Guerre en Ukraine : Origines, enjeux, manœuvres et illusions

En 1989, lors de la chute du Mur de Berlin, l’optimisme régnait. Le politologue américain Francis Fukuyama publiait un article retentissant, « La fin de l’Histoire ». La démocratie libérale, l’économie de marché, les valeurs occidentales, avaient triomphé du nazisme en 1945 et du communisme soviétique
en 1989, et étaient donc désormais définitivement établies et indépassables pour l’ensemble de la Planète.

Après la victoire en Irak, en 1991, de la coalition conduite par les états-Unis (mais avec un mandat de l’ONU), le président George Bush Sr. proclama le « Nouvel ordre mondial ». Désormais les affaires mondiales seraient réglées conformément à un ordre international fondé sur des règles, dans le cadre de l’ONU et sous la bienveillante hégémonie américaine, celle de l’unique super-puissance désormais.

Cet optimisme, en gros partagé par les opinions publiques occidentales jusque vers la fin de la première décennie du XXIe siècle, fut sans doute l’une des causes de l’absence d’une réelle étude objective, de la part des Occidentaux, des problèmes qui se posaient, de la Russie à la Chine en passant par l’Europe ex-communiste et le Moyen-Orient. En particulier deux problèmes ne furent pas perçus, qui pourtant constituent l’origine profonde du conflit actuel. Tout d’abord, contrairement à ce que pensaient les idéologues libéraux, on ne sort pas aussi facilement que cela du communisme, qui n’était pas un simple paravent mais qui avait engendré un système politique, une économie et une société qui avaient leur propre logique.

Et d’autre part les problèmes de nationalités, grande question européenne depuis le XIXe siècle, mal réglés par les traités de paix de 1919-1923, que l’on pensait avoir disparu après 1945 à la suite de la politique stalinienne (expulsion des Allemands d’Europe orientale, redéfinition des frontières polonaises) et de la réorganisation de la Yougoslavie par Tito, explosèrent tous à partir de 1991.

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Pour lire l’article “La guerre d’Ukraine : Origines, enjeux, manœuvres et illusions” écrit par Georges-Henri SOUTOU et extrait du Bulletin de l’Amicale des Anciens des services spéciaux de la défense national n° 270 de mars 2025, cliquez ICI




Autonomie stratégique : La France doit réapprendre à dominer le ciel

Depuis trente ans, l’aviation occidentale règne en maître incontesté sur le ciel. Mais le conflit en Ukraine a brutalement mis fin à cette certitude. Pour la France, conserver sa liberté d’action aérienne exige désormais une véritable révolution stratégique et technologique. Comment adapter ses doctrines, repenser ses choix technologiques et industriels, et trouver les compromis nécessaires à une autonomie stratégique durable ?

Depuis la guerre du Golfe en 1991, les forces aériennes occidentales ont fait du ciel un territoire conquis d’avance. En Irak, en Afghanistan ou en Libye, les avions de l’OTAN volaient sans réelle opposition, appuyant au sol des troupes à l’abri de toute menace aérienne. Cette suprématie, construite sur la destruction rapide des défenses ennemies et sur une supériorité technologique incontestable, a façonné les doctrines militaires occidentales. « L’ennemi ne volera pas. » Cela relevait de l’évidence.

Mais l’invasion russe en Ukraine a marqué la fin de cette époque. Depuis deux ans, ni Moscou ni Kiev ne sont capables d’établir une supériorité aérienne durable. Défenses sol-air sophistiquées, drones par centaines, brouillage électronique permanent : l’espace aérien s’est transformé en champ d’affrontement complexe, saturé et dangereux. Comme le souligne Adrien Gorremans dans une récente étude de l’Ifri[1], l’espace aérien devient un espace de plus en plus fermé. Face à cette réalité, la France doit réagir vite. Son modèle aérien, performant mais limité, ne suffit plus à garantir son autonomie stratégique.

La fin de la supériorité aérienne occidentale

La supériorité aérienne a longtemps été une évidence stratégique pour l’Occident. Dès les années 1920, Giulio Douhet posait une idée fondamentale : « Conquérir la maîtrise de l’air, c’est assurer la victoire ; être battu dans les airs, c’est accepter la défaite et se soumettre aux conditions que l’ennemi voudra bien imposer. ».

Cette conception a structuré l’ensemble des doctrines militaires aériennes pendant un siècle. Durant la guerre du Golfe en 1991, elle s’est concrétisée de manière spectaculaire : en quelques jours, les forces aériennes occidentales ont anéanti les défenses irakiennes, paralysant toute capacité de riposte de l’adversaire. La coalition menée par les États-Unis avait alors démontré qu’une guerre pouvait être gagnée d’abord et avant tout dans les airs. Depuis, les opérations aériennes occidentales, que ce soit au Kosovo, en Afghanistan ou en Libye, ont systématiquement suivi ce modèle : établir une maîtrise absolue de l’espace aérien avant d’engager des troupes au sol. L’aviation est devenue un préalable à toute opération militaire sérieuse, un multiplicateur de force incontestable.

Mais aujourd’hui ce modèle est obsolète. La guerre en Ukraine a démontré qu’une supériorité aérienne totale n’est plus garantie face à des adversaires disposant de technologies modernes. On lit ainsi, dans le rapport de l’Ifri : « En deux ans et demi de guerre, les armées de l’air russes comme ukrainiennes se sont retrouvées réciproquement neutralisées par la densité et la performance des systèmes intégrés de défense aérienne ». Face à la saturation des défenses anti-aériennes, à l’omniprésence des drones et à la guerre électronique permanente, le ciel redevient un espace contesté, dangereux et opaque.

Nouvelles menaces

La supériorité aérienne, longtemps assurée par l’avance technologique occidentale, est aujourd’hui confrontée à des menaces diversifiées et complexes. Les adversaires potentiels, comme la Russie, la Chine ou l’Iran, ont développé des stratégies et technologies capables de neutraliser ou d’épuiser les capacités aériennes occidentales.

Ainsi, les systèmes IADS (défense sol-air intégrée) combinent radars, missiles sol-air et guerre électronique pour créer des zones d’interdiction aérienne efficaces. La Russie avec ses systèmes S-400 et S-500, la Chine avec ses missiles HQ-9 et HQ-22, ou encore l’Iran avec les batteries Bavar-373, illustrent cette capacité à restreindre drastiquement la liberté d’action aérienne des forces occidentales. Ces systèmes obligent les avions à adopter des tactiques spécifiques telles que la furtivité et la suppression des défenses ennemies (SEAD).

