Les Services Spéciaux de la Défense Nationale pendant la guerre 1939-1945 (SR Terre)

Le S.R. TERRE

Au moment où un peu partout sont célébrées les grandes dates de là récente Histoire de France, il nous a paru nécessaire de rappeler à nos adhérents l’oeuvre accomplie par les Services Spéciaux de la Défense Nationale et, particulièrement, par les S.R. « Terre », « Air », « Marine »,
De nombreux Bulletins précédents ont consacré au C.E. et à la S.M. de longues pages et nous ne reviendrons pas, du moins pour l’instant, sur l’action (les Services de Sécurité Militaire et des T.R. au cours de la dernière Guerre Mondiale.

Nous commençons donc aujourd’hui par la publication d’un travail effectué par le Colonel SIMONEAU et qui porte sur le Service de Renseignements de l’Armée de Terre et son Réseau clandestin « Kléber ».

LE S.R. DE L’ARMEE DE TERRE

Le souci du renseignement a toujours hanté les Chefs d’Etat. Sous l’Ancien Régime, les Rois de France ou leurs Premiers Ministres ont toujours eu un cabinet noir, et ont employé à des missions spéciales précises, des personnages dont la petite histoire surtout a conté les aventures plus ou moins romancées.
Ce n’est que sous le Premier Empire et pour des fins aussi bien opérationnelles que politiques, que le besoin d’une organisation se fit sentir.
Le Baron VIGNON reçut en effet mission de créer et de mettre en oeuvre un Service secret chargé de la recherche et de la centralisation du renseignement, l’Empereur se réservant personnellement l’interprétation et l’exploitation.
De 1814 à 1870 on reprit les errements antérieurs, mais en présence, du danger que constituait le Reich allemand, et dans un but préventif on créa en 1873 au 2ème Bureau de l’E.M.A., une section de recherche qui, avec des fortunes diverses répondit à ce que le haut commandement de l’Armée française en espérait, et qui par la suite fut appelée couramment le « S.R. ».

Lors de l’entrée en guerre de 1914 le S.R. comptait, face à l’Allemagne trois postes installés respectivement à Mézières, Nancy et Belfort, mais ce dernier mieux placé à l’aile du dispositif des Armées, absorba les moyens des deux autres, et renseigna constamment le commandement sur le potentiel de guerre du Reich, et sur les activités de ses grandes unités au-delà des fronts de contact.
La victoire de 1918, la création de la S.D.N., les conférences de désarmement, la limitation des forces allemandes à une Reichwher de cent mille hommes, l’activité des commissions de contrôle, tout cela diminua considérablement l’audience que le S.R. avait su acquérir pendant les hostilités.
Il fallut l’avènement d’HITLER à la tête du Troisième Reich, et la création de l’Axe pour qu’en face du nouveau danger, on se décidât à donner au S.R. des moyens mieux adaptés à la situation.

1939- 1940

L’Anschluss de l’Autriche, l’affaire des Sudètes, l’occupation totale de la Tchécoslovaquie, les préparatifs face à la Pologne, la construction de la ligne Siefried, qui s’inscrivaient dans le temps avec le triplement du nombre des grandes unités, la création d’une force offensive de Trois Corps d’Armée (XlVe, XVe, XVIe) groupant les divisions motorisées, mécanisées et blindées, accrue par la mise sur pied de deux C.A. en Autriche et un en Tchécoslovaquie furent suivis de près et signalés, dès les premiers indices, dans les délais les plus courts par le S.R. qui au 1er septembre 1939 comprenait :

– Une Direction Centrale, articulée :
– Section de Commandement,
– 3 Sections géographiques (1),
– 1 Section scientifique et économique,
– 1 Section moyens techniques et recherches,
– 1 Section radio, photo, correspondances spéciales,
– 1 Section Marine,
– 1 Section Air.
– Six postes principaux :
– BENE à Lille, – BREM à Metz,
– SCM à Belfort, – SER à Marseille,
– SDRC à Toulouse, – SEA à Alger,
ayant une composition à peu près semblable à celle de la Direction centrale mais avec une seule section géographique, la mission étant à la fois définie et localisée (2).

Chaque poste actionnait un nombre variable d’annexes légères à proximité des passages de frontière.
– Des postes extérieurs installés dans la plupart des capitales.
Ce dispositif toutefois devait être remanié dès l’entrée en guerre, en raison de la création d’un « front » en principe imperméable. Le BREM de Metz se dessaisit d’une partie de ses moyens, au profit de deux postes d’aile BENE et SCM et de certains postes extérieurs, et devint BREP, poste accolé à l’échelon central.

Le BREP, enrichi d’une importante section économique et scientifique, fut chargé de la recherche à longue portée, en utilisant les plateformes constituées par les pays non belligérants.
Cette organisation permettait de répondre aux besoins de la conduite des opérations, et compte tenu du tempérament du Führer, un accent particulier fut mis sur tous les indices de préparatifs offensifs.

Le regroupement de troupes de toutes armes autour des formations blindées des W.K. (régions territoriales du Reich), l’accélération de l’instruction dans les camps, le remplacement dans les unités statiques d’hommes jeunes par des recrues âgées (3), signalés opportunément, montrèrent au Commandement que les Nazis n’avaient nullement l’intention de se limiter aux succès remportés sur la Pologne, et à des joutes oratoires par le truchement de Radio – Stuttgart.

Le rassemblement de forces importantes au Sud du Jutland, signe avant-coureur de l’invasion du Danemark, puis de la Norvège, bien que signalé au fur et à mesure de son exécution parut invraisemblable.

Il en fut de même plus tard, lorsque de plusieurs sources, on connut le déploiement de nombreuses formations blindées dénombrées et identifiées devant les frontières hollandaise, belge et luxembourgeoise.

Pendant la retraite de mai – juin 1940, le BREP absorba la plupart des éléments S. R. repliés du Nord, et tout comme ses voisins BENE et SCM mena le difficile combat du renseignement en manoeuvre rétrograde.

La bataille était perdue, mais le contact de l’adversaire par le renseignement était étroitement maintenu.

JUIN 1940 – NOVEMBRE 1942

La situation de fait créée par l’armistice de juin 1940 ne modifia en rien l’activité du S. R. dont le principal objectif resta la Wehrmacht.

La ligne de démarcation qui coupait la France en deux ne fut pas longtemps une gêne. Elle favorisa la réorganisation du Service et le resserrement des liaisons avec les alliés.

Le jour même où l’armistice devenait effectif, des postes légers fonctionnaient déjà à Saint-Justin (Landes), Langon (Gironde), Périgueux (Dordogne), Châteauroux (Indre), Mâcon (Saône-et-Loire).

Le 15 juillet, l’ensemble du S. R. avait repris dans la clandestinité une activité normale.

Direction P 1 Vichy-Chamalières (Puy-de-Dôme )
P 2 (ex. BREP) Vichy
P 3 (ex. BENE) Limoges
P 4 (ex. SCM) Lyon
P 5 (ex. SER) Marseille
P 6 (ex. SDRC) Toulouse
P 8 Rabat
P 9 Tunis
P 10 (ex-SEA) Alger
P 12 Liban-Syrie

Le 1er août 1940 des antennes étaient déjà en place à Paris, Marmande, Montmorillon, Châteauroux, La Madeleine (Moulins), Chalon-sur-Saône, Mâcon.

Le nombre de ces antennes se multiplia progressivement tant en zone occupée que sur la ligne de démarcation, et en juin 1941, grâce à un jeu de « boîtes aux lettres » et de filières d’acheminement dues à des concours bénévoles, les bulletins de renseignements parvenaient à destination souvent plus rapidement que par les voies régulières.

Malgré un camouflage très poussé l’ordre de bataille de la Wehrmacht était entièrement connu.
Quant aux mouvements de troupe et de matériel par voie ferrée, ils étaient signalés par les ingénieurs et cadres de la S.N.C.F. avant leur exécution avec toutes les précisions de dates et lieux d’embarquement, de débarquement ou de dernier transit vers des destinations lointaines (4).

Les ingénieurs des P.T.T. affectés aux lignes souterraines à grandes distances permirent malgré de gros risques, d’intercepter les communications téléphoniques protégées du commandement allemand. Cette opération (5), réalisée à Noisy-le-Grand puis à Livry-Gargan, sous la dénomination de « source K » donna des résultats exceptionnels en quantité et en qualité.

Pendant toute l’année 1942 (6) . un simple accident causa sa fin, car sa réalisation ne fut jamais détectée par les services secrets allemands. Création, identification, localisation, mouvements de grandes unités, mise au point de matériels nouveaux, activités de la Gestapo, inquiétudes et récriminations du Haut Commandement, étaient devenus une pâture quotidienne dont nos alliés étaient les grands bénéficiaires, grâce à des liaisons sûres et rapides.

