état terrible qui est emmené à Fresnes.
Germaine, subit interrogatoires et menaces de mort, avant d’être libérée après dix jours d’internement avec son enfant.
Jusqu’à l’hiver, Georges Agoutin est à Fresnes, encore interrogé et menacé. Le 30 décembre, après sept mois et demi au secret, il peut revoir sa compagne : il est faible, presque sans voix, psychiquement atteint.
Quelques jours plus tard, le relais des voix des prisonniers de cellule à cellule l’avertit que Germaine est détenue au 3e étage, 3e division, cellule 340, et il entend sa voix: « J’ai été arrêtée le 5 janvier. Courage, confiance! A bientôt! »

[…]

Marie GATARD
Administratrice de l’AASSDN
Auteur du livre Les silencieux des Services spéciaux 1940-1945

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Légende de la photo bandeau : La bataille de la Somme
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22 octobre 1956 : Le détournement de l’avion du FLN

Commentaire AASSDN : Le détournement de l’avion transportant des chefs du Front de libération nationale (FLN) a été une magnifique opération construite sur de bons renseignements et montée dans un temps très court. Pour sa réussite, après un feu vert donné rapidement en court-circuitant nombre de décisionnaires, un certain nombre de moyens civils et militaires ont été mis en œuvre sans la moindre fuite. Elle impliquait la collaboration de l’équipage, ce qui n’avait rien d’évident.
Il a joué son rôle au-delà des espérances. Malheureusement, aucun des vrais chefs du FLN n’étant à bord, cette superbe action n’a pas eu d’impact sur le déroulement des opérations.

L’arrestation spectaculaire de cinq chefs historiques du Front de libération nationale (FLN) suite à une opération de piraterie aérienne le 22 octobre 1956 constitue l’un des grands coups de maître de l’armée française pendant la guerre d’Algérie.

Les faits : l’exploitation d’une opportunité

Pour se rendre à un sommet organisé à Tunis fin octobre 1956 par le président Bourguiba et sous le patronage du roi du Maroc, cinq hauts responsables de la rébellion algérienne prennent place à Rabat dans un DC-3 de la compagnie Air Atlas – Air Maroc : Ahmed Ben Bella, l’un des leaders les plus représentatifs de l’insurrection, Mostefa Lacheraf, un ancien professeur d’histoire au lycée Louis-le-Grand, Mohamed Boudiaf, l’un des tous premiers chefs de la rébellion, Mohamed Khider, ancien député et Hocine Aït Ahmed, chef de l’organisation spéciale Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques, Parti populaire algérien (MTLD-PPA) fondé par Messali Hadj. Informé par le service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE), l’état-major militaire français ne veut pas rater une si belle occasion pour détourner l’avion et décapiter le haut commandement du FLN.

L’aéronef appartient à une compagnie marocaine, mais il est immatriculé en France. Dans ce contexte, les lois internationales sont formelles : c’est bien l’immatriculation qui détermine la nationalité de l’appareil. Les autorités françaises ont donc le droit de détourner vers Alger cet avion prévu pour un vol Rabat-Tunis.

Après une escale technique à Palma de Majorque aux Baléares, le commandant Gellier, officier de réserve de l’armée de l’air française et commandant de bord du DC-3, reçoit l’ordre de se poser à Maison- Blanche, l’aérodrome civil d’Alger. Pendant le trajet, le sang-froid et l’attitude impassible de la jeune hôtesse de l’air, Nicole Lambert, qui connaissait la véritable destination de l’appareil, dupent les voyageurs de ce vol très particulier censé relier Palma à Tunis. Pour que les passagers ne puissent pas se rendre compte du changement de direction de l’avion en voyant notamment par les hublots la lune passer d’un bord à l’autre, l’hôtesse tirera les rideaux pour permettre à ses voyageurs « de prendre un peu de repos. » Leurrés par cette supercherie jusqu’à l’arrivée de l’appareil sur le tarmac de l’aérodrome d’Alger, les cinq chefs du FLN seront cueillis par la Direction de la surveillance du territoire (DST) à leur descente d’avion. Ils seront transférés à la prison de la Santé à Paris puis au fort Liédot sur l’île d’Aix. Les prisonniers ne seront libérés qu’en mars 1962 après la signature des accords d’Evian.

Conséquences diplomatiques du détournement

Malgré son incontestable réussite, cette action audacieuse va susciter des turbulences politiques, nationales et internationales. En France, le secrétaire d’État à la Défense Max Lejeune a donné son accord à l’opération, mais sans avertir le président du Conseil Guy Mollet, alors en déplacement dans le Pas-de-Calais, ni le ministre résident en Algérie Robert Lacoste, également en déplacement. Les critiques sont virulentes dans la presse de gauche et enflamment les débats au Parlement. Alain Savary, secrétaire d’État aux affaires marocaines et tunisiennes et son chef de cabinet Claude Cheysson démissionnent. Pierre de Leusse, ambassadeur de France à Tunis, quitte ses fonctions. Dans le monde arabe, les diatribes pleuvent contre la France. Le FLN reçoit alors l’assurance d’une aide accrue en provenance de l’Égypte, du Maroc et de la Tunisie. Mais le séisme diplomatique sera vite étouffé par les crises internationales qui vont se succéder à partir de novembre 1956 : la campagne militaire de Suez menée contre l’Égypte par les armées française, britannique et israélienne, ainsi que l’intervention brutale de l’armée soviétique en Hongrie.

Pour leur part, les conséquences militaires seront limitées. L’arrestation des cinq chefs du FLN, qui étaient des personnalités politiques sans responsabilités opérationnelles dans la lutte armée, ne modifiera pas le cours de la guerre d’Algérie. Toutefois, pour les historiens militaires, le détournement de l’avion du FLN et la neutralisation de hauts dirigeants de la rébellion par une action non violente de ruse basée sur un travail efficace de renseignement reste un modèle du genre à la gloire de l’armée française.

Michel KLEN*
Officier saint-cyrien
Docteur en lettres et sciences humaines
Essayiste

* Michel Klen est l’auteur de plusieurs ouvrages dont : « La tragédie de l’Algérie française », « Les ravages de la désinformation », « La guerre du bluff est éternelle », « Dans les coulisses de l’espionnage ».

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Légende photo bandeau : Ahmed Ben Bella à gauche




L’opinion publique taïwanaise face à la Chine : émancipation, soumission et résignation

Depuis des décennies mais de manière plus marquée ces dernières années, la relation entre Taïwan et la Chine est une question géopolitique majeure, suscitant un large débat au sein de la société taïwanaise.
Face à la pression croissante de Pékin, l’opinion publique à Taïwan s’articule autour de plusieurs courants, chacun ayant une perspective différente sur la manière de gérer les relations avec la Chine continentale.
Cet article explore ces tendances et s’interroge sur les scénarios envisageables pour l’avenir de l’île.

Le courant indépendantiste : pour une identité taïwanaise affirmée

Une part significative de la population taïwanaise, en particulier les jeunes générations, favorise une identité distincte et se prononce pour le maintien d’une indépendance de facto, voire pour une indépendance officielle. Selon cette tendance, Pékin est perçu comme une menace directe, et la préservation de la souveraineté de l’île est essentielle. Ces opinions sont souvent soutenues par le Parti démocrate progressiste (DPP), actuellement au pouvoir. Ce courant cherche à consolider l’identité taïwanaise par des initiatives culturelles, politiques et éducatives, tout en renforçant les alliances internationales, notamment avec les États-Unis, le Japon, et d’autres démocraties.