Les missiles hypersoniques, capables d’atteindre des vitesses supérieures à Mach 5, représentent une autre menace stratégique majeure. La Russie a ainsi déployé les missiles hypersoniques Kinzhal et Avangard, tandis que la Chine a rendu opérationnel son missile DF-17, équipé d’un planeur hypersonique. Ces armes réduisent considérablement le temps de réaction des défenses aériennes et augmentent la vulnérabilité des bases militaires occidentales, imposant ainsi le développement rapide de systèmes d’interception sophistiqués et de nouvelles stratégies de dissuasion.

L’utilisation généralisée des drones transforme radicalement le champ de bataille aérien. Dans le conflit ukrainien, les drones kamikazes comme les Shahed-136 (de conception iranienne) ou les drones ISR tels que le Bayraktar TB2 (de conception turque) ont démontré leur efficacité, saturant et épuisant les défenses adverses. De leur côté, les États-Unis développent le concept de « Loyal Wingman », des drones collaborant directement avec des avions habités. Face à ces nouvelles menaces, les systèmes de défense traditionnels deviennent vite dépassés, obligeant à repenser entièrement les stratégies défensives.

La guerre électronique constitue une menace invisible mais redoutable. Les systèmes comme le Krasukha-4 russe peuvent brouiller radars et satellites, perturbant profondément les opérations aériennes ennemies. De même, les cyberattaques menées par des pays comme l’Iran ou la Chine ciblent directement les infrastructures militaires. Cette dimension électronique impose aux forces occidentales d’investir massivement dans des contre-mesures sophistiquées pour préserver leurs capacités opérationnelles.

Enfin, la très haute altitude devient un espace stratégique crucial. Les récentes incursions de ballons de surveillance chinois aux États-Unis ou le développement de drones stratosphériques comme le Zephyr d’Airbus démontrent l’importance croissante de cette nouvelle frontière aérienne. Ces capacités offrent des possibilités inédites en matière de renseignement mais créent également des vulnérabilités pour les nations qui négligeraient ce nouvel espace opérationnel.

Face à ces menaces émergentes, il est impératif pour les forces aériennes occidentales d’adapter rapidement leurs doctrines, leurs tactiques et leurs technologies afin de maintenir ou de reconquérir leur supériorité dans les airs.

Les limites de l’aviation française

L’aviation française dispose d’un outil militaire performant : le mythique Rafale. Avion polyvalent, il est mondialement reconnu pour ses capacités techniques et opérationnelles. Pourtant, à l’épreuve d’un conflit de haute intensité, ce modèle montre ses limites.

Sa première faiblesse est d’ordre stratégique : la France ne possède pas de capacités dédiées à la suppression des défenses aériennes ennemies (SEAD). Contrairement aux États-Unis, elle dépendrait en cas de conflit de haute intensité des moyens d’alliés pour ouvrir et sécuriser le ciel. Cette lacune limite fortement son autonomie stratégique.

La deuxième vulnérabilité est technologique. Le Rafale, malgré ses nombreuses qualités, n’est pas furtif face aux radars modernes. En conséquence, les aéronefs français se retrouveraient particulièrement exposés dans des environnements saturés de systèmes anti-aériens avancés. Le programme SCAF (Système de Combat Aérien du Futur), prévu pour combler ce déficit, ne verra pas le jour avant plusieurs années. D’ici là, l’armée française devra évoluer dans des conditions très contraignantes.

Enfin, la troisième limite concerne le volume et la logistique. La flotte aérienne française, qui a un objectif à 185 Rafale en 2030, manque de profondeur pour soutenir une guerre prolongée face à un adversaire bien équipé. Les stocks de munitions sont insuffisants pour soutenir un rythme opérationnel soutenu comme observé récemment dans des conflits prolongés. La disponibilité opérationnelle et le nombre limité de pilotes qualifiés aggravent encore ce problème, réduisant considérablement la capacité d’endurance des forces aériennes françaises.

Ces contraintes placent la France dans une position ambiguë : elle dispose d’une aviation efficace mais insuffisamment robuste pour faire face seule aux nouveaux défis du combat aérien. Il est donc urgent de repenser le modèle français, en intégrant de nouvelles approches pour renforcer durablement sa résilience technologique et capacitaire.

De la qualité à la quantité

Depuis plusieurs décennies, la France, comme la plupart des puissances occidentales, mise sur des plateformes militaires toujours plus sophistiquées mais toujours plus rares et coûteuses. Cette logique, décrite par Adrien Gorremans comme la « spirale augustinienne », consiste à concentrer un maximum de capacités sur un nombre limité d’appareils très performants. Ce modèle est aujourd’hui remis en question par la réalité des conflits modernes, où la masse et la résilience redeviennent indispensables.

Le conflit ukrainien montre clairement les limites d’un tel modèle. Aujourd’hui, ce n’est plus seulement la qualité d’une plateforme qui importe, mais le nombre d’appareils disponibles, leur capacité à être sacrifiés si nécessaire, et leur intégration dans des réseaux complexes et flexibles. On le voit en Ukraine : les drones occidentaux sont parfois trop coûteux pour être sacrifiés, et ne sont donc pas engagés.

Une voie stratégique s’impose donc à la France : adopter une logique de mix. Celle-ci implique une complémentarité entre des plateformes de haute valeur (comme les chasseurs Rafale et les futurs appareils du programme SCAF) et une multitude d’appareils moins coûteux, spécialisés, faciles à produire et à déployer en nombre. Cette approche permettrait à l’armée française de saturer les défenses adverses tout en préservant ses vecteurs précieux pour des missions décisives. Par ailleurs, il s’agit également d’intégrer une multitude de systèmes plus simples, connectés et capables de collaborer en réseau. En multipliant les points d’action et en répartissant les capacités offensives et défensives, cette stratégie accroît considérablement la résilience et la flexibilité des opérations aériennes, tout en réduisant la dépendance à l’égard de plateformes uniques, coûteuses et aisément ciblées par l’ennemi. Ce revirement stratégique doit se faire dans l’optique d’un regain de masse, et non de performance individuelle de chaque système d’arme.

Le développement massif de drones peu coûteux, capables de reconnaissance, d’attaque et de brouillage, apparaît comme une solution pragmatique et réaliste. Ces drones, utilisés en essaims, pourraient saturer les systèmes anti-aériens adverses, protégeant ainsi les aéronefs habités, plus coûteux et stratégiquement critiques. Aussi la France doit-elle repenser son industrie de défense afin de favoriser la production en grande série, en rupture avec le modèle actuel basé sur des productions limitées et extrêmement sophistiquées. L’enjeu est stratégique autant qu’industriel : accepter une certaine rusticité technologique pour regagner en masse, en flexibilité et en autonomie stratégique.

Quels scénarios envisageables ?

