Evasion de l’ Etandard du 2° regiment de Dragons d’Auch : temoignage du Commandant de Neuchèze

Dans notre dernier Bulletin, nous nous sommes fait l’écho de la belle cérémonie organisée à Ramatuelle à l’occasion du 50° anniversaire de l’évasion de l’étendard du 2° Régiment de Dragons d’Auch à bord du sous-marin l’ ” Arethuse ” (le 18 septembre 1943).

Au cours de cette manifestation a été rappelée la mémoire du Commandant de Neuchèze, tué en septembre 1944 près d’Autun et porteur de l’illustre emblème qu’il était allé chercher à Toulouse après s’être lui-même évadé de l’Hôpital militaire du Val-de-Grâce à Paris où il était en traitement sous surveillance, avant d’être déporté en Allemagne. Nous avons reçu de l’infirmière qui veillait sur lui à l’hôpital une émouvante lettre nous donnant quelques détails sur l’évasion de notre héroïque camarade. Nous reproduisons ci-après les extraits les plus significatifs de ce témoignage.

« Infirmière militaire depuis 1932 (…) j’ai été affectée en 1942, sur ma demande à l’Hôpital du Val-de-Grâce aux pavillons T ter et T bis où étaient soignés sous la surveillance des Allemands les détenus résistants et politiques.

« Chaque pavillon était gardé par des sentinelles de la Wehrmacht. « C’est là que j’ai eu à prodiguer mes soins au Capitaine de Neuchèze. Nous avons tout de suite sympathisé. Il m’a chargé d’avertir à Auch un boucher que la filière par l’Espagne n’était plus sûre et que c’était là l’origine de son arrestation. « Il m’a fait porter à diverses adresses en zone libre des messages codés. « Il voulait s’évader. « Je connaissais bien les habitudes et les points de garde des Allemands. « Il fallait faire vite, car il avait encore pour quelques jours ses vêtements civils et je savais qu’on devait impérativement les lui enlever après un prochain passage à la radio. « J’ai donc profité de l’inattention de la sentinelle du couloir, pour conduire le Capitaine jusqu’à la chapelle du Val-de-Grâce, en lui indiquant que de là il pourrait sortir rue du Val-de-Grâce, le poste à cette sortie n’étant gardé à certaines heures que par un sous-officier français. « Ne l’ayant pas vu revenir, j’ai compris qu’il avait réussi. « Par la suite j’ai fait évader quelques autres prisonniers, notamment plusieurs femmes internées-résistantes. « J’ai eu droit à des enquêtes de la Gestapo et m’en suis bien tirée. « J’ai rejoint enfin la 1° Armée Française et eu le grand honneur de soigner le Général de Lattre de Tassigny à son P.C. de Karlsruhe. » * *

Nous remercions vivement Mme Dantoine de sa communication, en la félicitant de son courage et en la remerciant de ses initiatives si salutaires pour nos infortunés camarades




L’Évasion de l’ÉTENDARD du 2° Regiment de dragons (1)

Nous avons relaté dans notre Bulletin n° 131 ce que furent les cérémonies du 12 septembre 1986 à RAMATUELLE . En présence du 2° Régiment de Dragons avec son étendard, l’Association des Anciens de ce Régiment avait reconstitué à LA ROCHE-ESCUDELIER ce qu’avait été quarante-trois ans plus tôt l’évasion de l’étendard porté par le Commandant de NEUCHEZE. Nous avons demandé au Président des anciens du 2° Dragons l’autorisation de reproduire son allocution. Elle complète en effet nos connaissances sur l’organisation de cette remarquable action et rend hommage à nos camarades du T.R. qui surent en assurer le succès.

Par le COLONEL ROUGER

EXTRAITS DE L’ALLOCUTION DU COLONEL ROUGER PRÉSIDENT DE L’AMICALE DU 2° RÉGIMENT DE DRAGONS

Quel fait d’armes extraordinaire que cette Évasion de l’Étendard du 2° Régiment de Dragons à bord du sous-marin l’ Aréthuse » en septembre 1943. Et pour nous, les Anciens, si nombreux aujourd’hui, quelle émotion ressentons-nous en évoquant ici à la Roche-Escudelier cette épopée qui est l’un des plus belles pages de la glorieuse histoire de ce Régiment qui nous est si cher ! Aussi, voudrais-je tout d’abord vous remercier, vous qui êtes venus honorer cette cérémonie de votre présence et prouver ainsi qu’avec nous, vous voulez vous souvenir.

Mais permettez-moi d’exprimer un hommage particulier à Madame la Maréchale de Lattre-de-Tassigny, toujours fidèlement présente à toutes les cérémonies rappelant les événements qui ont jalonné l’histoire du 2° Dragons de 1942 à 1945. Le Régiment et tous les Anciens de l’Amicale vous en ont une très grande reconnaissance, Madame, et vous savez combien ils restent pieusement attachés au souvenir du Maréchal et de votre fils Bernard qui a combattu avec nous dans les rangs du 2° Dragons en 1944-1945.

Et nos pensées se tournent vers Mme SCHLESSER qui, souffrante, n’a pas pu se déplacer, et Mme de NEUCHEZE qui, victime d’un accident est immobilisée et malgré son énergie et son désir intense de participer à cette cérémonie, a dû y renoncer. Qu’elles sachent combien nous comprenons leur déception de ne pouvoir être présentes et nous les assurons de toute notre gratitude car elles seront là par la pensée et par le coeur à travers vous, Mesdames Mme SANSEY, seconde fille du Général SCHLESSER, Mme LE GRANTEC, fille aînée du Chef d’Escadrons de NEUCHEZE, Mme DESRATEAUX, sa seconde fille, Sachez que nous sommes très touchés de ce que vous soyez parmi nous et nous vous en remercions beaucoup.

Je veux remercier M. RAPHAËL, Maire de RAMATUELLE, qui nous accueille si bien et a tout fait pour que cette cérémonie soit digne de l’événement que nous commémorons aujourd’hui dans sa commune.

Je voudrais dire toute notre reconnaissance au Colonel PAILLOLE. Comme je le dirai dans un instant, il a pris une large part dans l’organisation de cette évasion et c’est avec la même foi, la même ardeur qu’il m’a apporté aujourd’hui toute son aide pour le succès de cette commémoration. Je l’en remercie infiniment.

°°° Après sa belle conduite au cours de la campagne de France, le 5 septembre 1940, le Régiment est reconstitué à AUCH sous les ordres du Colonel SCHLESSER. Rappelons-nous…

La France est aux 2/3 occupé. En zone libre, le Régiment fera partie de l’Armée d’Armistice surveillée par les Commissions d’Armistice… et puis, que va-t-il se passer dans les prochaines années, les prochains mois ? Le Colonel SCHLESSER n’a qu’une idée et c’est la mission qu’il s’est fixée : « Préparer le Régiment à reprendre le combat. » Mais comment ? Il a envisagé toutes les hypothèses et le 8 novembre 1942, lorsque les Alliés débarquent en Afrique du Nord et que les Allemands envahissent la zone libre, il n’est pas surpris et prend vite sa décision.

Au cours d’une nuit mémorable, la nuit du 29 au 30 novembre 1942, tous les officiers, sous-officiers et dragons qui ont dû abandonner leur uniforme sont réunis en civil dans la cour du Quartier Espagne à AUCH qui, dans quelques instants va être livré aux Allemands. Ils vont tous, un à un passer devant leur colonel en tenue, s’agenouiller devant l’Étendard, en baiser les plis et prêter le serment de « savoir donner leur vie pour que vive la France ».

Pour le Colonel SCHLESSER, cet adieu à l’Étendard est un signe de ralliement. Il passe le premier en Afrique du Nord et là, très vite il confirme sa décision « Reconstituer le Régiment en Afrique pour qu’il puisse reprendre le combat. » Mais pour lui il n’est pas concevable que le Régiment puisse exister sans son Étendard.

Oui, c’est le Général SCHLESSER qui a eu l’idée et la volonté de faire venir l’Étendard en Afrique du Nord.

Nous sommes au début de 1943. Que se passe-t-il en France? Après cette nuit du 29 au 30 novembre 1942, l’Étendard est emporté et camouflé par l’Adjudant-chef Faraut. Puis, à partir de mars 1943, dans une cave plus sûre à La Romieu, chez M. Etienne Bouet.

En même temps, les évasions vers l’Afrique à travers l’Espagne commencent et le Capitaine de Neuchèze prend en compte la filière. C’est ainsi qu’il fera franchir les Pyrénées à de nombreux Dragons.

Inquiété par les Allemands, il décide à son tour de rallier l’Afrique du Nord, mais c’est au pied des Pyrénées que, le 11 juin, il est arrêté par la Gestapo, emprisonné à la citadelle de Perpignan, puis emmené au camp de Royalien, près de Compiègne, point de départ vers les camps de déportation; il y passera deux mois très durs. Le 17 août, admis enfin à subir une visite médicale au Val-de-Grâce, il trompe la surveillance de trois sentinelles allemandes et s’évade en sautant du 1er étage (six mètres de haut, les étages du Val!).

Pendant ce temps, le Général Schlesser avait demandé au Commandant Paillole qui dirige à Alger les Services Spéciaux de la Défense Nationale d’organiser l’évasion de l’Étendard. Qui mieux que le Capitaine de Neuchèze, mérite l’honneur d’accomplir cette mission ? Lui qui vient de réussir cette formidable évasion du Val-de-Grâce!

Le Colonel Paillole a travaillé sous les ordres du Général Schlesser de 1936 à 1939 au 2° Bureau. Il lui voue une estime et une amitié sans limite. Il est camarade de promotion de Saint-Cyr du Chef d’Escadrons de Neuchèze. C’est avec tout son coeur et son intelligence qu’il va se dévouer à cette mission. Il a, depuis le mois de mars 1943, organisé et mis en place des équipes « spéciales » en France, dénommées « T.R. Jeune ». Il a établi un système de liaisons par sous-marin entre Alger et le Cap Camarat.

Ces liaisons ont lieu une fois par mois au moment des nuits noires, nuits sans lune. Le « Casabianca », avec le Lieutenant de Vaisseau L’herminier, a fait la première mission en février 1943. Puis l’ « Aréthuse », commandée par le Lieutenant de Vaisseau Gouttier. En septembre ce sera sa troisième mission ou, pour utiliser le terme de l’époque, sa troisième « patrouille ». Il faudrait pouvoir expliquer dans le détail ce qu’étaient ces « patrouilles » pour bien se rendre compte qu’elles étaient difficiles et périlleuses.

