A la mémoire du Colonel Serot : 45 ème anniversaire de sa mort

45 eme Anniversaire de la mort du colonel Serot .

Article paru dans le Bulletin N° 159

Par le colonel Paul PAILLOLE

Le 17 septembre 1948, vers 16 heures, le Colonel André Sérot, médiateur de l’O.N.U. était abattu par une rafale de pistolet-mitrailleur dans le quartier juif de Jérusalem.

Il pressentait son destin.

Sa vision lucide de la situation créée au Moyen-Orient par les Nations Unies, son analyse des caractères, son expérience de plus de vingt ans dans les Services de Renseignements et de Sécurité, son robuste bon sens de Vosgien, tout l’amenait à désespérer de voir un jour la paix dans ces pays de passions et de rivalités livrés à l’aventure par les Nations Unies.

Un jour d’août 1948 il était venu en mission à Paris et m’avait consacré quelques heures.
II m’avait confié ses déceptions devant ce qu’il pensait être sa mission de Paix. Serein, il m’avait dit ses craintes pour l’avenir et aussi pour lui- même

« Mourir à Jérusalem, Paillole, croyez-vous qu’un chrétien puisse avoir une plus belle mort. »
Je ne l’ai plus revu. Un funeste pressentiment me faisait chaque jour écouter les radios, lire les nouvelles, et puis est venu ce jour fatal où le plus pur, le plus noble, le plus héroïque de nos soldats de la Paix est mort assassiné.

Trois jours avant, le 14 septembre 1948, il écrivait à l’un de ses intimes collaborateurs de la Sécurité Air qu’il avait créée en 1942 et dirigée jusqu’en 1948, une lettre bouleversante de simplicité de vérité et de stoïcisme.

Avec l’autorisation de son destinataire, le Colonel de l’Armée de l’Air Panthène, nous en publions ci-après de larges extraits.

Les anciens retrouveront dans ces lignes le visage de celui qui fut leur chef et qu’ils ont vénéré.
Les plus jeunes et surtout ceux qui ont chaque année rendu hommage au Colonel André Sérot devant sa stèle édifiée dans les locaux de leur service de Sécurité, apprendront à mieux le connaître et à comprendre jusqu’où peut aller l’esprit de sacrifice et la conception élevée du Devoir.

Tous pourront méditer sur le sort prévu, par Sérot et réservé à ce Moyen Orient où s’enlise toujours une Paix impossible.

Jérusalem, 14 septembre 1948.

Mon cher ami,
Aujourd’hui, j’en suis à mon 54e jour de mon second séjour à Jérusalem. Mais cette seconde trêve n’est pas du tout la même que la précédente, — autrement dit, il n’y a pas de trêve à Jérusalem. Nous avons eu, des journées et des nuits, de véritables batailles et nous nous bornons à enregistrer les coups. L’avant-dernière nuit par exemple, les observateurs, dans le secteur nord ont enregistré plus de 400 coups de mortiers. Cette nuit-ci, c’est la colline de Sion qui a été le centre d’activité.

Et nous sommes en plein dans le bain. Le couvent des Dominicains où j’habite avec huit officiers est en première ligne.

A cinq miles de là, l’Américan School où se trouve mon P.C. et où habitent une vingtaine d’Officiers. Entre les deux une petite butte sur laquelle l’arab legion a installé un Canon de 57 antichars et s’amuse de temps en temps à chatouiller les juifs avec son frère jumeau installé lui de l’autre côté des Dominicains. Et les Juifs les contrebattent à coup de mortiers… Nuit et jour, douze à quatorze observateurs sont en ligne de chaque côté. C’est très dur comme travail, et ce n’est pas sans danger vous le voyez. Jusqu’à présent, nous n’avons eu qu’un seul officier légèrement blessé : Pourvu que ça dure! Les deux groupes sont coiffés par un capitaine de vaisseau américain. Ce dernier devant rejoindre les Etats-Unis., l’Etat-major de Haïfa m’a demandé si j’acceptais de prendre la direction de l’ensemble du groupe de Jérusalem, soit 80 officiers. J’ai accepté pour mieux défendre les intérêts français. Je dois dire que j’ai une équipe d’officiers, français, excellente dans son ensemble, qui ont décidé de rester à Jérusalem et de ne pas profiter des possibilités de relève qui leur ont été offertes. Car le secteur de Jérusalem a la réputation d’être le secteur dangereux et pénible. Je me contenterai d’envoyer mes officiers en permission de détente à Beyrouth ou ailleurs lorsqu’ils seront fatigués.

J’ai interrompu ma lettre pour aller en liaison. J’apprends à mon retour que je prends décidément l’ensemble de Jérusalem et dès demain je vais abandonner la ville arabe pour m’installer dans la ville juive. Ça ne m’emballe pas mais il n’y a pas moyen de faire autrement. Je dois vous dire que la Défense Nationale se désintéresse de nous. Elle a été bien ennuyée lors qu’il a fallu envoyer en Palestine 125 officiers. Mais elle se désintéresse de la mission, les consignes qui nous ont été données sont lamentables « Pas de zèle! Et surtout votre sécurité avant tout ». Qu’on me laisse rire! la sécurité à Jérusalem n’existe pas, on peut recevoir une balle au moment où on s’y attend le moins; et nous vivons dans un secteur qui est battu par les bouches de mortiers. Quant au zèle, il faut bien qu’on vive et on ne peut pas moins faire que d’écouter les doléances des arabes et des juifs. Et pourtant il y a ici une partie importante qui se joue. Les Américains l’ont fort bien compris, ils ont envoyé des généraux, des Capitaines de Vaisseau, des Colonels anciens qui ont pris tout en mains et ont évincé les officiers (suédois) supérieurs incapables. Et nous Français, nous sommes considérés comme des gens de second plan. C’est la raison pour laquelle étant un des rares officiers français ayant un gros poste, j’ai accepté celui encore plus important du groupe total de Jérusalem. Je voudrais y monter une affaire spécifiquement française. Je m’aperçois que je vous raconte des histoires et que j’écris sans me rendre compte que je suis arrivé à la fin de mes deux pages.

J’espère que vous ne m’en voudrez pas et que vous ne pensiez pas qu’après avoir reçu votre lettre, j’ai voulu, en représailles, vous imposer un pensum.
(Entre nous, si j’écris mal et peu lisiblement je crois que vous êtes dans le même cas! )
Cette expédition m’a permis de faire, non seulement un merveilleux voyage, mais un pèlerinage que je n’aurais jamais songé faire. Je peux dire que je connais Jérusalem., la vieille cité et ses environs immédiats, le mont des Oliviers, les jardins, la vallée de Josaphat, la colline de Sion, etc… Tous ces lieux sont devenus pour moi familiers. Jéricho, Bethléem, Emmaüs, que sais-je encore! Et si j’en ai le temps et le loisir, je voudrais avant mon retour voir Naplouse…, Nazareth et le lac de Tibériade. Mais pour cela il faudrait que la paix revienne dans ce malheureux pays. Mais y reviendra-t-elle jamais?


Toute notre bureaucratie se fait en langue anglaise, ce qui ne facilite pas les choses et c’est pour moi un travail supplémentaire d’essayer de comprendre parfaitement les papiers que je signe…
J’ai, paraît-il, fait des progrès en anglais et j’arrive à exprimer des choses pas très compliquées.

Autre question? Combien de temps resterons-nous ici? Je n’en sais rien. Mais plutôt que de ne rien faire à Paris, je préfère rester ici. La vie y est dure et austère, mais je me sens en pleine forme physique et morale.
Ne croyez pas que j’ai coupé les ponts avec le passé! Ma pensée est souvent à Paris vers ce service que j’aurais tant voulu avoir le temps de « peaufiner ».
J’en ai quelques rares nouvelles.

J’en reviens à mes officiers, la moitié sont américains; plusieurs capitaines de frégate et de corvette; j’ai aussi sous mes ordres un Colonel français Commandant le 40e régiment d’artillerie de Verdun; plusieurs Lieutenants-Colonels et Commandants brevetés. Dans l’ensemble tous ont fait très correctement et avec beaucoup de cran un métier dur et risqué.

J’ai aussi quelques belges. Mes relations avec l’Arab Legion sont excellentes, mes relations avec les juifs sont bonnes. Mais le métier est terriblement décevant. Il n’est pas facile de négocier avec de tels adversaires. Nous faisons de notre mieux et je suis un peu effrayé de la responsabilité que je viens d’endosser en acceptant l’ensemble du groupe de Jérusalem. A la grâce de Dieu!

Deux de mes camarades sont morts tragiquement à Gaza, littéralement assassinés par des irréguliers égyptiens. Parmi eux le Lieutenant-colonel Ceren du boulevard Suchet. Lorsque son nom a été donné à la radio, il a été si mal prononcé que certains ont cru que c’était moi la victime.

A Xertigny les gens venaient aux nouvelles à la maison. La nouvelle aurait été infirmée par la presse et mon père en apprenant que j’aurai pu être tué a eu une attaque. Pauvre papa! Je ne sais pas ce que l’année me réserve mais vraiment ce serait une misérable destinée que de perdre la vie ici.


signé : André SEROT.

Article paru dans le Bulletin N° 159

Par le colonel Paul PAILLOLE

Le 17 septembre 1948, vers 16 heures, le Colonel André Sérot, médiateur de l’O.N.U. était abattu par une rafale de pistolet-mitrailleur dans le quartier juif de Jérusalem.

Il pressentait son destin.

Sa vision lucide de la situation créée au Moyen-Orient par les Nations Unies, son analyse des caractères, son expérience de plus de vingt ans dans les Services de Renseignements et de Sécurité, son robuste bon sens de Vosgien, tout l’amenait à désespérer de voir un jour la paix dans ces pays de passions et de rivalités livrés à l’aventure par les Nations Unies.

Un jour d’août 1948 il était venu en mission à Paris et m’avait consacré quelques heures.
II m’avait confié ses déceptions devant ce qu’il pensait être sa mission de Paix. Serein, il m’avait dit ses craintes pour l’avenir et aussi pour lui- même

« Mourir à Jérusalem, Paillole, croyez-vous qu’un chrétien puisse avoir une plus belle mort. »
Je ne l’ai plus revu. Un funeste pressentiment me faisait chaque jour écouter les radios, lire les nouvelles, et puis est venu ce jour fatal où le plus pur, le plus noble, le plus héroïque de nos soldats de la Paix est mort assassiné.

Trois jours avant, le 14 septembre 1948, il écrivait à l’un de ses intimes collaborateurs de la Sécurité Air qu’il avait créée en 1942 et dirigée jusqu’en 1948, une lettre bouleversante de simplicité de vérité et de stoïcisme.

Avec l’autorisation de son destinataire, le Colonel de l’Armée de l’Air Panthène, nous en publions ci-après de larges extraits.

Les anciens retrouveront dans ces lignes le visage de celui qui fut leur chef et qu’ils ont vénéré.
Les plus jeunes et surtout ceux qui ont chaque année rendu hommage au Colonel André Sérot devant sa stèle édifiée dans les locaux de leur service de Sécurité, apprendront à mieux le connaître et à comprendre jusqu’où peut aller l’esprit de sacrifice et la conception élevée du Devoir.

Tous pourront méditer sur le sort prévu, par Sérot et réservé à ce Moyen Orient où s’enlise toujours une Paix impossible.

Jérusalem, 14 septembre 1948.

Mon cher ami,
Aujourd’hui, j’en suis à mon 54e jour de mon second séjour à Jérusalem. Mais cette seconde trêve n’est pas du tout la même que la précédente, — autrement dit, il n’y a pas de trêve à Jérusalem. Nous avons eu, des journées et des nuits, de véritables batailles et nous nous bornons à enregistrer les coups. L’avant-dernière nuit par exemple, les observateurs, dans le secteur nord ont enregistré plus de 400 coups de mortiers. Cette nuit-ci, c’est la colline de Sion qui a été le centre d’activité.

Et nous sommes en plein dans le bain. Le couvent des Dominicains où j’habite avec huit officiers est en première ligne.

A cinq miles de là, l’Américan School où se trouve mon P.C. et où habitent une vingtaine d’Officiers. Entre les deux une petite butte sur laquelle l’arab legion a installé un Canon de 57 antichars et s’amuse de temps en temps à chatouiller les juifs avec son frère jumeau installé lui de l’autre côté des Dominicains. Et les Juifs les contrebattent à coup de mortiers… Nuit et jour, douze à quatorze observateurs sont en ligne de chaque côté. C’est très dur comme travail, et ce n’est pas sans danger vous le voyez. Jusqu’à présent, nous n’avons eu qu’un seul officier légèrement blessé : Pourvu que ça dure! Les deux groupes sont coiffés par un capitaine de vaisseau américain. Ce dernier devant rejoindre les Etats-Unis., l’Etat-major de Haïfa m’a demandé si j’acceptais de prendre la direction de l’ensemble du groupe de Jérusalem, soit 80 officiers. J’ai accepté pour mieux défendre les intérêts français. Je dois dire que j’ai une équipe d’officiers, français, excellente dans son ensemble, qui ont décidé de rester à Jérusalem et de ne pas profiter des possibilités de relève qui leur ont été offertes. Car le secteur de Jérusalem a la réputation d’être le secteur dangereux et pénible. Je me contenterai d’envoyer mes officiers en permission de détente à Beyrouth ou ailleurs lorsqu’ils seront fatigués.

