Conference du Colonel Michel Garder et du colonel Lechat chef de cabinet du general Beaufre

Avant d’aborder le thème de son exposé, à savoir « La nécessité d’une dissuasion totale face à une situation mondiale explosive », Michel GARDER présente à l’assistance son ami et collaborateur, le colonel Jacques LECHAT, et donne quelques détails sur son Centre d’Etudes. Ancien chef de cabinet du général BEAUFRE, le colonel (E.R.) LECHAT, breveté de l’enseignement militaire supérieur, a été plusieurs années durant professeur à l’École Supérieure de Guerre où il a dirigé notamment un cours spécial pour officiers étrangers. Depuis son départ à la retraite, il apporte son concours au Centre d’Études de Stratégie Totale, en même temps qu’il anime à la Sorbonne des séminaires consacrés aux problèmes de défense. Organisme privé d’étude et de réflexion, le Centre d’Études de Stratégie Totale poursuit l’oeuvre de l’ancien I.F.D.E.S. du général BEAUFRE. Il groupe un certain nombre d’officiers généraux ou supérieurs en retraite, ainsi que quelques civils particulièrement compétents dans des domaines tels que l’Économie, la Production Industrielle ou le Commerce International.

Le CESTE se trouve en contact avec des organismes étrangers similaires et produit des études qui lui sont commandées par des organismes officiels français, tels le Ministère de la Défense Nationale et le Commissariat à l’Énergie Atomique.

Après cette brève présentation, le conférencier explique son intention de procéder tout d’abord à un survol de la situation mondiale dont la clé se trouve toujours, selon lui, à Moscou ; d’examiner ensuite les hypothèses relatives à l’avenir du régime soviétique, et enfin de présenter à l’assistance les grandes lignes du Concept de Dissuasion Totale élaboré par le CESTE. Il laissera ensuite au colonel LECHAT le soin de développer un des aspects importants de ce concept : celui de la dissuasion par la bataille, grâce à l’emploi de la « Bombe à neutrons » et de donner quelques indications sur les possibilités d’une autre arme nouvelle : la Bombe Gamma. Lui-même reprendra la parole pour, avant de conclure, dire quelques mots à propos de l’inclusion dans une dissuasion totale du facteur population.

L’ÉVOLUTION DE LA SITUATION MONDIALE

Exposé du Colonel GARDER

Se référant à son exposé de mai 1979 à l’occasion du Congrès de Lille, Michel GARDER rappelle les conséquences sur le comportement de l’oligarchie soviétique du rapprochement sino-nippon du 12 août 1978 et de la reconnaissance officielle de la Chine communiste par les Etats-Unis, en décembre 1978. Alors que jusque là les stratèges du Kremlin pouvaient se croire en position de force face à des adversaires désunis et de ce fait facilement maniables – surtout depuis que l’U.R.S.S. avait massivement pris pied sur le continent africain -, la perspective d’une alliance contre l’Empire soviétique entre les Occidentaux et le binôme sino-nippon venait modifier profondément leur vision optimiste de l’avenir. Il s’agissait dans une certaine mesure d’une résurgence au sein de l’oligarchie moscovite du complexe d’encerclement dont la direction bolcheviste avait constamment souffert, de Lénine à Staline. Placée entre deux alliances hostiles dont il s’agissait d’empêcher un rapprochement débouchant sur une véritable coalition, l’U.R.S.S. avait, en bonne logique, le choix entre deux solutions

– soit se rapprocher des États-unis et des Européens occidentaux en jouant – dans la coulisse – de l’argument solidarité des blancs face au « péril jaune » ;

– soit au contraire faire des concessions aux Asiatiques afin de se réconcilier avec la Chine en mettant un terme à la « brouille de famille » d’une part et, d’autre part, de s’attirer les bonnes grâces du Japon en lui restituant les îles Kouriles et en lui concédant des facilités dans le domaine de l’exploi­tation des richesses naturelles de la Sibérie orientale.

Or aucune de ces solutions ne pouvait convenir aux dirigeants soviétiques pour lesquels les puissances étrangères ne sont envisageables que comme « subordonnées » ou comme « ennemies ».

C’est ce qui explique le fait que tout au long de l’année 1979 et des trois trimestres écoulés de 1980, le Kremlin sera, tel l’âne de Buridan, hésitant entre ces deux nécessités vitales et précipitera par-là même l’amorce de coalition redoutée.

Après avoir, fin 1978, donné le feu vert au Vietnam pour envahir le Cambodge, l’U.R.S.S. va d’un seul coup, d’une part renforcer le rapproche­ment sino-nippon et, d’autre part, accélérer la normalisation des relations américano-chinoises.

En mars 1979, surpris par l’attaque chinoise contre le Vietnam, le Haut Commandement soviétique ne sera pas en mesure de voler à temps au secours d’un allié dans le besoin, avec par voie de conséquence une grave perte de face en Asie.

A la suite de cette mésaventure, l’oligarchie moscovite va enfin esquisser un pas en direction des États-unis dont le Président souhaite le règlement des négociations sur la limitation des armements stratégiques (SALT II). Devenus subitement beaucoup plus souples, les négociateurs soviétiques acceptent une partie des desiderata américains, ce qui permet en juin la signature des accords par MM. CARTER et BREJNEV, assortie d’une spectaculaire accolade.

Cependant, cette lune de miel américano-soviétique sera de courte durée. Nombreux sont les spécialistes américains qui considèrent que le traité SALT II constitue un marché de dupes. De plus, la découverte en septembre d’une brigade soviétique stationnée à Cuba empoisonne l’atmosphère. BREJNEV va bien tenter de jeter du lest en promettant le retrait d’une dizaine de milliers d’hommes stationnés en Allemagne de l’Est, mais l’installation au même moment en territoire soviétique de fusées intermédiaires modernes – les SS-20 – braquées sur l’Europe occidentale entraîne une riposte de la part des Alliés.

C’est à la même époque, c’est-à-dire au début de novembre 1979, qu’éclate l’affaire des otages américains de Téhéran, une affaire qui va bouleverser les États-unis et placer la Maison Blanche dans une situation délicate.

L’INVASION DE L’AFGHANISTAN

L’invasion de l’Afghanistan par l’armée soviétique est, en partie – selon Michel GARDER -, la conséquence de l’affaire des otages. En effet, à la Maison Blanche on espérait à l’époque un geste du Kremlin pour obliger le régime islamico-révolutionnaire de Téhéran à libérer les diplomates américains, dans la mesure où l’U.R.S.S. ne pouvait tout de même pas tolérer une telle violation des lois internationales.

Or, au même moment, à Moscou, on tenait manifestement un raisonnement quelque peu différent, basé sur la quasi-inévitabilité d’une intervention militaire américaine en Iran et sur la tentation de plus en plus forte de profiter de celle-ci pour régler une fois pour toutes l’affaire afghane.

Cette affaire afghane remontait à 1975 et en était à sa troisième phase. Elle avait débuté par une révolution fomentée par le KGB en vue de remplacer le roi ZAHER, en voyage à l’étranger, par son cousin DAOUD, un prince « rouge » très soviétophile. Grâce à DAOUD, l’Afghanistan devenait une réplique asiatique de la Finlande, l’U.R.S.S. contrôlant de plus les forces armées et la police afghanes.

Toutefois, trois ans plus tard, en avril 1978, le KGB devait s’apercevoir que son homme de paille s’était laissé acheter par le Chah d’Iran, lequel à l’époque s’efforçait de créer un axe Téhéran-Kaboul-Islamabad-Pékin. Ce fut la brutale révolution du 27 avril 1978. Mais alors que la prudence eût voulu le remplacement du prince DAOUD par un général quelconque, les services spéciaux soviétiques crurent bon de le remplacer par TARAKI, un communiste athée ne représentant qu’une des faction du minuscule P.C. afghan.

A partir de cette erreur grave commence l’engrenage d’une résistance d’abord larvée, puis de plus en plus affirmée. Les soviétiques en sont réduits à décupler les effectifs de leurs conseillers militaires, cependant que le flot croissant des déserteurs de l’armée afghane va grossir les rangs de la Résistance.