Rappelons simplement la situation dans la Méditerranée occidentale, entièrement surveillée et contrôlée de Gibraltar par les Anglais. La Marine italienne et surtout l’Aviation allemande surveillent activement toute cette zone : ce sera l’époque du débarquement en Italie, après la fin de la campagne de Tunisie. Nous voici fin septembre. Le 25 septembre, l’« Aréthuse » quitte Alger. Le 22 septembre le Capitaine de Neuchèze est à Toulouse où lui sera remis l’Étendard. Sont là réunis dans une toute petite pièce ceux qui, contactés par le Colonel Schlesser grâce au « T.R. Jeune », sont allés reprendre l’Étendard à La Romieu, dans le Gers. Ils sont six (dont deux jeunes garçons) et l’un d’eux a retracé dans ses notes cette émouvante réunion. Il écrit : « Neuchèze défait le paquet déposé sur le lit de fortune où il a passé sa dernière nuit toulousaine. Il en extrait l’Étendard et l’étale devant nous. Il en est la vivante hampe. Je l’entends encore dire aux enfants : « Regardez bien, mes petits. Un jour prochain vous le verrez flotter libre et victorieux ! ». Puis, religieusement, les témoins de cette scène dont la grandeur faisait éclater le cadre étroit où elle se déroulait, avancent d’un pas baiser l’étoffe sacrée, chargée de tant d’espoirs. » Immédiatement après, le Capitaine de Neuchèze rejoint Lyon par le train. Là l’attend le Capitaine Vellaud, mandaté par le Colonel Paillole, pour assurer l’évasion de l’Étendard et de sa « vivante hampe ». Le 27 septembre, le Capitaine de Neuchèze et le Capitaine Vellaud gagnent ensemble Marseille. Puis le 28, arrivent près de Ramatuelle vers 21 heures, à la ferme Ottou, cette ferme qui, à l’époque, était très isolée et, depuis Ramatuelle, dernière maison avant la mer (l’Escalet n’existe pas), enfouie dans de grands arbres derrière ce promontoire qui constitue le Cap Camarat, massif montagneux couvert d’un épais maquis plein de ronces…

Vers 23 heures, Achille Ottou qui était allé à l’extérieur observer les réactions des guetteurs placés aux alentours revient à la ferme. Avec deux autres camarades, dont M. Henri Olivier, ils forment le commando qui va convoyer les passagers de l’« Aréthuse ». Ils s’arrêtent aux abords du chemin de ronde des patrouilles allemandes ou italiennes pour assurer la sécurité de ceux qui vont descendre jusqu’à la roche, guidés par Achille Ottou seul.

L’« Aréthuse » est arrivée vers 15 heures, après trois jours de traversée, en face du Cap Taillat, en plongée bien sûr et après avoir observé et bien repéré les lieux avec son périscope, va se poser sur le fond en attendant 23 heures. Elle fait alors surface et vient contre la roche Escudelier; elle met un canot à la mer. Le Commandant Fabry, qui était Enseigne de Vais seau, a pris place à bord de ce canot pour venir chercher l’Étendard et sa vivante hampe ».

Voici donc, parmi tous ceux qui ont participé à cette Évasion, les équipes dignes de notre admiration, qui ont été au coeur de cette action et que nous avons l’honneur et le privilège d’avoir avec nous aujourd’hui Achille Ottou, Henri Olivier et M. Durrmeyer, tous trois des Services Spéciaux du Colonel Paillole — le Vice-Amiral Gouttier, les Commandants Castel, Tégui et Fabry, respectivement naguère Pacha de l’» Aréthuse » et Officiers Adjoints.

Nous apprenons avec une profonde satisfaction la nomination au grade de Chevalier de la Légion d’Honneur de notre valeureux camarade Achille Ottou. Cette distinction honore un grand Français, mais aussi toute une famille, sa soeur Jeanne et une équipe de Ramatuellois, artisans de la sécurité de nos liaisons sous-marines.

Cette décoration sera remise officiellement à Achille Ottou le 8 Mai 1987 devant notre Mémorial




Le sous marin ” Protee”

Le sous-marin Protée (bâtiment de 1.500 tonnes, conçu pour la surveillance des zones ennemies et l’action contre les communications) avait rallié Oran en juin 1943 après s’être échappé d’Alexandrie où il avait été neutralisé fin juin 1940 avec une partie de la flotte de la Méditerranée.

Mis à la disposition des services spéciaux français, il avait effectué deux missions clandestines de liaison avec le poste de C.E. de Barcelone, pour le compte de la D.S.M. d’Alger: la dernière en date eut lieu le 8 décembre 1943 et parfaitement réussie.

Quelques jours plus tard, le 18 décembre 1943, le sous-marin partit pour une patrouille devant Marseille avec 74 marins, dont 3 britanniques à bord. Il n’est jamais revenu et l’équipage fut considéré comme disparu.

En mai 1995, l’épave du sous-marin a été repérée par 125 mètres de fond devant Cassis. Des premières constatations, il semble que le ” Protée ” ait été victime de l’explosion d’une mine.




Mise au point : des BMA a M Roger Wybot : Affaires Colonel Groussard, Fourcaud

Monsieur Roger WYBOT. Directeur de la Surveillance du Territoire, a bien voulu, à la suite de la “Mise au point” parue dans notre dernier Bulletin Spécial, nous écrire la lettre que nous publions ci-après in extenso.

Nous l’en remercions et nous lui savons tout particulièrement gré de s’associer à l’hommage que nous avons rendu à l’oeuvre anti-allemande des Bureaux M.A, mais nous devions sur quelques points apporter à nos Adhérents certaines précisions complémentaires.

Par courtoisie et camaraderie, nous avons tenu à les communiquer à M. WYBOT et, à l’occasion de la correspondance qu’il a engagée avec lui, le Président Paul PAILLOLE a résumé ainsi les raisons majeures de notre « réaction » :

….. Tout comme vous, je n’éprouve que de l’estime pour ceux qui ont voulu faire leur devoir de 1940 à 1944 – de quelque manière que ce soit. Dans les circonstances actuelles, il serait criminel de les opposer.

C’est, du reste, la raison essentielle pour laquelle je crois nécessaire de publier dans notre BULLETIN (dont la diffusion est limitée) nos diverses “mises au point”. Nos camarades verront ainsi qu’au-delà des ragots d’une certaine Presse, et des mauvaises légendes volontairement entretenues par des esprits sectaires et malveillants, il y a une Vérité qui rapproche les vrais Résistants et doit sceller aujourd’hui leur Union.

….. Si le ton général de notre rédaction vous donne l’impression d’être un peu amer, il faut sans doute en chercher la cause dans notre déception de constater, quinze ans après, l’altération systématique des faits et la mauvaise foi qui préside trop souvent à l’information d’une opinion ignorante et docile.

M. Roger WYBOT nous écrit :

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PARIS. Le 4 Mai 1956.

Mon cher X. . . .

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt, l’article publié sous le titre “Mise au point” du numéro spécial 1956 du bulletin de l’AMICALE et, bien que très bousculé en ce moment, je m’empresse de vous répondre aussitôt pour faire, à mon tour, quelques mises au point qui,d’ailleurs, je le pense, ne gêneront personne :

Douze ans de Directeur de la Surveillance du territoire m’ont appris à ne jamais redresser les erreurs de la presse, mais simplement à la poursuivre en diffamation quand elle dépasse les bornes – bien entendu, je n’assimile pas le Bulletin de notre AMICALE à un quelconque journal, et c’est pourquoi je lui réponds.

1°) – Tout d’abord, je suis entièrement d’accord sur le fond de votre article, et notamment sur le rôle anti-allemand, extrêmement efficace, joué par les Bureaux M.A. Je ne veux donc recti­fier que quelques points de détail.

2°)- M. LEONARD, chef de la B.S.T. de Marseille en 1941, était heureusement en congé lors de mon arrestation faisant suite à celle du Colonel FOURCAUD. Il n’a jamais occupé de poste à la Surveillance du Territoire sous ma direction.

3°) – Je ne connais pas personnellement le Colonel de BONNEVAL, mais je suis certain de son grand patriotisme et je puis témoigner que, lorsqu’il m’a reçu à Londres, en 1941, le Général de GAULLE, s’il ne m’a pas cité le nom du Colonel de BONNEVAL, m’a au moins cité le nom d’un autre Officier, chef d’un Bureau M.A., pour lequel il aurait beaucoup d’estime.

4°) – J’ignorais, jusqu’à ce jour, la démarche qu’avait faite auprès du Colonel d’ALES, le Colonel GROUSSARD. Voici, en ce qui me concerne, quelle est l’histoire: après la dissolution des Bureaux M.A. ,j’ai cherché, par mes propres moyens, à rejoindre l’Angleterre en compagnie de quatre autres camarades, et c’est presque par hasard que j’ai retrouvé le Colonel GROUSSARD, qui se préparait également à aller à Londres et qui m’a présenté à FOURCAUD.

A la demande du Colonel GROUSSARD, et surtout de FOURCAUD, nous avons consenti à abandonner momentanément notre projet de rejoindre Londres pour rester en France, tout en nous considérant comme militairement engagés dans les Forces Françaises Libres et devant exécuter les missions qui nous étaient confiées.

Pour ma part, on me conseilla de solliciter la fin de mon congé d’armistice et je fus affecté dans un groupe de D.C.A. de la région de MARSEILLE.

Je croyais savoir que j’avais été affecté, très peu de temps après, au Bureau M.A. à la demande du Colonel GRANIER, alors Chef d’Etat-Major de la 15ème Région Militaire, après la démarche qu’avait faite auprès de lui le Colonel GROUSSARD; mais j’ignorais que des contacts avaient eu lieu à l’échelon du Colonel d’ALES.

Je dois dire qu’à cette époque j’ai rencontré, au Bureau M.A., des Officiers animés du patriotisme le plus ardent, ce qui ne signifie pas forcément qu’ils étaient pour de GAULLE.

Cependant, deux officiers du Bureau M.A., le Capitaine BAGGIO, dont le beau-frère était Colonel aux Forces Françaises Libres, a su que j’avais des contacts avec Londres et le Capitaine ROLAND qui, lui-même, a déjeuné en ma compagnie et en la compagnie de FOURCAUD qu’il n’a d’ailleurs connu, avant mon arrestation, que sous le nom de LUCAS.

Je ne savais pas, jusqu’à ce jour que d’autres Officiers du Bureau M.A., sauf peut-être GEORGES-HENRY qui n’était pas directement rattaché au Bureau M.A. mais au Service de PAILLOLE, avaient connaissance, en 1941, des contacts directs que j’avais avec LONDRES.

Je dois d’ailleurs signaler, à propos du service PAILLOLE sur lequel je reviendrai tout à l’heure, que, bien que j’aie fort peu connu son activité, car c’était vraiment un service secret, le peu que j’en ai connu m’a rempli d’admiration et a peut-être été l’origine de ma vocation actuelle. En tout cas, l’admiration que je lui portais et que je ne cherchais pas à cacher, m’a valu de sérieux désagréments à mon arrivée à LONDRES.