J’ai interrompu ma lettre pour aller en liaison. J’apprends à mon retour que je prends décidément l’ensemble de Jérusalem et dès demain je vais abandonner la ville arabe pour m’installer dans la ville juive. Ça ne m’emballe pas mais il n’y a pas moyen de faire autrement. Je dois vous dire que la Défense Nationale se désintéresse de nous. Elle a été bien ennuyée lors qu’il a fallu envoyer en Palestine 125 officiers. Mais elle se désintéresse de la mission, les consignes qui nous ont été données sont lamentables « Pas de zèle! Et surtout votre sécurité avant tout ». Qu’on me laisse rire! la sécurité à Jérusalem n’existe pas, on peut recevoir une balle au moment où on s’y attend le moins; et nous vivons dans un secteur qui est battu par les bouches de mortiers. Quant au zèle, il faut bien qu’on vive et on ne peut pas moins faire que d’écouter les doléances des arabes et des juifs. Et pourtant il y a ici une partie importante qui se joue. Les Américains l’ont fort bien compris, ils ont envoyé des généraux, des Capitaines de Vaisseau, des Colonels anciens qui ont pris tout en mains et ont évincé les officiers (suédois) supérieurs incapables. Et nous Français, nous sommes considérés comme des gens de second plan. C’est la raison pour laquelle étant un des rares officiers français ayant un gros poste, j’ai accepté celui encore plus important du groupe total de Jérusalem. Je voudrais y monter une affaire spécifiquement française. Je m’aperçois que je vous raconte des histoires et que j’écris sans me rendre compte que je suis arrivé à la fin de mes deux pages.

J’espère que vous ne m’en voudrez pas et que vous ne pensiez pas qu’après avoir reçu votre lettre, j’ai voulu, en représailles, vous imposer un pensum.
(Entre nous, si j’écris mal et peu lisiblement je crois que vous êtes dans le même cas! )
Cette expédition m’a permis de faire, non seulement un merveilleux voyage, mais un pèlerinage que je n’aurais jamais songé faire. Je peux dire que je connais Jérusalem., la vieille cité et ses environs immédiats, le mont des Oliviers, les jardins, la vallée de Josaphat, la colline de Sion, etc… Tous ces lieux sont devenus pour moi familiers. Jéricho, Bethléem, Emmaüs, que sais-je encore! Et si j’en ai le temps et le loisir, je voudrais avant mon retour voir Naplouse…, Nazareth et le lac de Tibériade. Mais pour cela il faudrait que la paix revienne dans ce malheureux pays. Mais y reviendra-t-elle jamais?


Toute notre bureaucratie se fait en langue anglaise, ce qui ne facilite pas les choses et c’est pour moi un travail supplémentaire d’essayer de comprendre parfaitement les papiers que je signe…
J’ai, paraît-il, fait des progrès en anglais et j’arrive à exprimer des choses pas très compliquées.

Autre question? Combien de temps resterons-nous ici? Je n’en sais rien. Mais plutôt que de ne rien faire à Paris, je préfère rester ici. La vie y est dure et austère, mais je me sens en pleine forme physique et morale.
Ne croyez pas que j’ai coupé les ponts avec le passé! Ma pensée est souvent à Paris vers ce service que j’aurais tant voulu avoir le temps de « peaufiner ».
J’en ai quelques rares nouvelles.

J’en reviens à mes officiers, la moitié sont américains; plusieurs capitaines de frégate et de corvette; j’ai aussi sous mes ordres un Colonel français Commandant le 40e régiment d’artillerie de Verdun; plusieurs Lieutenants-Colonels et Commandants brevetés. Dans l’ensemble tous ont fait très correctement et avec beaucoup de cran un métier dur et risqué.

J’ai aussi quelques belges. Mes relations avec l’Arab Legion sont excellentes, mes relations avec les juifs sont bonnes. Mais le métier est terriblement décevant. Il n’est pas facile de négocier avec de tels adversaires. Nous faisons de notre mieux et je suis un peu effrayé de la responsabilité que je viens d’endosser en acceptant l’ensemble du groupe de Jérusalem. A la grâce de Dieu!

Deux de mes camarades sont morts tragiquement à Gaza, littéralement assassinés par des irréguliers égyptiens. Parmi eux le Lieutenant-colonel Ceren du boulevard Suchet. Lorsque son nom a été donné à la radio, il a été si mal prononcé que certains ont cru que c’était moi la victime.

A Xertigny les gens venaient aux nouvelles à la maison. La nouvelle aurait été infirmée par la presse et mon père en apprenant que j’aurai pu être tué a eu une attaque. Pauvre papa! Je ne sais pas ce que l’année me réserve mais vraiment ce serait une misérable destinée que de perdre la vie ici.


signé : André SEROT.




A la mémoire du colonel Serot : 33 éme anniversaire de sa mort

A la mémoire du colonet Serot -Article paru dans le Bulletin N° 108-octobre 1980

Cette année nous commémorons le 33° anniversaire de l’assassinat à Jérusalem de notre ami et camarade, le colonel André SEROT.

Il était médiateur de l’O.N.U. aux côtés du comte Folke BERNADOTTE.

Nous devons à l’obligeance de notre camarade lyonnais RÉAUX un émouvant récit de cet attentat. Nous l’avons extrait de son journal de marche, en même temps que quelques passages édifiants sur le climat qui régnait en Israël.

 

Mais est-ce bien différent aujourd’hui ?

 

par Mr. REAUX

 

Dans la nuit du 17 au 18 août 1948, des détachements des trois armées se glissent vers le Government House, les Juifs avec des camions blindés, les Arabes à pied.

Rencontre sérieuse, combat de nuit, échange de mortiers et d’obus. La bataille fait rage jusqu’au jour.

Du côté juif : 50 tués ou blessés.

Le commandement juif prétend qu’averti de l’intention des Arabes de s’emparer de l’hôpital, il a voulu les devancer afin d’évacuer des malades juifs qui s’y trouvaient.

Mais les Arabes ont réagi, et le 17 au matin, ils occupent le Government House, tandis que les Juifs se sont installés dans l’université arabe et l’école d’agriculture juive.

Arabes, Égyptiens et Juifs sont au contact et chacun s’organise sur le terrain conquis.

Dans la journée, les observateurs de l’O.N.U. essaient en vain d’obtenir le retrait des troupes de part et d’autre.

 

Le 18 seulement, on obtiendra une trêve permettant de relever les cadavres et blessés restés entre adversaires. Malheureusement, malgré les engagements les Arabes tirent sur les brancardiers juifs et 3 cadavres restent sur le terrain, d’où ils ne seront relevés qu’en septembre. Les cadavres juifs ramenés sont atrocement mutilés, selon la vieille coutume arabe !…

Vers 10 heures, je descends en jeep avec deux camarades jusqu’à l’American School, P.C. du colonel SÉROT, commandant le secteur arabe de Jérusalem.

Je retrouve avec joie ce dernier, avec qui j’ai passé deux ans au S.R. de Belfort, en 37-38, et à qui j’ai toujours été très cordialement attaché.

 

Depuis quelques jours, violente campagne dans les journaux contre l’O.N.U., et surtout contre BERNADOTTE.

 

 

31 août 1948.

 

Un radio américain et un ouvrier juif sont grièvement blessés au carrefour du consulat américain. Cela fait les 4e et 5e victimes. On pense (enfin !)… à rechercher un itinéraire moins dangereux.

A 21 heures, je suis à Lifta avec tous mes officiers. La nuit est magnifique.. Sous le ciel bleu parsemé d’étoiles, à 40 m. des mitrailleurs au créneau, derrière la maison du P.C., une vaste cour entourée d’oliviers et de figuiers ; des chaises et des bancs sur toutes les faces. Au centre, un énorme projecteur qui inonde de lumière les dalles roses de la cour.

 

Cinq cents personnes au moins, civiles et militaires, s’y entassent. On nous a réservé des places à la table d’honneur, aux côtés du colonel venu pour l’occasion. Dans un coin, un orchestre à cordes sur une estrade.

 

La nuit est calme, fraîche. A l’arrivée du colonel, un commandement bref retentit, tout le monde est au garde-à-vous… L’hymne national retentit, chanté avec une ardeur sauvage, presque mystique…

 

 

18 septembre 1948.

 

Le comte Folke BERNADOTTE et le colonel SEROT sont assassinés par le groupe STERN (groupe choc de l’AGANA dont le chef était M. BEGIN).

On a beaucoup écrit, beaucoup épilogué sur ce meurtre. Voici exactement comment les faits se sont passés.

 

Dans la voiture de tête, l’officier de liaison juif, le secrétaire et l’aide de camp de BERNADOTTE.

Dans la deuxième voiture, devant : le commander Mox et, comme chauffeur, Mr. BUGLEY, chef de la sûreté de l’O.N.U. ; derrière, de gauche à droite, le général LANDSTROËM, le colonel SEROT au centre, le comte BERNADOTTE à droite.

 

Brusquement, une jeep barre la route au convoi, deux Juifs en descendent, mitraillette au poing, inspectent la première voiture, puis arrivent à la deuxième. Celui de gauche passe le canon de son arme par la portière de gauche et descend à bout portant le colonel SEROT qui se penchait vers lui, couvrant BERNADOTTE, puis le comte, qui s’effondre frappé à mort. Le comte meurt pendant son transfert à l’hôpital.

 

Mr. BUGLEY, non armé, n’a pu intervenir. Les deux Juifs se sont replié en tirant, crevant même le pneu avant droit de la voiture de tête, et la jeep a disparu.

 

L’officier de liaison juif (le capitaine HILLMANN) n’a « naturellement » rien vu ! On ne retrouvera jamais les agresseurs.

 

Dans l’après-midi, les corps sont déposés sur des brancards, dans une salle du YMCA transformée en chapelle ardente, et nous veillons toute la nuit les corps de ces martyrs de la Paix » dont la toilette funèbre a été faite par des religieuses françaises.

 

 

20 septembre 1948.

 

Les corps de BERNADOTTE et de SEROT sont transférés à Haïfa. Long cortège d’une vingtaine de voitures. Autorités juives et consulaires. A Latrum, l’Arab Legion, alignée le long de la route, rend les honneurs.

 

Parti à 9 heures, le cortège arrive vers 13 heures, en pleine chaleur. Les corps sont immédiatement embaumés.

 

Nuit d’une chaleur étouffante.

 

A 6 heures du matin, les corps de nos infortunés camarades sont partis en avion pour la France.

 

Nous leur adressons du terrain d’Haïfa un dernier adieu. Pauvre Mme SÉROT !…

 

A 8 heures, je prends l’avion à mon tour.

 

A 9 h 30 je suis à Colundia et à 17 heures je réintège le YMCA, sans incident, mais « vanné » !

 

Triste corvée enfin terminée !

 

La nuit est agitée, mais le sommeil l’emporte.

Les Juifs s’attendent à une réaction en Europe, et à l’application des sanctions.

 

22 septembre 1948.

 

Police, patrouilles, contrôles… le grand jeu ! Mais on a l’impression que c’est du bluff et que les coupables sont déjà à l’abri. Il faut bien calmer l’opinion mondiale ;

A 10 heures, service religieux, chez les Pères de Ratisbonne, pour le repos de l’âme du colonel SÉROT. Autorités juives et étrangères y sont représentées.

 




Biographie de P Brossolette

Une nouvelle biographie de P Brossolette a été réalisée par Eric Roussel en 2013.




Biographie du colonel Serot par colonel Paul Paillole

Vosgien, fils d’un maréchal des logis-chef de gendarmerie, il tirait de ses origines simplicité, droiture et cet amour de son pays, qui allait conduire sa destinée.

En 1915, dès le début de la première guerre mondiale, à dix-huit ans, il s’engage dans l’infanterie.

En 1916, il est élève officier à Saint-Cyr. Un an plus tard, il passe dans l’aviation. Nul ne l’entendra jamais évoquer ses faits d’armes…

La paix revenue, la vision lucide d’une inéluctable explication franco­allemande, autant que son besoin d’action, le poussent vers le Service de Renseignements. C’est faire vœu de désintéressement, de sacrifice et de pauvreté.

En 1923, il est affecté au poste de Strasbourg, où déjà son goût pour le contre-espionnage se manifeste. Précurseur de l’intoxication, il s’infiltre dans l’Abwehr. Dans le, même temps, il pousse d’audacieuses recherches au plus profond de l’industrie aéronautique allemande.

Du poste de Belfort, où il a été affecté en 1933 il transmet des rapports d’un intérêt capital sur les études et la production du troisième Reich, révélant l’état des recherches nazies jusque dans les domaines les plus secrets de l’aviation à réaction.

Tant d’activités audacieuses ne pouvaient que laisser des traces. En Allemagne, Sérot identifié devient l’homme à abattre. En Suisse, c’est l’indésirable et insaisissable agent du Deuxième Bureau, trouble fête de la sacro-sainte neutralité suisse, générateur permanent de complications diplomatiques. Imperturbable, maître de lui autant que de son métier, il poursuit sa mission.

Le désastre militaire de juin 1940 l’oblige à une action totalement clandestine. Recherché par l’ennemi, il change son fusil d’épaule et se lance résolument dans la chasse à la trahison. Avec cet autre aviateur qu’est Mayeur, tout aussi résolu que lui dans sa volonté de lutte, il jette les bases des services de sécurité de l’armée de l’Air.

En novembre 1942, ” Lors de l’occupation totale de la France, une élémentaire prudence nous contraint à forcer Sérot à se mettre hors de portée de la Gestapo. Il rejoint Alger, où il aura, en janvier 1943, la généreuse pensée de joindre ses efforts aux miens pour diriger les services de contre-espionnage et structurer définitivement la sécurité militaire. Jamais, je n’ai eu collaborateur plus dévoué, plus efficace, plus loyal, plus discret et plus humain.

Hélas, son épouse est demeurée en France. Impuissant à saisir l’homme, l’ennemi se venge sur la femme. Betty Sérot est déportée à Ravensbrück. Pendant vingt-quatre mois de “ nuits et brouillards ”, elle va être le pitoyable otage dont l’épreuve douloureuse suscite chez son époux une angoisse mortelle que l’impression de sa responsabilité rend plus cruelle encore. Couple meurtri et résigné, André et Betty gravissent alors le faîte du surhumain.

La délivrance intervient. Marquée pour la vie, chancelante, Betty va affronter de nouveaux tourments. Sérot, après avoir dirigé l’ensemble des services de sécurité des forces armées françaises, est désigné comme délégué de la France à la mission des Nations Unies en Palestine. Aux côtés du comte Folke Bernadotte il va en Terre Sainte, porter aux hommes déchirés par la haine, ce message de réconciliation et de fraternité qui fait son idéal spirituel. Pourtant, un funeste pressentiment l’habite : l’échec de ses efforts et la mort.

