Nice, haut-lieu de la Résistance française

Allocution du général d’armée aérienne (CR) François Mermet, Président l’Amicale des Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale, l’AASSDN, et ancien Directeur Général de la Sécurité extérieure, aux monuments aux morts de Nice, le 5 octobre 2022. Ce fut l’occasion de rappeler le rôle de Nice pendant toute la Deuxième Guerre Mondiale pour son soutien actif à la Résistance. Nice qui est une des rares villes de France à s’être libérée sans l’aide de troupes étrangères grâce au soulèvement de sa populationDans un discours prononcé le 9 avril 1945, place Masséna à Nice, le général de Gaulle, président du gouvernement provisoire de la République française, évoquera la libération de Nice en ces termes : « Nice, le 28 août 1944, par l’héroïque sacrifice de ses enfants, s’est libérée de l’occupant. (…) Nice libérée, Nice fière, Nice glorieuse ! ».[1] Nice, enfin, dont tant d’enfants se sont révélés des héros face à l’envahisseur. [NDLR]

https://www.youtube.com/embed/BmTzv2wJxgE

Monsieur le Préfet,

Monsieur le Maire, représenté par Madame Marie-Christine Fix.

Marins du SNA Casabianca, Aviateurs de l’escadron de transport Poitou et du CPA10, unités prestigieuses de nos forces spéciales avec qui nous avons l’honneur d’être en parrainage,

Monsieur le Délégué militaire départemental,

Monsieur le commandant du Groupement de gendarmerie départementale des Alpes-Maritimes,

Mesdames, Messieurs,

Chers amis.

Notre Amicale se retrouve, une nouvelle fois, dans cette superbe ville de Nice où nos grands anciens, conduits par le Colonel Paul Paillole, avaient tenu congrès en 1975.

Une même soif de vérité et de reconnaissance nous anime dès lors qu’il s’agit de célébrer la mémoire de nos Services de renseignement et de contre-espionnage. Bien avant la Seconde Guerre Mondiale, ils avaient fait leur travail en dénonçant avec précision les menaces allemandes et italiennes qui planaient.

Ils n’ont — hélas — pas été écoutés. Ni par le pouvoir politique, ni par le Haut commandement militaire de l’époque.  

Une semaine avant la foudroyante invasion allemande de l’été 1940, le colonel Rivet et le commandant Paillole, prévoyant la dissolution de leur service dans les clauses de l’armistice, ont préféré saborder leur service pour entrer en résistance en choisissant la clandestinité. Évacuant de Paris leurs personnels et leurs si précieuses archives, ils se sont regroupés à Bon-Encontre, près d’Agen, où ils feront le serment de continuer le combat jusqu’à la Libération du pays.

En 1954, dans le tome I de ses mémoires, le général de Gaulle écrit : « Les premiers actes de résistance venaient des militaires, les services de renseignement continuaient d’appliquer dans l’ombre des mesures de contre-espionnage et par intervalle transmettaient aux anglais des informations ».

Outre la fourniture de renseignements sur l’ordre de bataille et les infrastructures de l’armée allemande, ils permirent 1300 arrestations, 264 condamnations et 42 exécutions d’agents et de collaborateurs.

Après le débarquement des alliés au Maroc et en Algérie, les opérations de reconquête en Afrique du nord et en Méditerranée, furent réussies grâce aux actions des services du commandant Paillole : le Brigadier général Dudley Clarke, responsable britannique des opérations d’intoxication (deception) confiera : « Il nous eut été impossible de mener à bien notre tâche sans l’aide experte et si généreuse de vos services ».

Allocution du général d’armée aérienne (CR) François Mermet, Président de l’AASSDN à Nice

Les autorités au garde à vous pendant l’exécution de l’hymne national – Photo © Joël-François Dumont

Lors de notre Congrès à Bon-Encontre, en 2021, nous avons soulevé un coin du voile sur cet épisode fondateur de la Résistance. De nouveau, le 30 mai dernier, lors de la commémoration du 150ème anniversaire de la création de la Direction du Renseignement et de la Sécurité de la Défense, le nouveau ministre des Armées, M. Sébastien Lecornu, a évoqué ce Serment dans la cour d’honneur des Invalides en rendant un hommage solennel à l’action déterminante du général Rivet et des colonels Paillole, Sérot et Doudot.

Ce dernier, figure légendaire de notre contre-espionnage, infiltra et manipula, trois postes du service de renseignement de l’Abwehr sur le territoire allemand. Les Alliés lui attribuèrent, comme au commandant Paillole, leurs plus hautes distinctions : officier de la Legion of Merit américaine et chevalier de l’Ordre du British Empire.

C’est avec fierté que nous retrouvons à Nice cette flamme de la Résistance, dans cette ville où Jean Moulin organisa depuis sa galerie d’art la difficile mission dont l’avait chargée le général de Gaulle : rassembler et unir les différents mouvements de Résistance.

Qu’il me soit permis d’évoquer la mémoire de Niçois qui se sont rendus célèbres dans leur combat pour la libération de la France.

C’est un Niçois, le capitaine Gustave Bertrand, responsable de nos services à Berlin qui, en 1934, subtilisa aux Allemands les plans de la fameuse machine Enigma, dont le développement en coopération avec les services polonais, puis britanniques, permit dix ans plus tard, aux Britanniques de gagner la bataille d’Angleterre avant de donner aux Alliés une longueur d’avance pendant toute la guerre jusqu’à la victoire.

En 1940, c’est à Nice que Bertrand se réfugie avant d’exfiltrer son équipe vers Londres via l’Espagne. Nice était alors notre station de surveillance face à l’Italie. Nice devint, dès 1942, un poste important du réseau de contre-espionnage dit des « Travaux Ruraux », mis en place clandestinement dès la signature de l’armistice par le général Rivet et le commandant Paillole pour combattre les services secrets allemands et italiens.

Hommage au général Delfino pendant le passage de deux Rafale du Normandie-Niemen – Photo © JFD

C’est aussi à Nice que naquit le général d’armée aérienne Louis Delfino, pilote aux 16 victoires aériennes homologuées et dernier commandant du prestigieux régiment Normandie-Niemen engagé sur le front russe. La ville de Nice lui rend hommage tous les ans ainsi qu’aux 42 pilotes qui perdirent la vie au cours de cette épopée.

nice liberation affiche 27 mai 1945 1

En 1944, Nice est l’une des rares villes de France qui se libère par elle-même grâce à l’insurrection de sa population et aux mouvements de résistance peu de temps avant l’arrivée d’une division américaine.

Il y a quatre ans lors de notre Congrès à Annecy, nous avons célébré à la nécropole des Glières le sacrifice et le courage des Résistants et des maquisards, espagnols pour la plupart, encadrés par les chasseurs-alpins du 27e BCA commandés par le colonel Jean Valette d’Osia.

Leur soulèvement permettra la libération de la Haute-Savoie, le seul département à s’être libéré du joug nazi.

Connaissant les liens historiques qui unissent le duché de Savoie et le comté de Nice, comment pour le savoyard que je suis, ne pas associer dans un même éloge la Résistance du département de la Haute Savoie et de la ville de Nice ?

Nice, hélas, est devenue une ville martyre depuis l’attentat terroriste de masse du 14 juillet 2016 : 86 morts, un demi-millier de blessés ! Nos pensées se tournent vers les familles endeuillées, vers toutes celles et ceux qui restent meurtris dans leur chair et leur cœur. À travers notre association, la communauté du renseignement salue leur dignité ; elle fait ici le serment de ne jamais oublier les victimes innocentes du carnage de la Baie des Anges.

Gageons que « la victorieuse » comme le rappelle l’origine grecque de Nice, « Nikaïa », saura surmonter l’épreuve et donner l’exemple de son courage à la Nation au moment où la guerre surgit à nouveau en Europe.

Bernard Gonzalez, préfet des Alpes-Maritimes, dépose une gerbe aux monuments aux morts de Nice – Photo © JFD

Que soient enfin remerciés, toutes celles et tous ceux qui nous ont accueillis avec bienveillance pour réussir ce congrès, au premier rang desquels Monsieur Bernard Gonzalez, préfet des Alpes maritimes et Monsieur Christian Estrosi, maire de cette belle ville de Nice, sans oublier bien sûr cet hommage de notre armée de l’Air et de l’Espace avec le passage d’une patrouille de Rafale du Normandie-Niemen.

Général François Mermet, Président de l’AASSDN

[1] La libération de Nice a lieu le 28 août 1944 à la suite d’une insurrection armée décidée par la Résistance. Les insurgés ne sont qu’une centaine au début de la journée du 28 août, mais l’ampleur qu’a pris le soulèvement en fin de journée pousse l’occupant allemand à évacuer la ville. Les Alliés ne sont pas au courant de l’insurrection et n’aident donc pas les insurgés. Côté niçois, 31 résistants seront tués et 280 seront blessés (Source : La Bataille de Nice in Wikipedia).




Source MAD : Française de l’ombre

Un événement majeur de l’histoire du renseignement français pendant la Seconde guerre mondiale, à travers l’histoire d’un couple interdit : Madeleine Richou, agent des Services spéciaux français secrets clandestins, et Erwin Lahousen, officier autrichien au service de la Wehrmacht, unis contre le nazisme.

La position stratégique de Madeleine Richou-Bihet et de Erwin Lahousen Elder von Vivremont a fait de leur engagement une source de renseignements de première importance sur tous les projets de Hitler. Madeleine Richou était agent des Services spéciaux français clandestins (elle était sous la coupe directe des futurs généraux Rivet et Navarre). Erwin Lahousen, officier de renseignement autrichien, versé dans la Wehrmacht à la suite de l’Anschluss, fut un des principaux collaborateurs de l’Amiral Canaris, chef du service de renseignements allemand, l’Abwehr, et, de ce fait, un des hommes les mieux informés de l’époque, puisqu’il assistait fréquemment aux réunions des plus hautes instances de l’armée allemande, parfois en présence de Hitler. Il participa à la préparation de certaines des tentatives d’attentats contre ce dernier et fut un des principaux témoins à charge lors du procès de Nuremberg. A eux deux, ils ont constitué ce que les services français appelaient ” la source MAD “, du nom de guerre de Madeleine Richou.
Si les mémoires de cette dernière sont restés enfouis dans les archives du Service historique de la Défense, inaccessibles à la consultation jusqu’à une date relativement récente, c’est qu’elle a toujours su respecter son devoir de réserve.
On peut y suivre aussi au quotidien la montée du nazisme à Vienne puis à Berlin, et les ravages perpétrés par l’arrivée successive des troupes allemandes et soviétiques à Budapest, où elle a vécu 50 jours dans une cave sous un champ de bataille. À travers les dires de Lahousen, on vit aussi les sauvageries du front de l’Est.
C’est Madeleine qui parviendra à faire libérer son compagnon, prisonnier des Américains à la fin de la guerre, en faisant reconnaître le rôle réel de cet officier autrichien antinazi.




Article du Figaro : 80 ans après, le serment des anciens espions à Agen

Publié le 07/10/2021 Par Christophe Cornevin

Photo : Le 6 Octobre 2021, à Agen, les anciens des services spéciaux de la Défense nationale s’étaient réunis devant le monument aux morts pour honorer la mémoire des héros de la Résistance.

L’Amicale des anciens des services spéciaux de la Défense nationale (ASSDN) s’est réunit pour célébrer une page glorieuse et méconnue de leur histoire et de l’histoire: le 80e anniversaire du serment de Bon-Encontre. Un pacte pour lutter clandestinement contre l’Allemagne nazie jusqu’à la libération de la France.

Au moment même où les adeptes de la culture woke essaient de déconstruire la mémoire en déboulonnant les statues, au mépris de l’histoire, les espions se souviennent et célèbrent une page majeure d’une histoire à la fois glorieuse et méconnue. Ce vendredi, l’Amicale des anciens des services spéciaux de la Défense nationale (ASSDN) va se réunir à Bon-Encontre, près d’Agen, pour commémorer le 80e anniversaire d’un serment, prononcé le 25 juin 1940 (jour de l’entrée en vigueur de l’armistice) par les agents des services de renseignement et de contre-espionnage français: poursuivre clandestinement la lutte contre l’Allemagne nazie jusqu’à la libération de la patrie. Là, une soixantaine de «grognards», issus des services spéciaux de la guerre, de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), de la Direction du renseignement militaire (DRM), mais aussi de l’ex-Direction de la surveillance du territoire (DST), dépendant du ministère de l’Intérieur, ou encore de la Direction nationale…




Témoignage d’un déporté à Buchenwald – Septembre 1944

Voici un témoignage exceptionnel d’Auguste Favier, déporté, communiqué à notre délégué de la Manche, Jean-Claude Hamel, par Philippe Lerebourg. Nous leur exprimons notre profonde gratitude. Ce témoignage bien émouvant ravive, deux ans après, le souvenir qu’ont gardé celles et ceux qui ont accompli avec moi cet inoubliable pèlerinage de mémoire du 15 octobre 2010 vécu la main dans la main avec nos amis du SFC britannique au camp de Buchenwald. Ces officiers anglais et français étaient tous du SOE. Il y avait aussi parmi eux des Canadiens, des Néerlandais et des Belges dont Robert Benoît, grand pilote de courses automobiles. Ils étaient non seulement dans le même convoi mais dans le même wagon que nos propres officiers de TR et de deux autres réseaux du BCRA. Tous ont été internés dans le Block 17 en attendant une mort, pour eux, inéluctable.
Henri DEBRUN

En septembre 1944, mon ami Paul Guignard, du Block 17, vint m’avertir qu’un groupe de 37 officiers anglais et français, connus sous le nom de “ parachutistes”, parce que parachutés sur le sol français, étaient réunis dans son Block et attendaient la mort.
Condamnés à être prochainement fusillés, ils désiraient avoir leurs portraits, dans l’espoir que des camarades pourraient un jour transmettre ce souvenir à leurs familles. Comment faire pour leur rendre cet ultime service ?