5°) – Si je fus bien interpellé le 28 août 1941, en même temps que FOURCAUD, à la Gare Saint-Charles à Marseille, je ne fus heureusement arrêté que le lendemain, ce qui m’a tout de même donné un peu plus d’une nuit pour prendre quelques précautions.

Si je n’ignore pas qu’effectivement les Services de la Surveillance du territoire de l’époque obtinrent beaucoup trop de renseignements dans l’interrogatoire d’un résistant, j’ignore encore, malgré les enquêtes que ,j’ai menées sur ce point, tant à Londres qu’à Paris, comment les Services de la Surveillance du Territoire étaient en possession, lorsqu’ils ont interrogé FOURCAUD et moi-même, d’une partie du courrier qui aurait du partir à la lune précédente, au cours d’une opération aérienne mais qui,finalement, avait été acheminé par les Pyrénées.

Je vous serais très reconnaissant, mon cher X .. qui savez tant de choses que j’ignore, de bien vouloir me le confier simplement à titre historique, un jour, au cours d’une conversation privée.

Dès qu’il a connu la prochaine arrestation du Lieutenant WARIN, le colonel d’ALES s’est d’abord proposé de venir lui-même à MARSEILLE, puis demanda effectivement à PAILLOLE de suivre la question.

Je ne doute pas un seul instant que PAILLOLE avait, non seulement la mission, mais encore l’intention de limiter les dégâts et qu’il s’y est vraisemblablement pris de la manière la plus habile; mais je dois dire que, sur le moment, son attitude m’a beaucoup déconcerté, comme elle a d’ailleurs déconcerté le Capitaine ROLAND.

C’est le commissaire P… qui m’interrogea alors. Il commença par me dire que je pouvais bien lui déclarer tout ce que je voulais, car il ne connaissait rien à l’affaire; et si les questions du commissaire divisionnaire LINAS, venu spécialement de VICHY, ne m’embarrassèrent jamais tant elles montraient une ignorance fondamentale du sujet, je dois dire que j’ai passé l’un des plus mauvais moments de mon existence lorsque PAILLOLE est venu me poser lui-même des questions d’une telle pertinence que j’ai été vraiment fort embarrassé.

7°) – Je croyais savoir que j’avais été libéré à la suite d’une intervention très énergique du Capitaine JONGLEZ de LIGNE auprès du Général commandant la Région – j’ajoute que, dans une conversation qu’il eut avec moi, après cette libération, le Capitaine JONGLEZ de LIGNE, sans cependant manifester son accord avec ses entreprises, me fit comprendre la connaissance que la Surveillance du Territoire avait du réseau et quelques-unes des charges qui pouvaient être retenues contre moi.

Quelques jours après, PAILLOLE me confirmait effectivement au grand ébahissement du Capitaine ROLAND, que la proposition qu’il m’avait faite, peut-être un mois auparavant, d’aller occuper un poste T.R. à Paris tenait toujours, car, en zone occupée, les intérêts des Bureaux M.A. et des Services pour lesquels je travaillais se confondaient.

J’ajoute que je n’ai dû à ma bonne étoile et à la suspicion qui pesa sur moi à Londres après que j’aie déclaré mon admiration pour les services de PAILLOLE et qu’on m’empêcha, en conséquence, de retourner en France, de ne pas tomber dans la gueule du loup, car j’ai appris depuis, hélas ! que les Allemands avaient un bon agent dans ce poste que j’aurais du rejoindre.

Je précise également qu’à cette époque, je fus reçu à VICHY par le Colonel d’ALES qui me fit très amicalement remarquer que, s’il admettait parfaitement des contacts très poussés avec les Anglais et avec les Américains, il n’était pas tout à fait d’accord sur des contacts avec les Gaullistes et qu’il avait bien l’impression que, sur ce point, j’avais dépassé les bornes.

Il ne me demanda d’ailleurs pas d’explication et confirma la proposition qui m’était faite d’occuper un poste T.R. à Paris. Je différais ma réponse à un mois, sous le prétexte d’aller voir préalablement moi-même la situation à Paris; mais, en réalité, pour aller chercher des instructions à LONDRES.

J’avais d’ailleurs, au même moment, essayé de solliciter l’appui et les conseils du Colonel RONIN, dont je savais qu’il était en liaison avec le Colonel GROUSSARD, avant l’arrestation de ce dernier. Le Colonel RONIN, qui était, à cette époque, très surveillé lui-même, m’a sans doute pris pour un provocateur et m’a proprement flanqué à la porte.

J’ai revu effectivement PAILLOLE en Août 1943 (je crois que c’est Août et non Avril) à Alger. J’avais toujours la même admiration pour lui (que j’ai toujours d’ailleurs). Nous avons eu à l’époque une conversation aussi amicale que le permettait la différence de grade qui existait entre nous. Mais je ne me souviens pas d’avoir songé à m’excuser d’être parti à LONDRES sans lui en avoir, au préalable, rendu compte. Je me rappelle simplement qu’il a été question, à ce moment-là, d’une espèce de rapprochement entre le B.C.R.A. et les Services de PAILLOLE dans lequel je devais jouer un rôle relativement important, puisque j’avais appartenu aux deux Maisons, rôle que j’aurais rempli de grand coeur car il me semblait nécessaire de réconcilier, au plus tôt, des Services qui poursuivaient le même objectif avec la même efficacité.

J’ajoute que l’arrestation de FOURCAUD, lors d’un contact qu’il avait avec moi, et l’admiration naïve et réelle que je manifestais pour le travail des Bureaux M.A.. et le Service T.R. en particulier, m’ont valu les pires ennuis, d’abord avec les Anglais lors de mon passage en Espagne. Puis, toujours avec eux, lors de mon arrivée à Londres – enfin. avec les Services du S.R. gaulliste. qui n’étaient pas encore à l’époque le B.C.R.A.. Une première fois lors de mon arrivée à Londres et une deuxième fois, un an plus tard, quand FOURCAUD y revint. Je ne pense pas, mon cher X … que ces précisions soient de nature à gêner qui que ce soit. En tous cas, elles sont pour moi strictement conformes à ce que je crois être la vérité, et je serais très heureux, si je me suis trompé sur quelques points, que vous me le déclariez, à votre choix, en public ou en privé.

Ignorant votre identité. je ne puis malheureusement mettre la traditionnelle formule de politesse qui risquerait de ne pas s’adapter à la sympathie que j’ai peut-être pour vous ou à la considération que je vous dois peut-être. Signé: Roger WIBOT.

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Un pur trouve toujours un plus pur qui l’épure !!

Il est aussi injuste de mettre en cause – ou de rendre responsable ­ le SSM/TR tout entier ( ou les B.M.A.) en s’appuyant sur des fautes ou des erreurs individuelles, que d’accabler le réseau de police AJAX ( par exemple) pour des fautes ou des erreurs individuelles commises par des fonctionnaires de la Sûreté Nationale.

SSM-TR. précise :

Paragraphe 4.­

Les affectations dans les Bureaux des Menées Antinationales (M.A.) échappaient aux Généraux Commandant les Divisions Territoriales de l’Armée de l’Armistice. Elles étaient toutes prononcées par le Chef du Service M.A. (Colonel d’ALES).

M. WYBOT a cité le nom du Colonel GRANIER Chef d’E.M. de la 15ème Division Militaire à Marseille. Il nous est agréable de saisir cette occasion pour souligner une fois de plus l’efficacité de l’action dynamique de ce grand Français et de le remercier ici de l’aide inlassable qu’il apporta aux Bureaux M.A. et au Service TR dans leur lutte contre l’ennemi.

Ce n’est rien enlever à ses mérites que de ne point lui attribuer l’affectation aux B.M.A. de Marseille du lieutenant WARIN.

Paragraphe 5.­

Il nous paraît nécessaire,avant de poursuivre le commentaire de la réponse de M. WYBOT, de faire quelques observations indispensables à la bonne compréhension de la situation des B.M.A. en France de 1940 à 1942 et de l’atmosphère particulier dans lequel évoluait l’affaire évoquée :

a)- si l’état de siège avait été maintenu après l’Armistice en France dite “libre”, l’autorité civile – en l’occurrence le Ministre de l’Intérieur, avait néanmoins recouvré la plénitude de ses attributions et la totalité des pouvoirs de police – C’est du reste cette action qui fut à la base du procès et de la condamnation à mort de Pu… à Alger.

La Surveillance du Territoire, dont la mission répressive en matière de Sûreté Intérieure et extérieure de l’État échappait à la responsabilité des B.M.A., avait été placée au début de 1941 par DARLAN (successeur de LAVAL) sous les ordres d’un marin, le Commandant ROLLIN. Cette nomination devait accentuer “le caractère impartial” (sic) de cette mission répressive et permettre à la police du C.E. d’échapper totalement à “l’empire du 2ème Bureau fâcheusement confiné dans une attitude anti-­allemande et favorable aux alliés” (resic).

En conséquence, toutes les affaires dites “d’Initiative” de la Surveillance du Territoire, susceptibles de suites judiciaires étaient directement passées pour attribution à la Justice répressive. Il fallait une action persévérante, et parfois véhémente, des chefs des B.M.A. pour faire admettre que la Surveil­lance du Territoire (dont la plupart des fonctionnaires étaient de magnifiques patriotes) devait informer les B.M.A. de tout ce qui était susceptible de suites judiciaires en matière de C.E. Dans certains cas, satisfaction ne fut donnée aux B.M.A. qu’avec réticence, et la plupart des enquêtes faites à l’encontre de services alliés ou gaullistes ne furent connues des B.M.A. qu’après le dépôt des procédures entre les mains souveraines des juges d’instruction.

b)- L’affaire GROUSSARD-FOURCAUD, dans laquelle fut impliqué le Lieutenant WARIN – alias WYBOT – représente le type de ces affaires “d’initiative” réalisées par la Surveillance du Territoire sous l’impulsion du Commandant R…. Elle se complique du fait que les autorités policières crurent avoir, grâce à elle, la possibilité de pénétrer les secrets des Services Spéciaux Militaires (B.M.A. – S.R. – T.R.) et en apportant la preuve de leur collusion avec “Londres” d’obtenir leur dissolution, et l’arrestation de leurs chefs.

L’arrestation du Colonel GROUSSARD, ami des chefs des Services Spéciaux Militaires, la découverte à cette occasion de plusieurs documents compromettant pour des Officiers ou agents de ces Services, les arrestations antérieures de certains de leurs agents, étaient les éléments de base de cette suspicion.