Pour tout observateur sérieux il était dès lors évident que tôt ou tard l’U.R.S.S. serait contrainte d’intervenir massivement à l’appui du gouvernement communiste fantoche imposé à Kaboul par le KGB.

La troisième phase va débuter en octobre 1979 avec l’assassinat de TARAKI par son second AMIN, à l’issue d’un conseil des ministres tumultueux. Une fois de plus, les soviétiques surpris ne réagissent pas et le Kremlin reconnaît le « camarade » AMIN. Néanmoins, le processus de désagrégation de l’armée afghane s’accélère, cependant que l’équipe d’AMIN tente de consolider son pouvoir par une répression sanglante. L’oligarchie moscovite paraît divisée sur l’attitude à adopter vis-à-vis de cette équipe, lorsque l’affaire des otages américains de Téhéran va précipiter les événements.

UNE OPÉRATION MONTÉE EN DÉPIT DU BON SENS…

Contrairement à ce que l’on pouvait croire à l’époque, l’opération visant à reprendre en main l’Afghanistan a été montée en dépit du bon sens, ce qui explique les résultats discutables obtenus par les soviétiques en neuf mois de présence dans ce malheureux pays.

Au départ, les responsables soviétiques ont dû s’inspirer du précédent tchécoslovaque de 1968. A l’époque, leurs parachutistes avaient capturé sans coup férir tous les dirigeants tchécoslovaques cependant que les troupes du Pacte de Varsovie avaient occupé le pays sans rencontrer de véritable résistance.

Lancée sur Kaboul, une division aéroportée devait procéder en douceur au remplacement d’AMIN par Babrak KARMAL. Cette substitution exécutée, le nouvel « homme fort » du système devait manifester à la fois son attachement à la religion musulmane et un certain libéralisme politique. Or, par un curieux concours de circonstances rien, en dehors de la liquidation physique du « camarade » AMIN censé avoir appelé à son aide l’armée soviétique, ne devait fonctionner conformément au plan.

A l’inverse des tchèques, les soldats afghans se crurent autorisés à utiliser leurs armes contre les « libérateurs » soviétiques, se permettant même de tuer le général-lieutenant PAPOUTINE qui dirigeait l’opération. Surpris, les aéroportés soviétiques durent se battre pour de bon, subir eux-mêmes des pertes et, après avoir remporté une victoire à la Pyrrhus au Palais Gouvernemental, désarmer par la force une partie de la garnison de Kaboul.

Installé à la sauvette, le nouveau dictateur « musulman et libéral » allait de son côté commettre un impair de taille en oubliant de se déchausser dans la mosquée où il avait cru bon de se rendre pour une « action de grâce » publique.

Pendant ce temps, parties d’une région militaire secondaire, celle de l’Asie Centrale, six divisions de fusiliers mécanisées de « deuxième catégorie » venaient parachever les effets de l’opération « en douceur » des aéroportés. Bien que couvrant une des frontières de l’Union, la R.M. d’Asie Centrale fait face à un pays en principe ami : l’Afghanistan, pouvant difficilement constituer une base d’agression contre l’U.R.S.S. Aussi sur son territoire qui correspond aux républiques du Tadjikistan, d’Ouzbekistan et du Turkmenistan ne stationnaient, ces dernières années, que six divisions de fusiliers mécanisées de « deuxième catégorie », c’est-à-dire à effectifs incomplets (70 % environ des effectifs réglementaires). Ce type de division conçu en vue d’une guerre générale à l’Ouest possède, avec ses quelque 240 blindés, ses véhicules tout-terrain, ses engins, son artillerie moderne, une puissance de feu et de choc impressionnante, une mobilité exceptionnelle et un pourcentage très faible de fantassins.

A effectifs complets, chaque division mécanisée compte 2.500 fusiliers aptes au combat d’infanterie. Or les divisions qui vont devoir occuper l’Afghanistan n’étaient pas, ainsi que nous venons de le dire, à effectifs complets et manquaient avant tout de fantassins. Alerté quelques jours à peine avant l’opération, l’État-major de la R.M. d’Asie Centrale dut procéder en catastrophe à un rappel de réservistes locaux pour compléter aux moindres frais les divisions destinées à la promenade militaire en Afghanistan. Comme il fallait toutefois fournir à ces rappelés – pour la plupart turkmènes, tadjiks ou ouzbeks – une motivation sérieuse, on leur expliqua qu’ils allaient aider leurs frères afghans à chasser des envahisseurs chinois.

La suite est évidente. S’étant très vite rendus compte de l’inanité des affirmations de leurs cadres politiques et devenus militairement inutilisables – du fait de leurs rapports fraternels avec la Résistance , les réservistes durent être relevés au bout d’un mois par des appelés russes, ukrainiens ou baltes, prélevés sur des divisions stationnées dans d’autres régions militaires (voire même en Europe de l’Est). Une septième division fut même dépêchée sur les lieux sans que « l’aide fraternelle au peuple afghan » ait abouti à autre chose qu’à un enlisement dans une guerre coloniale à laquelle on ne s’était pas préparé à Moscou.

Neuf mois après, les soviétiques en sont toujours au même point, après avoir perdu trois généraux et près de cinq mille hommes, en tués, et une bonne vingtaine de milliers de blessés, le tout sous l’oeil critique, sinon goguenard, de leurs propres musulmans.

ET PENDANT CE TEMPS…

Enlisés en Afghanistan, les soviétiques n’ont pu exploiter réellement des événements aussi importants que la tentative de libération des otages américains de Téhéran, ou bien la mort du Maréchal TITO. En Afrique noire, leur offensive débouchait quatre ans après son lancement, sur une série de semi-échecs. En Angola et en Mozambique, seuls des arrangements secrets avec les « racistes de Pretoria » leur ont permis d’éviter une banqueroute économique aboutissant à des révoltes qui auraient définitivement compromis leur présence et celle de leurs mercenaires cubains. En Éthiopie, leur aide massive et leurs conseils éclairés n’ont toujours pas permis aux troupes de leur allié MENGISTU de reconquérir l’Érythrée, cependant que la Somalie est en passe de devenir une alliée des États-unis. Certes en Afrique du Nord ils ont désormais un allié actif en la personne du colonel KHADAFI, mais il n est pas dit qu’ils puissent en tirer les profits qu’ils escomptaient. Bien sûr, le semi boycottage des Jeux Olympiques de Moscou a permis à la propagande soviétique de parler d’un succès, mais une fois les lampions éteints, l’été ne devait apporter au Kremlin aucune satisfaction particulière.

Dès le mois d’août, on devait assister au processus des grèves en Pologne débouchant en septembre sur la victoire des ouvriers et des intellectuels polonais sur le pouvoir ; et depuis peu nous sommes le témoin de la guerre irano-irakienne, laquelle ne profite pas forcément à l’Union Soviétique.

Or, en fin de compte, c’est au Kremlin que se trouve la clé de la guerre et de la paix.

UN AVENIR ANGOISSANT

C’est de l’évolution du régime totalitaire soviétique et des décisions prises à Moscou que dépend actuellement, en premier lieu, l’avenir de notre planète…, un avenir que Michel GARDER trouve angoissant. Selon lui, cet avenir se réduit à quatre hypothèses :

– la première, H-1, serait la continuation, avec ou sans BREJNEV, du conflit actuel sur deux fronts, dont les 3 variantes pourraient être :

– H-11, une tendance au rapprochement avec les Occidentaux ;

– H-12, à l’inverse, une série d’ouvertures en direction de la Chine et du Japon ;

– H-13, un durcissement vis-à-vis des deux groupements adverses, occi­dental et asiatique.