Comme je l’ai dit, je travaillais alors au “ Bau trois ”, Kommando “ Terrasse ”, maniant la pelle et la pioche du petit jour au coucher du soleil. Par une chance exceptionnelle, mon vorarbeiter (contremaître) était un Français, le sympathique Hangelli, qui s’arrangea, malgré de gros risques pour lui, pour me laisser au camp. Moins heureux, mon camarade Mania ne peut exécuter que deux portraits.
Quel souvenir !

J’avais déjà pu exécuter quelques croquis : Wilkinson, Meyer, Barett, Huble… J’achevais celui du grand champion de courses automobiles Robert parleur proche, appelant à la tour, c’est-à-dire à la mort, une douzaine de ces héros. Entendant son nom, Robert Benoît me dit tranquillement : “ Il était temps, car tu as fixé là, pour la dernière fois, ma sympathique gueule ”.
En effet, aucun de ces héros ne revint.
Les jours suivants, je mettais les bouchées doubles, car ceux qui restaient vivaient dans l’attente du même sort.
Quelle émotion de dessiner en conversant avec ces surhommes qui, malgré tout, conservaient leur bonne humeur et leur gouaille.
Je revois le Capitaine Mulsant, qui lançait continuellement des boutades, et le benjamin, le petit Chaigneau, me disant, l’esquisse achevée : “ Tu m’as fait la lèvre dédaigneuse.
Pour la postérité, j’aimerais mieux avoir le sourire !”.
Je n’aurais pas eu le temps de rectifier : le lendemain, c’était son tour.
Et Bernard Guillot, appelé plusieurs fois à la tour pour d’autres motifs ; il disait adieu à ses camarades et revenait avec le sourire.
Je pourrais les citer tous, égaux en bravoure. Grâce à des complicités dans l’organisation clandestine du camp, six purent échapper à l’assassinat, trois Anglais, le Wing Commander Yeo Thomas, alias Major Dodkins, le Major Penlevé, alias Major Pool, le Major Southgate et trois Français : le commandant Culioli, Stéphane Hessel et Bernard Guillot.
Sur nos 37 camarades, nous ne pûmes en dessiner que 22 : dans cette course devant la mort, les SS avaient été plus rapides que nous.

Source : Bulletin N°225




Parachutages, Atterissages Clandestins (1940-1944)

Ce deuxième volume de la collection Résistance est consacré aux parachutages et aux pick-up d’agents de 1940 à 1944. C est une fresque saisissante de ces opérations et un vigoureux hommage aux héros de la Résistance que l’auteur brosse ici, s’appuyant à la fois sur son importante documentation personnelle, l’amitié des vétérans et la proximité avec de nombreux conservateurs de musées à travers toute l’Europe. La rigueur de la reconstitution, la précision des informations, tant sur les méthodes que sur les matériels, et la richesse de l’iconographie répondront aux attentes des amateurs les plus éclairés. Mais c’est avant tout des parcours de vie que chaque lecteur peut ainsi découvrir plus intimement, depuis les exercices de formation en Angleterre et l’attente du départ jusqu’aux sacrifices librement consentis dans l’accomplissement de la mission.

Commentaire :
Livre remarquable par cette fresque saisissante que l’auteur dépeint de ces opérations clandestines qui se sont multipliées au fil des années de guerre. Tout y est décrit en homme de l’art, avec fidélité et réalisme ainsi qu’une abondante et passionnante iconographie. L’auteur est membre de l’ASSDN.




Entretien avec Paul Paillole, l’homme des services secrets

Invité chez Bernard Pivot en 1995, Paul Paillole apportait un éclairage peu connu sur le rôle des services spéciaux français durant la deuxième guerre mondiale.






Affaire Farewell : l’espion de la DST au coeur de la guerre froide

Le propre des histoires d’espionnage est souvent d’être racontée par ceux qui en savent le moins. Les archives des services qui traitent ces affaires en professionnels, ne s’ouvrent jamais tout à fait et ne laissent entrevoir que ce qui est possible ou utile. Ainsi, jusqu’à maintenant, l’Histoire de la Deuxième Guerre Mondiale, pour sa partie française, a été étudiée sans tenir compte des archives (qui viennent de s’ouvrir) des services secrets français qui ont pourtant joué un grand rôle en particulier dans les opérations de déception préparant aux différents débarquements, ou dans la Libération du Pays.

La guerre de l’ombre que ce sont livrés les officiers de renseignement des deux blocs durant la guerre froide fait partie plus ou moins importante , certes, mais partie intégrale de l’histoire de cette période. Dans cette guerre, l’histoire des “taupes” recrutées par les deux camps au cœur des dispositifs adverses tient une place essentielle qui ne sera sans doute jamais connue dans tous ses détails.

Il convient d’ailleurs maintenant de rétablir un certain équilibre. La force de la propagande soviétique relayée par les “idiots utiles” et les partisans idéologiques faisaient de tous les “occidentaux” recrutés par le KGB, le GRU ou par les réseaux émanant du Komintern des héros positifs, puisque ayant choisi de servir le “camp de la Paix”; ainsi en a-t-il été des 5 de Cambridge (à vérifier ?), de l’Orchestre Rouge ou du Réseau Sorge .

Les membres des Services Soviétiques et assimilés qui choisissaient de travailler avec des Services Occidentaux étaient qualifiés, eux, de traîtres, souvent alcooliques, corrompus par l’argent capitaliste, etc. Qu’on se souvienne de l’affaire Kravtchenko ( J’ai choisi la liberté) , du sort réservé au général du GRU Krivitsky, etc.

Et pourtant, ces officiers de renseignement de l’Est qui ont choisi l’Occident, ont joué un grand rôle dans l’histoire du rapport des forces entre les deux blocs, en faveur de la Liberté, de notre Liberté… Les conditions de manipulation de ces “héros” par les services occidentaux qui les avaient abordés , recrutés, parfois formés, méritent certes de l’intérêt. C’est souvent la partie de l’histoire la plus spectaculaire, celle que l’on présente au public , toujours avide de films d’espionnage et de suspens.

Cette partie est importante du point de vue du contre espionnage, de la fiabilité de la source et donc des renseignements fournis; l’intoxication des adversaires est une arme à part entière. Mais le plus important semble être l’aspect global de l’affaire: quelle est la situation internationale au moment où l’affaire se déroule? Comment vont être utilisés les renseignements obtenus ? Quelle est la situation après, ou quels sont les effets obtenus?

Ainsi de Penkovsky, au moment de la crise de Cuba, et de bien d’autres que l’Occident ne saura jamais assez remercier. Ainsi en particulier de Farewell, dont on a d’autant plus tendance à négliger l’importance qu’il a coopéré avec un service français, la DST; de plus, ceux qui ont écrit sur lui étaient ou mal informés (normal dans ce genre d’investigation) ou mal intentionnés ( normal dans ce genre de guerre de l’information).

On connaît Farewell. De son vrai nom Vladimir Ippolitovitch Vetrov, ingénieur en chef de l’armement (un grade équivalent à celui de colonel); il a été en poste à Paris, où il se montre actif, recrutant des sources et les manipulant le soir ou le week-end en forêt de Fontainebleau; il lui est arrivé une mésaventure qui ne semble pas avoir été connue de sa hiérarchie: il a un accident de voiture, alors qu’il a un peu trop bu; c’est son ami/objectif, cadre de Thomson qui, appelé à l’aide, va faire réparer la voiture et lui permettre de rentrer sans problème; d’où une amitié réelle .

Le service français va tenter une première approche; sans succès. Puis c’est un poste au Canada, d’où il est rappelé avant la fin de son séjour: une indélicatesse connue de ses chefs lui aurait valu ce rappel, et sans doute la jalousie de quelque pistonné de son service qui pense que le meilleur moyen de prendre ce poste convoité est d’en faire chasser l’occupant; c’est une manœuvre habituelle , sans doute dans tous les services du monde.

Rentré à Moscou, il est affecté à la direction T (renseignement scientifique et technique) de la Première direction générale (PDG) du KGB. Il prépare les dossiers les plus pointus pour les présenter devant les plus hautes autorités afin d’obtenir leur aval pour le déclenchement des opérations de recherche par les postes KGB ou GRU à l’étranger.

A priori , il s’agit d’un poste de confiance, et, dans le système soviétique, le détenteur d’un tel poste n’a plus aucune chance de repartir à l’étranger, ou même de côtoyer des étrangers.

Parce que c’est un bon professionnel, il a constaté les lacunes et les vices du système soviétique; il souhaite améliorer la qualité de son travail et écrit un rapport sur les modifications qui, selon lui, doivent être apportées au système. Ces chefs n’y prêteront pas attention , d’où une certaine frustration.

 

C’est un bon vivant, qui aime rencontrer ses amis et faire la fête avec eux. Il adore son fils, sa fierté; il aime son pays, comme sans doute seul les Russes peuvent le faire, et cet amour est devenu charnel depuis qu’il a acheté une isba et un lopin de terre. Il admire sa femme, mais là c’est son problème; démon de la cinquantaine ou lassitude, chacun donne des coups de canif au contrat initial; et lui a “dans la peau” une de ses collègues, voisine de bureau.

Il pourrait vivre heureux … Mais rien n’est simple. A-t-il une tendance à boire, comme le laisse penser les commentaires inspirés après coup par les autorités soviétiques; sans doute comme tous les Russes de cette époque, pas plus.

Mais surtout, comme beaucoup de soviétiques ayant vécu à l’étranger, il a une tendance à la schizophrénie, phénomène étudié par exemple dans le livre “Les hommes doubles” de Dymov ; en Occident, il a vu le niveau de vie, il a apprécié la liberté des conversations grappillées de ci de-là avec des Français; et ici, chez lui à Moscou, avec ses collègues, il est obligé de jouer celui qui n’a rien vu, de dire le contraire de ce qu’il pense profondément. Et la situation internationale en ces années 80 lui donne à penser.

 

C’est la fin de la crise des SS 20, ces missiles dont la précision et la mobilité (qualités dues à l’apport de l’espionnage technologique) allait donner la supériorité stratégique au Camp de la Paix; “Échec et mat” pensait-on au Kremlin.

Mais cela ne s’est pas passé comme prévu: les Occidentaux, États-unis en tête ont répliqué par le déploiement des Pershings et par celui des missiles de croisière.

Il y a eu des cas de mutinerie sur des navires de la Flotte; il y a l’Afghanistan , la Pologne et ce diable de Pape Polonais qui dit: “N’ayez pas peur”.

Là où il est, il ressent parfaitement l’ambiance de guerre qui envahit la population mais surtout la classe dirigeante; il sait que la doctrine soviétique envisage l’emploi normal de l’arme atomique. Il connaît la capacité de riposte occidentale. Il comprend, par les papiers qu’il traite, que la nomenklatura essaye de reprendre l’avantage; des joueurs d’échec… Bien sûr, ses doutes et ses angoisses , il ne peut les partager avec personne;

Bien sûr, pour le journaliste russe Sergueï Kostine, ” rien dans le comportement de Vetrov ne permet de le considérer comme un combattant de l’ombre contre le système communiste ou un précurseur de la perestroïka. Cette supposition, qui se présente comme une certitude dans les publications françaises, a fait rire tous ceux qui ont connu Vetrov ” (1).

 

En 1981, il offre ses services à la DST, franchit l’étape la plus difficile rencontrée par tous les candidats à la défection: éviter de se faire repérer par le contre espionnage soviétique qui peut posséder des agents au sein des services occidentaux, et trouver rapidement le bon canal pour trouver la liaison et l’oreille du service auquel il va proposer sa collaboration.

Alors il va continuer à faire rire tous ceux qui l’ont connu; il va augmenter son côté pochard, et beaucoup viendront “boire avec lui” les innombrables bouteilles que lui procurera son traitant.

Pour lui, il est impératif d’apporter aux pays occidentaux la preuve que leur insouciance sécuritaire permet à l’URSS de piller leurs laboratoires en lui donnant ainsi de forger les armes qui doivent lui donner l’avantage.

Sa haine du système, ses diverses frustrations, son passé lui donnent la possibilité de passer à l’action, de trouver des amis avec qui il peut parler “po doucham” (à cœur ouvert) comme disent les Russes.