En juin 1948, il vient à Paris et m’ouvre son cœur de chrétien: “ Je ne reviendrai pas vivant de là-bas. Mais qu’importe. Si vous saviez quelle quiétude m’envahit, lorsque certains soirs je gravis seul le calvaire et me recueille sur le Mont des Oliviers ”.

Le 18 septembre 1948, il est assassiné à Jérusalem, en même temps que le comte Folke de Bernadotte.




A propos de “l’Enigme Jean Moulin”

Lorsqu’en 1977, mon ancien de Saint-Cyr et ami Henri Frenay écrivit ce livre, ce fut dans certains milieux résistants, un tollé général.

Comment pouvait-on soupçonner Jean Moulin d’avoir agi en crypto­communiste ?

L’aboutissement de cette violente réaction est aujourd’hui l’oeuvre marathon de Cordier sur la vie de Jean Moulin, son éphémère patron de 1943.

L’objectif, au delà de la simple réfutation de l’hypothèse envisagée par Frenay, semble bien la destruction de l’image si pure et si respectée de ce Soldat qui fut – n’en déplaise aux uns et aux autres – le premier et le plus efficace organisateur de la Résistance.

Sale besogne à laquelle le mort ne peut répondre, mais que ses amis sauront stigmatiser.

Déjà Henri Noguères commentant sévèrement le procédé, a pu écrire à propos du livre de Cordier… ” Les biographies les plus longues ne sont pas forcément les meilleures “…

Depuis, Mme Henri Frenay, courageuse et fidèle, a pu convaincre les Éditions Robert Laffont de rééditer l’ouvrage de son mari L’Énigme Jean Moulin en y ajoutant quelques cinquante pages d’arguments nouveaux et inédits rassemblés par Henri Frenay peu de temps avant sa mort.

Beaucoup de mes camarades, souvent offusqués, parfois troublés, par le battage énorme autour du livre de Cordier, m’ont demandé ce que je pense de tout ce tintamarre.

Je crois que ce qui précède résume déjà ma pensée.

Mais je ne saurais trop insister sur l’intérêt qu’il y a à lire (ou relire) l’oeuvre d’Henri Frenay. On y constatera la mesure dans l’expression, la sincérité dans la recherche, l’objectivité dans le jugement et pour tout dire l’honnêteté fondamentale de l’auteur qui se pose l’insoluble problème.

Mais je voudrais ajouter quelque chose de plus personnel. Je demande à mes camarades de lire attentivement ce qui suit.

J’ai souvent exposé que l’installation de nos Services clandestins de C.E. à Marseille avait été provoquée en juillet-août 1940 par divers impératifs géographiques, mais aussi, pour ma part, sentimentaux, en raison de la certitude que j’avais de pouvoir compter sur l’appui sans réserve de la famille Recordier à laquelle je suis lié intimement depuis mon enfance. Orphelin de guerre, elle m’avait adopté dès 1920.

On sait que c’est chez le Docteur Marcel Recordier – ami d’Henri Frenay – que Jean Moulin fit la connaissance en 1941 du Chef du groupe ” Combat ” et qu’il l’y retrouva par la suite.

Cordier, lors d’une récente émission d’ ” Apostrophe ” à la T.V. a affirmé n’avoir de considération pour les ouvrages traitant du rôle de Jean Moulin, que pour celui d’Henri Michel (2), Président du Comité d’Histoire de la Deuxième Guerre Mondiale.

Or celui-ci écrivait le 23 août 1963 à mon ami Recordier la lettre que je reproduis ci-après in extenso :

Le 28 août 1963

Monsieur le Dr. Recordier, Marseille.

Monsieur,

Je suis en train de rassembler la documentation nécessaire pour une exposition et peut-être pour un livre, consacrés à Jean Moulin. Je sais quel rôle vous avez joué pour guider à Marseille, ses premiers pas dans la résistance naissante.

Ce rôle, l’interrogatoire de Jean Moulin à Patriotic School (3) le 23 octobre 1941, le décrit ainsi : ” Le principal intermédiaire entre les divers groupes de résistance était le Dr. Recordier, des réunions eurent lieu chez lui et de cette façon Jean Moulin put connaître les Chefs des groupes de Résistance.

Quels étaient ces chefs, à part H. Frenay ? Le même interrogatoire fait état de contact pris par Jean Moulin grâce à une de ses amies, infirmière pendant la guerre, avec des milieux protestants. Savez-vous qui était cette ” amie infirmière ” ? S’agit-il de Mme Sachs ou de Bertie Albrecht ? Qu’étaient ces ” milieux protestants ” ?

Pourriez-vous nous préciser comment Jean Moulin, à ce moment, concevait-il la résistance ? Que savait-il du Général de Gaulle, et qu’en pensait-il ? Faisait-il la différence entre la France Libre et les Anglais ?

Il semble que, à ce moment, Jean Moulin n’ait pas été un organisateur de la clandestinité, mais un messager. Était-il d’accord avec H. Frenay sur la teneur du message dont il était le porteur ? Quel était le destinataire : les Anglais ou de Gaulle ?

Je serais surpris cependant que Jean Moulin n’ait pas, de son côté essayé de rassembler quelques amis. Il avait déjà rencontré Manhès, Danielou et, je crois, Scamaroni. Avez-vous été au courant de ces contacts ?

Naturellement toutes autres indications concernant la personnalité et l’oeuvre de Jean Moulin seront les bienvenues, car je suppose que vous l’avez rencontré souvent à son retour en France.

Excusez-moi de vous contraindre à évoquer des souvenirs aussi anciens. Je vous saurais grand gré de bien vouloir répondre à mes questions. Je vous en remercie par avance et je vous prie d’agréer…

H. MICHEL Inspecteur Général de l’Instruction Publique Docteur es Lettres.

QUE CONCLURE?

1° Les questions qu’Henri Michel se posait en 1963, pourquoi Henri Frenay n’aurait-il pas eu le droit de se les poser quelques années plus tard ?

2° Puisque l’oeuvre d’Henri Michel est taxée – à juste titre – de crédibilité, on constatera qu’en 1963 son opinion sur les débuts de la Résistance et sur la personnalité de Jean Moulin restent bien évasive.Par contre, elle est précise, tout comme celle de Jean Moulin, sur les titres et les mérites du Docteur Recordier. Dans ce dévergondage pitoyable, c’est pour nous, anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale, une bouffée d’air pur et un sujet de fierté, puisque Recordier était des nôtres.




Vichy et la résistance par le Colonel Paul Paillole

L’actualité remet périodiquement en évidence le rôle néfaste et trop souvent coupable de certains fonctionnaires, civils ou militaires, durant l’occupation. Avec tristesse sinon écoeurement, nos Services ont dû remettre à la Justice le sort de ceux de nos compatriotes coupables d’avoir servi l’ennemi en utilisant les moyens que leur conférait leur situation. Attitude d’autant plus condamnable qu’elle était celle de fonctionnaire parfois haut placés. Des faits aussi répréhensibles que la trahison ou le crime contre l’humanité révoltent aujourd’hui une opinion, sensibilisée – sans grandes nuances – par des médias avides de scandales.

Cinquante ans après, ils apparaissent comme la conséquence inéluctable et généralisée de la politique de collaboration de Vichy. Dès lors ils entraînent, souvent et trop vite, l’opprobre sur l’ensemble de ceux qui, à des titres divers, ressortissaient de la fonction publique de 1940 à 1944.

Un sentiment d’équité, face à l’Histoire, nous fait un devoir d’en appeler à de tels jugements. Trop rapides, trop brutaux, maladroitement répandus, ils ne peuvent que nuire à l’image d’une France qui, malgré sa défaite et les tortures de l’occupation, sut trouver dans tous ses milieux sociaux et professionnels la force de résister et de défendre son honneur.

Ainsi, allant de la complicité prudente à la volonté affirmée de lutter contre l’ennemi, de nombreux fonctionnaires et militaires furent associés au combat clandestin : actions ponctuelles, isolées, parfois anonymes, actions organisées, permanentes, avec le double risque de la répression impitoyable et de l’incompréhension par l’opinion ignorante des réalités. Plus les responsabilités étaient élevées dans la hiérarchie vichysoise, plus le ” jeu ” était délicat, ambigu…

 

Pour illustrer notre propos, nous avons fait appel à deux témoignages :

– l’un posthume, celui du grand Français que fut dans les échelons les plus élevés de la Police de Vichy, notre regretté ami, Pierre Mondanel ;

– l’autre de notre camarade Guy de Saint-Hilaire. Fonctionnaire à un rang plus modeste, il retrace avec sincérité ce que fut son existence de résistant, puis de Chef de Réseau des Forces Françaises Combattantes, Kléber-Marco ». Nous lui sommes reconnaissants de sa contribution à notre effort de VERITE.

Avant de livrer à nos lecteurs ces témoignages, je voudrais, en guise de conclusion de cette introduction, rappeler deux faits :

1) Les Réseaux de résistance militaires (1), tous homologués aux Forces Françaises combattantes entre Juillet et septembre 1940 furent, quoiqu’en pensent les falsificateurs de l’Histoire, les premiers réseaux français à se lancer dans la lutte clandestine contre l’Axe et à renseigner les Alliés.

Ils durent leur rapide efficacité aux concours spontanés qu’ils trouvèrent dans l’Armée de l’Armistice, sa Gendarmerie, la Justice Militaire, l’Administration, les Affaires Étrangères, et la Police.

2) Les deux principaux groupes de Résistance Français existant à la fin de 1940, n’ont vu le jour et n’ont pu s’épanouir qu’avec les initiatives et l’apport des militaires de l’Armée de l’Armistice :

– ” Combat ” du Capitaine Henri Frenay.

– ” Alliance ” des Commandants Loustaunau-Lacau et Faye, avec Marie-Madeleine épouse du Capitaine Meric.

Une abondante littérature (2) parfois stupidement qualifiée d’hagiographique par les détracteurs habituels de l’Armée, , authentifie ce qui précède. J’en conseille la lecture.

 

PIERRE MONDANEL, UN GRAND FONCTIONNAIRE DE VICHY DANS LA RÉSISTANCE

Entouré du respect de tous et de notre affection, Pierre Mondanel s’est éteint à quatre-vingt-seize ans le 1er septembre 1986 à Clermont-Ferrand.

Tout a été dit sur sa prestigieuse carrière de grand policier, sur ses éminentes qualités humaines, sur son érudition et bien entendu sur son attachement à l’Armée et plus particulièrement à nos anciens Services. Il fut de 1955 à 1986 le délégué régional exemplaire de notre Association en Auvergne.

Pour témoigner de son action résistante dans le cadre de ses attributions de haut-fonctionnaire de police à Vichy de 1940 à son arrestation par les Allemands et à sa déportation en 1943, nous avons extrait des archives du Réseau des Forces Françaises Combattantes S.S.M./F./T.R. dont Mondanel était un honorable correspondant, deux attestations d’authentiques ” résistants “.

 

MONDANEL ET LE C.E. RÉPRESSIF

M. Sauvanet, Préfet du Puy-de-Dôme, Officier de la Légion d’Honneur, atteste en date du 21 mai 1945 ce qui suit :

J’atteste que M. Mondanel m’a tout spécialement prié d’aller le rencontrer à Pont-du-Château au début d’août 1943 pour une communication importante. Il m’a signalé qu’un grave et imminent danger menaçait les membres de l’Armée secrète et les résistants de la région de Toulouse.

De ses renseignements, il se dégageait que l’Intendant de Police B… avait déclaré quelques jours plus tôt à Vichy qu’il avait introduit des informateurs dans les rangs de la Résistance et qu’avec de puissants moyens, il allait déclencher avant la fin de l’année une série d’opérations de Police en vue de procéder à l’arrestation des cadres et des principaux membres des organisations de résistance de la région toulousaine.

M. Mondanel a vivement insisté pour qu’un homme de confiance fut immédiatement dépêché à Toulouse pour aviser et mettre en garde les responsables de la Résistance de cette Région. Ce qui fut fait.

Signé SAUVANET

 

L’HÉROÏSME D’ALSFASSER

Le renseignement capital de Mondanel parvient à la D.S.M. d’Alger vers le 20 août 1943. Il confirme ce que nos Services de C.E. savaient déjà de l’attitude coupable de B…, notamment dans ses activités de Commissaire de police à Lyon, véritable auxiliaire du S.D. et de Barbie (3). Il faut agir.

La décision est prise en accord avec Londres de mettre un terme aux tristes exploits de ce dangereux personnage et de donner ainsi un coup d’arrêt au zèle répressif.

Ce fut la mission de l’envoyé d’Alger, Alphonse Alsfasser.

Avec l’aide du groupe ” Morhange “, le 23 octobre 1943 à 20 h 15 le traître B… était exécuté. Le retentissement en fut considérable.

Hélas, dans la nuit du 26 au 27 octobre 1943, une patrouille allemande surprenait le commando du Réseau S.S.M./F./T.R. sur le point de s’embarquer pour Alger à bord du sous-marin Casabianca.

Un homme fit face pour protéger le repli de ses camarades et sauver le courrier destiné à la D.S.M.

C’était Alphonse Alsfasser qui, mission accomplie, rejoignait son Chef. Il repose dans le cimetière de Ramatuelle où, chaque année l’A.S.S.D.N. et la commune lui rendent hommage.

 

MONDANEL ET LE C.E. PRÉVENTIF

M. René Vallet, du Cabinet du Ministre des Armées, officier de la Légion d’Honneur atteste le 24 août 1946 ce qui suit :

Ministère des Armées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Cabinet Civil

Paris, le 24 août 1946.

Je soussigné René Vallet, Attaché au Ministère des Armées -Cabinet Civil, Service d’Information- Officier de la Légion d’Honneur au titre de la Résistance, atteste ce qui suit :

J’ai reçu de Georges Mandel, dont j’étais l’ami personnel, après avoir été son éditorialiste de politique étrangère à l’ ” Ami du Peuple ” – le 7 juin 1940 à 23 heures, au Ministère de l’Intérieur – des Instructions qui m’ont amené à me rendre à Vichy le 1er juillet.