L’arrestation de FOURCAUD en compagnie d’un Officier des B.M.A. (WARIN) ne pouvait qu’étayer et renforcer cette suspicion.

c)- En fait l’affaire GROUSSARD-FOURCAUD-WARIN, etc.. provoqua beaucoup d’agitations pour des résultats que le Service M.A. n’a pas toujours bien compris.

– Les Services Spéciaux Militaires se tirèrent de ce mauvais pas.. pour un temps.. (ils furent dissous et leurs chefs limogés moins d’un an après).

– WARIN fut libéré avant même d’avoir été déféré à la justice.

– ROLLIN, le chef d’orchestre incontesté de la “répression” filait.. en Angleterre en 1943, où malgré l’opposition du SSM/TR, il vécut très confortablement et en liberté jusqu’à la fin de la guerre. Il avait été enlevé par pick-up.. “en raison des services rendus à la Résistance” ..

Mais revenons plus précisément à la lettre de M. WYBOT :

Nous confirmons donc que FOURCAUD fut arrêté à Marseille à la seule initiative de la Surveillance du Territoire, à l’insu des Bureaux M.A. et du Service TR qu’il s’agissait de confondre à cette occasion.

M. WYBOT nous demande de lui exposer, en privé, les conditions dans lesquelles les Services de Surveillance du Territoire furent mis en possession d’une partie d’un courrier destiné à Londres et que la découverte de l’affaire GROUSSARD avait empêché d’être enlevé par avion (“pick-up”). Nous préférons exposer publiquement ce que nous savons.

Le courrier en question était recherché par le Commandant ROLLIN avec au moins autant d’obstination que FOURCAUD lui-même. Il pensait sans doute y trouver, entre autres choses intéressantes, les preuves des contacts avec “Londres” de certains Officiers du S.R. ou du T.R. Par un de ces hasards miraculeux – qui sont la Providence des bons policiers – ce courrier fut imprudemment confié pour franchir la frontière espagnole à un indicateur de la Surveillance du Territoire, trafiquant notoire, agent triple ou quadruple, dont nous révèlerons le nom si M. WYBOT le juge utile. Le Commandant R. en fut avisé. Le Service M.A. aussi.. Il ne restait plus à celui-ci qu’à “court-circuiter” le dit – courrier qui s’apprêtait à rejoindre Vichy, à “l’épurer”, et à remettre ostensiblement à R. ce qui en restait. Ainsi fut fait.

Paragraphes 6. et 7. ).­

Nous avons demandé à notre Président de dire lui-même ce qu’il pense des considérations développées par M. WYBOT dans ces paragraphes. Nous laissons la parole à l’ancien Chef du SSM/TR.

….. Je crois me souvenir que j’étais furieux de l’imprudence commise par le Lieutenant WARIN, qui, sachant notre position difficile et les conséquences graves de l’affaire GROUSSARD, n’avait cependant pas cru nécessaire de nous demander conseil et de prendre des précautions supplémentaires en rencontrant FOURCAUD. Il est possible aussi que, décidé à le faire mettre hors de cause, je n’ai tout de même pas voulu lui donner l’impression que nous étions exagérément naïfs. Peut être est-ce pour cela que j’ai fait passer à WARIN ce qu’il appelle “un mauvais moment” ? Il m’en excusera en mesurant les risques que courraient nos Services et l’effort qu’il nous fallait maintenir pour les préserver.

Par contre, si le Commissaire LINAS ne l’a jamais “embarrassé” au cours de ses brefs interrogatoires, c’est qu’il avait été convenu formellement entre nous qu’il ne lui poserait aucune question sur le fond d’une affaire qu’il connaissait mieux que WARIN et moi. Le Bulletin Spécial 1956 a parfaitement donné les raisons de cette attitude correcte de M. LINAS.

J’avais grande estime pour l’intelligence, le patriotisme et le cran de WARIN. J’insistai donc auprès de lui pour qu’il travaille dans le Service T.R. à Paris. Je suis étonné que M.WYBOT fasse maintenant allusion à un danger qui pouvait le menacer en la personne d’un agent ennemi introduit dans le Poste qu’il devait rejoindre.

Certes, et je ne le lui avais pas caché à l’époque, il s’agissait de remplacer un Officier T.R. qui fut arrêté par l’ennemi en novembre 1941, et dont nous avons eu par la suite quelques raisons de nous méfier. Mais les précautions à prendre étaient sans doute élémentaires, et le camarade qui, faute de l’acceptation de WARIN-WYBOT, se rendit à Paris à sa place, se porte, aujourd’hui, fort bien.

Ce que M. WYBOT appelle “la méfiance” du Général RONIN à son égard, a probablement pour origine les raisons qu’en donne M. WYBOT lui-même dans sa lettre du 4 Mai.

Le Général avait tort. Son attitude pourtant s’expliquait par des considérations qu’il développa souvent devant moi, en s’appuyant parfois sur les surprenants rebondissements et les curieuses conclusions de l’affaire à laquelle WARIN avait été mêlé.

Un fait est certain: RONIN, l’un des premiers Résistants de France, Soldat sans peur et sans reproche, aurait été la première victime de la répression policière et du Commandant R., sans la discipline de travail qu’il s’imposait, sans cet ascendant qu’il exerçait sur tous ceux qui l’approchaient, sans cette hautaine désinvolture avec laquelle il franchissait tous les obstacles.

Je suis navré de la série d’ennuis qu’a pu valoir à M. WARIN-WYBOT son admiration pour nos Services, admiration qu’il extériorisait auprès des Anglais avec peut-être trop de générosité. Je suis persuadé que s’il s’était ouvert à moi de son intention de rejoindre Londres, il y eut reçu auprès de nos Alliés l’accueil chaleureux que j’y ai reçu moi-même, et qu’y ont reçu d’autres camarades de notre “Maison”.

Quoiqu’il en soit, et ce sera ma conclusion, je retiens de la lettre de M. WYBOT le passage où il montre “de quel coeur il eut servi le rapprochement entre deux Maisons (B.C.R.A. et SSM/TR) qui poursuivaient le même objectif avec la même efficacité”.

Aujourd’hui, plus que jamais, les “cloisons” doivent être abattues. La Vérité historique ne peut que servir l’estime réciproque et l’Union des français de bonne foi.

Malheur à ceux qui ne comprennent pas encore que les querelles de clochers sont dépassées, et que l’orgueil personnel doit s’effacer devant l’intérêt général.

La lettre de M. WYBOT ne gênait effectivement personne au SSM/TR. Par ailleurs, le Directeur de la Surveillance du Territoire nous a donné son accord, le 24 Mai, sur le texte qu’on vient de lire.

En ce qui nous concerne, nous considérons l’incident comme définitivement clos.

Maintenant, il faut le dire !

Les premiers contacts établis par le TR. avec LONDRES et la ” FRANCE LIBRE ” .

Les diverses “mises au point” publiées dans notre premier NUMERO SPECIAL de 1956 et le présent BULLETIN, ont eu pour origine un article paru dans “France-Dimanche” donnant sur les B.M.A. des informations inexactes.

Nous savons que les précisions ainsi accumulées sur nos activités ont été et seront passionnément commentées.

Nous savons aussi que certains “détracteurs” de nos Services persistent à semer le doute sur l’efficacité, voire l’utilité de certains de nos réseaux.

Nous sommes résolus à lever “progressivement” et “pudiquement” quelques parties du voile afin de révéler, avec le tact et la discrétion indispensables, ce que nous devons tous savoir, et ce que les “détracteurs” , professionnels du mensonge et spécialistes de la “cravate”-, continueront sans doute (même devant l’évidence) à ignorer.

Ce qui va suivre doit renseigner nos lecteurs sur les conditions dans lesquelles nos services de C.E. et T.R. en particulier ont démarré en Z.O. (Région parisienne), et comment ces services ont établi des contacts directs avec la “France Libre” et Londres.

Le récit est extrait du compte-rendu d’un collaborateur de TR 112 dont nous ne pouvons révéler l’identité et que nous désignerons par l’indicatif 112 bis.

Il sera suivi d’autres récits, tout aussi historiques..

Ceci n’est donc qu’un point de départ choisi en raison de certaines circonstances particulières, de temps, de lieu et de personnes.

———–

” A partir de Juillet-Août 194O, plusieurs postes T.R. travaillent à PARIS avec des missions précises mais indépendantes les unes des autres. Les uns dépendent directement de la Direction T.R. Un autre dépend de T.R.113, enfin un autre dépend de T.R. 112 : il s’agit de 112 bis qui nous donne ci-après quelques indications sur les débuts de son travail..

Les premiers pas du 112 bis, à PARIS

Aussitôt après l’armistice, la plupart des H.C. parisiens, en majorité amis personnels des membres du SERVICE, comprennent notre position et nous aident de tout leur coeur. Ils forment le noyau de notre implantation en Z.O.

Vers la fin de l’année 1940. Il devient cependant difficile d’en accroître le nombre. En effet, des groupes de résistance se forment spontanément et les chefs recherchent une liaison directe avec Londres. La plupart ne peuvent l’obtenir. Ils veulent avant tout (nous ne parlons pas, bien entendu, des coteries politiques qui se rallièrent par la suite à la Résistance) des armes et des instructions.

Leur impatience conduira l’E.M.A. et le SSM/TR à la formation des G.A.D. (Groupes Auto Défense) sous la direction du Commandant LAMBERT en Mars 1941.

Cependant, sauf dans la Région du Nord où 112 bis n’a qu’une implantation sommaire, la plupart de ces groupes nous font confiance et acceptent de ne recevoir leurs instructions que de nous. Nous faisons valoir pour cela :

– notre ligne d’action commune; travailler contre l’ennemi pour obtenir sa défaite militaire.

– empêcher la désagrégation morale du pays.

Nous demandons essentiellement à ces groupes amis :

– de collecter des renseignements S.R. et C.E. et d’accepter nos plans de recherches à ce sujet.

– de placer des agents dans les divers services spéciaux ennemis et groupes de collaboration et de nous rendre compte des contacts ainsi établis.

– de nous fournir à l’occasion des “boîtes aux lettres”, des “couvertures” et d’effectuer certaines liaisons.

En échange, nous garantissons que tous les renseignements intéressants, servant l’effort de guerre, parviendront à Londres (Ils auront d’ailleurs la réponse à leurs messages). Nous commençons à fournir des armes individuelles.

A chaque instant, au début de 1941, nous tombons sur des groupes “gaullistes” “soupçonneux” à notre égard. Certains nous laisseront “tomber” quand ils auront la liaison directe avec Londres: c’est le cas du groupe de Granville (donné par G., dirigé par le professeur d’anglais au collège de Granville).