Le courant modéré : équilibre entre souveraineté et apaisement des tensions

Les modérés prônent une approche pragmatique, visant à conserver la paix tout en maintenant une forme d’indépendance de facto. Ces Taïwanais considèrent que les provocations directes envers Pékin sont contre-productives et risquent de déclencher des réactions militaires ou économiques dangereuses. Ils défendent une politique de statu quo, évitant les déclarations d’indépendance officielles tout en développant des liens économiques et culturels prudents avec la Chine. Ce groupe inclut des membres du Kuomintang (KMT), le principal parti d’opposition, qui mise sur une politique de dialogue et d’échanges économiques pour désamorcer les tensions.

Le courant pro-réunification : des voix minoritaires mais influentes

Bien que minoritaire, un courant existe en faveur d’un rapprochement avec la Chine, voire d’une réunification, même si celle-ci serait largement conditionnée par des garanties d’autonomie politique. Pour les partisans de cette position, la Chine représente une opportunité économique et culturelle majeure, et un rapprochement pourrait garantir la stabilité de l’île à long terme. Toutefois, ce courant est confronté à un manque de soutien populaire, en raison des politiques répressives de Pékin et de la crainte d’une perte de libertés démocratiques.

La polarisation générationnelle et les influences externes

Il est important de noter une différence générationnelle notable dans les opinions. Les jeunes Taïwanais, souvent plus sensibilisés aux valeurs démocratiques et à une identité taïwanaise distincte, sont largement en faveur du maintien du statu quo ou d’une indépendance renforcée. Les générations plus âgées, ayant connu des périodes de rapprochement avec la Chine, sont parfois plus favorables à des relations apaisées, même si le soutien à une réunification reste marginal. L’influence des États-Unis et de ses alliés sur l’opinion publique taïwanaise est également déterminante. Les accords de coopération militaire, les visites officielles et les déclarations de soutien au gouvernement taïwanais encouragent une partie de la population à envisager un renforcement des alliances, tandis que d’autres craignent une escalade des tensions avec Pékin.

Mourir pour Taïwan

Concernant la volonté des taïwanais à défendre l’île face à une invasion chinoise, celle-ci est nuancée et complexe, influencée par nombre de facteurs internes comme externes. D’un côté, les sondages montrent que la majorité des Taïwanais se disent prêts à défendre leur île. Par exemple, environ 68 % des personnes interrogées en août 2023 se disaient « très » ou « plutôt prêtes » à se battre si la Chine attaquait, bien que ce pourcentage ait fluctué au fil du temps, notamment en réaction aux tensions militaires ou aux visites de responsables américains à Taipei.

Cependant, il y a des doutes sur ce que signifie concrètement cette volonté de com battre. Les expériences de guerre des Taïwanais sont limitées, rendant les prédictions sur leur comportement en cas de conflit réel plutôt incertaines. De plus, la question de la mobilisation et de la préparation militaire reste problématique : bien que Taïwan ait environ 188 000 soldats actifs, l’efficacité de ses réserves est souvent remise en question.

L’attente d’une aide internationale, et plus particulièrement américaine, joue un rôle majeur dans l’opinion publique. Les Taïwanais semblent divisés quant à la possibilité d’une intervention directe des États-Unis. Certains pensent que les États-Unis se contenteraient de fournir des armes, tandis qu’une minorité croit en une intervention militaire conjointe. Le soutien international, notamment de la part des États-Unis, est perçu comme un élément crucial pour maintenir la volonté de résister.

En somme, bien que de nombreux Taïwanais semblent prêts à défendre leur nation, leur détermination est liée à la perception d’un soutien international, tout comme celle de l’Ukraine est influencée par l’aide occidentale en cours. Les préoccupations concernant l’équipement, l’organisation militaire et la solidité des alliances internationales ajoutent à la complexité de la situation actuelle.

Les élections présidentielles et législatives de 2024

Le scrutin présidentiel de janvier 2024 a capté la majeure partie de l’attention médiatique internationale : William Lai Ching-ten (DPP) a été élu président avec 40,05% des voix alors que l’ancienne présidente Tsai Ing-wen (DPP) l’avait été avec 57,1% des voix en 2020.
Une autre élection s’était déroulée le même jour et était potentiellement tout aussi significative : l’ensemble des 113 sièges du Parlement taïwanais étaient à pourvoir pour un mandat de quatre ans. Ces élections législatives furent marquées par des pertes significatives pour le PDP (51 vs. 68 sièges en 2016) à la faveur du KMT (52 vs. 35 sièges en 2016). Une réelle lassitude politique, une volonté de changement et un mécontentement croissant ont pesé lourd dans le vote des Taïwanais.
Autre élément intéressant de cette élection est l’avènement du Parti du peuple taïwanais (TPP) qui avec près de 10% des sièges lui permet de jouer un rôle de «faiseur de roi» dans le parlement. Le KMT et le TPP représentent ensemble (62 %) une vision politique plus nuancée sur la question des relations avec la Chine continentale et un affaiblissement de la ligne dure indépendantiste.

Quelles solutions pour l’avenir ?

L’opinion reste divisée, oscillant entre la défense de la souveraineté et le désir d’éviter une confrontation directe avec la Chine. La majorité semble privilégier le statu quo, estimant qu’il représente le compromis le plus viable entre indépendance et stabilité. La consolidation des liens diplomatiques et économiques avec des puissances étrangères est vue comme une garantie de protection face à Pékin. À moyen terme, les solutions pourraient se concentrer sur un renforcement des capacités de défense tout en maintenant le statu quo, combiné à des politiques de dialogue économique mesuré avec la Chine pour réduire les risques de tensions. Il existe des mécanismes de coopération régionale et internationale, ceux-ci associée à une consolidation de l’identité taïwanaise, proposent des voies réalistes pour un avenir stable. Toute tentative de modification unilatérale du statu quo, qu’elle vienne de Pékin ou de Taipei, risquerait d’accentuer la polarisation interne et d’entraîner des conséquences géopolitiques imprévisibles. Une solution durable nécessiterait de concilier la reconnaissance de l’identité taïwanaise avec une gestion pragmatique des relations sino-taïwanaises, dans un cadre de sécurité collective plus large.

Claude R. JAECK
Bangkok, le 7 novembre 2024

TAÏWAN EN CHIFFRES

Taïwan est un État insulaire de 36 197 km² (1) situé à 180 km à l’est de la Chine.
Sa capitale, Taïpei, est située au nord de l’ile.

Ce pays très montagneux, est peuplé de 24,5 millions d’habitants avec une densité moyenne de 650 h/km2, une des plus élevées au monde. Mais la grande majorité de la population se concentre sur la côte ouest où la densité atteint 1 500 h/km2. La zone centrale de l’ile très montagneuse et forestière est à peu près déserte.

Les Chinois constituent l’essentiel du peuplement. Il existe des minorités proto malaises sur les hauteurs. Le taux de fécondité n’assure plus la croissance de la population, vieillissante (l’espérance de vie des femmes à la naissance est une des plus élevées du monde).

Taipei, la capitale, domine le réseau urbain avec 2,5 millions d’habitants , devant Kaohsiung 1,5 million d’habitants).

Considérée par la Chine comme sa 23e province, Taiwan est administrée de fait, sous le nom de république de Chine, par son propre gouvernement, depuis 1949.
Sur le plan économique, la principale entreprise est Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) qui produit plus de 90 % des puces de moins de 10 nanomètres utilisés dans le monde. Ce secteur représente 15 % du PIB taïwanais ; les exportations annuelles de semi-conducteurs sont estimées à plus de 150 milliards de dollars US.
Les grandes entreprises françaises implantées à Taïwan: Airbus, Total Energies, Thales, Safran, Dassault Systèmes.

