L’Afrique du nord dans nos combats

JUIN 1940-NOV 1942- Les Services de Contre – Espionnage du 5ème Bureau de l’Etat-Major l’Armée (ex 2ème bureau SR-SCR) officiellement dissous, avaient fait place au lendemain de l’armistice à une double organisation :- l’une officielle (Bureaux des Menées Anti-Nationales BMA) qui se substituait en quelque sorte aux BCR sur le plan régional.- l’autre clandestine (TR) dirigée par PAILLOLE (alias PERRIER).De même que dans la Métropole, l’ensemble des services spéciaux était centralisé à ROYAT sous l’autorité des Colonels RIVET et d’ALES, la totalité des services de C.E. de l’Afrique du Nord devait être sous les ordres du Colonel CHRETIEN à ALGER. Il dépendait lui-même des Services centraux métropolitains BMA et TR.




Le service secret action en Indochine

Par le colonel Jean Deuve
ancien chef de groupement franco-lao « Yseult »

Qui mieux que nombre des membres de notre Association pourrait apporter le témoignage d’événements vécus ou le fruit de leurs recherches: cette rubrique leur est ouverte sans exclure évidemment les signatures qui voudront bien nous confier leurs travaux.

LE RÉTABLISSEMENT DE L’AUTORITÉ FRANÇAISE AU LAOS

La situation au 1er août 1945

Au 1er août 1945, vivent dans les profondes forêts du Laos 200 Européens et 300 autochtones, ressortissant de la « Force 136 » britannique des Indes (Service Secret d’Action) et de la représentation locale de la Direction Générale des Etudes et Recherches (Colonel Roos), basée à Calcutta.

Ces groupes sont formés des membres du Service d’Action Secrète (S.A.S.) intégrés dans la ” Force 136 ” britannique, de membres de la D.G.E.R. venant de France récemment, de personnel, européen et autochtone, civil et militaire, d’anciens de l’armée ou de l’administration d’Indochine, échappés aux Japonais, enfin, de volontaires lao.

En dehors du Laos, et à l’exception d’un petit groupe de marins et de coloniaux qui, basés en Chine, se livrent à un harcèlement naval du trafic côtier nippon, il n’y a aucune résistance dans les autres pays d’Indochine.

Ces groupes du Laos ont survécu aux campagnes d’anéantissement japonaises et, malgré les difficultés de la vie en jungle en saison des pluies, d’un ravitaillement souvent aléatoire, de l’incessante pression des troupes nipponnes, grâce aussi à la complicité générale des populations lao, remplissent les missions qui leur ont été confiées: – maintenir une présence française – renseigner le gouvernement français et le South East Asia Command – préparer la reprise de l’action pour octobre, à la fin de la saison des pluies.

Les pays qui constituaient la Fédération Indochinoise (Empire d’Annam et du Tonkin, colonie de Cochinchine, Royaumes du Laos et du Cambodge) ont été déclarés indépendants par les Japonais, mais cette indépendance ne s’est pas concrétisée. Les gouvernements se sont contentés de survivre, de gérer leurs besoins essentiels et de faire, plus ou moins, fonctionner leurs services publics.

Il n’existe aucun mouvement d’indépendance populaire, sauf au nord-Tonkin, où le Parti Communiste indochinois, de ses bases de Chine, a lancé une ” Ligue pour l’Indépendance du Vietnam ” (Vietnam Doc Lap Dong Minh, dit Vietminh). Cette ligue a profité de la naïveté américaine pour obtenir des armes sous le fallacieux prétexte de combattre les Japonais.

L’articulation générale de la résistance au Laos comprend des groupements, des sous-groupements et des groupes:

– Au nord, le groupement Imfeld (S.A.S.), implanté entre Louang-Prabang et la frontière de Chine, comprend trois sous-groupements Mollo (S.A.S.), Rottier (Indochine) et Baudouard (Indochine). En tout, il compte 52 Français et cinq postes radios E.R.