D’autres accepteront le “modus vivendi” de la liaison avec Londres par notre intermédiaire : Organisations RIPOCHE-PASCAL “Maintenir”, “Petit Train d’Anjou”, etc…..

Enfin, nous aurons des sortes de “contrats spéciaux” avec des agents F.F.L. venus d’Angleterre. Ainsi deux émissaires bien connus de la France Libre, REMY et St-JACQUES, ont fait leurs premiers pas grâce à nous et nous ont parfois apporté les moyens complémentaires, matériels et financiers, qui pouvaient nous faire défaut.

LE CAS REMY (Alias GILBERT RENAUD)

Le cas REMY, alias Gilbert RENAUD, est un exemple frappant de ce genre d’activité.

En Septembre 1940, un groupe se constitue à Saumur autour de l’infatigable M. MADELIN (Pétroles Desmarais) que nous avait amené Me HOUDAILLE, son beau-frère, avocat à Paris.

MADELIN avait vainement cherché une liaison avec le Général de GAULLE. Il accepte de travailler pour nous avec enthousiasme.

Aidé par la Croix-Rouge de Saumur, il met sur pied une filière pour faire passer en zone libre les prisonniers de Saumur. Il recrute ensuite des agents S.R. qui identifient les éléments ennemis stationnés dans la région.

Grâce au dévoué EPRINCHARD, Commissaire de Police à Saumur, un petit réseau C.E. est créé de toutes pièces. M. ANCELIN, Procureur de la République, en est la cheville ouvrière.

D’autre part, un “ancien” du service. M. MILLIAT, Sous-Préfet. nous donne tout son appui: il recevra le premier poste radio envoyé par l’antenne C.E. de Limoges dans les premiers jours de 1941.

Lorsque Gilbert RENAUD, envoyé de Londres, annonce à son parent (le photographe DECKER) son arrivée à Saumur, nous sommes aussitôt prévenus (DECKER fait partie du groupe MADELIN) et on nous demande des instructions. Nous en demandons au chef du T.R.

Sur ordre du Colonel PAILLOLE, contact doit être pris avec REMY, de manière à lui faciliter sa mission au mieux.

MADELIN conduit donc REMY à Paris pour le présenter à Marcel THOMAS, secrétaire du chef du poste T.R. 112 bis. C’est le début d’une excellente collaboration qui ne finira qu’avec l’arrestation de cer­tains éléments du 112 bis. En échange des services rendus, Gilbert RENAUD remet des fonds et des moyens matériels (radio) importants qui facilitent considérablement la tâche de T.R. Les courriers du “Petit Train d’Anjou” et de “Maintenir” passeront souvent par cette voie. REMY relate dans ses Mémoires certains épisodes de sa collaboration avec THOMAS-VAUTRIN (Il ignorait qu’il appartenait au C.E. français) en particulier celui où, ayant oublié un jour de rendre à temps à THOMAS des plans fournis par un agent de pénétration, ce dernier fut obligé de brûler la bicoque qui lui servait de bureau.

LE CAS DUCLOS (Alias SAINT-JACQUES)

Parachuté par Londres en zone libre aux environs de Périgueux, Maurice DUCLOS, dit St-JACQUES, se brise une jambe à l’atterrissage. Il est soigné à l’hôpital, se lie d’amitié avec nos Services { RIGAUD, de BONNEVAL, etc…..) et accepte de travailler avec eux.

Nous “organiserons” son évasion .. qu’il racontera à LONDRES, cet TR 112 bis échangera avec lui chaque semaine son courrier.

En son absence, son cousin VISSEAUX le remplace.

P.C. = Bureaux place Vendôme (agents de change DUCLOS & Cie). Les échanges auront lieu jusqu’à la fin de l’année 1941.

LE CAS DE L’ ORGANISATION RlPOCHE (PARIS)

Fin 1940, RIPOCHE Maurice (Fours électriques RIPOCHE, rue de la Santé), PASCAL et X.. (S.N.C.F.) créent une organisation (Libération) divisée en cellules correspondant aux divers quartiers de PARIS et de banlieue. Ils n’ont encore pas réussi à prendre liaison avec LONDRES lorsque nous nous mettons en rapport avec eux.

Après des débuts réticents, RIPOCHE et PASCAL recevant de LONDRES les réponses à leurs messages, ont la preuve de l’efficacité de nos liaisons. Les premières livraisons d’armes effacent les derniers soupçons et le courrier hebdomadaire devient de plus en plus abondant. Bientôt, il faudra, pour ce courrier, engager une secrétaire et placer dans l’organisation un agent de liaison permanent: M. DUFOUR de LETTRE.

Beaucoup d’agents opèrent en province (St-Nazaire – Châlons). Le courrier est concentré soit au siège de l’ Électricité de France, soit chez M. RIPOCHE (dans les bûches de la cheminée, truquées à cet effet). Après le tri opéré chez DUFOUR de LETTRE, ils sont tapés en double exemplaires: un pour TR 112, un pour le courrier de LONDRES.

Quelques agents de C.E. intéressants sont pris complètement en compte par TR 112. D’autres servent de “boîte aux lettres”, ainsi Maurice NORD, propriétaire d’un café-hôtel, 43 avenue d’Orléans, chez qui nous ferons “loger” des suspects pour les fouiller tout à loisir.




L’Agonie du regime sovietique Colonel M Garder

Le 14 octobre 1964 est appelé certainement à devenir une de ces dates historiques que des générations futures d’écoliers et de candidats aux jeux-concours de la télévision seront obligés de connaître par cœur.

“Ce jour-là, diront les manuels d’histoire de nos petits-enfants, a débuté l’agonie du régime léninomarxiste en Russie “. Certains mémorialistes ne manqueront pas, à l’occasion, de noter que l’importance d’un tel événement avait dans l’ensemble échappé aux contemporains. Il est de fait que la majeure partie des observateurs n’a vu dans la révolution de palais de Moscou que son aspect immédiat : la disparition de la scène politique de Nikita Khrouchtchev…, ce bon monsieur K auquel on avait fini par s’habituer. Tout naturellement on s’est beaucoup plus préoccupé de savoir qui étaient ses successeurs, quelle serait leur politique et, accessoirement, ce que devenait l’intéressé lui-même, plutôt que de se demander ce que signifiait l’événement lui-même.

Le fait que le” pape-empereur “de la théocratie matérialiste ait pu être démissionné comme n’importe quel premier ministre bourgeois a été uniquement interprété comme une preuve de la démocratisation du régime, ou tout au moins de son humanisation. Or, c’est justement dans cette humanisation que réside le drame d’un système par définition inhumain. Une théocratie, même matérialiste, ne peut pas être humaine dans la mesure où elle a la prétention d’imposer à des hommes la volonté de la divinité. Cette dernière, dans le cas considéré, était représentée par la nécessité historique dont le bien-fondé aurait été scientifiquement démontré.

Seul habilité à interpréter les lois mystérieuses de cette nécessité, le pape-empereur du système se confondait avec elle. C’est ainsi que Staline avait fini par devenir le” dieu vivant “du marxisme-léninisme, exerçant un pouvoir absolu, spirituel et temporel, non seulement sur l’Union soviétique mais également sur l’ensemble du monde communiste. Ce pouvoir, renforcé par l’existence d’une Inquisition omniprésente et omnipotente, se concrétisait dans l’appareil du Parti, cette extraordinaire administration cléricale du système. Emanation du dieu vivant, monolithique et strictement hiérarchisé, ce clergé constituait l’épine dorsale de la théocratie.

A sa tête, au contact direct de la divinité, se trouvaient les “cardinaux-satrapes” du Présidium du Comité central. Au-dessous d’eux, il y avait toute la gamme des “prélats-gouverneurs” des républiques, territoires, régions ou grandes villes, coiffant l’armée des “chanoines-préfets” des districts. Enfin, à la base s’affairaient les “curés-adjudants “des cellules du Parti. Encadrés par ces prêtres-administrateurs, les fidèles et les sans-parti se trouvaient réduits à l’état de robots œuvrant à la gloire de la nécessité faite homme. L’appareil gouvernemental, les syndicats, les jeunesses communistes et autres organisations étaient autant de courroies de transmission permettant au clergé de mieux contrôler et dépersonnaliser ses esclaves.

Il a fallu onze ans aux successeurs de Staline pour ébranler définitivement cet édifice unique au monde. Pendant ces onze années nous avons assisté à un processus d’autodestruction dont il était parfois difficile de mesurer la portée. L’Inquisition, privée d’une partie de ses prérogatives, a été partiellement démantelée; le clergé miné par les luttes intestines s’est désacralisé en s’attaquant à l’infaillibilité de la divinité défunte; accumulant les fautes, le dernier pape-empereur n’était avant sa chute qu’un pauvre homme impuissant.

Sa peu glorieuse disparition marque le début d’une phase nouvelle dans la longue maladie du régime : celle de son agonie. Notre diagnostic est formel : tous les symptômes sont là. Pourtant peu nombreux sont les gens qui veulent se rendre à l’évidence. Les tenants du régime s’accrochent désespérément à l’espoir de le voir survivre. Les sympathisants inquiets voient le salut dans une miraculeuse évolution. Les adversaires, eux, n’osent pas y croire. L’éventualité de la disparition d’un ennemi est toujours déconcertante. L’image de “l’homme au couteau entre les dents “avait des côtés avantageux. L’évocation du” diable communiste “était par fois bien commode.

La Russie de demain posera bien des problèmes. Haïe et vitupérée par tous les communistes ou assimilés de l’univers, elle risque d’être pour les pays occidentaux un nouvel ami encombrant. Les uns et les autres devront se faire une raison. Le mieux d’ailleurs, est de s’y préparer intellectuellement dès aujourd’hui. Quant à nous, en formulant ce diagnostic, nous souhaitons de tout cœur que l’agonie soit la plus courte et la moins douloureuse possible. Après cinquante ans d’épreuves, les peuples de l’Union méritent amplement de connaître enfin une vie meilleure. Puisse le cauchemar d’une nouvelle guerre civile leur être épargné.

Cet ouvrage se trouvait sous presse lorsque, fin mars, plusieurs événements survenus en U.R.S.S. sont venus confirmer le diagnostic de l’auteur. Tout d’abord à l’occasion des élections aux Soviets régionaux la liste officielle s’est trouvée en ballottage dans près de 200 circonscriptions pour la plupart rurales. Ensuite des remaniements sont intervenus au sein de la Direction collective (limogeage d’Illyitchev et de Titov, arrestation d’Oustinov, promotion de Mazourov).