– la seconde, H-2, qui pourrait être la conséquence de H-13, serait celle de la « fuite en avant », autrement dit le recours à la force avec les trois variantes suivantes :

– H-21, une offensive éclair sur le théâtre européen visant à s’emparer de tout notre continent et de se trouver ainsi en position de force vis-à-vis tant des États-unis que des Asiatiques ;

– H-22, une offensive contre les installations nucléaires chinoises et éventuellement contre le Japon, visant à mettre les Asiatiques hors de combat et à se trouver en position de force vis-à-vis de l’Occident

– H-23, une guerre sur deux fronts, soit directement, soit par une extension de H-21 ou H-22.

– la troisième, H-3, serait une révolution de palais au Kremlin exécutée par des éléments désireux d’éviter à tout prix H-2 en mettant fin à l’engrenage qui conduit. Là aussi on peut envisager trois variantes :

– H-31, à l’origine du coup d’État se trouveraient des jeunes de l’appareil du Parti et des policiers (K.G.B.) ;

– H-32, le coup d’État serait l’oeuvre d’apparatchiks et de militaires ;

– H-33, il s’agirait d’une prise de pouvoir par des militaires.

– la quatrième, H-4, serait une guerre civile provoquée par une cassure au sein des forces armées soviétiques, soit à la suite de l’échec de l’une des variantes de H-3, soit d’une révolte des musulmans de l’Union. Cette hypothèse serait presque aussi catastrophique que celle de la guerre, H-2, dans la mesure où elle mettrait en oeuvre deux fractions de l’énorme potentiel militaire soviétique.

Michel GARDER considère quant à lui que les deux hypothèses les plus probables sont H-2 et H-3. L’idéal serait que l’Occident soit assez fort pour dissuader H-2 et assez manoeuvrier en Stratégie Totale pour faciliter H-3. Cette deuxième condition étant difficilement réalisable, sinon impossible, il reste la dissuasion. Face à un adversaire pratiquant une Stratégie Totale, celle-ci devrait obligatoirement être Totale.

UNE DISSUASION TOTALE

Après avoir rappelé l’évolution du concept de dissuasion en Occident et souligné que dans la pensée militaire soviétique on n’en trouvait pas l’équivalent, Michel GARDER expose les grandes lignes du concept de dissuasion totale élaboré par son Centre sur la base des travaux entrepris du temps du regretté général BEAUFRE. Selon ce principe, il s’agit de dissuader un adversaire potentiel – l’Empire Soviétique dans le cas considéré – à tous les niveaux de confrontation, à savoir les niveaux Stratégique global “0”, Stratégique régional “1”, Corps de bataille aéro-terrestre-nucléaire tactique “2”, population “3”.

Le niveau Stratégique global “0” n’est accessible qu’aux deux superpuissances : les États-unis et l’U.R.S.S., avec leurs satellites, leurs fusées globales ou simplement intercontinentales. A ce niveau les deux Grands se neutralisent entièrement et il y a stabilité.

Cette stabilité se trouve à peu près réalisée au Niveau régional “1” où, du côté occidental, nous trouvons les forces nucléaires stratégiques britannique et française. Certes depuis un an l’U.R.S.S. s’est assurée une certaine prééminence avec ses nouvelles fusées SS-20, mais la mise en place en Europe occidentale des fusées M.X. et Pershing devrait rétablir l’équilibre dans trois ans.

C’est au niveau “2” qu’apparaît la première faille dans la dissuasion occiden­tale, dans la mesure où nous dissocions les armes nucléaires tactiques – dont l’emploi dépend d’une décision au sommet – du corps de bataille aéro-terrestre, alors que du côté soviétique les « armes nucléaires tactico-opérationnelles » se trouvent incorporées dans le corps de bataille dont elles constituent le fer de lance.

La deuxième faille réside au niveau “3”, celui de la population où, de notre côté, on s’est contenté d’esquisser un effort dans le domaine de la Défense Opérationnelle du Territoire en négligeant totalement les aspects « défense civile » et « résistance populaire ». Michel GARDER se propose de revenir sur ces derniers points après que son ami, le colonel LECHAT, aura exposé les idées du CESTE sur le niveau “2”.

Exposé du Colonel LECHAT

Se référant à l’exposé précédent, le colonel LECHAT rappelle que la France ne peut pas jouer un rôle très significatif au niveau “0”, et que c’est aux niveaux “1” et “2” que des progrès substantiels pourraient être faits en vue de renforcer notre système de dissuasion.

Selon la doctrine officielle actuelle, le recours aux armes atomiques stratégiques n’est crédible qu’après une période de combats conventionnels d’abord, puis incluant l’arme atomique tactique, ceci, selon les termes mêmes du « Livre Blanc de la Défense » afin de « tester la volonté ennemie d’agression ». Il s’agirait dans cette phase de porter aux forces ennemies un « coup significatif » destiné à le faire réfléchir avant de poursuivre son agression. S’il persistait dans ses intentions, l’emploi de la force nucléaire stratégique serait alors crédible.

Comme l’adversaire potentiel possède des moyens classiques très supérieurs aux nôtres, il est prévu dans notre doctrine de valoriser l’action de nos divisions par l’emploi d’armes nucléaires tactiques. Or celles-ci sont équipées de têtes à fission de 10 à 25 kilotonnes lancées par fusées. C’est le système d’armes « Pluton ».

L’emploi éventuel de ces armes appelle tout de suite deux remarques : le fait qu’elles soient livrées par fusées impose un temps de préparation tel que l’on ne pourra pas tirer sur l’ennemi présent, mais sur l’ennemi futur tel qu’il se présentera plusieurs heures après que notre commandement aura reçu l’autorisation d’employer de telles armes. De ce fait, la doctrine d’emploi prévoit des frappes massives, et non une succession de coups individuels. En second lieu, la frappe massive avec des armes d’assez forte puissance risque de provoquer des dommages collatéraux très importants sur les personnes civiles et leurs biens, même s’il est prévu d’épargner les agglomérations. Comme la bataille risque de se dérouler sur notre sol ou sur celui de nos alliés, l’emploi de telles armes est difficilement crédible ; ce manque de crédibilité se reporte de plus sur l’emploi des armes nucléaires stratégiques. Comment en effet songerait-on à recourir à ces dernières alors que l’on n’aurait pas osé utiliser des armes de moindre puissance ?

Même dans le cas improbable où les « Pluton » seraient employés, il est douteux que cette décision serait de nature à porter un coup significatif à l’ennemi. En effet, ce dernier possède davantage de divisions et davantage d’armes nucléaires tactiques que nous. Il serait donc fondé à riposter, ce qui rendrait très aléatoire pour nous une issue victorieuse de la bataille. Et si, sur le point d’être vaincue, la France menaçait de recourir aux armes nucléaires stratégiques, l’ennemi aurait beau jeu de menacer notre pays de représailles atomiques telles que la menace française n’aurait plus aucune crédibilité.

Notre système actuel de dissuasion est donc bancal par manque de crédibiité de l’emploi des armes nucléaires tactiques, celui des armes nucléaires stratégiques devenant de son côté hautement improbable. Il faut donc rendre crédible le recours à l’Atome tactique.

L’ARME A NEUTRONS, CONDITION DE LA CRÉDIBILITÉ

Or la technologie actuelle offre une solution à ce problème : c’est l’arme à radiations renforcées, ou arme à neutrons.

Tout projectile atomique a simultanément trois effets : le souffle, la chaleur et les radiations. Les armes nucléaires tactiques, telles que le Pluton, agissent surtout par les deux premiers effets, lesquels risquent justement d’infliger des dommages collatéraux importants aux populations civiles. Or, l’arme à neutrons ne cause de dégâts par souffle et chaleur que sur un hectare. Par contre, les radiations émises traversent, sur une surface de un kilomètre carré, tous les blindages et tous les bétons.

Elles ne sont arrêtées que par deux mètres de terre mouillée. Par ailleurs, l’explosion d’un projectile à neutrons ne crée aucune radioactivité rémanente sur le terrain.