– Plus à l’est, Guilliod, avec ses groupes Petit et Heymonet, tient le massif du Phou Loï, à 100 kilomètres au nord de Xieng-Khouang. Le groupe Mutin (D.G.E.R.) séjourne à côté. En tout: 34 Français et 3 postes radios E.R. Zone d’action: Samneua.

– Au sud-est, Bichelot (D.G.E.R.), tout près de Xieng-Khouang, dispose de deux postes. Il tient la région Méo. Le groupement Fabre (S.A.S.) avec deux sous groupements, le sien et le sous-groupement Deuve (S.A.S.) qui va devenir groupement et qui comporte les groupes Picot (S.A.S.), Lemal (Indochine) et Etchart (D.G.E.R.).

– Fabre est au nord-est de Paksane, en instance de mouvement vers Vientiane, la capitale du Laos. Il commande 26 Français et dispose d’un seul poste. Deuve, avec un poste, tient le nord de la province de Paksane. Il n’a que 5 Français avec lui pour un territoire égal à la moitié de la Normandie. A l’est de Paksane, le groupement de Wavrant (D.G.E.R.) tient la région Khamkeut-Napé, en tout 12 Français et 2 postes. Le groupement Legrand (L’Helgouach, D.G.E.R.), avec une soixantaine de Français et 2 postes, tient le sud et le moyen Laos.

La confusion et le désordre

L’usure due à la vie en jungle, aux conditions atmosphériques, aux incessantes pérégrinations en montagne, les combats, les difficultés des parachutages ont réduit considérablement la dotation de matériel en bon état et les groupes ont besoin de recevoir armes, munitions, médicaments, explosifs, vêtements.

Le 13 août, les groupes tapis dans la jungle apprennent que des négociations sont en cours entre les Japonais et les Alliés. Le soir, un message de la « Force 136 » invite les groupes à se préparer à recevoir la reddition des troupes japonaises et à réoccuper tous les centres administratifs.

Les 15 et 16, nouvelles instructions : libérer les prisonniers et maintenir l’ordre. Le 16 au soir, arrive l’ordre formel d’occuper les centres administratifs au nom de la France…

Puis le ton des messages change. Le 19, on informe les groupes que les autorités nipponnes restent responsables du maintien de l’ordre et qu’il n’est plus question de recevoir leur reddition. En conséquence, on ne doit occuper les centres qu’au départ des Japonais! Le 19 au soir, arrive l’ordre d’arrêter toute opération contre les Nippons, sauf pour se défendre.

Les jours suivants, on apprend que les Américains s’opposent aux parachutages de la « Force 136 », car l’Indochine du nord est dans leur zone. On invite les groupes à engager des négociations locales avec les Japonais pour qu’ils passent aux guérillas les pouvoirs de police et d’administration… « en sachant qu’il y a de fortes chances que les Japonais ne reconnaissent pas le caractère sacré des parlementaires ». On apprend que le Vietminh, profitant du vide administratif existant au Vietnam et de l’aide active des Japonais, est en train de prendre le pouvoir avec des méthodes énergiques.

Le 30 août, on est informé que la Conférence de Postdam (où la France a été absente) a désigné les Chinois pour désarmer les Japonais du nord de l’Indochine.

L’instruction reçue des autorités françaises en Extrême-Orient est claire : il faut que les groupes évitent tout incident avec les Chinois…mais il faut protéger les intérêts essentiels de la France! Les directives reçues en ce qui concerne le Vietminh ne sont pas moins nettes : ne pas chercher à s’imposer face à un comité révolutionnaire vietnamien…mais assurer le maintien de l’ordre si ce comité causes des incidents.

A 3.000 kilomètres de distance des bases, devant des ordres aussi contradictoires, chacun va agir selon son tempérament, ses moyens, son armement et l’adversaire, et fera de son mieux.

Le Vietminh envoie des meneurs pour organiser dans les nombreuses communautés vietnamiennes du Laos des comités révolutionnaires, dont la mission est de s’opposer au retour des Français et de transformer le Laos en satellite du Vietminh.