(1) soit une superficie intermédiaire entre celle de la Belgique et celle des Pays-Bas




L’industrie française de l’armement manque cruellement de bras

Selon une étude menée par la DGA auprès de 2 500 entreprises, l’industrie de l’armement manque cruellement de bras et de cerveaux : 10 000 postes sont immédiatement à pouvoir dans tout le pays.
Pour produire plus et plus vite, les entreprises, dont le carnet de commandes est plein, recherchent avant tout des ouvriers et des techniciens. La difficulté à recruter des profils expérimentés pourrait être un frein pour répondre aux défis de l’économie de guerre.

Naval Group envisage de recruter plus des 1 000 personnes en 2025 dans un grand nombre de métiers: soudeurs, électriciens, électroniciens, métiers du digital, ingénieur…

Et si le nerf de la guerre, c’était… les RH ? En pleine économie de guerre, où le ministère des armées demande aux industriels de l’armement de produire plus et plus vite, ceux-ci manquent cruellement de bras. «Il y a 10 000 postes disponibles dans les industries de défense partout en France», estime le délégué général à l’armement Emmanuel Chiva. Le patron de la direction générale à l’armement (DGA) s’exprimait à l’occasion de son audition le 4 décembre devant la commission de la défense et des forces armées sur les enjeux de l’économie de guerre.

Hassan MEDDAH
L’Usine Nouvelle
10 décembre 2024


Dopées par le Rafale et les sous-marins, les exportations d’armes françaises ont atteint 18 milliards d’euros en 2024

Les exportations d’armement de la France ont atteint 18 milliards d’euros en 2024, soit la deuxième meilleure année enregistrée par le secteur après 2022. S’il se félicite de ces résultats, le gouvernement reste lucide sur le chemin qu’il reste à accomplir pour parvenir à mettre en place une véritable économie de guerre dans l’Hexagone.

Les exportations d’armes françaises sont au beau fixe : elles ont atteint pas moins de 18 milliards d’euros en 2024. Sébastien Lecornu, ministre des Armées, l’a annoncé mardi 7 janvier en précisant que 10 milliards d’euros concernaient des «plateformes phares» comme le chasseur Rafale de Dassault (La Serbie a acheté douze Rafale en 2024) ou les sous-marins d’attaque produits par Naval Group.

Thibaut CHEREAU
L’Usine Nouvelle

07 janvier 2025


Dassault a quasiment doublé ses livraisons de Rafale en 2024

Dassault Aviation a livré 21 Rafale en 2024, contre 13 en 2023. L’avionneur espère atteindre la cadence de trois appareils par mois en 2025, mais fait face à des tensions au sein de sa chaîne de fournisseurs. Si le succès de son avion de combat se confirme, ses jets d’affaires sont en revanche moins à la fête.

L’an dernier, Dassault Aviation a livré 21 Rafale, contre 13 en 2023. En ligne de mire: passer de 2 à 3 avions produits par mois dans le courant de l’année 2025.

Les livraisons de Rafale relèvent franchement le nez. Dassault Aviation a fait savoir, mardi 7 janvier, qu’il avait livré l’an dernier 21 exemplaires de son avion de combat, contre 13 en 2023. Soit un exemplaire de plus que l’objectif fixé en début d’année. Dans le détail, 14 Rafale étaient destinés à l’armée française et 7 à l’export. Avec un carnet de commandes total de 220 Rafale (dont 164 à l’export), contre 211 l’an dernier, l’industriel cherche à tirer vers le haut ses cadences de production pour réduire les délais de livraisons auprès de ses clients. Et ce malgré les fortes tensions au sein de la chaine de fournisseurs.

Objectif pour Dassault Aviation : passer de 2 à 3 exemplaires produits chaque mois dans le courant de l’année, sur un cycle annuel de 11 mois (le mois d’août n’étant pas pris en compte). Pour rappel, l’outil industriel de Dassault Aviation était calé sur la cadence d’un Rafale par mois jusqu’en 2014. Puis la première vague de contrats exports entre 2015 et 2017 – avec 24 appareils pour l’Egypte, 24 pour le Qatar et 36 pour l’Inde – avait poussé à tirer vers le haut les capacités de production.

Une montée en cadences délicate

Après un ralentissement industriel engagé en 2020 faute de nouveaux contrats, l’avionneur a remis les gaz à la faveur d’une nouvelle salve de commandes à l’export : 80 pour les Émirats Arabes Unis, 31 pour l’Égypte, 12 pour la Grèce, 42 pour l’Indonésie et 12 pour la Serbie. L’an dernier, 30 Rafale ont encore été commandés, contre 60 en 2023 (42 France et 18 à l’export). Il s’agit des 12 destinés à la Serbie ainsi que de 18 exemplaires pour l’Indonésie, ces derniers étant compris dans le contrat de 42 Rafale passé en 2022. Une moisson de contrats qui a contribué aux 18 milliards d’euros de contrats d’exportation d’armement en France l’an dernier.

Dassault Aviation devrait donc parvenir à produire cette année entre 25 et 30 appareils. L’objectif de livraisons pour cette année sera dévoilé le 5 mars prochain, à l’occasion de la présentation des résultats annuels. Pour rappel, Dassault livrant parfois par paquets, il est parvenu certaines années à livrer davantage d’appareils que ne le laissent supposer les cadences : l’avionneur à par exemple livré 25 Rafale en 2021. La montée en cadence de l’avionneur, qui bénéficie aujourd’hui de dix années de production assurée, est tout sauf triviale : il faut 36 mois pour produire un Rafale, un assemblage qui met par ailleurs en branle quelque 400 sous-traitants répartis sur tout le territoire français. Et entre les commandes pour l’armée française et ses clients à l’export, l’industriel va devoir trouver le bon équilibre.

Si le Rafale prend de la hauteur, les Falcon sont en revanche plus à la peine. L’an dernier, Dassault Aviation a livré 31 Falcon : un niveau supérieur à celui de 2023 (26 Falcon) mais inférieur à l’objectif fixé de 35 jets d’affaires. Pour mémoire, pas moins de 95 Falcon avaient été livrés en 2010. Si le marché de l’aviation d’affaires reprend aujourd’hui des couleurs, là encore, l’avionneur fait face comme les autres donneurs d’ordre à des retards de livraisons de pièces au sein d’une chaîne de fournisseurs mise à rude épreuve depuis le Covid. Malgré tout, l’industriel peut se consoler avec un bilan commercial à la hausse : 26 Falcon ont été commandés en 2024, contre 23 en 2023. Le carnet de commandes comprend aujourd’hui 79 Falcon, soit 5 de moins qu’en 2023.

Olivier JAMES
L’Usine Nouvelle
08 janvier 2025




Les conditions d’une future politique sahélienne

Au Sahel où le retrait français a laissé le champ libre aux GAT (Groupes armés terroristes), la situation est désormais hors contrôle. Face aux massacres de civils, les armées locales sont totalement dépassées quand elles ne sont pas complices. Quant aux mercenaires russes, ce n’est pas en multipliant les crimes de guerre qu’ils pourront faire croire aux populations qu’ils sont animés de la « parcelle d’amour » qui était si chère à Lyautey et aux grands coloniaux français…

Il faut bien voir que la catastrophe actuelle résulte de deux principales erreurs de diagnostic faites par les décideurs parisiens : 

1) Avoir cautionné la cuistrerie de ceux de leurs « experts » officiels qui qualifiaient systématiquement de jihadiste tout bandit armé ou même tout porteur d’arme. 

Alors que nous étions face à un « cocktail » de revendications ethniques, sociales et politiques opportunément habillées du voile religieux, et que le trafic était devenu le poumon économique de populations subissant les effets d’une désertification accélérée par la démographie. D’où la jonction entre trafic et islamisme, le premier se faisant dans la bulle sécurisée par le second.

2) Avoir ignoré les constantes ethno-historico-politiques régionales. 