On voit donc qu’avec de telles armes il serait possible et facile d’épargner les populations civiles et les biens. De plus, de telles armes peuvent être miniaturisées, ce qui permet leur lancement par canon de 155 ou mortier de 120. Ceci signifie qu’au lieu de viser l’ennemi futur comme le fait la fusée Pluton, l’arme à neutrons lancée par canon pourrait frapper à coup sûr l’ennemi du moment, après un simple réglage d’artillerie avec obus classiques. Or, selon les procédés de combat adverses, une surface de 1 km2 est occupée par une compagnie de chars ou une compagnie d’infanterie mécanisée. On voit donc que l’arme à neutrons peut faire équilibre à l’énorme supériorité numérique des moyens adverses, tout en ménageant les populations civiles et leurs biens. De ce fait, l’emploi de telles armes tactiques devient crédible, comme devient crédible aussi l’issue victorieuse de la première bataille.

Enfin, si l’on veut que la dissuasion soit crédible, il faut que le choix de l’escalade soit laissé à l’agresseur. L’escalade de l’agressé, presque vaincu par moyens classiques, n’est pas crédible. En revanche, la riposte de l’agressé victorieux dans une première bataille est hautement probable au cas où l’agresseur menace de recourir aux armes atomiques de forte puissance. Pour nous résumer, le raisonnement « plutôt mort que rouge » n’emporte pas la conviction adverse ; mais la réaction si tu me détruis je me vengerai avant de mourir » est parfaitement rationnelle.

Il est d’ailleurs possible de pousser l’analyse plus loin. Dans ce qui précède, seule a été examinée l’hypothèse de la possession unilatérale de l’arme à neutrons. Son existence bilatérale aurait pour effet de rendre pour longtemps impossible le recours aux armes conventionnelles.

En effet, supposons deux adversaires détenteurs tous deux de telles armes ainsi que des missiles antichars et antiaériens actuels.

Nous savons déjà que, lors du dernier affrontement israélo-arabe, une brigade blindée israélienne a perdu, en une demi-heure, soixante pour cent de ses chars du fait des missiles adverses. Si à l’effet des missiles venait s’ajouter celui de l’arme à neutrons, on disposerait d’un système défensif aussi efficace contre les blindés que le fut le duo « mitrailleuse-artillerie » contre l’infanterie et la cavalerie de 1914. La défensive reprendrait une supériorité absolue sur l’offensive, ce qui dissuaderait les adversaires potentiels de recourir à la guerre classique. Si les généraux des différents belligérants de 1914-1918 avaient correctement estimé les effets des armes du temps, personne n’aurait osé entrer en guerre avant d’avoir inventé le char de combat. Aujourd’hui, aucun général sensé ne préconiserait une offensive de blindés contre le duo arme à neutrons-missiles anti­chars, et cela jusqu’à ce que l’on découvre un nouveau moyen offensif invulnérable à ces armes.

LE RENFORCEMENT DE LA CRÉDIBILITÉ DES ARMES STRATEGIQUES

Le manque de crédibilité des armes nucléaires stratégiques provient de l’effet apocalyptique de ces dernières sur les populations. Pour parer à cet inconvénient il faut les humaniser. La technique nucléaire actuelle nous en offre le moyen à peu de frais.

Il est en effet possible d’irradier dans un réacteur à très haut flux des millions de microbilles, d’une substance adéquate et relativement bon marché, pour inonder de rayons « gamma » de très larges étendues. C’est ainsi que cent kilos d’uranium 235 pourraient irradier une quantité de microbilles suffisante pour paralyser toute activité de surface sur des milliers de kilomètres carrés. Les effets seraient parfaitement contrôlables dans l’espace, dans le temps et dans l’intensité. Dans l’espace, car une pluie de microbilles peut être localisée, alors que les retombées radioactives des armes à fusion et à fission ne le sont pas. Dans le temps, car la durée de l’effet des radiations dépend des matériaux choisis. Dans son intensité enfin, en fonction de la densité des microbilles et de leur nature. De plus, un tel système est relativement bon marché. Pour interdire toute activité civile et militaire sur la même surface, il faudrait un nombre impressionnant de projectiles à fission qui agiraient, eux, au prix de dégâts effroyables.

Enfin l’emploi de telles armes serait plus humain. En effet, si les guerres classiques rompent les pourparlers entre les adversaires, on ne conçoit pas d’emploi contrôlé des armes nucléaires sans maintien constant du dialogue entre les belligérants. Les actions menées par engins « gamma » pourraient ainsi être annoncées à l’avance de manière à provoquer des exodes massifs dans les zones choisies comme objectifs. Si celles-ci étaient convenablement déterminées, il deviendrait possible de vaincre un pays en le désorganisant, sans pour cela détruire atomiquement sa population et ses biens.

Il existe donc, par le biais de cette technique, une possibilité de renforcer la crédibilité de notre dissuasion stratégique et d’en augmenter les effets à peu de frais par la multiplication de projectiles relativement bon marché.

Avec le projectile à neutrons et l’engin « gamma », notre pays disposerait d’un système de dissuasion d’une efficacité bien supérieure à ce qu’elle possède actuellement. Mais pour que cette dissuasion devienne totale, il faudrait d’une part protéger nos populations et, d’autre part, ne laisser planer aucun doute sur notre détermination de résister à un ennemi qui contrôlerait notre sol, quel que soit le moyen de contrôle – guerre ou subversion – qu’il aurait employé pour atteindre ce résultat.

Conclusions du Colonel GARDER

Reprenant la parole, Michel GARDER rappelle tout d’abord – si besoin était – la faiblesse des Occidentaux en général et de la France en particulier, au niveau “3” – celui de la population. Il ne suffit pas qu’un faible pourcentage de celle-ci apporte son concours à la défense du territoire sous la forme de réservistes. Il faut, ainsi que le disait le colonel LECHAT, que la population soit protégée et se prête au besoin à participer activement à une résistance organisée et planifiée à l’avance.

La défense civile fonctionne non seulement dans les pays communistes, mais également en Suède et en Suisse. C’est une question de volonté et d’organisation. Espérons que les instances dirigeantes de notre pays finiront par se pénétrer de cette nécessité vitale. Quant à la Résistance, les anciens combattants de l’ombre ici rassemblés savent les difficultés, les dangers et les sacrifices que ce mot recouvre, surtout lorsqu’il s’agit d’improviser comme ce fut notre cas en 1940. Or en l’occurrence il faut à la fois s’efforcer de participer à la dissuasion totale en faisant savoir à l’ennemi éventuel la détermination de résister et d’être prêt effectivement à passer à l’action au cas où l’agresseur prendrait néanmoins le dessus. Le C.E.S.T.E., organisme privé, s’occupe de l’étude de ces problèmes. Son président est heureux, en sa qualité de membre de l’AASSDN, d’en informer ses camarades et espère que notre association apportera son appui à la propagation d’idées visant essentiellement le renforcement de notre pays face aux menaces qui s’accumulent à l’horizon.

Si avec nos alliés nous sommes assez forts militairement et moralement pour dissuader l’ennemi éventuel et empêcher par là l’hypothèse catastrophique “H-2”, nous contribuerons peut-être à la réalisation de “H-3”, avec par voie de conséquence le retour d’une Russie nouvelle dans le Concert des Nations et l’amorce d’une solution pacifique aux problèmes de notre temps.




1967 : la situation politique mondiale et perspectives d’avenir par Michel Garder

Le Samedi 14 Janvier 1967, sur l’initiative de la Délégation de Paris, un déjeuner-conférence a été organisé dans les locaux de Rhin et Danube, où de nombreux parisiens et des camarades de province étaient présents. A l’issue de ce déjeuner, notre Secrétaire Général Adjoint le Colonel GARDER fit une conférence sur la ” Situation Politique mondiale actuelle et les perspectives d’avenir “. En présentant le Conférencier, le Président National, a rappelé que celui-ci était en outre l’auteur d’un ouvrage ” La Guerre Secrète des Services Spéciaux Français 1935/1945 ” qui doit, paraître aux Editions Plon le 10 Avril 1967 et qui constitue l’histoire de notre Maison.