C’est un professionnel, il sait comment travaillent ceux qui sont chargés de protéger la sécurité et les secrets soviétiques; il convaincra ses traitants de lui faire confiance; mais il reste lucide: le pire peut arriver: pour lui, la balle dans la nuque; pour ses traitants successifs, ce devrait être l’accident de circulation, l’écrasement par un poids lourd, par un métro. Message qui serait compris par le service intéressé.

Tout cela , approche, semble-t-il, de la vérité.

Dans de telles affaires , bien malin qui peut sonder les reins et les cœurs. Les spécialistes de la DST se posent plus de questions qu’il n’y a de réponses; le doute envahira souvent la réflexion de ses responsables. Mais les documents arrivent, en masse. S’il y a machination, où en est l’intérêt, l’objectif ?

Au cours de l’année suivante, il fournira près de 4.000 documents de toute première importance sur la collecte et l’analyse scientifique et technique par le KGB. 70 % des informations de Farewell concernent les États-unis, parce que c’est ce pays qui a le meilleur potentiel technologique, mais tous les pays occidentaux sont concernés.

Grâce aux milliers de documents fournis par Farewell, ce n’est pas tant l’ampleur du pillage scientifique et technologique soviétique que les gouvernements occidentaux découvrent, que sa planification et son organisation systématiques par la VPK, la Commission de l’industrie militaire. Une collecte faite à la demande : les divers secteurs militaires et industriels faisaient connaître chaque année leurs insuffisances et leurs retards.

À charge pour les agents des services secrets soviétiques infiltrés (2) dans le monde entier de leur fournir les informations technologiques qui leur manquaient. Les économies ainsi réalisées sont méthodiquement chiffrées: 6,5 milliards de francs entre 1976 et 1980. Les bilans de la VPK montrent qu’entre 1979 et 1981, de nombreux systèmes d’armes soviétiques ont bénéficié chaque année de la technologie occidentale.

Vetrov ignore par contre l’identité des agents occidentaux au service des Soviétiques et ne peut qu’aider à en définir les caractéristiques. …

Il fournira par contre l’identité de 222 officiers du KGB de la ligne X sous couverture diplomatique dans l’ensemble des pays du bloc de l’Ouest et 70 agents clandestins de la Direction T.

Ce chiffre a d’ailleurs étonné certains professionnels qui n’ignorent pas le cloisonnement efficace existant entre les différents départements du KGB, mais qui n’ont pas compris qu’au poste où il se trouvait, il n’y avait plus ce cloisonnement, que les documents “Soverchenno sekret” quittaient les coffres forts où ils étaient conservés, pour transiter pendant quelques jours par le bureau de Vetrov qui en faisait profiter son traitant, avant de retourner dans l’espace cloisonné sécurisant.

 

Mais son apport à la cause du monde libre, et cela on le sait moins, n’a pas consisté qu’en informations d’ordre purement technologique.

En professionnel, il n’aimait pas être orienté sur des sujets qu’il ne dominait pas parfaitement; mais les réponses qu’il apportait dans divers domaines avaient une certaine valeur: l’évolution de la situation en Pologne, des évaluations sur l’implication soviétique dans l’attentat contre le Pape (Gromyko affirmant aux représentants des pays du Pacte que ce problème allait être réglé), etc.

C’est en témoin qu’il a pu raconter la réunion qui a eu lieu à Kaliningrad, en présence de Brejnev, qui tirait les conclusions du lancement de la première navette américaine, avec la participation du fin du fin du complexe militaro- industriel.; le directeur de la séance avait demandé à chacun de répondre en disant la vérité, pour une fois…

A la première question sur le danger représenté par la navette pour la sécurité du pays, la réponse avait été que cette nouvelle menace pouvait être mortelle. A la seconde question sur la capacité du complexe à y faire face, la réponse avait été positive, “mais en arrêtant tous les autres programmes…”.

La conclusion avait été qu’il fallait tout faire pour freiner au maximum l’effort technologique et militaire américain. Comment ? par des offensives de Paix, de désarmement… Cela annonçait la suite.

 

Mais brusquement, après février 1982, Farewell ne se présente plus aux rendez-vous fixés.

Non que son double jeu ait été découvert par le KGB, mais, comme le découvrira la DST à l’automne seulement (et cela grâce aux Américains), il a été arrêté pour crime de droit commun !

Selon la version officielle, il a tenté de tuer sa maîtresse, qui exerçait sur lui un chantage depuis qu’elle avait trouvé dans son veston des documents dérobés au sein de la centrale soviétique.

Surpris par un milicien, il l’aurait abattu à l’aide d’un couteau de chasse… Sur ce point, courent bien d’autres variantes, invérifiables (la vérité est sans doute dans le dossier de l’enquête du KGB- mais d’après les informations qui en ont filtré (Livre de Kostine d’après un résumé de l’enquête), on comprend que Vetrov, comme tous les prévenus du monde, va balader les enquêteurs, essayer de gagner du temps, de protéger ses traitants auxquels le lie une véritable amitié, peut-être de sauver sa peau).

Jugé et condamné à 12 ans d’emprisonnement, il quitte la prison de Lefortovo pour Irkoutsk, en Sibérie. Sa trahison n’aurait été découverte par le KGB qu’un an plus tard, en avril 1983, après l’expulsion par la France de 47 ” diplomates ” russes choisis parmi les agents de Moscou dénoncés par Vetrov. Selon la coutume, il aurait reçu une balle dans la nuque, dans les couloirs de la prison. Ici aussi, il y a plusieurs variantes.

 

Comment cette affaire a-t-elle été vécue par les différentes parties?

En France :

Il est indéniable que cette affaire a permis au Président Mitterand, informé depuis sa nomination à l’Élysée du travail de cette taupe au profit de son pays, de marquer un point vis à vis du Président Reagan, lors du sommet d’Ottawa (17-20 juillet). Était ainsi annulé le froid engendré dans les relations entre les deux pays créé par l’entrée de ministres communistes au gouvernement.

Plus tard, on ne sait trop sous quelle influence, certains conseillers du Président auraient commencés à voir dans cette affaire (ou au moins dans l’insistance du patron de la DST à obtenir de nouvelles expulsions sans doute justifiées , mais peu politiques) une machination américaine visant à l’intoxiquer…

On a reproché à la DST d’avoir exagéré l’importance de la manipulation, pour justifier son existence, sérieusement remise en question après mai 1981. La DGSE ne fut mise au courant de l’affaire qu’en 1983 ou 1984; dans ce service certains, sans en rien savoir, n’ont voulu y voir qu’une opération de pénétration des soviétiques.

En tous cas, la DST a dévoilé une partie des agents soviétiques impliqués et a neutralisé le dispositif de recherche de l’URSS. Il en a été ainsi dans les autres pays d’Europe.

Quelle manœuvre d’intoxication, quel grand objectif supérieur auraient pu pousser l’URSS à sacrifier ainsi ses réseaux ?

 

Les Etats-Unis :

Mais c’est indéniablement le Président Reagan qui va utiliser au mieux cette affaire. Il ne va plus jouer aux échecs, mais impose une partie de poker.

Bien sûr des agents seront arrêtés. Mais il va comprendre que tout cela lui fournit l’information permettant d’asphyxier l’URSS, de la mettre KO debout en la lançant dans une course technologique à l’armement , qu’elle ne pourra pas suivre – ce sera la première version de la Guerre des étoiles, le grand bluff qui a réussi, allant jusqu’à fausser les essais d’interception de missiles pour affoler l’adversaire.

Ce sera toute une grande manip, réussie, tendant à lancer la recherche technologique soviétique sur de fausses pistes…Mais cela dépasse le cadre de notre étude.

Il y a eu des doutes aussi: le dossier Farewell contraignait les Américains à changer les codes de guidage de leurs missiles de croisière que les Soviétiques avaient percés à jour . Ce qui , bien sûr a pu être interprété comme l’un des objectifs de la “manipulation d’intoxication ” qu’auraient pu mener les Soviétiques.

Que penser des nombreuses critiques de l’affaire, mettant en cause la main mise américaine, etc.
Que penser des pages de Gilles Ménage consacrée à cette affaire? Des personnalités proches du pouvoir ont-elles pu réellement se couper ainsi des réalités et du bon sens.

Non, les Américains n’ont pas été impliqués dans la manipulation à Moscou; cela aurait été à l’encontre de la simplicité voulue dans celle-ci.
Oui, ils ont fourni la technologie de l’appareil photo; oui, au début, ils étaient seuls à pouvoir développer; mais le problème a été vite réglé.
Oui encore, une majorité de renseignements concernait les États-unis; on a vu comment la majorité des objectifs soviétiques étaient américains.

A priori, non, ils n’ont pas manigancé cette intoxication en fournissant par un (faux?) colonel du KGB , à Moscou, de fausses informations, de faux documents portant la vraie signature de Brejnev à un amateur français.

Faut-il ajouter que c’est dès cette époque que les Soviétiques recrutaient au sein de la CIA et du FBI des agents efficaces qui ont entre autres permis l’arrestation et l’exécution d’une dizaine d’agents recrutés par les Américains à Moscou.

 

En URSS :

Il est normal que les responsables du KGB aient voulu expliquer le succès de l’entreprise ou de la traîtrise de Vetrov par l’aide considérable apportée par les Américains à Moscou même; ils ne pouvaient comparer cela qu’aux gros dispositifs qu’ils mettaient en place par exemple à Paris pour couvrir des contacts importants et balader toutes les forces de la DST.

Il est normal qu’ils aient voulu salir sa mémoire. Il est quasi réglementaire qu’il ait été abattu d’une balle dans la tête; c’était la tradition et cela devait servir d’exemple aux éventuels candidats.

Mais on peut affirmer que Vetrov a amené la direction soviétique sur la voie de la perestroïka, à la chute du Mur de Berlin , à la fin de la guerre froide…

Il y a eu un effet Farewell, au sein même des services soviétiques et post soviétiques.

Cette affaire aurait eu un retentissement psychologique considérable sur les membres du KGB. Cela n’a bien sûr pas été un élément fondamental de la Perestroïka, mais elle a révélé le malaise profond et les contradictions qui ont provoqué l’implosion du système.

Cette affaire, et la façon dont Vetrov a fait face aux interrogatoires, a eu un effet corrosif sur la façade du KGB.

Des officiers ont admiré en secret son courage et sa détermination à lutter contre le népotisme.

En 1988, le mécontentement a commencé à se manifester ouvertement, avec un premier incident lors de l’ouverture de la réunion qui devait élire le Bureau du 1er Directorat.

Trois brillants officiers traitants ont contesté la présence sur l’estrade, à côté du général Bobkov, alors vice-président du service, d’un ” pistonné “, ancien du directorat, où il n’avait jamais brillé ni par sa compétence, ni par son efficacité.

Prise au dépourvu, la direction n’avait pu que battre en retraite.

La brèche ainsi ouverte n’a cessé de s’élargir tandis que le régime se délitait, pour aboutir l’année suivante à la signature, par plus de 200 officiers du KGB de Sverdlovsk, d’une lettre ouverte à leur direction.

_____________

Alors, l’affaire Farewell a-t-elle été l’une des plus grandes affaires d’espionnage du XXe siècle, comme l’aurait affirmé le Président Reagan; a-t-elle été une grange manipulation, menée par les Soviétiques, les Américains ?

Un jour, on saura, et on s’étonnera de la simplicité de toute cette affaire très humaine: bon sens, patriotisme, amitié. Et il faudra rendre hommage à Vladimir Ippolitovitch Vetrov du rôle qu’il a accepté de jouer, quelques soient ses véritables motivations, et qui a contribué à l’évolution du monde.

 

(1) Sergeï Kostine: ” Bonjour Farewell. La vérité sur la taupe française du KGB, Paris, Laffont, 1997 “, p. 104.

(2) Le GKNT (Comité d’État pour la science et la technique), l’Académie des sciences et le ministère du Commerce extérieur participent au recueil du renseignement et fournissent les couvertures




Le sacrifice de Paul Summinger : un héro du réseau Kleber-Uranus

Cologne, 30 juillet 1943. Le bourreau est absent.

C’est donc le premier contremaître mécanicien Hacker, aidé par l’aspirant au poste de bourreau Hans Mühl qui décapite les trois condamnés: le docteur Bricka de Toul, Paul Simminger de Montigny-les-Metz, Roger Noél de Nancy et ce en 23 secondes pour le premier et 20 secondes pour chacun des deux autres. Cela après que l’interprète Engeslhardt de la Gestapo leur ait lu le jugement du tribunal du peuple venu de Berlin à Trèves pour les condamner à mort le 27 janvier 1943.

Extrait du jugement de Trèves: ” Les accusés ont agi dans l’intention de communiquer les renseignements â l’ennemi. “

Paul Simminger l’a admis dans ce sens, puisqu’il a déclaré qu’il savait que son donneur d’ordres Granthil, donc aussi le successeur de celui-ci Chetelat, travaillait pour le 2e bureau. Le Sénat ne doute pas que cet accusé ait su que le 2e bureau français était connu comme une section d’espionnage. D’après la certitude du Sénat, qui repose sur l’impression claire de la personnalité normale de cet accusé et sur la façon habile de sa défense lors des assises et d’après l’avis du médecin appelé comme expert qui le certifie, ” il est complètement responsable et justiciable de ses actes “.