Outre les liaisons régulières clandestines (radio, courriers spéciaux)
sur lesquelles nous ne nous étendrons pas par discrétion, l’essentiel des renseignements recueillis par le S. R. (comme par le C.E. d’ailleurs), était instantanément acheminé chez les alliés par les voies ci-après :

– Délégation des U.S.A. à Vichy Major Bob SCHOW, Capitaine de Vaisseau SALABOT.
– Délégation des U.S.A. à Berne Attaché Militaire LEGGE.
– Ministre du Canada à Vichy : M. DUPUIS, Capitaine Aviateur CASSIDI .
Enfin, les valises diplomatiques étaient largement utilisées. Nous citerons pour mémoire simplement celle qui s’est rendue au Portugal, acheminée de temps en temps par l’actuelle Mme BIDAULT.

NOVEMBRE 1942 – AOUT 1944

L’occupation totale du territoire donna lieu à des remaniements importants dans le S.R. de l’Armée de Terre.

Les postes et leurs antennes passèrent dans la clandestinité totale ; les personnels qui faisaient l’objet de recherches précises de la Gestapo furent dirigés sur l’A.F.N. ; la Direction centrale se transporta à Alger avec son Chef le Colonel Louis RIVET. Cet exode a fait l’objet de récits dans nos précédents Bulletins (tel le Bulletin n° 5). Nous n’y reviendrons pas.

Le transfert était indispensable. Il ne fut réalisé qu’à la dernière limite du possible, après mise en place du Central clandestin (KLEBER) que dirigeait le Colonel DELOR et l’adaptation des liaisons radio à la situation nouvelle.

Les ressources en personnel qualifié, existant en A.F.N. furent rapidement drainées pour faire face aux impératifs nouveaux :

– Liaison avec le Commandement français et allié d’A.F.N. ;
– Participation effective à la campagne de Tunisie ;
– Préparation des campagnes futures ;
– Intensification des liaisons avec la France clandestine, et avec les postes extérieurs (ceux-ci officiellement couverts par le Gouvernement de Vichy purent continuer de remplir leur mission, sauf celui de Bucarest qui rompit dès le 8 novembre 1942. L’acheminement des renseignements put se faire sans perte de temps grâce à la complaisance des Alliés, et à la tolérance des autorités locales ;
– Utilisation intensive de la plateforme ibérique ;
– Liaison avec les S.R. alliés (U.S. : Colonel EDDY ; GRANDE-BRETAGNE : Brigadier CODRINGTON ; POLONAIS : Colonel SLOWIKOWSKI).

Ainsi s’installa à Alger, rue Charras, dès la fin de 1942, la Direction des S.R. et S.M., rattachée
directement au Commandant en Chef, le Général GIRAUD, installé au Palais d’Eté. Le Colonel du CREST de VILLENEUVE prit la direction du S.R. TERRE, le Colonel RONIN celle du S.R. AIR, le Capitaine de Corvette TRAUTMANN la direction du S.R. MARINE.

Le 3 janvier 1943, le Commandant PAILLOLE prenait à son tour la direction des Services de Sécurité Militaire et de C.E. et s’installait à EL-BIAR (Villa Jaïs) où déjà le Lieutenant-Colonel CHRETIEN dirigeait les services de C.E. d’A.F.N.

Aucun problème majeur ne se présenta par rapport au Commandement et aux Alliés, les chefs du S.R. bénéficiant déjà d’une large audience. Les crédits financiers, aériens et maritimes nécessaires furent obtenus sans la moindre difficulté.

***

Le poste de TUNIS, sous l’autorité du Lieutenant-Colonel KIEL s’installa au KEF pour là campagne de TUNISIE et découpla des antennes à BEJA, TEBOURSOUK, MAKTAR, THALA.

En outre, deux missions clandestines, respectivement aux ordres des Capitaines LACAT et PERRUSEL fonctionnèrent sur les arrières ennemis.

Par leur activité, ces éléments, auxquels il convient d’ajouter les moyens techniques de recherche du Commandant BLACK, installé à Alger, permirent un contrôle permanent de la 5ème Armée, et des débris de l’Afrika Korps, avec pour aboutissement la reddition en rase campagne du Général von ARNIM.

Renforcée par quelques officiers évadés de France, la Direction du S.R. fut à même de créer une section d’instruction et de montage d’opérations clandestines, dont la CORSE, la SARDAIGNE et l’ITALIE, furent les premiers objectifs. Ce furent les missions : DESAULE, CHOPITEL. GRIFFI, COLONNA D’ISTRIA, entre autres.

Des antennes opérationnelles, adaptées respectivement aux C.E.F. du Général JUIN (Capitaine WEIL, Lieutenants ZUNDEL, SIMA, FREY, ROCARD) et au détachement de libération de la Corse (Capitaines HAGE, ZIMPFER, LOECHER), outre leur part indéniable aux succès, lancèrent une série de missions sur l’île d’Elbe et l’Italie du Nord.

Mais la préparation des opérations de libération du territoire national resta la préoccupation principale des chefs du S.R. à Alger. Leur atout maître était le S.R. clandestin KLEBER.

Après l’éphémère direction du Colonel DELOR, celui-ci avait subi, en 1943, quelques coups durs (arrestations des Colonels LOMBARD, PELLISSIER, BERTRAND, Commandants HENRY, SCHMITT, Capitaines MAUER, BOUREAU, MISOFFE, notamment) et le problème de son commandement s’était posé à deux reprises. Finalement c’est au Commandant LOCHARD qu’échut cette lourde responsabilité. Jeune, mais déjà chevronné, prudent, bon technicien, celui-ci avait pris, en accord avec Alger, des dispositions qui lui permettaient de faire face aux besoins des forces alliées dans la triple éventualité de débarquements simultanés ou successifs sur les côtes de la Manche, de l’Atlantique ou de la Méditerranée.

Il lui fallait compléter et étoffer son dispositif, ce qui fut fait en implantant par atterrissages clandestins, parachutages, voie sous-marine, ou voie terrestre via Espagne, des équipes nouvelles bien pourvues en moyens de travail, et disposant de refuges sûrs.

Ainsi furent lancées d’Alger ou de Londres, sept missions de septembre 1943 à juin 1944 : « GALLIEN », couloir Rhodanien ; « ISIDORE », Bourgogne, Franche-Comté ;« PERNOD », Bourbonnais, Charolais ; « PIERRE », Plateau Central ; « CATINAT », Hautes et Basses-Alpes, Isère, Drôme ; « SCALA », Ile-de-France, Normandie ;« PANZER », Poitou, Charentes, Aquitaine. Deux autres au début d’août 1944 :« JORXEY », Doubs, Haute-Saône, Belfort ; « CAROLLES », Jura, Doubs.

L’hypothèse d’un débarquement en péninsule balkanique n’était pas écartée. Toutefois ce territoire dont la situation politique était encore incertaine était l’apanage des grands alliés. Il n’y fut envoyé que deux missions dans la région de LJUBLIANA, en complément de celles qui opéraient en Italie du Nord et en vue de pénétrer le dispositif allemand dans la partie sud du Reich.

L’acheminement des courriers, les liaisons d’officiers complétant des contacts radio pratiquement permanents en dépit des activités allemandes de repérage par radio – goniométrie, permirent au Haut Commandement allié de choisir en toute connaissance de cause, les lieux et dates des débarquements. Les organisations de défense côtière étaient connues du S.R. Terre dans tout leur détail, ainsi que l’ordre de bataille des armées d’occupation, de sorte que les débarquements du 6 juin 1944 et du 15 août en Normandie et en Méditerranée connurent une fortune qui combla les espérances les plus optimistes.

AOUT 1944 – MAI 1945

La continuité de la recherche était un impératif, comme aussi la jonction effective avec les équipes clandestines et la liaison permanente avec la Sécurité Militaire (opérationnelle et territoriale) et les équipes C.E. (T.R.).

La création du S.R.O. (S.R. Opérations), formation de marche du S.R. fut ainsi décidée en mars 1944. Le Commandant SIMONEAU eut la charge de cette lourde responsabilité.

Débarqué avec les premiers éléments de l’Armée de LATTRE, le S.R.O. ne comprenait initialement que trois antennes provenant des éléments qui opéraient en Italie et en Corse (un détachement léger aux ordres du Capitaine DOUIN opéra en outre à la demande des alliés avec la T. Force U.S.).

Dès la libération de Marseille, il se grossit des équipes clandestines dont la mission était achevée et qui furent rapidement adaptées à la recherche en guerre de mouvement.

La jonction avec le S.R. KLEBER devint effective à l’arrivée de l’Armée à Mâcon.

La stabilisation de la Première Armée à BESANÇON permit de réaliser:


– Une intégration plus étroite des anciennes équipes clandestines
– Une mise en place d’agents dans la trouée de Belfort et en Haute Alsace
– L’adaptation d’une importante équipe à la VII e Armée U.S. (S.D.A.7) ;
– L’établissement d’une liaison avec une formation du S.R. français de Londres (Colonel RETHORE) qui opérait avec la III e Armée U.S.
– La création d’un centre d’instruction et d’une section de recherche du renseignement scientifique – L’utilisation de la plateforme helvétique pour la pénétration en Allemagne du Sud.

