Repenser la politique française en Afrique : du néo-colonialisme au pragmatisme

Commentaire AASSDN : Une fois de plus, Bernard Lugan explique de façon claire les raisons du rejet de la France par les pays du Sahel. « Les faits sont têtus »
Face à cette situation qui semble être une impasse durable, l’auteur, grand connaisseur de l’ensemble des pays africains, propose un redéploiement de nos efforts et de nos relations vers les pays ayant un littoral et en particulier ceux d’Afrique du Nord, dans la mesure où la Méditerranée est une zone stratégique majeure pour la France notamment pour des raisons économiques et migratoires.
La France doit retrouver sa liberté d’action et concentrer ses efforts au mieux de ses intérêts.
Plus de 60 ans après l’indépendance des anciennes colonies, il est temps pour la France de passer à une politique de partenariat, s’appuyant sur une vision réaliste et abandonner certaines pratiques post-coloniales fondées sur des concepts inadaptés.

Depuis les indépendances, porteuse du mirage du « développement » et du mythe de la « bonne gouvernance », la France laboure l’océan africain. Un double objectif qui, en plus de lui avoir fait engloutir en pure perte des sommes considérables, a fini par dresser contre elle des Africains lassés de son néo-colonialisme « gentil ».

Et si la politique française d’aide à l’Afrique a échoué, c’est parce qu’elle ne s’est pas attaquée aux causes profondes du mal. Les principales crises africaines sont en effet structurelles et elles ont une origine historique, politique et culturelle. Tout au contraire, la France a postulé qu’elles découlaient d’un déficit de démocratie et d’un sous-développement économique. Elles n’avaient donc aucune chance d’être traitées. 

Face au mur de l’échec, la France s’est obstinée dans une politique d’aide dont les résultats sont nuls, l’Afrique engloutissant année après année, des sommes colossales versées au titre de l’APD (Aide pour le Développement). D’ailleurs, comme la croissance économique africaine est inférieure à la croissance démographique, comment prétendre raisonnablement « développer » un continent qui, d’ici à 2030, verra sa population passer de 1,2 milliard à 1,7milliard, avec plus de 50 millions de naissances par an ?

En raison de son échec évident, toute la politique africaine de la France est donc à revoir, mais à la seule lumière du réel : comme la France n’est pas mesure de résoudre les problèmes de l’Afrique, elle doit donc cesser de se croire obligée de le faire.

D’autant plus qu’aucune des productions actuelles ou identifiées en Afrique, n’est vitale pour son économie. Quant aux matières premières africaines, à de très rares exceptions, elles se trouvent en abondance, ailleurs dans le monde dans des régions où ne se posent pas de problèmes sécuritaires, matériels et politiques, et où le racket du « développement » ne s’exerce pas davantage que la rente victimaire. 

La France n’a donc pas d’intérêts économiques prioritaires à défendre en Afrique. Néanmoins, si elle veut tout de même y manifester une présence, sa priorité sera de concentrer ses efforts sur les littoraux. C’est en effet de là que partent toutes les pénétrantes continentales, et où, en retour, aboutissent toutes les productions de l’intérieur. Comme je l’ai déjà dit dans un précédent éditorial, pour le moment,  laissons donc les intérieurs, là où il n’y a que des coups à prendre, à ceux qui, comme les Russes au Mali, commencent à s’y brûler les ailes…

Quant à la question de l’immigration, ce n’est pas avec les chimères du développement qu’elle pourra être traitée. D’autant plus que ce ne sont pas les Africains de la brousse qui émigrent, mais très exactement ceux qui se sont frottés à notre politique de « développement » et qui disposent des moyens de payer les réseaux de passeurs…

Enfin, comme la France n’a aucune prise sur les zones continentales d’où partent ces migrants, elle devra, là encore, s’intéresser à celles de leurs points d’arrivée, à savoir les rives africaines de la Méditerranée. D’où la nécessité de réorienter la politique française vers l’Afrique du Nord afin d’y nouer de forts partenariats, notamment sécuritaires, avec des pays qui sont désormais en première ligne face au phénomène migratoire africain sud-saharien.

Bernard LUGAN
https://bernardlugan.blogspot.com/

L’Afrique Réelle n°177 – Septembre 2024




Le Sahel en guerre : regret et chaos après le départ de l’armée française

Commentaire AASSDN : Il a fallu peu de temps pour que la situation sécuritaire des 3 pays du Sahel se dégrade après le départ des forces françaises.
Une compréhension erronée de la situation politique par nos dirigeants et une opération de désinformation menée contre la France par la Russie – en réponse au soutien apporté par la France à l’Ukraine – ont conduit au départ des 5 000 membres de nos forces armées qui y étaient déployées sur cette zone de près de 3 millions de km2 (plus de 5 fois la France) après y avoir perdu 58 des leurs.

La situation actuelle au Sahel risque de se dégrader encore davantage en raison de l’incapacité de la Russie à combattre efficacement les mouvements d’opposition islamistes ou soutenus par eux, et des nouveaux dirigeants  à trouver une solution aux volontés autonomistes de la zone nord.

La France doit regarder l’Afrique sans préjugé idéologique et repenser sa stratégie générale au Sahel. Cela passe sans doute par une redéfinition de ses priorités en fonction de ses intérêts stratégiques de long terme.

Militairement en perdition, le Mali, le Niger et le Burkina Faso commencent à regretter d’avoir exigé le départ de l’armée française…

Au Mali, au Niger et au Burkina Faso, l’on est désormais loin de l’enthousiasme des manifestations « spontanées » durant lesquelles, dans l’oubli de ce que l’armée française avait fait pour ces pays, le drapeau français était brûlé et le drapeau russe brandi. Certains reconnaissent même, et de plus en plus ouvertement, qu’à l’époque de Barkhane, les GAT (Groupes armés terroristes) ne faisaient pas la loi. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Depuis le départ des forces françaises consécutif aux putschs militaires au Mali (2020 et 2021), au Burkina Faso (deux en 2022) et au Niger (2023), en dépit de l’intervention russe, les attaques et les embuscades contre les forces de sécurité sont désormais quotidiennes. Au Burkina Faso et au Mali, les armées locales étant en perdition, la situation est même hors contrôle.

Au Mali, les paramilitaires russes de l’Africa Corps – anciennement Groupe Wagner -, accueillis hier en libérateurs, n’ont jusqu’à présent fait la preuve que de leur piètre valeur militaire. Ils ont même subi une humiliante et sanglante défaite les 25-27 juillet 2024 à Tinzaouaten, près de la frontière algérienne où, face aux Touareg, ils ont en effet laissé sur le terrain au moins 50 morts, deux prisonniers, ainsi que tout leur équipement (véhicules, armes, moyens de transmission etc.). Quant à l’armée malienne, les FAMA, ses pertes se comptèrent en plusieurs dizaines de morts. De plus, les mercenaires russes qui ne sont donc pas, pour le moment du moins, le joker de la junte malienne, sont régulièrement accusés de massacrer les populations, comme à Moura,  au mois de mars 2022, où 500 civils furent tués.

Le plus inquiétant pour « l’Alliance des États du Sahel » regroupant les juntes militaires du Mali, du Niger et du Burkina Faso, est que l’armée malienne et ses encadreurs russes se voient peu à peu quasiment encerclés dans Bamako. Se profile en effet le scénario catastrophe d’une conquête de la capitale par le chef touareg ifora Iyad Ag Ghali. L’homme avec lequel, et comme je n’ai cessé de le dire depuis 2013, il était nécessaire de discuter puisque, et qu’on le veuille ou non, il est à la fois la cause et la solution du problème du nord du Mali. La question de la région des « Trois frontières » est différente car ce ne sont pas les Touareg qui y sont à la manœuvre, mais les Peul. Toujours cette question ethnique engerbant toutes les autres, mais que les décideurs français ont obstinément refusé de prendre en compte car, selon les « africanistes » du CNRS et de Science Po qui les ont « formatés », les ethnies africaines sont des fantasmes « coloniaux » !!!

