Joséphine Baker au Panthéon

Par Alain Juillet et Marie Gatard

Avec l’entrée au Panthéon de Joséphine Baker, beaucoup retiennent le combat d’une femme qui a utilisé sa grande notoriété au service de la lutte contre le racisme et pour l’émancipation des Noirs en soutenant le mouvement américain des droits civiques, puis en s’impliquant comme franc-maçonne, à partir de 1960, dans la lutte pour l’égalité des droits pour toutes et tous.

Pourtant ce n’est pas seulement une femme exceptionnelle pour son action en faveur de la fraternité universelle, symbolisée par la fratrie de tous les enfants qu’elle a adoptés, venus de toutes les régions du monde, pour toutes et tous, c’est aussi la combattante pour la liberté de la France qui est aujourd’hui honorée.

Joséphine Baker – Photo Studio Harcourt (1948)

Les anciens des Services spéciaux sont particulièrement fiers de voir ainsi reconnue l’une des leurs mais beaucoup ignorent ce qu’elle a pu faire réellement. C’est pourquoi il a semblé utile aux auteurs de cet article d’en raconter l’histoire en utilisant les mémoires et livres qui évoquent le combat de la femme de l’ombre qui prenait si bien la lumière.

Elle ne reculera effectivement devant aucun risque pour la France.

Quand elle est contactée, dès septembre 1939, par le capitaine Jacques Abtey, de la section allemande du contre-espionnage français dirigé par le capitaine Paul Paillole, elle accepte immédiatement de se mettre à la disposition du service avec ces paroles : « C’est grâce à la France que je suis devenue ce que je suis. Je lui vouerai une reconnaissance éternelle. Les Parisiens m’ont tout donné, en particulier leur cœur, je leur ai donné le mien. Je suis prête, capitaine à leur donner aujourd’hui ma vie. Vous pouvez disposer de moi comme vous l’entendez. »

Voir la vidéo produite par le Ministère des Armées

De la misère à la danse

Danseuse aux Folies Bergères, l’artiste a alors 33 ans, elle est devenue une image mythique du music-hall.

L’ascension de la petite fille du Missouri a été prodigieuse. Sa mère, métisse noire et indienne, et son père, batteur de Saint Louis, d’origine espagnole, qui ont monté un numéro de chant et de danse, se produisent dans des bars et des music-halls.

De son vrai nom Freda Mac Donald, elle est l’aînée de la famille, mais, un an après sa naissance, son père quitte sa mère, et celle-ci, qui tient la petite fille pour responsable, se comporte avec une grande brutalité. Le froid, la puan- teur, la misère sont le terreau de son enfance. À huit ans, elle travaille comme bonne à tout faire dans la maison d’une blanche, où elle dort avec le chien près du tas de charbon. Elle est tirée de cet univers quand sa patronne l’ébouillante pour la punir, des voisins ayant entendu les cris de l’enfant. À onze ans, elle assiste à un événement qui la marquera à jamais, l’émeute raciale du ghetto de East Saint Louis. Des gens ont été brûlés dans l’incendie, elle voit s’enfuir les fugitifs traqués comme des bêtes. À treize ans, après une rupture violente avec sa mère, elle se marie, pour peu de temps, avec un garçon de wagon-lit, Willie Wells.

La danse est déjà son univers. Dans les rues de Saint Louis, elle a appris les mouvements typiques des danseurs de jazz des années 20 aux États-Unis. Élevée dans la tradition baptiste, elle aime les cérémonies religieuses où musique et rythme entraînent les fidèles qui tapent des pieds, battent des mains, se balancent dans une atmosphère hypnotique. Elle est imprégnée de l’idée que l’âme peut s’exprimer à travers le corps.

C’est ainsi qu’après avoir été serveuse, elle se joint à un groupe familial de musiciens de rue, où elle apprend à jouer du trombone. C’est là qu’elle épouse, à quinze ans, Willie Baker, dont elle gardera le nom, et qu’elle réalise son rêve, entrer dans le corps de ballet d’un groupe en tournée. Elle y joue d’abord les remplaçantes, mais finit par se faire connaître dans le rôle de girl comique : elle grimace, se démène avec un entrain irrésistible, capable de n’importe quelle posture sans jamais arrêter de loucher.

Scandale et enthousiasme : la Revue nègre

À la même époque à Paris, en 1925, sévit un véritable engouement des artistes pour l’exotisme, en particulier pour l’art africain. Le peintre Fernand Léger, qui vient de voir l’exposition d’art nègre au musée des Arts décoratifs, suggère à l’administrateur du théâtre des Champs-Élysées de présenter un spectacle entièrement réalisé par des Noirs. La troupe dont fait partie Joséphine est pressentie. Elle a alors dix-neuf ans, danse en solo et commence à faire parler d’elle. C’est son premier contact avec la France.

De ce pays, Joséphine attend tout et, surtout, d’y échapper à une discrimination raciale particulièrement lourde à l’époque dans son pays. Paris lui offrira plus qu’une terre d’accueil, il fera d’elle une star. Mais si ce corps se dresse comme une œuvre qui exalte le monde des arts, si le nom de Joséphine Baker est aussi synonyme de liberté et d’ouverture sur le monde, l’Éros, propice aux fantasmes, indigne certains. Les catholiques s’offusquent, au point que l’Église en vient à s’alarmer. Pourtant, la star décide de rester en France.

Elle devient la compagne de Giuseppe Abatino, dit Pepito, qui passe pour un gigolo et se révélera être, durant leur union de dix ans, un remarquable impresario. C’est lui qui organise pour elle une tournée mondiale. Celle-ci débute à Vienne où des étudiants de droite veulent empêcher les artistes de couleur de se produire. L’Église, offusquée par des exhibitions de sensualité aussi tumultueuse, s’en mêle. Joséphine est horrifiée. En Argentine aussi, dit-elle, « les partis catholiques m’ont traquée de gare en gare, de ville en ville, d’une scène à l’autre ». En 1929, la police de Munich interdit le spectacle.

Arrivent les années 30. Elle a retrouvé la France, seul pays pour elle « où l’on puisse vivre facilement ». Elle est danseuse au Casino de Paris, devenu music-hall respectable. Joséphine s’est  transformée :  elle est vêtue avec simplicité et s’est mise à chanter. La petite Tonkinoise et J’ai deux amours sont sur toutes les lèvres. En 1934, elle tentera l’opérette et remportera un vrai succès dans le rôle de La Créole d’Offenbach.

Pourtant son désir de retourner dans son pays pour s’y imposer à Broadway se soldera par un échec. Comprenant qu’elle n’y a définitivement pas sa place, elle rentre à Paris mener une nouvelle revue aux Folies Bergères. Pepito est mort brutalement au printemps 1936. En 1937, en épousant Jean Lion, un riche courtier en sucre, elle obtient la nationalité française. La même année elle passe le brevet de pilote.

La star et le contre-espionnage

Quand éclate la guerre, en 1939, la star noire est en quelque sorte rattrapée par le racisme. On entendait déjà les accents du nazisme et les cruautés de l’idéal aryen. Les nazis considèrent les Noirs comme une menace pour la « race blanche ».C’est un agent de théâtre qui la met en rapport avec le capitaine Jacques Abtey, un Alsacien de 33 ans, énergique et sportif, un blond au front haut et aux yeux bleu pâle.

Avant la guerre déjà, le chef de la section des services secrets travaillant contre l’Allemagne avait eu l’idée d’utiliser des comédiens français à l’occasion de leurs déplacements à l’étranger.