Scénario 1 : Une force aérienne hybride et progressive

Ce premier scénario consiste à maintenir le Rafale, en continuant son amélioration progressive vers une version F5, tout en développant rapidement des drones de combat autonomes et des essaims de drones. Cette approche privilégie une aviation distribuée, où avions habités, drones autonomes et missiles à longue portée collaborent étroitement. Ce modèle offre une grande flexibilité opérationnelle, réduit les risques technologiques, et renforce rapidement la masse et la résilience des forces aériennes européennes.

Scénario 2 : Tout miser sur le SCAF avec le risque du retard

Le second scénario privilégie l’investissement massif dans le Système de Combat Aérien du Futur (SCAF), un projet européen d’un ensemble de systèmes d’armes aériens interconnectés. Cette option mise sur une rupture technologique majeure pour assurer la supériorité aérienne à long terme. Toutefois, cette stratégie ne prévoit aucune alternative en cas de retard ou d’échec technologique, créant ainsi un risque sérieux de décrochage face aux progrès rapides des États-Unis et de la Chine. Par ailleurs, Adrien Gorremans* préconise de « sortir l’aviation de chasse de la spirale augustinienne en ne payant le prix de la furtivité que là où elle est indispensable ».

Scénario 3 : Complémentarité avec le F-35 et limitation du SCAF

Enfin, le troisième scénario, déjà adopté par des pays comme l’Allemagne et l’Italie, consiste à acheter des avions américains F-35 pour garantir une compatibilité maximale avec l’OTAN tout en réduisant les ambitions initiales du SCAF. Si ce choix permet de maintenir une capacité opérationnelle immédiate, il implique cependant un risque significatif en termes de dépendance technologique et de perte d’indépendance stratégique face aux États-Unis.

Conclusion

La maîtrise du ciel n’est plus acquise : elle doit désormais être conquise à nouveau, avec détermination et pragmatisme. L’expérience ukrainienne rappelle à la France et à l’Europe que leur supériorité aérienne repose aujourd’hui sur un équilibre fragile, menacé par la montée en puissance de technologies adverses toujours plus performantes. Face à ces nouvelles réalités, il est urgent d’opérer des choix stratégiques forts : diversifier les capacités aériennes, investir dans des plateformes à la fois robustes et sacrifiables, et construire une industrie de défense capable de produire rapidement et en grand nombre. À défaut d’adopter rapidement une stratégie claire et ambitieuse, la France risque de perdre définitivement sa liberté d’action aérienne, avec des conséquences lourdes pour son autonomie stratégique et son influence internationale. Le temps des compromis et des choix est venu, car dominer le ciel demeure une nécessité absolue dans un monde qui voit le retour des conflits de haute intensité.

Paulin de ROSNY
Revue Conflits
31 mars 2025

*Adrien Gorremans, « L’avenir de la supériorité aérienne : maîtriser le ciel en haute intensité », Ifri – Focus stratégique n°122 – janvier 2025.




Espace. Spatial Militaire français : Attention au déclassement

La France veut se doter d’une stratégie spatiale nationale. Il y a urgence tant le pays risque le déclassement

François Bayrou a annoncé jeudi 6 mars le lancement d’une mission gouvernementale afin d’établir d’ici à juin une « stratégie spatiale nationale » devant permettre à la France de «rester une puissance de premier rang mondial ».

Cette mission n’est pas inutile, tant le secteur spatial français a souffert des deux révolutions spatiales portées par SpaceX : les lanceurs, dits réutilisables, et la constellation télécom en orbite basse Starlink. La viabilité économique du programme Ariane 6 est désormais fortement remise en cause à moyen terme et malgré les 18 lancements commerciaux signés avec Amazon, Arianespace reste une société commerciale déficitaire. Les autres pays européens n’ont pas souhaité contribuer à la viabilité du lanceur européen et l’Allemagne développe même un lanceur concurrent d’Ariane 6.

Le Commandement de l’Espace pousse vers un changement de stratégie, mais il se heurte au conservatisme de la DGA et des industriels TAS et ADS.

Outre le développement du programme Ariane 6, la France a beaucoup investi dans l’accès à l’Espace : 5 programmes de micro-lanceurs (dont la viabilité technologique et commerciale reste hypothétique), 2 démonstrateurs de lanceurs réutilisables et 5 nouveaux pas de tirs en Guyane. L’urgence est désormais clairement de passer de systèmes à deux ou trois satellites – télécoms, observation ou écoute- à des systèmes de constellations de plusieurs dizaines de satellites. Les grandes puissances spatiales militaires (USA, Chine, Russie) possèdent toutes des constellations qui leur assurent une revisite importante des zones d’intérêt pour les satellites de renseignement et une couverture beaucoup plus large pour les satellites de télécom.
Par ailleurs, nos satellites militaires sont aujourd’hui de « big juicy target » et la perte de l’un d’entre eux a des conséquences majeures. Les constellations permettent donc d’assurer la redondance du service, une meilleure revisite et complexifient les actes hostiles. Le Commandement de l’Espace pousse vers ce changement de stratégie, mais il se heurte au conservatisme de la DGA et des industriels TAS et ADS. L’État devrait pour le moins exiger, en contrepartie, qu’ils aient la capacité de répondre aux nouveaux besoins des forces, et ce à des prix raisonnables.

L’augmentation du nombre de satellites de renseignement optique et écoute doit s’accompagner d’une montée en puissance de notre capacité d’analyse et de valorisation de la donnée, une donnée acquise et non traitée est une donnée perdue. Cet effort sur l’analyse des données spatiales permettra d’accentuer notre effort vers des zones géographiques aujourd’hui moins prioritaires, comme le Pacifique, où nos intérêts sont primordiaux. Il faut encourager des sociétés de surveillance de l’espace (SSA) à y implanter des capteurs radars et optiques pour surveiller les parties d’orbites invisibles depuis la métropole. Aujourd’hui les satellites militaires et civils français et européens dépendent des données américaines pour assurer leur sécurité en orbite. Paradoxalement la France dépense énormément pour garantir sa souveraineté d’accès à l’Espace, mais peu d’argent pour assurer sa souveraineté en surveillance de l’Espace.

Augmenter nos capacités de renseignement de façon massive pour obtenir une utilisation tactique et opérationnelle des données spatiales, assurer la redondance de nos communications par la mise en orbite de constellations télécoms en orbite basse et assurer l’autonomie de la surveillance de l’Espace va nécessiter d’engager de gros budgets militaires.

Le spatial militaire français a été pendant des années une grande réussite, mais aujourd’hui, il doit se réinventer, car il risque sinon le déclassement par les autres puissances militaires spatiales.

