10 mois de guerre entre le Hamas et Israël : Bilan et perspectives – Entretien avec Alain Chouet

Alain Chouet, ancien chef du Service de Renseignement à la DGSE, explique que la stratégie militaire d’Israël contre le Hamas montre des résultats mitigés : bien que les opérations aient sévèrement affaibli les capacités du groupe, elles risquent de se traduire par une victoire à la Pyrrhus, car le Hamas pourrait se régénérer grâce à la frustration et au désir de vengeance qu’elles engendrent. Par ailleurs, il distingue les éliminations ciblées des responsables du Hamas, qui sont une pratique bien rodée des services spéciaux israéliens, bénéficiant d’une large acceptation publique en Israël.

Commentaire AASSDN : Notre amicale estime particulièrement utile et pertinent de relayer cet article sur son site car les réponses apportées par l’ancien directeur du renseignement de la DGSE s’appuient sur une longue expérience au sein des Services spéciaux et une connaissance approfondie des pays du Moyen Orient. Ses propos corrigent les analyses souvent superficielles et parfois marquées par l’idéologie, de pseudo experts présents dans de nombreux médias. Cette interview participe donc à la lutte contre la désinformation; Cette menace insidieuse et croissante s’attaque fréquemment aux intérêts fondamentaux de la Nation dont la défense est au cœur des préoccupations de l’AASSDN .

Le Diplomate (LD) : Après 10 mois de guerre et qui ont suivi les massacres du 7 octobre, quel est, sur le plan strictement militaire, le bilan d’Israël à propos de sa stratégie d’« éradication » du Hamas ? Comment expliquer notamment l’efficacité notable des services spéciaux israéliens quant aux éliminations ciblées des responsables de l’organisation terroriste palestinienne ?

Alain Chouet (AC) : Ce sont deux problématiques différentes. Les éliminations ciblées sont une constante des services spéciaux israéliens depuis 1948. Le Mossad, l’Aman et le Shabak entretiennent en permanence des dossiers d’objectif sur toutes les structures ou personnes susceptibles de nuire à la sécurité du pays ou convaincues de lui avoir nui. Ils sont donc en mesure de passer à l’action à tout moment sur un court préavis ou en fonction des opportunités comme on l’a vu à de très nombreuses reprises, notamment depuis l’attentat contre les athlètes israéliens aux Jeux Olympiques de Munich. S’agissant pour Israël d’une question de vie ou de mort entretenue par une lourde mémoire collective, la méthode est admise par l’opinion et ne rencontre pas les réticences morales, éthiques ou politiques auxquelles sont soumis les autres services des démocraties, notamment en Europe.

La stratégie d’élimination du Hamas relève d’une autre logique qui est celle d’une intervention militaire massive, souvent indifférenciée et à visage découvert. Son bilan est beaucoup plus mitigé malgré les très lourds dégâts matériels et humains qu’elle entraîne. Certes la masse de manœuvre et les capacités de nuisance de la milice terroriste sont durement atteintes et nombre de ses éléments aguerris et de ses cadres ont été éliminés. Mais son affaiblissement risque de s’analyser en une victoire à la Pyrrhus. Le Hamas n’est que l’émanation palestinienne de la galaxie violente des Frères Musulmans soutenus par certaines pétromonarchies, une partie des opinions publiques du monde musulman et instrumentalisée à des fins stratégiques par l’Iran tandis qu’il se pose en martyr et se victimise auprès de nombre de sociétés du tiers monde et de naïfs occidentaux.

Il y a donc tout lieu de redouter qu’il renaisse de ses cendres dès que la pression armée d’Israël sur Gaza devra bien être levée. Cela prendra sans doute un peu de temps mais l’organisation n’aura aucun mal à assurer la relève des militants éliminés dans le vivier de souffrance, de frustration et de désir de vengeance provoqués par l’opération interminable mais finalement peu concluante de Tsahal dans l’enclave.

LD : Le Mossad a récemment réalisé des opérations ciblées en utilisant des technologies avancées, y compris l’IA et le contrôle à distance, pour éliminer des leaders ennemis en Iran. Selon vous, quelles pourraient être les prochaines cibles potentielles du Mossad, et comment pensez-vous que ces opérations pourraient évoluer en termes de stratégies et de technologies employées ?

AC : Je vous laisse la responsabilité de dire quelles technologies le Mossad a utilisées pour mener à bien ses dernières opérations en Iran. Je ne les connais évidemment pas et j’ignore quelles pourraient être ses prochaines cibles.