«  Quand  le jeune capitaine Abtey me parla pour  la première fois  de Joséphine Baker, dira le colonel Paillole, je fus réticent. Nous nous méfions au 2e Bureau des enthousiasmes à la Mata Hari. Je craignais qu’elle soit une de ces personnalités brillantes du monde du spectacle qui, à l’épreuve d’un vrai danger, bien différent de leurs affres habituelles, se cassent comme du verre ; il me dit que Joséphine, c’était de l’acier. » Sous la coupe de Jacques Abtey, Joséphine Baker devient honorable correspondant.

Elle « ignorait tout du service de renseignements et devint rapidement un H.C. de tout premier ordre, dit Abtey. Cette femme universellement connue n’avait rien d’une barbouze. On se doute qu’elle n’opérait pas davantage en manteau couleur passe-muraille. Ce fut précisément en tant que Joséphine Baker qu’elle n’attirait pas l’attention sur son activité secrète. (…) Mieux, je parvins moi-même en certaines circonstances à passer complètement inaperçu en voyageant auprès d’elle avec un faux passeport en qualité de secrétaire ou d’artiste. »

« Mission accomplie ! »

Une longue route d’aventures va commencer pour Joséphine et son « officier traitant ». Le monde du renseignement de la vedette devient vite celui des ministres, des ambassades, voire des rois.

En 1940, Jacques Abtey est chargé d’établir, pour les Services spéciaux français, une liaison avec l’Intelligence Service, en vue d’un échange permanent de renseignements et afin de recevoir des consignes pour l’action commune. Il est décidé qu’il va accompagner la star dans sa tournée au Portugal et en Amérique du Sud ; il se fondra dans la troupe avec un passeport au nom de Jacques-François Hébert. Joséphine commence son travail de couverture, qui implique d’énormes risques, d’autant qu’elle fait inscrire sur le passeport de son coéquipier « accompagne madame Joséphine Baker ».

Pour ce premier voyage, ils partent avec une synthèse des renseignements recueillis jusque-là par le service de Paul Paillole, reproduite en langage chiffré et à l’encre sympathique (emplacement des principales divisions allemandes, effectifs, matériel, terrains d’aviation et même une photo d’une péniche que les Allemands projettent d’utiliser pour une invasion de l’Angleterre).

Tout le monde se presse pour voir la vedette, Abtey passe inaperçu, il fait pour ainsi dire partie des bagages. À l’ambassade de Lisbonne, par l’attaché de l’Air anglais, il entre en contact avec un membre de l’Intelligence Service. Joséphine, revenue seule à Paris, pourra dire à Paillole : « Mission accomplie ! »

Comme elle a besoin de renflouer ses finances, entamées par l’expédition à Lisbonne qu’elle a tenu à assumer, elle reprend à Marseille La Créole. À partir de ce moment, elle n’acceptera jamais aucune aide pécuniaire pour tout ce qu’elle fera pour la Résistance ou les soldats de l’Alliance.

Abtey est resté à Lisbonne pour mettre sur pied les modalités de collaboration avec les Anglais. Le service français sera basé à Casablanca et les courriers transiteront par le Portugal. Rentré à Marseille pour la première d’un spectacle de Joséphine, il lui dit qu’il a besoin d’elle pour la suite de ses missions et qu’ils vont s’installer au Maroc. N’hésitant pas un instant, elle interrompt les représentations pour cause de maladie et fait prendre ses bagages dans son château de Dordogne. Mais elle tient à ses animaux et l’on voit arriver dans sa cabine du bateau en partance pour l’Afrique du Nord : son danois, sa guenon, son singe-lion, son ouistiti, et ses deux souris blanches.

Ils embarquent aussi avec la dernière synthèse de renseignements. Mais, arrivé à Casablanca, Abtey a de telles difficultés pour obtenir un visa pour Lisbonne que Joséphine décide d’y aller à sa place. « Dans une valise, dira- t-il, elle emmenait la synthèse de Paillole que je lui avais transcrite à l’encre sympathique sur une partition de musique. De me voir écrire avec de l’eau l’avait bien amusée. C’était la première mission qu’elle allait accomplir seule à l’étranger. » Pour justifier sa présence à Lisbonne, elle y donne quelques représentations et revient radieuse

Mosaïques, orangers et colonnes de marbre

Elle se replie alors à Marrakech où deux personnalités lui ont ouvert les bras : un cousin germain du sultan, S.A. Moulay Larbi el-Alaouï, et le pacha de Marrakech, S.E. Si Thami el-Glaoui. Séduite par cette ville, elle s’installe avec sa suite, dont Abtey, dans une demeure de rêve au fond d’une impasse de la Médina : vestibule couvert de mosaïques, jardin intérieur à colonnes de marbre, orangers, fontaine gazouillante. Elle est frappée par la spiritualité qui émane de cette féerie. Mais le travail continue.

Malgré les dangers qu’il y a pour elle à aller en Espagne, alors sous tutelle occulte des Allemands, elle décide de s’y produire, ce voyage étant favorable à leur mission. Elle en reviendra avec, fixées à ses sous-vêtements par une épingle de nourrice, les notes qu’elle a prises sur les ambassades et les milieux politiques espagnols.

Mais, soudain, sa santé arrête son élan : elle a une péritonite et son cas est des plus sérieux. Un lit de camp est dressé auprès d’elle pour Abtey qui la veille, mais doit souvent la quitter pour les besoins de sa mission. Elle l’aide encore à sa manière : sous prétexte de visites à la malade, il peut donner dans sa chambre la plupart de ses rendez-vous clandestins.

Cependant, de rechute en rechute, Joséphine mène une incessante lutte pour la vie, qui va durer dix-neuf mois.

Un jour, elle voit arriver à son chevet un grand gaillard au visage ouvert, le vice-consul américain Bartlett : « Miss Baker étant d’origine américaine, dit-il, personne ne trouvera surprenant que je lui fasse des visites. » Abtey a en effet établi de nouveaux contacts avec les Américains, entrés dans la guerre. C’est ce même Bartlett qui leur annoncera un jour : de graves événements se préparent.

À la mi-octobre 1942, on offre à Abtey de diriger le 2e  Bureau de l’état-major militaire d’un mouvement de France Combattante qui vient de se former à Casablanca. Et les agents de Paillole ont été pressentis pour neutraliser, sous la direction du général Béthouart, le commandement supérieur des troupes du Maroc qui sont sous la direction du gouvernement de Vichy.

Le 8 novembre 1942, la DCA se déchaîne contre les premiers avions alliés, c’est le début du débarquement en Afrique du Nord. Joséphine exulte, Abtey la voit « bondir de son lit métallique, se lancer sur la terrasse, son maigre corps vêtu d’un pantalon de pyjama et d’un méchant tricot, les pieds nus » et, levant un poing vers le ciel : « Je vous l’avais toujours dit ! C’est cela les Américains ! » Elle suit la bataille du toit de la clinique.

Le deuxième jour des combats, elle tient, malgré sa faiblesse, à accompagner les représentants de la France Combattante qui vont se mettre à la disposition de l’état-major américain : une civière leur permettra de se déplacer sous la protection d’une ambulance de la Croix-Rouge.