L’adaptation des antennes à toutes les grandes unités engagées s’avéra particulièrement efficace, tant pour la diffusion du renseignement, que pour la mise en place des agents par infiltration, ou pour le recueil de ceux-ci.

Une antenne fut laissée sur le front des Alpes et une autre participa aux opérations du front Atlantique.

Bien que disposant de l’O.S.S. – G2, le Commandement américain qui constatait la qualité des renseignements portant l’attache du S.R.O., donna les plus grandes facilités matérielles aux éléments français qui opéraient dans sa zone et qui initialement n’étaient adaptés qu’à la 2ème D.B. du Général LECLERC.

Il fallait faire vite. Profitant de la confusion qui régnait en Allemagne, des agents (transfuges de la Wehrmacht et volontaires français) furent poussés jusqu’au coeur du Reich, mais la nécessité de recueillir le renseignement et de le transmettre dans les plus courts délais amena certains officiers à pousser des pointes audacieuses à l’intérieur du dispositif ennemi, et même à prendre des initiatives particulièrement risquées.

Le 8 mai 1945, le S.R.O. partout en liaison avec les S.M. ou le C.E. était déployé comme suit :

– P.C. arrière : KARLSRUHE ;
– P.C. avant : UBERLINGEN ;
– Antennes à: CONSTANCE, LINDAU, DORNBIRN, FELDKIRCH, BERCHTESGADEN, DEGERLOCH, LEIPZIG.

Ce dispositif, par la suite, fut réajusté en raison de :
– La répartition des zones d’occupation entre les Alliés ;
– La démobilisation du personnel appartenant aux réserves ;
– La création d’un S.R. en zone française d’occupation en Autriche ;
– L’envoi de volontaires en Indochine.

Au 1er août 1945, transporté à Baden-Baden, le S.R.O. devenu direction du S.R. en Allemagne était articulé en deux sous-directions :

– S.D. Nord : à LANDAU (PFALZ) ; Antennes : à COBLENCE – WORMS.
– S.D. Sud : à SCHEWENINGEN (WURTEMBERG) ; Antennes : à TUBINGEN (DORNBIRN).

Pendant ce temps, à Paris, la Direction Générale des Services Spéciaux (D.G.S.S.), dirigée par M. SOUSTELLE, s’était installée fin août 1944, boulevard Maunoury et boulevard Suchet.

Des considérations qui n’avaient rien à voir avec la technique de la Recherche du Renseignement avait peu à peu écarté de leurs postes les anciens chefs des S.R. Guerre et Aviation (7).

Une organisation nouvelle « chapeautait » les Services Spéciaux sur l’impulsion des Colonels DEWAWRIN et MANUEL.

En fait, les éléments centraux des anciens S.R. s’étaient effacés au bénéfice des équipes du B.C.R.A, de Londres et d’Alger. Seul le C.E. (S.M. et T.R.) avait conservé la direction et la structure mises sur pied à Alger par le Commandant PAILLOLE.
Rattachés à la Présidence du Conseil, et non plus au Commandement en Chef, les Services Spéciaux devaient encore subir dès 1945 une transformation profonde.
La guerre s’achevait.

La D.G.S.S. disparaissait à son tour et faisait place à la D.G.E.R. (Direction Générale des Etudes de Recherches), sous la Direction du Colonel DEWAWRIN (PASSY).
Plus tard encore la D.G.E.R. devait laisser la place au S.D.E.C.E.

CONCLUSION

La meilleure conclusion qui puisse se tirer de l’exposé précédent est sans aucun doute de tenter de résumer les résultats obtenus.

Nous empruntons au Général NAVARRE, ancien chef de la Section Allemande du S.R. et du Deuxième Bureau du Général WEYGAND, l’exposé succinct qui suit :

I. – Résultats obtenus avant la guerre

Le S.R. disposait d’un remarquable réseau d’informateurs. Certains admirablement placés.
La plupart avaient été recrutés de longue date, certains même pendant l’occupation de la rive gauche du Rhin, après 1918. Ils continuaient à travailler malgré les conditions très difficiles créées par l’avènement du nazisme. Le recrutement, depuis 1935, était devenu très ardu, mais continuait.

La reconstitution de l’armée allemande a été suivie du début à la fin sans aucune lacune dans aucun domaine.

Les grands événements politico-militaires ont tous été décelés à temps, et la plupart avec une très grande précision.

Le Commandement français et par conséquent le Gouvernement en furent avisés dans des conditions de temps permettant les meilleures exploitations :

– Réoccupation de la rive gauche du Rhin ;
– Anschluss ;
– Occupation de la Tchécoslovaquie ;
– Tractations russo-allemandes ;
– Concentration sur la Pologne ;
– Menace sur Dantzig, etc. etc.

Au surplus toute cette phase de l’activité du S.R. apparaît parfaitement dans le livre du Chef du Deuxième Bureau de l’Etat-Major de l’Armée de cette époque, le Général GAUCHE :« Le Deuxième Bureau au travail ».
Nul témoin n’était plus qualifié pour informer l’opinion de l’oeuvre magistrale accomplie avant la guerre par le S.R.

II. – Résultats obtenus pendant la « drôle de guerre »

S’il était besoin d’un témoignage irréfutable de l’action du S.R., pendant cette période, il conviendrait de se reporter aux archives de la Cour de Riom. Le Président CAOUS et le Procureur Général CASSAGNEAU ont confirmé les indications qui vont suivre et rendu un éclatant hommage à la clairvoyance du S.R.

– La mobilisation de l’armée allemande a été suivie unité par unité, sans aucune lacune ni erreur.
– Il en fut de même de la concentration des unités allemandes face à la Pologne, d’une part, à la France, au Danemark, à la Belgique et à la Hollande, d’autre part.
– La répartition des forces a toujours été parfaitement indiquée au Haut Commandement Français, pendant la campagne de Pologne, pendant l’intervalle des campagnes de Pologne et de France.
Le transfert vers l’Ouest des grandes unités ayant pris part à la campagne de Pologne a été suivi intégralement par le S.R. Français, sans que jamais une grande unité allemande eût été perdue de vue pendant plus de 24 heures.
– Le dispositif allemand à la veille du 10 mai 1940 était connu dans les moindres détails, ainsi que les possibilités de manoeuvre qu’il portait en germe.
– La date et le lieu de l’attaque du 10 mai 1940 ont été communiqués au Commandement Français avec quelques réserves dès la fin mars 1940, et, avec certitude dès avril 1940.
– La constitution des armées de terre et de l’air allemandes a été tenue à jour sans lacune et cela aussi bien pour leur composition que pour leur équipement et leurs armes, et, pour si paradoxal que cela puisse paraître, le S.R. français a donné de l’armée allemande une description plutôt surévaluée : c’est ainsi que le nombre de chars des divisions blindées allemandes a été surévalué de 10 à 15 %, du fait que les sorties d’usine étaient en retard sur les prévisions.
– Au cours de la campagne de France l’essentiel des mouvements allemands a été identifié de bout en bout. En particulier chaque division blindée a été suivie sans aucune erreur grâce à l’interception et à l’exploitation de tous les messages de commandement des grandes unités allemandes. Ainsi purent être annoncées et décrites : l’attaque sur la Meuse, la marche vers la Manche, les regroupements en vue des attaques sur la Somme, en Champagne, etc., etc.

Il est permis d’affirmer avec le Général WEYGAND et la Cour de Riom, que le S.R. a admirablement rempli sa mission et qu’il n’a aucune responsabilité dans le désastre de 1940.


III. – Résultats obtenus pendant l’occupation

Jamais le travail sur l’Allemagne et l’Italie n’a été interrompu, ni diminué le rendement du S.R. L’ordre de bataille de l’ennemi fut constamment tenu à jour avec une précision quasi absolue.

L’acharnement de l’Abwehr et de la Gestapo à poursuivre et à détruire les postes du S.R. KLEBER, serait s’il le fallait, une preuve supplémentaire de l’efficacité du S.R. TERRE et de l’aide décisive apportée par lui au Haut Commandement allié jusqu’à la Libération du Territoire.

Ainsi il est possible d’affirmer que le S.R (et le C.E.) ont été les premiers en date des réseaux de résistance et nous ajoutons que ce ne fut que normal.

***
Il nous paraît intéressant, à propos de cette période de l’action S.R. dont l’utilité a été si souvent contestée par les détracteurs de nos Services, de compléter l’exposé du Colonel SIMONEAU par ce témoignage (8) du Général WEYGAND – en date du 31 mars 1949. Nous le devons à l’obligeance du Colonel GASSER :


« …Les Services de Renseignements ayant été supprimés par les Allemands, il n’existait officiellement à mon Etat-Major qu’un Deuxième Bureau (dirigé par le Commandant NAVARRE).
Le S.R. était donc clandestin…
Il y fonctionnait un système ayant pour but de transmettre dans les plus courts délais à la force d’intervention de Malte tous les renseignements recueillis par les postes établis sur la côte orientale de Tunisie et par l’aviation de Tunis sur les convois allemands et italiens se dirigeant vers la Tripolitaine en suivant les côtes françaises. Les renseignements transmis furent nombreux et aboutirent à la destruction d’un certain nombre de ces navires.