Enfin, après avoir publiquement avoué la faillite de la politique agricole du régime, Brejnev a annoncé un nouveau programme de cinq ans dont l’échéance, 1970, correspond à la période critique prévue par

LE DÉBUT DE LA FIN

Le 15 octobre 1964, dans la soirée, un communiqué laconique de l’agence Tass apprenait à l’univers ébahi que le Comité central, dont personne n’avait annoncé la réunion, avait, sur la demande même de l’intéressé, libéré le camarade Nikita Khrouchtchev de ses doubles fonctions de chef du Parti et du gouvernement, en raison de “son état de santé précaire et de son âge avancé “.

En réalité, l’événement remontait à la veille. II avait fallu vingt-quatre heures pour enlever les portraits du grand homme qui ornaient la Place Rouge, en prévision des festivités en l’honneur des cosmonautes du Voskhod, et désigner ses successeurs. Son “fidèle lieutenant “, Léonide Brejnev, le remplaçait à la tête du Parti; son” ami de vieille date “ Alexis Kossyguine, héritait de la présidence du Conseil. Comme au lendemain de la mort de Staline, une Direction collective prenait la relève du pape empereur.

Un peut partout, dans les chancelleries ou les rédactions des journaux, on consultait les fiches biographiques des successeurs dans le vain espoir d’y découvrir l’indice susceptible de donner un sens à cette révolution de palais à la sauvette. On attachait une grande importance aux déclarations que pouvait faire, à son retour en France, M. Palewski, le dernier homme d’Etat occidental à avoir vu Khrouchtchev. Diverses personnalités avaient émis des commentaires, le plus souvent embarrassés. Dans le nombre, on pouvait relever des perles dans le genre de “M. Khrouchtchev a été la victime des mêmes forces obscures qui ont assassiné le Président Kennedy “. Des kremlinologues parlaient d’une conjuration des Staliniens épaulés par des militaires. Anxieux, certains se demandaient si la coexistence pacifique ne se trouvait pas menacée. De bonnes âmes s’inquiétaient du sort réservé au souverain déchu et à sa famille. Les naïfs s’indignaient du manque de courtoisie du Comité central, lequel aurait pu agrémenter l’éviction de son chef par quelques paroles aimables à son égard.

Cependant, saluant à leur façon la chute peu glorieuse de leur ennemi, les Chinois faisaient exploser, le 16, leur première bombe atomique. Immédiatement ce nouvel événement prit le pas sur le premier. Délaissant Khrouchtchev, les journaux s’occupèrent de Mao. Certains ne manquèrent pas, d’ailleurs, d’avancer une ingénieuse hypothèse. Selon eux la révolution de palais de Moscou se serait effectuée avec la connivence de Pékin. Les instigateurs, des Moscovites prochinois, auraient, en la personne de Khrouchtchev, supprimé l’obstacle majeur à un rapprochement avec l’équipe de Mao. A l’appui de cette thèse, on invoquait le message chaleureux expédié aux membres de la Direction collective par les dirigeants chinois.

La Pravda du 18 octobre devait enfin fournir quelques diffuses lumières sur les véritables raisons de la “démission” de Khrouchtchev. Sans nommer ce dernier, l’éditorial dénonçait “le style autoritaire de gouvernement “… “la vantardise “… “la mauvaise éducation” et les “décisions hâtives et irréfléchies “.

Pour corser le tout, le 20 octobre, la délégation officielle soviétique qui se rendait à Belgrade en l’honneur du vingtième anniversaire de la libération de cette ville, disparaissait au complet dans un accident d’avion. Parmi les victimes se trouvait le Maréchal Biriouzov, chef de l’Etat-major général, protégé notoire de Khrouchtchev.

Un tel afflux de nouvelles ne pouvait manquer de créer une certaine confusion. Comme toujours l’accessoire devait prendre le pas sur l’essentiel. C’est ainsi que les observateurs occidentaux, à de rares exceptions près, s’interrogeaient surtout sur les motifs de la révolution de palais alors que celle-ci était importante en soi. L’essentiel n’était pas que les conjurés eussent voulu se débarrasser de leur chef, mais bien qu’ils eussent pu le faire aussi facilement.

Bien sûr, nous ignorons le scénario exact de la séance du 14 octobre. Il n’est pas difficile pourtant de s’imaginer la scène. Dans une salle du Kremlin, face aux quelque trois cents membres et candidats membres du Comité central, siègent les hiérarques du Présidium parmi lesquels l’accusé. A la tribune, jouant les Fouquier-Tinville, le camarade Souslov, cet instituteur Tafardel du Clochemerle soviétique, dévide son interminable litanie de lieux communs à la sauce lénino-marxiste. Khrouchtchev sait déjà qu’il est condamné car avant cette session plénière il y a eu une réunion du Présidium au cours de laquelle on a eu la bonté de l’en informer. Peut-être a-t-il tenté alors de se défendre, de le prendre de haut ? Cela n’a aucune importance. Désormais il est trop tard pour faire un esclandre. Les coups de chaussure sur la table sont hors de saison. Il lui faut subir en silence l’interminable discours de Souslov ponctué par les applaudissements des assistants. Pourtant ces trois cents dignitaires du Parti, militaires de haut grade ou travailleurs d’élite, constituent sa clientèle. Presque tous ont été sélectionnés en fonction de leur attachement à sa personne. Tout à l’heure ils condescendront, à l’unanimité, à le” libérer, sur sa propre demande “.

Une formalité longue et ennuyeuse, telle a été certainement la séance historique du 14 octobre 1964. Un constat de faillite qui n’ose pas dire son nom ! Si les participants de cette scène sans grandeur avaient eu tant soit peu le sens du ridicule, ils n’auraient pas manqué de trouver cocasses les reproches adressés à Khrouchtchev. Accuser un pape-empereur d’avoir fait preuve d’autorité constituait déjà un comble. La vantardise était la marque même du régime, avec ou sans Khrouchtchev, et le manque d’éducation n’avait pas empêché la majeure partie des” hiérarques “de faire une brillante carrière au sein de l’appareil. Enfin dans l’ordre des “décisions hâtives et irréfléchies “, celle que le Comité central s’apprêtait à sanctionner risquait d’occuper la première place. Malheureusement le sens du ridicule est incompatible avec la fonction de prêtre fonctionnaire de la religion lénino-marxiste. Pour ces rouages sans imagination de l’énorme machine du Parti, les griefs énumérés par Souslov représentaient autant d’explications commodes au marasme général auquel le régime avait abouti. Le recours au bouc émissaire faisait partie de la tradition.

Pourtant, cette fois, le bouc était de taille. C’était la première fois qu’il s’agissait d’immoler le grand prêtre lui-même. Un sacrifice de cette envergure devait satisfaire le Moloch de la “nécessité historique “. Une succession de miracles allait récompenser la décision historique du Comité central. A l’intérieur de l’U.R.S.S., l’agriculture et l’industrie légère, débarrassées du tyran vantard et mal élevé, allaient connaître un essor prodigieux. Le laisser-aller général ne pouvait que cesser de lui-même. Au sein du camp communiste, Chinois et Albanais repentants se précipiteraient dans les bras de la Direction collective, sous les ovations des satellites et des partis du reste du monde. Dès lors, les capitalistes n’auraient plus qu’à s’incliner devant le verdict impitoyable de l’Histoire.

Ainsi grâce aux ressources de la dialectique le constat de faillite se transformait soudain en une géniale initiative du Parti omniscient et infaillible. La personnalité de Khrouchtchev importait fort peu au regard d’un tel miracle.

Au fond de lui-même, chacun des acteurs de la cérémonie expiatoire devait probablement douter quelque peu d’une issue aussi miraculeuse. Peut-être quelques-uns comprenaient-ils que l’éviction de Khrouchtchev n’était nullement une solution et que la dialectique avait beau faire, la faillite n’en demeurait pas moins. Car c’était bien d’une faillite qu’il s’agissait, d’une faillite dont d’année en année on avait reculé l’échéance à coups de boucs émissaires et de réorganisations. Mais pour avoir le courage de l’avouer publiquement, il eût fallu d’autres hommes que ceux qui siégeaient au Kremlin ce jour-là. Prisonniers de leur vision du monde, ils en étaient à la fois les serviteurs et les bénéficiaires. Le marxisme-léninisme était en même temps leur foi et leur justification. De plus, ces prêtres fonctionnaires d’une religion matérialiste souffraient au plus haut point des tares de l’époque stalinienne le charlatanisme et la servilité, et leur dénominateur commun était la lâcheté. Avouer la faillite eût équivalu pour la plupart d’entre eux à un suicide moral, à un retour au néant que seul pouvait leur éviter la poursuite de l’imposture. Ils n’allaient tout de même pas, pris d’un accès tardif de franchise, sacrifier le régime auquel ils s’identifiaient après lui avoir tout sacrifié.., leurs forces, leur dignité et la vie de leurs meilleurs amis.

Khrouchtchev n’était pas simplement un coupable commode, II était vraiment coupable. Ses vrais crimes et les plus graves de ses fautes ne figuraient d’ailleurs pas dans le réquisitoire de Souslov. Déicide, il avait été lui-même son propre fossoyeur depuis ce mois de février 1956 où il s’était permis d’attaquer â titre posthume la divinité de Staline. En le frappant, les justiciers du Comité central le punissaient d’avoir rabaissé l’auguste fonction de pape-empereur de la théocratie matérialiste au rang d’une vulgaire présidence d’un conseil d’administration et par là dévalorisé leur propre condition.

Cependant cette juste sanction, loin de réparer le mal, ne faisait que l’accroître. A la longue liste des crimes et fautes de Khrouchtchev venait désormais s’ajouter la lourde gaffe des conjurés du 14 octobre. Car de même qu’ils étaient incapables d’avouer la faillite du régime, les hiérarques du Parti ne pouvaient dénoncer les crimes dont ils avaient été les complices. Faute de pouvoir condamner soit la théocratie, soit son assassinat par Khrouchtchev, ils devaient se contenter d’un vote de défiance. Voulant sauver le régime malade, ils lui assenaient par là même un coup mortel. Sous le nom de Direction collective, un comité de liquidation allait succéder au conseil d’administration présidé tant bien que mal par le pauvre Khrouchtchev.

Le feu d’artifice goguenard de la première bombe chinoise devait, deux jours plus tard, saluer ce “harakiri” de la curie moscovite.




Imperial War museum et Services speciaux

Récemment ouvert à la guerre secrète, ce grand musée situé Lambeth Road est exemplaire par la richesse de ses expositions et aussi par les réalisations qui facilitent sa visite… Les sièges ne manquent pas, une cafétéria est accueillante et ouvre sur de vastes jardins.

Une bibliothèque rassemble quantité d’ouvrages sur les grands conflits mondiaux et notamment sur la guerre secrète. L’œuvre la plus importante, la plus récente et sans nul doute la mieux documentée sur l’action des services spéciaux britanniques est celle du professeur F.-H. Hinsley “ British intelligence in the second world war “.