Ce que je sais en tant que professionnel c’est que dans ce domaine chaque cas est un cas d’espèce et que tout est affaire de circonstances et d’opportunités. Il n’y a pas de règle générale et on cherche toujours le moyen le plus simple d’arriver à ses fins sachant que plus la méthode employée est complexe et sophistiquée, plus les risques d’échec sont importants.

LD : À notre époque hautement technologique, on l’a vu, le renseignement humain a-t-il encore son importance ? Et si oui, comment Israël le développe et l’entretien dans des pays ou des zones hostiles comme en Syrie, en Iran voire à Gaza ou dans les territoires palestiniens de Cisjordanie ?

AC : Les progrès technologiques appliqués aux cannes à pêche et aux moulinets n’ont pas rendu la chasse inutile ou obsolète. Il n’y a guère de sens à opposer le renseignement technique au renseignement humain. Ils sont interdépendants et complémentaires. Le progrès technologique a décuplé, voire centuplé, les capacités d’observation et d’écoute des services de renseignement. Mais il a ses limites et des trous dans sa raquette. Quelle que soit la sophistication des moyens techniques employés, celui qui observe et écoute par ces moyens n’est pas maître de la manœuvre. Il ne peut voir et entendre que ce que sa cible veut bien dire ou montrer. Et si la cible sait qu’elle est observée et écoutée, la porte est ouverte à l’intoxication et à la désinformation. Enfin et surtout, si le renseignement d’origine technologique permet plus que jamais de connaître de façon précise et détaillée la nature et l’état des forces hostiles, il ne permet pas de connaître le secret des intentions de ceux qui les emploient. Cela suppose alors l’entretien d’un capital de sources humaines au sein du cercle des décideurs adverses ou dans leur environnement immédiat.

Les comptables et les ignorants aiment bien le renseignement technique. Il est cher mais il fournit des résultats immédiats, visibles, vérifiables et quantifiables. Il a aussi l’avantage d’être sans risque politique puisqu’il peut s’exercer depuis chez soi sans s’exposer. Le renseignement humain, se joue sur le temps long. Il présente le danger de se faire prendre la main dans le sac en territoire adverse. Il est empreint de subjectivité et est souvent difficilement vérifiable dans l’immédiat. C’est pourquoi, face à l’explosion des capacités technologiques, les responsables politiques et financiers de nos États ont eu tendance dans les quelques décennies passées à privilégier le renseignement technique aux dépens – contraintes financières obligent – du renseignement de source humaine.

Israël n’a pas échappé à cette dérive venue tout droit des États-Unis qui n’ont pas le danger d’être au contact physique direct de l’adversaire. Les capacités en renseignement humain du Shabak en Cisjordanie et à Gaza, de l’Aman dans les pays du front et du Mossad dans le monde entier en ont pâti. Il faut reconnaître que la tâche n’est pas facile dans le contexte régional, en particulier à Gaza, où les autorités de fait n’hésitent pas à torturer et assassiner leurs contemporains au moindre soupçon – même totalement infondé – de collusion avec Israël. Mais la situation n’est guère différente au Liban, en Syrie ou en Iran. Il n’empêche – et la tuerie du 7 octobre 2023 en est la preuve – qu’au-delà des capacités techniques de connaissance de l’état des forces adverses, Israël doit retrouver sa capacité de connaissance et d’évaluation de leurs intentions.

LD : La collaboration croissante entre Moscou et Téhéran semble redessiner les alliances au Moyen-Orient, avec des implications potentiellement déstabilisatrices. Dans ce contexte, pensez-vous que le FSB pourrait jouer un rôle actif dans cette dynamique, et si oui, comment pourraient-ils s’intégrer dans les stratégies conjointes avec l’Iran ? Et surtout au prisme de l’ancienne coopération qui était notable jusqu’ici entre Israéliens et Russes ?

AC : La Russie et l’Iran, tous deux en difficulté dans leur contexte régional et international respectif, se soutiennent l’un l’autre comme la corde soutient le pendu. Si cela permet de fabriquer quelques connivences diplomatiques, économiques, militaires et stratégiques, cela ne permet pas de déboucher sur des actions décisives et coordonnées. Ces limites sont particulièrement patentes dans le Caucase, face à l’Azerbaïdjan et la Turquie et même en Syrie où les deux « partenaires » se regardent en chiens de faïence. Très mobilisé par la situation en Ukraine et en Europe où il doit essayer de pallier certaines insuffisances de l’armée régulière, le FSB, qui a perdu beaucoup du potentiel ancien du KGB au Levant, n’a pas beaucoup de plus value à apporter aux Iraniens (Ministère du renseignement ou Pasdaran), dans la gestion des crises régionales. Pour l’instant, s’ils se rejoignent sur la redéfinition d’un ordre international hostile à l’Occident et aux États-Unis, leurs agendas ne sont pas vraiment convergents.