NOTES :

(1) A – Allemagne – Europe centrale. B – Italie – Europe méridionale – Méditerranée. C – U.R.S.S. – Japon – Chine.
(2) Priorités pour les 3 premiers postes :
BENE 6° et 10° W:K. (de MUNSTER et BREME).
BREM 12, et 9° W.K (de MAYENCE et KASSEL.
SCM 7° et 5° W.K. (de MUNICH et STUTTGART).

(3) Personnels qui par suite du traité de 1919 n’avaient pas fait de Service Militaire.

(4) Les transports routiers de ravitaillement étaient imposés dans la plupart des cas aux transporteurs routiers français. Ceux-ci groupés en C.O.T.R. (Comité d’Organisation des Transports Routiers) sous la présidence de M. Robert SIMON, se mirent spontanément à la disposition du S. R.

(5) Conception et réalisation Ingénieurs COMBAUX et KELLER. Exploitation JUNG, ROCARD, RIESS.

(6) La source « K » ne fut découverte que le matin de Noël 1942 par un détachement de Landesschützen qui prospectait des cantonnements.

(7) Le Général Louis RIVET a largement exposé dans des Bulletins antérieurs les conditions souvent décevantes et irritantes de ces transformations.

(8) Témoignage et documents recueillis par la Commission d’Enquête parlementaire (Tome VI, pages 1660 et 1661).

Sources : Bulletins N° 43 et 44




Histoire des services secrets de la France libre : Le bras armé du général de Gaulle

Dès juin 1940, une poignée de Français choisissent de continuer le combat depuis Londres sous les ordres du général de Gaulle. Mais la poursuite de la guerre est un pari audacieux quand manquent les moyens humains, financiers et matériels. Tout est à inventer, ou presque. C’est dans cet esprit que le colonel Passy organise le Bureau central de renseignements et d’action (BCRA). Son objectif est triple. D’abord, recueillir des renseignements sur ce qui se passe en France. Puis, très vite, soutenir la lutte de ceux qui ont choisi de résister en métropole, exploiter leur potentiel militaire et enfin, bon gré mal gré, leur imposer la tutelle de l’homme du 18 Juin.

Grâce à des archives exceptionnelles (celles du BCRA en France, celles du SOE en Angleterre et celles de l’OSS aux Etats-Unis), cet ouvrage retrace l’aventure de personnages hors du commun qui ont marqué de leur empreinte l’histoire des services secrets de la France libre : le colonel Passy, le colonel Rémy, Jean Moulin, Pierre Brossolette, Roger Wybot (futur patron de la DST), André Manuel, Pierre Fourcaud ou Honoré d’Estienne d’Orves. Il nous entraîne au coeur de ces services et met en lumière leurs relations avec le Général, mais aussi leurs rapports souvent tumultueux avec leurs partenaires britanniques et américains. A travers de multiples informations inédites et des documents jusque-là inaccessibles au public, il démonte la légende noire qui a parfois occulté le formidable apport du BCRA à la victoire alliée et nous fait découvrir toutes les facettes de son rôle dans la lutte pour la Libération de la France.

Commentaire :
Très beau livre écrit en collaboration avec le Ministère de la Défense – DMPA-DGSE sur “ le bras armé du Général de Gaulle ” comportant une
magnifique iconographie et de nombreuses reproductions de documents.




Les Services Secrets Français Sont-Ils-Nuls ?

Les bouleversements géopolitiques majeurs survenus depuis la chute du mur de Berlin, puis les attentats du 11 septembre 2001 ont profondément accru le niveau d’incertitude de la vie internationale et les menaces qui pèsent sur nos sociétés. Logiquement, le rôle du renseignement s’en est trouvé renforcé pour la sécurité des États. En conséquence, dans la majorité des pays occidentaux, les moyens attribués aux services ont été considérablement renforcés, illustration du rôle de plus en plus déterminant qu’ils jouent pour détecter les menaces.

Commentaire :
Livre au titre provocateur et controversé mais également intéressant à lire car son auteur apporte un démenti, un contre-pied au fil des pages à cette question déconcertante. L’étude est étayée, l’argumentation convaincante et l’historique fidèle notamment pour l’action de nos services pendant la guerre.




La flamme de la résistance : Les 5 communes de la Libération

Qu’ont donc en commun la capitale de la France, celle du Dauphiné, un village du Vercors, la plus grande métropole de Bretagne et une petite île du Finistère ? Avoir été honorés par la plus rare et la plus prestigieuse décoration française de la Seconde Guerre mondiale : la croix de la Libération. Aujourd’hui, ces communes portent témoignage pour les générations futures de leur combat, des crimes commis par l’occupant nazi et le régime de Vichy et des hauts faits qui leur ont valu d’être nommées compagnon de la Libération ainsi que 1038 hommes et femmes et 18 unités combattantes.

Commentaire :
Alors que l’Ordre de la Libération a transmis le 16 novembre dernier le flambeau de sa pérennité aux cinq communes Compagnon (Nantes, Grenoble, Paris, Vassieux-en-Vercors, Ile-de-Sein), ce livre magnifique édité par Jean-Pierre Taillandier, fils de Morhange, est véritablement la bible de cette mémoire. L’ASSDN y est honorée en figurant nommément dans la liste des 10 fondations et associations qui ont pour mission, avec d’autres, de transmettre la mémoire et l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale.




Quelles conséquences géopolitiques de l’affaire Farewell ?

Le 9 novembre 2012 s’est tenu à l’amphithéâtre Foch de l’École militaire, un colloque universitaire consacré aux conséquences géopolitiques de l’affaire Farewell qui a rassemblé un auditoire de plus de 700 personnes, dont nombre de personnalités, de membres ou d’anciens des Services de Renseignement et surtout 170 étudiants de troisième cycle.

Présidé par Olivier Forcade, professeur des Universités à l’Université de Paris IV-Sorbonne et au séminaire d’histoire des relations internationales, ce colloque était placé sous l’égide de l’ANAJ-IHEDN(1), à l’instigation de l’ASSDN et de la Société française d’Histoire de la Police avec le concours du groupe de réflexion METIS de Sciences-Po, du groupe Intelligence économique de HEC et le soutien, en “ sponsor ”, de la société McAfee. Managé par Bruno de Blignières sur une idée de Patrick Ferrant il visait en particulier des étudiants en master ou de formation équivalente avec un thème particulièrement intéressant, à savoir les conséquences géopolitiques d’une grande affaire d’espionnage, Farewell, et l’exploitation par les États-Unis et par la France des informations recueillies (près de 3 000 documents).
Profitant d’un séjour en Europe de Richard Allen, ancien conseiller pour la Sécurité nationale du Président Reagan au moment de l’affaire, il lui a été proposé de venir à Paris le 9 novembre, date mythique de la chute du Mur de Berlin et d’être le personnage central de ce projet qui a pu se réaliser grâce au soutien de l’ANAJ-IHEDN et de son secrétaire général, François Mattens dans le grand amphi Foch de l’École militaire.

Le professeur Olivier Forcade, bien connu pour ses travaux sur l’histoire du renseignement(2), a estimé que ce sujet entrait tout à fait dans le cadre des activités du séminaire d’histoire des relations internationales de la Sorbonne. Autour de Richard Allen et de lui-même, ont été réunis intervenants témoins et/ou acteurs de l’époque : le Colonel Patrick Ferrant, le Commissaire-divisionnaire Raymond Nart, ancien responsable du contre-espionnage et directeur adjoint de la DST, Daniel Vernet ancien journaliste duMonde qui était en poste à Moscou à l’époque, ainsi que Françoise Thom soviétologue, maître de conférence à la Sorbonne, Maître Bertrand Warusfel, professeur des Universités à l’Université Lille 2, avocat à la cour, expert en matière de renseignement et d’Intelligence économique dans le domaine juridique et législatif et enfin David Grout de la société McAfee, spécialisée dans la sécurité informatique et la Cyber défense. Compte-tenu du caractère universitaire du colloque, les interventions ont porté exclusivement sur les conséquences géopolitiques de l’affaire à l’exclusion de tout aspect opérationnel, ce qui pouvait être rendu public sur le sujet l’ayant déjà été.

En préambule, François Mattens au nom de l’ANAJ-IHEDN et du groupe METIS a expliqué que ce colloque entrait directement dans la logique de sensibilisation au renseignement et à l’intelligence économique des futures élites de sa génération, ce qui justifiait pleinement leurs soutiens.
En ouverture, Olivier Forcade a présenté la démarche dans laquelle ce colloque avait été monté : celle de la recherche historique et de l’impact du renseignement sur le cours des événements, sujet largement pratiqué dans les pays anglo-saxons mais récent en France dans le monde universitaire.
Connu notamment pour son livre “ Dans le secret des présidents ” Vincent Nouzille, journaliste indépendant, a “ modéré ” avec brio les quatre heures d’échanges, alternant les rappels historiques, les exposés des intervenants ainsi que les extraits d’archives qui nous avaient été gracieusement prêtés par les distributeurs et l’auteur du film “ Farewell ”, Christian Carion.
Daniel Vernet, a retracé l’ambiance de l’époque par ses souvenirs d’ancien correspondant du quotidien Le Monde à Moscou dans cette période de guerre froide et le climat politique régnant en URSS. Après la projection d’un bref extrait de ce film “ Farewell ”, notre camarade Patrick Ferrant a brossé un portrait humain de la personnalité de Volodia Vetrov, alias Farewell, bien loin des caricatures dont il est affublé par ses contempteurs.