C’est à la fin de 1940 que Paul Simminger, expulsé de Montigny-les-Metz, entre en contact avec le groupe de résistance “ L’Espoir Français ” à Nancy qui travaille pour le compte du réseau de renseignements clandestin Kléber Uranus.

Chargé des liaisons avec les antennes du réseau en zone interdite, Metz notamment, il est arrêté le 8 juillet 1941 à la suite d’une dénonciation.

Il est déporté au camp de Hinzert.

Inculpé de haute trahison avec 18 autres membres du groupe “ L’Espoir Français “, il est transféré à la prison de Trèves où il est jugé et condamné à mort par le Volksgerichthof (tribunal du peuple).

Il subit l’odieuse sentence sans faiblir et sans avoir parlé.

Son corps mutilé repose dans le cimetière de Montigny-les-Metz où, pour le Cinquantième Anniversaire de sa fin héroïque, ses amis lui ont rendu hommage le 30 juillet 1993 et honoré sa mémoire le 30 juillet 1995, cinquante ans après la victoire alliée qu’il avait tant espérée.




Hommage au Colonel René Tramier (1894-1945)

A la mémoire du Colonel d’Artillerie René TRAMIER…

Mon destin a croisé celui du Colonel Tramier. Commandant la Subdivision Militaire d’Annecy, rue de l’Intendance, en janvier 1944, où après diverses péripéties, sous couvert d’un emploi de planton, j’attendais avec son accord le moment opportun de rejoindre le maquis des Glières, alors en cours de structuration.

Ce projet devait être irrémédiablement compromis le 28 janvier 1944.

A cette date, le bâtiment de la Subdivision Militaire était inopinément investi, à l’aube, part la Wehrmacht, occupante de la caserne du 27e BCA voisine du bâtiment de l’Intendance.

Je fus moi-même arrêté ce jour-là sous l’inculpation d’attentat contre les troupes d’occupation. Le Colonel Tramier fut arrêté le 7 février 1944 par la Gestapo.

C’est grâce à son intervention que je dois d’avoir eu la vie sauve. Lui­même est mort en déportation.

C’est à sa mémoire que je souhaite rendre hommage en retraçant sa car­rière militaire que j’ai pu reconstituer grâce au Service Historique de l’Armée de terre.

R.G. GRIVEL-DELILLAZ
Membre de l’ASSDN

Biographie

Né le 22 janvier 1894 à Briançon, René, Emile, Victor Tramier s’engage le 12 avril 1912 pour trois ans, au titre du 48e Régiment d’Artillerie de Campagne.

C’est avec son Régiment qu’il prend part à la guerre contre l’Allemagne, qui est déclarée le 4 août 1914.

Il était alors Maréchal des Logis.

Engagé sur tous les fronts, il y fait la preuve des plus belles qualités ” de cou­rage et d’énergie “, qualités qui lui valurent sa nomination au grade de Sous­Lieutenant le 3 février 1917, ainsi que trois citations, en 1915, 1916 et 1918

Voici le texte de la dernière de ces citations, datée du 15 juillet 1918

” Excellent officier, modèle de bravoure et de calme. Dans la nuit du 14 au 15 juillet 1918, sa batterie étant violemment bombardée, a su, par son attitude et son courage, maintenir tout son personnel aux postes de combat, assurant ainsi la continuité parfaite du tir “.

Nommé Lieutenant le 3 février 1919, il est affecté à cette date au 32e RA, puis, détaché comme instructeur à l’École d’Application de l’Artillerie, du le7 octobre 1923 au 2 octobre 1926, date à laquelle il est muté au 19e RAD.

Nommé Capitaine le 25 septembre 1927, il est promu Chef d’Escadron le 24 mars 1936 et affecté au 93e RA.

Le 2 septembre 1939 (à la veille de la déclaration de guerre), il prend le com­mandement du Se groupe du 293e RAM.

Le 9 octobre 1939, il est mis à la disposition du Général, commandant l’Inspection Générale de l’Artillerie, pour assurer les cours d’artillerie au camp de Mailly.

Le 14 février 1940, il rejoint le 10 le RAL. Affecté dans un premier temps au les groupe, il prend le commandement du Régiment le 14 mars 1940.

Le texte de la citation à l’ordre de l’Armée en date du 9 juin 1941, signée par le Général Huntziger, Commandant en Chef des Forces Terrestres, Secrétaire d’État à la Guerre, rend témoignage du comportement exemplaire du Chef d’Escadron René Tramier, à la tête de son Régiment jusqu’au 25 juin 1940, date de la signature de l’Armistice

” Officier supérieur, courageux et énergique. A obtenu de son régiment un rendement remarquable dans la région des boucles de l’Escaut en mai 1940, puis sur la Somme et sur la Nonette en juin. S’est dépensé en particulier sans comp­ter, au cours de la bataille de la Somme, contribuant largement, grâce à l’esprit de sacrifice de son 2e groupe, à arrêter pendant 48 heures la progression de l’en­nemi, lui détruisant de nombreux engins blindés. Pris sous le feu de l’aviation de bombardement et encerclé par des chars ennemis, dans son poste de commande­ment de Fresnay-les-Roye, pendant toute la journée du 5 juin, a continué à diri­ger par radio, avec maîtrise, l’action de ses groupes, ne se repliant que sur ordre, au cours de la nuit du 5 au 6 juin. Engagé à nouveau à plusieurs reprises, pendant la retraite, dans des circonstances périlleuses, a parfaitement rempli les missions qui lui étaient confiées. A réussi à ramener au complet le matériel de deux de ses groupes “.

Il était titulaire de la Croix de Guerre depuis le 29 juin 1940.

Le 10 juin 1940, il est affecté à l’État-major du département de la Corrèze, à Brive.

Le 15 novembre 1940, l’Armée d’Armistice est créée, ” forte en métropole de 350 000 hommes dont 12 640 artilleurs servant presque uniquement le canon de 75, modèle 1897 ” (source Henri Amouroux, dans son ouvrage La grande his­toire des Français sous l’Occupation).

Promu au grade de Lieutenant-Colonel le 2 avril 1941, René Tramier est affecté au 24e RA à Tarbes.

Rayé des contrôles du Régiment le 2 juin 1941, il bénéficie d’une permission renouvelable du ler décembre 1942 au 28 février 1943.

 

Placé en congé d’armistice à la date du ler mars 1943, il est promu au grade de Colonel le 28 septembre 1943.

Rappelé à l’activité le ler octobre 1943, il est nommé au commandement de la Subdivision Militaire d’Annecy.

C’est dans ce poste qu’il est arrêté, ainsi que son Chef d’État-major, le Commandant Pierre Rolandey, le 28 janvier 1944, lors de leur prise de service, dans les locaux de la Subdivision Militaire, rue de l’Intendance.

Tous deux sont relâchés, sous la condition d’avoir à se présenter au siège de la Gestapo annécienne le 7 février 1944. C’est à cette date qu’ils furent mis en état d’arrestation.

Dès lors, leur destin était définitivement scellé.

Ce fut en effet, pour eux, le Fort Montluc à Lyon, la prison de Fresnes, les camps de Buchenwald, Dora et. Ellrich (le bagne des bagnes), où mourut le Colonel Tramier le 7 janvier 1945.

Quant au Commandant Rolandey, il fait partie d’un convoi qui, devant l’avance des armées alliées, évacue les malades du camp d’Ellrich, à destination du camp de Nordhausen.

On apprendra, lors du procès de Nuremberg, que les ” SS ” avaient achevé, avant d’arriver au camp de Nordhausen, les déportés du convoi les plus faibles.

On pense que c’est ainsi qu’est mort Pierre Rolandey, dysentérique, parvenu au bout de ses forces, le 5 mars 1945.

J’ai su par la suite, par son fils, que le Commandant Rolandey était membre d’un réseau de renseignements de l’AS (le réseau Bruno-Kléber) et qu’il avait été victime d’une dénonciation, ce qui avait motivé l’intervention des troupes alle­mandes, le 28 janvier 1944.

Je suppose que le Colonel Tramier, qui était son supérieur hiérarchique, n’était pas sans connaître les activités de son subordonné, activités auxquelles sans doute lui-même était mêlé, comme d’ailleurs l’ensemble du personnel de la Subdivision, ce qui, aux yeux des Allemands, étant amplement justifié pour moti­ver également son arrestation.

Tel fut le destin du Colonel d’Artillerie René Tramier, engagé pour trois ans, en 1912, à l’âge de 18 ans au 48e RAC, héros des deux derniers conflits mon­diaux, qui ont ensanglanté le XXe siècle. Colonel en 1943, il meurt en déporta­tion le 7 janvier 1945, à l’âge de 51 ans.

Titulaire des Croix de Guerre 14/18 et 39/45, il avait été fait Chevalier de la Légion d’honneur le 29 décembre 1932 et promu au grade d’Officier, le 15 mai 1944.




Au service de TR recit du capitaine Guillaume à la recherche de la sacrée vérité

Il faut que ce récit soit lu et relu par tous nos camarades, et le plus grand nombre de Français. Il est la preuve, combien évidente pour nous, que la technique du C.E. ne s’improvise pas et que le SSM/TR, fidèle à sa mission tutélaire, sût faire face à toutes les situations, pour continuer son oeuvre de salubrité et participer à la Libération de la France. Au terme de ces études et récits dont le point de départ fût l’AFN et son rôle dans nos combats, nous remercions encore tous ceux qui, comme G., nous ont aidés à situer dans l’Histoire une partie importante du rôle du SSM/TR. A vous, lecteurs, de faire maintenant votre Devoir en diffusant ces pages et en montrant ainsi le vrai visage de ceux qui furent parmi les meilleurs serviteurs de la France. A vous de nous aider par vos écrits à poursuivre notre campagne pour la VERITE.
D’ALGER à ALGER via Ramatuelle, Paris, Marseille et Londres
(Nous sommes en 1943; la Zone dite ” libre ” est, elle aussi, maintenant occupée et les côtes sont aux mains de l’ennemi.

Pourtant, le ” CASABIANCA ” de l’héroique Commandant LHERMINIER a réussi le tour de force de débarquer au cap Camarat, près de Ramatuelle, le T.R. GUILLAUME, l’ ” As ” des transmissions, CAILLOT et l’américain BROWN que nous avait confié les Services Spéciaux de nos Alliés.

Les 3 hommes viennent de toucher terre; ils sont à pied d’oeuvre mais en plein ” cirage ” .
Nuit du 6 au 7 Février 1943.

Oui, notre mission commençait seulement. Le ” CASABIANCA ” pour nous n’avait été qu’un moyen de transport, un peu particulier sans doute.

Il y a maintenant plus d’une 1/2 heure que nous sommes allongés sur le sol. Nos yeux commencent à s’habituer à l’obscurité et nous nous concertons à voix basse. A part les feux des caps Lardier et Camarat qui nous encadrent, tout paraît calme.

Précédant mes deux camarades CAILLOT et BROWN, et après avoir arrimé aussi solidement que possible nos bagages, nous commençons l’ascension de la calanque… Il eut été sans doute plus facile de la tourner, mais nous préférons la difficulté et les obstacles naturels aux pistes trop surveillées.

Nous peinons. Des rochers, des arbustes, des buissons épineux s’opposent à notre avance. Il faut surtout progresser en silence avec la souplesse et la sûreté de Sioux sur le sentier de la guerre… Nous suons maintenant à grosses gouttes… Enfin, nous arrivons au sommet et nous nous étendons autant par prudence que pour récupérer. Nous consultons nos boussoles et essayons de déterminer notre position. Ce n’est pas chose facile car non seulement nous n’avons aucune carte de la région, mais celle du bord ne concernait que les fonds sous-marins et ne portait aucune indication sur l’intérieur.

Notre premier souci est de nous éloigner de la mer car toute la zone côtière est surveillée…

En colonne par un, toujours dans le même ordre et en nous tenant à quelques mètres de distance, nous continuons notre marche. La nuit noire, le sol rocailleux, toujours ces arbustes sauvages qui grippent à nos vêtements; des trous nous font trébucher et nous avons du mal à éviter la chute de nos valises.

Maintenant, tout n’est plus aussi calme et une vie, qui parait intense à nos yeux inquiets, se dessine à l’horizon. Lumières qui s’allument et qui s’éteignent, aboiements, bruits de moteur… Nous redoublons de prudence et faisons de temps à autre une pose. Conférence nocturne où l’humour, malgré la gravité de la situation, n’est pas exclu : Nous sommes tous trois d’accord pour éviter les zones découvertes, plates et bien entendu tout ce qui ressemble à un chemin…

Mais voilà le premier Incident. Je disparais tout à coup dans une sorte d’entonnoir profond de deux mètres, après une chute douloureuse, amortie par un fond sablonneux… Je sens une vive douleur à ma cheville droite. Mes camarades ont beaucoup de mal à contourner cette excavation pour venir me prêter main forte.. Aidé par CAILLOT et BROWN, j’essaie de me relever, mais ma cheville enfle rapidement et m’empêche de me tenir droit. Stupide accident qui risque de compromettre notre mission.,. Enfin, après des massages énergiques, je parviens, soutenu par mes amis, à avancer péniblement.