Le Mali va-t-il donc sombrer ? Les évènements récents pourraient le laisser penser. En effet, le 17 septembre 2024, la capitale Bamako a subi une double attaque coordonnée qui a permis au Gsim (Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans), une coalition dirigée par Iyad Ag Ghali, de prendre d’assaut deux sites éloignés l’un de l’autre d’une dizaine de kilomètres, à savoir l’école de gendarmerie et l’aéroport. Si aucun bilan officiel n’a été donné par les autorités maliennes, le nombre des victimes dépasse probablement la centaine. Plusieurs mercenaires russes ont également perdu la vie, eux dont la mission primordiale était pourtant de sécuriser Bamako et son aéroport…

En réalité, le Gsim et ses alliés sont en train d’encercler peu à peu la capitale malienne, dans un double mouvement d’étranglement. Au nord, ils étendent leur tache d’huile en repoussant peu-à-peu les FAMA, détruisant systématiquement leurs positions militaires et effaçant ainsi la très fragile « légitimité » de la junte au pouvoir. Quant à l’assaut sur Bamako, il pourrait se faire à partir de la Guinée, l’armée malienne ayant récemment perdu plusieurs positions stratégiques sur la route y menant après avoir retraité en panique, abandonnant tout son armement aux assaillants.

Bernard LUGAN
Afrique réelle
https://bernardlugan.blogspot.com/




De Vichy à Genève : Les réseaux secrets du colonel Georges Groussard, alias Eric

Colonel Georges Groussard, alias Gilbert et Eric, fut un maître du renseignement pendant la Seconde Guerre mondiale, dirigeant les “Réseaux Gilbert” et collaborant étroitement avec l’Intelligence Service britannique. Malgré les obstacles, il organisa une résistance efficace contre les Allemands depuis la Suisse et joua un rôle clé dans l’arrestation de Laval.

Photo :

Hommage au colonel
Georges Groussard,
le 25 Mai 2024

Avec
Dominique Fonvielle
et Alain Juillet

En 1942, le colonel Groussard était réputé être l’homme le mieux renseigné de France. Ses « Réseaux Gilbert », qu’il anime depuis la Suisse, couvrent pratiquement la France entière et une partie de l’Italie. La qualité des renseignements fournis à l’Intelligence Service lui vaudra d’être nommé Officier dans l’Ordre du British Empire, (OBE), distinction que les Britanniques ne distribuent qu’au compte-goutte.

En 1938, Commandant en second, puis Commandant l’École Spéciale Militaire en août 1939, il assure jusqu’au bout la formation de ses élèves qui prendront comme nom de promotion, en mars 1940, le nom d’Amitié Franco-Britannique, avant de rejoindre le front. Lui-même est nommé chef d’État-Major du 12ème Corps d’Armée, puis rejoint Paris avec le général Dentz nommé Gouverneur de Paris, comme Chef d’État-Major. Il a la pénible tâche de livrer Paris aux Allemands.

L’officier héroïque de la Première guerre mondiale ne peut admettre l’armistice, tout en conservant un grand respect à la personne du Maréchal. Ce Vendéen, descendant de grands-parents dreyfusards, époux de Véra Berstein, avec laquelle il s’est initié au renseignement en Bulgarie dès 1928, lorsqu’ elle avait voulu retourner sur la terre de son enfance, ne pouvait rester inactif.

Alors qu’il est sur le point de passer général, il demande à être mis en congé d’Armistice. Avec l’appui du ministre de l’Intérieur Peyrouton et du ministre de la Guerre, le général Huntziger, il est nommé Inspecteur général des Services de la Sûreté Nationale. Sous cette « couverture », il va entreprendre de créer, depuis Vichy, le CIE (Centre d’Information et d’Études) et les Groupes de Protection, une organisation secrète de cadres sous-officiers et officiers capable de reprendre la guerre, officiellement chargée de la protection du régime. Il s’inspire ainsi de l’exemple allemand du général von Seeckt après le traité de Versailles (1919, 22, 29), en camouflant des activités interdites sous des organismes officiellement reconnus.

Mais Vichy n’est pas Weimar, et le projet se heurtera à « l’hypothèque Vichy »[1] et à la politique de collaboration.

Avec l’accord de Huntziger et l’aide de Pierre Fourcaud[2], il effectue en juin 1941 un voyage clandestin à Londres où il rencontre personnellement Winston Churchill, Premier ministre, Anthony Eden, ministre des Affaires étrangères et John Winant, ambassadeur des Etats-Unis, ainsi que les chefs du MI6 avec lesquels il est vraisemblablement en relation depuis 1940. Malgré sa demande, il ne peut rencontrer le général De Gaulle alors en tournée au Moyen-Orient, et se heurte à l’hostilité des gaullistes[3] qu’il rencontre pourtant longuement, malgré les réticences des Britanniques.

Le colonel Groussard et ses Groupes de protection participent à l’arrestation de Laval en décembre 1941, mais lui-même est arrêté sur ordre de Darlan et interné à plusieurs reprises. Son projet s’effondre, les Groupes de Protection et le CIE sont dissous sur ordre des Allemands. Qu’importe, il change son fusil d’épaule et, sachant que la Grande-Bretagne, seule encore dans la lutte contre les Allemands, a avant tout besoin de renseignement opérationnel, avec l’aide de ses amis et relations, il donne la priorité aux réseaux Gilbert qui vont rapidement se déployer et se montrer particulièrement efficaces.

Ses partisans se nomment Virret, Kapp, Bruno, le Préfet Jacques Juillet (en 1942 à la direction du personnel de l’Administration Préfectorale à Vichy)[4]. Sa fille Françoise, alors âgée de 12 ans lui servira, lors de ses périodes de détention, d’agent de liaison.

Il est par ailleurs en contact étroit avec les réseaux clandestins des SR et CE montés depuis le « Serment de Bon Encontre », avec Paillole, Rivet, les colonels Ronin et Baril, ainsi que les groupes formés par le général Heurteaux (en zone occupée) et le commandant Loustaunau-Lacau (Alliance).

En novembre 1942, à nouveau prisonnier de Vichy et risquant de se voir livré aux Allemands, il fausse compagnie à ses geôliers, et rejoint Genève où il bénéficie de l’appui des services suisses de renseignement et de l’IS. Depuis ce « sanctuaire », il développe les réseaux qu’il a mis en place dès l’été 1940 et qu’il avait continué d’animer depuis ses lieux de détention successifs.

Ses chefs de réseaux sont les frères Ponchardier, Devigny (Vallée du Rhône, Toulon), De Pace (Italie), Heurteaux (Zone occupée), Dingler (Alsace-Lorraine), Bruno (Espagne), … avec un effectif global d’environ 700 personnes et un taux de pertes très bas, du fait de son exigence absolue en matière de sécurité.

Le colonel Groussard n’est pas gaulliste, bien qu’il connaisse très bien le général De Gaulle depuis le SGDN où ils servaient ensemble en 1934-35. Passy et Dejean ne l’aiment pas et le sous-estiment largement. Pourtant, il mettra à la disposition des MUR ses moyens et les points de passage entre la France et la Suisse qu’il contrôle totalement. Bénouville profitera à de nombreuses reprises de son aide et de son appui.

Après la guerre, le colonel Groussard, profondément choqué par les conditions de l’épuration dans l’armée, refuse les étoiles offertes par le général De Gaulle. Il se consacre à la rédaction de ses mémoires (« Chemins secrets », en 1948, « Services secrets » en 1964) et à d’autres ouvrages. Il rompt définitivement les ponts avec De Gaulle au moment de la crise algérienne, et se retire dans le sud de la France avec sa compagne de la guerre, Suzanne Kohn[5], qu’il épousera après le décès de sa première épouse.

En septembre 1944, ses compagnons, réunis à Annemasse lui dédicacent un témoignage de fidélité et d’amitié qui, pieusement conservé, a été remis par sa fille Françoise au colonel Fonvielle pour être déposé dans un lieu de mémoire. Ce vœu a été exaucé en mai 2024, à l’occasion du Congrès de l’AASSDN.