On sait que le dernier chef du KGB, le Général Krioutchkov, reconnaissait que la “ trahison ” de Vetrov avait mis en difficulté son service et qu’elle avait été l’une des causes de la fin de l’URSS. Les organisateurs de la conférence ont recherché l’historien russe ou le témoin capable de dévoiler les conséquences éventuelles même indirectes de cette affaire sur l’évolution de l’URSS. Il s’avère que, à l’époque actuelle, en Russie, il n’y a plus personne qui puisse ou veuille plonger dans le passé et réfléchir à ce thème, ni bien sûr écrire des articles sur les conséquences pour l’URSS de l’affaire Vetrov. … d’autant plus que selon le “ politiquement correct ” en vigueur, il ne peut y avoir officiellement aucune relation de cause à effet entre l’affaire Farewell et la destinée de l’URSS.

M. Richard Allen a expliqué comment il avait pu, par sa connaissance approfondie de la France et de son histoire, faire évoluer la perception qu’avait de la situation française l’équipe du Président Reagan déjà engagée dans une politique d’étranglement de l’URSS par le biais de l’économie et a montré comment les informations reçues de la France ont servi d’“ accélérateur ” à la stratégie mise en place par le Président Reagan dès son arrivée à la Maison Blanche.

A la suite des informations reçues, les États-Unis ont pu monter une opération majeure de contre-ingérence mise en œuvre par M. Guss Weiss et la CIA, en intoxiquant les services soviétiques et en sabotant les programmes soviétiques majeurs reposant sur des informations obtenues de manière illicite. Cette opération consistant à laisser “ fuiter ” des données techniques délibérément erronées a contribué à désorganiser la production industrielle de l’URSS dont les Programmes de Recherche et Développement scientifique et technologique reposaient sur des informations acquises par voie d’espionnage. En effet, comme l’ont rappelé les intervenants, la stratégie de l’URSS, engagée dans une course aux armements sans merci, consistait alors à faire l’économie de la R et D (Recherche et Développement) civile en recourant à l’espionnage, de manière à pouvoir consacrer la plus grande part de ses ressources à la R et D militaire.

Maître Bertrand Warusfel a décrit la seconde partie de ce plan qui visait à asphyxier le système soviétique, notamment par le renforcement des règles du COCOM, en particulier l’accord de 84-85 qui marque le tournant par lequel l’approvisionnement de l’URSS en technologie par des voies légales devient de plus en plus compliqué. De nombreux règlements mis en place à cette époque sont toujours en vigueur.

Le Commissaire-divisionnaire Raymond Nart, à présent Inspecteur général de la Police, qui pilotait cette affaire à la DST, a rappelé ce que connaissait son service chargé du contre-espionnage. Un concours de circonstances a conduit le Président de la République, François Mitterrand, à confier l’opération à la DST qui, avec les moyens humains et techniques mis à la disposition par les Armées et le CEMA, le Général Jeannou Lacaze, a pu la mener à bien grâce à une stratégie originale. Il a mis également en relief les mesures d’exploitation des informations ainsi recueillies par la France.
Françoise Thom, historiennne et soviétologue éminente, maître de conférence à la Sorbonne a, elle, traité de l’évolution du régime soviétique et de l’URSS après l’affaire, et jusqu’à la chute du Mur.

En guise d’ouverture sur les réalités actuelles, M. David Grout, au nom de sa société McAfee (Secteur France) a montré comment l’espionnage économique avait évolué depuis l’affaire Farewell notamment dans le domaine de l’information avec les intrusions de plus en plus fréquentes dans les réseaux informatiques, soit à des fins de piratage d’informations, soit dans un but agressif de destruction de données vitales. Il a souligné aussi l’importance que prenait la notion de Cyber défense face aux menaces d’intrusion, qu’elles soient d’origines étatiques ou non étatiques (3).
Le professeur Olivier Forcade a conclu en faisant observer qu’il était tout à fait significatif et symbolique que ce colloque ait été monté à l’initiative conjointe d’une association représentative de la jeunesse étudiante qui sera bientôt en charge de responsabilités, l’ANAJ-IHEDN et étudiants de master histoire des relations internationales de Parix IV et Paris II et d’une association de “ vétérans ”, anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale, l’ASSDN, qui peut faire partager son expérience, dans une mesure compatible avec les règles déontologiques et légales du métier.

En conclusion, ce colloque s’inscrivait tout à fait, par un exemple historique, dans la démarche initiée il y a quelques années par l’Amiral Lacoste et le Général Pichot-Duclos, visant à sensibiliser les élites comme le public à l’intérêt stratégique du renseignement, de son utilisation et du concept d’Intelligence économique.

(1) ANAJ-IHEDN : Association Nationale de Auditeurs Jeunes – Institut des Hautes Études
de la Défense Nationale.

(2) Co-directeur de la collection “ Le Grand Jeu ” au Nouveau Monde éditions, auteur notamment
des “ Carnets du chef des Services Secrets ” ouvrage de référence consacré au Général

(3) Sujet abordé quelques jours auparavant par Jean-Marie Bockel, sénateur, ancien secrétaire
d’état aux anciens combattants et auteur d’un rapport du Sénat sur le sujet, au cours d’une
conférence organisée dans le cadre des lundis de l’IHEDN

Remerciements :
Patrick FERRANT et Max MOULIN pour le Comité Histoire
Bruno de BLIGNIERES et Laurent LEGRIP de LAROZIERE
avec leurs remerciements à Nicolas de BLIGNIERES, Cyril COURSON et Jean TILLINAC
ainsi qu’aux deux officiers de réserve interprètes, pour leur concours efficace

Source : Bulletin n° 228




Janvier 1944 : la relève de Camelia arrive à Clermont-Ferrand

Le texte ci-après est tiré des archives inédites du Colonel Paul Bernard, l’un de nos grands anciens du TR. Il relate, avec un certain humour, son arrivée à Clermont-Ferrand en 1944 pour reprendre la direction de “ Camélia ” après l’arrestation du Capitaine M. A. Mercier. L’expression “ Agence immobilière ” est l’appellation de l’entreprise des “ Travaux Ruraux ” (TR) donnée par Pierre Nord dans son livre (en 3 tomes) “ mes camarades sont morts ”. Notre ami, le Colonel Xavier Bernard, souhaitait voir publier ce témoignage à l’occasion du dixième anniversaire du décès de son père.

Par un froid matin de janvier 1944, un être assez minable descendait du train en gare de Clermont-Ferrand. Petit, maigriot, pâle, mal vêtu, il avait cet air famélique et préoccupé du licencié de partout pour incapacité notoire. Portant avec peine une vieille valise éculée il se dirigea cahin-caha vers la sortie et le gendarme allemand de service jeta du haut de ses 1 m 90 un regard de profond dédain sur ce lamentable représentant de la dégénérescence française. Le Capitaine Bihan (Paul Bernard) récemment promu chef de la succursale Camélia de l’Agence immobilière (Travaux Ruraux : c’est-à-dire Chef du Réseau Centre du Service de Contre-Espionnage), prenait contact avec sa nouvelle garnison.

Il aurait été pour le moins optimiste de prétendre que tout allait pour le mieux, à cette époque, au sein de l’Agence immobilière. Depuis deux mois les coups
durs se succédaient même à une cadence exagérée. Vers le 15 novembre le poste Rose de Toulouse avait perdu son chef. C’était la troisième fois en moins d’un an que ce poste se trouvait décapité. Le 26 novembre l’équipe chargée des embarquements par sous-marin était tombée dans une embuscade. Bilan : un tué, une valise de courrier et un poste radio perdus, la liaison maritime avec Alger coupée.

Le 29 novembre Durand, chef de l’équipe d’embarquement, avait été arrêté par suite de la trahison d’un agent double. Dans les premiers jours de décembre la police allemande de Paris arrêtait le Capitaine Laprune, celle de Nantes mettait la main sur le Lieutenant de Vaisseau Lavallée et toute son équipe tandis qu’à Marseille l’Oberscharführer Delage (Dunker) arrêtait trois agents du poste Glaïeul dont un agent double qui allait parler et provoquer d’autres arrestations.
Le 6 décembre deux agents de liaison étaient pris à Paris avec une valise de courrier.

Le 11 décembre le Capitaine Mordant (Roger Morange), chef de poste Glaïeul, attiré dans un guet-apens était blessé et arrêté ainsi qu’un sous-officier. Le même jour en gare de Roanne était arrêté le Capitaine Marchand (M. A. Mercier) chef du réseau Camélia et adjoint du Commandant Laforêt (Lafont alias Verneuil) grand chef de l’Agence immobilière pour la France. En même temps que lui un des meilleurs agents de liaison du Service tombait aux mains de l’ennemi. A la suite de ces arrestations le Commandant Laforêt acharné à reconstituer ses équipes avait désigné comme successeur de Marchand le Capitaine Bihan que nous venons de voir débarquer si triomphalement à Clermont-Ferrand.

