Category: 2ème Guerre Mondiale (1939-1945),Extraits de bulletin,Renseignement,Services français
Dans certains Bulletins de l’Amicale ont été publiés quelques avis autorisés sur les SERVICES SPECIAUX et leurs oeuvres.
Aujourd’hui, l’un de nos camarades, que nous considérons comme l’un des spécialistes les plus qualifiés du “2ème BUREAU”, nous donne son point de vue – celui du Commandement. En fait,- sur l’indispensable liaison à établir entre SERVICES SPÉCIAUX et 2ème BUREAU. Dans le Bulletin N° 13, plusieurs témoignages dénonçaient le scepticisme général en matière de Renseignement et de Sécurité, l’inorganisation aussi de Services Spéciaux et Militaires adaptés aux formes nouvelles des conflits.
Cette fois encore, au travers du travail technique de notre correspondant, apparaît le manque de coordination et d’impulsion qui doit être l’oeuvre du Commandement (Civil ou Militaire) à l’échelon le plus élevé.
En diffusant des avis de spécialistes aussi autorisés, nous espérons que nous finirons par intéresser les “Pouvoirs publics” à un problème dont ils ignorent le plus souvent les données élémentaires.
Nous poursuivrons donc ce travail contre vents et marées, parce que nous savons que dans la conjoncture actuelle, l’utilisation rationnelle des SERVICES SPECIAUX et leur développement adapté aux circonstances est la meilleure défense de notre Patrie.
Alors que les profanes, dont l’éducation a été faite exclusivement par le film et le roman policier, font une confusion regrettable des SERVICES SPECIAUX et des 2èmes BUREAUX, il existe souvent, en fait, une rivalité entre les organismes voués au Renseignement, rivalité qui peut conduire les uns et les autres à des comportements incompatibles avec l’intérêt général.
Ce petit exposé est l’oeuvre d’un “spécialiste” du 2ème Bureau, n’ayant jamais appartenu aux Services Spéciaux, ayant toujours – ou presque – entretenu avec eux les meilleures relations et en ayant ainsi apprécié le bénéfice.
Que les adhérents de l’A.S.S.D.N. ne s’étonnent donc pas de trouver ici un point de vue sensiblement différent, sans doute, de celui qu’ils adoptent généralement. Qu’ils n’y voient nul amour-propre mal placé, mais le seul désir d’aider à la création d’un climat toujours favorable pour le meilleur service du Commandement responsable.
LE CHEF DE GUERRE a besoin de RENSEIGNEMENTS pour DECIDER et AGIR.
Tout acte de guerre exige une décision de la part d’un Chef ou, plus exactement, un ensemble de décisions prises à chaque échelon par le chef responsable de chacun d’eux. On peut dire, bien entendu, qu’il y a guerre dès qu’il y a un ennemi, intérieur ou extérieur, même sans rupture officielle des relations entre deux pays, voire entre le pays légal et une opposition.
Or aucune décision n’est valable, qui ne tienne compte de l’ennemi. La connaissance de l’adversaire est une des bases indispensables au succès. On s’est toujours efforcé de l’avoir aussi parfaite, aussi complète que possible.
Il fut un temps où ce système était relativement facile à résoudre celui où les armées, peu nombreuses, lentes, se trouvaient, lors de la rencontre dans le champ visuel du Chef. Celui-ci pouvait alors décider sur un ennemi bien connu dont rien ne lui échappait. Mais très vite le Chef éprouva l’impérieuse nécessité de savoir, avant la rencontre, à qui il aurait affaire, où et quand ?
Ce jour-là le problème du Renseignement fut posé. Il ne tarda pas à prendre une ampleur considérable.
Pour le résoudre, l’idée d’envoyer des informateurs chez l’ennemi lui-même, de susciter des trahisons, se forma vite. L’informateur avant la bataille, les yeux pendant la bataille suffisaient. Le Chef lui-même pouvait ensuite utiliser, exploiter ces renseignements qui d’ailleurs trouvaient dans le temps un échelonnement normal. Le rôle de l’informateur s’effaçait lorsque le contact était pris. Cette époque n’est pas si lointaine. Napoléon, il y a cent cinquante ans, ne laissait à personne le soin de lancer ses agents puis d’observer le combat.
L’augmentation des effectifs engagés rendit impossible l’observation directe de l’ensemble du champ de bataille et, à fortiori, du ou des théâtres d’opérations. L’existence de moyens ennemis non engagés conduisit à poursuivre l’investigation des agents alors que la bataille était déjà en cours. Le Chef dut abdiquer en partie et confier à un auxiliaire le soin de recevoir ces renseignements et de les lui présenter. Ainsi naquit le 2ème BUREAU.