Ces engagements devront tout d’abord être compensés par des économies sur d’autres domaines moins essentiels du spatial militaire. Les déclarations du Président Macron visant un budget de la défense jusqu’à 5% du PIB relevant encore du vœu pieux, la prudence doit donc nous pousser à proposer une stratégie pour le spatial de défense dans une enveloppe seulement légèrement supérieure à l’actuelle. Des économies sont possibles en arrêtant les développements peu pertinents ou peu prometteurs, comme ceux d’action dans l’Espace, les missions d’observation hyperspectrale ou tout simplement en utilisant davantage les talents des agents de l’État du CNES plutôt que de payer des ingénieurs de TAS ou ADS !

Le spatial militaire français a été pendant des années une grande réussite, mais aujourd’hui, il doit se réinventer, car il risque sinon le déclassement par les autres puissances militaires spatiales. À cet égard, la priorité à accorder au lancement de constellations spatiales est une nécessité tant pour le renseignement que pour les communications de nos forces déployées sur les futurs champs d’opérations.

Les missions spatiales pour 2030-2035 se décident aujourd’hui, il faut aujourd’hui des actes forts et courageux, pour reprendre la devise du Commandement de l’Espace : Res non verba !

André ROUGE
au nom du groupe Défense des Horaces.
Revue Conflits
27 mars 2025

Pour lire l’article “Loi de programmation militaire (Lpm) : entre La construction budgétaire et L’exécution budgétaire” écrit par Jacques HELIOT et extrait du Bulletin de l’Amicale des Anciens des services spéciaux de la défense national n° 270 de mars 2025, cliquez ICI




Conflit : Sept Drones Reaper abattus au Yémen

Les rebelles houthis ont abattu sept drones Reaper américains ces dernières semaines. (Extrait)
Au Yémen, les rebelles houthis ont abattu sept drones Reaper américains (30 M$ pièce) en moins de six semaines, soit une perte d’appareils estimée à plus de 200 millions de dollars. Ce qui constitue le coût le plus important pour le Pentagone de la campagne militaire contre les militants soutenus par l’Iran.

Selon des responsables de la Défense, trois des drones ont été abattus la semaine dernière, – le 31 mars et les 3, 9, 13, 18, 19 et 22 avril -, ce qui suggère que le ciblage des drones survolant le Yémen par les militants s’est amélioré. Les drones effectuaient des missions d’attaque ou de surveillance et se sont écrasés dans l’eau et sur terre, ont déclaré les responsables, qui ont requis l’anonymat pour discuter des opérations militaires.(…)

De novembre 2023 à janvier dernier, les Houthis ont ciblé plus de 100 navires marchands avec des missiles et des drones, coulant deux d’entre eux et tuant quatre marins civils. Cela a considérablement réduit le flux commercial dans le corridor de la mer Rouge, qui voit généralement transiter 1 000 milliards de dollars de marchandises chaque année.

Lolita C. BALDOR
Chroniqueuse à l’Associated Press
Military Times (extraits)
26 avril 2025

Légende photo : Le drone Reaper en appui de la Task Force Takuba
Source photo : Ministère de Armées




Vidéo. Géopolitique : Négociations secrètes d’hier et d’aujourd’hui

Dans cette émission, Alain Juillet et Claude Medori font le parallèle entre les accords de Yalta qui ont entériné le partage de l’Europe entre les Etats- Unis et l’Union soviétique à la fin de la Seconde Guerre mondiale et les négociations en cours entre les Etats Unis et la Russie sur l’Ukraine. Ils montrent comment certains dirigeants prennent, parfois, des décisions majeures sans réel consensus populaire, au nom d’une légitimité qui varie selon les intérêts et les visions du monde.

À travers des exemples historiques et actuels, ils explorent les accords entre puissances, qui avant étaient secrets et qui aujourd’hui se déroulent en mondiovision.

Sur quelles bases construire un ordre international stable quand les principes de légitimité ne sont pas partagés ?

Titre : Négociations secrètes d’hier et d’aujourd’hui
Date de mise en ligne : 11 avril 2025
Durée : 00 :40:03
Intervenants : Alain Juillet et Claude Medori
Compte YouTube : Open Box TV

Pou accéder à la chaine Open Box TV, cliquez ICI




Economie : L’Europe face à la réalité de la prédation économique

Information AASSDN

L’Europe est aujourd’hui la proie d’États prédateurs en quête d’autonomie stratégique, de domination géopolitique et de suprématie économique. Cette prédation se manifeste notamment par la prise de contrôle d’infrastructures critiques ou de fleurons industriels ou technologiques. Depuis quand assiste-t-on à ce type de prédation en Europe ?

F.-X. Carayon  : La prédation économique est un phénomène ancien qui est intimement lié au mouvement de la mondialisation. Cela s’est accéléré en parallèle de l’augmentation des échanges économiques au cours des années 1980-1990. La particularité de la dernière vague d’investissements internationaux que j’analyse dans mon ouvrage est que ces investissements sont effectués par des acteurs publics. Il ne s’agit plus d’achats d’entreprises privées par des entreprises privées mais de rachats d’actifs ou d’entreprises européennes privées par des investisseurs publics étrangers, à savoir des fonds souverains et des entreprises publiques. Or, l’origine publique de ces investissements peut entrainer les conséquences politiques que vous avez mentionnées.

Vous expliquez que les entreprises publiques et les fonds souverains sont donc les deux principaux outils de cette prédation. Pourquoi et comment cela se traduit-il ?

Auparavant, les fonds souverains constituaient les outils classiques des pays bénéficiant d’une rente énergétique, notamment au Moyen-Orient. C’était un moyen de créer une épargne intergénérationnelle ou de lisser les fluctuations de revenus lors de l’évolution du cours des matières premières. En parallèle, les entreprises publiques ont longtemps joué leur rôle qui était simplement d’opérer des services publics. Puis, peu à peu, ces deux acteurs ont été perçus par les puissances émergentes du monde en développement — la Chine, la Corée du Sud, la Malaisie, Singapour, les pays du Moyen-Orient, etc. — comme des vecteurs au service des objectifs industriels et géostratégiques de leur pays. La proximité de ces deux acteurs avec le gouvernement favorisait un alignement naturel avec les intérêts publics. Le gouvernement avait donc le moyen de s’assurer que ces investissements étaient en capacité de satisfaire leurs intérêts.

Pour prendre un exemple, la Chine — que l’on peut considérer comme l’État prédateur par excellence — a déployé une stratégie d’investissement massif dans les semi-conducteurs dans les années 2010. En 2014, Pékin a créé un fonds souverain dédié juste après avoir établi une feuille de route. Puis la Chine s’est lancée dans le rachat d’entreprises de tailles significatives aux États-Unis en 2016 et 2017, jusqu’à ce que le dispositif américain du CFIUS (Comité pour l’investissement étranger aux États-Unis) commence à s’alerter. Ce fut le cas également en France lorsque l’entreprise d’État chinoise Tsinghua Unigroup a racheté en 2018 l’entreprise Linxens, fabricant de composants pour cartes à puces, pour 2,2 milliards d’euros (1). Cet exemple se situe à mi-chemin entre les prédations de nature géostratégique et celles plus économiques qui contribuent à la prospérité nationale.