Aucun autre lieu ne pouvait mieux convenir que le Musée de l’Officier de l’académie Militaire de St Cyr pour abriter le souvenir d’un grand soldat, d’un grand résistant, et d’un ancien commandant de l’École de Saint Cyr.

Par le colonel (h) Dominique Fonvielle


[1] Peschanski, D ;  Dauzou, L. « La Résistance française face à l’hypothèque Vichy », Centre d’Histoire Sociale du XXème siècle, CNRS Université, Panthéon-Sorbonne Paris I.

[2] L’un des premiers « missionnaires » des FFL de De Gaulle en France.

[3] Capitaine Dewavrin, dit Passy, qui avait été professeur de fortifications à St Cyr sous son commandement, et Dejean, Directeur des affaires Politiques de De Gaulle, d’emblée totalement opposé au projet de Groussard.

[4] Groussard, Georges, « Chemins secrets », Bader-Dufour, 1948

[5] Suzanne Kohn, célèbre aviatrice, a réalisé le raid Paris Madagascar avant la guerre ; sa sœur Antoinette Sachs, muse de Paul Géraldy, était une très proche amie de Jean Moulin.




Retour sur la bataille tragique de Diên Biên Phu (1954)

Soixante-dix ans après la chute de Dien Bien Phu, on ne peut qu’être agacé, pour ne pas dire plus, par les poncifs que ressort la presse à chaque occasion d’évoquer cette bataille. Même s’il n’est pas question de transformer ce qui fut une sanglante bataille d’usure en glorieuse victoire, il serait bon de rappeler quelques faits généralement passés sous silence.

La stratégie américaine et ses répercussions en Indochine

D’abord, la guerre d’Indochine fut, à partir de 1950, largement financée par les États-Unis qui équipèrent de matériel américain le corps expéditionnaire français d’Extrême Orient (CEFEO) et les armées associées, ce qui permit à de Lattre de redresser la situation face à un corps de bataille Vietminh fraîchement équipé par la Chine communiste, qui échoua à s’emparer du delta du Tonkin. Depuis qu’ils étaient impliqués dans la guerre de Corée sous la bannière de l’ONU en 1950, les Américains avaient compris que la lutte contre le communisme impliquait également le conflit indochinois qui n’était pas seulement une guerre de décolonisation. Mais Eisenhower, élu président en janvier 1953, avait décidé de « ramener les boys à la maison » et parvint à mettre un terme à la guerre de Corée par un armistice qui allait consacrer la division de la péninsule en deux pays à partir de juillet 1953, en dépit de la résolution votée à l’ONU de réunification des deux Corées. La suite logique de cette décision était de se dégager également du conflit indochinois par la partition de l’Indochine, ce qui allait advenir à l’été 1954 suivant lors des négociations de Genève.

Le commandement français face à la complexité du conflit

Dans ce contexte, concernant la France, il n’existait pas de coordination réelle entre le pouvoir politique et le commandement militaire assuré depuis mai 1953 par le général Navarre. Ce dernier était-il un mauvais choix ? Il avait accepté ce poste dont personne ne voulait et qu’il savait risqué. Il était intelligent et capable, mais c’était un inconnu du grand public. Alphonse Juin, maréchal depuis 1952, avait refusé ce poste, alors qu’avec la renommée qu’il s’était acquise depuis la campagne d’Italie, il aurait disposé, pour obtenir des renforcements, de moyens de pression sur les politiques bien supérieurs à ceux de Navarre. Ce dernier avait présenté un plan d’action sur deux ans accepté par l’état-major et les décideurs politiques qui, de leur côté, n’avaient pas fait preuve de leurs intentions précises, s’ils en avaient. Ils lui refusèrent par la suite les renforts terrestres et aériens qu’il demandait pour permettre la mise en œuvre de son plan.

L’impact de l’aide chinoise au Vietminh

Pourtant, initialement, Navarre réussit plutôt bien ses premières opérations, mais à partir de juillet 1953 il devenait difficile, pour lui comme pour ceux qui connaissaient mieux le théâtre, d’évaluer dans quelle mesure la Chine communiste, désormais libérée du conflit coréen, allait accroître son aide au Vietminh. Cette aide, qui se manifesta en artillerie sol-sol et sol-air, en milliers de tonnes d’obus et de munitions, en centaines de camions pour la logistique, et en de nombreux conseillers techniques chinois, allait modifier considérablement les données du problème. De plus, le gouvernement français, qui reconnaissait des gouvernements vietnamien, cambodgien et laotien dans le cadre de l’Union française, avait proposé à ces pays des accords de défense que seul le Laos avait signés. Or, à l’automne 1953, ce pays était directement menacé par l’avancée du corps de bataille Vietminh. Navarre considéra qu’il fallait appliquer ces accords qui engageaient la crédibilité de la France et mit en œuvre un plan déjà envisagé l’année précédente par son prédécesseur, Raoul Salan : gêner l’avance du Vietminh et protéger de l’invasion le nord du Laos en créant une base aéroterrestre à Dien Bien Phu, ce qui fut fait en novembre 1953.

Dien Bien Phu : une base aéroterrestre controversée

Sans entrer dans les détails de la bataille, rappelons ce que représenta en effectifs le Groupement Opérationnel du Nord-Ouest (GONO), la garnison de Dien Bien Phu : 10 800 hommes, renforcés par 4 200 hommes parachutés au cours de la bataille, soit 15 000 au total. Ce chiffre est à comparer aux 245 000 hommes du Corps expéditionnaire français (CEFEO) et de ses supplétifs, et aux 225 000 hommes des armées associées, soit 470 000 hommes déployés en Indochine. À Dien Bien Phu, le GONO ne représentait que 5 % de l’effectif total, et sa destruction, même si c’était une perte douloureuse, ne pouvait pas être considérée sur un plan purement militaire comme une défaite décisive, d’autant que pour parvenir à ce résultat, Giap avait mobilisé et usé pendant six mois l’essentiel du corps de bataille Vietminh. En l’absence de chiffres exacts concernant ce dernier, on peut estimer ses pertes à plus de 30 000 tués et blessés non récupérables, au point que l’ultime offensive fut menée par une majorité de jeunes soldats sans expérience venus combler les pertes. Au 7 mai 1954, le corps de bataille Vietminh, vainqueur, était trop affaibli pour mener une offensive contre le delta du Tonkin où se trouvait l’essentiel du CEFEO, et il n’essaya d’ailleurs pas. Militairement, c’était une victoire à la Pyrrhus, trop coûteuse par rapport aux résultats obtenus.

Une victoire à la Pyrrhus pour le Vietminh

Mais, en mettant hors de combat, quel qu’en soit le prix, les 15 000 hommes de Dien Bien Phu, Ho Chi Minh avait visé surtout une victoire médiatique au moment où commençaient les négociations à Genève. Et il obtint cette victoire en France métropolitaine où l’on était fatigué du conflit et où un parti communiste important souhaitait la défaite de l’armée française. Cette victoire médiatique se transforma en victoire politique avec les accords signés à Genève qui débouchaient en août sur la partition de l’Indochine dans des conditions qu’Ho Chi Minh n’avait pas espéré aussi satisfaisantes pour le Vietminh.

La contribution et le sacrifice des Indochinois anti-communistes

Soixante-dix ans plus tard, c’est le récit médiatique du Vietminh qui prévaut toujours : on continue d’admirer la détermination d’un Ho Chi Minh et la stratégie d’un Giap, et d’imaginer un peuple uni derrière lui pour obtenir à tout prix son indépendance. Mais quelle indépendance ? On oublie qu’il s’agissait d’une dictature impitoyable contre laquelle ont lutté de nombreux Vietnamiens. En effet, les 225 000 hommes des armées associées au CEFEO étaient bien des Indochinois, auxquels il faut ajouter, au sein du CEFEO lui-même, près de 110 000 hommes, engagés et supplétifs, car les unités françaises lors de leurs séjours de deux ans comblaient leurs pertes sur place en se « jaunissant », sans oublier les 30 000 Nord-Africains, les 18 000 Africains et les 20 000 légionnaires, pour 55 000 Français de souche fournissant l’essentiel de l’encadrement. À Dien Bien Phu, dont la garnison reflétait bien l’essentiel de l’Union française, des unités aussi célèbres que les bataillons paras du 1er BEP et du 2/1 RCP étaient composées à 50 % de Vietnamiens. Le 6ème BPC, le « bataillon Bigeard », en comprenait 30 %, sans parler du 5ème BPVN, intégralement vietnamien. On doit également rappeler que sur les 1 520 volontaires individuels qui renforcèrent la garnison pendant la bataille et dont 620 n’avaient jamais sauté en parachute, plus de 800 étaient des Vietnamiens. En définitive, Dien Bien Phu fut largement une bataille entre Vietnamiens.