LD : Avec l’augmentation des cyberattaques imputées à l’Iran, comment les services de renseignement, notamment israéliens, se préparent-ils à contrer ces menaces, et quelle est votre analyse de l’implication croissante de la cybersécurité dans les conflits géopolitiques actuels ?

AC : La récente panne informatique mondiale imputable à une mise à jour de Microsoft, les pannes de la SNCF dues à des sabotages d’armoires informatiques, les paralysies récurrentes de services médicaux imputables à des cybercriminels montrent à quel point l’ensemble de nos activités civiles et militaires sont devenues totalement dépendantes d’un réseau informatique mondial mal maîtrisé et donc à quel point nos sociétés sont vulnérables et fragiles. Il suffit aujourd’hui à un hacker un peu doué d’appuyer sur un bouton « Enter » pour priver un pays entier, pendant plusieurs heures ou plusieurs jours, d’eau, d’électricité, de carburants, de transports, de transmissions, de services de soins et de secours. Ce que le grand public sait trop peu c’est que toute notre architecture informatique repose sur l’existence et le fonctionnement de quelques dizaines de « Data Center » dont le sabotage ou la destruction paralyserait totalement la vie du pays.

Il n’est donc pas étonnant que ces « goulots d’étranglement » et ces vulnérabilités soient devenus un objectif privilégié de nos adversaires et donc un axe prioritaire de nos préoccupations de défense nationale. C’est évidemment le cas pour Israël qui a tout de même pour atout d’avoir développé très tôt un secteur informatique parmi les plus performants du monde et, en conséquence, des capacités de cyberdéfense hors du commun et, en tout cas, très supérieures aux capacités offensives de l’Iran dans ce domaine.

LD : Les tensions entre Israël et l’Iran montent de plus en plus. Certains experts évoquent un risque accru de confrontation directe entre les deux nations. Quelle est votre évaluation de cette menace, et quelles mesures les services de renseignement peuvent-ils prendre pour prévenir une escalade nucléaire ? Et pourtant, comment expliquer qu’en dépit des déclarations belliqueuses iraniennes suite à l’élimination d’Ismaël Haniyeh le 31 juillet dernier en Iran, les représailles tant annoncées se font toujours attendre ?

AC : Les tensions entre Israël et l’Iran montent particulièrement dans les médias occidentaux et les chaînes de télévision en continu. Le risque de confrontation militaire directe entre les deux pays au delà de quelques gesticulations spectaculaires paraît plus qu’incertain. Ni l’un ni l’autre n’en a les moyens. On imagine mal l’armée iranienne traverser l’Irak et la Jordanie ou débarquer sur les plages méditerranéennes pour se colleter avec Tsahal…. De même on voit mal comment l’armée israélienne, déjà en limite de portage dans ses opérations à Gaza, pourrait aller affronter l’Iran au sol en débarquant sur les rives du Golfe Persique.

L’éventualité d’un affrontement aérien croisé en cas de dramatisation du conflit ne peut être exclu mais ne mènerait pas à grand-chose. L’armée de l’air iranienne ne dispose en pratique que de vieux appareils d’avant la révolution islamique incapables de se mesurer aux appareils de l’État hébreu. L’armée de l’air israélienne est en mesure d’opérer des missions de bombardement sur l’Iran… Mais sur quels objectifs ? Pour quel résultat sans possibilité d’exploitation au sol ? Pour quel coût financier et surtout politique ? Car cela nécessiterait de traverser l’espace aérien de pays arabes qui n’ont pas vraiment de raison de l’autoriser. Et cela donnerait à l’Iran l’occasion de fustiger la complicité des monarchies sunnites avec les « sionistes ».

L’hypothèse d’une attaque massive par missiles et drones est régulièrement évoquée et l’Iran s’est déjà livré sans conviction à l’exercice. Il pourrait être tenté de recommencer sachant que le « dôme de fer » israélien, secondé par la flotte aéronavale américaine en Méditerranée orientale est efficace, mais qu’aucun système de protection n’est fiable à 100%. La chute d’un seul missile sur un territoire aussi densément peuplé qu’Israël serait dévastatrice et aurait des conséquences politiques incalculables. Cela entraînerait certainement une lourde riposte israélienne mais le régime des mollahs est moins sensible que le pouvoir israélien aux pertes humaines parmi sa population. Et, au total, on resterait dans l’impasse.