Les prédations géostratégiques ciblent tout particulièrement les infrastructures critiques. On pensera notamment aux 14 ports européens qui sont passés sous contrôle chinois et qui ne constituent pas des investissements seulement financiers mais aussi stratégiques et opérationnels. On peut aussi mentionner le cas des réseaux électriques et gaziers européens qui sont passés en partie sous contrôle chinois (2), notamment en Italie, au Portugal, en Grèce et au Royaume-Uni. Outre le cas chinois, celui de Singapour est également intéressant car, dans le domaine maritime, la cité-État s’est emparée d’un certain nombre d’actifs à travers le monde, y compris en Europe, comme en Belgique, aux Pays-Bas ou en Italie.

Cette menace géostratégique peut aussi se développer lorsqu’un État prédateur a pris trop d’importance dans un secteur donné. Ainsi, par le jeu des investissements, il acquiert une capacité de menace, qui n’est pas un outil sans faille, mais qui contribue à peser dans les rapports stratégiques entre États.

Outre la Chine, quels sont les autres principaux États prédateurs vis-à-vis de l’Europe ?

On peut avoir tendance à regarder surtout du côté américain ou chinois et à isoler ce phénomène de capitalisme d’État conquérant. Mais le modèle chinois est en train d’essaimer à travers le monde, d’autres États le pratiquent également. On peut revenir sur le cas de Singapour, considéré comme l’un des États les plus libéraux au monde, qui réplique la stratégie de Pékin grâce à ses deux grands fonds souverains, GIC et Temasek (3), qui investissent de façon tout à fait traditionnelle en prenant des participations financières minoritaires dans un grand nombre d’entreprises mais qui, en parallèle, commencent à multiplier les investissements stratégiques dans les secteurs les plus importants pour Singapour, à savoir le maritime, la logistique et les nouvelles énergies. Ce modèle se diffuse également en Corée du Sud, un peu moins en Inde, et bien évidemment dans les pays du golfe Arabo-Persique.

Est-ce que des États européens sont plus ciblés que d’autres ?

C’est assez triste à dire, mais la France ne fait pas nécessairement partie des pays les plus ciblés en raison du fait que son industrie est déjà fortement affaiblie. L’Allemagne est donc au contraire une cible de choix pour nombre d’investisseurs étrangers qui convoitent sa puissance industrielle. Le rachat du constructeur de robots industriels Kuka par le chinois Midea en 2016 a sonné comme un réveil pour l’Allemagne (4). Mais cette dernière continue néanmoins à avoir du mal à protéger ses fleurons industriels avec la perte de nombreuses ETI (entreprises de taille intermédiaire) régionales. À la fin des années 2000 et début 2010, l’Allemagne a d’ailleurs perdu la plupart de ses technologies de pointe dans le secteur des énergies renouvelables qui ont été ravies par des concurrents essentiellement chinois.

Quels sont les secteurs les plus ciblés et quels en sont les risques ?

Ce sont bien évidemment les secteurs stratégiques qui sont les plus ciblés, sachant que la liste de ces secteurs ne fait que s’allonger : robotique, numérique, technologies de l’information, biotechnologies… Paradoxalement, depuis la Covid-19, alors que ces derniers devraient être mieux protégés, de nombreux investissements ont continué d’être réalisés dans le domaine des biotechnologies par des Chinois, des Sud-Coréens, des Taïwanais ou des Japonais. Malgré l’importance de ce secteur, les entreprises de biotechnologie européenne ont un accès difficile aux financements issus des fonds capitalistiques européens (5).

On peut constater que le phénomène ne s’enraie pas, même après un choc aussi important que celui de la pandémie qui nous a pourtant démontré que notre dépendance à l’égard de l’étranger constituait une réelle fragilité.

Un rapport intéressant de la Commission européenne avait été commandé (6), sous la pression des États membres. Il devait faire le point sur l’influence des investisseurs étrangers au sein des économies européennes. Ce rapport a été plus ou moins mis sous le tapis en raison du constat inquiétant qu’il dressait. Il montrait notamment qu’une partie importante des secteurs stratégiques était détenue par des investisseurs étrangers. Ce rapport montrait ainsi que les secteurs stratégiques étaient deux à trois fois plus ciblés que les secteurs classiques. Il dessinait une trajectoire inquiétante montrant qu’entre 2013 et 2017, le nombre d’entreprises passées sous actionnariat étranger, notamment dans les secteurs stratégiques, était en croissance extrêmement forte. La question était de savoir si cette tendance continuait ou si le renforcement de nos dispositifs de protection avait pu infléchir cette trajectoire. Mais il n’y a pas eu de suite à ce rapport qui constitue un aveu d’échec de la Commission européenne sur ce sujet.

Quelle est concrètement l’ampleur de la désindustrialisation ou l’état de l’influence sur les pouvoirs publics européens générées par cette prédation ?

Il est important de réaliser que les investissements étrangers ne sont pas la raison de notre désindustrialisation. Ils viennent d’abord profiter d’un affaiblissement structurel de notre industrie et de notre tissu économique au sens large. C’est parce qu’un grand nombre d’acteurs économiques sont en difficulté que ces investisseurs étrangers sont en capacité de les acquérir. Et c’est parce que notre écosystème financier n’est pas suffisamment développé et robuste qu’il ne peut pas non plus venir en contrepoids pour proposer des alternatives d’investissement.

En France, le cadre fiscal et administratif a généré un désavantage compétitif certain. Mais avec un peu de recul, on réalise que dans le reste de l’Europe occidentale la désindustrialisation va moins vite mais progresse néanmoins. Il y a donc un problème structurel européen qui a trait à notre capacité d’innovation, notre capacité d’éducation et de formation et qui ne semble plus suffisant (7) pour préparer l’avenir et lutter à armes égales face à des nations comme l’Inde (8).

Est-ce que l’Europe a pris conscience de ce danger ?

L’Union européenne (UE) en a pris conscience en partie et s’est dotée d’un dispositif de filtrage (9), qui n’en est pas vraiment un, mais plutôt un outil de coopération entre les États membres et qui permet de partager l’information. Pour l’essentiel, il n’est pas en capacité de bloquer des investissements étrangers en Europe. À ce stade, il s’agit plutôt d’un dispositif cosmétique que d’un outil véritablement efficace.