Des milliers de soldats l’écoutent chanter

Enfin, le 1er  décembre, Joséphine quitte la clinique. À Marrakech, Si Mohamed Menebhi met à sa disposition un pavillon de son palais. Mais une paratyphoïde la terrasse à nouveau et elle enrage de ne pouvoir s’engager aux côtés de son officier traitant. Pourtant, le 1er  février, à peine rétablie et les cicatrices des interventions chirurgicales qu’elle a subies lors de son long séjour à la clinique n’étant pas entièrement refermées, pour aider les gens de sa couleur, elle monte sur les planches dans un foyer de soldats américains noirs (les blancs ont leur propre club). Le général Clark, qui assiste au spectacle, viendra la féliciter à la réception où l’on verra les plus hauts gradés de l’armée interalliée. Elle renaît à sa vie de star et se met à la disposition du haut commandement des troupes engagées, pour donner gratuitement des spectacles pour soutenir le moral des soldats. Et, alors qu’elle n’a plus un sou et qu’elle doit, pour se renflouer, donner une série de représentations au Rialto à Casablanca, la première est un gala au profit de la Croix-Rouge française. Le succès est énorme. J’ai deux amours, mon pays et Paris déchaîne une émotion parfois déchirante.

Et, tandis qu’Abtey, qui a quitté le Corps franc coiffé par Giraud, attend l’occasion de s’envoler pour rejoindre de Gaulle, elle fait le tour des can- tonnements (près de 300.000 hommes sont sous la tente ou dans des bara- quements). Plusieurs fois par jour, elle monte sur les tréteaux ; sa loge est une tente. Près d’Oran, la scène est dressée au milieu d’un champ, plusieurs milliers de soldats l’entourent. À Mostaganem, on lui demande de chanter sur la place publique car les militaires sont en butte à l’hostilité de la population, majoritairement italienne et espagnole, et le chef d’état-major a décidé de les mêler à la foule, espérant susciter le pouvoir rassembleur de l’artiste.

Tout en chantant, elle descend parmi les spectateurs, prenant des bébés dans ses bras et les remettant aux soldats. C’est ainsi qu’elle réussit à créer cette atmosphère de fraternité à laquelle elle aspire tant.

Des milliers de kilomètres à travers le désert

Quand elle rentre, épuisée, Paillole et de nombreux membres du 2e Bureau sont arrivés à Alger, ainsi que le général Catroux, représentant de Gaulle. Abtey se met au service du BCRA, tandis que Joséphine accepte une tournée dans les camps britanniques de Libye et d’Égypte. On pourrait croire que son activité dans la Résistance va s’arrêter là, d’autant qu’il n’est pas question pour elle de rentrer en France où, depuis 1941, les nazis ont interdit l’entrée en zone occupée de toute personne de couleur.

baker josephine
Le SLT Josephine Baker avec Alla Dumesnil-Gillet CDT les formations féminines de l’air – Photo Archives AASSDN

Pourtant, les deux coéquipiers vont continuer à lutter ensemble, mais leur action prend une autre tournure. Il ne s’agit plus d’œuvrer contre les services allemands, mais d’observer le monde musulman où les rivalités ancestrales ressurgissent. Joséphine a une grande connaissance du milieu arabe et, si elle met les intérêts de la France au-dessus de tout, elle aime sincèrement ses amis musulmans. C’est dans cet esprit qu’elle va travailler.

Accompagnée d’Abtey, elle part donc pour le Moyen-Orient. Sous couvert d’une tournée de propagande, sous le haut patronage de De Gaulle et au profit de la Résistance en métropole, elle donnera des spectacles devant les troupes FFL.

Toujours bénévole, pour pouvoir financer l’entreprise, Joséphine donne une grande soirée au théâtre municipal d’Alger. De Gaulle est parmi les spectateurs, il la félicite et lui fait remettre une petite croix de Lorraine en or. Il faut dire que Joséphine a un drapeau français de dix mètres orné d’une immense croix de Lorraine, qu’elle a déployé sur la scène. Elle le déploiera tout au long de sa tournée.

Elle suggère d’emmener avec eux un de ces amis, Madani Glaoui, neveu du pacha de Marrakech, un jeune homme plein de grâce et d’allant, acquis à de Gaulle, et dont le nom est susceptible de leur ouvrir des portes. Et les voilà partis pour un extraordinaire périple, tous les trois en jeep, les bagages suivant dans un autre véhicule, Joséphine en tenue militaire de campagne. Elle va faire ainsi des milliers de kilomètres à travers le désert.

À Sfax, ville détruite, elle offre la recette aux sinistrés. À Alexandrie, le trio est invité par le prince Mohamed Ali qui s’intéresse à leur mission. Au Caire, grande soirée franco-égyptienne présidée par le roi Farouk et banquet en l’honneur de la star. À Beyrouth, président de la République sortant, ambassadeur et têtes couronnées de Grèce. Pour augmenter la recette au profit de la Résistance, Joséphine met aux enchères la croix de Lorraine en or offerte par de Gaulle : elle atteint 350.000 francs.

Damas, Jérusalem, Tel-Aviv, Jaffa, Haiffa, puis Le Caire à nouveau ; sur toutes les scènes, Joséphine fait flotter son grand drapeau, symbole de la résurrection de la France. Bilan de la mission : une action de propagande et plus de trois millions de francs pour la Résistance.

Cependant, à Beyrouth, à l’élection du nouveau président de la République libanaise, le candidat français est battu, l’union arabe marque le premier point. Les renseignements recueillis par Abtey sont tous transmis à Alger et, devant la révolte grondant au Liban et les manifestations du Caire, ce dernier décide de rentrer le plus rapidement possible dans la capitale algérienne pour rapporter de vive voix les suggestions faites par les personnalités libanaises rencontrées.

L’échec de la France au Moyen-Orient occupe les esprits et change déjà les mentalités. Impression des deux coéquipiers : « le torchon brûle ». Les mouvements nationalistes intéressent les services de renseignements français, autant qu’américains et britanniques.

Mais Joséphine paie son infernale randonnée dans le désert et doit être opérée d’urgence d’une occlusion intestinale. Le palais Menebhi, où elle est en convalescence, est un lieu privilégié d’observation pour juger de l’évolution des dispositions des notables marocains à l’égard de la France.

À la veille du Débarquement en France sur les côtes normandes, elle accepte une tournée de propagande au profit de la France libre, en Corse, qui vient d’être libérée ; le but est, là, une démonstration à l’intention des Américains, dont l’attitude à l’égard de De Gaulle est plus qu’équivoque ; au point qu’un jour, un membre du corps diplomatique conseille à la vedette de ne jamais monter dans l’avion du Général.

Son avion s’écrase en mer

Quand elle rejoint la Corse en avion avec Abtey, s’apprêtant à poser le pied en France pour la première fois depuis quatre ans, peu après la Sardaigne, un moteur tombe en panne. Le ciel est sillonné d’avions français, tandis que le leur perd de l’altitude et finit par descendre vers la mer. « Calez-vous ! » crie le pilote. Le grand drapeau roulé sert de coussin protecteur à Joséphine. L’avion s’écrase dans une gerbe d’eau, sa carlingue de bois éclate, ses occupants grimpent sur une aile au milieu des bagages flottants. Ils sont tombés dans une anse, un groupe de tirailleurs Noirs accourt sur la plage. La soirée de gala sera assurée, Joséphine chantera pour les hommes qui vont libérer la France occupée.

Engagée le 23 mai 1944 dans l’armée, le lieutenant Joséphine Baker débarquera elle-même en zone sud avec les Forces féminines de l’Air : tenue de campagne, barda et casque réglementaires, vie de soldat.

Abtey la retrouve à Paris, aux Halles, calot sur la tête, dans un grand manteau gris-bleu de la RAF, pourvu par ses soins des boutons de cuivre de l’armée de l’Air française, une grosse écharpe de laine autour du cou ; elle s’approvisionne en gros pour les vieux de la banlieue (sans tickets d’alimentation grâce à ses relations). Elle s’est engagée dans la lutte contre la misère.