Un tel refus obstiné de prendre en compte les réalités ethniques s’explique à la fois par l’idéologie et par l’ignorance. Avec pour conséquence que des solutions aussi hors sol que simplistes ont été plaquées sur la complexe, mouvante et subtile alchimie humaine sahélienne. 

En effet, dans ces immensités où le jihadisme surinfecte de vieilles plaies ethno-historiques, présenter comme solution un processus électoral est une farce tragique car il n’aboutit qu’à un sondage ethnique grandeur nature. Quant au discours convenu prônant la nécessité de combler le « déficit de développement » ou encore la « bonne gouvernance », il relève du charlatanisme politique… 

En 2025, si, après avoir été honteusement « éjectée » du Sahel à la suite de l’accumulation des erreurs commises par Emmanuel Macron, la France décidait d’y revenir, ses dirigeants devraient alors bien réfléchir. Ils ne devraient en effet plus voir la question régionale à travers le prisme des idéologies européo-centrées, des automatismes contemporains et des «singularités » LGBT. 

Tout au contraire, il s’agirait pour eux de replacer les évènements dans leur contexte historique régional à travers cette longue durée qui, seule, permet de comprendre qu’ils sont liés à un passé toujours prégnant et qui conditionne largement les choix des uns et des autres. 

Bernard LUGAN*
Editorial de janvier 2025

*Pour le comprendre, on se reportera à mon livre Histoire du Sahel des origines à nos jours.

Pour aller plus loin, lire :
L’Afrique Réelle n°181 – Janvier 2025

Sommaire

Dossier : L’année 2024 en Afrique, bilan et perspectives pour 2025
– L’Algérie sans boussole
– Algérie, un bilan diplomatique désastreux 
– Le trou noir du Sahel
– Ailleurs sur le continent

Dossier : Soudan, la guerre de l’est contre l’ouest
– La descente aux enfers du Soudan
– Les fronts du Soudan




Missiles : MBDA devient l’unique propriétaire de Roxel

MBDA a finalisé l’achat de 50 % des parts détenues par Safran dans le spécialiste de la propulsion tactique Roxel.

Le groupe de défense MBDA a annoncé la conclusion du rachat à Safran de la moitié du capital du groupe franco-britannique Roxel, spécialisé dans les moteurs pour missiles.
Ainsi, MBDA possédera la totalité du capital de la société, ce qui lui permettra d’accélérer la montée en cadence de ses missiles grâce à une meilleure intégration verticale.

Anne BAUER
Les Echos (extrait)
06/01/2025




Menaces sur l’industrie d’armement française

Le Groupe Vauban met en garde contre la création d’un marché unique européen de la défense, qui ferait la part belle aux industriels extra-européens et aux coalitions germano-italiennes ou germano-britanniques, affaiblissant ainsi considérablement la souveraineté française. Face à cette évolution pilotée par les « deux Bruxelles » et par Berlin, il appelle à une révision fondamentale des alliances et à un sursaut national pour préserver l’industrie d’armement et la dissuasion françaises.

Présentation AASSDN : Le Groupe “Vauban”, est composé d’experts des questions de Défense soucieux de préserver la souveraineté nationale notamment dans le domaine stratégique de l’industrie d’armement. Les deux articles ci-dessous, parus fin 2024 dans La Tribune, ont pour objet d’alerter et de sensibiliser les Français sur les conséquences des opérations  de recomposition envisagées et en cours des alliances dans l’industrie d’armement européenne. Selon les conclusions de l’analyse très argumentée réalisée par le Groupe “Vauban”, la situation de l’industrie de défense française, atout majeur de la souveraineté de notre pays en sortirait très affaiblie.

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L’Europe coalisée contre la France
Les deux Bruxelles contre la France
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Où va l’Union européenne dans le domaine de l’industrie de la défense ? Selon le groupe Vauban, la création d’un marché unique au niveau européen ouvrira la porte aux industriels américains, israéliens et sud-coréens avec la création d’une autorité centralisée européenne de l’industrie de défense. Elle permettra une « coordination améliorée pour agréger l’acquisition de systèmes américains par des groupes d’États-Membres de l’UE », selon une recommandation du rapport Draghi. C’est pour cela que la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, a souligné le rôle de l’Otan qui est, selon elle, « la colonne vertébrale » de la défense commune.

Dans sa longue histoire, la France s’est régulièrement retrouvée seule face à une Europe coalisée contre elle : la force de son État-nation, de son génie diplomatique et militaire et de son rayonnement culturel lui a toujours permis d’y faire face. Les guerres de Louis XIV puis celles de la Révolution et de l’Empire, jusqu’aux décisions diplomatiques et militaires du général de Gaulle, en témoignent. L’Histoire se répète aujourd’hui sous d’autres formes, moins épiques mais tout aussi décisives : la résurrection de la Communauté Européenne de Défense de 1952, l’alliance germano-italienne dans le domaine terrestre (avant son prolongement ultérieur dans le domaine naval), et l’accord germano-britannique de Trinity House, prenant à revers le Traité de Lancaster House et celui d’Aix-la-Chapelle, en sont trois récentes manifestations.

Au terme de ces développements, la France n’est nulle part dans une Europe qu’elle prétend pourtant bâtir mais qu’elle n’a ni volonté ni constance pour la guider vers le sens de ses intérêts.

Bruxelles la fédérale ou la « volière des cabris »

L’âme de la première coalition anti-française est à Bruxelles. S’arrogeant des compétences qu’aucun traité ne lui reconnaît, la Commission européenne, pourtant gardienne des traités, use et abuse des mêmes procédés, dénoncés en son temps par la France lors de la politique de la chaise vide (mai – juillet 1965) : utilisant avec zèle son droit d’initiative, elle prend prétexte du marché intérieur pour réglementer le domaine de la Défense, sanctuaire pourtant exclusif des États-nations.

Avec ses manières à la fois arbitraires et bureaucratiques mais toujours opaques, car avançant masquée, elle promet à ce secteur le même sort que les autres domaines dont elle s’est occupée depuis 1958 : la ruine totale au profit de la concurrence extra-européenne. L’agriculture, les transports, l’énergie, la métallurgie, l’automobile ont été sacrifiés sur l’autel de ses décisions et de ses convictions : les mêmes remèdes produisant les mêmes causes, la Défense ne fera pas exception.

En ce sens, le rapport Draghi et la nomination d’un Commissaire européen à la défense accélèrent le processus, amorcé en 1952 avec la CED. La marche fédérale de von der Leyen consiste en cinq étapes claires dont la caractéristique commune est de reposer sur des principes tous aussi faux que néfastes aux systèmes de défense de chaque État-membre :

L’Europe sous les fourches caudines américaines

Ce schéma n’est ni imaginaire ni exagéré : c’est très exactement l’Europe de la Défense que dessine le rapport Draghi et que M. Kubilius s’efforcera, pas à pas, de concrétiser durant son mandat. En ruinant assurément le secteur de l’industrie d’armement en Europe, il détruira l’objectif même recherché : la défense de l’Europe par elle-même. Que nombre d’États-membres n’aient pas protesté, se conçoit : comme le disait le général De Gaulle [1], « les Allemands, les Italiens, les Belges, les Pays-Bas sont dominés par les Américains ».

Mais il est tragique de constater qu’en France, il n’y aura plus communistes et gaullistes – ou un Mendès-France – pour faire échec à cette CED nouvelle version. Les communistes ont disparu et les gaullistes, depuis Jacques Chirac, se sont ralliés à la fédéralisation de l’Europe tout en maintenant la doctrine de dissuasion française, refusant de voir que l’une sacrifie délibérément l’autre. Aucun parti, y compris le RN, ne va jouer le rôle-clé qu’il aurait pu jouer sur ce dossier, à l’instar de celui joué par le gaullisme en 1954.