Du côté des États européens, ces derniers commencent à réagir et les dispositifs de filtrage se musclent dans chaque pays. Il y a cinq ans, seul un quart des pays européens avait un tel dispositif, alors qu’aujourd’hui cela concerne les deux tiers des États membres. Malheureusement, les moyens mis en œuvre ne sont pas à la hauteur. À titre de comparaison, le budget du CFIUS américain est environ trente fois supérieur à son équivalent français. Si l’on compare le nombre de dossiers filtrés par les pouvoirs publics allemands, italiens ou espagnols, ils sont environ cinq à sept fois inférieurs au nombre de dossiers traités par les Canadiens ou les Australiens.

Alors que les problèmes de souveraineté ne se vivent pas de la même façon d’un État à l’autre et qu’il faut bien accepter que nous sommes dans un contexte de guerre économique permanente, y compris au sein même de l’Europe, que peut faire l’UE ou chacun des États membres pour se prémunir face à cette prédation économique ?

Instinctivement, on aimerait que les dispositifs de filtrage se concentrent sur les pays qui nous apparaissent les plus menaçants, comme la Chine ou les États-Unis. Mais effectivement, un certain nombre de menaces émanent de nos voisins les plus proches, comme l’Allemagne. Il s’agit donc de faire un véritable choix politique. Est-ce qu’il faut pousser le fédéralisme à un niveau plus avancé pour permettre de transférer la capacité de filtrage au niveau communautaire ? Mais si nous considérons que les intérêts continuent d’être divergents, ce qui est le cas en pratique, il faut peut-être en tirer des leçons pragmatiques et savoir se protéger de la même manière contre les investissements allemands ou chinois. Sur cette question, il faut avant tout faire preuve de pragmatisme et se dire que tant que nos partenaires se positionneront en concurrents agressifs — comme a notamment pu se comporter l’Allemagne à l’égard de la France ces dernières années dans le nucléaire (10) —, alors il va falloir les traiter à la fois comme des partenaires et des menaces.

Bernard CARAYON
Propos recueillis par Thomas DELAGE
le 8 octobre 2024
dans le cadre des Rencontres stratégiques de la Méditerranée

(1) Frédéric Schaeffer, Raphaël Balenieri, « Semi-conducteurs : un groupe chinois rachète Linxens », Les Échos, 26 juillet 2018 (https://​rebrand​.ly/​j​d​u​q​mpk).

(2) Clémence Pèlegrin, Hugo Marciot, « La Chine aux portes du réseau électrique européen », Groupe d’études géopolitiques, septembre 2021 (https://​rebrand​.ly/​o​0​o​p​t6r).

(3) Nessim Aït-Kacimi, « Proche des 300 milliards d’euros, le fonds singapourien Temasek renoue avec la croissance », Les Echos, 10 juillet 2024 (https://​rebrand​.ly/​n​0​h​u​n5o).

(4) Alexandre Souchet, « Guerre de l’information autour de la prise de contrôle de l’entreprise allemande Kuka Robotique », École de guerre économique, 24 février 2020 (https://​rebrand​.ly/​a​l​r​5​gzi).

(5) Coface, « Biotechnologies : une Europe à la peine face au duel sino-américain », 27 mai 2024 (https://​rebrand​.ly/​e​2​r​e​m8m).

(6) Commission européenne, « Rapport sur les investissements directs étrangers : augmentation continue de la propriété étrangère d’entreprises européennes dans des secteurs clés », 13 mars 2019 (https://​rebrand​.ly/​2​y​f​r​283).

(7) En 2024, la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI) affiche 46 500 nouveaux diplômés en 2022-2023, alors que les entreprises en réclament 20 000 de plus : Jeanne Bigot, « Le nombre d’ingénieurs diplômés en France reste insuffisant face aux besoins des entreprises », L’Usine Nouvelle, 17 juin 2024 (https://​rebrand​.ly/​5​3​u​9​bkn).

(8) Geetha Ganapathy-Doré, « L’Inde, une puissance scientifique et technologique depuis plus longtemps qu’on le croit », Université Sorbonne Paris Nord, article republié à partir de The Conversation, 5 juin 2024 (https://​rebrand​.ly/​l​l​a​q​9cm).

(9) Marie Guitton, « Filtrage des investissements étrangers : à quoi sert le “système d’alerte” de l’UE ? », Toute l’Europe, 11 février 2022 (https://​rebrand​.ly/​s​u​b​1​vrn).

(10) École de guerre économique, « Ingérence des fondations politiques allemandes & sabotage de la filière nucléaire française », rapport d’alerte, juin 2023 (https://​rebrand​.ly/​o​y​u​7​e3n).




Semi-conducteurs : L’Europe peut-elle regagner du terrain ?

Face à sa dépendance à l’Asie et aux États-Unis pour les semi-conducteurs, l’Europe mise sur le Chips Act et des projets comme FAMES pour renforcer sa souveraineté, en capitalisant sur ses atouts en innovation, edge AI, et production spécialisée. Malgré des ambitions élevées, elle se concentre sur le maintien de sa position stratégique et la préparation des technologies clés de demain dans un marché mondial toujours très polarisé.

  • Contre sa dépendance à l’Asie et aux États-Unis sur le marché des semi-conducteurs électroniques, l’Europe a lancé le Chips Act.
  • L’Europe représente un peu moins de 10 % de la production mondiale de semi-conducteurs, grâce à des industriels comme le français STMicroelectronics.
  • Pour maintenir sa position, l’Europe doit investir dans ses points forts : l’innovation technologique, la production, les enjeux environnementaux…
  • L’Europe peut valoriser ses atouts dans l’edge AI, l’intelligence artificielle gérée sur des périphériques tels que les smartphones, objets connectés, etc.
  • Le projet FAMES, porté par la Commission européenne et la France, représente aujourd’hui un investissement de 830 millions d’euros dans le secteur.

625 milliards de dollars : c’est le poids du marché mondial des composants électroniques en 2024. À l’occasion de la pandémie de Covid 21 et de la pénurie de puces qui en avait résulté, l’Europe redécouvrait sa dépendance vis-à-vis de l’Asie et des États-Unis. Pour tenter de limiter cette dépendance, l’Union européenne annonçait en février 2022 le lancement du CHIPS and Science Act, qui visait à stimuler la production européenne. Quelque 3 ans plus tard, comment se porte le secteur en Europe ? Nous faisons le point avec Sébastien Dauvé, directeur du CEA-Leti, qui vient de lancer à Grenoble la ligne-pilote FAMES, financée par l’Union européenne et la France.

Comment se porte le marché de la microélectronique aujourd’hui ?