Pour une série de spectacles au profit des sinistrés, on lui recommande l’orchestre de Jo Bouillon. Ils suivront ensemble la progression de la 1re Armée, parcourant la zone française en Allemagne occupée. À Berlin, elle représente la France au cours d’un spectacle grandiose où figurent les grandes nations alliées. À Buchenwald libéré, elle ira au chevet des typhiques intransportables.

Une nouvelle tranche de vie attend la star, mais, en retrouvant la paix, avec Jo Bouillon devenu son mari, elle ne renoncera jamais à lutter avec l’étonnante générosité dont elle a toujours fait preuve, notamment pour sa cause première : l’abolition des barrières raciales. Voulant prouver qu’on peut vivre ensemble sans discrimination, elle adoptera douze enfants d’origines différentes.

L’activité de Joséphine Baker dans le cadre des services spéciaux a été minimisée par certains, pour lesquels elle n’aurait pas été un véritable agent de renseignements. Sans elle, pourtant, le véritable agent de renseignements que fut Jacques Abtey n’aurait jamais pu mener à bien ses missions. Elle a tout le long de l’Occupation pris des risques considérables pour le « couvrir » et s’est dépensée parfois au-delà de ses forces pour la Résistance. Ses décorations en témoignent. Elle a reçu la médaille de la Résistance, en 1946, dans son lit de la clinique de Neuilly (nouveaux ennuis de santé) et, en 1961, dans son château des Milandes, en Dordogne, les insignes de la Légion d’honneur et la croix de guerre avec palme.

Ses funérailles nationales, en 1975, étaient sans précédent pour un artiste.

Alain Juillet et Marie Gatard

Cet article a été publié le 19 septembre 2021 dans le numéro 256 du Bulletin bimestriel de l’AASSDN, l’Amicale des Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale. Nous le reproduisons ici avec l’aimable autorisation de leurs auteurs et de l’AASSDN.

Alain Juillet, vice-président de l’AASSDN – Photo © JFD

Marie Gatard, Historienne AASSDN – Photo ©

Quelques livres pour en savoir davantage

Joséphine Baker, une Américaine à Paris, Phyllis Rose. Ed.Fayard, 1990

Joséphine, Joséphine Baker et Jo Bouillon. Ed. Robert Laffont, 1976

Voyages et aventures de Joséphine Baker, Marcel Sauvage. Ed. Marcel Sheur, Paris, 1931

Joséphine Baker contre Hitler, Charles Onana. Ed. Duboiris, 20XX 

2e Bureau contre Abwehr , Jacques Abtey. Ed. de la Table Ronde, 1967

La guerre secrète de Joséphine Baker, Jacques Abtey. Ed. Siboney, 1948

Bulletin de liaison de l’AASSDN, n° 177 et 127

J.A., Rémy. Ed. Galic, 1961

Services spéciaux, Paul Paillole. Ed. Robert Laffont, 1975

Mes missions face à l’Abwehr, Gilbert Guillaume. Ed. Plon, 1973

Combats de femmes, Marie Gatard, L’esprit du Livre, 2009




Josephine Baker in the Pantheon

With Josephine Baker’s induction into the Pantheon, many will remember the struggle of a woman who made good use of her popularity to fight racism and promote the emancipation of blacks by supporting the American civil rights movement, and then by becoming involved as a Freemason from 1960 onwards, in the fight for equal rights for all.

She is today honoured not only for her action in favour of universal fraternity, as exemplified by the brotherhood resulting from the many children she adopted in the four corners of the world, but also for her true fight for the freedom of France.

Joséphine Baker – Photo Studio Harcourt (1948)

Joséphine Baker – Photo Studio Harcourt (1948)

Former Special Branch personnel are particularly proud to see one of their peers being paid tribute in this way, but many are unaware of what she actually did. That is why the authors of this article believed it useful to tell the story using memoirs and books that evoke the struggle of the woman in the shadows who took the light so well.

And she did not shy away from any risk for France.

When she was contacted in September 1939 by Captain Jacques Abtey of the German section of the French counter-espionage service headed by Captain Paul Paillole, she immediately agreed to make herself available to the service with these words: « It is thanks to France that I have become what I am. I will be eternally grateful to her. The Parisians have given me everything, especially their hearts, I give them mine. I am ready, Captain, to give them my life today. You may dispose of me as you wish

Video produced by the french Ministry of Defence

From misery to dance

A dancer at the Folies Bergères, the artist was 33 years old at the time and had become a mythical music hall figure.

The rise of the little girl from Missouri was prodigious. Her mother, of mixed black and Indian origin, and her father, a drummer of Hispanic origin from Saint Louis, had put together a song and dance act, performed in bars and music halls.

Her real name was Freda MacDonald and she was the eldest child in the family, but about a year after she was born her father left. Her mother, who held the little girl responsible, behaved with great brutality. Cold, stench and misery were the soil of her childhood. At the age of eight, she worked as a maid in a white woman’s house, sleeping with the dog by the coal pile. She eventually was taken out of this world after her boss scalded her to punish her, and the neighbours alarmed by the child’s screams. When she was eleven, she witnessed an event that would leave a lasting impression on her, the East Saint Louis ghetto race riot. People were burned in the fire, and she watched as fugitives were hunted down like animals. At the age of thirteen, after a violent break-up with her mother, she marries, for a short time, a sleeping car boy, Willie Wells.

Dancing was already her world. On the streets of St. Louis, she learned the typical moves of jazz dancers in the 1920s in the United States. Raised in the Baptist tradition, she loved religious ceremonies where music and rhythm drove the faithful to stomp their feet, clap their hands and sway in a hypnotic atmosphere. She is imbued with the idea that the soul can express itself through the body.

So, after working as a waitress, she joined a family band of street musicians, where she learned to play the trombone. There, at the age of fifteen, she married Willie Baker, whose name she kept, and realised her dream of joining a touring band’s corps de ballet. At first she was auxiliary, but eventually made a name for herself as a comic girl: she pulled faces and moved with irresistible gusto, capable of any posture without ever stopping to squint.

Scandal and enthusiasm: the Revue negre

At the same time in Paris, in 1925, a real craze erupted among artists for exoticism, particularly African. The painter Fernand Léger, who had just seen the Negro Art exhibition at the Musée des Arts Décoratifs, suggested the administrator of the Théâtre des Champs-Élysées to present a show entirely produced by black people.

The troupe to which Josephine belonged was approached. She was then nineteen years old, danced solo and had begun to make a name for herself. This was her first contact with France.

Josephine expected everything from this country, especially the opportunity to escape from the particularly heavy racial discrimination in her country. Paris will offer her more than a home, it will make her a star.

Paris will offer her more than a home, it will make her a star

But if this body stands as a work of art that exalts the world of the arts, if the name Josephine Baker is also synonymous with freedom and openness to the world, Eros, which is conducive to fantasy, is indignant to some. Catholics took offence, to the point that the Church became alarmed. Nevertheless, the star decided to stay in France.

She became the companion of Giuseppe Abatino, known as Pepito, who passed for a gigolo and turned out to be a remarkable impresario during their ten-year union. It was he who organised a world tour for her. The tour began in Vienna, where right-wing students wanted to prevent coloured artists from performing. The Church, offended by such tumultuous displays of sensuality, got involved. Josephine is horrified. In Argentina too, she says, « the Catholic parties hounded me from station to station, from town to town, from stage to stage. In 1929, the Munich police banned the show ».