Par le Colonel Michel GARDER ” Le fait majeur de notre époque est que nous nous trouvons depuis le début du siècle dans une guerre ininterrompue, dont on distingue artificiellement deux phases la 1ère et 2ème Guerres mondiales, alors qu’en réalité nous nous trouvons dans le 4ème conflit mondial sans qu’on se soit aperçu ni d’avoir vécu le 3ème ni de vivre actuellement en plein conflit.

La 1ère phase de ce conflit a été, selon la définition de Lyautey, la ” Guerre Civile Européenne “, en gestation pendant longtemps (Guerres Russo-Japonaise, Balkanique), qui a éclaté en 1914, et qui aboutit à :

– la disparition de 4 empires continentaux Russe, Austro-Hongrois, Allemand et Ottoman ;

– l’ébranlement de 2 empires extra-continentaux, Britannique et Français;

– l’entrée en jeu dans l’histoire européenne de deux puissances extra-continentales : Etats-Unis d’Amérique et Japon.

Elle a, en plus, donné naissance à un phénomène nouveau socialo-religieux, le Communisme Russe, et, par contrecoup, à des phénomènes fascistes Hongrie, Italie, Allemagne, Espagne d’où une mutation de cette guerre civile en guerres de religion dont le point culminant a été l’affrontement 1939/45.

Cet affrontement est apparu comme, un conflit classique entre deux coalitions, alors qu’il était, sous une forme classique, la suite de la guerre de religion issue du premier conflit mondial.

A Yalta débutait le 3ème conflit mondial.

Si, pour Roosevelt, homme d’Etat classique et idéaliste par surcroît, il s’agissait de régler la situation mondiale d’après-guerre entre les deux vrais vainqueurs, pour Staline, chef d’Etat et Religieux à la fois, il s’agissait du début d’une nouvelle étape ” l’Evangélisation du reste du Monde “.

Dès 1947, ce conflit, entré dans sa phase aiguë sous le nom de ” Guerre Froide ” a connu des péripéties diverses, telles que :

– liquidation des empires coloniaux ;

– recours à la dissuasion mutuelle thermo-nucléaire ;

– recours à tous les moyens de lutte à l’exclusion d’une guerre généralisée.

En 1953, à la mort de Staline, la lutte pour le pouvoir en U.R.S.S. devait aboutir à un ébranlement de l’empire soviétique et à un transfert de l’orthodoxie communiste de Moscou à Pékin, le communisme soviétique étant déjà sévèrement ébranlé par la leçon des faits, alors que le chinois, beaucoup plus jeune, pouvait encore proclamer son triomphe sur la nature des choses.

En 1962, l’épreuve de force de Cuba aboutit à un armistice déguisé entre Moscou et Washington, marqué par les accords de Moscou de 1963 sur l’arrêt des expériences nucléaires, et, en même temps, donnait naissance au 4ème Conflit Mondial, c’est-à-dire à une nouvelle guerre de religion le Conflit Sino-Soviétique, qui est le conflit dominant de notre époque, et c’est par rapport à lui que tendent, dans une confusion générale, à s’esquisser de nouvelles alliances.

La confusion réside dans le fait que la majeure partie des participants croient lutter encore dans le 3ème conflit Mondial et que les mobiles qui l’ont déclenché subsistent toujours.

Il suffit de rappeler le schéma :

– Soviétiques et Chinois se font la guerre au nom de la lutte qu’ils prétendent mener contre l’impérialisme;

– les U.S.A. pensent exploiter ce différent en étant les alliés de facto des Soviétiques, qu’ils obligent ainsi à aider plus les Viets-Congs contre eux ;

– au sein de l’O.T.A.N., l’alliance s’affaiblit parce que le centre de gravité de la lutte a changé d’aire géographique;

– en face, au sein du pacte de Varsovie, l’U.R.S.S., pour revigorer l’unité rouge, doit invoquer le danger revanchard allemand.

Cependant en Chine et en U.R.S.S. les développements de la situation intérieure viennent encore compliquer le problème.

Pour le moment c’est en Chine que ce phénomène est le plus sensible.

Mais, d’ici quelques années il en sera probablement de même en U.R.S.S.

En effet la Chine se trouve d’ores et déjà en situation de guerre civile, une guerre civile d’autant plus curieuse qu’elle a été déclenchée par le pouvoir lui-même contre ses propres structures dans l’espoir insensé de régénérer la ” foi communiste “.

A l’origine de cet ” accès de folie organisé ” il y a eu les échecs subis par le communisme chinois dans le Tiers-monde depuis 1965, c’est-à-dire depuis que les Américains bombardent impunément le Nord Vietnam. Il semble que d’ores et déjà la Chine soit hors de combat en tant que grande puissance et qu’elle s’achemine à plus ou moins long terme vers le chaos. Contrairement aux apparences ce chaos ne peut pas profiter aux dirigeants soviétiques, eux-mêmes aux prises avec des problèmes intérieurs insolubles, conséquence pour une bonne part de la faillite de la ” crypto religion Lénino-marxiste “.

Une maladie mortelle ronge le régime 3 théocratique matérialiste 3 soviétique : la laïcisation. Dans son immense majorité la jeunesse ne croit plus aux vertus de la pseudo-religion.

Les véritables élites du pays (savants., administrateurs, ingénieurs, etc.) se rendent compte de la nécessité de se débarrasser du 3 clergé régnant 3 (c’est-à-dire de l’appareil du Parti).

Pour le moment le conflit entre ces élites (exclues des allées du pouvoir) et les ” prêtres de la religion matérialiste ” est latent, mais il ne peut que s’aggraver de jour en jour. Ainsi, sous nos yeux, et sans que nous y soyons pour quelque chose, nous voyons se développer la crise sans issue de ce que fut le Monde Communiste.

L’issue de cette crise, laquelle pour le conférencier ne peut être qu’une révolution en Russie, aura des répercussions extraordinaires dans l’Univers entier.

” En fait, dit le Colonel GARDER, nous assistons à l’effondrement du mythe de la Révolution avec un grand R. Ce mythe né ici même en France à la fin du XVIII ème siècle est passé par trois stades.

Le premier a été celui des ” révolutionnaires romantiques ” c’est-à-dire des gens qui mouraient pour la Révolution.

Dans le courant du XIXe siècle nous avons vu apparaître les ” révolutionnaires professionnels ” c’est-à-dire des gens qui vivaient par la Révolution.

Désormais nous sommes dans le troisième stade, celui des ” fonctionnaires de la Révolution “, c’est-à-dire des gens qui vivent de la Révolution.

En Chine le dernier carré des ” révolutionnaires professionnels ” s’efforce d’aller à contre-courant, de revenir aux sources. Malheureusement pour eux on ne peut jamais revenir en arrière “.

Malheureusement, remarque le conférencier, au moment même où à l’Est d’immenses changements se préparent et où en Russie notamment nous pouvons nous attendre dans quelques années à une résurrection extraordinaire du spiritualisme, en réaction à la longue période de matérialisme, en Occident il n’en va pas de même.

La subversion intellectuelle se poursuit d’elle-même sans être télécommandée de Moscou.

Nous avons nos propres centres d’infection qui se suffisent à eux-mêmes.

Ce qui est à craindre chez nous ce n’est pas tant une Révolution que la Décadence et la pourriture, un phénomène que des civilisations antérieures à la nôtre ont déjà connu dans le passé.

” Ce ne sont pas les barbares qui ont vaincu Rome… mais Rome qui s’est effondrée d’elle-même !! “.

En dépit de cette note pessimiste, le conférencier conclut sur une vision moins sombre.

Pour lui l’évolution de la situation mondiale devrait, en particulier du fait des bouleversements qui ont affecté le ” Monde Communistes “, pouvoir déborder, à plus ou moins long terme, sur l’unité de l’hémisphère Nord, incluant dans un immense ensemble l’Amérique, l’Europe et l’Asie russe, c’est-à-dire tous les peuples issus de la même civilisation judéo-chrétienne.

Ce serait l’aboutissement du 4ème conflit mondial, dernier acte de ” la guerre de notre siècle “.