Sébastien Dauvé. En recul en 2023, le marché est en croissance depuis 2024, mais cette croissance cache une évolution à deux vitesses. Le secteur des semi-conducteurs matures, comme les microcontrôleurs, qui ont fait défaut à l’industrie et au secteur automobile en 2022–2023, s’avère aujourd’hui saturé. En parallèle, nous connaissons une explosion du marché des composants à nœuds très avancés (moins de 5 nm), stimulée par une très forte demande de puces destinées aux data centers et aux applications d’intelligence artificielle : processeurs graphiques (GPU) et mémoire à large bande passante (HBM). Les investissements dans ces domaines défient l’entendement : le taïwanais TSMC a, par exemple, annoncé investir 100 milliards de dollars aux États-Unis pour les quatre ans à venir.

À l’occasion de la pénurie, nous avions redécouvert que le marché des composants électroniques était à la fois très mondialisé et très polarisé, les principaux acteurs se situant en Asie et aux États-Unis. Cette structuration a‑t-elle évolué ?

Les investissements à consentir pour déployer de nouveaux moyens industriels sont tels qu’on ne peut imaginer une évolution majeure à court terme. Il reste donc aujourd’hui encore marqué par une très forte interdépendance au niveau mondial : un composant peut ainsi être conçu sur un continent et produit sur un deuxième, alors que les matières premières sont fournies par un troisième. Les États-Unis, par exemple, excellent dans la conception des circuits intégrés. Le Japon a pris la tête sur la production de wafers (les galettes de semi-conducteurs sur lesquelles sont imprimés les composants électroniques) et les gaz de process, la Chine est incontournable pour l’approvisionnement en terres rares. Taïwan et la Corée du Sud, par le biais des fonderies TSMC et Samsung, dominent la production des puces – TSMC est même le seul à maîtriser les nœuds les plus avancés (2 nm), très innovants et aujourd’hui très demandés.

Dans ce paysage, quelle est la place de l’Europe ?

L’Europe représente un peu moins de 10 % de la production globale de semi-conducteurs, grâce à des industriels comme le français STMicroelectronics, qui se classe autour du 10ème rang mondial. Si elle ne dispose pas de capacité de production des nœuds avancés, elle est plutôt bien positionnée sur la conception et la production des composants dits « More than Moore », constitués de capteurs, d’imageurs, de composants de puissance et télécom, ou encore de microcontrôleurs. Cette classe trouve des applications dans divers secteurs d’activité, comme l’automobile, l’industrie, la défense ou la santé. Le continent dispose aussi de quasi-monopoles dans des domaines spécifiques : le néerlandais ASML est ainsi par exemple le seul acteur à maîtriser la fabrication des équipements de lithographie avancée EUV, essentiels aux fonderies.

Une image contenant Appareils électroniques, Console de mixage, intérieur, musique

Le contenu généré par l’IA peut être incorrect.

L’Europe bénéficie enfin d’une recherche active et d’importantes capacités d’innovation, notamment au travers de ses RTO (Research and Technology Organisations, parmi lesquelles le CEA-Leti, l’Imec belge, le Fraunhofer allemand, le VTT finlandais, etc.), un modèle unique d’organisation, capable de mener une innovation de la recherche la plus en amont jusqu’à la pré-industrialisation.

Le Chips Act ambitionnait de doubler la part de la contribution européenne à la production mondiale d’ici à 2030, en la faisant passer à 20 %. Dans le contexte actuel, cela vous semble-t-il réaliste ?

Nous savions que cet objectif était très ambitieux… Je dirais qu’à court et moyen terme il s’agit plutôt de maintenir notre place sur le marché actuel et de conserver notre souveraineté sur les développements les plus stratégiques lorsque nous en avons les moyens : notamment ceux qui touchent la défense, la cybersécurité mais aussi le calcul quantique, sur lequel l’Europe avance bien. 

La stratégie européenne visait également à accueillir des usines Intel, en Allemagne et en Pologne, mais le géant américain a suspendu le projet en septembre dernier, tout en poursuivant son expansion industrielle aux États-Unis… 

C’est en effet une mauvaise nouvelle pour l’Europe, car nous aurions intérêt à avoir plus d’acteurs installés. En microélectronique, la notion d’écosystème est très importante. Nous avons la chance à Grenoble d’avoir un écosystème qui atteint la taille critique, réunissant toute la chaîne de valeur, de la start-up au grand groupe, et c’est précieux.

Comment maintenir notre place dans un contexte international de plus en plus agressif économiquement et tendant au protectionnisme national ?

Nous devons continuer d’investir sur nos points forts, de l’innovation technologique à la production, mais aussi renforcer les liens entre le semi-conducteur et les domaines applicatifs souverains pour l’Europe (industrie, automobile, santé…) qui ont désormais pris pleine conscience de l’importance des composants.

L’Europe est également en avance sur la prise en considération des enjeux environnementaux et énergétiques : ces deux contraintes constituent des opportunités d’innovation importantes. Le CEA porte par exemple le projet européen GENESIS, réunissant 50 partenaires, qui vise à accélérer l’éco-innovation sur les procédés de fabrication des semi-conducteurs. Nous avons aussi l’ambition de réduire d’un facteur 1000 la consommation des composants d’ici 2032.

Mais surtout, il ne faut pas oublier que le marché de la microélectronique est par nature cyclique : ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera pas forcément demain.

Quelles évolutions prévoyez-vous ?

Une tendance forte émerge sur laquelle l’Europe pourrait faire valoir ses atouts : l’edge AI, l’intelligence artificielle gérée non pas dans des centres de données, mais sur des périphériques, smartphones, objets connectés, boîtiers industriels… Ces applications embarquées requièrent des électroniques à la fois très peu gourmandes en énergie et capables de réaliser la phase d’inférence, voire la phase d’apprentissage, en local. Or, traditionnellement, les unités dédiées au calcul et celles dédiées à la mémoire sont séparées sur les puces : 80 et 90 % de l’énergie est consommée dans la transmission des données entre les deux. L’edge AI nécessitera donc des innovations en matière d’architecture électronique, sur lesquelles l’Europe a une place à prendre. Elle sera de plus très liée aux capteurs, qui sont une force de l’Europe.

Le CEA-Leti a été sélectionné pour porter l’une des trois lignes pilotes prévues par le Chips Act, FAMES, située à Grenoble. De quels moyens est-elle dotée ?

FAMES nous permet de construire 2 000 m² de salles blanches supplémentaires et d’acquérir une centaine de nouveaux équipements de type industriel, représentant un investissement de 830 millions d’euros, porté à la fois par la Commission européenne et l’État français. Elle est entrée en service opérationnel en ce début d’année. Nous avons parfaitement tenu le calendrier prévu, qui était très serré. C’est important à souligner : lorsqu’on connaît l’Asie, on sait que l’exécution opérationnelle y est redoutable. Preuve est faite que nous sommes capables de faire aussi bien. 