The 1930s arrived. She returned to France, the only country for her « where one can live easily ». She was a dancer at the Casino de Paris, which had become a respectable music hall. Josephine was transformed: she dressed simply and started to sing. La petite Tonkinoise and J’ai deux amours are on everyone’s lips. In 1934, she tried her hand at operetta and had a real success in Offenbach’s La Créole.

However, her desire to return to her country to make a name for herself on Broadway ended in failure. Realising that she definitely did not belong there, she returned to Paris to lead a new revue at the Folies Bergères. Pepito died suddenly in the spring of 1936. In 1937, by marrying Jean Lion, a rich sugar broker, she obtained French nationality. The same year she passed her pilot’s licence.

The star and counter-espionage

When war broke out in 1939, the black star was caught up in racism. The overtones of Nazism and the cruelties of the Aryan ideal could already be heard. A theatre agent put her in touch with Captain Jacques Abtey, an energetic and athletic 33-year-old from Alsace, a blond with a high forehead and pale blue eyes.

Even before the war, the head of the secret service section working against Germany had had the idea of using French actors when travelling abroad.

« When the young Captain Abtey spoke to me for the first time about Josephine Baker, » Colonel Paillole said, « I was reluctant. We were wary in the 2nd Bureau of Mata Hari-like enthusiasm. I was afraid that she was one of those brilliant personalities of the entertainment world who, when put to the test of a real danger, quite different from their usual afflictions, break like glass; he told me that Josephine was steel.» Under Jacques Abtey, Josephine Baker became an honourable correspondent.

She « knew nothing of the intelligence service and soon became an H.C. of the first order,» says Abtey. « This universally known woman could not be a spook. Nor could anyone suspect her of covert operations. It was her figure as Josephine Baker that drew attention, masking her secret activity. (…) Better still, I myself managed on certain occasions to go completely unnoticed by travelling with her on a false passport as a secretary or artist

« Mission accomplished ! »

A long road of adventures began for Josephine and her ‘case officer’. The star’s world of intelligence quickly encompassed that of ministers, embassies and even kings.

In 1940, Jacques Abtey was asked to set up a liaison with the Intelligence Service for the French Special Services, in order to ensure a permanent exchange of information and to receive instructions for joint action. It was decided that he would accompany the star on his tour of Portugal and South America; he would blend in with the troupe with a passport in the name of Jacques-François Hébert. Joséphine began her job as a cover, which involved enormous risks, especially since she had had her partner’s passport marked « assistant to Madame Josephine Baker ».

For this first trip, they set off with a summary of the information gathered so far by Paul Paillole’s department, reproduced in cipher and sympathetic ink (location of the main German divisions, personnel, equipment, airfields and even a photo of a barge that the Germans were planning to use for an invasion of England).

As everyone rushed to see the star, Abtey went unnoticed, he was part of the baggage so to speak. At the Lisbon embassy, through the British air attaché, he came into contact with a member of the Intelligence Service. Josephine, who returned to Paris alone, could tell Paillole: « Mission accomplished

As she needed to replenish her finances, damaged by the expedition to Lisbon, which she was keen on taking on, she took over La Créole in Marseilles. From then on, she would never accept any financial help for anything she did for the Resistance or the soldiers of the Alliance.

Abtey remained in Lisbon to work out the arrangements for collaboration with the British. The French service would be based in Casablanca and mail would be routed through Portugal. When he returned to Marseilles for the premiere of a show by Josephine, he told her that he needed her for the rest of his missions and that they were going to settle in Morocco. Not hesitating for a moment, she interrupts the performances on the ground of flailing heath and had her luggage transferred to her Dordogne castle. But as fond as she was of her animals, her Great Dane, female chimp, lion monkey, marmoset, and two white were seen arriving in her cabin on the boat headed for North Africa.

They also embark with the latest intelligence summary. Upon arrival at Casablanca however, Abtey has such difficulty obtaining a visa for Lisbon that Joséphine decides to go in his place. « In a suitcase,» he said, « she carried Paillole’s synthesis that I had transcribed for her in sympathetic ink on a musical score. She was amused to see me writing with water. It was the first mission she was going to carry out alone abroad. To justify her presence in Lisbon, she gave a few performances there and returned radiant

Mosaics, orange trees and marble columns

She then retreated to Marrakech where two personalities opened their arms to her: a first cousin of the Sultan, H.H. Moulay Larbi el-Alaouï, and the pasha of Marrakech, H.E. Si Thami el-Glaoui. Seduced by this city, she settled with her retinue, including Abtey, in a dream residence at the end of a cul-de-sac in the Medina: a mosaic-covered vestibule, an interior garden with marble columns, orange trees and a babbling fountain. She is struck by the spirituality that emanates from this enchantment. But the work continues.

Despite the dangers of going to Spain, then under the occult control of the Germans, she decided to perform there, as this trip was favourable to their mission. She returned with the notes she had taken on embassies established in Spain and political circles, attached to her underwear by a safety pin.

But suddenly her health stopped her momentum: she had peritonitis and her case was very serious. A camp bed was set up next to her for Abtey to watch over her. But because he often had to meet people for the needs of his mission, she still helped him in her own way as under the pretext of assisting « his » patient, he could hold most of his clandestine meetings in her room.

However, from relapse to relapse, and for nineteen months Josephine led an unceasing struggle for life.

One day, a tall, open-faced man, the American vice-consul Bartlett, arrived at her bedside: « Miss Baker being of American origin,» he said, « no one will find it surprising that I should pay her visits.» Abtey had indeed made new contacts with the Americans, who had entered the war. It was the same Bartlett who would one day tell them that serious events were afoot.

In mid-October 1942, Abtey was offered to head the 2nd Bureau of the military staff of a France Combattante movement that had just been formed in Casablanca. And Paillole’s agents were approached to neutralise, under the direction of General Béthouart, the higher command of the troops in Morocco which were under the direction of the Vichy government.

On 8 November 1942, the flak was unleashed against the first allied planes. It was the beginning of the landing in North Africa. Josephine exults, Abtey saw her « leaping from her metal bed, launching herself onto the terrace, her skinny body clad in pyjama trousers and a nasty knitwear, her feet bare » and, raising a fist to the sky: « I always told you! That’s what the Americans are ! » She followed the battle from the clinic’s roof.

On the second day of the fighting, and despite her weakness, she insisted on accompanying the representatives of France Combattante that were going to make themselves available to the American staff: a stretcher would allow them to move under the protection of a Red Cross ambulance.

Thousands of soldiers listen to her sing

Finally, on 1 December, Joséphine left the clinic. In Marrakech, Si Mohamed Menebhi puts a pavilion in his palace at Finally, on 1 December, Josephine left the clinic. In Marrakech, Si Mohamed Menebhi puts a pavilion in his palace at her disposal. But paratyphoid struck her again and she was furious at not being able to join her treating officer. However, on 1 February, barely recovered and with the scars from her long stay in the clinic not fully healed, she took to the stage at a black American soldiers’ home (the whites had their own club) to help people of her colour. General Clark, who attended the show, came to congratulate her at a reception attended by the highest ranking officers of the Allied Forces. She was reborn as a star and made herself available to the high command of the troops involved, to give free shows to support the morale of the soldiers. And when she was penniless and had to give a series of performances at the Rialto in Casablanca to bail herself out, the first was a gala for the French Red Cross. It was a huge success. J’ai deux amours, mon pays et Paris (I have two loves, my country and Paris) unleashed a sometimes heartbreaking emotions.https://www.youtube.com/embed/gRfrUdsL4Pk

And while Abtey, who had left the Corps franc headed by Giraud, waited for the opportunity to fly out to join de Gaulle, she toured the camps (nearly 300,000 men were in tents or shacks). She hit the stage several times a day; her dressing room is a tent. Near Oran, the stage was set up in the middle of a field, with several thousand soldiers surrounding it. In Mostaganem, she was asked to sing in the public square because the soldiers were facing hostility from the population, which was mainly Italian and Spanish, and the chief of staff had decided to mix them with the crowd, hoping to arouse the rallying power of the artist.https://www.youtube.com/embed/iGr3c1dCm74

While singing, she descended among the spectators, taking babies in her arms and handing them to the soldiers. This is how she managed to create the atmosphere of brotherhood that she longed for.