Disparition du General Chretien

C’est une grande figure de nos Services qui vient de s’éteindre, un acteur et témoin des grands événements qui ont marqué la Deuxième Guerre mondiale et, notamment, ce tournant décisif que fut le débarquement allié du 8 novembre 1942 en A.F.N. où le Général CHRETIEN avait la responsabilité de la Sécurité Militaire.

Engagé à dix-sept ans pendant la Grande Guerre, sous-lieutenant blessé à VERDUN, il est affecté après la victoire dans un 2e Bureau de l’Armée d’Occupation.

Muté dans la Coloniale en 1926, après un séjour en CHINE et une brève incursion dans la vie civile il retrouve l’armée en 1932.

En 1934, il est affecté comme Capitaine à la Section de politique étrangère de l’E.M.A. à PARIS. Nommé Commandant en 1936 et muté à la Section économique, il travaille sous les ordres du Colonel GROUSSARD.

C’est en 1938 qu’il rejoint le S.R. Colonial nouvellement créé. II est affecté à DAKAR.

En 1941, le Colonel RIVET, patron de nos Services M.A. et clandestins, fait appel à lui pour diriger les B.M.A. et le T.R. d’A.F.N. Après avoir efficacement contribué au succès du débarquement allié il rejoint la troupe en mars 1943 et participe aux opérations de guerre en ITALIE et en FRANCE.

Fin novembre 1944, il prendra à la D.G.E.R. la direction des Bureaux de Documentation Extérieure (B.D.O.C.) qu’il quittera en 1946 pour se lancer dans la vie civile.

Officier Général d’une grande bravoure et d’une vaste culture, le Général CHRETIEN laisse le souvenir d’un camarade charmant dont l’existence militaire mouvementée et l’action résistante discrète ont toujours été inspirées par un pur esprit patriotique.

Le Général CHRETIEN a été inhumé le 15 février 1988 dans son village de MALBUISSON. Une délégation de l’AASSDN dirigée par notre délégué régional Gilbert M. assistait à ses obsèques.




Disparition d’un grand patron, d’un grand francais : Professeur Maurice Recordier – Hommage

Il était mon ami, mon frère, depuis notre enfance. Ensemble nous avons fréquenté toutes les classes du Lycée de Marseille. Moi-même, orphelin de guerre, ses parents étaient mes correspondants. Je vivais chez eux, comme un fils.

Nos destinées professionnels ont divergé à la fin de nos études secondaires lui, élève surdoué, est devenu un Grand Patron de la Médecine, Professeur et Chef de Service des Hôpitaux auxquels il a consacré sa vie. Sa réputation était mondiale en matière de Rhumatologie.

Jamais nous ne nous sommes séparés.

Lorsqu’en juillet 1940, dans la détresse de la débâcle, j’ai dû prendre la responsabilité de l’organisation clandestine de la lutte contre les Services Spéciaux de l’envahisseur, c’est posé le problème d’une installation discrète apte à camoufler nos archives et nos activités tout en permettant des liaisons faciles avec l’Afrique du Nord, j’ai pensé, bien sûr, à plusieurs solutions dans la zone dite libre en bordure de la côte méditerranéenne.

Marseille a retenu mon choix pour des raisons géographiques, démographiques, techniques évidentes, mais aussi parce que je savais que je trouverai chez les Recordier une ambiance familiale, un appui, totalement désintéressé et acquis à la cause de la Résistance.

Il en fut ainsi — Maurice comme sa famille et spécialement son frère — répondit à tous nos appels, à tous nos besoins : camouflage de camarades recherchés, soins à notre personnel, fourniture de médicaments, admission gratuite et discrète dans les hôpitaux de Marseille recrutement d’informateurs et à partir de novembre 1942 accueil de nos agents venus d’A.F.N., sauvetage in extremis de nos archives T.R., les plus secrètes enterrées chez ses parents à Eyguières où elles échappèrent aux recherches de l’ennemi.

C’est chez son frère, Marcel, qu’échoue mon ami Henri FRENAY en août 1940 pour lancer son mouvement « COMBAT ». C’est chez Recordier que FRENAY fait en juillet 1941 la connaissance de Jean MOULIN, c’est RECORDIER qui reçoit Jean MOULIN parachuté le 1° janvier 1942 dans les marais de Fontvieille, près d’Aix-en-Provence, c’est RECORDIER enfin qui ménage l’entrevue décisive de FRENAY et de Jean MOULIN, chargé par de GAULLE de réaliser en zone sud l’unité de la Résistance (1)

Telle est cette famille, ma famille, dont le dernier descendant, sans doute le plus illustre, nous a quittés fin avril 1987 en évitant de nous alerter sur le sort implacable que lui réservait le mal dont il se savait frappé depuis cinq ans. Je suis allé pleurer sur sa tombe à Eyguières.

Vrais « Pères Tranquilles » de la RÉSISTANCE, je ne suis pas sûr que la France ait honoré les frères RECORDIER à la mesure des services qu’ils lui ont rendus. Du moins, l’A.A.S.S.D.N. n’oubliera jamais ce qu’elle leur doit. (1) J’ai dit dans « Services Spéciaux 1935-1945 » p. 305, combien il est regrettable que cette occasion unique de rapprocher nos Services de ceux de Londres n’ait pas été saisie par l’envoyé de DE GAULLE. Sans doute ai-je ma part de responsabilité, car sachant la présence de Jean MOULIN à Marseille, j’aurais peut-être dû prendre une initiative qu’il semblait éviter et que FRENAY n’a pas encouragée. Ainsi va l’HISTOIRE, notre HISTOIRE !




Les allies et les services speciaux -Temoignage du General Bedel Schmidt

Le général W. Bedell Smith, Chef d’Etat-major du Général Eisenhower écrit à Monsieur le Directeur Général des Études et Recherches ( DGER )

– 1er novembre 1944

« Je pense qu’il est opportun de vous transmettre les félicitations de notre Commandant pour les magnifiques résultats obtenus par ceux qui ont voué leurs efforts, et dans de nombreux cas, leur vie, afin de fournir continuellement aux Alliés, d’abondants renseignements militaires, au sujet des forces allemandes stationnées en France.

Depuis 1940, un certain nombre d’hommes et de femmes courageux ont monté un mécanisme destiné à fournir aux Commandants alliés un flot constant de renseignements, et, en dépit des énormes risques courus par ceux qui poursuivaient leur tâche, ils continuèrent jusqu’à ce que, dans bien des cas, les groupes d’agents soient débordés par les Forces Alliées.

L’on m’a signalé que ces organisations en France ont expédié par la radio clandestine, au cours du mois de mai 1944, 700 rapports télégraphiques et que chaque émission effectuée était en elle-même un risque pour l’opération. Au cours de la même période 3000 rapports documentaires sont arrivés à Londres, venant de France.

Le rôle qui consiste à recueillir des renseignements, n’est pas spectaculaire, surtout si l’on considère l’attrait plus évident que présente la possibilité de rejoindre les groupes de résistance. Des milliers d’hommes et de femmes courageux sont restés calmement à leur poste, accomplissant une tâche essentielle, sans avoir les mêmes possibilités d’action stimulante ni de reconnaissance, mais avec la certitude toujours présente qu’ils travaillaient sous un danger permanent.

C’est pour cette raison que je désire vous féliciter du travail accompli par ces organismes de renseignements, sans oublier ces Français courageux, qui, fréquemment, quittaient Londres pour retourner en France afin de seconder un organisme, non seulement, une fois mais souvent deux ou plusieurs fois.

Je ne peux achever cette lettre sans rendre hommage à ceux qui ont sacrifié leur vie ou subi l’emprisonnement et des tortures indicibles à la suite de leur activité dans le domaine des renseignements. Nous partageons l’anxiété du peuple français en ce qui concerne le sort de ceux qui sont encore aux mains de l’ennemi, et nous sommes certains que vous prendrez toutes les mesures nécessaires pour assurer le bien-être futur de tous ceux qui ont joué, dans ce domaine particulier, un rôle important pour la Libération de la France, à laquelle ses fils ont participé de tant d’autres façons ».