La réoccupation des centres et les combats meurtriers (15 août – 15 septembre 1945)

Le 16e parallèle coupe l’Indochine en deux. Seul le sud du Laos est dans la zone de désarmement britannique.

Le groupement L’Helgouach réoccupe Paksé, Saravane et Attopeu sans la moindre difficulté, les troupes japonaises se mettant à ses ordres.

Le 14 septembre, le drapeau français flotte sur tout le sud Laos et les services sont remis en place.

Au nord du 16e parallèle, la situation est toute différente, car les comités Vietminh sont organisés dans les communautés vietnamiennes, c’est-à-dire, dans tous les centres du Laos… et les Chinois commencent à déferler.

A Louang Prabang, la ville royale, les Japonais arment le comité Vietminh que des meneurs venus du Tonkin excitent contre la France.

Imfeld, nommé Commissaire de la République, arrive dans la capitale royale le 29 août avec les groupes Tual (S.A.S.) et Berthier (S.A.S.). Le roi confirme le maintien du Protectorat Français et proclame la nullité de l’indépendance accordée par les Nippons.

Le 1er septembre, Brasart (S.A.S.), se dirigeant vers Muong Sing, se heurte aux premiers éléments chinois qui viennent de franchir la frontière (93e division indépendante).

Les Chinois décrètent le rattachement de l’extrême nord-lao à la Chine, donnent l’ordre aux fonctionnaires locaux de ne pas obéir aux Français, à qui ils refusent, non seulement le droit d’être en Indochine, mais même la qualité d’alliés. Ils occupent tous les centres des provinces du nord et en chassent, manu militari, les faibles groupes franco-lao qui viennent de les réoccuper.

Rottier après être entré à Muong Saï le 26 août va renforcer Imfeld à Louang Prabang. Le 15 septembre, ces deux officiers sont désarmés de force par les Chinois. Baudouard, qui avait reçu mission de réoccuper Phongsaly, y est devancé par l’armée chinoise.

La capitale administrative du Laos, Vientiane, la ville du santal, a une forte communauté vietnamienne qui, dès la capitulation nipponne, est organisée par des meneurs venus du Siam, où existe une forte implantation du Parti Communiste Indochinois.

Les Japonais quittent la ville le 4 septembre. Fabre, accompagné de quatre groupes, entre sur leurs talons. Il n’y a pas une heure qu’il est là que les premières manifestations sont organisées par les Vietminh. Le 8, des officiers américains de l’Office of Strategic Services (O.S.S.) promettent aux autorités locales lao qu’ils s’opposeront au retour des Français.

Cette intervention accélère l’agitation vietnamienne. Des agents siamois ajoutent le trouble dans les populations et les administrations lao. Les révolutionnaires font le blocus de Fabre et de ses hommes, les empêchant de recevoir le moindre ravitaillement. Fabre réussit cependant, avec l’aide des officiers de la « Force 136 » du Siam à évacuer la population civile française retenue en otage par les Vietminh, 55 femmes, 46 hommes et 58 enfants, puis il renvoie à l’extérieur ses guérillas et reste, seul, avec quelques hommes.

Les Vietminh promènent sous ses fenêtres les têtes coupées de quelques Français ou métis capturés par les révolutionnaires… Deuve occupe Paksane le 14 en débarquant par pirogue en arrière du comité révolutionnaire avec les groupes Picot et Etchart (24 hommes). De Wavrant s’installe à Napé le 6 septembre (8 Français et 15 Indochinois). Ils sont violemment attaqués les 7 et 8 par des Vietminh et des Japonais venus du Vietnam proche. De Wavrant, un de ses officiers et 7 de ses hommes sont tués. On ne peut tenir Napé. Le 9 septembre, Gasset, un sous-officier et 6 chasseurs lao arrivent aux mines d’étain de Boneng, où les Japonais viennent de massacrer des femmes et des enfants français et où plusieurs familles françaises sont détenues en otage par les Vietminh. Le 10, Gasset est attaqué par 150 Vietminh et Japonais. Il tient jusqu’à l’arrivée d’un officier de la « Force 136 » du Siam qui intime aux Nippons de décrocher et de libérer les otages.