L’oubli des prisonniers et des victimes vietnamiennes du conflit

Sur les quelque 10 800 prisonniers dirigés vers les camps Vietminh, il n’en a été libéré après les accords de Genève que 3 299. Sur les 39 888 prisonniers identifiés de la guerre d’Indochine, il n’en a été libéré que 9 934 au total. Où sont passés les autres ? Cette question n’a jamais hanté les grandes consciences de la gauche française, ni même les dirigeants de notre pays, désormais très soucieux de s’excuser d’avoir été des « colonisateurs ». Beaucoup sont morts d’épuisement, de maladie et de faim sans que

, soixante-dix ans plus tard, cela déclenche beaucoup de commentaires, alors qu’il serait assez normal de demander des comptes sur le traitement inhumain de ces prisonniers. Mais beaucoup n’ont tout simplement pas été rendus parce qu’ils étaient Vietnamiens.

Le Sud-Vietnam : continuité de la lutte contre le communisme

Le silence s’est fait sur ces Vietnamiens qui refusaient un avenir communiste pour leur pays. Ils constituèrent, avec les centaines de milliers de catholiques qui quittèrent le Tonkin pour le sud après juillet 1954, l’ossature de l’armée et de l’administration du Sud-Vietnam qui allait connaître dès le début des années 60 une nouvelle guerre provoquée par les infiltrations venues du nord du Vietminh rebaptisé « Vietcong ». En France, il fut de bon ton de critiquer l’aide américaine au Sud-Vietnam qui s’accrut massivement de 1965 à 1968, et de considérer comme « corrompus » les responsables de ces Sud-Vietnamiens qui ne voulaient pas devenir communistes. Ils tinrent pourtant jusqu’en 1975, après la fin de l’aide américaine qui avait cessé au sol dès 1972 et cessa complètement en 1974 à la suite de l’affaire du « Watergate » aux États-Unis, alors qu’au même moment l’URSS aidait massivement le Nord Vietnam dans son ultime offensive de 1975. Les Occidentaux ne recommencèrent à s’inquiéter pour les Sud-Vietnamiens que lorsque des dizaines de milliers de « boat people » tentèrent par tous les moyens d’échapper à l’enfer communiste, et lorsqu’on assista au Cambodge à la monstrueuse tragédie orchestrée par les communistes Khmers rouges.

Réévaluation du rôle de l’armée française et de ses alliés indigènes

Il est compréhensible que 70 ans après la fin des combats les responsables politiques français tentent un rapprochement avec les dirigeants vietnamiens, diplomatie oblige. Mais il serait bon qu’ils n’en fassent pas trop et maintiennent quelque distance avec ce qui demeure une dictature communiste à parti unique, où l’on est tenu de vénérer le cadavre de l’homme-dieu Ho Chi Minh, et où la persécution des religions, et en particulier des catholiques, continue, tout cela alors même que nos dirigeants politiques se gargarisent de démocratie et de lutte contre les dictatures.

L’héritage de Marcel Bigeard et la reconnaissance de son sacrifice

Un dernier point concerne Marcel Bigeard, que les uns et les autres aiment bien évoquer. Bigeard, caporal appelé en 1936 avec pour tout bagage un certificat d’études, mobilisé en 1939, sergent puis adjudant des corps francs en 1940, prisonnier puis évadé, rejoignant l’Afrique du Nord pour être parachuté en France en 1944 comme responsable d’un maquis, puis effectuant trois séjours en Indochine où il se forgea une légende, âme de la défense et organisateur des contre-attaques à Dien Bien Phu, commandant de régiment en Algérie avant d’accéder aux étoiles puis d’être secrétaire d’État à la Défense, demeure pour les Français un symbole. À travers les désastres et les épreuves, ce Français d’origine modeste n’a jamais douté de son pays et a toujours continué à le servir avec talent et sans faiblir. Il voulait que ses cendres soient dispersées sur le champ de bataille de Dien Bien Phu, ce que l’obtus gouvernement vietnamien a refusé. Au vu de ce qu’il représente dans l’histoire militaire de notre pays, la place de ses cendres est aux Invalides. On ne désespère pas que des responsables politiques courageux prennent enfin cette décision qui serait un beau point final pour ces commémorations et un bel hommage rendu aux centurions que la France sacrifia sur l’autel de la décolonisation.

Les relations franco-vietnamiennes à l’épreuve de l’histoire

Il est compréhensible que 70 ans après la fin des combats les responsables politiques français tentent un rapprochement avec les dirigeants vietnamiens, diplomatie oblige. Mais il serait bon qu’ils n’en fassent pas trop et maintiennent quelque distance avec ce qui demeure une dictature communiste à parti unique, où l’on est tenu de vénérer le cadavre de l’homme-dieu Ho Chi Minh, et où la persécution des religions, et en particulier des catholiques, continue, tout cela alors même que nos dirigeants politiques se gargarisent de démocratie et de lutte contre les dictatures.

Un appel à une mémoire équilibrée et honnête du conflit indochinois

Un dernier point concerne Marcel Bigeard, que les uns et les autres aiment bien évoquer. Bigeard, caporal appelé en 1936 avec pour tout bagage un certificat d’études, mobilisé en 1939, sergent puis adjudant des corps francs en 1940, prisonnier puis évadé, rejoignant l’Afrique du Nord pour être parachuté en France en 1944 comme responsable d’un maquis, puis effectuant trois séjours en Indochine où il se forgea une légende, âme de la défense et organisateur des contre-attaques à Dien Bien Phu, commandant de régiment en Algérie avant d’accéder aux étoiles puis d’être secrétaire d’État à la Défense, demeure pour les Français un symbole. À travers les désastres et les épreuves, ce Français d’origine modeste n’a jamais douté de son pays et a toujours continué à le servir avec talent et sans faiblir. Il voulait que ses cendres soient dispersées sur le champ de bataille de Dien Bien Phu, ce que l’obtus gouvernement vietnamien a refusé. Au vu de ce qu’il représente dans l’histoire militaire de notre pays, la place de ses cendres est aux Invalides. On ne désespère pas que des responsables politiques courageux prennent enfin cette décision qui serait un beau point final pour ces commémorations et un bel hommage rendu aux centurions que la France sacrifia sur l’autel de la décolonisation.

Le capitaine Marcel Bigeard, nommé lieutenant-colonel lors des combats à Diên Biên Phu avant d’être fait prisonnier

Membres du Bataillon français : Environ 4.000 soldats français et près de 10.000 combattants du viêtminh ont perdu la vie à Diên Biên Phu




Nouvelle-Calédonie : Quand les ingérences étrangères attisent les flammes du conflit

L’article traite des violences survenues en Nouvelle-Calédonie, attisées par l’opposition à la loi sur le dégel du corps électoral et l’ingérence de puissances étrangères, notamment l’Azerbaïdjan et la Chine. Tandis que des groupes indépendantistes radicaux et des voyous canaques se sont rebellés, les accords avec Bakou visaient à affaiblir la France pour son soutien à l’Arménie. La Chine, quant à elle, poursuit discrètement ses intérêts stratégiques dans la région pour contrer l’influence américano-australienne dans le Pacifique.