En novembre et décembre, j’ai pris contact avec le Commissaire Jacques Coutant collaborateur de M. Mondanel, Inspecteur général des Services de Police. J’ai apprécié aussitôt la position anti-allemande et anti-collaborationniste de M. Coutant.

En janvier 1941, M. Coutant m’offrit d’entrer sous la direction générale de M. Mondanel, dans une section spéciale chargée de recueillir et de transmettre au mieux des intérêts français des renseignement secrets sur les milieux allemands, journalistes, diplomates, policiers, de Vichy, sur les agissements des membres du gouvernement Pétain, Laval et sur ceux des collaborationnistes français en général.

J’acceptai aussitôt. Je m’étais déjà préparé à ce travail. Il m’était facilité par les relations que j’avais établies dans les milieux français et étrangers au cours des vingt-cinq années de journalisme politique. Enfin, Georges Mandel m’avait parlé de M. Mondanel en des termes élogieux.

M. Coutant me le fit rencontrer et, dès lors, s’établit entre nous la collaboration quotidienne la plus intime, en prenant bien entendu , les précautions nécessaires.

Guidé par un patriotisme ardent, M. Mondanel était un Chef exigeant et clairvoyant autant qu’un soutien incomparable. Grâce à ses instructions précises, riches d’expérience, j’ai pu mener à bien pendant quinze mois des enquêtes délicates et fournir de longs rapports sur les divers objectifs cités plus haut, sur Krug von Nida, Lequerica, Geissler, Deloncle et leurs acolytes. J’ai pu déceler plusieurs missions secrètes d’émissaires de Von Ribbentrop., comme ” Lenz “, ou de Goebbels, comme ” Mercier “, surprendre des entretiens diplomatiques, dérober une méthode allemande applicable aux Services de Renseignements dans la presse, etc…

C’est sur les ordres de M. Mondanel que je suis entré à l’agence ” Inter-France ” dont nous avons pu connaître la plupart des rouages et des objectifs et les détails de sa collaboration étroite avec les Services Officiels allemands et l’agence ” Transocean “.

C’est, guidé par lui, que j’ai pu réussir à faire échouer avec l’aide du S.R. français prévenu par mes soins, une gigantesque entreprise de propagande et d’espionnage montée par l’ami de Von Ribbentrop, ” Lenz “, qui avait pris contact avec Tremoulet de ” Radio-Andorre “.

D’accord avec M. Mondanel, j’ai tenu l’Ambassade des États-unis au courant des résultats de notre action.

Après la révocation de M. Mondanel, en avril 1942, je suis resté à Vichy suivant ses instructions.

J’ai continué de mon mieux jusqu’à la Libération l’œuvre largement amorcée. J’allais le voir aussi souvent que possible, chez lui à Pont-du-Château. Nous confrontions nos informations. Il m’apporta toujours un puissant réconfort moral et m’évita maints dangers. En juillet 1942, il me signala que j’étais l’objet d’une étroite surveillance, en raison de mes visites à l’Ambassade Américaine.

A Vichy, par les conversations recueillies dans les milieux allemands, j’avais acquis la certitude qu’il était considéré aussi bien par les diplomates que par la Gestapo, comme l’un de leurs principaux ennemis en raison de ses sentiments et de son expérience professionnelle.

Nous avions en conséquence préparé notre départ pour l’Afrique du Nord par l’Espagne avec M. Coutant quand il fut arrêté en décembre 1943 et déporté en Allemagne. J’étais allé le voir quelques jours auparavant. Mon passage à Pont-du-Château avait été signalé à la Gestapo sans que l’on eut pu, toutefois, m’identifier. Interrogé à ce sujet sous la menace du revolver et malmené, M. Mondanel n’a pas révélé mon nom.

Je lui dois la vie. Si j’ai pu rendre à notre Pays quelques services, c’est à Georges Mandel et à lui que je le dois.

signé René VALLET




Dix Ans dans les prisons sovietiques -Rencontre qvec le General OBERST RUDOLPH SCHMIDT

LES SOUVENIRS DE LUCIEN GOUAZé

Entre l’eau alourdie des orages prochains Et le ciel triste où s’attarde le cri Des goélands marins qui sentent le carnage, Seul, impuissant, vaincu, enchaîné à l’avant D’une sanglante galère, Un homme de chez nous, un homme d’aujourd’hui, Un soldat, un ami, un frère, Minute après minute, en attendant la mort Compte le temps. Prison de Kiev, 1952.

Ainsi se termine le recueil de Poèmes en sous-sol que notre camarade Lucien Gouazé écrivit durant ses dix années de détention dans les prisons soviétiques.

Dans la présentation de ce recueil — qu’il a bien voulu dédier à l’A.A.S.S.D.N., Gouazé résume ainsi ce que fut sa misérable existence

Ces « poèmes » ont une histoire : la mienne durant les quelques dix années les plus sombres de ma vie — une vie pourtant riche en aventures et partant et mécomptes ! Septembre 48-mars 58, cela fait presque dix ans et un long, très long voyage dans les sous-sols du Goulag. De ce « Goulag » au sens convenu et désormais habituel du terme (ensemble des camps de travail soviétiques), depuis Soljenitsyne et tant d’autres : revenant ou dissidents, on n’ignore plus grand-chose. Mais des « sous-sols » du Goulag, ces prisons secrètes, quasi hermétiques où s’exprimait pleinement le génie de Staline, a-t-on suffisamment parlé et écrit? Me référant à mes seules expériences : épreuves traversées, moments douloureusement vécus, lieux de « séjours » plus ou moins prolongés,

je pourrai citer parmi ces sous-sols, et successivement — dans l’ordre à la fois du temps et de l’espace :

Les geôles militaires de Baden-hei-Wien, la prison du M.V.D. de Kiev, les cellules compressées de la célèbre Ljoubjanka à Moscou et enfin pour l’absolu repos du combattant à genoux : l’Isolateur politique (Politisolator) de Vladimir, à quelques 180 km au N.-O. de Moscou, où j’ai passé la meilleure part de ma détention : un peu plus de sept ans.

Je dis bien la meilleure part — sans euphémisme ni ironie. Là, en effet, après des saisons d’isolement total et tatillon, je retrouvais enfin d’autres hommes — des compagnons avec qui rompre le pain, confronter ma misère à la leur et partager, de temps à autre, la même folle espérance de libération.

Mais là aussi, dans cette solitude partiellement rompue des cellules pour quatre, huit, douze, voire vingt ou vingt-cinq détenus, la règle s’humanise. Des livres, surtout en russe mais aussi en allemand, anglais et français, circulant dans la prison sous le contrôle vigilant (un message est si vite passé!) d’une bibliothécaire assermentée.

Mieux encore, quelques porte-plumes par cellule et de l’encre d’écolier sont à notre disposition. Le tirage au sort décide de l’ordre d’attribution entre détenus et de la durée de celle-ci.

Grâce à cet « écritoire », deux ou trois fois la semaine et les quelques feuilles de papier mendiées ici et là, aurait pu s’achever, pour moi, l’effort, résolu dès les premiers jours de ma captivité, de fixer mes pensées, mes impressions par le souvenir écrit — volonté de mémoriser à tout prix mon destin, douloureuse certes mais libératrice, qui m’arrache aux fantasmes suicidaires du désespoir, à l’abrupte réalité des murs et des barreaux et par-dessus tout à la stagnation du temps à ce présent figé qui n’en finit pas de broyer l’homme au creuset de sa solitude. Aurait pu s’achever… C’était compter sans les fouilles réglementaires et toujours imprévues entraînant, selon l’humeur du chef de la prison, soit un coup d’oeil rapide sur nos papiers, soit une rafle générale de tous les écrits — par définition suspects. C’était compter surtout sans les mises en route brutales pour quelque destination inconnue — le voyageur plus que jamais sans bagage abandonnant derrière lui le moindre bout de papier.

RENCONTRE AVEC LE GENERAL RUDOLPH SCHMIDT Dans son livre « Notre espion chez Hitler » , le Colonel Paul Paillole expose l’importance exceptionnelle des renseignements politiques et militaires recueillis par l’agent n° 1 de notre S.R., Hans Thilo Schmidt, entre 1933 et 1940. Frère du Général d’Armée blindée Rudolph Schmidt, rival du fameux Guderian, notre agent recueillait ses confidences, pillait sans vergogne ses secrets, trahissait sa confiance. Arrêté par l’Abwehr en 1943, Hans Thilo Schmidt provoqua la disgrâce de son frère, pourtant l’un des généraux favoris de Hitler et nanti d’un prestigieux commandement sur le front russe. Devant l’ampleur de la trahison de l’un de ses hauts fonctionnaires et dignitaire du Parti, devant l’extrême gravité de la sanction impliquée par le Führer à un Chef d’Armée de grande et respectable réputation, le III° Reich et maintenant la R.F.A., ont imposé une règle absolue de silence sur cette affaire d’espionnage sans précédent. Il y va, semble-t-il, de l’honneur de l’Allemagne! Limogé, le Général Rudolf Schmidt s’était retiré à Weimar, mortifié, amer. Il s’efforçait de cacher à son entourage les vraies raisons de sa disgrâce. Pourtant son calvaire n’était pas achevé. Accusé à Nuremberg, par les Soviets d’avoir toléré en Ukraine des sévices contre la population civile et les prisonniers, il fut arrêté en 1947 et transféré en Russie. Par un hasard extraordinaire il va rencontrer en prison notre camarade Gouazé qui ignore tout des circonstances qui ont provoqué l’effacement du Général Schmidt et son arrestation par les Soviets.

Il nous a semblé intéressant de connaître l’opinion de Gouazé sur ce Grand Chef de la Wehrmacht et de savoir comment celui-ci expliquait sa situation .

Voici le récit de notre camarade :

Je dois préciser qu’avant 1950, je ne connaissais du Général Rudolf Schmidt que le nom — un nom parmi ceux des maréchaux et généraux du Reich qui combattirent sur le front russe en 1941 et 42.

C’est en 1950, entre le 23 février et le 1er mars, dans la prison de passage de Kiev, que j’ai fait là connaissance du Général d’Armée Rudolf Schmidt.

Nous sympathisâmes et, au cours de nos conversations, il me précisa qu’en tant qu’ancien Gouverneur Militaire de Stanislav sur le front russe, il avait été arrêté en Allemagne de l’Est, dès 1947 et remis aux Autorités soviétiques d’occupation et qu’il faisait route, selon toute vraisemblance, pour Moscou. Ce n’est que quatre ans plus tard que je reverrai le Général Schmidt, ayant achevé, comme moi-même, entre les murs du « Polit-isolator » de Wladimir, son parcours du combattant sans armes, avec les étapes obligatoires de la Centrale de Kiev et de la célèbre Ljoubianka prison spéciale du Ministère de l’Intérieur à Moscou où il séjourna, autant qu’il me souvienne plus longtemps que moi, donc au moins pendant un an.

En décembre 1954, nous figurons, tous deux sur les états du bâtiments Central — dit Block III — de la prison de Wladimir, le Général Schmidt à la cellule 17 et moi dans la 45, en compagnie de détenus de différentes nationalités, sauf soviétique : Allemands, Autrichiens, Japonais, Hongrois, Finlandais et Grecs, ex-partisans du Général Markos. Au total, une douzaine de personnes. Ayant ainsi tracé « en gros » le cadre de ma deuxième et durable rencontre avec le Général Rudolf Schmidt, je ne saurais mieux faire que de reproduire ici les lignes que je lui consacre au chapitre X de Polit-Isolator sous le titre chargé d’espérance « Les Trompettes de Jéricho ».

« Enfin, un beau matin, nous est tombé du ciel un autre général , un vrai, celui-là, bien qu’il refuse de se faire appeler par son titre. M. Schmidt comme il persiste à se nommer ne vient pas de bien loin.

Simplement d’une cellule voisine qu’il a longtemps partagée avec le vieux Maréchal Von Kleist, quelques Allemands plutôt falots et un certain Paul, gendarme autrichien au passé immonde. L’odieux personnage, n’ayant plus de Juifs à torturer, s’en était pris aux deux vieillards. Pour commencer, il avait terrorisé Von Kleist, de manière si efficace, que sa victime, moralement brisée, devait expirer quelques mois plus tard à l’hôpital. Il s’attaqua ensuite au général Schmidt — sous prétexte que le vieil officier était né de mère anglaise . Au bout de plusieurs semaines d’incessantes bagarres, Schmidt, écoeuré, sollicita son transfert. Ce fut ainsi qu’il échoua parmi nous. Dès le premier jour, il se révèle un merveilleux compagnon. Cet homme qui, dans sa vie, n’eut pas d’enfant, possède l’art touchant d’être grand-père. Il économise sur sa propre nourriture afin de pouvoir aider les voraces imprévoyants que nous sommes, surtout aux heures difficiles de la soudure quand, du dernier colis il ne reste que la ficelle. Un grand-père qui sait également d’extraordinaires histoires : trois fois par semaine, entre sept et neuf, il nous a raconté les campagnes qu’il a faites, souvent conduites parfois gagnées, parfois perdues. Pologne, Hollande, France, Russie — c’est l’Europe entière, en armes et en sang, qui défile devant nous.

Le Général d’Armée Schmidt, un ancien de l’armée impériale, puis celle de la Weimar, professeur à l’École de Guerre, stratège et tacticien de valeur, n’obtint jamais son bâton de maréchal. Et pour cause, puisque, sous le IIIe Reich comme auparavant, il prétendait ne point cacher ses sentiments.

En 1940, il osa dire son fait à Goering, lors du bombardement sauvage et inutile de Rotterdam. En 1942, de ce front central dont il assurait la défense à la charnière à Voroniej, il écrivait à un ami berlinois : « Le Führer se prend pour Bonaparte. C’est son droit; le nôtre est d’admettre qu’il existe une différence entre un caporal et un brillant officier du génie sortie de l’école de Brienne. ». Le hasard voulu que cette lettre tombât entre les mains du Maréchal Keitel, son ennemi personnel, qui obtint facilement son rappel du front et sa mise à la retraite anticipée.