Thousands of kilometres across the desert

When she returned, exhausted, Paillole and many members of the 2nd Bureau had arrived in Algiers, as well as General Catroux, representing de Gaulle. Abtey went to work for the BCRA, while Josephine accepted a tour of the British camps in Libya and Egypt. One might think that her activity in the Resistance would end there, especially as there was no question of her returning to France where, since 1941, the Nazis had forbidden the entry of any person of colour into the occupied zone.

baker josephine
SLT Josephine Baker with Alla Dumesnil-Gillet commanding the Women’s Air Forces – AASSDN Archives Photo

Yet the duo carried on with their fight, but their action took a different turn. Instead of focusing on German activities the job at stake consisted of observing the Muslim world where ancestral rivalries were resurfacing. Josephine had a great knowledge of the Arab world and, she put the interests of France above all else, she sincerely loves her Muslim friends. It is in this spirit that she worked.

Accompanied by Abtey, she leaves for the Middle East. Under the guise of a propaganda tour, under the high patronage of De Gaulle and for the benefit of the Resistance in metropolitan France, she held shows for the FFL troops.

Always benevolently and in order to finance the operation, Josephine threw a big party at the municipal theatre in Algiers. De Gaulle was among the spectators, he congratulated her and gave her a small gold cross of Lorraine. Worthy of notice, Josephine had a ten-metre long French flag decorated with a huge cross of Lorraine that she unfurled on the stage, something that she did throughout her tour.

She suggested taking with them one of her friends, Madani Glaoui, nephew of the pasha of Marrakech. A young man full of grace and energy and supporter of de Gaulle, his name was likely to open up doors for them. And here they are, off on an extraordinary journey, the three of them in a jeep, their luggage following in another vehicle, Josephine in military field dress. She will travel thousands of kilometres across the desert.

In Sfax, a destroyed city, she offers the proceeds to the victims. In Alexandria, the trio is invited by Prince Mohamed Ali, who is interested in their mission. In Cairo, a great Franco-Egyptian function and banquet presided by King Farouk is given in the star’s honour. In Beirut, she was host to the outgoing President of the Republic, the ambassador and the crowned heads of Greece. To raise money for the Resistance, Josephine auctioned the gold Cross of Lorraine given to her by de Gaulle, raising 350,000 francs.[1]

Damascus, Jerusalem, Tel-Aviv, Jaffa, Haiffa, then Cairo again; on every stage, Josephine flew her big flag, symbol of the resurrection of France. The outcome of the mission: a propaganda action and more than three million francs for the Resistance.

However, in Beirut, at the election of the new president of the Lebanese Republic, the French candidate was defeated and the Arab Union scored the first point. The information gathered by Abtey was all transmitted to Algiers and, with the revolt rumbling in Lebanon and the demonstrations in Cairo, he decided to return as soon as possible to the Algerian capital to report in person the suggestions made by the Lebanese personalities he had met.

France’s defeat in the Middle East is on everyone’s mind and is already changing opinions. For the duo things there clearly were turning sour. The nationalist movements were of high interest to French, American and British intelligence services.

But Josephine’s infernal treks through the desert came to a cost and she had to undergo emergency surgery for an intestinal obstruction. The Menebhi Palace, where she was convalescing, was a privileged place to observe the evolution of the Moroccan notables’ attitude towards France.

On the eve of the D-Day landings in France on the Normandy coast, she accepted a propaganda tour to the benefit of Free France in Corsica, which had just been liberated; the aim was a display of ability aimed at the Americans, whose attitude towards De Gaulle had been more than equivocal to the extent that one day, a member of the diplomatic corps advised the star never to board the General’s plane.

Her plane crashed at sea

Shortly after overflying Sardinia on their way to Corsica as a stepstone to set foot in France for the first time in four years, one of the plane’s engine broke down. The sky is criss-crossed by French planes, while theirs loses altitude and eventually descends towards the sea. The pilot shouted « brace yoursleves » and the large rolled-up flag serves as a protective cushion for Josephine. The plane crashed in a spray of water and with its wooden frame shattered, its occupants climbed onto the wing amidst the floating luggage. They had crashed in a cove where a group of black riflemen run to the beach. The gala evening is saved, Josephine will sing for the men who are going to liberate occupied France.

Lieutenant Josephine Baker enlisted on 23 May 1944 and landed in the southern zone with the Women’s Air Force complete with full field dress, besetting gear and helmet for a life as a soldier.

Abtey eventually met her in Paris, at Les Halles, cap on her head, wearing large grey-blue RAF coat sporting French Air Force buttons and large woollen scarf wrapped around her neck; without the required food ration stamps thanks to her connections she had just bought wholesale supplies for the old suburbs folks. She was fully committed to her fight against poverty.

For a series of shows for the benefit of the disaster victims, she was recommended Jo Bouillon’s orchestra. Together they followed the progress of the 1st Army, travelling through the French zone in occupied Germany. In Berlin, she represented France in a grandiose show featuring the great allied nations. In liberated Buchenwald, she went to the bedside of non-transportable typhoid victims.

A new slice of life awaited the star, but with the return of peace and Jo Bouillon now her husband, she will never give up fighting with the astonishing generosity she always displayed, especially for her primary cause: the abolition of racial barriers. To prove that people can live together without discrimination, she adopted twelve children of different origins.

Josephine Baker’s activity as part of the special services got downplayed by some individuals claiming that she was not a true intelligence agent. Without her, however, recognised intelligence agent Jacques Abtey would have never ben able to carry out his missions. Throughout the Occupation, she took considerable risks to « cover » him and sometimes worked beyond her strength for the Resistance. Her decorations bear witness to this. In 1946, she was made the recipient of the Resistance medal in her bed at the Neuilly clinic (due to new health problems) and, in 1961, in her château in Les Milandes, in the Dordogne region, of the insignia of the Legion of Honour and the Croix de Guerre with palm.

Her state funeral in 1975 was unprecedented for an artist.

Alain Juillet and Marie Gatard

Alain Juillet, AASSDN Vice-president – Photo © JFD

Marie Gatard, AASSDN Head of Historical studies – Photo ©


[1] Handwritten letter from General de Gaulle to Josephine Baker published in the book dedicated to her by Major Jacques Abtey: Josephine Baker’s Secret War published by Siboney Editions (1948) and La Lauze Editions (2013) 2nd edition.

Colombey-les Deux Églises, 14.10.1946 :

Chère Mademoiselle Joséphine Baker
In full awareness of the prevailing circumstances I wish to address you my wholehearted congratulations on your receipt of the High Distinction of the Resistance Française award.
I was in recent years able to see and fully appreciate the great services you rendered at some most critical moments. I was subsequently all the more moved to learn the enthusiasm and generosity you deployed to put your immense talent at the disposal of our cause and those who served it. My wife and I wish you a speedy and complete recovery.
In the hope of having the honour to soon see you again, please accept, Dear Madam, the expression of my most distinguished consideration, to which my wife wishes to add her very fondest memories.