Commentaire AASSDN : A travers la Nouvelle Calédonie, c’est la France qui est visée et les troubles qui s’y déroulent contribuent à affaiblir la puissance, la crédibilité et l’influence de la France dans le monde. Les DROM-COM constituent un atout stratégique majeur pour notre pays qui est ainsi présent sur tous les océans avec plus de 11 M km2 de zone économique exclusive (ZEE de 200 nautiques autour des côtes). En outre des installations militaires essentielles sont implantées sur les 120 000 km2 de territoire qu’ils représentent : bases navales, aériennes centre spatial et stations d’écoute et de surveillance. Les ingérences étrangères menacent donc directement notre intégrité territoriale et constituent une atteinte directe et grave à nos intérêts stratégiques. Elles exigent une réponse sans ambiguïté.

Les événements en Nouvelle-Calédonie étaient prévisibles. L’opposition à la loi sur le dégel du corps électoral s’était radicalisée, depuis des mois, dans une partie de la communauté canaque. Mal anticipée, l’émeute a bloqué le territoire à partir du 13 mai, jusqu’à l’arrivée des premiers renforts, le 18 mai. Malgré l’état d’urgence décrété le 16, la Nouvelle-Calédonie aura subi la violence la plus extrême pendant plusieurs jours (huit morts et près de 1 milliard d’euros de dégâts).  

Enkystés au sein de la communauté canaque, des indépendantistes radicaux et des groupes de voyous ont tenu tête à l’État, aidés en sous-main par des ingérences étrangères. Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, le précisait le 16 mai, sur France 2, en ciblant précisément l’Azerbaïdjan : « Ce n’est pas un fantasme, c’est une réalité… une partie des indépendantistes calédoniens ont fait un deal avec ce pays. » Ce deal évoqué concerne des accords de coopération signés, en avril, entre le régime azerbaïdjanais et des responsables indépendantistes. 

Ces ingérences étrangères n’expliquent pas la montée aux extrêmes, tant les contentieux locaux sont nombreux, mais elles y ont contribué.

Ce n’est pas une nouveauté dans l’histoire de la Nouvelle-Calédonie. Voici quarante ans, l’Australie et la Nouvelle-Zélande soutenaient déjà le camp indépendantiste, pour chasser la France du Pacifique Sud. Cette fois, c’est l’Azerbaïdjan, situé à près de 14 000 km de Nouméa, sans aucun lien historique ou géopolitique avec la région. Le régime de Bakou agit par pur opportunisme, avec un but : tenter d’affaiblir la France pour la punir de son soutien à l’Arménie. Ses attaques informationnelles ont été repérées en 2022 par l’agence étatique française Viginum, chargée de surveiller internet. Elles ont commencé quand la France a dénoncé l’agression de l’Azerbaïdjan contre l’Arménie. Elles ont redoublé d’intensité à l’automne 2023, après l’annonce d’une aide militaire française à l’État arménien.

Les relais d’influence de Bakou s’efforcent de coordonner l’action antifrançaise des « peuples opprimés par la France », qu’ils soient canaques, polynésiens, guyanais, martiniquais ou… corses. Aux petits soins pour des élus indépendantistes ou gauchistes complaisants ou naïfs, ils cherchent à amplifier le sentiment antifrançais à travers un généreux « programme de solidarité anticoloniale », financé par les ventes de gaz et de pétrole… à l’Union européenne.   

Dans ce jeu d’ingérences, l’Azerbaïdjan n’est pas le seul acteur. La Chine agit « derrière le rideau », plus discrètement, dans le cadre d’une stratégie de puissance de long terme.

Elle s’intéresse à la Nouvelle-Calédonie pour consolider ses intérêts économiques et géopolitiques dans le Pacifique Sud et se préparer à l’inévitable confrontation à venir avec les États-Unis. 

Pékin cherche à nouer toutes sortes de partenariats avec les États qui le souhaitent, des plus grands (Indonésie) aux plus petits, comme Nauru, le Vanuatu ou les îles Salomon. De nombreux pays sont devenus des éléments plus ou moins complaisants de l’immense « collier de perles » que les Chinois déploient, du Sri Lanka à la Papouasie. En renforçant ainsi leur présence, les Chinois entrent en concurrence directe avec les Américains et leurs grands alliés occidentaux de l’hémisphère sud, les Australiens et les Néo-Zélandais. 

La Chine bute sur la Nouvelle-Calédonie française. Pékin voit cet archipel comme une source potentielle de richesses, comportant environ des millions de km2 de zones de pêche (NDLR dont près de 1,5 Mkm2 de ZEE) et des gisements de nickel (l’île est le troisième producteur mondial, après l’Indonésie et les Philippines). Le « caillou » est aussi un important point d’appui stratégique dans le Pacifique Sud, le « porte-avions de la France », comme il le fut pour l’armée américaine durant la Seconde Guerre mondiale. Le port et l’aéroport de Nouméa intéressent la marine et l’aviation militaires chinoises, appelées à rayonner de plus en plus loin de leurs bases. 

En ajoutant le « caillou » calédonien à sa collection de « perles », les Chinois feraient un gain stratégique majeur.

Ils se retrouveraient au contact direct du vaste dispositif américano-australien qui verrouille quelques-unes des grandes routes maritimes mondiales, reliant notamment l’Amérique à ses deux grands alliés dans le Pacifique Nord, face à la Chine : le Japon et Taïwan.

Frédéric PONS
Chronique paru dans la Revue Conflits n°52
https://www.revueconflits.com




La Russie de Poutine et l’après-Poutine

Vidéo d’une interview (de 35 minutes) d’Helena PERROUD, spécialiste française de la Russie (ancienne conseillère de J Chirac), par Alain Juillet. Elle nous permet de mieux comprendre le parcours de Poutine, sa perception des relations avec l’Occident et nous livre en fin d’interview la façon dont se prépare la succession du dirigeant russe.

A lire le livre d’Helena Perroud :  “Un russe nommé Poutine”  ainsi que “Le grand échiquier” écrit par Zbigniew Brzeziński, le conseiller stratégique de nombreux présidents US



 




Contre-espionnage en Chine : une mobilisation nationale appuyée par la culture populaire

La Chine met en place une stratégie visant à sensibiliser sa population aux menaces d’espionnage étranger et à l’impliquer dans la protection de la sécurité nationale. En utilisant des films, séries, bandes dessinées et plateformes numériques, les autorités encouragent les citoyens à signaler tout comportement suspect, en particulier auprès des jeunes générations, afin de renforcer la vigilance collective face à une confrontation croissante avec l’Occident.

Avis AASSDN : Le régime politique de la Chine est un système totalitaire qui n’est en rien comparable au nôtre ou à ceux des pays européens Les autorités chinoises visent sans doute à travers ces actions de communication à se prémunir non seulement contre l’action des espions étrangers mais également contre le comportement d’opposants.

Si les Français vivent aujourd’hui dans un régime de grande liberté, ils ne doivent pas pour autant négliger et se désinteresser des actions d’espionnage de pays étrangers qui visent à rechercher et collecter des renseignements dans dans les domaines stratégiques – économique et militaires. Ils doivent aussi se mobiliser pour contrer les opérations de déstabilisation, de désinformation, de fragilisation et de mise en tension de notre société.

La Liberté individuelle est le resultat d’un combat collectif victorieux contre un ennemi qui vous agresse même de manière peu visible. Elle se protège donc et se gagne par une action  menée dans la durée par l’ensemble de la Nation.
Chaque Français doit donc être sensibilisé aux nombreuses menaces qui pèsent sur sa souveraineté.
Gagner ce combat aux multiples facettes par l’engagement de tous les Français chacun dans son domaine est la manière la plus efficace de préserver notre souveraineté. Il y va de la survie de la France.




DICOD : le guide de l’Armée contre la désinformation

Le document ci-dessous, édité par la DICOD et relatif à la désinformation, est opportun d’autant que ce phénomène est au cœur des préoccupations de l’AASSDN dont l’un des trois domaines d’action est d’œuvrer à la défense des intérêts fondamentaux de la Nation.

Avis AASSDN : La désinformation au sens large constitue en effet une menace majeure sournoise, multiforme et en plein développement contre notre pays qu’il fragilise en s’attaquant à sa souveraineté et à la cohésion de la Nation, en minant la volonté et la confiance  de l’ensemble des Français.