Quels sont les objectifs de FAMES ?

Sa première vocation consistera à préparer les technologies FD-SOI pour des nœuds de 10, voire 7 nm. Cette technologie est aujourd’hui produite par GlobalFoundries et STMicroelectronics, respectivement en 22 et 18 nm. Le marché visé reste modeste à l’échelle mondiale, mais c’est une solution particulièrement intéressante pour les applications embarquées qui recherchent la frugalité. Mais FAMES doit aussi nous permettre de préparer « le coup d’après » pour les industriels européens, en accélérant le développement d’autres technologies jugées clés pour les 5–10 ans à venir : les mémoires embarquées non volatiles, qui joueront un rôle essentiel pour les usages d’IA nomades évoquées plus haut, les composants radiofréquences, qui soutiendront le passage aux applications 6G, ou encore sur l’intégration hétérogène 3D, qui exploitera l’empilement pour intégrer de nouvelles fonctionnalités sur une seule et même puce. Il faut ajouter que nous participerons aux autres lignes pilotes prévues par le Chips Act.

Ces lignes pilote visent à préparer à court, moyen et long terme l’avenir industriel de l’Europe dans le champ des semi-conducteurs. On parle parfois de difficultés à collaborer au niveau européen : c’est loin d’être le cas dans le domaine de la microélectronique. Nous travaillons en étroite collaboration, tirant le meilleur parti de nos complémentarités, afin de répondre efficacement à l’urgence stratégique à laquelle nous faisons face.

Sébastien DAUVE
PDG du CEA-Leti
Propos recueillis par Anne ORLIAC
Site internet de l’école Polytechnique
02 avril 2025




Mémoire : Rémi ROBELIN et ses 6 000 gardes

Acteur de la Résistance à Vichy, le colonel Rémi Robelin y préparait le ralliement à la Résistance de toutes les unités de la Garde sous son commandement.

Silhouette élancée, cheveux drus, Rémi Robelin était un saint cyrien brillant (promotion 1925). D’abord chez les tirailleurs algériens, à Blida, puis en 1931 à l’École des officiers de Gendarmerie à Versailles, il avait choisi la Garde républicaine en 1932, alors lieutenant. Dès les troubles du 6 février 1934 devait se manifester son exceptionnel courage. 40 000 personnes place de la Concorde (des activistes de droite), la police tirant sur la foule, l’émeute (17 morts, 1 435 blessés). Le lendemain, lors de l’affrontement des camelots du roi et des communistes, Robelin fut blessé à la mâchoire.

En 1935, il entra sur concours à l’École supérieure de guerre, rareté chez les gendarmes, et fut promu capitaine l’année suivante.
[…] 
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L’article est extrait de la rubrique “Mémoire vivante” du numéro de mars de la revue “Services spéciaux”

Nom de la revue : “Services spéciaux”
Période : Mars 2025 | Numéro : 270 | Pages : 10
Où acheter la revue : Elle est disponible à l’achat au siège de l’AASSDN
Prix : 6 € – frais d’envoi 4 € pour la Métropole.

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Souveraineté industrielle : Cicor en position de racheter Eolane, pilier de l’électronique de défense française

La possible reprise du groupe stratégique Eolane par le suisse Cicor soulève des inquiétudes, notamment en matière d’indépendance technologique dans le secteur de la défense. Ce choix met en tension l’objectif de préserver l’emploi et celui de maintenir le contrôle national sur une entreprise clé, active auprès de clients comme Thales ou Airbus.

Commentaire AASSDN : A l’heure où la France déclare vouloir réindustrialiser son économie, renforcer sa souveraineté et son effort en matière de défense, il paraitrait incohérent que cette PME stratégique soit rachetée par une entreprise suisse dont le gouvernement, sous les pressions américaines, a choisi d’équiper son armée de l’Air de F35 plutôt que d’avions Rafale.

Le Tribunal de commerce de Paris a analysé, le lundi 31 mars, les offres de reprise des activités françaises du groupe électronique angevin Eolane par Synov et Cicor. Son verdict est attendu pour le 18 avril.

Le groupe français Eolane est un acteur majeur de la sous-traitance électronique dans les secteurs de la défense, de l’aéronautique et de l’industrie. L’entreprise emploie 2 400 salariés, dont 1 000 en France, répartis sur plusieurs sites industriels. Elle traverse des difficultés et fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire. Deux offres sont en lice : celle du français Synov et du suisse Cicor. Les syndicats soutiennent le groupe suisse Cicor, qui propose un plan qui permettrait de sauvegarder plus d’emploi. Synov ne s’intéressent qu’à une partie des sites, alors que Cicor propose de reprendre cinq usines françaises et les deux unités marocaines.

Cette affaire s’inscrit dans un contexte où la France mise sur le renforcement de son industrie de défense pour répondre aux nouveaux enjeux géopolitiques. Le gouvernement s’est engagé à augmenter massivement le budget militaire, et le rôle d’Eolane dans la fabrication de composants électroniques critiques soulève des questions de souveraineté industrielle. Trente pour cent de l’activité d’Eolane est dédiée à des clients défense (Thales, Airbus ou KNDS). Si Cicor l’emporte, une entreprise stratégique française passerait sous pavillon suisse, accentuant la dépendance du pays à un acteur étranger dans un secteur sensible.

La possible reprise d’Eolane par un groupe suisse pose ainsi une problématique plus large : comment conjuguer restructuration industrielle et maintien d’une autonomie stratégique dans les secteurs clés, alors que la souveraineté technologique dans le secteur de la défense devient un enjeu majeur pour la France et l’Europe ?

Jean-Bertrand JOHNSON
Club Droit de l’AEGE
Jeudi 03 avril 2025




USA : Limogeage à la tête de la NSA et du Cyber Command américain

Le président Donald Trump a limogé brutalement le directeur de l’Agence de sécurité nationale (NSA), selon des responsables américains et des membres du Congrès. Cependant, la Maison Blanche et le Pentagone n’ont fourni aucune explication.

De hauts responsables militaires ont été informés jeudi du limogeage du général d’armée aérienne Tim Haugh, qui supervisait également le Cyber Command du Pentagone, ont indiqué les responsables. Ils n’ont reçu aucun préavis concernant la décision de limoger un général d’armée fort de 33 ans de carrière dans le renseignement et les cyber opérations, selon les responsables, qui ont requis l’anonymat pour discuter des décisions relatives au personnel. (…)

Lolita C. BALDOR et Lisa MASCARO
Chroniqueuses de l’Associated Press
Military Time
Vendredi 04 avril 2025