Dans le Moyen-Laos, les deux villes de Thakhek et de Savaninakhet sont bourrées de Japonais qui aident les Vietminh à organiser d’importantes unités avec des renforts venus du, Vietnam et des volontaires recrutés au Siam. Tavernier occupe les centres de la province de Thakhek, mais ne peut prétendre s’imposer dans la ville. Quinquenel a le même problème devant Savannakhet où les Japonais sont encore plus de 1.000 le 10 septembre et où des unités Vietminh venues du Vietnam ont pris le pouvoir. Ses groupes occupent les centres de la province, sauf Sepone, à l’est, trop près de la frontière vietnamienne, d’où viennent des troupes bien armées.

Ainsi, en un mois, sauf l’extrême nord, Thakhek, Savannakhet et Sepone, 500 guérilléros franco-lao ont repris le contrôle d’un pays de 230. 000 kilomètres carrés (presque la moitié de la France) en dépit des Japonais, des Chinois et des Vietminh, malgré l’hostilité de fait des Américains qui font tout ce qu’ils peuvent pour empêcher les Français de revenir en Indochine.

Les Chinois – Le retour en jungle (15 septembre 1945 à mai 1946)

Les Chinois entrés par le nord Laos et par le Tonkin en fin août 1945 déferlent maintenant partout. Si les campagnes continuent d’être tenues par les franco-lao, les villes vont être, presque toutes, occupées par des troupes chinoises, Vietminh, siamoises.

L’élite lao s’engage aux côtés du Roi et de la France, mais les Chinois poussent à la création le 12 octobre d’un mouvement s’opposant au retour des Français, le Laos Libre (Lao Issala), assuré également d’un appui par des officiers de l’O.S.S. américain.

Ce mouvement, immédiatement infiltré par les Vietminh, n’existe que là où il y a des soldats chinois pour le défendre. Au 15 septembre, tout l’extrême nord du pays est occupé et annexé par les Chinois, sauf deux môles qui tiennent malgré la pression ennemie.

Le 23 septembre, Imfeld et ses cadres sont encerclés par les troupes de la 93e division chinoise et menacés de mort, s’ils ne désarment par leurs propres groupes. Le Roi lui-même est sommé de proclamer l’indépendance du Laos et de rejeter le Protectorat français. Ce qu’il refuse de faire. Il est alors tenu prisonnier et empêché de tout contact extérieur, notamment avec les Français.

Imfeld fait discrètement partir ses groupes, de nuit, et reste seul avec une poignée de ses hommes. Le 4 novembre, des troupes Lao Issala et Vietminh, renforcées de Chinois, renversent le Roi.

Le 22 décembre, les révolutionnaires envahissent le casernement français et cassent tout. Le 31, à l’issue d’une manifestation encore plus violente, Imfeld décide d’évacuer. C’est fait le 4 janvier 1946. Le Roi et sa famille sont prisonniers des révolutionnaires.

A Vientiane, la situation évolue pareillement. Fabre, bien qu’ayant un bras cassé, tient au maximum, mais privé de ravitaillement, menacé journellement dans sa vie, il reçoit, le 20 novembre, l’ordre d’évacuer. A Paksane, Deuve est attaqué par le comité Vietminh dès le 15 septembre, mais il tient.

Le 5 octobre, les Chinois débarquent. Devant leurs menaces et ne voulant pas risquer de se faire désarmer, Deuve évacue la ville, fait croire qu’il quitte la région, rassemble secrètement ses groupes et, le 12 octobre, au soir, rentre par surprise, tue 26 membres du comité Vietminh, met en fuite les survivants et fait savoir aux Chinois, qu’il coulera leurs chalands s’ils viennent.

Ils arrivent le 25. Deuve fait venir tout son groupement renforcé des groupes revenus de Napé. Les Chinois n’osent pas débarquer. A Xieng-Khouang, Bichelot, durement attaqué et blessé, doit évacuer la ville, qu’il reprendra en janvier 1946.