Nous nous arrêtons souvent. Je souffre beaucoup. A l’aube, après plus de cinq heures d’efforts, nous atteignons une clairière au milieu d’un bois d’oliviers. Nous saurons plus tard que nous avons fait à peine 3 kilomètres. Plus de temps à perdre. Il faut, avant le lever du jour, camoufler tout notre matériel et prendre l’aspect d’aimables citadins à la recherche de provisions.

Nous creusons un trou assez profond sous la broussaille et nous enfouissons nos valises après les avoir délestées de quelques vivres et cigarettes. Nous recouvrons nos précieux bagages de toiles imperméables sur lesquelles nous déversons de la terre, des broussailles et des branches.

Quelques marques discrètes sur des arbres afin de faciliter la récupération du matériel plus tard.

Nous nous éloignons et trouvons un coin touffu où nous pouvons nous étendre …. Nous éprouvons un grand soulagement d’être délivrés de nos bagages compromettants. C’est vraiment le premier moment de détente depuis notre débarquement.., L’immobilité dans cette aube de Février nous glace et nous éprouvons le besoin de nous restaurer. CAILLOT nous passe quelques biscuits et tablettes de chocolat. En prenant les précautions d’usage, nous allons fumer notre première cigarette … C’est alors un juron ironique de CAILLOT qui nous tend un paquet de cigarettes … Devant notre ébahissement, il se contente de nous faire lire la mention ” Provision de bord, débarquement interdit “. Nous goûtons avec lui ce gag savoureux : D’autant plus savoureux que ces cigarettes nous avaient été remises par les officiers du “CASABIANCA” en échange de nos cigarettes américaines jugées compromettantes…
7 Février.

De joyeux “Cocorico” précèdent le lever du jour. Nous distinguons maintenant assez bien, malgré une brume légère, le paysage environnant. Une ferme se détache à quelques centaines de mètres. Nous nous mettons d’accord sur le plan à appliquer.

Laissant CAILLOT et BROWN à l’abri, je me présentai à la ferme sous le prétexte d’acheter des provisions. Une brave femme dont le mari était prisonnier, me céda pain, vin et charcuterie. En bavardant, j’appris que nous étions à une douzaine de kilomètres de St-TROPEZ et à quatre ou cinq kilomètres de RAMATUELLE … pas de contrôle sur cette route si ce n’est un poste italien dans ce dernier village.

De retour auprès de mes camarades et après un substantiel casse-croûte, nous décidâmes de nous rendre à St-TROPEZ. Il était indispensable de nous séparer afin de limiter les dégâts… éventuels ; nous devions nous retrouver un kilomètre environ avant d’atteindre cette ville, à droite sur le bord de la route. Ma cheville enflée ne me permettant pas de marcher rapidement, je partis en tête, suivi une demi-heure après par CAILLOT et BROWN. Il n’était pas prudent, en effet, de laisser BROWN isolé; il parlait français avec un accent effroyable et son allure athlétique, décidée, son visage énergique aux yeux bleus perçants, son habillement, évoquaient plus sûrement un cow-boy du TEXAS qu’un voyageur de commerce de CHATEAUROUX ; et avec cela un esprit de bagarre que l’ami CAILLOT avait beaucoup de mal à réfréner…

Ma première rencontre sur la route fut un soldat italien qui, perché sur une ligne téléphonique, chantait “Santa Lucia” à tue-tête et me gratifia d’un geste amical… “Va bene”… “va bene” : La fatigue de la nuit et ma cheville rendirent mon parcours particulièrement pénible. Au crépuscule, le trio se reconstituait comme prévu.

CAILLOT et BROWN voulaient passer la nuit cachés dans les bois. Personnellement je n’étais pas de cet avis. Ce risque me paraissait inutile. Nous nous trouvions dans une région qui semblait calme, peu de troupes, je jugeai qu’il valait mieux, individuellement, aller coucher tout simplement à l’hôtel… J’avais passé des vacances à ” l’Hôtel de Paris ” à l’entrée de St-TROPEZ quelques années avant, je connaissais les patrons et j’avais une identité. Nous nous séparâmes en nous fixant un rendez-vous le lendemain vers 9 heures à proximité de ” l’Hôtel de Paris “.

Sans révéler ma véritable personnalité, je pris une chambre, aimablement accueilli. En remplissant ma fiche d’hôtel, j’imaginais la tête du préposé à la réception si j’avais inscrit les lignes suivantes: – Nom et prénom : CLAUDE DE MORANGIS – Profession : AGENT SECRET – Vient de : ALGER – Destination . LONDRES VIA PARIS – Moyens de transport : SOUS-MARIN + LYSANDER – But du Voyage : RÉSISTANCE, CONTRE-ESPIONNAGE, SABOTAGE, TERRORISME.

8 Février.

Après une bonne nuit malgré ma cheville endolorie, je quittai l’hôtel non sans qu’une surprise de taille me soit réservée. La patronne, qui me voyait marcher péniblement, me demanda où j’allai ? Lui ayant indiqué : MARSEILLE, elle me proposa tout simplement de monter dans la voiture d’un Amiral allemand qui venait de visiter l’usine de torpilles de St-TROPEZ et qui avait passé la nuit dans la chambre voisine. J’avoue regretter encore que la présence de mes complices ne m’ait pas permis cette cocasse aventure.

A mon grand étonnement, j’appris par CAILLOT et BROWN qu’ils avaient, après réflexion, passé, eux aussi, la nuit dans le même hôtel, près de moi et de l’Amiral.

Nous nous réunissons dans un café et mettons au point la dernière partie de notre voyage.

Toujours séparés, nous prenons le ” tortillard ” St-Tropez – St-Raphaël où nous arrivons vers midi. Nous avons un train pour MARSEILLE à 15 heures. Sans tickets de pain, nous nous contentons de déguster des quantités considérables de coquillages arrosés d’un bon rosé du pays.

Un petit tour à la gare en promeneur pour s’assurer qu’il n’y a pas de contrôle d’identité…

Nous arrivons enfin à MARSEILLE vers 18 heures et nous nous retrouvons sans incident dans un petit bar du Bd. d’Athènes. Notre joie est maintenant complète. Nous savourons, sans fausse modestie, la satisfaction du devoir accompli. Il n’est plus question de chercher des appuis, un hôtel : je suis dans le fief de T.R. 115 presque le mien et où j’ai des amis sûrs.

Notre estomac crie famine et les trois mousquetaires se retrouvent dans un restaurant ne payant pas de mine mais où l’arrière salle recèle des trésors gastronomiques.

Nous faisons honneur à un menu pantagruélique : qu’importe l’addition, « M. PERRIER » (Pseudo du Chef du SSM/TR : P. PAILLOLE) ne nous chicanera pas…

Pendant le repas, je fais un vaste tour d’horizon avant de décider où nous passerons notre première nuit marseillaise… Mon choix s’arrête sur mon vieux camarade de Régiment, l’Inspecteur GROS des Renseignements Généraux qui habitait vers le quartier des Chûtes-Lavie, loin du Centre,.. J’étais absolument sûr de son patriotisme et de son amitié . Nous prenons un taxi pour la rue Jean Dussert… Il est 22 heures passées … Pas de lumière … CAILLOT et BROWN me laissent aller seul prendre contact avec mon ami… Je laisse imaginer la stupeur joyeuse de ce dernier qui savait que j’étais au Maroc : Sa femme partage sa joie. Je le mets rapidement au courant de notre situation. Je suis heureux d’avoir l’occasion de lui rendre ici l’hommage qu’il mérite. Pas une seconde d’hésitation : Cinq minutes après, nous sommes tous installés chez lui, les lits sont dédoublés et nous nous endormons réconfortés et reconnaissants de cet accueil qui, pour moi, ne faisait aucun doute.
9 Février.

Nuit excellente. Ma cheville va mieux. Encore 24 heures de repos et de soins et elle sera rétablie. Réveil dans la bonne humeur générale, copieux petits déjeuners. Bien entendu, nos amis sont avides de renseignements sur la situation en Afrique du Nord et sur notre équipée. Nous comblons leur curiosité si légitime et nous accueillons avec une modestie toute relative leurs félicitations.

GROS se met, bien entendu, à notre entière disposition avec enthousiasme. Ses fonctions d’Inspecteur aux Renseignements Généraux vont nous aider considérablement et aplanir bien des difficultés, Nous sommes dotés de nouvelles cartes d’alimentation et d’identité que GROS fait signer à son chef. Un recensement des cartes d’alimentation venait d’avoir lieu. Toutes les cartes devaient mentionner ce contrôle et être jointes à la carte d’identité à toute réquisition.
10 Février.

Je dois au plus tôt prendre contact avec le Chef du T.R. 115, mon ancien ” patron “, J’ai nommé ” GEORGES-HENRY “.

Laissant BROWN dans un café à proximité du Bd. Perrier et accompagné seulement de CAILLOT. Je me dirige vers la ” Société d’Entreprise des Travaux Ruraux du Sud ” (T.R.).

“GEORGES-HENRY” est soucieux. Depuis le 8 Novembre 1942, certaines mesures ont été prises : les archives transportées en Lozère; le personnel, les agents et les H.C. munis de nouvelles identités, Des éléments de choix, le Capitaine M. et le Lieutenant L. sont venus renforcer le poste; de nouveaux agents et H.C. ont été recrutés, des bureaux clandestins sont utilisés.

Dès l’occupation de la zone Sud, le S.D. à MARSEILLE et l’OVRA dans la région de NICE, ont procédé à de nombreuses arrestations, mais T.R. 115 a pu passer au travers. L’outil est au point et tous les membres du Poste sont impatients de donner leur mesure … Des reconnaissances de points de débarquement ont été effectuées entre St-TROPEZ et CAGNES-SUR-MER.

Les liaisons radio avec LONDRES et ALGER ne sont pas normalement établies. Le Poste ne dispose pas d’appareils radio modernes et peut difficilement transmettre les renseignements qu’il recueille.

Par la fenêtre de son bureau ” GEORGES-HENRY ” aperçoit les nouveaux locataires de l’immeuble voisin, le 51 Bd. Perrier où la FELDGENDARMERIE vient de s’installer … Ce voisinage compromettant pourra-t-il se prolonger longtemps ?

Un coup de sonnette violent vient interrompre ces méditations ………………………………………………..

Deux messieurs qui n’ont pas voulu indiquer leurs noms demandent à être reçus par ” M. GEORGES-HENRY ” qui, après avoir hésité, décide de recevoir ses inquiétants visiteurs… Va-t-il se trouver en présence d’agents du S.D. ou de l’OVRA ?

Et c’est ” GILBERT ” (pseudo de GUILLAUME lorsqu’il travaillait en 1940 au T.R. 115) qui fait son apparition avec ” LA CAILLE ” (pseudo de CAILLOT).

J’ai un magnifique feutre, une petite moustache fine, un charmant noeud papillon et des lunettes teintées… Mais ma voix est familière aux oreilles de ” GEORGES-HENRY ” et dans une joie éclatante nous nous donnons l’accolade.

Je présente CAILLOT et après un bref récit de nos aventures, écouté avec avidité, nous rendons compte de notre mission. ” GEORGES-HENRY ” accueille avec une joie débordante l’annoncé de ce que nous apportons – Postes émetteurs – Codes – Fonds – Instructions, etc. et, ce qui est plus particulièrement précieux, les encouragements du Colonel RIVET et de ” M. PERRIER “, ainsi que l’assurance que T.R., désormais directement rattaché au Commandement en chef français, continuera jusqu’à la Victoire.

Des heures durant, ” GEORGES-HENRY ” ne se lasse pas de nous interroger. CAILLOT avec qui il a sympathisé tout de suite, lui apporte les éléments techniques indispensables au rétablissement immédiat des liaisons radio.

Nous prenons rendez-vous l’après-midi au café Saillard où nous présentons BROWN, troisième passager clandestin du ” CASABIANCA “.
11 et 12 Février.

Le problème le plus urgent à résoudre est la récupération des précieuses valises.

L’indispensable GROS nous établit un magnifique ordre de mission à en-tête des Renseignements Généraux prescrivant des recherches sur les menées anti-nationales du sieur Yves MORANDAT, route de Belle- Isnard, et de perquisitionner en tous endroits utiles… Le choix du véhicule est vite arrêté. Avec la complicité de PFISTER, ” GEORGES-HENRY ” réquisitionne la voiture personnelle de… ” PERRIER ” qui avait été camouflée dans un garage de MARSEILLE; un magnifique cabriolet Citroën.

” GEORGES-HENRY “, accompagné de BROWN, se charge de l’opération pendant que GROS et moi commençons le recrutement d’amis sûrs pour camoufler les postes, héberger le trio qui doit se dissocier, établir les liaisons, etc.

Le voyage aller s’effectue sans incident : à la sortie de MARSEILLE, sur la route de TOULON, un Feldgendarme bonhomme laisse passer les voyageurs sans les arrêter. Il en sera de même pour la traversée de TOULON. Fausse alerte après avoir dépassé HYERES, sur la route de St-TROPEZ, à la limite de la zone d’occupation italienne. Un carabinier arrête la voiture. Contrôle des pièces d’identité par le Chef de Poste. Tout parait en règle.