Le rez-de-chaussée présente les matériels de guerre, notamment ceux de la 2e guerre mondiale, britanniques, américains et allemands. Le nombre est impressionnant.

Au premier étage sont les expositions sur les deux dernières guerres mondiales.

Des vidéos très didactiques expliquent les développements des conflits, années par années..

a)- Seconde Guerre Mondiale. C’est l’exposition la plus riche. Elle comprend une exposition générale divisée par thèmes (bataille d’Angleterre – Blitz – guerre sur mer, dans le Pacifique, camps de déportation, etc…) et des expositions spécifiques telles que la vie à Londres, la défaite du Japon, les débarquements de Normandie, la célébration de la Victoire, etc… la guerre secrète.

b)- La Guerre Secrète occupe une grande partie du premier étage, son exposition est divisée en trois :

M.I.5, M.I.6 et S.O.E., les trois spécialités de l’I.S.

Chacun de ces 3 services secrets est détaillé : genèse, objectifs, fonctionnement, matériels, personnels… avec le curriculum vitae simplifié de leurs chefs successifs et des personnalités qui ont marqué leurs activités diverses.

Ainsi à titre d’exemple: M.I.6 (renseignements et CE extérieurs):

Directeurs : Menzies de 1939 à 1952 – Dick – White de 1953, etc… enfin Mac Coll de 1989 à 1992.

Personnalités : Dansey, directeur adjoint de M.I.6 de 1939 à 1945 – Denniston, chef du G.S.C.S. (Government Code and Cypher School) organisme du chiffre, transféré en 1939 à Bletchley Park où furent exploités notamment les secrets de la machine à chiffrer allemande Enigma par le savant Turing, cryptoanalyste exceptionnel et Winterbottham chargé de l’exploitation des renseignements.

A noter :

La machine Enigma est exposée et son fonctionnement expliqué. Le visiteur peut s’amuser à l’utiliser en tapant son nom. Les services français et polonais qui ont les premiers percé les secrets d’Enigma sont cités.

Opérations: Affaire Ciceron – Réseau “La Dame Blanche” en Belgique pendant la 1ère Guerre Mondiale – Affaire de Venlo en 1939 (enlèvement par le S.D. des agents M.I.6 Stephens, Beit, Klop) réseau Alliance en France (de 1941 à 1944) etc…

Traîtres: Philby – Burgess – Cairincross qui travaillait au G.S.C.S. de Bentley découvert en 1964 par M.I.5 (chargé du contre-espionnage à l’intérieur).

Autre exemple très développé, S.O.E., sa création en 1940 par Churchill, ses missions, ses moyens, son personnel d’encadrement : Dalton, Nelson et Selborne de 1942 à 1945, Buckmaster pour la France.

Parmi les agents S.O.E. cités : Dericourt (Opération Prosper), Khan (princesse Noor), Cammaerts, Odette Sanson déportée à Ravensbrück (travaillait avec Peter Churchill).

Des consoles d’ordinateurs, faciles d’utilisation, permettent d’obtenir sur tout ce qui est exposé (y compris sur les personnes) des informations détaillées, telles que curriculum vitae ou déroulement des principales missions secrètes.

Des petits films parlants relatent certaines actions ou diffusent des témoignages (on peut entendre Odette Sanson, une reconstitution du Blitz, les explosions des V1 et V2. Pendant quelques minutes, on peut se croire à Londres fin 1940 ou en 1944; les témoignages de soldats qui ont libéré les premiers camps de concentration en Allemagne, etc…).

Un film émouvant retrace la célébration de la victoire à Londres. On voit Churchill à Buckingham aux côtés de la famille royale, saluant la foule. On entend les cris, les applaudissements, les musiques.

L’exposition se termine par l’éternelle question: doit-on parler de la guerre secrète, de ses acteurs, de ses organisations, de ses actions, de ses résultats.

La réponse est positive.

Il faut que le public sache le rôle des services secrets, en comprenne la nécessité et l’importance et accepte de leur confier les moyens indispensables à leur efficacité.

La célèbre phrase de Churchill est citée en exergue, à la gloire des aviateurs et des services secrets britanniques : “Jamais dans l’histoire des conflits mondiaux autant d’êtres humains auront dû leur salut à si peu d’hommes “.

Remarques et conclusions:

– L’auteur de ce compte-rendu de visite a été frappé par le grand nombre de visiteurs des salles réservées à la guerre secrète. Beaucoup de jeunes de toutes conditions: certains étaient venus plusieurs fois pour approfondir diverses expositions, telles celles d’Enigma, ou de la formation des agents M.I.6 ou S.O.E.

– Exclusivement consacrée aux services secrets britanniques, il est à remarquer que l’exposition ne donne aucune indication sur les services secrets étrangers (alliés, ou ennemis, ou neutres), ni sur les organisations amies installées en Grande Bretagne pendant la 2e guerre mondiale.

– Rien sur le 2e Bureau et le B.C.R.A. du Général de Gaulle.




Une lecon d’Histoire par Paul Leistenschneider, compagon de la liberation à la jeunesse

Notre camarade Paul Leistenschneider, alias «Carré» dans la résistance, lance un appel à la jeunesse pour que dans l’euphorie des manifestations qui célèbrent la Victoire sur les nazis, nul n’oublie les leçons de l’Histoire et en particulier les effets néfastes des politiques d’abandons comme des traités générateurs de conflits ethniques et nationaux.

Nul n’était plus qualifié que «Carré» pour donner ces conseils de vigilance. Entré dans la Résistance dès l’Armistice, il fut le précieux collaborateur de notre regretté ami le Colonel Simoneau à la tête depuis septembre 1940 de l’antenne S.R. du réseau Kléber à Vichy.

Après avoir rejoint Londres, il fut désigné en 1943 par le Général De Gaulle comme Délégué Militaire Régional (D.M.R.) à Montpellier et Toulouse. Son activité intense dans ces régions devait le rendre suspect à la Gestapo et le contraindre à changer de secteur.

Affecté à Lyon en avril 1944 aux côtés de Bourges-Maunoury, il accomplit avec autorité et souplesse une œuvre d’unification des groupes de résistance de la Région Rhône-Alpes. Son sang- froid autant que son sens politique pesèrent d’un poids décisif dans l’heureuse libération de Lyon en septembre 1944 en liaison avec les grandes unités américaines et françaises.

Fidèle adhérent de notre association, Paul Leistenschneider a toujours maintenu des liens précieux d’amitié avec nos camarades et spécialement avec ceux de Lorraine et d’Alsace.

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Nous venons de vivre le cinquantenaire des débarquements en y associant dans la dignité nos alliés avec qui, un an plus tard, l’armée russe ayant pris Berlin, nous avons obtenu après de dures batailles la capitulation allemande. Et ce 14 juillet nous avons tenu à tendre à notre voisin la main du pardon. L’ampleur des cérémonies et la joie que tous nous avons ressentie à ce souvenir et à celui du Général De Gaulle descendant les Champs Elysées, ne doivent toutefois pas nous endormir ou nous faire oublier ni le calvaire vécu avant la Libération ni ses causes. Ce fut d’abord une déroute, sans comparaison dans notre histoire. Après environ un mois de combat effectif, l’ennemi arrivait à Paris en faisant 1.800.000 prisonniers. Des millions de réfugiés sur les routes mélangés aux militaires en retraite et parfois bombardés par l’aviation italienne, le Gouvernement, ne disposant plus de réserve, demanda à déposer les armes. Ce spectacle, du jamais vu, la surprise passée, déchaîna la grande colère du peuple trompé : un Président du Conseil avait encore annoncé après Narvik «Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts.»

Cette colère se dirigea autant contre le gouvernement de Front Populaire sorti des élections de 1936 que contre la majorité parlementaire modérée précédente, au pouvoir depuis 1933 (arrivée d’Hitler).

Si les uns avaient ramené la durée du travail de 48 à 40 heures alors qu’Hitler faisait travailler jusqu’à 62 heures certaines usines d’armement, les autres avaient permis à Hitler de déchirer toutes les clauses militaires du Traité de Versailles en lui permettant de remplacer une armée de 100.000 hommes composée de professionnels engagés pour douze ans par une armée nationale avec ses divisions blindées et une puissante aviation. Songez qu’en mars 1936, à la veille des élections donc, on le laissa occuper militairement la rive gauche du Rhin. Ce furent ces fautes que Vichy sut habilement exploiter. Je me souviens encore de certaines phrases du Maréchal Pétain : «Français, je hais ces mensonges qui vous ont fait tant de mal», ou «Français, vous n’avez pas de mémoire», ou cette autre du ministère de la propagande : « Peux-tu être plus Français que lui». Heureusement qu’en 1940 il n’a pas voulu ou n’a pas pu appeler les Français à voter. Il y aurait trouvé la légitimité qu’il a en vain cherchée. Et ce ne fut que le début du calvaire. Nous vîmes un Maréchal de France aller à Montoire le 24 octobre 1940 pour offrir sa collaboration à son vainqueur. Collaboration qui, la Russie n’était pas encore en guerre, ne pouvait être dirigée que contre l’ancien allié qui continuait à se battre. En se rendant à Montoire le Maréchal avait sans doute espéré s’en tirer par la cession de l’Alsace-Lorraine comme en 1871, mais sans avoir rien obtenu la collaboration continua. Collaboration qui pour le Français moyen se traduisit par les privations quotidiennes et qui alla parfois jusqu’à la guerre civile quand la milice attaqua les maquis. Les fautes antérieures à la déclaration de guerre, donc génératrices de la défaite, ont deux traits communs:

— elles étaient politiques et c’est un militaire qui paya doublement : d’abord Montoire, qui a dû quand même être douloureux pour le vainqueur de Verdun, puis la condamnation qui frappa l’homme dont l’âge n’avait pas encore éteint toutes les ambitions;

— les responsables de ces fautes politiques ont eu le temps de disparaître, mais tous étaient animés du même esprit de facilité: flatter l’électeur ou du moins ne pas gêner sa tranquillité, malgré tous les avertissements qu’Hitler nous avait prodigués. Sans doute pour des raisons de politique intérieure, la propagande de Vichy ne remonta pas plus loin dans le passé. La cause profonde de notre défaite résidait dans le Traité de Paix de Saint Germain-en-Laye du 10 septembre 1919 qui démolit l’Empire des Habsbourg. Une Autriche non viable, car à l’époque on ne vivait pas du seul tourisme, se laissa attirer par l’Allemagne hitlérienne. Les Sudètes mécontents comme les Slovaques des Tchèques majoritaires, n’auraient pas été attirés par Hitler. Au contraire, peut-être à l’époque où l’Allemagne souffrait de sept millions de chômeurs, la Bavière aurait pu être attirée par l’Autriche, catholique comme elle.