Charles de Gaulle

This article was published on September 19, 2021 in issue 256 of the bimonthly Bulletin of the AASSDN, the Amicale des Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale.

French version : Josephine Baker au Panthéon – Source : AASSDN

Translated by Eric Herbert Bias




Bon-Encontre : le chemin de l’honneur et de la Résistance

Par JoëlFrançois Dumont

L’Amicale des Anciens des Services spéciaux de la Défense nationale, l’AASSDN, vient de tenir son congrès à Bon-Encontre, dans la banlieue d’Agen. Une occasion pour la Voix du Béarn d’évoquer une très belle page de l’histoire de nos services spéciaux, à un moment crucial, en juin 1940, après le déferlement des troupes allemandes sur la France.

Voir ci-dessous la vidéo sur la commémoration du Sermet de Bon-Encontre avec le discours du Président de l’AASSDN, le Général françois Mermet.



En mai-juin 1940, en quelques semaines, 100.000 militaires et civils français sont morts en tentant de stopper l’offensive allemande, sans succès, écrasés qu’ils furent par la puissance de feu des blindés de la Wehrmacht et des Stuka de la Luftwaffe.

La débâcle qui s’en est suivie marquera à jamais la mémoire collective des Français après avoir été vécue comme un moment de déshonneur national. Heureusement, le courage et à la détermination d’une poignée d’hommes et de femmes refusant la défaite, mobilisés corps et âme pour bouter l’ennemi hors de France, permettront à la Libération de retrouver confiance en notre avenir collectif après plusieurs années d’occupation.

Les tous premiers à se ressaisir, imaginant des conditions d’armistice très dures, furent les hommes et les femmes du « 2 bis », notre service de renseignement en 1940. Comme le veut la tradition, en temps de guerre, celui-ci se transforme en 5e Bureau pour regrouper le service de Renseignement et celui du contre-espionnage.

Le général d’armée aérienne François Mermet, président de l’Amicale des Anciens des Services spéciaux de la Défense nationale, l’AASSDN, a retracé ce qui s’est passé le 14 juin 1940 dans la banlieue d’Agen au séminaire de Bon-Encontre, réquisitionné par l’équipe du colonel Rivet et du capitaine Paillole, chef du contre-espionnage français.

Ce 80e anniversaire du serment de Bon-Encontre, a été reporté du fait de la pandémie et après le décès de son ancien président, le colonel Henri Debrun, qui était venu faire apposer une plaque en l’honneur de ce fait d’arme exceptionnel sur le mur du séminaire. Il a enfin été commémoré comme prévu. Les hommes et les femmes de l’ombre chargés du Renseignement aiment et respectent les traditions. Même discrètement, ils n’oublient jamais d’honorer la mémoire et le sacrifice des « anciens » pour l’exemple qu’ils ont su montrer. Avec ceux qui ont survécu, ils s’attachent également lors de ces rencontres à avoir une pensée pour ceux qui sont morts pour la France au champ d’honneur sans oublier les camarades qui les ont quittés en cours d’année.

Nombreux sont parmi les membres de l’AASSDN ceux qui ont eu un père, une mère ou un proche à s’être jeté dans la bataille et avoir « payé le prix du sang ».

Lors de ces congrès, il n’y a pas que les anciens. Traditionnellement, des militaires d’active, représentant des unités d’élite qui sont le bras-armé de nos services sont présentes, autant de symboles de nos forces armées : 13e RDP, 1er RPIMA, 2e Hussards, le « 44 », les Forces spéciales et leurs célèbres commandos comme le CPA 10 de l’armée de l’Air et de l’Espace qui n’ont rien à envier au Navy Seals américains. Sans oublier, parmi les plus fidèles, les marins du sous-marin Casabianca qui, lors de la 2e Guerre Mondiale, s’est illustré entre Alger et la métropole en assurant des liaisons à risque et en transportant des responsables de la Résistance.

Chaque année, l’amicale rend également hommage à des hommes et à des femmes qui, par leurs actions, sont devenus des symboles de la Résistance.

Cette année une gerbe a été déposée sur la tombe de l’adjudant-chef André Fontès – en présence de son fils Christian – pour célébrer le réseau Morhange dirigé par Marcel Tallandier, en présence de sa fille Monique.

De même, la mémoire de nos « Merlinettes » a été honorée, après avoir été tirées d’un oubli qui a duré près de 70 ans… Ces Merlinettes dont le colonel Paillolle était si fier ont désormais trouvé leur place dans le jardin Eugénie-Malika Djendi dans le parc Citroën (Paris XVe) où a été édifié le monument à la mémoire de ceux qui sont morts pour la France en OPEX.

Sans l’opiniâtreté de Jean-Georges Jallot-Combelas, neveu d’une de ces Merlinettes, elles seraient restées méconnues.

Comment expliquer que de si belles pages de notre histoire commune soient inconnues de nos compatriotes ? Certains vont tenter à Bon-Encontre de trouver des éléments de réponse à cette question. Un pays qui ne sait pas d’où il vient ne saura jamais où il va.

Le combat mémoriel que livre l’AASSDN se poursuit depuis mai 1954. Si elle reste une association patriotique des plus emblématiques, l’AASSDN reste toujours discrète mais bien présente pour défendre la mémoire des hommes et des femmes de l’ombre qui ont combattu pour la France.

Comme l’a rappelé le général Mermet dans l’entretien qu’il a accordé à Christophe Cornevin du Figaro, rappelant le sens du combat mémoriel que livre l’amicale : « Notre mission est de faire œuvre de vérité et de tirer de l’oubli des personnages de l’ombre au parcours extraordinaire » avant de faire sienne cette maxime de Bossuet : « Le plus grand outrage que l’on puisse faire à la Vérité est de la connaître et en même temps de l’abandonner ou de l’oublier » Une citation reprise par un officier de gendarmerie, le colonel Paillole chef du contre-espionnage français en juin 1940 qu’il mettra en exergue de son livre « Services Spéciaux ».

Après cette évocation avec Jean-Michel Poulot, nous entendrons la voix d’une grande dame, Joséphine Baker, qui nous chantera « j’ai deux amours, la France et Paris ». Notre pays lui rendra le 30 novembre prochain l’hommage de la Nation pour son engagement au service de la France en transférant ses cendres au Panthéon. Joséphine Baker a été recrutée avant-guerre par le service de contre-espionnage du capitaine Paillole et a effectué de nombreuses missions pendant la guerre.

Comme quoi, dans la vie, on peut avoir deux amours en n’ayant qu’une seule fidélité !

Joël-François Dumont

Ecouter le podcast audio du Discours du Général Mermet :




Source MAD : Française de l’ombre

Un événement majeur de l’histoire du renseignement français pendant la Seconde guerre mondiale, à travers l’histoire d’un couple interdit : Madeleine Richou, agent des Services spéciaux français secrets clandestins, et Erwin Lahousen, officier autrichien au service de la Wehrmacht, unis contre le nazisme.