La guerre terminée, le destin, décidément malveillant, devait lui réserver encore un mauvais tour. Considéré comme hors de cause par les tribunaux militaires alliés, Schmidt, en 1947, se fit arrêter par les autorités de l’Allemagne de l’Est, lesquelles, sans doute au nom de cette souveraineté nationale qu’elles prétendaient représenter… le remirent aux Russes. Aujourd’hui, à soixante-sept ans avec tout son passé d’honnête homme derrière lui Schmidt prend ses malheurs en philosophe. Il n’a vraiment que deux regrets celui de n’avoir pu agir contre la folie nazie qui souilla son pays et celui d’être probablement condamné à mourir en terre étrangère. — Crever en pays russe, sans la consolation d’y être tombé en combattant quel abominable destin! Cette pensée le tourmente; dans nos conversations, à l’heure de la promenade, elle revient comme une rengaine. Ému, je proteste avec force : — Ce n’est pas ici que vous fermerez les yeux, monsieur Schmidt. J’en suis convaincu. Au fond, je ne suis évidemment sûr de rien. Mais pour lui comme pour moi-même, je veux, je dois croire en la Justice — sinon celle des hommes, du moins celle du Ciel. D’ailleurs, même dans notre univers hermétique, quelque chose a bougé et la prison tout entière est parcourue de frémissements. On perçoit déjà dans le lointain l’appel libérateur des Trompettes de Jéricho. Demain ou après demain, enfin un jour ou l’autre, s’écrouleront les murs de la « Maison des morts » et les chaînes tomberont de nos mains. De toute manière, en ce qui concerne le Général Schmidt, je ne me suis pas trompé : libéré en 1955, il mourra, un an plus tard, à Krefeld, en terre allemande.




La poche de Colmar

Il est admis que la ville de Colmar a été libérée le 2 février 1945 après plus de quatre années d’occupation – ou plus exactement d’annexion par le IIIem Reich.

En réalité, ce n’est pas une seule bataille qui a délivré la ville, mais cette libération résulte d’une série d’actions offensives puissantes tendant à rompre le dispositif ennemi et à ébranler la 19e Armée allemande.

C’est d’abord, le 20 janvier une attaque sur le flanc sud de la poche par le 1er C.A. du Général BETHOUARD.

Puis, le 22 janvier, le 2e C.A. intervient sur le flanc nord de la 19e Armée Allemande, le Général de MONSABERT ayant en outre à protéger Strasbourg.

Le 28 janvier, le XXIe C.A. américain prend place entre nos 1er , et 2e C.A. et, renforcé par notre 5e D.B., déborde Colmar par l’Est, pousse énergiquement verrs Neuf Brisach et fait jonction en deux points avec le 1er C.A.

En outre, la 10e D.I. du Général BILLOTTE, sur la ligne des Vosges, maintenait un contact étroit avec les forces allemandes pour empêcher celles-ci de participer à la bataille proprement dite.

Tout cela se passa d’abord par un froid sibérien complété par de violentes tempêtes de neige ; puis un dégel imprévu créa par le débordement des rivières un problème supplémentaire à résoudre.

Mais le Général de LATTRE, par son omniprésence, obtint de ses subordonnés qu’il dominassent victorieusement toutes les difficultés.

LA SITUATION GENERALE FIN 1944 – DEBUT 1945

Avant d’exposer ce que fut la bataille de Colmar il me paraît utile de faire un rapide tour d’horizon de la situation générale, et singulièrement de celle de l’Armée française qui opérait aux côtés des forces alliées.

En novembre 1944, le Français moyen considérait que la guerre était pratiquement terminée puisque Paris était libéré ainsi que les autres grandes villes. A part quelques « poches », l’ensemble du territoire retrouvait progressivement une vie normale. Bien sûr, quatre années d’occupation n’étaient pas sans avoir laissé des séquelles. Des restrictions affectaient encore la qualité des menus familiaux. Il y avait aussi les prisonniers dont le nombre avait été accru par celui des travailleurs du S.T.O. Quant aux déportés, on en parlait mais sans trop connaître leur nombre ni l’étendue de la souffrance qu’ils enduraient. La presse d’alors ne donnait guère que des informations sommaires sur les activités militaires. A peine parlait-elle d’une armée française venue d’Afrique qui avait cependant mérité ses chevrons en Tunisie et en Italie, et qui, sous les ordres du Général de LATTRE, avait rejeté la 19e Armée allemande au-delà des Vosges.

La propagande ennemie, de son côté, omettait volontairement de mentionner les succès remportés par nos troupes, comme s’ils eussent été négligeables. Ce fait n’était d’ailleurs par nouveau, car pendant la Grande Guerre – il faut le remarquer, le même genre de propagande ne parlait qu’avec dérision de la « misérable petite armée du Général Pershing ».

Ne soyons donc pas surpris si le Français moyen, reprenant peu à peu ses habitudes, ne prêtait que peu d’attention à notre armée. Celle-ci, mis à part ceux qui l’avaient rejointe volontairement, était pour lui une armée de métier, qui, de plus, devait son armement, ses équipements et ses vivres à la puissance américaine.

Ajoutons que l’armée du Général de LATTRE, en raison des missions qui lui étaient confiées, semblait principalement destinée à couvrir le flanc droit du dispositif allié débarqué sur notre territoire, et plus particulièrement celui de la 7e Armée US du Général PATCH.

Mais le futur Maréchal de France voyait loin, tout en remplissant simplement sa mission. Outre la servitude qu’il avait de tenir le front des Alpes et d’organiser la destruction des éléments ennemis qui tenaient encore quelques points de notre côte Atlantique, il considérait comme un impératif absolu de libérer entièrement l’Alsace. Ainsi serait-il en mesure par la suite, en menant une campagne victorieuse au-delà du Rhin, de participer à la capitulation de la Wehrmacht et des formations orgueilleuses du régime nazi.

Cependant il fallait pour cela obtenir de nos alliés un accord de participation avec attribution d’une zone d’opération qui, plus tard, serait le territoire d’occupation à nous dévolu, après la victoire finale.

Les opérations de novembre 1944 n’avaient pas permis, faute de moyens suffisants, de réaliser la jonction avec LECLERC, le libérateur de Strasbourg, La 19e Armée allemande était fortement entamée mais demeurait encore redoutable, n’ayant livré face à nous que des combats retardateurs, tous empreints d’une grande violence.

La trouée de Belfort et Mulhouse étaient libérées. Il fallait à tout prix conserver sur cet ensemble l’avantage acquis. Et surtout il ne fallait pas que l’ennemi ait le sentiment exact du degré de fatigue de nos troupes. C’est pourquoi furent ordonnées des actions offensives à courte portée, mais réitérées, destinées surtout à conserver le contact sur le pourtour de la poche de Colmar, autrement dit du territoire encore contrôlé par la 19e Armée.

L’optique de nos alliés différait quelque peu de la nôtre. La partie sentimentale de la situation leur échappait. La poche de Colmar ne constituait à leurs yeux qu’une zone d’opération secondaire, d’autant plus que le G-2, par une fâcheuse interprétation de renseignements, laissait entendre que la 19e Armée, très affaiblie, se préparait à un repli progressif de l’autre côté du Rhin.

Évidemment la 1ère Armée française avait reçu en renfort la 2e D.B. du général LECLERC et la 36e D.I. US, mais avec la lourde hypothèque d’avoir à renvoyer sur la poche atlantique la 1ère D.F.L. et la 1ère D.B.

Il n’en restait pas moins que notre armée avait à tenir un front de 200 kilomètres avec des lignes de communications étirées et de faible débit. Avec cela, de dures réalités devaient intervenir à la mi-décembre.

LA MENACE SUR STRASBOURG

Faisant une sorte d’impasse sur le front oriental, le Führer ordonna la fameuse offensive des Ardennes dont il espérait la rupture du front américain. Le Maréchal von RUNDSTEDT disposait à cet effet de très gros moyens. Dans le même temps, une autre offensive non moins brutale était déclenchée en Alsace avec pour objectif la reprise de Strasbourg.

La situation était devenue suffisamment grave pour que le Commandement Suprême Allié pût envisager de sacrifier Strasbourg, d’opérer un repli d’ensemble à l’ouest de la ligne des Vosges en attendant de pouvoir déclencher une vaste contre-offensive.

Pour nous Français il ne pouvait être question de voir abandonner presque sans combat la capitale de l’Alsace, et moins encore de voir les couleurs du IIIem Reich flotter de nouveau à la flèche de la cathédrale.

Le Général de LATTRE, fortement appuyé par le Général de GAULLE, chef du gouvernement, et par le Général JUIN, chef d’E.M. de la Défense nationale, avec la plus grande fermeté des trésors de diplomatie persuasive qu’il savait mettre en oeuvre quand la situation l’exigeait.

La réponse fut nette : c’était aux troupes françaises qu’incombait la défense de la ville, en dépit du repos qui leur était nécessaire, et cela sans espérer une aide américaine, car le Général PATCH – 7e Armée US – avait à faire avec la puissante tête de pont que l’ennemi avait réalisée à Gambsheim.

Il fallait faire face à l’immédiat, et c’est d’abord avec une poignée d’hommes se résumant à un groupe d’escadrons de gardes mobiles – les FFI locales ne dépassant pas la valeur numérique d’un bataillon et la fameuse brigade Alsace-Lorraine d’André MALRAUX – que le Général SCHWARZ réussit à contenir les premières tentatives allemandes vers Strasbourg.

Dès que ce fut possible – avec l’intervention de la 3e D.I.A., puis de la D.F.L., la défense de la ville prit une allure offensive destinée à gagner du temps en fixant l’ennemi.

BATAILLE DU RENSEIGNEMENT

Pourtant le Général de LATTRE avait déjà conçu la manoeuvre qui devait contraindre l’adversaire à évacuer la poche de Colmar et, par extension, à abandonner la tête de pont de Gambsheim. Le facteur ennemi était bien connu de lui, tout au moins pour ce qui concernait les G.U. au contact ou y intervenant.

Les moyens dont il disposait étaient les suivants : articulées en deux C.A. : 2èm DB (1er et 5e), la 3èm D.LA., la 1ère D.F.L., 2 divisions marocaines : 21èm D.I.M. et 4èm D.M.M. (cette dernière étant encore dépensée sur le front des Alpes) et la 91èm D.I.C. ; s’y ajoutaient des éléments de Réserve Générale comprenant les fameux Tabors marocains, les bataillons et commandos de choc, le régiment de Chasseurs para et une artillerie de renforcement. Il obtint en outre du Général de GAULLE l’intervention de la 10èm D.L formée à partir d’unités F.F.I. qui avaient fait leur preuve mais dont l’insertion dans le dispositif de l’Armée nécessitait un certain délai.

Un chef a toujours besoin de renseignements, aussi bien pour la sûreté des troupes que pour la sienne propre – et aussi pour mettre le facteur temps de son côté.

Le Général de LATTRE disposait à cet effet du S.R.O. (1) – survivance de notre SR. traditionnel dont les antennes étaient adaptées à chacune des G.U. engagées -; juxtaposée au S.R.O. une section du T-R (2) dont nous verrons qu’elle fut extrêmement utile.

En face d’un front continu, le S.R.O. était en mesure de fournir aux G.U. des renseignements sur les zones de contact et leurs arrières immédiats, mais il se trouvait en défaut pour ce qui concernait la profondeur de l’adversaire, tant pour les réserves d’armée que pour les renforcements qui pouvaient provenir du Reich. Fort heureusement la liaison étroite qu’il entretenait avec le Colonel POURCHOT, chef de « Bruno », notre poste de Berne, permettait de combler cette lacune, du moins partiellement.

Il y avait aussi, car tout grand chef a des informateurs personnels, les excellentes relations que le Général entretenait avec M. René PAYOT, une éminente personnalité helvétique. Par cette voie il recevait les connaissances que le Commandement de l’Armée suisse pouvait obtenir, avec toutefois une certaine réserve. En effet, les services du Reich ne manquaient pas de faire parvenir par des voies diverses des informations apparemment recoupées contenant aussi des renseignements incomplets ou même faux, enveloppés d’indications valables et vérifiables, mais appartenant déjà au passé. L’O.K.W. laissait ainsi supposer que malgré l’évolution de la situation sur le front oriental, il conservait une entière liberté d’action. Ce n’était ni plus ai moins qu’une manœuvre d’intoxication dont le 2èm Bureau de l’Armée n’était pas dupe.

Le Général de LATTRE demanda donc au S.R.O, de rechercher à tout prix des renseignements valables à son échelon.

Une équipe de deux jeunes officiers, à la fois choisis et volontaires, fut donc implantée au Wurtemberg avec l’aide de « Bruno » et de certains officiers du S.R. helvétique. Leur mission ne devait durer que 10 à 15 jours. Tous deux, habillés en « Gefreiter » et pourvus de papiers de volontaires de la Wehrmacht disposaient de titres de convalescence pour maladies contractées sur le front russe. Tout se passa pour le mieux. Il faut dire qu’ils bénéficièrent de complicités plus ou moins inconscientes, car beaucoup d’Allemands, sentant approcher la défaite et l’écroulement du régime nazi, éprouvaient le besoin d’étaler ce qu’ils savaient devant ces jeunes hommes censés risquer leur vie pour une cause qui n’était pas la leur, ni même celle du peuple allemand. Il n’y eut d’alerte pour eux qu’au retour. Alors qu’ils franchissaient la frontière helvétique, des hommes du « Grenzwache » les prenant sans doute pour des déserteurs ouvrirent sur eux un feu heureusement imprécis et sans résultat.

Grâce à eux, le Général de LATTRE apprit ce qu’il désirait savoir sur les possibilités de renforcement de la 19e Armée et que la D.G.S.S. beaucoup plus préoccupée par la politique n’était pas en mesure de lui fournir. Outre les unités qui pouvaient intervenir au profit de la 119e Armée, ils signalèrent la réalisation du Messerschmitt 262 – avion de chasse à réaction destiné à intervenir sur les deux fronts et dont la cadence de sortie était encore très faible.