Mais si la cause initiale de la défaite a été dans ce Traité de Paix, il n’en demeure pas moins vrai que tout aurait pu être réparé si on n’avait pas permis à Hitler de réoccuper militairement la rive gauche du Rhin, c’est-à-dire de lui donner la possibilité de construire la ligne Siegfried en face la ligne Maginot. Et d’éviter ainsi, en 1939 du moins, la guerre sur les deux fronts. Pour ne pas laisser les jeunes générations sur l’idée familière que tout finit toujours par s’arranger, il est bon de rappeler les années douloureuses qui ont précédé la Libération, sinon c’est encourager encore une politique de facilité qui aboutit à la lâcheté pour finir par la catastrophe.

Catastrophe qui aujourd’hui, les données géographiques ayant changé, pourrait ne plus être une invasion militaire mais un désastre économique et social. Toutes ces erreurs génératrices du désastre, unique dans notre histoire, le Général De Gaulle les avait vécues. Aussi un changement fondamental dans notre Constitution lui parut indispensable. Ce fut l’œuvre à laquelle il s’attacha pour l’avenir de la France.

Mais nous avons appris depuis que les institutions sont inséparables des hommes auxquels le pouvoir est confié. C’est pourquoi je crois nécessaire de rappeler périodiquement à la jeunesse les circonstances qui avaient amené le Général à modifier nos institutions. Si non, les hommes étant toujours des hommes, la tentation de la facilité l’emportera.




René Bousquet : le livre de Yves Cazaux (1995)

Yves Cazaux, ancien Préfet, ancien Président de la Société des Gens de Lettres de France et de la Société de l’Histoire de France, est un homme courageux et de grand cœur.

C’est mon ami, après avoir été depuis 1939, notre collaborateur au sein du 2° Bureau (S.C.R.), puis un honorable correspondant permanent et efficace dans les postes administratifs de plus en plus importants qu’il occupa pendant l’occupation, notamment à Paris aux côtés de cet autre grand Préfet que fut Guy Perrier de Feral.

Notre camarade du réseau SSM/F/TR, le Commandant Mayeur, en poste à Paris en 1943, n’eut pas de meilleur et de plus sûr auxiliaire qu’Yves Cazaux dans ses missions de préparation de la libération de la capitale et de liaisons avec l’Organisation de Résistance de l’Armée (O.R.A.).

Nous lui devons estime et reconnaissance pour cet engagement total et désintéressé à nos côtés, en toutes circonstances.

Je n’en suis que plus à l’aise pour dire ce que je pense de son livre sur René Bousquet. Certes, c’est l’expression enthousiaste d’une vieille amitié, nourrie aux meilleures sources. Yves Cazaux est de bonne foi dans ses convictions, sincère dans ses sentiments à l’égard d’un homme dont nul ne conteste l’intelligence et le charme.

Oserai-je écrire, tant j’ai grande considération pour la pureté de sa pensée, que son jugement est faussé lorsqu’il s’exprime sur des actes que pour ma part je qualifie de trahison et que ma fonction avait le devoir de dénoncer.

Tolérer, faciliter l’entrée et l’action en zone libre de commandos de l’Abwehr et du S.D. pour neutraliser les réseaux de renseignements au moment où des événements décisifs (débarquements alliés du 8 novembre 1942 en A.F.N.) vont changer le cours de la guerre. C’est trahir.

Dénoncer l’une de nos plus précieuse source de renseignements sur l’ennemi (source K) en décembre 1942 au moment où les alliés et notre armée d’A.F.N. ont les pires difficultés pour contenir la Wehrmacht aux confins algéro-marocains, c’est trahir.

Etre de la sorte responsable de l’arrestation, de la déportation et de la mort de Français patriotes, c’est trahir.

Je comprends que, meurtri dans sa confiance et son affection pour Bousquet, Yves Cazaux dans son livre généreux, cherche des excuses, avance des explications, affirme ses certitudes et démontre les bons côtés d’une carrière dont je n’ai jamais nié les difficultés et certains aspects positifs.

Hélas, mon cher Cazaux, il n’y a pas de gestes compensatoires pour la trahison, surtout lorsqu’elle est le fait d’un grand commis de l’Etat dont la fonction est précisément de la réprimer.

Des milliers de “lampistes” ont payé de leur vie ce crime contre la Nation. Je déplore le geste de ce fou qui nous a privés en 1993 de confronter ces accusations avec les arguments de Bousquet et de faire éclater au grand jour la Vérité et la Justice.

Je n’en demeure pas moins plein d’admiration pour le sérieux et la documentation de ce livre. Plein d’admiration aussi pour l’émouvante démonstration de fidélité, d’amitié et de caractère qu’il dégage.




René Bousquet : le livre de P Froment (1994)

Par le Colonel Paul PAILLOLE

Une vie et un procès riches en enseignements.

«C’est un livre sérieux et honnête)), ainsi François Mitterrand appréciait « Une Jeunesse Française » (Editions Fayard) au lendemain de la parution de l’ouvrage que Pierre Pean lui consacre. Je peux en dire autant du livre de Pascale Froment qui, entre autres révélations sur la vie publique et privée de René Bousquet, apporte de nouvelles lumières sur ses relations privilégiées avec le chef de l’Etat. Mais là n’est pas mon propos.

Le 8 juin 1992, l’ancien Secrétaire d’Etat à la police de Vichy était abattu dans son domicile parisien. L’action publique tendant à déférer René Bousquet devant la cour d’Assises pour crimes contre l’humanité était éteinte.

Sa responsabilité dans le domaine de la Défense Nationale qui fut le nôtre, ne l’est pas. Le 23 juin 1949, le crime «d’intelligence avec l’ennemi» n’ayant pas été retenu contre lui, Bousquet était condamné par la Haute Cour à la peine dérisoire de cinq ans de dégradation nationale dont il était, aux applaudissements de la foule (?), aussitôt relevé par la même juridiction.

Pascale Froment a le mérite d’analyser scrupuleusement l’instruction, le déroulement et la conclusion de cet étrange procès.

Dans le «ras-le-bol» général qui, quatre ans après la libération, pesait lourdement sur les derniers procès de l’épuration, René Bousquet a pu user de multiples relations, mettre en avant des actes de résistance (?) et bénéficier de la faiblesse d’une accusation pourtant révélatrice d’une intelligence avec l’ennemi que devait confirmer quarante ans plus tard, le dépouillement des archives allemandes saisies à Koblentz (1).

Je fus, en fait, le seul témoin à charge. Je dénonçais les effets dévastateurs de l’intrusion en zone libre, à la veille du débarquement allié en A.F.N. le 8 novembre 1942, des équipes du S.D. et de l’Abwehr, guidées et secondées par des policiers français mis à leur disposition par le Secrétaire Général pour la police. Dans cette phase cruciale de l’évolution du conflit, anglais et américains allaient être ainsi frustrés d’informations sur les réactions de la Wehrmacht, tandis que de valeureux patriotes étaient arrêtés, livrés à l’ennemi et déportés avec le concours des policiers français de Bousquet.

Que pouvait peser ma seule voix d’officier à la retraite, représentant isolé de réseaux de résistance et de renseignements issus d’une armée vaincue, dans ce prétoire engorgé de voyeurs, face à des jurés, ignorants pour la plupart des drames de l’occupation, indifférents à la notion de Défense Nationale et souvent de tendances politiques proches de celles de Bousquet…

Ainsi la Haute Cour l’acquittait. Je connais des dizaines de lampistes qui allèrent au poteau pour moins que cela… Le livre de Pascale Froment abonde en détails révélateurs d’une personnalité ambiguë, évoluant avec désinvolture au fil des temps dans une société toujours plus permissive, j’en retiens essentiellement, pour ma part, les pages d’où émergent avec quelques tares fondamentales de cette société, l’indifférence d’une élite à la notion de Défense et de Trahison.

(1) Rapport de Himmler à Hitler du 26 décembre 1942 sur l’arrestation de notre réseau d’écoutes sur le câble de la Wermacht Paris-Berlin, à la suite de la dénonciation spontanée de Bousquet à Oberg, chef de la police allemande en France.




1940-1945 : L’origine de L’OSS et son rôle dans le debarquement en France

Voici un ouvrage enfin réédité qu’il importe de LIRE, RELIRE, POSSEDER et D’OFFRIR : OSS, la guerre secrète en France de Fabrizio Calvi

Commentaire du Colonel Paul Paillole :

Voici un sujet qu’on pouvait croire épuisé par les spécialistes. Réseaux de la France Libre, Intelligence Service, Services Spéciaux Soviétiques, ont livré leurs secrets au cours de la dernière décennie. Cette fois, des rapports confidentiels d’une valeur historique inestimable, extraits d’un fonds de près de 100 m3 de documents archivés au Pentagone ou déposés aux Archives Nationales Américaines, ont été mis à la disposition de Fabrizio Calvi, enquêteur pour T.F.1 et Antenne 2, journaliste, historien, spécialiste des « Annales de l’Espionnage » (Hachette).

On découvre ici le rôle essentiel joué par l’O.S.S., l’ancêtre de la C.I.A., dans la préparation du débarquement d’Afrique du Nord, de Normandie, de Provence ou dans la conduite des opérations ultérieures au coeur de l’Allemagne. On apprend comment les Américains, dont l’inexpérience en matière de Services Secrets était totale, comblèrent leur retard avec une rapidité remarquable en s’appuyant tout particulièrement sur les Services Spéciaux (S.R. et C.E.) de l’Armée Française.

En effet, ces derniers, ignorant l’armistice, poursuivaient le combat — de zone libre d’abord, puis d’Alger en 1942 — avec le S.R.O. de la Première Armée Française en 1944, et, plus singulièrement, sans discontinuer dès juin 1940, à partir de Berne en Suisse, d’où opéraient le Colonel Pourchot, Attaché Militaire Adjoint, et son principal chef de Réseau, le Capitaine Meyer .

Qui mieux que les Américains pouvaient effectivement exploiter la « production », la « fourniture » du Service de Renseignement et de Contre-espionnage Français?

Pour Gilles Perrault, auteur de L’Orchestre Rouge, non suspect de complaisance à l’égard des Américains, « c’est un pan d’Histoire ignoré que l’auteur nous révèle. Pour tous ceux que passionnent les enjeux de la Seconde Guerre Mondiale, ce livre est indispensable. »

Cinquante ans après la fin du dernier conflit mondial, la nature des rapports entre les Services Secrets Américains et les composantes civiles et militaires de la Résistance restaient un des non-dits de l’Histoire de la Libération de la France. Lacune à présent comblée