Ces actions de déstabilisation de notre pays sont le fait de tous les Etats, notamment les plus puissants : Alliés, (de l’Union européenne ou pas), compétiteurs et  adversaires dans tous les domaines :  militaire mais aussi économique et culturel. Notons que la désinformation est aussi le fait de partis politiques français de tous bords, d’entreprises et de groupes de pression.

Il n’est donc pas suffisant de faire confiance à des medias nationaux officiels ou ayant une certaine notoriété. Pour déjouer cette menace, il nous faut tous et en priorité acquérir une solide culture générale qui seule permet de développer un esprit critique articulé, et nous aider dans la recherche de sources véritablement distinctes et indépendantes.

Il nous faut enfin cultiver la vertu de prudence, l’exigence de la réflexion et de l’analyse des faits sans se laisser submerger par la répétition d’informations ni oublier de s’intéresser à des informations souvent occultées par les grands médias.

Téléchargez le guide DICOD ci-dessous :




Jean Teissier alias colonel Lizé : un héros oublié de la Libération de Paris

Jean Teissier, baron de Marguerittes, a joué un rôle clé dans la Résistance française et la Libération de Paris. En 1944, sous le pseudonyme de colonel Lizé, il prend le commandement des Forces françaises de l’intérieur (FFI) de la Seine et participe activement aux combats pour libérer la capitale. Opposé à une trêve avec l’ennemi, il ordonne l’édification de barricades, et Paris est finalement libéré le 25 août 1944. Après la guerre, il poursuit une carrière militaire et spirituelle, devenant prêtre en 1956.

Né le 1er juin 1882 à Constantine (Algérie), élève de l’Ecole centrale des Arts et Manufactures, il s’engage dans l’armée le 5 juillet 1905 et est affecté au régiment d’artillerie de Tarbes. Promu sous-lieutenant de réserve en octobre 1908, il intègre le 29e régiment d’artillerie. En 1913, il obtient les galons de lieutenant de réserve puis d’active en 1916 et passe au 63e régiment d’artillerie de défense contre avions (RADCA). Promu au grade de capitaine en janvier 1917, il rejoint le 63e régiment d’artillerie de campagne puis est détaché à la Direction de l’Aéronautique militaire en mai 1919. En 1925, il rejoint le service financier de l’Armée française du Rhin puis deux ans plus tard le 41e régiment d’artillerie divisionnaire à Périgueux. Jean Teissier est promu chef d’escadron le 25 septembre 1929.  Deux ans plus tard, il rejoint l’état-major du département de la Seine puis, en 1932, le parc régional d’artillerie d’Angoulême. Promu lieutenant-colonel le 25 décembre 1937, il prend le commandement du 74e régiment d’artillerie dépendant de la 1ère division légère mécanique.

Le 10 mai 1940, la 1ère DLM se porte sur la frontière belgo-néerlandaise et, de là, est contrainte à la retraite jusqu’à Dunkerque où elle est embarquée pour l’Angleterre. De retour à Cherbourg le 6 juin 1940, il reconstitue son régiment avec des éléments de fortune dans les environs de Chevreuse. Après avoir réquisitionné quelques véhicules, ils rejoignent le Puy-de-Dôme où ils arrivent le 16 juin.  Le 18 juin, le colonel de Marguerittes est convoqué d’urgence à Clermont-Ferrand où il doit prendre le commandement de la défense de la ville. Il est alors sous les ordres du général de Lattre. De Marguerittes apprend le 24 juin que l’armistice a été signé. Le 6 juillet, son régiment est dissous et le général de Lattre lui confie la fonction de Major de Garnison de Clermont-Ferrand, de Royat et de Chamalières et le promeut au grade de commandeur de la Légion d’honneur. Sa première préoccupation est d’organiser près de Clermont-Ferrand un camp destiné à recevoir les démobilisés, notamment ceux ne pouvant rentrer chez eux.  Il participe également aux activités naissantes d’un réseau d’évasion de prisonniers de guerre français.

Une nouvelle activité commence ensuite pour lui : le camouflage du matériel soustrait à l’ennemi. Ses nombreuses parentés en Auvergne lui facilitent le travail. Carrières, châteaux, fermes reçoivent des dépôts de toutes sortes (armes, munitions, véhicules…). En mai 1941, il est promu colonel de réserve puis est démobilisé à Bergerac. Il se retire à Manzac sur Vern (Dordogne). Il est alors contacté par le général de Beauchêne pour mettre en place un réseau de résistance armée. Le colonel de Marguerittes commence alors un travail de réorganisation clandestine de son régiment. Se sentant repéré, il entre dans la clandestinité au début de l’année 1943 et quitte la Dordogne.

En avril 1943, le colonel de Marguerittes entre en contact avec l’OCM à Bordeaux. Il accepte d’organiser l’Armée Secrète dans les départements des Landes et des Basses Pyrénées. Fin 1943, il prend le commandement de la région de Bordeaux dont le chef vient d’être identifié par la Gestapo. Traqué à son tour à la suite d’une tentative d’exécution de Grand-Clément convaincu de trahison, De Margerittes est affecté à Lyon en février 1944 et entre en liaison avec Ceux de la Libération.

Au début de mai 1944, le colonel de Marguerittes arrive à Paris sous le pseudonyme de colonel Lizé. Pierre Lefaucheux, commandant des FFI de la Seine, vient d’être arrêté par les Allemands. Le lieutenant-colonel Duc (Dauphin), responsable militaire de Libé-Nord, membre de l’état-major national FFI, lui propose de prendre le commandement des FFI de la Seine. Lizé accepte sa proposition.

A partir de cette date, le colonel Lizé met tout en œuvre pour préparer l’insurrection libératrice. Le 17 août au matin, il installe son PC au 1 rue Guénebaud, au coin du quai de Conti. La bataille de Paris commence réellement le 19 août. Le soir même, diverses hautes personnalités françaises de toutes obédiences interviennent auprès de Raoul Nordling, consul général de Suède, afin qu’il intervienne auprès du général Von Choltitz à l’effet de conclure une trève. Celui-ci accepte. Le colonel Lizé est farouchement opposé à cette trêve. Le 21 août au soir les combats reprennent. A 19h30, Lizé donne l’ordre d’édifier des barricades. Dans la nuit du 24 août, les premiers éléments de la 2e DB entrent dans Paris. Le lendemain, la ville est libérée.

Après la Libération, il est nommé président de la commission d’homologation des grades FFI de la Seine. En septembre 1945, le colonel de Marguerittes commande quelques temps la Place de Baden-Baden. Promu général de brigade le 25 février 1946, il est ensuite démobilisé pour atteinte de la limite d’âge. Il est alors appelé comme délégué français de l’UNRRA (Administration des Nations Unies pour les secours et la reconstruction) en Allemagne et chargé de mission, durant deux ans, de l’ordre souverain de Malte.

Veuf de Suzanne Duval qu’il avait épousé en septembre 1918, il entre au séminaire de Périgueux et est ordonné prêtre en 1956. Il devient alors curé de campagne.

Jean Tessier est décédé le 21 août 1958 à Grand-Brassac en Dordogne.

Décorations :

  • Grand Officier de la Légion d’Honneur
  • Croix de guerre 1914-1918
  • Croix de guerre 1939-1940
  • Médaille interalliée de la Victoire
  • Croix de guerre belge
  • Commandeur de l’Ordre de Léopold (Belgique).

Source : Musée de la Résistance




18-25 août 1944 : Les enjeux politiques de la libération de Paris

Cet article explore les enjeux politiques autour de la Libération de Paris en août 1944, mettant en lumière le rôle crucial du Général De Gaulle dans l’installation de son gouvernement à Paris. Il souligne les rivalités avec le CNR et les communistes, ainsi que l’importance de la stratégie militaire alliée pour libérer la capitale. De Gaulle parvint à marginaliser les contre-pouvoirs, consolidant ainsi son autorité politique et préparant la transition vers une France libérée.

“Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré ! Libéré par lui-même, libéré par son peuple, avec le concours des armées de la France, avec l’appui et le concours de la France tout entière, c’est-à-dire de la France qui se bat, c’est-à-dire de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle !” – Général De Gaulle, Discours à l’Hôtel de Ville le 25 août 1944 soir.

En ce 80e anniversaire de la Libération de Paris, il n’est peut-être pas indispensable de rapporter une nouvelle fois l’histoire factuelle de cet évènement majeur de l’Histoire de France, d’autant plus, qu’à cette occasion, le film de René Clément « Paris brûle-t-il ? », sorti sur les écrans en 1966, va sûrement se trouver être une nouvelle fois programmé par les grandes chaînes de télévision nationale. En revanche, au-delà de la matérialité des faits, il apparaît opportun de rappeler les enjeux politiques de cet évènement, car, la nature et la forme des pouvoirs publics qui allaient exercer le pouvoir en France à la Libération dépendraient beaucoup de la façon dont Paris allait être libéré.

Il y a donc lieu d’exposer comme point de départ les grandes forces politiques, ainsi que les acteurs qui les composent, et qui vont parfois s’affronter durant une semaine, entre le 18 et le 25 août 1944 à Paris, ainsi que les acteurs militaires, français comme alliés de cet évènement.

Au niveau politique, bien évidemment, en premier lieu, il s’agit du Général De Gaulle, qui cherche à installer et asseoir son gouvernement dans la capitale, d’une façon telle qu’il ne soit l’otage d’aucune faction, toute légitime fût-elle. Si son charisme personnel lui a permis de définitivement faire reconnaître sa légitimité par les Alliés, son plus farouche adversaire politique, Roosevelt, l’a reçu officiellement à la Maison Blanche en juillet, il doit maintenant installer son gouvernement « dans ses murs », à Paris. Il s’agit là de l’aboutissement d’un processus complexe qu’il a déroulé point par point, depuis son arrivée à Alger, le 30 mai 1943, et qui s’est fortement accéléré depuis le Débarquement : la transformation du Comité français de libération nationale (CFLN) en Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) le 3 juin, d’abord, suivie de l’installation de François Coulet comme commissaire de la république pour la Normandie et Raymond Triboulet comme sous-préfet de Bayeux, premier chef-lieu d’arrondissement libéré, et sa reconnaissance par la population, le 14 juin, une grosse semaine après le Débarquement. Cet évènement lui a permis de s’imposer aux alliés américains qui avaient froidement imaginé une administration militaire américaine (AMGOT), comme si la France pouvait ainsi passer lors de la Libération, d’une occupation allemande à une occupation américaine. Pour incarner la légitimité de son gouvernement, au fur et mesure de la libération des chefs-lieux des départements concernés, Pierre de Chevigné, nommé commandant militaire des régions libérées, y installe les préfets désignés par une commission présidée par Michel Debré et dont les personnalités avaient été agréées par De Gaulle. De la sorte, la Libération ne s’accompagnait d’aucune vacance de pouvoir.

S’agissant de Paris, où il savait que son autorité risquait d’être confrontée à des contre-pouvoirs, De Gaulle disposait de deux atouts : d’une part, la Délégation générale du Gouvernement, entre les mains d’Alexandre Parodi qui était chargé d’encadrer toute insurrection potentielle et de mettre en place les secrétaires généraux dans les ministères, et d’autre part, Jacques Chaban-Delmas, délégué militaire national, qui devait également encadrer toute insurrection « spontanée » de la part des FFI.

En effet, l’exercice du pouvoir par De Gaulle, s’il n’était contesté sur le fond par personne, pouvait néanmoins se trouver limité dans sa forme, essentiellement par le CNR, et son président, Georges Bidault. On trouve ici un exemple illustratif de la lutte souterraine, mais classique, qui oppose souvent une résistance intérieure à l’organisation extérieure de la même résistance. Les premiers, agissant sur le territoire, prennent et assument tous les risques, sous la menace permanente de la répression implacable de l’ennemi, tandis que les seconds, exilés dans une capitale étrangère ou outre-mer, visent à l’exercice du pouvoir, le moment venu. Bidault va donc se trouver sous la surveillance – discrète mais ferme – de Parodi.

Et, il y a les communistes, qui sont parvenus à fortement noyauter la Résistance et ses différents organismes, notamment le COMAC, le comité d’action militaire, destiné à encadrer l’action des FFI, et passé sous le contrôle du CNR. Au mois de mai, un mois avant le débarquement, les communistes ont réussi un coup de maître en faisant nommer l’un des leurs, Henri Rol-Tanguy, aux fonctions de commandant les FFI d’Ile de France. La question se pose de savoir si les communistes voulaient réellement s’emparer du pouvoir, au bénéfice d’une insurrection parisienne qu’ils auraient alors noyautée, contrôlée, puis dirigée. Il semble bien que non, même si cette perspective n’était pas faite pour leur déplaire. En réalité, d’une part, le rapport de force politique ne jouait pas en leur faveur, et, d’autre part, en pleine guerre, le commandement allié n’aurait certainement pas admis un tel coup de force. En revanche, que les communistes aient cherché à obtenir le maximum de gages pour l’avenir pour obtenir des responsabilités leur permettant de peser lourdement sur les décisions, c’est certain.

Et enfin, la Libération de Paris ayant lieu par la force des choses en pleine guerre, il ne faut pas oublier le commandement militaire allié, exercé par le général Eisenhower. Celui-ci n’était aucunement hostile à De Gaulle et, au moment du Débarquement, pragmatique, il a sciemment ignoré les directives qui étaient les siennes de mettre en place une administration militaire en France, se rendant aux arguments de De Gaulle. Ceci écrit, il n’avait aucune intention de se laisser détourner de ses impératifs stratégiques de commandant d’une coalition militaire interalliée par des contraintes relevant du jeu politique français. Paris ne constituait pas un objectif militaire, et, la Seine ayant été franchie en aval et en amont de la capitale, la progression alliée pouvait se poursuivre et Paris tomberait, le moment venu, comme un fruit mûr. Néanmoins, avant le débarquement, Eisenhower avait assuré à De Gaulle qu’il pourrait disposer de la 2e DB, sous contrôle opérationnel national, pour libérer la capitale.

Du côté ennemi, le commandant allemand du « Gross Paris » n’exerçait qu’un commandement territorial, et savait qu’il n’avait que peu de possibilités de se faire renforcer par des moyens relevant du Groupe d’armées « B », le commandement opérationnel. En effet, à partir du moment où la Seine était franchie par les Alliés en amont et en aval de Paris, l’intérêt pour la Wehrmacht de conserver Paris qui possédait les seuls ponts intacts sur la Seine avait disparu, puisqu’il n’y aurait plus d’opérations conduites au sud du fleuve.

Telles étaient les parties en présence, aux alentours du 15 août 1944, lorsque la situation militaire en France permettait d’envisager à court terme, la possibilité d’une libération de la capitale. Comment le général De Gaulle et ses représentants parisiens vont-t-ils manœuvrer pour arriver à leurs fins, à savoir, l’installation de son gouvernement à Paris ?

La police parisienne (qui avait beaucoup à se faire pardonner pour son rôle sous l’Occupation) se met en grève le 16 août et, le 18, prenant tout le monde de court, le CNR s’empare de la Préfecture de Police et des commissariats d’arrondissement. Par le réseau de communications de la Police parisienne, l’insurrection dispose d’emblée d’un système de liaisons sécurisé couvrant toute la capitale. Parodi réagit immédiatement et installe Charles Luizet, préfet de police désigné, dans ses murs. Ainsi, le premier acte insurrectionnel de la Libération de Paris est coiffé par la légalité du Gouvernement provisoire. Rol-Tanguy réagit également et lance immédiatement un mot d’ordre d’insurrection générale à Paris.