Ayant ainsi acquis une connaissance à peu près totale de l’Ordre de Bataille ennemi, le Général pouvait en déduire l’existence d’un certain équilibre des moyens en présence. Toutefois, si en matière d’engins blindés la 1ère Armée française détenait l’avantage du nombre qualitativement, les chars allemands l’emportaient dans les domaines de la portée efficace de leurs armes et la valeur de leurs blindages. En revanche l’artillerie française dominait indiscutablement celle de l’ennemi, malgré les tirs intermittents de pièces lourdes – sur voie ferrée, qui à l’abri du Kaiserstuhl harcelaient dangereusement nos unités. Enfin l’aviation amie avait la maîtrise de l’air et son intervention dans une bataille au sol n’avait à redouter que la « Flak » et éventuellement une météo défavorable.

Il fallait donc imposer sa volonté à un adversaire bénéficiant des avantages d’une position centrale, en le trompant sur ses propres intentions et en particulier sur sa véritable direction d’effort.

C’est ainsi que le 3èm Bureau fut amené à établir, dans le plus grand secret et sans connaître exactement les véritables intentions du « patron », une I.P.S. et des instructions complémentaires qui furent présentées à la signature du Général.

En fait, le véritable destinataire de ces documents « Top Secret » n’était autre que le général commandant la 19e Armée allemande.

La Section T.R., grâce à un « W » bien placé, put faire parvenir ces documents à leur destinataire en « les lui communiquant pour une courte durée » sous le prétexte qu’ils n’avaient pas été dérobés mais simplement « empruntés », compte tenu de leur importance.

Il fallait en outre matérialiser ponctuellement les ordres du Général de LATTRE. On introduisit pour ce faire une division blindée toute fraîche… mais fictive, dans le réseau radio de l’Armée, tandis que certains de ses chars, circulant ostensiblement, attiraient l’attention des agents de renseignement ennemis.

Ajoutons que dans la zone du 2e C.A. certains mouvement d’unités transportées purent être observés.

LES DERNIERS PREPARATIFS

Ayant ainsi contraint l’adversaire à l’expectative et à un gaspillage des possibilités que lui offraient ses lignes intérieures, le Général put s’assurer du facteur « temps ». Désormais son « Plan de Noël » allait prendre une tournure concrète en tendant à l’exécution d’une offensive de rupture.

Entre-temps la bataille pour Strasbourg avait été gagnée, mais au prix de lourds sacrifices. La 3èm D.I.A. et la 1ère D.F.L. s’y employèrent avec plus que du courage – pour ne citer que l’héroïsme du BM.24/Bataillon de Marche du Pacifique qui n’a que peu d’équivalents dans notre histoire.

Aux côtés de nos troupes, le 6e C.A. US abandonnant toute idée de repli et malgré des pertes sérieuses se battit victorieusement dans la région de Gambsheim.

Notre 1er C.A. recevait dans son dispositif la 4èm D.M.M. encore limitée à 2 Régiments d’Infanterie et à un groupe d’Artillerie, le reste de ses moyens devant arriver ultérieurement du fait des difficultés des transports routiers. Cette belle division reçut en partage – en raison des qualités naturelles de ses personnels, les contreforts des Vosges épaulant à l’Est-Sud Est la 10èm Division (Billotte) qui malgré un retard d’une dizaine de jours prenait à son compte le secteur des Vosges et des crêtes.

Il restait à résoudre le problème de la logistique sans laquelle une armée moderne peut devenir inopérante. Ce fut l’oeuvre du 4èm Bureau de l’Armée, lequel devait parvenir à approvisionner nos C.A. en munitions, en carburant et en vivres en vue de toute la bataille, tout en préservant absolument le secret des opérations.

De plus, il fallait prévoir les évacuations, tant du fait des intempéries que – surtout – des pertes sensibles que l’adversaire ne manquerait pas de nous infliger. Le réseau routier dont nous disposions n’avait qu’un faible débit, tout comme la voie ferrée unique qui nous reliait aux bases méditerranéennes.

Le Colonel ALLARD, chef du 4èm Bureau, fit de véritables acrobaties, car le commandement n’entendait pas différer d’un jour la date prévue pour le déclenchement de l’offensive. L’insistance du Général de LATTRE nous valut heureusement de bénéficier de certaines priorités sur les axes de circulation.

LE 1er CORPS D’ARMÉE PASSE A L’ACTION

Enfin le 20 janvier 1945 ce fut – en accord avec les Alliés, l’attaque non pas sur la direction Nord-Sud comme le prévoyait le Commandant de la 19e Armée allemande (préalablement intoxiqué comme nous l’avons vu, et de plus alerté par les mouvements de troupes dans la zone de notre 2e C.A.), mais par le 1er C.A. du Général BETHOUARD.

Un déluge d’artillerie réalisé par 102 batteries s’abattit sur un ennemi totalement surpris. Toutefois, le général RASP qui commandait la 19e Armée allemande disposait d’excellentes troupes et avait reçu le renfort de la fameuse brigade blindée SS « Feldhernhalle » et de la 2e Division de Montagne en provenance de Finlande. Même surpris, l’adversaire du Général de LATTRE pouvait faire face à toutes les éventualités grâce au dispositif resserré de son armée. De plus, dès le début de l’offensive française, une tempête de neige d’une rare violence vint contrarier sérieusement l’action du 1er C.A. attaquant d’Ouest en Est avec la 4èm D.M.M., la 2èm D.I.M. et la 9èm D.I.C. ; la 1ère D.B. étant son élément de manoeuvre.

La 4èm D.M.M. appuyée aux contreforts des Vosges, est bloquée peu après son démarrage, les chars ne pouvant accompagner ses mouvements.

Au centre, la 2èm D.I.M., bien que placée au départ dans des conditions aussi difficiles, réussit à atteindre la forêt de Nonenbrück, la route de Thann à Mulhouse et à aborder Cernay par le sud, le tout se soldant par un gain de 5 kilomètres.

Enfin la 9èm D.I.C. opérant dans un secteur comportant un véritable enchevêtrement de petites localités, réussit grâce à un audacieux coup de main du 23èm R.I.C. à s’emparer d’un passage sur la Doller ; puis, énergiquement appuyée par le CCI de la 1ère D.B., libère dans la foulée Pfalstatt, Lutterbach, Bourtzwiller, Illzach et Kingersheim, repoussant chaque fois de vives réactions de l’ennemi.

Finalement cette première journée ne donne pas les résultats escomptés. Toutefois elle permet d’apprécier l’allant et la combativité des jeunes Français qui avaient assuré, au sein de la 9èm D.I.C. les éléments africains en raison des rigueurs du climat.

La journée du 21, avec des conditions atmosphériques inchangées, n’apporte pas les succès souhaités.

La 4èm D.M.M. en est réduite à repousser des contre-attaques ennemies.

La 2èm D.I.M. subit elle aussi une très dure contre-attaque, mais parvient à reprendre le terrain perdu la veille, et même à réaliser une légère avance .

La 9èm D.I.C. enfin, se heurtant à une très forte résistance allemande, peut ici et là grignoter le dispositif adverse.

Le 21 janvier au soir, le Général BETHOUARD constatant la baisse du moral et la fatigue de ses troupes, exprime au Commandant en Chef la nécessité d’adopter pour un temps une attitude défensive. Mais le Général de LATTRE est inflexible et au cours d’un contact direct avec les cadres supérieurs du 1er C.A., il maintient l’ensemble de ses directives – son intention étant de déclencher le lendemain l’offensive du 2e C.A. – l’autre mâchoire de l’étau qui doit enfermer la 19e Armée allemande. Il ne peut laisser aucun répit à l’ennemi.

Le 22 janvier, les conditions atmosphériques sont encore plus mauvaises que les jours précédents. Mais est-ce l’influence personnelle du Commandant en Chef ? Toujours est-il que le 1er C.A. reprend son offensive en dépit de la fatigue et de l’insuffisance de sommeil. La 4èm D.M.M. s’empare de Reiningue tandis que la 9èm D.I.C. repousse de fortes contre-attaques en infligeant de lourdes pertes à l’ennemi.

Dans la nuit du 22 au 23 janvier, cependant que le 2e C.A. s’apprête à entrer en action, des remaniements de détail sont opérés au sein du 1er C.A.

La 4èm D.M.M., adoptant une attitude défensive, relève la gauche de la 2èm D.I.M. pour permettre à celle-ci de concentrer ses efforts tandis que des éléments F.F.I., ayant reçu les numéros de tradition du 2èm B.C.P. et du 152èm R.I., s’insèrent entre la 2èm D.I.M. et la 9èm D.I.C.

Au cours des trois jours suivants le 1er C.A. obtient quelques succès de détail. C’est ainsi que la 9èm D.I.C., appuyée par les CC1 et CC3 de la 1ère D.B. finit, après s’être emparée de plusieurs localités, par capturer une centaine de prisonniers appartenant pour la plupart à la Brigade SS « Feldhernhalle ». De son côté la 2èm D.I.M. réalise une poussée en direction de Wittelsheim.

L’ENTREE EN JEU DU 2e C.A.

Comme prévu, le 2e C.A. entre en jeu dans la nuit du 22 au 23 janvier 1945.

La 1ère D.F.L, et la 3e D.I. US attaquent conjointement en direction du Sud-Est à partir de la ligne Grieman-Ostheim. La forêt communale de Colmar et Illhausern sont atteints ; une tête de pont sur l’Ill est réalisée.

L’ennemi réagit avec le gros de ses blindés. Arrêté par nos feux d’artillerie, il conserve cependant des passages sur la Fecht.

La 2èm Division de Montagne, encore incomplète, intervient dans cette action sans toutefois faire preuve de mordant – composée en grande majorité d’Autrichiens elle ne semble pas (aux dires des prisonniers) animée des mêmes sentiments que les autres G.U. de la 19e Armée. Celle-ci, persuadée d’autre part que notre objectif était Colmar, a immobilisé pour la défense de la ville des unités qui auraient pu intervenir dans la bataille en cours.

Les combats font rage jusqu’au 27 janvier en vue de la possession de Jebsheim et de Grüssenheim. Des deux côtés les belligérants sont épuisés. Finalement les légionnaires de la 13èm Demi-Brigade parviennent, avec l’appui des chars de la 2èm D.B., à s’emparer de Grüssenheim. La 1ère D.F.L. tient les positions acquises jusqu’à la matinée du 29, lorsque l’ennemi qui tente de revenir en force depuis plus de 24 heures finit par lâcher pied sous les tirs combinés de notre artillerie et de nos chars.

L’adversaire laisse plus de 200 tués sur le terrain et autant de prisonniers. Les pertes françaises sont, hélas, également lourdes avec 20 officiers et 300 gradés et hommes de troupe hors de combat. A noter que cette affaire a fait apparaître la qualité des blindages des chars allemands « Tigre » et « Panther », invulnérables à nos projectiles anti-chars. Il fallut faire donner l’artillerie, avec ses obus fumigènes, pour détruire un certain nombre de ces blindés.

Ce fait d’armes du couple 1ère D.F.L./2èm D.B. donne lieu à une exploitation immédiate.

Le 30 et le 31 janvier nos troupes poussent en direction du Rhin et, le 1er février, s’emparent de Markolsheim.

LE GENERAL DE LATTRE PREPARE LA DERNIÈRE PHASE

Le Général de LATTRE sent que la partie est sur le point d’être gagnée. Pour emporter la décision il lui faudrait un appoint de troupes fraîches. Le 6e Corps d’Armée US dont il dépend finit par accéder à ses demandes. Il faut dire qu’entre temps l’offensive de von RUNDSTEDT s’est soldée par un échec et que le Haut Commandement américain dispose de réserves. C’est ainsi que le 21e C.A. US – dont les 3e et 28e D.I. se trouvaient déjà en place dans notre dispositif, est mis à la disposition de la 1ère Armée française qui reçoit l’appoint de la 75èm D.I. et surtout de la 2èm D.B. US.

Sûr du résultat final, le Général de LATTRE prend l’engagement de remettre ces G.U. à la disposition de l’échelon supérieur à la date du 10 février. En même temps le Commandant en Chef de la 1ère Armée française se voit accorder un sursis en ce qui concerne l’envoi de deux de ses divisions sur la poche de Royan.

Le 21e C.A. US prend donc place entre les 1er et 2e C.A. français, cependant que la 1ère D.F.L. et la 2èm D.B. (LECLERC) reçoivent la mission de liquider les poches résiduelles ennemies à l’ouest du Rhin. Il s’agit là d’éléments sacrifiés pour permettre l’évacuation à l’est du fleuve des débris de la 19e Armée. Celle-ci avait reçu l’ordre formel de tenir jusqu’au dernier homme la « tête de pont Alsace », mais le Général RASP ne se faisait plus aucune illusion.

Tout pouvait donc aller très vite. Dans la zone du 2e C.A., depuis la prise d’Erstein et de Markolsheim, l’ennemi ne disposait plus du côté Est que d’un étroit couloir entre l’Ill et le Rhin.

Au sud, le 1er C.A. poursuivait patiemment le « grignotage » auquel il avait été contraint par la force des choses. Bloqué devant Cernay, il poussait en direction de Wittelsheim et de Vieux Thann.

Le 21e C.A. US entra en action le 28 janvier au soir, et cela se sentit d’autant mieux que les divisions américaines disposaient d’un soutien logistique permettant toutes les audaces. La 75èm D.I. ne devait toutefois intervenir que le 1er février.

LA BATAILLE DE COLMAR

Disposant désormais de 3 C.A. (13 divisions + les éléments de réserve générale) – soit près de 400.000 hommes et 1.000 pièces d’artillerie, le Général de LATTRE est à même de passer à la dernière phase de son plan.