” GEORGES-HENRY ” présente son ordre de mission et explique qu’il se rend à St-TROPEZ pour perquisitionner chez des ” Gaullistes “. Il prévient qu’il repassera dans le courant de l’après-midi. Il espère, dit-il, qu’il pourra présenter le matériel et les documents saisis.

Par COGOLIN, St-TROPEZ et RAMATUELLE, ” GEORGES-HENRY ” et BROWN arrivent au Cap CAMARAT. BROWN retrouve assez vite l’endroit où le matériel a été camouflé. Pendant que ” GEORGES-HENRY ” fait le guet, BROWN récupère les valises qui sont aussitôt stockées dans le coffre de la voiture; le chargement est si important qu’il est impossible de refermer le coffre.

” GEORGES-HENRY ” et BROWN, toujours dans la voiture de ” PERRIER ” – PAILLOLE ” reprennent la route de MARSEILLE; ils croisent quelques soldats ennemis sans éveiller leur méfiance et c’est l’arrivée au Poste de Contrôle Italien.

BROWN serait d’avis (toujours l’esprit ” commando “) de brûler la politesse aux carabiniers… ” GEORGES-HENRY ” l’en dissuade et c’est tout joyeux qu’il annonce au Chef de Poste le résultat brillant de la perquisition en désignant d’un coup d’oeil complice le matériel… saisi (?) Félicitations … échange de propos aimables sur l’amitié franco-italienne, cigarettes (pas celles du “Casabianca “) et c’est la dernière étape pour MARSEILLE où, à l’entrée de la ville, GROS, à bord d’une voiture des Renseignements Généraux, assure la Sécurité et fait une escorte d’honneur à la voiture du Chef du C.E. Français.

Le soir même, un poste émetteur est installé au domicile de GROS et après quelques essais, notre technicien CAILLOT établit la première liaison T.R. , 100% française, avec l’Afrique. Ce poste fonctionnera une dizaine de jours encore chez lui, R. ayant succédé à CAILLOT pour les émissions. Le poste fut ensuite transféré à l’autre bout de la ville, au quartier Vauban, chez P. ami de GROS. Les voitures goniométriques allemandes sillonnaient les environs, et les voisins commençaient à trouver drôle cette activité insolite.

Il n’est pas sans intérêt de connaître comment a fini ce poste … De Vauban, le poste fut transféré à la Place St-Michel, au n° 15, le fils du Pasteur ROUX… Surpris par une perquisition des Allemands, le fils ROUX n’eut que le temps de ” balancer le piano ” par la fenêtre du 3ème étage … ROUX pût s’évader, mais son père et sa mère furent déportés, le premier n’est jamais revenu.

BROWN ayant récupéré son poste, je le mis en contact avec des amis, IMBERT, PERPERE, GEORGES, etc.

Par mesure de prudence et pour que chaque service garde son autonomie, nous établîmes des cloisons étanches avec l’ O.S.S.

De multiples imprudences de BROWN (liaison avec une fille du milieu, bavardages, coups de revolver en plein restaurant, etc.) justifièrent amplement mes précautions et BROWN dût rentrer précipitamment en A.F.N. par ses propres moyens pour éviter le pire.
13 au 19 Février.

Je me sépare à mon grand regret de CAILLOT qui doit se multiplier pour mettre en service les postes et instruire les radios et chiffreurs. Nous nous retrouverons une première fois sur la côte en Mars, puis à LYON en Avril, et enfin à ALGER en Mai.

Je vais à LANGEAC rendre compte de ma mission à VERNEUIL (Adjoint de ” PERRIER ” et Chef du T.R. en France). J’ai le plaisir de retrouver avec lui des connaissances du vieux service : CHALLAN-BELVAL et Mlle MOREL, les collaborateurs fidèles de ” PERRIER “. Je lui communique les instructions du “PATRON “.

J’ai un contact très important à prendre à PARIS et avant de regagner MARSEILLE, je passe dire un rapide bonjour à mon ex-complice du 2 bis et de T.R. 115, COLLARD, réfugié à CASTRES. Il ignore encore tout, et mon arrivée est saluée avec joie.
MISSION A PARIS

Du 20 au 25 Février.

Pour aller à PARIS, il me faut un ausweis. Pas question de faire un faux, nous ne sommes pas encore organisés pour cela et il n’est pas bon que je serve de cobaye… Moyennant 14.000 Frs, j’obtiens un superbe ausweis au nom de Claude de MORANGIS. Expert (?), qui va parfaitement bien avec ma carte d’identité et ma carte d’alimentation… Voyage sans histoire. Tout de même j’ai le coeur serré en arrivant à la Gare de Lyon … C’est mon premier contact avec la capitale depuis l’Armistice et la vue de la croix gammée sur nos édifices me fait crisper les poings. Je conserve l’image du drapeau tricolore et celui de nos alliés flottant sur l’Afrique du Nord et je sens que l’humiliation sera de courte durée. Cette crise sentimentale est fugitive et comme le taureau, le rouge du disque germanique me stimule. Je fonce …

Quelques lignes sont nécessaires pour situer le personnage que d’ordre de ” M. PERRIER “, je vais ” contacter ” : FREDERKING, alias “YOUNG”, était un yougoslave recruté en 1938 par le S.R. allemand par la voie des petites annonces commerciales de PARIS-SOIR.

Le texte de l’annonce n’ayant pas échappé à ” l’équipe PASQUALI ” (autre pseudo du Chef du SSM/TR : P. PAILLOLE) du C.E. de l’Avenue de Tourville;

toute la correspondance relative à cette affaire était systématiquement cueillie et remise au C.E. Et … après photocopie, les plis étaient acheminés sur leur destinataire.

Suivait un échange de deux ou trois lettres puis, le S.R. allemand (camouflé sous l’étiquette commerciale d’une firme suisse) convoquait le candidat dans une ville neutre, lui payait le voyage, le traitait princièrement et pour tâter le terrain lui confiait une enquête sur l’établissement commercial. Le doigt était ainsi pris dans l’engrenage… Parfois le candidat flairait le boche, alors, ” il laissait tomber ” ou, plus rarement, il rendait compte aux autorités françaises. Quelques uns attirés par l’appât du gain donnaient suite à ces premiers contact et devenaient des agents du S.R. allemand : traîtres, espions.

Grâce aux dispositions prises par le C.E. ce système de recrutement fut rapidement neutralisé, des arrestations opérées et, résultat plus substantiel, des agents de pénétration introduits au sein du S.R. allemand.

C’est ainsi que ” YOUNG “, sous le contrôle de ” PASQUALI “, commença une étonnante carrière. Il n’est pas exagéré de dire qu’il fut l’un de nos meilleurs agents. Décapité à la hache, il a hélas, en fin de compte, payé de sa vie son amour pour la France et la Liberté.
” Croix de Fer ” et … Agent T.R. Bien avant la guerre, il avait été muni d’un des premiers poste émetteurs allemands dont l’indicatif variait suivant la première lettre des pages d’un roman à la mode.

Après l’armistice de 1940, ses employeurs allemands, satisfait de ses services, lui octroyèrent une prime importante et la Croix de Fer !

Dès Octobre 1940, j’avais repris le contact avec lui par carte interzones et il était ainsi resté l’un des informateurs du T.R. et c’est sans aucune appréhension que je lui téléphonai dès mon arrivée à PARIS.
Notre rencontre fut d’une chaleureuse cordialité. A la vérité, il était un peu effrayé de mon audace, et pourtant il croyait que je venais tout simplement de MARSEILLE …
Au cours d’un repas excellent à son domicile personnel rue de Verdun, il me précisa la position importante qui était maintenant la sienne : il occupait plusieurs bureaux à l’Hôtel LUTETIA (P.C. de l’ABWEHR en France), avait trois voitures avec des numéros minéralogiques interchangeables et un fil direct avec son Chef le Colonel KLEIN à WIESBADEN … Je fis une ample moisson de renseignements, de documents qu’il n’y a pas lieu d’énumérer ici .

Nous mîmes au point un plan qui nous permettrait de nous retrouver à MADRID au cours de l’année… Pour doubler les boîtes-aux-lettres toujours aléatoires, nous convînmes d’échanger des messages personnels par ” Radio-Alger “, la ” B.B.C. ” et.., ” Radio-Paris ” … C’est ainsi que notre rencontre de MADRID en Décembre 1943 fut convenue par le message suivant : ” Le Prado est en fleurs “.

La partie la plus importante de ma documentation était l’organisation d’un réseau de postes-émetteurs allemands maniés par des agents de nationalité française que le S.R. allemand avait l’intention de laisser derrière les lignes alliées en cas de débarquement …

Je possédais les noms de sept villes déjà pourvues d’Agents contrôlés par nous et dont certains n’étaient autres que nos propres Agents de pénétration dans le dispositif ennemi.

Je peux dévoiler aujourd’hui le nom de la première agente qui se présenta ainsi aux lignes américaines, les tous premiers jours du débarquement : Madame BERNARD, membre de l’Amicale… C’est grâce à elle, transportée d’urgence par voie aérienne à LONDRES, que je fus un des premiers Officiers T.R. à être débarqué en Normandie par vedette rapide

. Mais il fallait songer à regagner la zone Sud, le ” CASABiANCA ” devant venir nous rechercher entre le 3 et le 5 Mars … Catastrophe : la ligne de démarcation ayant été supprimée, les agences de voyages et gares avaient été envahies … Je n’avais pas de place pour MARSEILLE avant trois semaines. Sur ma demande ” YOUNG ” après quelques hésitations – bien compréhensives – me rédigea un Ordre de Mission et m’accompagna à la Gare de Lyon… Il s’adressa à un Officier allemand, Commissaire Militaire, qui nous fit escorter par un Feldgendarme.

Les wagons réservés à la Wermacht étaient tous occupés. Le Feldgendarme s’adressa à une s souris grise s qui occupait un compartiment de 1ère classe avec 4 Officiers et une autre souris grise …

A ma grande stupéfaction, cette dernière, tout en maugréant, me céda sa place après avoir enlevé sa valise et quitta le wagon … Le Feldgendarme me salua militairement pendant que ” YOUNG “, pas très rassuré, prenait congé de moi …

Je plaçais ma valise dans le filet et pris place dans le compartiment …

Je ne voudrais pas paraître fanfaron rétrospectivement, mais j’avoue très sincèrement que, de cette situation, je ne sentais que le côté cocasse, sportif. Aucune crainte, et si mon coeur battait un peu plus vite, c’est d’un orgueil un peu puéril à la pensée de la bonne histoire à raconter aux copains … ce que je fais aujourd’hui…

L’AFAT allemande, qui me fait face, m’adresse quelques mots en allemand … il fallait bien s’y attendre et je ne suis pas pris au dépourvu… Je ne peux que lui répondre « Franzoze » et quelque chose d’inintelligible qui signifie pour moi ” je ne comprends pas l’allemand “; Les Officiers allemands, jusque-là assez indifférents, tendent l’oreille.

Mais mon interlocutrice parle un français très approximatif et je peux lui expliquer ma présence dans ce compartiment : je prends la personnalité de mon brave ” YOUNG ” qui, comme façade de son activité secrète, vendait du champagne et des liqueurs, et approvisionnait les cercles et cabarets réservés aux Officiers du REICH.

Mes explications ont l’air d’être satisfaisantes. Je sens nettement chez les deux Officiers allemands, qui me font face, une sorte de mépris pour ce Français trafiquant et collaborateur. Qu’importe : je ne suis pas vexé et me plonge dans la lecture de tous les journaux collaborateurs dont j’ai fait ample provision.

Vers minuit, ces messieurs sortent de leurs sacs un appétissant assortiment : pain blanc, charcuterie, fromage …Il m’est difficile de rester impassible, ma dignité me fait refouler la salive qui monte à ma gorge … Mais la collaboration n’est pas un vain mot et quelques minutes après, je suis muni d’un kolossal sandwich que je dévore sans remords … Une politesse en vaut une autre; je mets ma valise sur mes genoux, j’en extrais une bouteille de champagne, – échantillon non sans valeur – et j’offre une tournée générale … Sous les autres échantillons de mes produits et les paperasses publicitaires, le ” courrier d’Alger ” n’a jamais été autant en sécurité et je savoure pleinement ces moments délicieux …

A l’ancienne ligne de démarcation, arrêt. Notre compartiment n’est pas contrôlé… Malgré tout, je ne dors pas et mes yeux ne quittent pas ma précieuse cargaison … A TARASCON, les Officiers allemands changent de train pour la direction de MONTPELLIER ou NIMES, après m’avoir serré cordialement la main.

RETOUR en ZONE SUD
Enfin MARSEILLE : La valise est mise en lieu sûr, après avoir rendu compte à ” GEORGES-HENRY ” de mon séjour à PARIS.
Du 20 au 28 Février.

Je revois ” GEORGES-HENRY ” qui est particulièrement satisfait : grâce à CAILLOT, tous les postes marchent parfaitement bien et le recrutement de techniciens, de chiffreurs et d’agents de liaison s’est accentué; GROS ne se contente pas d’apporter les ressources de sa situation officielle aux Renseignements Généraux, il ” débauche ” encore des inspecteurs dont l’un, GAUDE, rendra des services éminents.