Le Laos libéré

Tout le nord-Laos, sauf Paksane, est sous la domination des Chinois, des Vietminh et des Lao Issala. Toute la campagne est aux mains des franco-lao qui reçoivent des renforts et des volontaires lao en grand nombre. Les groupes de guérillas deviennent des compagnies et des bataillons.

C’est le retour en jungle, fort différent du séjour durant l’occupation japonaise, ponctué de coups de main, d’attaques, d’embuscades, de menaces. On se bat contre les Chinois et contre les Vietminh.

Mais les franco-lao sont comme « des poissons dans l’eau ». Tenant la brousse, ils tiennent le ravitaillement des villes qui sont, en fait assiégées.

La D.G.E.R. a passé la main : c’est un commandement militaire qui dirige les opérations, les « Forces du Laos ».

Avec l’aide de deux commandos du Corps Léger N° 2, d’un escadron d’autos-mitrailleuses, les unités des « Forces du Laos », directement issues des guérillas et encore, pour la plupart, commandées par ceux qui menaient cette résistance, à partir du début 1946, reprennent les villes, chassent les Chinois et les Vietminh.

Savannakhet et Thakhek sont réoccupées en mars, Vientiane le 25 avril, Louang-Prabang le 13 mai. Le Roi est rétabli sur son trône. Le Laos est libre de tout adversaire.

Les débris de ce qui reste du Lao Issala, pris en main par le Parti Communiste Indochinois, formeront les futurs cadres du Parti Communiste Lao. Ce qui reste des comités Vietminh, repliés au Siam et au Vietnam, continueront à fomenter la subversion au Laos dans le cadre de la guerre d’Indochine.

Le rôle des services spéciaux reprend son aspect classique, mais ce sont eux, avec l’aide de leurs camarades de l’ancienne armée d’Indochine, qui ont mené cette folle épopée au Laos et ont conservé, à l’époque, le Laos à la France.




Le service secret en Indochine-bulletin 165-1995

Nous devons au Colonel Jean Deuve, ancien chef du groupement franco-lao « Yseult » cette remarquable étude sur « le Service Secret d’Action en Indochine », travail historique qui complète les articles de même qualité des Colonels Daugreilh et Ruat publiés naguère.




LES SERVICES SPÉCIAUX FRANÇAIS DANS LES CONFLITS D’OUTRE-MER 1945-1956 (5)

LA FRANCE ET LE CONFLIT FRANCO-VIET MINH-L’ÉPANOUISSEMENT DU C.E. OPÉRATIONNEL




LES SERVICES SPÉCIAUX FRANÇAIS DANS LES CONFLITS D’OUTRE-MER 1945-1956 (4)

LA FRANCE ET LE CONFLIT FRANCO-VIET MINH. Colonel Ruat




LES SERVICES SPÉCIAUX FRANÇAIS DANS LES CONFLITS D’OUTRE-MER 1945-1956 (3)

Pression japonaise. Affaire de Langson. Conflit avec le Siam




LES SERVICES SPÉCIAUX FRANÇAIS DANS LES CONFLITS D’OUTRE-MER 1945-1956 (2)

L’INDOCHINE, LA GUERRE DU PACIFIQUE ET SES CONSEQUENCES




LES SERVICES SPÉCIAUX FRANÇAIS DANS LES CONFLITS D’OUTRE-MER 1945-1956 (1)




1940-1944 : Pourquoi et comment est née la securité militaire ?

Depuis plusieurs semaines, sur la demande des autorités allemandes, Laval exigeait la dissolution des Bureaux des Menées Antinationales (B.M.A.) et le ” limogeage ” de leurs chefs : Rivet et d’Alès en tête.Ce nettoyage des Services Spéciaux de l’Armée de l’Armistice s’effectuait dans le cadre d’une opération plus générale de lutte contre les organisations de Résistance Militaire.

par le Colonel Paul PAILLOLE

J’entends et lis, à propos de la Sécurité Militaire, tant d’inexactitudes, parfois aussi tant d’inepties, que, dans l’intérêt de la vérité et pour l’honneur de mes camarades qui en firent un grand service national, je me dois de retracer une fois encore, les raisons et les circonstances de sa création.