Chaque élément de premier échelon dut signaler ce qu’il constatait chez l’ennemi au contact. Le rapport qui existait entre l’ennemi vu à l’arrière et l’avant avait toujours été retenu. La rapidité des mouvements faisait de plus en plus immédiate la menace que l’ennemi lointain pouvait constituer pour le front d’engagement. Il n’était absolument plus possible de considérer avant et arrière comme deux domaines indépendants. Ils avaient été analysés par les agents et les troupes au contact. Il fallait confronter ces analyses, parvenir à une vue d’ensemble. Le Chef, axé sur une bataille qui offrait une complexité de plus en plus grande pouvait-il encore s’attacher aux détails qu’ils soient de mouvements, de ravitaillement ou de Renseignement ? Certainement pas. Aussi, dans ce dernier ordre d’idées, le 2ème BUREAU, de simple collecteur, devint-il organe de synthèse.
En outre, l’observation directe, complétée par l’action lointaine des agents, fut bientôt renforcée par d’autres moyens. L’aviation, les écoutes, le radar, remplirent le hiatus qui existait entre le contact et l’arrière éloigné et que ne comblaient suffisamment ni les interrogatoires de prisonniers, ni l’étude des documents.
La recherche, la centralisation et l’exploitation des renseignements devinrent ainsi un énorme travail pour les 2èmes Bureaux.
La nécessité de saisir l’ennemi sous les aspects de plus en plus différents qu’il présentait : courants envoyés sur les fils, ondes, avions rapides s’imposa, s’ajoutant aux activités multiples du contact, sur mouvements des arrières.
On ne conçoit pas aujourd’hui la possibilité de faire un tableau exact et complet de l’ennemi en négligeant systématiquement un des aspects qu’il soit aérien, radio, ou tout bonnement terrestre. Mais encore plus, on ne comprendrait pas, sinon dans un but d’information technique, une description de l’ennemi ne comportant qu’un seul aspect.
Comment engager une action valable en connaissant seulement l’activité aérienne ou uniquement la situation terrestre de l’adversaire ?
Or, chacun des moyens de recherche ne donne, soit du fait de ses caractéristiques techniques, soit de par les conditions dans lesquelles il travaille, qu’un aspect incomplet de l’ennemi. L’aviation n’a jamais pu donner à coup sûr les effectifs, l’observation terrestre est limitée par la première crête. Les agents, qui peuvent donner presque tout, sont sans possibilité sur l’extrême avant et connaissent même de grosses difficultés quand il s’agit de travailler sur les arrières, à l’intérieur de dispositifs compacts et vigilants.
NECESSITE DE RECOUPEMENT ET DE LA SYNTHESE.
De plus, chacun sait l’intérêt du recoupement : or, il n’y en a pas de meilleur au renseignement recueilli par un moyen, qu’une investigation faite sur le même objet par un autre moyen.
Enfin, un renseignement recueilli par un moyen quelconque, isolé, aviation, radar, troupes terrestres; services spéciaux, risque de laisser dans l’ombre un point intéressant. Confronté avec les résultats obtenus par d’autres sources, il prend toute sa valeur.
Une synthèse n’est jamais polyvalente. Elle doit toujours répondre aux besoins réels du commandement responsable, suivant sa zone d’action, sa mission, les nuances mêmes de celle-ci, l’effort dans le temps et l’espace.
Un seul Bureau centralise toutes les questions de transport, de ravitaillement et coiffe les services chargés de leur réalisation. C’est par une seule voie que le Chef doit recevoir la synthèse répondant à ses soucis. Lui en envoyer plusieurs, c’est l’obliger à choisir, à faire une super synthèse, lui-même, ou à travailler sur des notions fragmentaires.
Le 2ème BUREAU reçoit du Chef responsable le Plan de Renseignements, énoncé des besoins pour la manoeuvre à effectuer. Ce plan est le guide pour l’établissement de la synthèse.
TRAVAIL EN COMMUN DES 2èmes BUREAUX ET SERVICES SPECIAUX.
Cet examen schématique de l’évolution du problème du renseignement permettra peut être de mieux comprendre le point de vue du 2ème BUREAU.
Il semblerait résulter de cette étude que ce Bureau voudrait se voir subordonner les SERVICES SPECIAUX, et, plus exactement, voir ses services découpés en tranches correspondant aux divers échelons de responsabilité.
Il n’en est rien.