Cette marche à la supranationalité ne sera donc pas freinée par les États-membres sans géopolitique ni par les partis souverainistes sans courage, mais bel et bien recadrée par ceux-là même à qui elles profitent in fine : l’OTAN et les Etats-Unis, car ce que Madame von Der Leyen n’a pas voulu voir ou dire, c’est que sa CED à elle, en faisant doublon à l’OTAN, se condamne d’elle-même.

L’Europe ne faisant pas le poids face à l’OTAN, la seule issue à ce conflit, déjà palpable à Bruxelles, sera une supranationalité soigneusement encadrée ou recadrée par les Etats-Unis pour, à la fois, assoir leur leadership politique en Europe (un théâtre d’opération majeur pour eux quoiqu’en dise) et s’assurer des parts dominantes dans le marché européen de la Défense. « To get the U.S in, the Soviets out and the Germans down » : cette définition cynique de l’OTAN formulée par le premier Secrétaire-Général de l’OTAN, Lord Ismay, reste toujours d’actualité.

L’Europe de la défense de Mme von der Leyen se dissoudra donc dans le pilier européen de l’OTAN, donnant ainsi raison au général De Gaulle : « Vous savez ce que ça veut dire, la supranationalité ? La domination des Américains. L’Europe supranationale, c’est l’Europe sous commandement Américain » [2].

La seule initiative qui subsistera sera la communautarisation forcée de l’industrie de défense des États-membres, annoncée dès le 8 juillet 2017 par Mme Goulard, éphémère ministre de la Défense française : « Si nous voulons faire l’Europe de la défense, il va y avoir des restructurations à opérer, faire des choix de compatibilité et, à terme, des choix qui pourraient passer dans un premier temps pour aboutir à privilégier des consortiums dans lesquels les Français ne sont pas toujours leaders ». La perte de souveraineté industrielle assumée est toujours d’actualité si l’on en croit MM. Cingolani et Folgiero, respectivement PDG de Leonardo et de Fincantieri qui ont repris récemment la même antienne…tout en s’assurant que cette Europe industrielle-là se fera sous leur tutelle [3].

Au bilan, la seule « politique de la chaise vide » que la France aura faite, n’a pas été le fruit d’une décision d’un ministre de la Défense français qui s’affiche gaulliste, mais de quelques industriels tricolores qui ont refusé de signer leur arrêt de mort sur l’autel de la fédéralisation de l’industrie d’armement. Deux d’entre eux sont les maîtres d’œuvre de la dissuasion : ce n’est pas un hasard tant la CED de Mme von Der Leyen est négatrice de la doctrine de dissuasion nationale qui suppose la souveraineté intégrale et non la servitude volontaire aux deux Bruxelles.

[1] C’était de Gaulle, Alain Peyrefitte, Tome II, page 296
[2] Op.cit.
[3] Propos extrêmement clairs de M. Cingolani, Corriere della Serra, 27 octobre 2024, liant perte de souveraineté et leadership« Dans l’espace, comme dans la défense, ce qui est petit n’est pas beau et même une taille moyenne comme la nôtre ne suffit pas : les entreprises européennes doivent s’allier, sacrifiant leur souveraineté sur le petit marché intérieur pour pouvoir rivaliser ensemble sur l’immense marché mondial. Leonardo fait office de sherpa dans ce domaine et avec Rheinmetall, nous avons atteint un premier sommet historique ».

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L’Europe coalisée contre la France
L’Allemagne, l’âme des coalitions de revers
(2/2)

Après avoir exploré les pièges de la résurrection de la Communauté européenne de défense de 1952, le groupe Vauban décrypte la stratégie de marginalisation de la France par l’Allemagne, l’Italie et la Grande-Bretagne avec l’alliance entre Berlin et Rome dans le domaine terrestre et l’accord de Trinity House avec Londres.

L’âme de la deuxième coalition est, sans surprise, à Berlin même. Poursuivant sa politique de champions nationaux (Diehl dans les missiles ; OHB dans le spatial ; Rheinmetall plus que KMW, dans les blindés ; Hensoldt dans l’électronique de défense ; TKMS dans le naval ; Renk et MTU dans la propulsion) et de récupération des compétences qui lui font encore défaut (propulsion spatiale, satellites d’observation et aéronautique de combat et missiles), l’Allemagne a compris depuis les années 90 qu’elle obtiendrait beaucoup plus d’une France récalcitrante en faisant des alliances de revers que par la négociation directe.

En ce sens, l’actualité récente est la réédition des années 1997 à 2000, années où Berlin a proposé à Londres des fusions de grande ampleur : Siemens avec BNFL, bourse de Francfort avec celle de Londres, DASA avec British Aerospace. A chaque fois, il s’agissait moins de forger des alliances de revers que de faire pression sur la France. Trop faible pour voir clair dans ses intérêts et le jeu de ses concurrents, trop altruiste pour voir toute la naïveté et la portée de ses actes, la France de Lionel Jospin a offert la parité à l’Allemagne dans le domaine de l’aéronautique, elle qui n’en demandait au mieux que le tiers (qu’elle pesait au demeurant très justement…).

L’Allemagne, l’âme des coalitions de revers

Avec ses alliances en Italie (dans le domaine des blindés) et au Royaume-Uni (sur l’ensemble des segments), Berlin tend à Paris de nouveau le même piège : « cédez sur le MGCS et le SCAF, ou nous actionnons l’alliance de revers ». L’Europe de l’industrie d’armement qui se prépare, n’est en réalité qu’une coalition contre les thèses françaises dans la Défense et son indispensable corolaire, l’armement. Nulle surprise dans ce constat : dominant ses concurrents militaires et industriels grâce à l’héritage gaullien, possédant le sceptre nucléaire qui lui ménage une place à part dans le concert des grandes nations, influente par son siège au Conseil de sécurité aux Nations-Unies et ses exportations d’armement, la France est le pays à ramener dans le rang des médiocres aigris et jaloux et de la petite bourgeoisie de la défense européenne.

Rien de nouveau sous le soleil européen puisque, si l’on en croit Alain Peyrefitte, le général De Gaulle faisait déjà cette analyse : « Pour la dominer aussi, on s’acharne à vouloir la faire entrer dans un machin supranational aux ordres de Washington. De Gaulle ne veut pas de ça. Alors, on n’est pas content, et on le dit à longueur de journée, on met la France en quarantaine. » (13 mai 1964).

La menace Rheinmetall

Marginalisée depuis la création de KANT puis de KNDS, méprisée voire sacrifiée en France même par le gouvernement de François Hollande en 2015 avec la complicité des députés UMP, l’industrie terrestre nationale ne vit que par des îlots (canons, tourelles, obus), ayant abandonné les chars (sans que la DGA ne réagisse en 2009 lors de la suppression de la chaîne Leclerc par Luc Vigneron), les véhicules blindés chenillés (choix très contestable du tout-roues), l’artillerie à longue portée et saturante ; écrasée par la férule de Frank Haun, désormais noyé dans KNDS France sans trop oser se défendre lui-même, Nexter est menacé de disparition par la double alliance KMW/Rheinmetall au sein du MGCS et Rheinmetall/Leonardo dans l’ensemble des segments.

Aveuglé par le couple franco-allemand, Paris n’a pas accordé assez d’attention à la montée en puissance de Rheinmetall, vrai champion du terrestre allemand, qui, par commandes et acquisitions, se retrouve enraciné en plein milieu du jeu allemand (comme future actionnaire de TKMS et bras armé de la politique ukrainienne de Berlin), et de la scène européenne qu’il a conquise pas à pas : en Hongrie d’abord, puis au Royaume-Uni, en Lituanie, en Roumanie, en Ukraine, en Croatie et désormais en Italie, sans oublier d’établir la relation transatlantique (avec Lockheed Martin sur le F-35, avec Textron sur la compétition Lynx et en achetant le constructeur Loc Performance Products). La toile tissée par Rheinmetall en Europe est une véritable coalition contre les positions françaises.