W. B. SMITH

Traduction de la lettre du deuxième bureau des Forces alliées au chef’ du S.R. opérationnel.

CONFIDENTIEL – G.B.I./S.E.C./3000

17 octobre 1944

Objet: Renseignements fournis à G2 AFHQ pour les opérations dans le sud de la France. Au commandant Simoneau, chef S.R.O., deuxième bureau – 1ère Armée française

Je désire saisir cette occasion pour exprimer la reconnaissance des A.C. de S., G2 AFHQ pour l’excellence des renseignements qui nous ont été fournis au cours du ” planning ” des opérations dans le sud de la France. Sans aucun doute ces renseignements, particulièrement l’ordre de bataille, ont beaucoup contribué à assurer le succès de ces opérations.

L’information fut non seulement d’une extrême précision, mais elle fut aussi livrée avec une telle rapidité qu’elle était encore ” brûlante ” lorsqu’elle était reçue. Ce qui montrait que vos sources savaient parfaitement ce qui devait se révéler comme étant de la plus extrême valeur, et nous permettre de faire des modifications de la dernière minute dans les plans tactiques des forces d’assaut.

Outre les diagrammes de l’ordre de bataille des grandes unités, l’attention apportée aux unités non divisionnaires fut particulièrement valable, et nous permit de dresser le tableau des renseignements dans ses moindres détails, et d’une manière beaucoup plus efficace qu’il n’eût été autrement possible de le faire.

Nous éprouvons le sentiment que nos très aimables et utiles relations avec le S.R. se poursuivront.

C.C. SLOANE, Jr. Colonel G.S.C.




Hommage aux Freres Recordier – Mai 1995

Il était temps de rendre hommage à deux camarades dont la simplicité et la modestie étaient à la mesure de leur patriotisme et de leur dévouement.

Engagés à nos côtés dès juillet 1940, les frères Recordier, Marcel l’aîné et Maurice, originaires de la commune provençale d’Eyguières (près de Salon) ont été honorés par leurs compatriotes et par L’AASSDN le 20 mai 1995. La cérémonie organisée par nos délégués, en plein accord avec la municipalité, les anciens combattants du village et le Souvenir Français a débuté 11 h. 30 dans le parc d’Eyguières.

C’est la fille de Marcel Recordier, Madame de Saboulin qui avec M. Savournin, maire de la commune, a dévoilé la plaque qui porte le nom des frères Recordier, ” Combattants de la Résistance de 1940 à 1944 “.

Après que le Maire eut rappelé éloquemment les origines des frères Recordier et souligné l’honneur qui rejaillissait sur sa commune de leurs actions patriotiques et humaines (tous deux étaient des médecins réputés) en même temps que le devoir de mémoire de ses compatriotes, il appartenait au Colonel Paillole, ami d’enfance des Recordier, de mettre en évidence leur rôle patriotique essentiel à Marseille et dans les environs.

L’aîné, Marcel, premier agent de ” Mouvement de Libération Nationale ” recruté par Frenay devient avec son épouse et sa jeune fille, la ” plaque tournante ” du recrutement, du financement et de l’activité de ce ” mouvement ” qui allait devenir le ” groupe Combat “.

C’est chez Marcel Recordier qu’en août 1941 eut lieu la première rencontre, décisive, entre Frenay et Jean Moulin.

A son retour d’Angleterre, c’est toujours par Marcel Recordier que Jean Moulin put reprendre contact avec Frenay en janvier 1942 et jeter les bases de l’organisation unifiée de la résistance.

Le cadet, Maurice, futur professeur de rhumatologie de notoriété internationale, fut à partir d’août 1940 l’indispensable appui de notre réseau clandestin aussi bien pour l’installation de notre P.C. que pour la protection de nos camarades recherchés, les liaisons entre nos postes et nos agents, les soins discrets pour ceux des nôtres en difficulté.

A la veille de l’occupation de Marseille par la Wehrmacht (nov. 1942) il assura dans une de ses caches d’Eyguières le camouflage de nos archives les plus secrètes.

Le Colonel Paillole se plût à souligner les engagements simultanés des deux frères dans des réseaux parallèles sous l’impulsion de deux officiers du même âge, issus ensemble de Saint-Cyr, liés par une profonde estime et une grande affection.

Pour conclure, il montra que l’engagement spontané des frères Recordier dans l’action patriotique, trouvait ses origines profondes dans leur éducation familiale faite de civisme, de respect des valeurs morales et de l’amour de la France. ……




Disparition de Henri Frenay-un soldat precursseur de la Resistance

Le 6 août 1988, Henri Frenay s’est éteint à Porto-Vecchio, où il résidait avec son épouse d’origine Corse. La Presse, la Radio, la T.V. ont, en général, rendu un juste hommage à ce grand Français qui a marqué l’histoire de la Résistance de sa forte et généreuse personnalité.

Hommage insuffisant à mon sens, car qui peut vanter d’avoir sur le sol de France, dès juillet 1940, sacrifié sa carrière de militaire, risqué sa liberté et sa vie, pour se lancer à corps perdu dans la lutte contre l’envahisseur ?

Je fus témoin de son engagement, de sa volonté farouche, de sa foi en la France. Il était mon ami. Depuis ce jour d’octobre 1925 où la tradition saint-cyrienne a fait de lui mon initiateur dans le métier des armes, nous ne nous sommes jamais perdus de vue.

Il fut pour moi un « ancien » attentif et fidèle, toujours prêt à m’aider dans ma vie de soldat. J’ai dit dans « Services Spéciaux 1935-1945 » ce que furent nos destinées après la défaite de 1940. Pour nous deux le combat continuait.

Lui, décidé à quitter l’Armée pour échapper à sa discipline et agir librement contre l’occupant. Moi, décidé à rester dans l’Armée pour en utiliser les ressources et pour suivre notre mission de Défense. Choix crucial.

Il comprit mes motivations et celles de mes camarades. Ce fut, dès lors, entre nous, une collaboration confiante qui ne se démentit jamais des intrigues partisanes et des rivalités de personnes. En France comme en A.F.N., de 1940 à 1945.




Hommage à Roger WYBOT

J’arrivais à la dernière phrase de sa lettre du 18 septembre 1997, écrite d’une main tremblante lorsque l’annonce brutale de sa fin m’a fait mal.

Nous étions amis depuis 57 ans. Cette affirmation surprendra surtout ceux qui jugent superficiellement des hommes et se délectent à les opposer. L’estime réciproque, les mêmes sentiments de civisme, les engagements sans retour dans une même idéologie patriotique, tels étaient les fondements de notre amitié.

Elle a résisté aux épreuves de la vie, comme au temps et à l’éloignement. J’ai connu Varin (alias Wybot) au soir de la débâcle de juin 1940. Lieutenant d’Artillerie, il avait été remarqué par le Colonel Groussard et affecté par lui au groupe de protection du Maréchal Pétain dont la motivation réelle était de s’opposer à l’envahisseur. Ainsi fut-il en décembre 1940 l’exécuteur de l’élimination de Pierre Laval au pouvoir. Sous la pression des autorités allemandes, le groupe de protection fut dissous et Varin mis à la disposition du Colonel d’Alès qui constituait les B.M.A. avec un personnel choisi en raison de sa valeur et de ses sentiments patriotiques.

Affecté à Marseille dans le poste le plus important de cette formation nouvelle, Varin-Wybot me fut signalé au début de 1941 par le Commandant Jonglez de Ligne, chef du B.M.A. comme un officier de grand choix, ardent, mal à l’aise dans une organisation statique et plein d’admiration et d’envie pour les activités clandestines du réseau T.R. que je dirigeais.

Nos premiers contacts scellèrent notre amitié. J’aimais sa farouche détermination, sa franchise parfois brutale, sa volonté d’être tout de suite au combat direct contre l’ennemi. Il fut séduit par nos méthodes d’action, les résultats que nous avions déjà obtenus et sans doute aussi par la passion avec laquelle je lui exposais nos objectifs ainsi que mes vues prospectives pour la délivrance de notre pays et l’organisation de sa sécurité.