Le 2ème BUREAU sait parfaitement qu’il est deux catégories de moyens de recherche : ceux qui travaillent normalement dans le cadre des unités tactiques et stratégiques, et ceux qui échappent à ce cadre. Parmi les premiers figurent par exemple les unités au contact, l’observation terrestre. A ceux-ci, le 2ème BUREAU peut rapidement et facilement faire donner l’ordre d’effectuer des mouvements, des actions même, nécessaires pour obtenir un renseignement particulier ; il leur adresse des “ordres de recherche”, traduction technique des “plans de renseignements”.
Aux moyens qui n’appartiennent pas à son échelon tactique ou stratégique, le 2ème BUREAU ne peut adresser que des demandes de recherche. Il sait que limiter leur action à un cadre étroit, les compartimenter, c’est réduire leur rendement. C’est bien le contraire qu’il désire,
Mais ce qu’il demande, c’est que ces organes de recherches lui donnent tous les renseignements sous une forme brute, la seule qui lui permette d’établir la synthèse que son chef veut avoir. Il demande aussi que les renseignements ne soient pas envoyés ou communiqués directement au chef responsable ou au bureau “opérations”. Ceci parait secondaire; mais combien de fois a-t-on vu tout un travail de synthèse ruiné par un renseignement qui, présenté isolément, a été négligé, ou au contraire, grossi exagérément, a suffi pour déclencher une action intempestive.
A chaque échelon de commandement, il y a un responsable. Ne rendons pas sa tâche impossible.
Le Chef ne doit pas recevoir deux ou plusieurs synthèses; peut être contradictoires, sûrement divergentes. La confrontation des résultats doit se faire entre le chef du 2ème BUREAU et le responsable local des SERVICES SPECIAUX, avant toute présentation .
Il va de soi que cette liaison n’est pas à sens unique. Le 2ème BUREAU doit se considérer comme appartenant à une “Equipe”, englobant tous les autres 2èmes Bureaux et les organes de recherche. Il lui faut, non seulement, répondre aux demandes de recherche que lui adressent les SERVICES SPECIAUX, mais encore favoriser les recoupements, mettre ces Services dans son ambiance en leur communiquant ses préoccupations, ses bulletins de renseignements, voire ses synthèses.
Dans cette aide donnée par le 2ème BUREAU, n’oublions pas que, s’il existe un front, il est responsable du passage des agents. Mieux que n’importe qui, il sait où le franchissement sera le plus facile et même le plus immédiatement payant.
On voit donc comment cette collaboration doit s’établir à tous les échelons, faite d’ailleurs plus de contacts personnels et d’union intellectuelle, que de documents échangés.
Mais nous avons vu les raisons qui justifiaient l’établissement de ces règles. C’est en particulier l’abondance des moyens de recherche, qui, dans la zone de contact, conduit à cette primauté du 2ème BUREAU. Sur les arrières lointains, il n’en est plus de même. La part des SERVICES SPECIAUX peut y être telle, si même ils n’y sont pas seuls à pouvoir agir, qu’ils deviennent naturellement les meneurs du jeu. S’ils sont seuls à faire l’investigation analytique, seuls aussi ils peuvent faire la synthèse utile au Commandement ou au Gouvernement. Qu’ils n’oublient pas l’appoint possible des autres moyens.
L’IMPORTANCE CROISSANTE DES SERVICES SPECIAUX.
C’est d’ailleurs au Commandement Civil ou Militaire, responsable, qu’il appartient de répartir les responsabilités entre les moyens et de prescrire les centralisations et les liaisons qu’ils doivent assurer.
On voudrait être sûr que, dans le domaine du renseignement, ils pensent quelquefois !
La situation présente et les conditions dans lesquelles se dérouleront les conflits de l’avenir ne peuvent manquer d’accroître le rôle des SERVICES SPECIAUX.
En effet, alors qu’avec les moyens “classiques” un temps appréciable s’écoule entre la mise sur place, la fabrication, l’instruction des unités et des armes et leur engagement, et que ces délais donnent le loisir de déterminer la valeur de ces moyens et la direction qu’ils prennent, l’avenir sera bien différent.
De l’usine au point de chute, les délais seront à peu près nuls. Les engins seront “tous azimuts”. On devra se borner à déceler leur existence. Mais on ne pourra le faire qu’au stade de l’étude ou de la fabrication. Seuls les SERVICES SPECIAUX pourront s’en charger.