C’était en juillet 1942.

Depuis plusieurs semaines, sur la demande des autorités allemandes, Laval exigeait la dissolution des Bureaux des Menées Antinationales (B.M.A.) et le ” limogeage ” de leurs chefs : Rivet et d’Alès en tête.

Ce nettoyage des Services Spéciaux de l’Armée de l’Armistice s’effectuait dans le cadre d’une opération plus générale de lutte contre les organisations de Résistance Militaire. Du Vigier, Chef du 3ème Bureau et père des G.A.D. (Groupes d’Auto-Défense), Baril, Chef du 2ème Bureau, et bien d’autres, disparaissaient de l’État-Major de l’Armée de Terre ; Ronin, malgré l’habile protection du général Bergeret, devait mettre en veilleuse son S.R. Air. Seul le S.R. Marine sortait à peu près indemne de la vague épuratrice. Il est vrai qu’à cette époque, ce n’étaient pas les aviateurs mais les marins qui occupaient les postes de confiance…

En juin et juillet 1940, j’avais créé le Service de Contre­-Espionnage clandestin, camouflé, avec l’aide du Génie Rural, dans l’entreprise des Travaux Ruraux (T.R.). Notre action contre les puissances de l’Axe et la Trahison s’était poursuivie et développée avec une vigoureuse efficacité grâce à la protection des B.M.A. et à leur rôle décisif dans l’appareil répressif militaire.

A n’en pas douter, c’était ce rôle répressif et la confortable ” couverture ” que les B.M.A. nous offraient qui gênait les Allemands et que Laval n’entendait pas tolérer.

Rivet me fit appeler.

Avec d’Alès et lui, nous examinâmes les conséquences de cette décision et les mesures à prendre pour en atténuer les effets maléfiques.

Certes, les B.M.A., héritiers des B.C.R. (1) , avaient une existence précaire depuis que l’Autorité Militaire avait été, en février 1941, déchargée des Pouvoirs de Police. Elle n’avait plus, pour justifier le maintien de ces organismes, que de mauvais prétextes ; les vrais, encore que soupçonnés par les autorités de fait, demeuraient inavouables.

Si, dans cette conjoncture, l’Armée de l’Armistice, en tant que telle, pouvait à la rigueur (comme l’Armée du temps de Paix), se passer des Services de Contre-Espionnage Spécialisés, nos réseaux militaires clandestins de recherches ne pouvaient sans dommage être privés de leur meilleure protection. Quant au C.E. clandestin (T.R.) il ne pouvait renoncer à l’exploitation judiciaire de son travail sur le territoire national. L’un des principes essentiels de notre lutte était précisément de maintenir en France, face aux puissances occupantes, la répression impitoyable de la trahison à leur profit. On sait que les Tribunaux Militaires de la zone sud condamnèrent ainsi plusieurs centaines d’agents de l’Axe dont quarante-deux à la peine de mort.

Faute de pouvoir directement ” embrayer ” sur la Justice Militaire pour assurer cette action répressive, force était à T.R. de disposer d’un intermédiaire sûr au sein même de l’Armée.

Enfin, élément capital, je savais l’inéluctable et proche action alliée en A.F.N. Il fallait que cette opération décisive soit effectuée avec un maximum de sécurité en matière de C.E. et que les Alliés trouvent dans les territoires libérés, un service organisé capable de remplir les missions de pro­tection qu’exigeraient les circonstances et d’ôter tout prétexte, sinon l’envie, aux services de sécurité amis de s’immiscer dans les affaires françaises.

Je me doutais, au surplus, que l’Armée française d’Afrique, jointe aux Forces Françaises Libres, reprendrait aux côtés des Alliés la lutte contre l’Axe. Il fallait que cette armée possède les moyens élémentaires pour neutraliser les entreprise occultes de l’ennemi et aussi, dans l’hypothèse probable de la remise des Pouvoirs de Police à l’Autorité Militaire, qu’elle dispose d’un organisme propre à seconder le Commandement dans l’exercice de telles attributions.