Un partage de l’Europe sans la France

Le même coup de faux se prépare avec l’accord germano-britannique de Trinity House qui, même s’il ne réalisera pas toute ses prétentions faute de compétences et de moyens, érige un axe concurrent durable et redoutable dans des domaines clés pour la France : le nucléaire, les systèmes de missile à longue portée, les drones d’accompagnement des avions de combat de future génération, la robotique terrestre, la patrouille maritime.

Fidèles serviteurs de l’OTAN et de Washington, animés d’un désir de mettre la France en position d’infériorité militaire et industrielle, les coalisés se sont partagés l’Europe : à l’Allemagne, la défense du flanc Nord de l’OTAN ; à l’Italie, la défense du flanc Sud joignant théâtre de la Méditerranée orientale à l’Asie-Pacifique ; au Royaume-Uni, la Turquie, la Pologne et les pays baltes en liaison avec l’Allemagne. Les contrats industriels suivent les diplomates, avec une moisson gigantesque de chars de combat Leopard, de véhicules blindés Boxer, de l’artillerie RCH-155, de véhicules blindés de combat d’infanterie Lynx et de chars Panther et de systèmes sol-air (22 pays membres de l’initiative allemande ESSI).

La France nulle part dans l’Europe qu’elle prétend bâtir

Au bilan, la France est nulle part dans cette Europe qu’elle prétend pourtant bâtir ; elle n’a pas eu le courage politique de s’opposer aux dérives illégales de la Commission européenne en pratiquant la politique de la chaise vide ; son gouvernement est un mélange instable de fédéralisme affirmé, d’atlantisme assumé et de gaullisme à éclipses : comment pourrait-il mener une autre politique que celle « du chien crevé au fil de l’eau » (De Gaulle) consistant à se couler avec facilité et confort dans le mainstream institutionnel otanien au nom de l’Ukraine ? Comme lors de la IVe République, ses partis politiques sont occupés à la tambouille politicienne et ne pensent plus le monde selon les intérêts nationaux mais selon les intérêts de l’OTAN, de l’Ukraine et d’Israël.

Alors que la France s’épuise en débats stériles politiciens dans un régime devenu instable (les deux vont de pair), ses positions stratégiques en Europe se dégradent :

Le pire est que ces développements ont été portés par la classe politique elle-même qui les a encouragés à coup de proposition de « dialogue sur la dissuasion », « d’autonomie stratégique européenne » ou de programmes en coopération mal négociés, en mettant de côté les aspects gênants comme les divergences de doctrine, de niveau technologique et d’analyses sur les exportations.

Le pire est également que ces développements se profilent au moment même où la France, faute de limiter son gouvernement aux seuls domaines régaliens et de créer la richesse au lieu de la taxer et de la décourager, n’a plus les moyens de sa défense : comment celle-ci pourrait-elle en effet continuer de résister à la dérive des finances publiques, à la sous-estimation systématique de tous ses besoins (des capacités négligées aux infrastructures délaissées en passant par les surcoûts conjoncturels prévisibles mais ignorés) et à la mauvaise gestion de ses finances propres (comme en témoigne le montant faramineux des reports de charges) ?

Si la LPM est officiellement maintenue en apparence, ses fondements financiers, déjà minés dès sa conception par un sous-financement général, apparaissent pour ce qu’ils sont : insuffisants à porter le réarmement national de manière durable et soutenu. Faudra-t-il comme Louis XIV vendre l’argenterie royale ? Faudra-t-il vendre des biens nationaux comme la Révolution le fit dans son incurie ? Ou lui faudra-t-il écraser d’impôts les Français comme le Premier Empire s’y est résigné pour éviter l’emprunt ?

Une révision drastique de ses alliances

La rupture avec les deux Bruxelles est la double condition de la renaissance nationale. Face à l’Europe coalisée contre son système de défense, la France n’aura pas d’autre choix qu’un sursaut passant par une révision fondamentale du rôle de l’État, c’est-à-dire la réduction drastique de ses interventions sociales et économiques ruineuses et inefficaces, et d’une révision complète de son cadre d’alliances, afin que celles-ci la fortifient au lieu de l’atrophier.

La guerre froide n’a pas empêché ni la politique de la chaise vide ni le retrait du commandement intégré de l’OTAN, c’est-à-dire de quitter les deux Bruxelles au profit d’une politique du grand large, et pourtant le général de Gaulle qui a pris ces deux décisions majeures, n’était ni irresponsable ni irréfléchi. Les fruits de la grande politique qu’il a voulue, sont connus : un rayonnement considérable de sa diplomatie et de ses exportations d’armement.

Groupe Vauban*
Article paru dans « La Tribune »
04 et 05/11/2024

[*] Le groupe Vauban regroupe une vingtaine de spécialistes des questions de défense.




Conférence sur les fondements et frontières de la souveraineté numérique

Le monde est en train de changer en passant de la domination des occidentaux à celle des BRICS. Parallèlement après avoir cru à la mondialisation depuis 1990 nous rentrons dans la multipolarité dans laquelle chaque groupe de pays veut affirmer sa spécificité et recouvrer une souveraineté mise à mal par le système occidental.

La souveraineté c’est le droit absolu d’exercer une autorité législative, judiciaire ou exécutive sur une région, un pays ou un peuple. Comme l’a défini le général De Gaulle : Tout système qui consisterait à transmettre notre souveraineté à des aéropages internationaux serait incompatible avec les droits et devoirs de la république française.

Au niveau d’un pays elle peut être politique, territoriale, économique, militaire et, pour ce qui nous intéresse, numérique.

A ce stade il faut rappeler la définition du numérique : c’est une information qui se présente sous forme de nombres, associés à une indication de la grandeur physique à laquelle ils s’appliquent, permettant les calculs, les statistiques, et la vérification des modèles.

La souveraineté numérique c’est donc tout ce qui permet à un état ou une organisation d’établir son autorité, pour exercer ses pouvoirs dans le cyberespace, en couvrant des domaines comme le contrôle des données personnelles ou la dépendance technologique.

Pour aller plus loin il faut se souvenir qu’elle est de deux ordres :

  • La souveraineté numérique proprement dite concerne la propriété et fait référence à la capacité de gouverner l’infrastructure numérique. Elle permet de donner confiance aux citoyens, aux entreprises et aux administrations en contribuant à la protection de leurs données personnelles, professionnelles ou étatiques. On la mesure en identifiant au niveau des fournisseurs, des technologies, et des personnes, les endroits où un effet de verrouillage ou d’autres problèmes affectent ou peuvent affecter la souveraineté numérique

  • La souveraineté des données concerne le contrôle. Elle fait référence aux lois et à la gouvernance entourant la collecte et le stockage des données. Elle repose sur l’autorité permettant de détenir des données et sert en droit générique au service des nombreux aspects liés au traitement des données numériques entre protection chiffrement transmission et stockage. 

En France la RGPD établit ce qui est acceptableen matière de collecte de traitement et de stockage des données personnelles. On attend des entreprises qu’elles respectent la vie privée, qu’elles soient transparentes sur la manière de collecter et d’utiliser les données, et qu’elles leurs fournissent les outils dont elles ont besoin pour gérer leurs données.

Au niveau de l’UE dans le cadre du Digital Cyber Act mis en marche le 6 mars 2024, le commissaire européen Thierry Breton a fait adopter 3 textes : le Digital Operational Resilience Act (DORA) pour les financiers, le Digital Service Act (DSA) pour les contenus illégaux , et le Digital Market Act (DMA) pour protéger les utilisateurs européens et leurs données.