Madame GROS est mise à contribution et s’acquittera de ses fonctions un peu spéciales avec un sang-froid et un courage bien tardivement récompensés … C’est encore GROS qui recrutera l’ami GRAVA que j’ai eu le grand plaisir de revoir le 2 Juillet 1955 dans la cour de la ferme d’OTTOU, devant une bouillabaisse dont la renommée a déjà franchi les limites de la Provence.

Citons encore PERPERE, chemisier rue de Rome, dont la cave abrita nos postes émetteurs, M. et Mme IMBERT, qui se dévouèrent sans restriction, combien d’autres, tels le petit GEORGES, jeune titi marseillais à la bonne humeur communicative, infatigable agent de liaison et providentiel porteur de bagages pour les passagers du ” tube “( Ndlr : le sous-marin ). Sa modestie et son désintéressement font que, plus de dix ans après ses aventures, sa boutonnière demeure toujours vierge du moindre ruban…
Fin Février. Il faut songer au départ.
CAILLOT, après ses pérégrinations à travers la France, a rejoint, lui aussi, MARSEILLE.
” GEORGES-HENRY ” nous met au courant des messages échangés avec ALGER. C’est maintenant officiel : le ” CASABIANCA ” doit venir nous prendre le 3 Mars à 22 heures à l’emplacement même où nous avons débarqué.

Des reconnaissances ont eu lieu à plusieurs reprises pour s’assurer que cette zone était toujours praticable … Le Capitaine B., pêcheur assidu, sinon habile, s’est multiplié entre le Cap LARDIER et le Cap CAMARAT, avec St-TROPEZ comme P.C.

1er et 2 Mars.

Activité intense au P.C. de T.R. 115. Le courrier émanant des autres postes et glané par les soins de ” VERNEUIL “, est arrivé classé, trié, emballé. Celui de ” GEORGES-HENRY ” est prêt. L’ensemble est réparti entre plusieurs valises ou sacs tyroliens. Quelques documents, particulièrement secrets, sont camouflés dans des tubes dentifrices ou crème à raser, dans de banales trousses de toilette, à l’intérieur de semelles de souliers, etc…

3 Mars.

Veillée d’armes : Les passagers seront, en dehors de CAILLOT et de moi-même : – le Colonel BONOTEAU, ancien collaborateur du Colonel d’ALES et délégué du Général FRERE, commandant l’ORA. – Le Capitaine B. du T.R., – réclamé par ” PERRIER – PAILLOLE “.
Le “Docteur” (qui n’est autre que le Général ARLABOSSE) devait faire partie du voyage, mais, retardé, ne pourra être rendu à temps au rendez-vous.

Nous serons accompagnés sur les lieux d’embarquement par PIROULAS, le dévouement personnifié, Jacques IMBERT, dont l’audace frise la témérité, et notre ange gardien, le petit GEORGES.

Isolément, par le train, nous nous rendons à St-TROPEZ d’abord, puis nous nous rassemblons avec nos bagages à 3 kilomètres du lieu d’embarquement … dans un endroit convenu, couvert, où la nuit nous assure sa complicité. Il est 20 heures environ. Un groupe de deux hommes armés part en avant-garde … L’un d’eux doit revenir sur ses pas après reconnaissance favorable.

DANS L’ ATTENTE DU ” CASABIANCA “
Tout va bien, mais le temps jusqu’ici incertain s’aggrave et un fort vent commence à souffler … Nous sommes anxieux de découvrir l’état de la mer.

Par deux (un passager et un homme d’escorte) nous rejoignons le détachement précurseur et nous organisons la sécurité : un guetteur armé à droite et à gauche de notre emplacement. Le reste du groupe se camoufle dans les rochers et les arbustes à quelques dizaines de mètres seulement du bord de la mer, avec comme point de repère, la roche Escudelier dont la masse sombre, frangée de blanc est à peine visible.

Il fait très noir et les nuages assombrissent encore le ciel … le vent redouble de violence et la mer est maintenant très mauvaise … Nous commençons à avoir des doutes sur la possibilité de l’opération, … L’un de nous se détache à 22 heures, face à la mer et en profitant de l’abri précaire d’un rocher, commence avec sa lampe électrique les signaux prévus dans les messages d’ALGER … Il faut masquer, autant que faire se peut, ces signaux latéralement, car il ne faut pas oublier que nous sommes encadrés par les Caps LARDIER et CAMARAT occupés par l`ennemi qui patrouille entre ses deux bases…
La Mer reste déserte

Nos yeux sont grands ouverts sur le large cherchant anxieusement le kiosque du sous-marin. Les minutes passent … Nous guettons le signal lumineux, cette petite étoile filante surgie des profondeurs de la mer … Rien, toujours rien … Des vagues de plus en plus violentes viennent fouetter les pieds des signaleurs … Il est près de 24 heures … Plus d’espoir pour ce soir… Un dernier signal, il faut abandonner.

Déçus, mais nullement démoralisés, nous nous organisons pour passer la nuit à la belle étoile (si l’on peut dire). Nous rejoignons notre emplacement de départ à l’abri protecteur d’un bois. Nous nous camouflons en assurant à tour de rôle la garde de notre repos.
4 Mars .

Nuit sans incident. Au lever du jour, nous centralisons les vivres, boissons, cigarettes, afin d’en faire une répartition équitable. Un rationnement s’avère indispensable si notre situation doit se prolonger… L’inventaire de nos ressources est plutôt décevant.

Le dispositif de sécurité de jour est mis en place : il ne reste plus qu’à attendre avec philosophie et silence la nuit prochaine … Nous pensons que notre sous-marin croise au large, l`état de la mer l’ayant empêché de s’approcher de la côte…

Avec le grand jour, nous distinguons des marins allemands et des soldats italiens se déplaçant autour du phare du Cap CAMARAT, cependant rien ne vient troubler notre quiétude. Nous sommeillons et prenons des forces pour la nuit.

A 22 heures, le dispositif est en place dans les mêmes conditions que la veille. Le temps est meilleur, sans qu’il soit pour cela très satisfaisant. Une assez forte houle frange les rochers. L’espoir nous habite; IL VIENDRA…

Pendant une heure, toutes les cinq minutes, les signaux lumineux sont répétés inlassablement,.. Pas de réponse …
Fausse joie :

Soudain, vers 23 heures, un cri de joie vite réprimé… Une masse sombre vient de surgir brusquement à moins de 300 mètres de la côte … pas de doute, c’est lui … Un des guetteurs accourt, il a aperçu un signal lumineux … Branle-bas, rassemblement des bagages et adieux aux deux guetteurs qui assurent la sécurité … Nous rendons nos vivres qui seront bientôt avantageusement remplacés, pensons-nous, au carré des Officiers …

Les quatre partants sont au bord de l’eau, nous voyons maintenant nettement le youyou se diriger vers nous.
Une émotion joyeuse nous étreints …. J’embrasse PIROULAS … et … en quelques secondes tous nos espoirs s’envolent. Avec une soudaineté inconcevable, un grain se déchaîne …Eclairs, tonnerre, pluie diluvienne nous enveloppent; le vent souffle en bourrasque et CAILLOT manque presque d’être emporté par une lame …. Il faut l’aider à reprendre pied … Nos bagages sont mouillés, nous reculons pour nous mettre à l’abri combien précaire des rochers et arbustes pendant que l’un de nous, resté sur le bord, cherche à distinguer le youyou qui a disparu…

Quelques minutes après, la rage et l’angoisse au coeur, nous voyons disparaître la silhouette du ” CASABIANCA “.

Trempés, transis de froid, déçus et à vrai dire démoralisés, nous nous regroupons et pour nous préserver si peu soit-il de la pluie, nous nous serrons les uns contre les autres comme des moutons sous l’orage. Nous restons longtemps silencieux. Nos premiers échanges sont moroses, mais après cette défaillance, nous reprenons notre sérénité et c’est calmement que nous envisageons la situation.

Il n’est pas question de rester plusieurs jours ici en attendant le retour problématique du “tube”… Mais il est nécessaire que le groupe se disperse prêt à répondre au premier signal. Nous enverrons un agent de liaison à MARSEILLE prendre contact avec ” GEORGES-HENRY ” qui doit être informé par la radio de la D.S.M. d’ALGER, elle-même en liaison avec le « CASABIANCA », des possibilités dans un avenir relativement court.

En attendant, il faut laisser passer l’orage et avant l’aube quitter ces lieux malsains.
5 et 6 Mars.

La caravane, scindée en plusieurs tronçons, s’éloigne de la côte. Avec précautions, un détachement d’avant-garde se présente à une ferme, discrètement. Accueil sympathique, café. Après, une conversation à bâtons rompus avec le maître des lieux, M. Achille OTTOU, la glace est rompue.

Le fermier, jeune, sympathique, patriote ardent, connaît le pays comme sa poche. Il se met à notre entière disposition. Bientôt les autres camarades arrivent et les sept hommes sont camouflés après s’être restaurés.

Cette ferme servira désormais de ” gare maritime ” pour les passagers du SSM/TR, et la tentative avortée d’embarquement du 26 Novembre 1943 où notre camarade ALSFASSER trouva une mort glorieuse, n’a pas troublé la quiétude apparente de l’héroïque maison du ” Père tranquille “.

Aujourd’hui, une plaque commémorant ce Haut-Lieu de la Résistance, est en dépôt dans ce petit coin de Provence. Elle attend sa pose prochaine à son emplacement définitif, sur la roche Escudelier.

Qu’il soit permis ici, à ceux qui ont inauguré la ” Ligne ” de rendre un hommage particulier à M. OTTOU et à sa famille, pour leur accueil chaleureux et surtout pour la part immense qu’ils ont prise au succès des opérations suivantes.

Dans le but de limiter les risques, je décidai de nous dédoubler.

Tandis que nos camarades restaient sur place, avec PIROULAS et le petit GEORGES, je gagnais St-TROPEZ.

J’établis mon P.C. dans une villa dominant la baie mise à ma disposition par R. FOREST, compagnon du C.E. à PARIS en 1939-1940. Cet emplacement avait l’avantage d’être discret et de servir de relais entre MARSEILLE et la ferme d’ACHILLE. Le petit GEORGES établit la liaison avec ” GEORGES-HENRY ” et nous apprîmes ainsi que le ” CASABIANCA ” à la suite de sa tentative avortée du 4 Mars, était parti en CORSE déposer des passagers pour revenir nous prendre deux ou trois jours après.

FOREST nous mit en rapport avec un Directeur d’Agence Immobilière -motorisé- de St-TROPEZ, qui nous rendit de grands services.

Pour accélérer les liaisons avec MARSEILLE, Madame IMBERT, avec sa Simca, se mit à notre disposition. FOREST lui-même se multiplie, il connaît bien le pays et assure notre ravitaillement. Nous l’en récompensons en faisant largement honneur à sa cave …
7 Mars.

R.A.S. … Nous attendons dans l’ennui. Enfin, Jacques IMBERT arrive de MARSEILLE avec un message de ” GEORGES-HENRY ” : le ” CASABIANCA “, si le temps le permet, croisera au large de la roche Escudelier, le 8 Mars et éventuellement le lendemain. Se tenir prêt à partir de 22 heures dans les conditions prévues.

Je fais prévenir CAILLOT par le petit GEORGES. Nous rejoindrons nous-mêmes la ferme d’ACHILLE le 8 Mars vers 20 heures 30.
Nouvelle tentative, second échec

Dès le réveil, nous scrutons le ciel … Temps maussade, le vent n’est pas trop fort. La chance nous sourirait-elle enfin ?

Pour passer le contrôle italien de RAMATUELLE, nous avons décidé de profiter du camion de J. IMBERT, un véhicule de la Brasserie des « Bières de France », sa maison marseillaise.

Il a disposé ingénieusement de lourds fûts de bière tout autour de la plate-forme du camion bâché, laissant au centre un espace suffisant pour que nous puissions nous accroupir.

Vers 20 heures, nous faisons nos adieux à l’ami FOREST et le remercions de sa cordiale hospitalité … Nous nous camouflons comme prévu. La cachette se révèle excellente, bien qu’un peu inconfortable, J. IMBERT est au volant.

Au contrôle de RAMATUELLE, les Italiens doivent être à table car aucune autorité ne se manifeste. Mais J. IMBERT, qui aurait pu facilement brûler ce passage, arrête calmement son camion à hauteur du poste, descend et hurle : ” Il n’y a personne là-dedans ? “… Tapis dans notre ” Cheval de Troie “, nous n’apprécions pas du tout cette plaisanterie et nous maudissons cette initiative qui met nos nerfs à rude épreuve…

Un Italien sort du poste, IMBERT, avec une faconde bien marseillaise, entame une conversation très amicale avec l’Italien à qui il offre une cigarette …. Les minutes nous paraissent des heures et c’est avec soulagement que nous entendons démarrer notre lourd véhicule.