Quant à l’hypothèse d’une « escalade nucléaire », elle relève pour l’instant du fantasme, du journalisme à sensation ou de l’ignorance de pseudo-experts. L’Iran veut être ce que l’on appelle un « pays du seuil », c’est-à-dire susceptible d’avoir la bombe dans un délai de quelques semaines à quelques mois, mais il n’y est pas encore. C’est ce que pressentait dès l’an 2000 le regretté Ephraïm Halévy, alors patron du Mossad, qui s’était fixé comme objectif de retarder par tous les moyens l’échéance qu’il considérait comme inéluctable. Le Mossad est effectivement parvenu à retarder l’échéance mais, sauf bouleversement majeur, celle-ci demeure inéluctable.

Il n’en reste pas moins que c’est un domaine où la doctrine iranienne rejoint la doctrine de dissuasion de plusieurs pays occidentaux : avoir la bombe pour ne pas avoir à s’en servir. D’ailleurs la motivation initiale de l’Iran dans sa course à l’armement nucléaire n’était pas de se confronter à Israël mais de dissuader les monarchies sunnites alliées à l’Occident de lui refaire le coup de la guerre Iran-Irak avec son million de morts, ses trois millions d’éclopés, ses veuves et orphelins de guerre.

Le régime des mollahs a tout fait pour s’assurer une carte palestinienne dans son jeu stratégique dans la perspective de règlement des conflits régionaux dont il ne veut pas être exclu et pour montrer son rôle de fer de lance de la cause islamique alors que les monarchies sunnites se soumettent à Israël et à l’Occident. Téhéran a clairement instrumentalisé le Hamas et n’a pas hésité à le sacrifier en l’incitant à l’atroce opération du 7 octobre pour casser durablement la dynamique des accords d’Abraham et du rapprochement entre Israël et les pays arabes sunnites. Les Iraniens ne pouvaient ignorer que la riposte israélienne serait impitoyable et détruirait leur instrument. Mais le jeu en valait la chandelle et, pour les théocrates chiites persans, faire massacrer des Arabes sunnites et Frères Musulmans ne constitue pas un bien grand dommage par rapport au bénéfice engrangé. C’est ce qui explique en grande partie la « retenue » du Hezbollah libanais et de l’Iran lui-même face au désastre des Palestiniens de Gaza et à l’assassinat des dirigeants du Hamas. Comme on ne peut quand même pas ne rien faire face au défi, les proxys de l’Iran – Hezbollah, groupes chiites syriens et irakiens, Houthis yéménites – s’exercent à d’habituelles frappes de missiles et roquettes mais se gardent bien de tout engagement direct.

LD : Dans un contexte où les conflits traditionnels cèdent de plus en plus de terrain aux guerres de l’ombre, notamment dans les domaines du cyberespace et du renseignement, comment évaluez-vous l’évolution de ces nouvelles formes de confrontation ? Les services de renseignement, tels que ceux d’Israël et de l’Iran, se préparent-ils à un avenir où la supériorité technologique et la maîtrise de l’information surpassent les moyens militaires conventionnels ?

AC : Le budget militaire annuel de la Russie est d’environ 80 milliards de dollars. Celui de la Chine de 240 milliards. Le budget militaire cumulé des États-Unis et des pays de l’OTAN est de 1200 milliards…. Face à un tel déséquilibre de moyens appuyés sur une supériorité matérielle et technologique pour l’instant insurpassable, il est parfaitement vain et suicidaire de vouloir s’opposer à l’Occident par des moyens armés conventionnels. Le dernier à ne pas l’avoir compris est Saddam Hussein qui a accepté en 2003 une confrontation conventionnelle directe. Il en a payé le prix. Ses voisins plus subtils comme l’Iran, la Syrie ou la Libye qui avaient fait dans les années 80 du terrorisme une arme ordinaire de leurs relations internationales l’avaient bien compris et en ont engrangé des bénéfices inespérés

Dans cette situation de déséquilibre conventionnel, il n’y a donc que deux options pour ceux qui ne veulent pas se soumettre à l’hégémonie atlantiste : posséder la capacité nucléaire (et les vecteurs nécessaires à sa mise en œuvre) ou avoir recours à des stratégies sournoises et indirectes du faible au fort reposant sur l’utilisation du terrorisme, de la criminalité transnationale organisée, de l’influence, de l’espionnage, de la désinformation, de la cybernuisance.