Au cours d’un interminable voyage le nouveau chef de réseau avait eu tout le temps de savourer les joies de sa nomination, Camélia était un commandement de choix : 19 départements, des chefs de postes gonflés à bloc, la perspective de récolter à Limoges, à Vichy, à Lyon des tas de renseignements intéressants, il y avait de quoi mettre l’eau à la bouche. Pour l’instant cependant, Bihan était préoccupé par une question plus terre à terre. Il cherchait un logement et il avait quelques raisons personnelles de ne pas considérer les hôtels et les meublés comme des havres de tout repos.

Il existe encore, heureusement, en province, un certain nombre de foyers dont la tranquillité ouatée, basée sur des traditions familiales centenaires, est capable de résister aux plus effroyables bouleversements. Dans les “ années terribles ” lorsque traqués, saouls de fatigue et d’énervement, écœurés par les trahisons et les reniements, les pauvres hommes qui s’accrochent à la lutte contre le vainqueur cherchent avec angoisse une aide et un repos, leurs rêves leur montrent la maison calme et quiète où il ferait si bon oublier de temps en temps les rafles, les perquisitions, les tortures, tout ce sang et cette fange dans laquelle ils pataugent quotidiennement.

C’est vers une de ces “ calmes retraites ” que se dirigeait le Capitaine Bihan. Une tante de sa femme, Madame de B… habitait en effet à ClermontFerrand.
La famille de B… n’est pas inconnue dans les milieux militaires. Officiers ou soldats, les hommes qui portent ce nom ont coutume de jalonner de leurs tombes les champs de bataille où se joue le sort du pays. La branche clermontoise de la famille était bien loin de cette gloire militaire. Veuve depuis un an, Madame de B… habitait avec sa fille Odile et une demoiselle de compagnie, Françoise. Au physique ces trois personnes étaient fort dissemblables.

Madame de B…, blanche de cheveux, toute menue, douce et tranquille faisait un curieux contraste avec sa fille fortement charpentée, énergique,
décidée, sachant très bien imposer sa volonté d’un froncement de ses épais sourcils noirs. Quant à Françoise elle joignait à l’aspect menu de Madame de B… le dynamisme de sa fille. Par contre sur le plan moral toutes trois présentaient de grandes ressemblances. Très pieuses, menant une vie presque monacale, lectrices du Tiers Ordre de Saint François elles avaient orienté leur existence vers les bonnes œuvres et le salut de leurs âmes. Les activités de la Gestapo devaient leur être aussi étrangères que celles d’hypothétiques Martiens.
Impossible pour un hors la loi de trouver un abri plus sûr que cette maison de paix. Du point de vue matériel, l’immeuble qu’elles habitaient se présentait sous forme d’une maison bien construite, dans un quartier tranquille à mi-distance entre la gare et le centre ville. Deux entrées, l’une sur la rue, l’autre sur des jardins permettaient des allées et venues relativement discrètes. La famille de B…

se réservait le 1er et le 3e étages et avait loué le rez-de-chaussée et le second. Les seuls inconvénients de l’immeuble étaient, outre cette présence de locataires inconnus, la proximité du PC de la Milice et celle de l’Université de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand.
Tout compte fait le Capitaine Bihan considérait cette maison comme providentielle et voici comment il raconte la façon dont il fut reçu :
En sonnant chez ma tante de B… j’étais un peu inquiet. On a beau être devenu assez rossard et peu scrupuleux, il est quand même difficile d’imposer sa présence à une famille sans la prévenir que votre présence risque d’être aussi pleine de charme que celle de la peste ou du choléra. Je fus accueilli à bras ouverts et après avoir parlé quelques minutes de questions familiales je risquais une allusion timide à la difficulté de trouver un logement. Immédiatement, avec un bon sourire, Madame de B… déclara : Mon cher enfant j’espère bien que vous nous ferez le plaisir de vous installer parmi nous. Avec quelques circonlocutions j’entrais alors dans le vif du sujet : ma tante savait certainement que je faisais un peu de Résistance mais elle ignorait peut-être que cela me prenait du temps, m’obligeait à une vie peu régulière, à de fréquents déplacements et que je devais aussi recevoir certaines personnes, bref qu’il y avait à craindre que ces allées et venues n’attirent l’attention des Allemands… ce qui présentait des risques… des risques que… plus j’allais, plus le sourire s’apanouissait sur le visage de mes interlocutrices… “ Mais oui, mais oui disait tantôt l’une, tantôt l’autre, cela va de soi. C’est tout naturel, des risques ? Bien sûr mais le ciel nous protégera ”.

J’admirais la candeur naïve de personnes assez éloignées des choses de ce monde pour ne même pas soupçonner les méthodes chères aux Allemands. Très touché de l’affection qui m’était témoignée, j’avais de plus en plus l’impression d’être un dégoûtant personnage abusant de l’ignorance et de la bonne foi de ces braves cœurs pour les entraîner à leur perte. Mais nécessité fait loi et, sans pousser l’hypocrisie jusqu’à me faire prier, j’acceptais l’invitation qui m’était faite.

Un peu avant le déjeuner, Odile m’avertit qu’un ménage de réfugiés partagerait notre repas. Effectivement, lorsque je descendis à la salle à manger je me trouvais en face d’un couple d’allure jeune, présentant deux particularités qui m’étonnèrent un peu : d’abord ces invités étaient en pantoufles et tenue d’intérieur ce qui semblait indiquer qu’ils habitaient la maison, ensuite l’homme possédait à un degré difficile à égaler, tous les caractères de l’Israélite d’Europe Centrale. Tous deux parlaient français avec un sérieux accent. J’appris qu’ils étaient Lettons et qu’ils habitaient la chambre voisine de la mienne. Puisque nous devions cohabiter il fallait se montrer aimable. J’eus le malheur de m’apitoyer sur la Lettonie qui depuis 1939 avait été deux fois envahie par les Russes et les Allemands. M. Pierre (c’est le nom qu’on donnait au mari), m’interrompit sèchement en précisant que la Lettonie, terre russe, n’avait pas été envahie par l’URSS mais libérée du joug d’un gouvernement infâme exécré de tous les bons Lettons. Je me le tins pour dit et orientais d’urgence la conversation vers les mérites respectifs de la pluie et du beau temps.

Après le repas, je demandais à ma famille quelques explications sur ces Lettons dont le patriotisme me semblait curieux. J’appris alors que nés en Lettonie avant 1918 ils avaient conservé la nationalité soviétique puis étaient venus se fixer en France, le mari comme ingénieur et la femme comme traductrice à l’ambassade d’URSS. Ils habitaient depuis plusieurs mois chez Madame de B… à laquelle ils avaient été confiés par une organisation d’extrême-gauche.
Je commençais à me demander sérieusement si mes parentes étaient aussi naïves qu’elles voulaient bien le paraître. En tous cas mon asile était certainement moins sûr que je ne l’avais cru.

Dès le lendemain, j’eus un nouveau motif d’étonnement. Odile partie de bon matin avec une poussette, revint avec un morceau de bœuf d’une vingtaine de kilos que M. Pierre s’empressa de débiter. Comment ? Cette pieuse famille se livrait au marché noir ? C’était incroyable. Pourtant dans le courant de l’après-midi un certain nombre de personnes vinrent prendre livraison des paquets préparés par M. Pierre. Pas de doute, j’étais tombé chez d’affreux trafiquants. C’était gai !Pour peu que la Police économique ait vent de la chose et perquisitionne, elle ne manquerait pas de s’étonner de la présence du Letton judéo-marxiste et par voie de conséquence manifesterait peut-être à mon égard une curiosité déplacée.

Il fallait que ce trafic cesse. Mes ouvertures en ce sens se heurtèrent à un refus aimable mais ferme et on m’expliqua que ce trafic n’était qu’une “ couverture ”.
Il s’agissait de masquer la destination des gros achats de denrées effectués par la famille de B… pour nourrir “ quelques petits ”. Les “ petits ” en question étaient de bons jeunes gens en voie d’acheminement vers les maquis du Massif Central. On me prévint d’ailleurs que j’aurais certainement le plaisir de faire connaissance avec certains d’entre eux car la maison servait en cas de besoin de lieu d’hébergement. De mieux en mieux, pour un coin tranquille j’avais choisi un coin vraiment tranquille.

Peu après Françoise vint annoncer que le jeune homme et la jeune femme étaient là. Vaguement inquiet je me hâtais de demander qui étaient ces nouveaux personnages. On me répondit avec la plus suave tranquillité qu’il s’agissait d’une entreprise de fabrication de faux-papiers à l’usage des Israélites et des jeunes gens en rupture de STO. Sachant la maison à l’abri de tout soupçon, les dirigeants de cette entreprise l’avaient choisie pour y installer leur laboratoire technique.