Dès le 20 août, De Gaulle se pose en avion près de Cherbourg, accompagné de Juin, chef d’état-major de la Défense nationale qui va jouer un rôle majeur dans les relations avec Eisenhower. Dès son arrivée, De Gaulle va d’ailleurs rencontrer le commandant suprême allié, à qui il demande la mise à disposition de la Division Leclerc, conformément à leur accord. Eisenhower élude au prétexte que les opérations ne sont pas achevées en Normandie, mais il se rend bien compte qu’il va devoir dorénavant, et à très court terme, devoir tenir compte de la présence du chef du Gouvernement provisoire sur ses arrières.

Ensuite De Gaulle va, jusqu’au 24, mener un périple, qui va le conduire de Rennes à Rambouillet, en passant par Laval, Le Mans et Chartres. À chaque fois, le rite est immuable : il déambule dans la principale artère de la ville où il se fait acclamer, il se rend à la Préfecture où le préfet lui présente ses principaux collaborateurs, il prononce ensuite un discours, et participe enfin à un Te Deum à la cathédrale. Il rôde en province, au niveau local, ce qui sera son triomphe national à Paris sur les Champs Elysées, le 26 août.

Pendant ce temps, à Paris, la situation évolue et la « trêve » voulue par Parodi et Chaban est finalement rompue par Rol-Tanguy. La ville se couvre de barricades et les Allemands se retranchent dans quelques points forts, l’École militaire, le Palais Bourbon, le Luxembourg ou le quartier des Célestins, place de la République. Le PC du général Von Choltitz, installé à l’hôtel Meurice rue de Rivoli, bénéficie de la sûreté rapprochée d’un escadron de chars déployé dans le jardin des Tuileries. La situation est bloquée, les Allemands sont dans l’impossibilité de réduire les barricades et les insurgés dans celle de faire tomber les réduits allemands.

Parallèlement, dans un souci de légalité républicaine, Parodi fait s’emparer de l’Hôtel Matignon, et, le 21, y préside la première réunion des secrétaires généraux des ministères, présents à Paris. La légalité reprend ses droits, même en pleine insurrection.

Mais, surtout, dès le 22 août, Eisenhower fait volte-face et décide que Paris serait libéré militairement et, dans ce but, place la 2e D.B à la disposition de De Gaulle, ce qui crée des incompréhensions entre Leclerc et son commandant de corps d’armée, le général L. T. Gerow, qui a beaucoup de mal à admettre cette situation. Mais Leclerc avait anticipé et envoyé, dès avant l’officialisation de la décision, un sous-groupement commandé par le lieutenant-colonel de Guillebon avec pour mission, d’aller reconnaître le dispositif allemand couvrant Paris depuis l’ouest et le sud.

Le 23 en fin d’après-midi, sa division étant regroupée dans la région de Rambouillet où réside De Gaulle, fort des renseignements recueillis par Guillebon, Leclerc diffuse son ordre célèbre : « Intention : S’emparer de Paris ». Chargé de l’effort, le groupement Billotte est orienté vers la porte d’Orléans depuis Arpajon, couvert sur sa droite par Dio qui vise la Porte d’Italie, et à sa gauche, Langlade, depuis Versailles, doit entrer dans la capitale par le Pont de Sèvres. Le 24 matin, la 2e D.B. débouche sur ses trois axes en direction de Paris, mais la résistance allemande est plus solide que prévue et, en début de soirée, aucun élément de la division n’est encore entré dans la capitale. Leclerc prend alors une double décision : larguer un message lesté dans la cour de la Préfecture de Police (« Tenez bon, nous arrivons ! ») et, surtout, faire infiltrer une compagnie du RMT renforcée de chars (la Nueve du capitaine Raymond Dronne) pour atteindre l’Hôtel de Ville avant minuit, ce qui est réalisé.

Dès le lendemain matin, les dernières résistances allemandes en banlieue Sud sont, soit réduites, soit manœuvrées et les groupements de la division pénètrent dans la capitale conformément à l’ordre reçu. Von Choltitz fait savoir qu’il ne capitulera pas, mais qu’il est prêt à cesser le feu à l’issue d’un baroud d’honneur. Leclerc reçoit sa reddition à la Préfecture, puis retourne attendre De Gaulle à son PC de Montparnasse où ce dernier arrive dans l’après-midi. D’emblée De Gaulle fait preuve d’une grande intransigeance politique, en reprochant amèrement à Leclerc de voir la signature du chef FFI Rol-Tanguy aux côtés de la sienne sur l’acte de reddition allemand.

La soirée du 25, dans une capitale en liesse est un moment de grande politique. Se sachant attendu à l’Hôtel de Ville par le CNR au grand complet, De Gaulle rejoint d’abord le ministère de la Guerre qu’il avait quitté le 10 juin 1940 avec Paul Reynaud et où il compte s’installer, en lieu et place de Matignon. Il écrira dans ses Mémoires « Rien ne manque excepté l’État. Il m’appartient de l’y remettre. Aussi, m’y suis-je d’abord installé ». Ce n’est que plus tard dans la soirée que De Gaulle condescendra à se rendre à l’Hôtel de Ville. Mais, seulement après avoir été saluer le Préfet Luizet à la Préfecture, l’hommage à l’institution préfectorale primant dans son esprit sur celui d’un Comité, fût-ce le CNR. À l’Hôtel de Ville, son célèbre discours (dont le passage le plus connu est cité en exergue de cette tribune) est certainement un morceau d’anthologie oratoire, mais également un modèle politique. Non seulement, De Gaulle ne fait aucune référence aux Alliés (pourtant il en aura besoin, on va le voir), mais il ne dit pas un mot, pas un seul ! sur l’action de la Résistance. Exit les FFI. Qui plus est, lorsque Bidault lui proposera de proclamer la République du haut du balcon de l’Hôtel de Ville, De Gaulle refuse avec hauteur au prétexte que la République n’avait jamais cessé d’exister depuis juin 1940 et qu’il l’avait incarnée.

Les jeux politiques sont faits. De Gaulle a gagné, les éventuels contre-pouvoirs qui auraient pu entraver son action, le CNR ou les FFI communistes sont marginalisés. Avant la fin août, c’est-à-dire en moins d’une semaine, les milices patriotiques sont dissoutes, et ses membres sommés de rejoindre l’armée régulière. Les FFI communistes, regroupés autour de Pierre Georges dit colonel Fabien, formeront le 151e Régiment d’Infanterie, qui rejoindra la Première Armée (son commandant en second sera Rol-Tanguy). Lors du défilé glorieux sur les Champs Elysées, le 26 août après midi, il est très intéressant de remarquer le respect de l’ordre protocolaire, dans une ambiance qui ne devait peut-être pas toujours s’y prêter : Parodi, son Délégué national avec rang de ministre descend les Champs Elysées à la droite de De Gaulle, alors que Bidault, président du CNR doit se contenter de défiler à sa gauche, les deux, un pas en arrière de De Gaulle.

Ceci écrit, De Gaulle savait qu’il devait se méfier d’un éventuel sursaut de mécontentement du monde résistant ou communiste. Aussi, le 28 août, jour même où il signe la dissolution des milices patriotiques, De Gaulle demande à Eisenhower de faire défiler « du monde » à Paris, de manière à produire une image de force destinée à étouffer dans l’œuf toute velléité de révolte. Avec un grand sens politique, Eisenhower propose, ce qui est accepté, de faire transiter par Paris et à pied deux divisions qui doivent rejoindre leur zone d’engagement au nord de la Seine. L’effet est saisissant : ce ne sont pas moins de 30 000 hommes qui défilent à Paris, en tenue de combat et casque lourd, fusil à la bretelle. Sur les Champs Elysées, ils défilent en rangs serrés ! Auparavant, De Gaulle avait demandé au commandement américain de conserver la 2e D.B. à Paris jusque début septembre.

En conclusion, rencontrant Jacques Lecompte-Boinet le 1er septembre, non pas en tant qu’ancien membre du CNR, mais en tant que secrétaire général du ministère des Travaux publics, De Gaulle lui déclare : « La Résistance est dépassée. La Résistance est finie. Il faut que la Résistance s’intègre dans la Nation. Parce que, vous comprenez, il y a eu la Résistance, maintenant il y a la Nation »

Rédigé par le Colonel (ER) Claude Franc – Aout 2024