L’occasion de satisfaire le désir de Wybot me fut offerte en novembre 1941. Je lui proposais de prendre à Paris la direction de notre antenne T.R. 112 bis devenue vacante à la suite de l’arrestation de son chef par l’Abwehr.

 

Il a exposé lui-même la suite de sa destinée en ces termes : ” J’avais été choisi par Paillole, grand maître du Renseignement pour être une de ses antennes à Paris. Je concevais ma mission comme devant être liée avec Londres où un télégramme de l’un de mes adjoints me conviait pour rencontrer de Gaulle. ” Ce que je fis. Dans ma conversation avec le Chef de la France Libre, je lui ai dit qu’il y avait fort peu de gaullistes en France. Il me répondit que j’étais trop intoxiqué par Vichy et que je devais diriger mon réseau depuis Londres. Ce qui n’avait aucun sens. ”

Il décida que je ne repartirai pas en France et m’affecta au S.R. de Passy. ” Le 18 décembre 1941, je proposais à Passy de remplacer son petit S.R. par un vaste B.C.R.A. dont je lui donnais un projet d’organigramme. ” Passy accepta ainsi que le Général et dès 1942, le B.C.R.A. remplaça le S.R. en changeant de local, passant de la rue Saint-James à l’immeuble de Duke Street dont j’occupais le 3eme étage avec mon nouveau service de C.E. ” Pendant près d’un an je dirigeais ce service dont je démissionnais fin 1942. ”

Le 16 décembre 1942, je voguais en convoi sur l’océan pour me rendre à Beyrouth et recevoir une affectation comme Capitaine au Premier Régiment d’Artillerie de la Première D.F.L. commandée par Koenig “.

 

Au cours d’une escale à Alger, Wybot tint à me rencontrer. C’était en avril ou mai 1943. Il avait belle allure dans son uniforme d’officier et témoignait toujours à mon égard d’une respectueuse amitié.

Il m’exposa son expérience peu concluante dans le B.C.R.A. et sa satisfaction de servir dans une unité combattante. Je lui proposais de le reprendre et de réaliser avec moi ce qu’il n’avait pu réaliser à Londres.

Dans les rapports trop distants que nous entretenions avec Passy à cette époque, j’entrevoyais ainsi une amorce de clarification et d’union. Son refus fut courtois, mais catégorique. Je ne le revis qu’en octobre 1944 alors qu’André Pelabon, nommé Directeur de la Sûreté Nationale au Ministère de l’Intérieur, lui proposait de remettre d’aplomb la surveillance du territoire totalement dissoute en France occupée depuis novembre 1942. Le challenge le séduisait.

On sait avec quelle ardeur et quelle efficacité il a dirigé ce grand service pendant quinze ans, laissant le souvenir d’un haut fonctionnaire d’autorité, redoutable pour les uns, énigmatique pour d’autres, mais toujours intransigeant lorsqu’il y allait de la sécurité de la France et de son avenir.

J’avais quitté l’armée. Je ne le voyais que très rarement mais j’ai le souvenir de son appel téléphonique d’un soir tragique où la République chancelait dans les déboires de la guerre d’Algérie: ” Mon Colonel, nous sommes le dos au mur, on ne peut plus reculer, faites quelque chose !”…

Depuis quelques années nos rapports s’étaient faits plus fréquents. Sa voix altérée par un mal incurable essayait de m’interroger sur les événements. Il s’intéressait à tout, avec une intelligence aiguë et profonde. Sachant que je souffrais d’un zona, il me fit un cours d’acupuncture qu’il conclua en m’adressant le livre qu’il avait écrit avec une compétence reconnue par les plus grands maîtres de cette spécialité.

Il s’est éteint dans la nuit du 25 au 26 septembre 1997, laissant allumée sa lampe de chevet aux côtés de la liste de ses amis dont j’étais.

Une délégation de l’A.A.S.S.D.N. avec son drapeau, assistait aux obsèques de Roger Wybot, le 1er octobre 1997 aux Invalides.




Marie Bell – Hommage

Elle est décédée la veille de sa fête : le 14 août 1985. La presse, la radio, la télévision ont rendu hommage à son grand talent d’artiste du théâtre et du cinéma, à la tragédienne inégalable qu’elle fut pendant tant d’années à la Comédie Française et sur les scènes du monde entier, à la femme au tempérament exceptionnel, intuitive, passionnée, généreuse, éprise de panache et de grandeur.

Nul n’a dit et c’est dommage, que la rosette de la Légion d’Honneur dont elle était si fière témoignait de ses mérites culturels, certes, mais aussi de ses qualités civiques et des services qu’elle avait rendus à la France de 1935 à 1945, tout particulièrement pendant l’Occupation.

C’est Schlesser, alors chef de la section allemande de notre S.R. qui avait eu l’idée d’utiliser les comédiens français à l’occasion de leurs déplacements à l’étranger. Il en fut ainsi de Marie Bell.

Peu après mon arrivée au 2 bis, Schlesser me l’avait présentée. Elle revenait de Berlin où elle avait eu l’habileté de nouer des contacts avec Goering, féru de théâtre et Goebbels séduit par son charme et sa beauté.




Le serment de Bon Encontre

Il y aura cinquante ans, en juin 1990, que notre pays subissait la défaite la plus humiliante et la plus totale de sa longue histoire. Ce cinquantenaire tragique revêt cependant pour nous les Anciens des Services Spéciaux une signification autre que celle du souvenir d’une catastrophe dans la déses­pérance.

N’oublions jamais que grâce à la force d’âme du Colonel Rivet et de ses proches collaborateurs, parmi lesquels figurait un certain Capitaine Paillole, nos Services n’ont jamais cessé de faire la guerre à l’Allemagne nazie et à l’Italie fasciste.

Le 25 juin 1940, ce jour de deuil pour la France vaincue, demeure pour les Anciens du 2 bis repliés au Séminaire de Bon Encontre près d’Agen un jour d’espérance et, en fin de compte, de gloire. ” La mission du Service n’est pas terminée ” avait dit le Colonel Rivet.

Cette phrase est de la même veine que l’admirable ” Messieurs, la guerre continue ” du Général de Castelnau. Prononcée le jour même où entrait en vigueur un Armistice prescrivant la dissolution des Services Spéciaux elle ne constituait pas un simple défi à l’adversité.

C’était un ordre de contre-offensive générale donnée à une poignée d’hommes et de femmes par un grand chef qui ne se contentait pas de refuser de déposer les armes mais qui lançait ses maigres troupes dans une aventure prodigieuse préfigurant le succès final.

L’aspect prodigieux de cette aventure résidait dans le fait que, pour la première fois dans l’histoire des Services Spéciaux jusque-là auxiliaires précieux du Commandement en temps de paix comme en temps de guerre, se permettaient de prendre une initiative inouïe, celle de se lancer dans le combat de leur propre gré.

Que plus tard, quelques rares grands chefs, tel le Général Weygand, aient pris sur eux d’encourager et de couvrir cette initiative ne change rien au fait qu’un simple colonel en ait été l’inspirateur et le seul responsable.

Un demi-siècle plus tard, nous, les rescapés de l’aventure, et les jeunes qui sont venus grossir les rangs de notre Association, nous nous devons de commémorer ce jour glorieux de notre histoire (1).

Certes il ne s’agit pas de l’ériger en une de ces dates marquées en rouge sur les calendriers officiels. La commémoration doit être discrète comme il sied dans des Services Spéciaux dignes de ce nom.

Ayons tous, ce jour-là, une pensée ardente pour le repos de l’âme du Général Rivet et de ses subordonnés disparus et réjouissons-nous de ce que, grâce à notre Mémorial, les noms de nos morts glorieux se perpétuent dans la mémoire des Français.

Par la même occasion, remercions le ciel d’avoir toujours à notre tête un survivant exceptionnel de ce 25 juin 1940, notre Président National, le Colonel Paul Paillole, et souhaitons­lui de longues années de santé et de vigueur à la tête d’une Association qui lui doit tout.