L’Aviation pourra être une aide. De même, les “écoutes-radio”, sans doute d’autres moyens .. Et alors les SERVICES SPECIAUX devront tenir compte des renseignements obtenus par d’autres organes de recherche, qui travailleront pour eux. Il leur faudra bien synthétiser ces résultats, ou il faudra bien que quelqu’un le fasse pour eux. Nous avons de bonnes raisons de croire que ce travail n’est pas fait actuellement avec une méthode rigoureuse.
AUTRES MISSIONS COMMUNES AUX 2èmes BUREAUX ET SERVICES SPECIAUX.
Les SERVICES SPECIAUX n’ont certes pas cette seule mission de renseignement dans le domaine militaire. C’est elle qui exige le plus d’entente mais déclenche le plus de “compétitions” avec les 2èmes Bureaux, C’est pour cela que nous lui avons donné la première place.
Les autres missions tout aussi importantes, réclament aussi des liaisons entre ces différentes organisations.
Certes, le 2ème BUREAU n’a pas à s’immiscer dans la lutte menée contre l’ennemi intérieur, jusqu’à ce que celle-ci se transforme en guérilla. Mais il ne peut être pris au dépourvu. Si l’Autorité Civile se dessaisit de ses pouvoirs au profit de l’Autorité Militaire, celle ci doit être renseignée et se préparer à la tâche qui l’attend. Les SERVICES SPECIAUX doivent songer en permanence à cette responsabilité qui peut échoir au Chef Militaire. C’est une obligation pour eux que d’informer les 2èmes Bureaux de ce qui les attend.
Enfin qu’il s’agisse de la lutte contre l’Espionnage ou du maintien de la cohésion nationale, il est indispensable qu’il connaisse le point d’application de l’effort ennemi. Il y a souvent une liaison intime entre la zone où l’ennemi intensifie ses renseignements, le sabotage matériel ou moral et l’action frontale à venir. Ces renseignements sur l’effort de l’adversaire en profondeur, confrontés avec les possibilités qu’il a pu se constituer pour une action purement militaire, permettent de lever bien des doutes.
Pour ce qui est de la mission “Action” sur les arrières ennemis, dont sont chargés les SERVICES SPECIAUX, la part des organes de synthèse sera du même ordre. Bien orientée, la recherche au contact pourra déceler des objectifs intéressants : les documents recueillis, les interrogatoires des prisonniers contiennent de nombreuses données sur la vie des arrières lointains. Encore faut-il les rechercher et, avant tout, savoir l’intérêt qu’elles présentent.
Ces actions ne sont pas sans répercussions sur les moyens au contact ne serait-ce que sur leur moral. Il appartient aux 2èmes Bureaux de les rechercher. Il ne s’agit pas pour cela de les mettre dans tous les secrets mais bien d’utiliser leurs possibilités. Pour cela, point n’est besoin de dévoiler les buts que l’on veut atteindre au loin. Des demandes de recherches bien étudiées et bien rédigées suffisent.
Des 2èmes Bureaux instruits et disciplinés savent exécuter de tels ordres intelligemment, tout en comprenant les servitudes du secret .
Recherche et Exploitation doivent être coordonnées à l’Echelon le plus élevé.
Tout le problème des rapports entre les 2èmes BUREAUX et les SERVICES SPECIAUX peut se traduire en quelques mots :
Il y a UN ennemi, mais d’aspects de plus en plus complexes.
Le Chef responsable doit prendre ses décisions en toute connaissance de cet ennemi.
Les différents aspects de l’Ennemi sont relevés par des moyens de recherche de plus en plus nombreux et de moins en moins unifiés. La part de chacun est variable suivant les circonstances.
Tous ces aspects sont indispensables pour faire un tableau ressemblant de l’ennemi, c’est la synthèse que le Chef ne peut plus faire lui-même.
Qui doit lui présenter cette synthèse ? Organe de recherche, ou organe de synthèse ? L’un ou l’autre. Certainement pas l’un et l’autre.
La technique, les règles qui commandent le fonctionnement du renseignement donnent à ces deux organismes le moyen d’assurer leurs liaisons et le meilleur rendement de l’ensemble.
Encore faut-il que le Chef responsable au niveau le plus, élevé, – qu’il soit civil ou militaire – répartisse les rôles de chacun. C’est une question d’organisation générale qu’il faut, aujourd’hui plus que jamais, pousser à un degré extrême de minutie.
Nous craignons fort qu’en dépit des affirmations, et des bonnes volontés des exécutants, cette organisation soit négligée ou insuffisante. Peut être parce qu’aux échelons nationaux et gouvernementaux on n’a pas encore compris l’importance capitale du RENSEIGNEMENT