Son objectif prioritaire est Brisach sur lequel convergent les actions de ces Corps. En même temps il se réserve des effectifs en bordure du Rhin de Markolsheim pour renforcer si nécessaire la défense de Strasbourg.

Le 21e C.A. US qui dispose (outre les divisions américaines mentionnées plus haut) de notre 5èm D.B. (Vernejoul), du 1er Groupement de Choc et de notre 1er Régiment de Parachutistes, est chargé de l’effort principal. Il doit forcer sur Brisach en effectuant sa jonction avec le 1er C.A. Français et libérer Colmar entre temps si les circonstances le permettent.

La 3e D.I. US et la 5èm D.B. franchissent le Canal de Colmar dans la nuit du 29 au 30 janvier et atteignent Widensolen le 1er février. Plus à l’Est, grossies des commandos de choc et du 1er R.C.P., elles se heurtent à une défense ennemie extrêmement forte.

A l’Ouest, la 75e D.I. US, appuyée par le CC4 (SCHLESSER) de notre 5èm D.B., prend pied à Horbourg et progresse au delà en mettant l’ennemi en situation critique.

Mais la Météo favorise une fois de plus l’adversaire. Un printemps inattendu provoque prématurément une fonte des neiges transformant ruisseaux et rivières en fleuves et détruisant bon nombre de ponts indispensables. Les troupes du génie doivent de ce fait accomplir des prodiges pour permettre – au prix de lourdes pertes, la poursuite de l’offensive. Grâce aux sapeurs américains et français, la progression reprend à un rythme accéléré.

Au Nord, le 21e C.A. atteint le Rhin le 31 janvier, obligeant l’ennemi à décrocher.

Le 21e C.A. US, renforcé par la 2èm D.B., déborde Colmar par l’Est et le Sud-Est et pousse en direction de Brisach. L’ennemi qui s’attend toujours à une attaque en force de Colmar par le Nord, maintient inutilement des forces dans la ville au détriment de sa manoeuvre d’ensemble.

Le Général RASP tente alors de protéger le repli de son armée par Brisach en lançant une contre-attaque désespérée sur Ibshiem en y consacrant toute son artillerie et ses blindés disponibles. Après un succès partiel, ses troupes subissent en deux jours de combat de très lourdes pertes et sont contraintes au repli.

Le Général de LATTRE estime alors que les circonstances sont devenues favorables pour que Colmar puisse être cueillie comme un fruit mûr ». Sans pour autant abandonner l’objectif de Brisach prévu, il ordonne au 21e C.A. US de maintenir sa pression vers l’Est (75e D.I. US) sur Sundhoffen et Andolsheim et d’attaquer Colmar par surprise (28e D.I. US).

Le 2 février, peu avant midi, nos blindés du CC4 (Général SCHLESSER) qui, par un geste chevaleresque du 21e C.A. et de la 28e D.I. US, avaient reçu l’honneur d’entrer les premiers dans la ville, arrivaient sur la place Rapp. Le nettoyage ne demandera guère que deux jours. Nous reviendrons plus loin sur le détail de cette manoeuvre au résultat capital, car la poche de Colmar était encore partiellement tenue par un ennemi dont il fallait couper la retraite.

Au 1er C.A. – simple coïncidence peut-être, tout s’accélère avec la nouvelle de la prise de Colmar.

Le 3 février, la 4èm D.M.M. s’empare de Cernay la 2èm D.I.M. entre à Wittelsheim tandis que la 9èm D.I.C. atteint la route Wittelsheim-Ensisheim et aborde ce dernier village au cours de la nuit. Il lui faudra néanmoins 24 heures pour le conquérir.

Le 4 février, la 4èm D.M.M. est à Rouffach et fait jonction le lendemain matin avec la 12èm D.B. du 21e C.A. US ; le 1er C.A. pousse le 6 février vers Chalampé et s’empare de Fessenheim le 7 tandis que l’E.M. de la 19e Armée allemande l’avait abandonné la veille.

Les derniers bouchons ennemis s’effondrent un à un le 9 au matin ; la 2èm D.I.M. et la 9èm D.I.C. bordent le Rhin, et à 8 h les derniers éléments ennemis se replient en territoire allemand en faisant sauter le pont de Chalampé.

C’est la fin de la « tête de pont Alsace ».

Au Nord, les opérations se déroulent sur un rythme analogue. Le 21e C.A. US s’empare sans coup férir de la citadelle de Neuf Brisach (3e D.I. US). Pivotant autour d’elle, les 28e, et 75e D.I. US et la 2èm D.B. française foncent sur Chalampé. Ainsi que nous l’avons dit plus haut, la jonction avec le 11e C.A. s’effectue le 5 février et se renforce le 7. Dans la journée du 8, c’est le nettoyage de la Forêt de Hardt et le 9 c’est, répétons-le, le repli définitif des débris de la 19e Armée.

Enfin sur la ligne des Vosges, la 10èm D.I. du Général BILLOTTE participe également à cette phase ultime de la bataille en nettoyant les vallées de la Fecht et de la Lauch dans les journées du 4 et du 5 et en liquidant le noyau de résistance du Hohnek. La route des crêtes est dépassée après la chute de Markstein et du Grand Ballon. Prenant liaison avec la 4èm D.M.M., la 5èm D.B. achève le nettoyage des contreforts des Vosges en s’emparant d’Osenbach et, dans la journée du 6 février, de Soulzmatt, dernier point où l’ennemi marque encore une volonté de tenir.

UN BILAN GLORIEUX

La bataille de Colmar s’achève donc victorieusement le 9 février 1945 et le Général de LATTRE peut, comme prévu, remettre le 21e C.A. à la disposition du Haut Commandement U.S.

Chèrement acquise, la victoire n’en est pas moins incontestable. La 19e Armée allemande a laissé entre nos mains plus de 20.000 prisonniers, 70 chars et 80 canons. Selon nos estimations les plus vraisemblables, elle a perdu 6 à 7.000 tués et au moins 25.000 blessés non remplacés. Néanmoins, elle a pu replier à l’Est du Rhin de 40 à 50.000 combattants.

De notre côté, les pertes sont sévères : 2.437 tués dont 542 US, près de 12.000 blessés dont 2.700 US. En outre il y eut plus de 7.000 hospitalisations pour gelures, maladies ou accidents.

Mais il y avait la joie intense d’avoir conservé à l’Alsace – et intactes, ses capitales Nord et Sud, et d’avoir délivré les populations de la plus lourde oppression. C’était du positif qui cependant ne pouvait empêcher le Commandant en Chef de penser à tous les jeunes hommes et à tous les officiers qui, par leur sang, en avaient payé le prix.

Si la jonction Nord et Sud avait pu s’opérer selon ses prévisions, la 19e Armée allemande tout entière aurait disparu de l’Ordre de Bataille ennemi. Une exploitation immédiate du succès aurait peut-être pu s’opérer alors en plaine de Bade. Mais il fallait faire face aux nouvelles réalités et tenir solidement la rive française du Rhin ; mettre à l’instruction et intégrer les formations françaises issues de la Résistance, afin de permettre à notre Armée de jouer un rôle prépondérant dans la nouvelle campagne qui allait s’ouvrir sur le territoire du Reich.

Mais ce futur sort des limites de notre exposé.

RETOUR A LA LIBÉRATION DE COLMAR

Revenons donc à la Libération de Colmar – que nous avons à peine mentionnée, en nous référant au journal de marche de la 5èm D.B. et à quelques témoignages de combattants.

Mis à la disposition du 21e C.A. US, le CC4 opérant en liaison avec la 3e D.I. US avait accentué le débordement de Colmar par l’Est et s’était emparé de Wihr et de Plaine, le 30 janvier.

Le 1er février, en liaison avec la 75e D.I. US, elle avait occupé Horbourg, localité au nord-est de Colmar et, tout près de l’agglomération, elle avait pris Andolsheim et abordé Sundhoffen.

C’est à ce moment que le Général de LATTRE décida de s’emparer de Colmar. La 75e D.I. US opéra une diversion sur Andolsheim avec une forte démonstration d’artillerie, cependant que le CC4 – mis à la disposition de la 28e D.I. US, prenait toutes les mesures nécessaires pour attaquer Colmar par le nord, le 22 février au matin. Pour cela il dut effectuer, pendant la nuit du 1er au 2, une conversion par Bischwihr, Riedwihr et franchir l’Ill au pont de la Maison Rouge.

L’attaque démarra à 7 h mais se heurta à un large fossé anti-char déjà bordé par le 109e Régiment d’Infanterie US. Un trou découvert permit à deux des sous-groupements (Préval, puis du Breuil) de s’y engouffrer au prix de quelques escarmouches qui nous valurent de faire une cinquantaine de prisonniers. Vers 11 h 30, le sous-groupement Préval arrive sur la place Rapp. Du Breuil le dépasse, traverse la ville en trombe et libère Wintzenheim au sud-ouest de Colmar. En fin d’après-midi, Wettolsheim et Equisheim sont libérés.

Le 1er R.E.C. intervient à son tour et atteint Herzlisheim. L’ennemi totalement surpris n’abandonne pas pour autant la partie. L’est et le sud-est de la ville sont encore assez solidement tenus par des nids de résistance. De petites contre-offensives sont même déclenchées, mais repoussées.

Durant la nuit, le Bataillon de choc et le 1er R.C.P., appuyés par les chars, procèdent au nettoyage de la ville et des faubourgs du sud-est. Cette affaire dure encore toute la matinée du 3, et au début de l’après-midi les autorités civiles peuvent être accueillies par les libérateurs.

Bien sûr, c’est la 5èm D.B., et surtout le CC4 qui ont libéré la ville, mais ce fait d’armes résulta de l’ensemble de la manoeuvre conçue et ordonnée par le Général de LATTRE et exécutée par la totalité de l’Armée : le 21e C.A. US ; les 1er et 2e C.A. et les éléments non-indivisionnés, y compris l’aviation qui, chaque fois qu’elle put intervenir pesa de tout son poids dans la balance du succès.

Nous avons vu qu’après la libération de Colmar, le gain définitif de la partie n’était plus qu’une question de quelques jours.

Avec une joie intense, la ville de Colmar retrouva rapidement son rythme antérieur d’activités et manifesta sa gratitude aux libérateurs. La population tout entière s’était massée le 8 février pour acclamer les troupes américaines et françaises, ne ménageant pas les applaudissements aux uns comme aux autres et dont les chefs eurent largement leur part.

Le 152èm R.I. – notre glorieux 15-2 reconstitué et ayant participé à la bataille retrouvait sa garnison de tradition. Le 10 février, en présence du Général de GAULLE, il recevait son drapeau auquel était attaché le titre de 1er Régiment de France.

Nos Alliés non plus, notamment le Général EISENHOWER, Commandant Suprême des Forces Alliées, et le Général DEVERS, Commandant le 6e Groupe d’Armées, ne ménagèrent pas leurs félicitations en soulignant l’étroite fraternité d’armes qui avait marqué toute la bataille.

Mais tous les grands événements ont leur épilogue. Un an plus tard, le Général de LATTRE devenu Chef d’État-major Général de l’Armée reçut partout en Alsace les témoignages inoubliables de la reconnaissance des populations. Et au cours d’une imposante prise d’Armes qui eut lieu à Strasbourg, M. BOLLAERT, Haut Commissaire de la République, lui remit en souvenir de ses victoires une réplique du sabre du Général KLÉBER, identique à celui que porte sur sa statue le héros des Guerres de la Révolution. Dans son allocution, M. BOLLAERT ajouta même que « si le grand empereur vivait encore, il eût décerné au Général de LATTRE le titre de « Prince d’Alsace »…, et ceci aux vibrants applaudissements de la population.

Mais je précise que nous qui étions sous ses ordres avions pris les devants. Une tradition du Moyen-Age voulait que le chef victorieux fût élevé sur le pavois par ses Guerriers et reçût le titre de Roi. Et c’est spontanément que nous avions déjà décerné à notre Grand Chef le titre respectueux et empreint d’affection de « Roi Jean ».




FORTITUDE (force d’âme): L’intoxication au service d’Overlord

A Londres, le 16 juin 1944, j’étais allé prendre congé du Général Bedell-Smith, chef de l’État-Major du Général Eisenhower, et du Colonel Scheen, chef de son 2e bureau. Depuis le 10 mai 1944, je participais avec eux à l’organisation des Services de Sécurité dans les grandes unités alliées et sur les territoires français qu’elles devaient libérer à partir de juin 1944.

En dépit de la résistance allemande en Normandie, des raids des bombes volantes V1 et de l’offensive annoncée des fusées V2 sur l’Angleterre, leur optimisme était intact. …” La Déception marche fort “… m’avait confié Scheen faisant allusion au plan d’intoxication mis en oeuvre par les alliés depuis février 1944 pour tromper l’ennemi sur leurs intentions.

Grâce à un stupéfiant effort scientifique qui annonçait l’ère de l’ordinateur, nos amis captaient et décryptaient les messages radio les plus secrets en un temps record. Scheen me faisait lire deux fiches. L’une était la transcription du déchiffrement d’un message du Général Oshima, ambassadeur du Japon à Berlin, informant son gouvernement de son entretien du 1er juin 1944 avec Hitler. Le Führer estimait terminés les préparatifs alliés pour un débarquement imminent en Normandie ou en Bretagne, prélude à une opération d’envergure sur le Pas-de-Calais. L’autre fiche concernait un message du 14 juin d’Oshima à Tokyo… Le ” Haut Commandement allemand estime qu’il serait dangereux de s’engager à fond en Normandie alors que l’armée Patton est toujours en Angleterre “. L’Ambassadeur ” rassurait ” ainsi son gouvernement, inquiet de l’absence d’une contre-offensive suffisamment puissante pour rejeter les troupes débarquées à la mer. Leur tête de pont avait une profondeur moyenne de 12 kilomètres sur une longueur de 80 km entre Caen (solidement tenu par la Wehrmacht) à l’est et Montebourg à l’ouest, dans le Cotentin. Au nord de la Seine, la XVe Armée allemande demeurait l’arme au pied, face au Pas-de-Calais et les importantes réserves – notamment de blindés – à la disposition exclusive du Führer, attendaient des ordres. Tels étaient le 16 juin 1944 lorsque je quittais Londres pour Alger, les effets de ” Fortitude “, le plan de ” Déception ” dont Scheen se réjouissait des effets.