Timidement je demandais si par hasard je connaissais maintenant toutes les activités clandestines de la famille. Bien sûr que non ! D’abord “ on ” n’avait pas eu encore l’occasion de manifester son amitié à nos fidèles alliés anglo-saxons, c’était une lacune regrettable mais tout espoir n’était pas perdu de ce côté. Odile s’était en effet abouchée avec une filière d’évasions et espérait avoir le plaisir d’héberger un jour des aviateurs anglais ou américains. “ On ” avait également logé quelques anti-vichystes notoires pris dans les milieux politiques ou journalistiques et “ on ” ne désespérait pas de recommencer. “ On ” avait aussi eu le plaisir d’héberger quelques temps un des principaux dirigeants des Services Spéciaux. Enfin pour ne rien oublier, il fallait bien avouer qu’“on” diffusait un peu de presse clandestine, en particulier les Cahiers du Témoignage Chrétien.

C’était tout… pour l’instant, mais “ on ” espérait bien que ma présence allait permettre de mener une vie un peu plus active.
Ahuri, j’écoutais cet exposé en repassant dans mon esprit les prescriptions du
“ vade-mecum du parfait espion en campagne ”:
– Ne jamais se lancer dans plusieurs activités clandestines à la fois.
– Ne pas camoufler dans un même local des matériels appartenant à plusieurs
organisations.
– Éviter tout contact entre membres d’organisations différentes.
– Ne jamais utiliser un local d’habitation comme local de travail.
– (…)

Je voyais d’ici la tête du Commandant Laforêt lorsque je lui rendrai compte de l’installation de mon PC.
D’autre part il fallait bien que je commence mon travail : fils du réseau à renouer, nouvelles instructions à apporter aux différents postes, liaisons radio à reprendre. Non, décidément, je n’avais pas le temps de chercher un autre gîte avant quelques jours. Installons-nous donc provisoirement.
Ce provisoire allait durer très exactement jusqu’à la Libération et allait permettre au Capitaine Bihan de connaître l’âge d’Or sans être jamais inquiété, du moins à cause de son implantation.

NB : une suite de ces souvenirs est envisagée en fonction du dépouillement des archives du Colonel Paul Bernard.

Source : Bulletin n° 225




Témoignage d’un déporté à Buchenwald – Septembre 1944

Voici un témoignage exceptionnel d’Auguste Favier, déporté, communiqué à notre délégué de la Manche, Jean-Claude Hamel, par Philippe Lerebourg. Nous leur exprimons notre profonde gratitude. Ce témoignage bien émouvant ravive, deux ans après, le souvenir qu’ont gardé celles et ceux qui ont accompli avec moi cet inoubliable pèlerinage de mémoire du 15 octobre 2010 vécu la main dans la main avec nos amis du SFC britannique au camp de Buchenwald. Ces officiers anglais et français étaient tous du SOE. Il y avait aussi parmi eux des Canadiens, des Néerlandais et des Belges dont Robert Benoît, grand pilote de courses automobiles. Ils étaient non seulement dans le même convoi mais dans le même wagon que nos propres officiers de TR et de deux autres réseaux du BCRA. Tous ont été internés dans le Block 17 en attendant une mort, pour eux, inéluctable.
Henri DEBRUN

En septembre 1944, mon ami Paul Guignard, du Block 17, vint m’avertir qu’un groupe de 37 officiers anglais et français, connus sous le nom de “ parachutistes”, parce que parachutés sur le sol français, étaient réunis dans son Block et attendaient la mort.
Condamnés à être prochainement fusillés, ils désiraient avoir leurs portraits, dans l’espoir que des camarades pourraient un jour transmettre ce souvenir à leurs familles. Comment faire pour leur rendre cet ultime service ?

Comme je l’ai dit, je travaillais alors au “ Bau trois ”, Kommando “ Terrasse ”, maniant la pelle et la pioche du petit jour au coucher du soleil. Par une chance exceptionnelle, mon vorarbeiter (contremaître) était un Français, le sympathique Hangelli, qui s’arrangea, malgré de gros risques pour lui, pour me laisser au camp. Moins heureux, mon camarade Mania ne peut exécuter que deux portraits.
Quel souvenir !

J’avais déjà pu exécuter quelques croquis : Wilkinson, Meyer, Barett, Huble… J’achevais celui du grand champion de courses automobiles Robert parleur proche, appelant à la tour, c’est-à-dire à la mort, une douzaine de ces héros. Entendant son nom, Robert Benoît me dit tranquillement : “ Il était temps, car tu as fixé là, pour la dernière fois, ma sympathique gueule ”.
En effet, aucun de ces héros ne revint.
Les jours suivants, je mettais les bouchées doubles, car ceux qui restaient vivaient dans l’attente du même sort.
Quelle émotion de dessiner en conversant avec ces surhommes qui, malgré tout, conservaient leur bonne humeur et leur gouaille.
Je revois le Capitaine Mulsant, qui lançait continuellement des boutades, et le benjamin, le petit Chaigneau, me disant, l’esquisse achevée : “ Tu m’as fait la lèvre dédaigneuse.
Pour la postérité, j’aimerais mieux avoir le sourire !”.
Je n’aurais pas eu le temps de rectifier : le lendemain, c’était son tour.
Et Bernard Guillot, appelé plusieurs fois à la tour pour d’autres motifs ; il disait adieu à ses camarades et revenait avec le sourire.
Je pourrais les citer tous, égaux en bravoure. Grâce à des complicités dans l’organisation clandestine du camp, six purent échapper à l’assassinat, trois Anglais, le Wing Commander Yeo Thomas, alias Major Dodkins, le Major Penlevé, alias Major Pool, le Major Southgate et trois Français : le commandant Culioli, Stéphane Hessel et Bernard Guillot.
Sur nos 37 camarades, nous ne pûmes en dessiner que 22 : dans cette course devant la mort, les SS avaient été plus rapides que nous.

Source : Bulletin N°225




Histoire politique des services secrets français

Cet ouvrage retrace l’épopée de la DGSE, le service de renseignement français à l’international et des services qui l’ont précédé. Cette centrale d’espionnage et de contre-espionnage est en effet l’héritière d’une longue histoire commencée dans la Résistance contre les nazis. Trajectoire prolongée par le SDECE pendant la guerre froide, la guerre d’Indochine, la guerre d’Algérie, sous la IVe République comme sous les présidences de Gaulle, Pompidou et Giscard d’Estaing. Puis par la DGSE depuis 1982 sous Mitterrand, Chirac, Sarkozy et maintenant Hollande avec l’émergence du monde éclaté d’aujourd’hui.

Une aventure qui court sur sept décennies, de la Seconde Guerre mondiale à l’actuelle gestion par le nouveau pouvoir socialiste. Pour faire vivre cette histoire des services secrets français, de leurs échecs et de leurs réussites, pour décrire en profondeur leurs relations souvent mouvementées avec le pouvoir politique, les trois meilleurs spécialistes du sujet, Roger Faligot, Jean Guisnel et Rémi Kauffer, ouvrent leurs fonds d’archives originales accumulées pendant près de quatre décennies.

Brossant le portrait des hommes et des femmes des services, ils narrent leurs opérations clandestines sur tous les continents et livrent des dizaines de témoignages inédits. Nourrie de révélations, de récits spectaculaires, de mises en perspective novatrices, de détails techniques, cette somme et son index de près de 6 000 noms constituent dès maintenant une référence sans équivalent.

Commentaire :
Livre de référence sans précédent écrit par trois journalistes d’investigation bien connus de l’ASSDN à partir de leurs fonds d’archives, de nombreux témoignages et de leurs connaissances du monde du Renseignement. Un livre passionnant sur cette aventure humaine que constitue la trajectoire décrite de nos Services qui court sur sept décennies. L’ASSDN y occupe une place de choix et ses membres y sont qualifiés de “ gardiens du temple ”. A lire sans aucun doute. Un des auteurs, Roger Faligot, est membre honoraire de l’ASSDN.




L’assassinat du colonel André SEROT

En 1981, L’AASSDN commémorait le 33° anniversaire de l’assassinat à Jérusalem de notre ami et camarade, le colonel André SEROT. Il était médiateur de l’O.N.U. aux côtés du comte Folke BERNADOTTE. Nous devons à l’obligeance de notre camarade lyonnais RÉAUX un émouvant récit de cet attentat. Nous l’avons extrait de son journal de marche, en même temps que quelques passages édifiants sur le climat qui régnait en Israël. Mais est-ce bien différent aujourd’hui ?

par Mr. REAUX

Dans la nuit du 17 au 18 août 1948, des détachements des trois armées se glissent vers le Government House, les Juifs avec des camions blindés, les Arabes à pied.

Rencontre sérieuse, combat de nuit, échange de mortiers et d’obus. La bataille fait rage jusqu’au jour.

Du côté juif : 50 tués ou blessés.

Le commandement juif prétend qu’averti de l’intention des Arabes de s’emparer de l’hôpital, il a voulu les devancer afin d’évacuer des malades juifs qui s’y trouvaient.