Cette souveraineté des données de l’UE est garantie par l’application de ces réglementations assurant leur protection quel que soit leur lieu de traitement ou de stockage. 

Elle développe la concurrence sur les marchés numériques avec les géants du secteur. Sa mise en œuvre au niveau des enquêtes qui démarrent va permettre des sanctions réelles : ainsi Apple risque 6% d’amendes sur son CA mondial pour abus de monopole. Mais les capacités de remplacement des GAFAM par des acteurs européens est loin d’être évidente d’autant que la commission se mobilise peu pour y contribuer comme on l’a vu par exemple pour Nokia.

En complément de la souveraineté numérique et des données, il faut évoquer l’IA souveraine qui est la capacité d’une nation à développer l’IA avec des talents locaux à différents niveaux, en fonction de sa stratégie nationale en matière d’IA. Elle fait référence au contrôle exercé par un gouvernement ou une organisation sur les technologies d’IA et les données pour l’adapter à ses besoins locaux en vue de préserver ses valeurs et sa surveillance réglementaire.

Comme l’a dit Joseph Wehbe au World Economic Forum de Davos : Tous les gouvernements devraient travailler à lancer et développer des ecosystèmes d’IA locaux pour piloter la compétitivité économique et préserver leurs propres valeurs.

Selon la définition de Francois Jolain, la souveraineté numérique repose sur 3 piliers :

– l’électronique que l’on fabrique (hardware) 
– les logiciels qui tournent (software),
– les logiciels qui offrent un service en ligne sur internet (cloud)

Le Hardware :

C’est la filière des infrastructures commençant par les serveurs dans les datacenters reliés par des câbles de fibres optiques à travers le monde et se terminant en périphérie par tous les appareils connectés.

Les GAFAM et les BATX investissent dans les infrastructures. Les câbles sont surveillés et interceptés non seulement par les pays traversés mais aussi sur leur parcours sous-marins.

L’ensemble repose sur l’utilisation massive de semi-conducteurs. Il y a quelques années Intel contrôlait la chaine avec un quasi-monopole. Aujourd’hui c’est très fragmenté mais la majeure partie de la fabrication se concentre sur l’Asie, principalement à Taiwan avec TSMC, Foxcom, et Mediatel mais il y en a aussi en Corée, au Japon, et en Chine avec Huawei.

La clé du process est dans la réalisation des puces. Les schémas de base sont vendus par ARM ou RISC-V en open source. La fabrication passe par un producteur sélectionné pour sa capacité selon l’épaisseur en nanomètre sachant que plus les transistors du circuit électronique sont fins plus on peut densifier le circuit et dissiper la chaleur. La plupart des producteurs font des puces de 7nm, soit environ 10.000 fois moins que l’épaisseur d’un cheveu, qui répondent à des besoins courants.

Les Hollandais d’ASML sont les seuls à faire des machines de gravure de 5nm. En position quasi monopolistique puisqu’elle est la seule capable de fabriquer des puces de 5nm, TSMC  est localisée dans la zone conflictuelle de Taiwan. Pour préserver la souveraineté numérique des occidentaux, les Américains ont obtenu la création de deux usines dans l’Arizona qui seront opérationnelles fin 2026. l’UE a également obtenu qu’une usine soit construite en Allemagne. Parallèlement on est obligé de constater que, depuis l’interdiction d’achat de puces taiwanaises et de machines ASML imposée par les Américains, la Chine rattrape son retard plus vite que prévu grâce à de très gros investissement dans la recherche avec l’aide de l’espionnage technologique.

Dépendre de puissances étrangères pour le hardware ouvre la porte à la surveillance et aux interceptions. On l’a vu avec Cisco pour la 4G et Huawei pour la 5G. Pour limiter le risque il faut avoir des entreprises capables de concevoir et de produire en France, comme ST Micro appuyé par des labos de recherche comme le CEA Tech à Grenoble qui intéresse nos concurrents. 

Le Software :

Il existe autant de logiciels tournant sur le hardware que d’usage, les plus critiques étant les systèmes d’exploitation (OS). Chacun crée une sorte de monopole car leurs applications sont conçues pour cet OS. De surcroit, plus il y a d’utilisateurs plus il y a d’applications ce qui attire plus d’utilisateurs. Le meilleur exemple est Microsoft qui propose un OS avec son ensemble d’applications permettant de répondre à tous les besoins.

Tout OS permet d’espionner son utilisateur directement ou par des back doors. C’est dans le software qu’apparaissent chaque semaine 5 000 virus nouveaux qui peuvent piller, détourner, copier ou détruire les données, ou encore organiser des demandes de rançons. Leur capacité peut aller jusqu’aux destructions massives avec des virus type Scada  comme Stuxnet et Olympic Games qui peuvent détruire des usines iraniennes ou couper des sources d’énergies comme la lumière de villes ukrainiennes.

D’un autre côté l‘exploitation des failles des OS et des applications ouvre des possibilités qui justifient les travaux de recherche pour les détecter et les éliminer.  L’open source qui réduit une partie du danger et de la dépendance est devenue la norme la plus utilisée. La Gendarmerie française qui utilise un OS, basé en open source, sur Linux en est un bon exemple.  

Le Cloud

Les Américains ont été les premiers à créer des clouds pour stocker des datas et créer nombre de services et logiciels en ligne. Le problème est venu des lois extraterritoriales des Etats-Unis qui permettent aux Services et administrations de pouvoir consulter et copier tout ce qui passe à travers ou utilise un élément américain.

De surcroit les différences de conception de la donnée, protégée en Europe mais commercialisée aux USA fait que des opérateurs comme, par exemple, Facebook, Tik tok ou Waze aspirent les données quand on les utilise.

Au-delà de son utilité indiscutable, le cloud est donc un endroit dangereux pour la sécurité des données si l’on n’y prend pas garde. Il faut toujours vérifier où sont localisés les datacenters et connaitre l’origine et les fonds du propriétaire du cloud. Ce risque réel a provoqué la création de clouds souverains européens et nationaux aux résultats variables car la concurrence est rude avec ceux d’outre atlantique qui sont en général moins coûteux et plus performants.

En réalité, si l’on veut vraiment sécuriser ses données, la solution passe par une évaluation hiérarchisée des données mises dans le cloud. On peut confier à un cloud américain ou international celles dont la diffusion ne représente aucun risque, à un cloud national celles qui sont très importantes ou essentielles, et à un cloud européen celles qui sont entre les deux.

La pratique montre que nous en sommes loin pour deux raisons ;

  •  Après l’échec du projet Andromède, la France ne dispose que d’un nombre très restreint de clouds souverains performants. De plus on est obligé de constater que les tentatives d’entrées en bourse d’OVH  pour se renforcer ont été perturbées selon un processus que l’on a déjà connu chaque fois que cela pouvait pénaliser des entreprises américaines.
  • En dépit des alertes et sensibilisations l’Etat et de nombreuses grandes entreprises continuent à traiter avec des clouds et des sociétés américaines dans des domaines variés comme la santé les impôts ou les énergies.

Au-delà du législatif, incluant la certification et les réglementations en vigueur, de l’optimisation de la chaine opérationnelle, et de la protection des données, le maintien de la souveraineté numérique implique l’utilisation de la cyberdéfense défensive et offensive face aux prédateurs de toute sortes et de toutes origines. Face à une évolution continue des technologies et des modes d’actions utilisés par les Etats, certaines entreprises et les groupes criminels, c’est un complément indispensable pour sécuriser sa position, qui utilise des outils conçus pour cette mission.