Toutes ces raisons impliquaient l’existence officielle au sein de l’Armée d’un Service à définir, ainsi que le transfert en A.F.N. d’un personnel supplémentaire qualifié et d’éléments d’archives suffisant pour faire face à la situation nouvelle qu’allait créer le débarquement allié.

En Métropole, où le nouvel organisme devait échapper à l’attention des autorités allemandes et aux investigations parfois trop zélées de policiers français, la limitation à un ou deux par Division Militaire du nombre des officiers apparemment habilités à traiter des problèmes dits de ” Sécurité ” était indispensable. Les militaires des B.M.A. dissous, du moins ceux connus pour leur compétence et la rectitude de leurs convictions patriotiques, devaient constituer sans plus tarder les noyaux d’un autre Service clandestin apte à fournir les cadres des organismes officiels de C.E. que la Libération du Territoire devait révéler.

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Tel fut le point de départ de la création des SERVICES DE SECURITE MILITAIRE.

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Si je me suis quelque peu étendu sur les raisons et les circonstances de cette création, c’est qu’il m’apparaissait essentiel de montrer que jamais nulle autre préoccupation ne nous effleura que de mettre notre Service en condition pour faire face à sa seule mission : NEUTRALISER LES ENTREPRISES OCCULTES DE L’ENNEMI, EN PROTEGER L’ARMEE, ET AUSSI LA NATION TOUT ENTIERE, CONFORMEMENT A LA LOI.

Pour établir ce postulat, il me reste à dire quelques mots de la vie du S.S.M.

Rivet et d’Alès jugèrent que je devais en prendre la responsabilité.

J’étais atterré.

La tâche me paraissait immense et redoutable. Elle impliquait que je devais renoncer au Commandement direct du réseau T.R. où tant de sujets de satisfaction m’étaient prodigués. Tôt ou tard je devrais quitter la France encore occupée et ne plus partager l’existence de mes camarades métropolitains.

Mes objections furent vaines. J’acceptai finalement lorsque, pour me seconder à la tête de T.R., Rivet me donna Laffont et lorsque Bonnefous voulut bien m’assurer qu’il s’adjoindrait à moi, pour mettre sur pied l’organisation nouvelle.

Il restait à convaincre l’État-Major de l’Armée et le Commandant en Chef de la nécessité de donner au S.S.M. cette existence discrète, mais officielle.

Les généraux Verneau (2) et Olleris (3) , Chef et Sous-Chef de l’E.M.A., admirent d’enthousiasme la solution. Elle convenait à leur conception de la résistance militaire et au rôle qu’ils entendaient confier aux Services de C.E.

Le Général Revers et l’Amiral Battet auprès de Darlan firent le reste. Il est vrai que l’Amiral Commandant en Chef se faisait un malin plaisir de contrecarrer les volontés de Laval et que déjà son comportement se teintait de résistance…

Le 24 août 1942 une décision non publiée consacrait officiellement la naissance des Services de Sécurité Militaire. J’en restai le Chef jusqu’au 18 novembre 1944.

A peine avions-nous eu le temps, Bonnefous, mes collaborateurs (4) et moi de jeter dans les trois Armées (Terre – Mer – Air) les bases de cette organisation, à peine avec Chrétien (5) , avions-nous eu le temps d’étoffer nos moyens en A.F.N. que le débarquement du 8 novembre 1942 intervint.

Il provoqua, on le sait, avec mon départ pour Alger la réalisation d’un organisme de Contre-Espionnage centralisé avec :

– Un service de recherches et d’action C.E. (T.R.);

– Un service d’exploitation C.E. et de protection contre les entreprises occultes de l’ennemi.

(Le S.S.M. englobait en outre la surveillance du Territoire et la Sûreté aux Armées.)