La position stratégique de Madeleine Richou-Bihet et de Erwin Lahousen Elder von Vivremont a fait de leur engagement une source de renseignements de première importance sur tous les projets de Hitler. Madeleine Richou était agent des Services spéciaux français clandestins (elle était sous la coupe directe des futurs généraux Rivet et Navarre). Erwin Lahousen, officier de renseignement autrichien, versé dans la Wehrmacht à la suite de l’Anschluss, fut un des principaux collaborateurs de l’Amiral Canaris, chef du service de renseignements allemand, l’Abwehr, et, de ce fait, un des hommes les mieux informés de l’époque, puisqu’il assistait fréquemment aux réunions des plus hautes instances de l’armée allemande, parfois en présence de Hitler. Il participa à la préparation de certaines des tentatives d’attentats contre ce dernier et fut un des principaux témoins à charge lors du procès de Nuremberg. A eux deux, ils ont constitué ce que les services français appelaient ” la source MAD “, du nom de guerre de Madeleine Richou.
Si les mémoires de cette dernière sont restés enfouis dans les archives du Service historique de la Défense, inaccessibles à la consultation jusqu’à une date relativement récente, c’est qu’elle a toujours su respecter son devoir de réserve.
On peut y suivre aussi au quotidien la montée du nazisme à Vienne puis à Berlin, et les ravages perpétrés par l’arrivée successive des troupes allemandes et soviétiques à Budapest, où elle a vécu 50 jours dans une cave sous un champ de bataille. À travers les dires de Lahousen, on vit aussi les sauvageries du front de l’Est.
C’est Madeleine qui parviendra à faire libérer son compagnon, prisonnier des Américains à la fin de la guerre, en faisant reconnaître le rôle réel de cet officier autrichien antinazi.




Article du Figaro : 80 ans après, le serment des anciens espions à Agen

Publié le 07/10/2021 Par Christophe Cornevin

Photo : Le 6 Octobre 2021, à Agen, les anciens des services spéciaux de la Défense nationale s’étaient réunis devant le monument aux morts pour honorer la mémoire des héros de la Résistance.

L’Amicale des anciens des services spéciaux de la Défense nationale (ASSDN) s’est réunit pour célébrer une page glorieuse et méconnue de leur histoire et de l’histoire: le 80e anniversaire du serment de Bon-Encontre. Un pacte pour lutter clandestinement contre l’Allemagne nazie jusqu’à la libération de la France.

Au moment même où les adeptes de la culture woke essaient de déconstruire la mémoire en déboulonnant les statues, au mépris de l’histoire, les espions se souviennent et célèbrent une page majeure d’une histoire à la fois glorieuse et méconnue. Ce vendredi, l’Amicale des anciens des services spéciaux de la Défense nationale (ASSDN) va se réunir à Bon-Encontre, près d’Agen, pour commémorer le 80e anniversaire d’un serment, prononcé le 25 juin 1940 (jour de l’entrée en vigueur de l’armistice) par les agents des services de renseignement et de contre-espionnage français: poursuivre clandestinement la lutte contre l’Allemagne nazie jusqu’à la libération de la patrie. Là, une soixantaine de «grognards», issus des services spéciaux de la guerre, de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), de la Direction du renseignement militaire (DRM), mais aussi de l’ex-Direction de la surveillance du territoire (DST), dépendant du ministère de l’Intérieur, ou encore de la Direction nationale…




Organisation des services spéciaux allemands en 1939

A consulter ces 3 documents issus des archives publiées de Paul Paillole :

L’articulation générale de l’Ausland-Abwehr sous Hitler

Le schéma général du service central de l’Ausland-Abwehr en septembre 1939

Schéma général des forces armées allemandes dédiées aux services spéciaux, septembre 1939




Biographie du Colonel André Serot par JC Petermann

Voir la biographie du Colonel Serot realisée par JC Petermann.




Ouvrages de référence

GARDER Michel
La guerre secrète des services spéciaux français 1935-1945
FORCADE Olivier
LAURENT Sébastien
Général Louis Rivet, Carnets du chef des services secrets, 1936-1944,
GATARD Marie
La pierre qui parle 1940 – 1945
KOCH-KENT Henri
Doudot
PAILLOLE Paul ( Colonel )
Services spéciaux 1935 -1945
Notre espion chez Hitler
STEAD Philip John
Le 2ème Bureau sous l’occupation.
NAVARRE Henri ( Général )
Le service de renseignements 1871-1944
Forcade Olivier
La Republique secrete
Forcade Olivier Laurent Sebastien
Secrets d’état
de Loisy Philibert
La première résistance le camouflage des armes
DEUVE Jean
Histoire secrète des stratagèmes de la Seconde Guerre mondiale
Troupin Vladimir et autres historiens
La flamme de la résistance



Général Louis Rivet, Carnets du chef des services secrets 1936-1944

Cet ouvrage donne un éclairage nouveau sur l’histoire du renseignement et du contre-espionnage français.

Le général Louis Rivet fut le responsable des services spéciaux militaires français, du Front Populaire à la fin de l’Occupation. A ce titre, il est à la fois un grand témoin et un acteur incontesté de cette période tragique de notre pays.

Que retenir de ces carnets et des excellentes annotations des deux universitaires, Olivier Forcade et Sébastien Laurent ?

Le pouvoir politique est absent de ses écrits. C’est logique, le général Rivet rend compte à ses chefs, ainsi qu’au général Gamelin. Mais c’est aussi l’une des clés pour saisir les fondements des erreurs stratégiques commises à cette époque par le pouvoir politique du côté français.

Pour tracer la présence du politique dans la ligne de conduite des services spéciaux de l’époque, il faut lire entre les lignes de ces carnets. Par exemple, on y décèle la ligne de fracture entre la crainte du communisme et la crainte du fascisme qui ressort avec évidence des divergences sur la conduite à tenir à l’égard de l’Italie. Rivet était favorable à un dialogue avec l’Italie, les responsables du Front populaire ne partageaient pas cette analyse. Mais là n’est pas le plus important.

Ce qui frappe à la lecture de cet ouvrage, c’est l’absence de prise en compte du renseignement et du contre-espionnage dans la prise de décision stratégique militaire et politique.

Sur la question de la trouée des Ardennes et de Sedan (percée allemande qui déstabilise de manière décisive le système de défense français en mai 1940), le troisième bureau (opérations) écarte d’un revers de manche l’éventualité d’une telle hypothèse alors que le deuxième bureau (renseignement) la valide en mettant en garde les plus hautes autorités sur la faiblesse de nos troupes positionnées face aux Ardennes et le risque encouru par une attaque de divisions blindées allemandes dans ce secteur.

Cette erreur très significative dans le processus de réflexion stratégique n’est pas prise en compte dans l’enseignement de la stratégie des écoles militaires.

Le général De Gaulle, lui-même, n’a jamais su tirer de leçon d’un tel raté qui aboutit à l’une des plus grandes défaites que la France ait connue dans son histoire. C’est ce que l’on peut déduire de l’ouvrage très détaillé d’un professeur agrégé d’histoire-géographie, Sébastien Albertelli sur le service secret gaulliste durant la seconde guerre mondiale (Les services secrets du Général de Gaulle, le BCRA 1940-1944, Perrin, 2009). On y remarque la manière très particulière dont De Gaulle intégrait le rôle du renseignement dans son combat politique.

L’analyse des carnets révèle aussi le poids et ce caractère pérenne des dissensions entre Ministères et leur incapacité de définir un renseignement d’anticipation. Cette incapacité de coordonner le renseignement ainsi que le contre-espionnage révèle l’incapacité du pouvoir politique à prendre les décisions qui s’imposaient dès les premières tentatives d’Hitler de transgresser le Traité de Versailles.

Voir Les leçons à tirer des carnets du général Rivet par Christian Harbulot

Voir également la biographie du Général Louis Rivet, l’un des fondateurs de l’AASSDN

A lire : Les services secrets du Général de Gaulle, le BCRA 1940-1944, Perrin, 2009 : http://aassdn.org/xmca12000.htm#ALBERTELLI




Entretien avec Paul Paillole, l’homme des services secrets

Invité chez Bernard Pivot en 1995, Paul Paillole apportait un éclairage peu connu sur le rôle des services spéciaux français durant la deuxième guerre mondiale.