Fortitude et Bodyguard

Historiens, romanciers, journalistes se sont maintes fois emparés de ” Fortitude ” pour montrer, chacun à sa façon, ce que fut l’intoxication de l’adversaire dans la réussite du débarquement allié de juin 1944. Rarement a été montré le rôle – modeste certes – de la participation française dans cette gigantesque ruse de guerre. Rarement en ont été évoqués les origines de sa conception et les précédents qui ont justifié sa mise en application.

Je remercie la Saint-Cyrienne de me permettre de préciser ici quelques souvenirs. C’est le 23 janvier 1944 que les chefs d’État alliés (Roosevelt, Churchill, Staline) signèrent le plan d’intoxication Bodyguard à mettre en oeuvre dans le cadre de la guerre contre l’Allemagne et le Japon. Son but était ” d’amener l’ennemi à adopter des dispositions stratégiques inadaptées face aux opérations militaires alliées décidées à Eureka “. Plus loin, le texte allié précisait : … ” Nous devons persuader l’ennemi de disposer ses forces de manière qu’elles ne puissent intervenir que le moins possible contre les opérations Overlord et Anvil … ” Les études relatives à la préparation d’Overlord et Anvil étaient en chantier depuis longtemps et le projet d’offensive sur le Pas-de-Calais, abandonné. Les côtes, souvent abruptes, étaient défendues par des fortifications denses, importantes et par la XVe Armée allemande, de qualité et sur le qui-vive. Les larges plages de Normandie avaient déterminé la préférence alliée que Téhéran confirmait en créant en Angleterre un commandement suprême (SHAEF) confié au Général Eisenhower avec mission de mener à terme les opérations Overlord et Anvil. Cet ensemble de décisions découlait des enseignements des opérations d’intoxication en Méditerranée menées par la Force A avec succès.

La Force A

Le 28 mars 1941, l’IS (MI6) avait chargé l’un de ses spécialistes de l’intoxication, le Colonel Dudley-Clark, de mettre ses compétences à la disposition du Général Wavell, Commandant en Chef au Moyen-Orient. Ainsi naquit la Force A qui se rendit compte, très vite, que ses succès ne pouvaient qu’être liés à l’efficacité d’agents qu’elle réussirait à introduire dans les Services Spéciaux ennemis pour les tromper.

Recrutement délicat, difficile, qui exigea de longs mois d’efforts pour de maigres résultats. Tout allait changer à partir du débarquement allié en AFN (novembre 1942) et de l’appoint décisif des Services Spéciaux Français. Évadé de France, j’arrivais à Alger le 3 janvier 1943 après avoir rencontré à Londres mes camarades de l’IS et m’être entendu avec leur chef, le Général Menzies, sur les modalités de notre travail commun, notamment dans le domaine de l’intoxication. Le 8 janvier 1943 mon homologue au sein de l’IS, le Colonel Cawguill, vient à ma rencontre. Le 10 janvier 1943 il provoque, sous la présidence du Général Clark, délégué du commandant en chef, une réunion avec le Colonel Dudley-Clark, les Colonels américains Eddy et Stephens de l’OSS et moi pour définir une charte de l’intoxication. Elle associe les différents Services Spéciaux alliés, fixe leurs attributions, leurs moyens et place la Force A sous l’autorité directe du Commandant en Chef qui en définit les objectifs en Méditerranée. Pour notre part nous apportons des cadres expérimentés, un réseau d’agents sûrs, rompus au travail subtil et dangereux de pénétration dans les Services Spéciaux ennemis. Cawguill en est conscient depuis le stage qu’il a effectué à Paris auprès de moi en octobre 1938. Il ne sera pas déçu. L’appoint de la Force A dans les opérations difficiles de libération de la Tunisie puis de la Sardaigne et de l’Italie, sera d’une telle efficacité qu’il servira de test à Téhéran… Il provoquera la promotion de Dudley-Clark au grade de général.

A mon télégramme de félicitations, Dudley-Clark avait la courtoisie de répondre le 15 décembre 1943 : … ” Je me rends parfaitement compte que cet heureux résultat est dû au grand enthousiasme et à la grande habileté professionnelle de vos Services. Il eût été impossible de mener à bien notre mission sans l’aide si experte que vous nous avez généreusement accordée “… Toute autre allait être notre collaboration dans la mise en oeuvre de Fortitude.

Mise en oeuvre de Fortitude

Responsable des opérations Overlord et Anvil, Eisenhower décidait en janvier 1944 de laisser à la Force A le soin de poursuivre son oeuvre d’intoxication dans le cadre méditerranéen, notamment en faveur du projet de débarquement en Provence (plan Anvil). Dans le même temps, il lançait l’opération Fortitude et créait à cet effet, au sein du SHAEF une section spécialisée ” OPS ” confiée au Colonel Wild de la Force A. Le 23 février 1944 le Commandant en Chef fixait les objectifs de Fortitude :

1- Persuader l’ennemi que l’offensive alliée principale se situera dans le Pas-de-Calais.

2- Laisser l’ennemi dans l’ignorance de la date du débarquement en Normandie .

3- Maintenir pendant un minimum de deux semaines, à partir du Jour J, le maximum des forces ennemies au nord de la Seine et au sud de la Loire (sous la menace Anvil).

4- Couvrir d’un secret absolu les opérations Overlord et Fortitude. Cette dernière directive implique la satisfaction de l’objectif (n° 2).

A partir du 1er avril 1944, elle mettra l’Angleterre à l’abri d’un véritable rideau de fer. Elle aura des conséquences dont j’ai pu admirer à Londres en mai 1944 la rigueur, l’ampleur et l’efficacité, mais observer aussi le caractère parfois humiliant pour les diplomates étrangers, les alliés soviétiques et français, privés de toutes communications avec le monde extérieur.

L’objectif n°1 était, de loin, le plus important. Il demandait qu’en trois mois Fortitude persuade le Commandement allemand de s’attendre à l’ouverture d’un second front, le principal. Il fallait administrer la preuve que les alliés disposaient en Angleterre des forces et des moyens suffisants pour entreprendre deux opérations simultanément. Sans que l’intoxication alliée ait eu à intervenir, l’Abwehr avait largement surévalué depuis 1943 les effectifs stationnés en Grande-Bretagne.

Le 6 juin 1944, il les estimait à 70 divisions alors qu’il n’en existait que 44. Jouant sur cette erreur dont il avait connaissance par les décryptements, Fortitude conçut en avril 1944 un plan destiné à accréditer la menace sur le Pas-de-Calais. Prenant acte des effectifs et des matériels concentrés sur les côtes sud et sud-est de l’Angleterre (environ 30 divisions), ce plan utilisait et complétait fictivement les divisions disponibles pour constituer un faux groupe d’armées d’environ 30 divisions aux ordres du Général US Patton.

Il était ostensiblement réparti sur les côtes est de l’Angleterre et autour de l’estuaire de la Tamise. Faute de réserves suffisantes pour assurer matériellement la crédibilité de ce leurre, Fortitude constituera en deux mois des concentrations de faux dépôts de matériels, de blindés, de faux terrains d’aviation, de faux engins de débarquement, etc… le tout repérable par l’aviation d’observation de la Wehrmacht, mais parfaitement interdit à la curiosité publique.

Pour compléter l’illusion, un réseau de communications radio fut mis en service à partir du 24 avril 1944. Les messages chiffrés classiquement ou en clair, répondaient aux exigences et aux besoins d’un groupe d’armées réel. On ne pouvait guère faire mieux pour matérialiser la menace sur la XVe Armée allemande au nord de la Seine. Restait à conforter les renseignements recueillis par la Luftwaffe, les écoutes allemandes et d’éventuels informateurs de l’ennemi.

Ce fut l’oeuvre d’un ensemble de mesures tactiques et techniques, méthodiquement orchestrées: bombardements aériens accentués entre la Belgique et la Seine, interventions de la Royal Navy sur les côtes et les ports, etc… Ce fut encore l’oeuvre confiée, à leur insu, aux organisations de résistance et de renseignement. Par leurs recherches et leurs sabotages, elles ont accrédité la menace sur le Pas-de-Calais sans pour autant négliger la Bretagne et la Normandie.

Restaient les possibilités d’intoxication par messages radio (tout autre moyen de sortie était interdit) des agents britanniques infiltrés dans les Services Spéciaux allemands. Ce qui était possible en Méditerranée, c’est-à-dire permettre à de soi-disant agents de l’ennemi de se déplacer, d’observer le dispositif allié et d’en informer par radio leurs employeurs, ne l’était plus en Grande-Bretagne où la destruction des tentatives d’infiltration de l’Abwehr avait été systématique et où le trafic radio était strictement contrôlé… ce que l’Abwehr savait.

En dépit de ces obstacles majeurs, l’IS (MI5) prétend avoir pu faire parvenir à l’adversaire des renseignements ” recueillis ” entre mars et juin 1944 sur les rares espions infiltrés par l’Abwehr et ” retournés ” par nos amis. S’il a réellement existé, ce moyen d’intoxication n’a pu être qu’occasionnel… et bénéficier d’un certain aveuglement de l’Abwehr, mal en point il est vrai en ce début de 1944.

Deux semaines après le jour J, Fortitude avait rempli la mission fixée par Eisenhower. Les messages décryptés de la Wehrmacht montraient encore, après le 20 juin 1944, l’incertitude du Commandement allemand et Oshima avisait Tokyo le 27 juin 1944 du ” prochain débarquement de Patton “…




Réseau Kleber: la préparation du débarquement de Provence du 15 Août 1944

Nous devons à notre camarade LE BAS du réseau KLÉBER le récit qui va suivre. Au moment où se préparait au Q.G. des Forces Alliées d’Alger le débar­quement du 15 août 1944 sur les côtes de Provence, il était indispensable de connaître en détail, les conditions d’occupation du littoral méditerranéen par la Wehrmacht. LE BAS a trouvé, avec un rare « culot », le moyen de pénétrer dans les défenses côtières allemandes. C’est ce qu’il nous raconte avec simplicité. C’est tout de même un exploit.

par Mr. LE BAS

UNE PROMENADE DANS LA BAIE DES ANGES PAR LE BAS AGENT P2 DU RÉSEAU KLÉBER

1944. – Les Allemands ont fait du littoral une zone impénétrable. Tous les accès sont fermés ou gardés. Les habitations du bord de mer à Nice et au-delà sont toutes évacuées. Les rues perpendiculaires à la Promenade des Anglais sont barrées par des murs en béton de plus d’un mètre d’épaisseur. Comme je le verrai plus tard, ces murs sont revêtus du côté mer d’une peinture en trompe-l’oeil, figurant la rue cachée en perspective.

Passé Nice, l’accès principal du littoral part du Jardin Albert-Ier (place Masséna). Il est bloqué par une barrière relevable et gardée par un poste de soldats allemands en armes.

Il est évident qu’il y a un intérêt majeur à voir ce que les Allemands cachent sur le bord de mer. Pour pénétrer dans cette zone « j’emprunte » une Ford décapotable qui appartient au général allemand. Elle est garée à l’agence Ford, agence réquisitionnée par le H.K.P. mais où je suis connu. Ce moyen insolite me paraît le plus simple et le plus efficace.

Au volant, j’arrive devant la barrière du Poste de garde et m’arrête. Un sous-officier sort du baraquement et m’intime brutalement l’ordre de faire demi-tour.

Je ne bouge pas et le miracle espéré se produit :

L’Allemand approchant de la voiture aperçoit tout à coup le fanion métallique de forme triangulaire aux couleurs jaune et verte fixé sur le pare-chocs avant. C’est le fanion du général.

Il appelle ses hommes, fait lever la barrière et, à son commandement, le Poste me présente les armes. Je remercie d’un petit sourire et continue ma route. De toutes mes pénétrations dans des zones interdites, aucune ne me fut plus facile, plus confortable.

Je parcours une douzaine de kilomètres en suivant le bord de mer. Je relève la présence du blockhaus, de tapis de rails plantés dans la grève et inclinés vers la mer, de divers autres pièges et dispositifs évidemment prévus dans la crainte d’un débarquement.

Je m’arrête de temps en temps pour établir croquis sur croquis. A un moment, au début, je sens un regard peser sur ma nuque. Je me retourne et vois une sentinelle allemande tournée vers la mer. Nos regards se croisent, petit geste aimable de ma main et je repars sans me presser. D’autres sentinelles, tous les 200 mètres environ, sont placées en retrait de la route.

Je prends soin à chaque arrêt, de noter les numéros des maisons ou autres repères, ce qui me permettra de situer les dispositifs à une échelle correcte rapportée sur le dessin d’ensemble.

Retour sans histoire dans la ville. Je ne suis pas satisfait car il est malaisé de faire tant de croquis en conduisant et en s’arrêtant trop brièvement.

Je décide de recommencer en me faisant accompagner par un chef d’atelier de Ford, ancien poilu de la grande guerre, homme taciturne qui ne pose pas de questions. Il conduit doucement sur le même itinéraire et je peux compléter confortablement mes relevés.

Le scénario à l’entrée et à la sortie a été le même et je commence à me sentir dans la peau d’un général en tournée d’inspection.

Je rends compte au capitaine Gallizia mon chef à P5 KLÉBER. Il m’emmène aussitôt dans la mansarde d’un camarade de réseau, architecte, où grâce à une planche à dessin, une carte de Nice et du littoral, j’établis un relevé régional à échelle correcte. Plus tard, je continuerai de telles recherches à Cannes à pied cette fois. J’entrerai dans la zone défendue accompagné par un Allemand anti-nazi qui intime l’ordre à la sentinelle de garde de nous laisser passer. Sur un kilomètre environ, je constaterai que des systèmes de défense sont là, identiques aux premiers. J’en effectuerai le relevé dans les mêmes conditions pour l’expédier à Alger.