L’efficacité de la cybersécurité suppose une définition des objectifs à atteindre, un cadrage du périmètre et une identification préalable des vulnérabilités de l’entreprise. A ce stade il faut viser large en commençant par les modes de travail, les outils et leur utilisation, les bonnes pratiques, sans oublier les actions de prévention. Il ne faut jamais oublier que sans une politique de prévention on subit. Ajoutons que le développement de la mobilité et des outils nomades renforce l’importance des communications sécurisées et les risques d’interceptions.

 Vouloir une souveraineté numérique demande non seulement d’anticiper mais aussi de répondre aux attaques qui se multiplient. Ainsi en 2023 :

  • 69% des attaques ciblaient des entreprises
  • 20% des collectivités territoriales
  • 11% des établissements de santé

Sommes-nous numériquement souverains quand :

– en janvier 2024 l’hôpital Simone Veil de Cannes est attaqué par un ransomware et le groupe Ramsay santé subit une attaque conjointe dans deux établissements

– en février France Travail subit un malware infiltré ses systèmes informatiques

– en avril Saint-Nazaire subit une attaque qui paralyse les systèmes d’information et les services municipaux tandis qu’à Pont-à-Mousson la communauté de communes doit faire face à un cryptovirus

– en mai Engie subit une cyberattaque du groupe Lapsus tandis qu’Intersport se fait voler 52 Go de données sensibles.

– et pendant tout ce temps la SNCF et la Société générale affrontent des actions de pishing sur les clients qui continuent encore aujourd’hui

Les fondements et les frontières de la souveraineté numérique concernent aussi bien la data que la régulation, l’innovation que la cyberdéfense, sans oublier la puissance numérique dans tous les domaines que nous venons d’évoquer. Leur énumération et les problèmes rencontrés démontre qu’il est impossible pour un pays comme la France mais également pour l’Europe de contrôler toute la chaine. Notre souveraineté ne peut donc être totale. Elle ne peut être que partielle et sélective car certaines composantes doivent être partagées ou transférées. C’est à travers la liberté de choisir ce qui est transférable que s’exerce la véritable souveraineté. Le but ultime étant la protection du pays et la capacité d’assurer les fonctions essentielles à son bon fonctionnement. Cette option est donc réalisable en se focalisant sur certains niveaux et certains domaines comme les logiciels dans le software et dans le cloud ou sur des secteurs stratégiques.

Mais n’oublions pas l’évolution permanente des techniques et outils. L’arrivée du quantique risque de remettre en cause toute une partie de notre analyse et des éléments potentiels de souveraineté. Pouvant gérer d’énormes ensembles de données beaucoup plus efficacement, il va changer notre futur technologique dans de nombreux secteurs. De surcroit, il faut être conscient que ces innovations et leurs applications variées vont être amplifiée par l’intelligence artificielle.

Alain JUILLET
Conférence prononcée par le président de l’AASSDN
Producteur de la chaine Open Box TV

http://openboxtv.fr/emissions/




Vidéo : Analyse de l’implosion syrienne après la chute du régime de Bachar al-Assad

Dans cette nouvelle émission, Alain Juillet et Claude Médori reviennent sur les événements en Syrie, notamment le départ de Bachar el-Assad et l’arrivée des islamistes à Damas. Alain Juillet nous éclaire sur les raisons de la chute de la maison Assad et ses incidences régionales et internationales sur l’échiquier géopolitique mondial.

Titre : “L’implosion Syrienne : les analyses d’Alain Juillet
Durée : 00:42:08
Date de mise en ligne : 20 décembre 2024
Réalisé par : Open Box TV
Mis en ligne sur le compte YouTube d’Open Box TV

Vous pouvez accéder au compte YouTube d’Open Box TV en cliquant ICI

Source photo : Commons Wikimedia

Résumé de la vidéo

La Syrie, prospère avant 2011, a été confrontée à une migration massive des populations rurales pauvres vers les villes, créant des tensions sociales. Ce phénomène a alimenté les mouvements insurrectionnels dès les premières révoltes, soutenus par des puissances étrangères. La guerre civile a opposé le régime d’Assad, appuyé par les minorités (chrétiens, Kurdes, alaouites), à des factions sunnites influencées par des courants islamistes.

Les acteurs majeurs et la guerre civile

  1. Occidentaux et opposition syrienne

    • Les États-Unis et l’Europe ont soutenu des factions comme l’Armée syrienne libre. Cependant, ces groupes ont rapidement été surpassés par des mouvements extrémistes comme Al-Qaïda et le Front Al-Nosra.
    • Des armes ont été fournies aux islamistes, entraînant des conséquences imprévues, dont l’installation de groupes djihadistes dans la région.

  2. Assad et ses alliés

    • Le régime syrien a résisté grâce à l’appui des Russes, des Iraniens (via les Gardiens de la Révolution) et du Hezbollah.
    • Les Russes ont assuré une supériorité aérienne et maintenu leur influence avec des bases stratégiques (Tartous et Lattaquié).

  3. Les Kurdes et la Turquie

    • Les Kurdes ont tenté de consolider un territoire autonome (Rojava), mais se sont heurtés à la Turquie et aux djihadistes.
    • La Turquie a joué un rôle ambigu en soutenant des groupes islamistes tout en contrôlant la zone frontalière d’Idlib.

Conséquences de la guerre en Ukraine

  • La Russie, accaparée par le conflit en Ukraine, a réduit son soutien en Syrie, affaiblissant le régime d’Assad.
  • L’absence de soutien militaire aérien a permis à des groupes islamistes, réorganisés sous la bannière de Hayat Tahrir al-Cham, de progresser.

Réactions internationales et redistribution des forces

  • Israël a intensifié ses frappes sur les infrastructures militaires syriennes et a annexé des zones stratégiques, anticipant une montée en puissance des groupes djihadistes en Syrie.
  • Les États-Unis, présents pour exploiter les ressources pétrolières syriennes, se désintéressent du conflit global.
  • Les pays du Golfe ont renoué avec le régime syrien pour contrer l’influence iranienne.

Futur incertain

  • La Syrie est en voie de morcellement entre différentes zones d’influence (Kurdes, alaouites, djihadistes).
  • Les minorités, notamment chrétiennes, risquent de fuir en raison de l’application accrue de la charia dans les territoires islamistes.
  • La chute d’Assad pourrait engendrer un vide politique, ouvrant la voie à un régime islamiste théocratique, rappelant les expériences libyenne et afghane.

Enjeux globaux

  • La complexité du conflit illustre les limites des interventions étrangères et les conséquences imprévues de la déstabilisation des régimes autoritaires.
  • La région demeure un terrain de confrontation pour des puissances comme la Turquie, l’Iran, la Russie, et les États-Unis, tandis qu’Israël prépare sa défense face à une menace djihadiste croissante.



Au 1er janvier 2025, l’espace Schengen intègre deux nouveaux pays : la Bulgarie et la Roumanie.

Les frontières de Schengen s’agrandissent puisque deux pays intègrent le programme au 1er janvier 2025 : la Roumanie et la Bulgarie. Pour les touristes, c’est l’assurance de pouvoir voyager plus facilement et d’en découvrir les richesses artistiques. Mais cela place également les frontières de Schengen au niveau de la mer Noire, espace crucial des circulations et des trafics illicites. Schengen aura également une frontière commune avec la Moldavie et étend sa frontière avec l’Ukraine, Odessa n’étant qu’à 540 km de Constanta, la station balnéaire roumaine des rives de la mer Noire. Schengen étant réputé pour laisser passer les trafics et les migrants illégaux, une telle extension de l’espace européen peut donc légitimement inquiéter. Plus que jamais, la mer Noire est l’un des épicentres de la conflictualité en Europe. Un enjeu crucial pour les années à venir.

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Revue Conflits avec AFP
30/12/2024