Mais les Arabes ont réagi, et le 17 au matin, ils occupent le Government House, tandis que les Juifs se sont installés dans l’université arabe et l’école d’agriculture juive.

Arabes, Égyptiens et Juifs sont au contact et chacun s’organise sur le terrain conquis.

Dans la journée, les observateurs de l’O.N.U. essaient en vain d’obtenir le retrait des troupes de part et d’autre.

Le 18 seulement, on obtiendra une trêve permettant de relever les cadavres et blessés restés entre adversaires. Malheureusement, malgré les engagements les Arabes tirent sur les brancardiers juifs et 3 cadavres restent sur le terrain, d’où ils ne seront relevés qu’en septembre. Les cadavres juifs ramenés sont atrocement mutilés, selon la vieille coutume arabe !…

Vers 10 heures, je descends en jeep avec deux camarades jusqu’à l’American School, P.C. du colonel SÉROT, commandant le secteur arabe de Jérusalem.

Je retrouve avec joie ce dernier, avec qui j’ai passé deux ans au S.R. de Belfort, en 37-38, et à qui j’ai toujours été très cordialement attaché.

Depuis quelques jours, violente campagne dans les journaux contre l’O.N.U., et surtout contre BERNADOTTE.

31 août 1948

Un radio américain et un ouvrier juif sont grièvement blessés au carrefour du consulat américain. Cela fait les 4e et 5e victimes. On pense (enfin !)… à rechercher un itinéraire moins dangereux.

A 21 heures, je suis à Lifta avec tous mes officiers. La nuit est magnifique.. Sous le ciel bleu parsemé d’étoiles, à 40 m. des mitrailleurs au créneau, derrière la maison du P.C., une vaste cour entourée d’oliviers et de figuiers ; des chaises et des bancs sur toutes les faces. Au centre, un énorme projecteur qui inonde de lumière les dalles roses de la cour.

Cinq cents personnes au moins, civiles et militaires, s’y entassent. On nous a réservé des places à la table d’honneur, aux côtés du colonel venu pour l’occasion. Dans un coin, un orchestre à cordes sur une estrade.

La nuit est calme, fraîche. A l’arrivée du colonel, un commandement bref retentit, tout le monde est au garde-à-vous… L’hymne national retentit, chanté avec une ardeur sauvage, presque mystique…

18 septembre 1948

Le comte Folke BERNADOTTE et le colonel SEROT sont assassinés par le groupe STERN (groupe choc de l’AGANA dont le chef était M. BEGIN).

On a beaucoup écrit, beaucoup épilogué sur ce meurtre. Voici exactement comment les faits se sont passés.

Dans la voiture de tête, l’officier de liaison juif, le secrétaire et l’aide de camp de BERNADOTTE.

Dans la deuxième voiture, devant : le commander Mox et, comme chauffeur, Mr. BUGLEY, chef de la sûreté de l’O.N.U. ; derrière, de gauche à droite, le général LANDSTROËM, le colonel SEROT au centre, le comte BERNADOTTE à droite.

Brusquement, une jeep barre la route au convoi, deux Juifs en descendent, mitraillette au poing, inspectent la première voiture, puis arrivent à la deuxième. Celui de gauche passe le canon de son arme par la portière de gauche et descend à bout portant le colonel SEROT qui se penchait vers lui, couvrant BERNADOTTE, puis le comte, qui s’effondre frappé à mort. Le comte meurt pendant son transfert à l’hôpital.

Mr. BUGLEY, non armé, n’a pu intervenir. Les deux Juifs se sont replié en tirant, crevant même le pneu avant droit de la voiture de tête, et la jeep a disparu.

L’officier de liaison juif (le capitaine HILLMANN) n’a « naturellement » rien vu ! On ne retrouvera jamais les agresseurs.

Dans l’après-midi, les corps sont déposés sur des brancards, dans une salle du YMCA transformée en chapelle ardente, et nous veillons toute la nuit les corps de ces martyrs de la Paix » dont la toilette funèbre a été faite par des religieuses françaises.

20 septembre 1948

Les corps de BERNADOTTE et de SEROT sont transférés à Haïfa. Long cortège d’une vingtaine de voitures. Autorités juives et consulaires. A Latrum, l’Arab Legion, alignée le long de la route, rend les honneurs.

Parti à 9 heures, le cortège arrive vers 13 heures, en pleine chaleur. Les corps sont immédiatement embaumés.

Nuit d’une chaleur étouffante.

A 6 heures du matin, les corps de nos infortunés camarades sont partis en avion pour la France.

Nous leur adressons du terrain d’Haïfa un dernier adieu. Pauvre Mme SÉROT !…

A 8 heures, je prends l’avion à mon tour.

A 9 h 30 je suis à Colundia et à 17 heures je réintège le YMCA, sans incident, mais « vanné » !

Triste corvée enfin terminée !

La nuit est agitée, mais le sommeil l’emporte.

Les Juifs s’attendent à une réaction en Europe, et à l’application des sanctions.

22 septembre 1948

Police, patrouilles, contrôles… le grand jeu ! Mais on a l’impression que c’est du bluff et que les coupables sont déjà à l’abri. Il faut bien calmer l’opinion mondiale ;

A 10 heures, service religieux, chez les Pères de Ratisbonne, pour le repos de l’âme du colonel SÉROT. Autorités juives et étrangères y sont représentées.

par Mr. REAUX, publié dans le Bulletin N° 108 (1981)




Hommage à Dewavrin, alias Colonel Passy

Je ne l’avais pas revu depuis de longues années. Victime de graves atteintes vasculaires, il évitait les contacts extérieurs. J’ai ressenti péniblement sa mort, le 21 décembre 1998. C’est la dernière pièce maîtresse du BCRA qui s’écroule et avec elle c’est une page de notre histoire secrète qui se tourne, sans qu’il ait pu, ou voulu, en écrire toutes les vérités.

Contrairement à ce que nombre d’historiens ou journalistes ont laissé entendre, les ” rivalités ” de façade entre les services traditionnels et ceux de Londres, n’ont jamais empêché, sur le champ de bataille clandestin, une complémentarité d’efforts et une solidarité de tous les instants.

Je sais les sournoises rumeurs propagées, les accusations gratuites et infâmantes, parfois colportées tendancieusement, pour nuire à nos anciennes maisons, sans pour autant donner du prestige au BCRA.

Maintes fois j’ai regretté que Passy, lui-même, prête une oreille à ces mensonges et n’ait pas vérifié la valeur de ses sources d’information ni cherché à mieux connaître nos rigoureuses attributions.

Je l’ai rencontré pour la première fois à Londres entre la Noël 1942 et le premier de l’an 1943. Il était venu me saluer dans le bureau que l’I.S. m’avait octroyé lors de mon évasion de France.

Après s’être informé de mes intentions et offert d’adhérer à la France Libre avec un grade supérieur, il m’avait affirmé son désir de collaboration. Il comprenait d’autant mieux ma volonté de développer officiellement et clandestinement nos services et réseaux de sécurité et de contre-espionnage, que le BCRA n’avait rien d’équivalent à m’opposer.

Nous nous étions quittés, résolus l’un et l’autre à concrétiser nos engagements d’union. C’était sans compter avec les rivalités croissantes des Généraux Giraud et de Gaulle…

Pendant plus d’un an, nos contacts se sont éloignés. Alimentés par les rumeurs imbéciles et partisanes, ils ont pris des allures parfois conflictuelles à Alger.

Ambitieux, à l’égal de son chef, le BCRA entendait affirmer une suprématie qui ne justifiait ni sa compétence en matière de Renseignement, ni le savoir-faire de ses composants.

Il fallut la diplomatie de Frenay et la souplesse de Soustelle pour mettre un frein au déchaînement des passions et aboutir à une sorte de fusion qui ruina la santé de notre patron, le Général Rivet.

Après la libération de notre Patrie, nous nous sommes ouverts de tout cela, Passy et moi. Certes mon camarade ne niait plus la valeur du professionnalisme de nos cadres. La preuve en est qu’éphémère patron du S.D.E.C.E., il fit appel à mes compagnons pour tenir les commandes de cette nouvelle organisation.

Pas davantage, il ne niait la qualité du travail de recherche et de sécurité de nos anciennes maisons, avant et pendant la Deuxième Guerre Mondiale. Il nous ” reprochait ” notre trop grande bienveillance à l’égard de nos alliés britanniques et nous soupçonnait d’avoir intrigué pour diminuer l’influence du BCRA à leurs yeux.

Pensées médiocres, surprenantes chez cet homme intelligent, cultivé, méthodique dont l’action courageuse et obstinée a aidé à surmonter les désordres de la Résistance pour contribuer aux succès des opérations de libération de notre territoire.

A la fin des années quarante, il dut quitter les Services Spéciaux dans le fracas de scandales moraux et financiers. Trop vite sans doute, car, visionnaire avisé, il avait compris la nécessaire évolution des Services Secrets en fonction d’une conjoncture nouvelle et leur indispensable adaptation aux méandres variés de notre Défense.