Cette Sécurité Militaire était organisée territorialement dans les zones libérées. Elle disposait d’éléments spécialisés dans toutes les grandes unités. Dans les territoires occupés par l’ennemi le S.S.M. clandestin, dont le Général Navarre fut le Chef, préparait la tâche des B.S.M. libérateurs.

Tout ce monde fut doté en temps utile des moyens indispensables à son travail : documents techniques et administratifs, archives, fonds, etc. Ce ne fut pas une mince affaire. Les textes d’avant-guerre n’avaient pas prévu la situation qui était la nôtre. La bonne volonté ne suppléait pas à l’in­compétence de ceux qui prétendaient gouverner. Les finances étaient maigres, les liaisons difficiles, et rare le personnel de qualité. Et puis, il faut l’avouer, les rivalités nées de la trop longue opposition entre Giraud et de Gaulle créaient une ambiance lourde où la méfiance paralysait trop souvent les meilleurs et les plus désintéressés d’entre nous.

Pourtant, de mon P.C. d’El Biar où tant de Généraux commandant de grandes unités vinrent travailler avec moi : Chouteau, H. Martin, du Vigier, Leclerc, Brosset, Granier, etc., je pus mettre sur pied les services indispensables à la Sécurité des Forces de débarquement.

A Londres, avec le Général Bedell-Smith, Chef d’E.-M. d’Eisenhower, et Cheen, chef de son 2ème Bureau, je pus élaborer les conditions de travail des Services de C.E. alliés dans le respect de la souve­raineté française.

J’étais intransigeant quant au respect par autrui de nos responsabilités et de nos missions. Réciproquement je ne pouvais admettre une ingérence quelconque du S.S.M. dans des domaines qui ne lui appartenaient pas.

La situation délicate, douloureuse parfois, dans laquelle se trouvait l’Armée du fait des querelles qui divisaient ses Sommets, me faisait tout spécialement un Devoir d’interdire plus que jamais les instructions politiques dans mes services, ou par leur intermédiaire.

C’est parce que malgré les tentations, malgré certaines provocations, le S.S.M. sut généralement respecter cette règle et laisser au Commandement, à chaque échelon, ses responsabilités et ses prérogatives dans la recherche de l’état d’esprit et la protection du moral de sa troupe, qu’il gagna cet élément décisif de son efficacité que fut la confiance de l’Armée et de ses Chefs.

Aussi bien, le 24 avril 1944 (6) à Alger, le général de Gaulle, Président du Comité Français de Libération, avait personnellement rendu officielle cette conception exclusive et rigoureuse de notre rôle technique. Chef des Armées, il savait bien que l’Autorité du Chef ne se disperse pas. Il avait aussi compris que l’efficacité des Services de Sécurité Militaire ne pouvait souffrir d’équivoque quant au sens et aux points d’application de leurs missions.

_________________

Novembre 1944.

La France est libérée. La Victoire est proche.

Pour des raisons que je n’analyserai pas ici, les Services de Sécurité Militaire sont dispersés, mutilés, séparés de T.R., source de leur vie, raison de leur existence.

Je ne peux comprendre ni admettre cette transformation anarchique du Contre-Espionnage en temps de guerre. Je ne peux davantage transiger sur ma conception de notre rôle de soldats au sein des Services Spéciaux.

Je pars.

Un an après je quitterai l’Armée.


(1) Bureaux de Centralisation des Renseignements mis sur pied à la mobilisation dans chaque Région Militaire pour lutter contre les entre­prises occultes de l’ennemi.

(2) Mort en déportation

(3) Déporté et décédé

(4) Dont Serot qui créa la Sécurité Air, Delmas, Héliot morts en déportation.

(5) Chef des Services de C.E. en A.F.N.

(6) D.M. N° 8.000 SSM/Org du 24 avril 1944.




La fondation du reseau Travaux Ruraux -bulletin 176-1997

Un haut fonctionnaire conscient de ses devoirs et à la pointe de la Résistance en juin 1940 : Robert PRÉAUD (1889-1970) Secrétaire Général du Ministère de l’Agriculture est a l’origine de la creation du reseau clandestin TR avec le colonel Paillole.