Dés la descente de RAMATUELLE terminée, par la petite lucarne qui correspond à la cabine avant, j’adresse à voix sourde des reproches véhéments à IMBERT … imperturbable. Il chantonne un air d’opéra italien … Il m’explique que c’était la seule façon d’inspirer confiance, car si nous avions brûlé le poste, nous risquions d’avoir un motocycliste aux trousses qui, rendu méfiant, n’aurait pas manqué d’inspecter sérieusement le chargement … Rétrospectivement, je pense qu’il a eu raison, mais nous nous souviendrons longtemps de ces quelques minutes, sensation intolérable d’impuissance du gibier traqué …

Nous atteignons la ferme d’ACHILLE. Le camion est bien camouflé. Nous descendons et retrouvons avec joie nos camarades. Grâce à ACHILLE, le déplacement vers la côte s’effectue beaucoup mieux car il connaît la région à fond et nous fait passer par des pistes hors de la vue des postes de guet ennemis.

Nous commençons à être ” rodés ” maintenant, et chacun prend son poste comme à la parade, sans bruit, calmement …. Le temps, sans être aussi mauvais qu’au cours de notre dernière tentative, est bouché. Le vent s’est levé et la mer est agitée.

A partir de 22 heures, nous fixons intensément la mer : plusieurs fois, nous croyons voir émerger le kiosque du sous-marin, mais ce n’est que la roche Escudelier. Nous faisons quelques signaux lumineux, en vain … Peu après minuit, nous regagnons avec tristesse notre ” cantonnement “.
9 Mars.

Journée à la ferme. Nous prenons l’air à tour de rôle. Discussions animées sur les chances de succès … Il y a le parti optimiste et le parti pessimiste… A défaut de Pythonisse, la belote tranche nos différends : Même scénario que la veille, le temps ne s’est guère amélioré. Nous sommes maussades … A minuit, retour désenchanté, la période favorable est maintenant passée, plus d’espoir pour ce mois-ci. La dispersion est décidée pour le lendemain avec les précautions d’usage.
10 Mars.

De retour à MARSEILLE, CAILLOT et moi prenons contact avec ” GEORGES-HENRY “. Nous apprendrons plus tard par message d’ALGER que le sous-marin est bien revenu croiser à son retour de Corse, mais que l’état de la mer ne lui a pas permis de tenter le débarquement du youyou. LHERMINIER est allé à l’extréme limite de ses possibilités et a dû rentrer, la mort dans l’âme.

Au service du T.R. 115. , avec IMBERT et PERPERE, nous prospectons des propriétés amies en Haute-Provence, pouvant servir à des parachutages de personnel et de matériel, accessoirement d’emplacements de postes émetteurs et de refuges pour des camarades traqués.

J’effectue quelques déplacements dans les Alpes-Maritimes, notamment à NICE où M. JANNING, propriétaire du ” Château de l’Anglais ” au Mont Boron, nous apporte son précieux concours et un refuge idéal, sa vaste propriété étant truffée de souterrains qui serviront maintes fois… A TOULON, je vois le Commissaire HACQ.

D’autres missions m’amènent en Haute-Garonne. A Toulouse, je suis heureux d’apporter à Madame PAILLOLE, la maman de ” PERRlER “, le réconfort d’un message filial. CAILLOT est parti à LYON, installer d’autres postes-radio.

LA ROUTE DU ” TUBE ” EST COUPEE
A MARSEILLE, l’activité bat son plein. On espère que le ” CASABIANCA ” pourra venir faire sa tournée mensuelle au début d’Avril, mais un message d’ALGER nous enlève toute illusion.

Si la route du ” tube ” est momentanément coupée, il reste le vaste domaine de l’Air … J’apprends avec joie que ” PERRIER “- PAILLOLE ” a décidé d’organiser avec les Anglais, l’envoi d’un avion d’Angleterre pour nous enlever avec le courrier. Un ” Lysander ” viendra nous chercher, le Colonel BONOTEAU et moi, à la lune d`Avril dans le Puy-de Dôme. I1 est nécessaire que je gagne CLERMONT-FERRAND où T.R. 115 assurera cette opération, en liaison avec le poste SSM/TR de LONDRES que dirige BONNEFOUS.
Du 6 au 7 Avril.

Adieux à ” GEORGES-HENRY ” et à ses collaborateurs sans oublier GROS. Je réunis mes amis pour un dernier repas.., sans tickets, ” GEORGES-HENRY ” me confie le courrier. GROS m’établit un congé de convalescence d’un mois pour VICHY et CLERMONT-FERRAND ainsi qu’une attestation d’identité.

Je me rends à LYON où je rencontre l’ami CAILLOT. Nous passons une journée agréable de travail, d’information et nous nous séparons.
8 et 9 Avril.

Séjour à CLERMONT. Rapports extrêmement sympathiques avec le Capitaine JOHANNES, Chef de T.R. 113. Je fais connaissance de Michel THORAVAL qui a déjà été parachuté deux fois pour le T.R. Il assure la liaison avec la R.A.F. par l’intermédiaire d’un poste radio de T.R,113, manié par L’ Adjudant SIMONIN qui trouvera une mort légendaire, surpris en pleine émission. Je revois avec joie HERRMANN, robuste protecteur, dont la mine défie le rationnement.

A DEFAUT DE SOUS-MARIN : L’AVION
Le « Lysander » doit venir à la prochaine lune, à partir du 15 Avril. La B.B.C. fixera le jour ” J ” par les messages suivants : ” Les voyages forment la jeunesse, a dit Mme de Sévigné ” , et ” Les bains de mer sont agréables en été ” (cette dernière déclaration est d’un humour certain quand on sait que le ” channel ” doit être survolé et que nous venons de patauger à la roche Escudelier).

Le lieu choisi après homologation par la R.A.F. est situé aux environs du hameau de PARDINES.

Je laisse le courrier au Capitaine JOHANNES et, d’accord avec lui, je m’installe à l’Hôtel Molière à VICHY, pour commencer ma… Convalescence… Je ne rejoindrai CLERMONT que 24 heures avant le début de la nouvelle lune.
10 au 15 Avril.

Séjour à VICHY très discret. Seul incident, j’évite de justesse de me trouver nez à nez avec le Commandant B…, ex-officier du S.R. ” Tourville ” qui a ” mal tourné ” et préside aux Contrôles Techniques.
16 Avril.

Dans la matinée, je reçois le coup de téléphone attendu. HERRMANN vient me prendre en voiture et nous filons pour CLERMONT-FERRAND où le Capitaine JOHANNES me donne une charmante hospitalité dans son pavillon. Le Colonel BONOTEAU est sur place, tout est paré. Les messages de la B.B.C, ont été entendus. ” L’opération PARDIES ” est prévue pour le 17 Avril à partir de minuit.
17 Avril.

Toute la journée est consacrée à la préparation du courrier d’ALGER, via LONDRES, et à l’organisation de l’ ” opération PARDINES “. Le Capitaine MERCIER de T.R. 113 accompagnera les passagers, secondé par MICHEL, SIMONIN et HERRMANN.

A l’heure prévue, la B.B.C, confirme l’opération.
Nous disposons de deux voitures pour nous rendre au terrain. Dans la première. HERRMANN dans sa tenue de gendarme assure notre sécurité.

Nous arrivons vers 11 heures sans encombre. Le paysage est sauvage, dénudé, pas la moindre ferme à l’horizon ; Si l’endroit est propice au point de vue sécurité, il ne semble pas présenter un terrain idéal pour atterrir en pleine nuit. Le sol est inégal, caillouteux, plein de trous et la surface utilisable est limitée par un ravin.

Le Colonel BONOTEAU et moi-même, avec nos précieux bagages, sommes à l’abri d’un couvert en bordure du plateau. MICHEL, SIMONIN et HERRMANN mettent en place le dispositif de balisage prévu : 4 lumières blanches en ligne et une lumière rouge à l’extrémité de la piste. MICHEL se tient prêt à émettre la lettre convenue avec la R.A.F.

Le ” Lysander ” doit être là à partir de minuit. Le temps est couvert et la lune, bien pâle, ne se montre que par intermittence … Nous sommes tous à l’écoute du bruit du moteur et allongés sur l’herbe sur le dos, nos yeux fixent le ciel pour essayer d’y trouver l’étoile filante gage de notre évasion.
Une demi-heure … Une heure … Une heure et demie … Toujours rien … Nous sommes à la limite des possibilités car l’avion devra regagner la Grande-Bretagne avant le lever du jour.

Il est un peu moins de deux heures quand un ronronnement se fait entendre, léger d’abord et très rapidement assourdissant. L’avion vient de frôler nos camarades et au moment où nous le voyons immanquablement rouler dans le précipice, le pilote réussit acrobatiquement à reprendre de la hauteur.

HERRMANN, porteur de la lampe rouge, a failli être scalpé par le train d’atterrissage.

MERCIER prend l’heureuse initiative de faire déplacer rapidement les lampes de quelques dizaines de mètres. Quelques minutes plus tard, le ” Lysander ” au mépris de toute prudence, atterrit tous phares allumés et le Colonel BONOTEAU n’a que le temps de se déplacer rapidement pour éviter l’accrochage… l’avion freine à fond et s’immobilise quelques secondes avant de rouler pour gagner l’extrémité du terrain, prêt au décollage.
Un coup de feu Inquiétant.

Nous nous précipitons en même temps qu’un coup de feu nous fait sursauter … Nous nous écrasons au sol, l’arme à la main, quand le pilote anglais, flegmatique, une cigarette dans une main, un revolver dans l’autre, nous montre le pneu de son avion qu’il vient de crever. MICHEL faisant l’interprète nous indique qu’un silex a crevé un pneu en prenant contact avec le sol et que l’avion déséquilibré risquant de capoter au décollage , le pilote n’avait pas d’autre solution pour rétablir l’équilibre… Le départ sera acrobatique…

Les valises sont rapidement chargées et nous prenons place, le Colonel BONOTEAU et moi, dans un étroit habitacle. Nous faisons glisser sur nos têtes une sorte de toiture en plexiglas.

VERS ALGER… AVEC ESCALE A LONDRES
Le temps n’est pas aux effusions et il faut repartir. Le moteur n’a pas arrêté de tourner. Dans un vacarme Infernal, il donne son plein régime et nous avançons. Nous sommes secoués comme dans une machine à laver et nous sentons le moindre caillou du terrain .. Nous éprouvons la sensation pénible que nous n’arriverons jamais à décoller …. Enfin, après une secousse que nous percevons avec acuité, nous ressentons soudain l’ivresse de voler presque silencieusement … Nous prenons de la hauteur, pas suffisamment à notre gré, car il nous paraît d’une folle témérité de survoler un territoire occupé à une altitude qui ne dépassera jamais 800 mètres, sauf à l’approche de la Manche …

Nous sommes reliés avec le pilote par une sorte de petit téléphone … Nous devons lui communiquer toutes nos observations : avion ennemi, tirs de D.C.A… Il nous indique que nous avons des bouteilles thermos à bord, contenant thé et café … La deuxième boisson a notre préférence, nous aurons toujours le temps à LONDRES de la sacrifier au breuvage national.

Nous arrivons, le Colonel BONOTEAU et moi, à échanger quelques paroles, mais il faut crier … Nous sommes en pleine euphorie, sans pour cela oublier nos camarades qui ont assuré notre départ et qui, à l’heure où nous volons vers la Liberté, sont au danger … Le bruit des détonations (moteur et coup de feu) a peut-être alerté l’ennemi ?

Notre vol se poursuit… La terre de France se déroule sous nos yeux; nous distinguons très bien des hameaux, des rivières, des forêts. L’itinéraire minutieusement choisi évite les grands centres et nous survolons presque constamment la campagne; quelquefois à très basse altitude.

Vers 5 heures, après avoir pris de l’altitude, nous survolons la MANCHE. Pendant quelques instants, la lune perce les nuages et l’eau scintillante nous offre un spectacle de toute beauté.

Encore une demi-heure et nous apercevons le rivage de la GRANDE-BRETAGNE . Nous perdons de l’altitude et tout à coup nous avons la surprise de survoler quelques secondes un magnifique terrain illuminé par des projecteurs…

Nous saurons plus tard que le pilote avait averti Portsmouth que ses deux pneus étaient crevés, ce qui avait motivé cet éclairage proscrit en temps de guerre … Une ambulance et les pompiers étaient prêts à intervenir … Fort heureusement, le pilote, très habile, pose son engin au sol sans autre dommage que de brutales secousses.

Nous aurions eu autrement peur si nous avions su que notre train d’atterrissage était entouré de plus de trois mètres de fil à haute tension que nous avions arrachés au départ …

Et c’est dans un hangar de la R.A.F. qu’un whisky à la main, nous remercions notre pilote.

Quarante-huit heures plus tard, restaurés, habillés, nous arrivions à ALGER. , heureux de notre réussite. Nous remettions au Cdt. PAILLOLE, l’abondant et précieux courrier du T.R. de France : ” Mission remplie, mon Commandant “.

Article paru dans le Bulletin N° 8

Dépot légal – Copyright

Enregistrer pour lecture hors connexion.

Toute exploitation, de toute nature, sans accords préalables, pourra faire l’objet de poursuites.

Lire l’Article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle. – Code non exclusif des autres Droits et dispositions légales….