La Corée du Nord a opté pour une stratégie nucléaire exclusive que son Président met spectaculairement et régulièrement en scène. L’Iran et ses proxys s’appuient sur un cocktail des deux en mettant en œuvre à peu près toutes les manœuvres du faible au fort – sans évidemment en assumer la responsabilité – dans l’attente d’une accession à la capacité atomique.

C’est donc bien à cet état des choses mouvant et polymorphe que les forces armées et services occidentaux – y compris ceux d’Israël – doivent s’adapter. Il y faut pour certains une sorte de « révolution culturelle » pour admettre que le temps n’est plus à la force brute du déferlement d’unités blindées et mécanisées en rase campagne sous couvert de supériorité aérienne, mais aux coups bas, aux opérations clandestines, aux tactiques indirectes qui sont plutôt de la compétence des services d’action spécialisés que des grandes unités constituées autour de leur drapeau. En France, le budget de la DGSE représente à peu près un pour cent du budget de la défense. Ce qui signifie qu’en amputant la défense conventionnelle d’un pour cent de son budget il serait possible de doubler les moyens de la DGSE….

LD : Ainsi, les principes éthiques et les règles de guerre traditionnelles sont-ils encore pertinents ? Existe-t-il des normes ou des cadres internationaux qui régissent ces nouveaux terrains de conflit, ou sommes-nous dans une zone grise où tout est permis pour atteindre ses objectifs stratégiques ?

AC : L’histoire et l’expérience prouvent que les soi-disant « principes éthiques » et « règles de guerre traditionnelles » sont des notions à géométrie variable soumises à l’interprétation personnelle des belligérants et n’ont pratiquement jamais été respectés – y compris par ceux qui s’en réclamaient – au cours des conflits du XXe siècle : guerres mondiales, guerres régionales, guerres coloniales, conflits locaux en marge de la guerre froide, « guerres antiterroristes », etc.

Ce ne sont pas d’épouvantables tortionnaires méprisants des droits de l’homme qui ont légalisé la torture, vitrifié des villes entières sous de tapis de bombes incendiaires ou des bombes atomiques, répandu larga manu des produits chimiques toxiques, massacré et incendié des villages entiers, interné sans procédure et sans jugement des suspects adverses dans des cages en fer pendant des décennies…

Il va de soi que le passage des conflits armés conventionnels à des tactiques sournoises et clandestines du faible au fort fait entrer les protagonistes dans une zone grise de non droit où tous les coups sont permis puisque la clandestinité de l’action est censée mettre les auteurs à l’abri de toute sanction.

LD : Enfin, nous savons que les services de renseignement importants des pays arabes comme ceux de l’Égypte, de l’Arabie saoudite, des Émirats et du Qatar par exemple sont très actifs depuis 10 mois dans les négociations, soit dans la libération des otages israéliens ou des divers cessez-le-feu entre Israël et le Hamas. Après tout ce temps quel est le bilan de ces services spéciaux, leurs relations plutôt bonnes jusqu’en octobre dernier avec les Israéliens sont-elles remises en cause définitivement et vont-ils jouer un rôle pour la fin de ce conflit et « l’après-Hamas » ?

AC : Les services de renseignement des pétromonarchies sont plutôt des services de protection et de sécurité des familles régnantes en place que des services de renseignement au sens où nous l’entendons.

D’une manière générale, les dirigeants arabes n’ont qu’une confiance limitée dans leur propre ministère des affaires étrangères dont ils ne maîtrisent pas le recrutement puisque la fonction nécessite une certaine technicité alors que les membres de leurs services de sécurité sont cooptés sur la base de connivences familiales, féodales ou tribales.

Et ils ont une confiance nulle dans les ministères des affaires étrangères des pays occidentaux qu’ils jugent majoritairement indiscrets, donneurs de leçons et hostiles. Ils leur préfèrent donc les relations de personne à personne ou les relations nouées de service de renseignement à service de renseignement.

Ils ont donc tendance à faire de leurs services un rouage essentiel de leur relation extérieure. D’ailleurs, dans les pays « bien tenus » – comme l’était la Libye de Kadhafi il était devenu d’usage que le chef des services spéciaux cumule ce poste avec celui de ministre des affaires étrangères comme le furent Ibrahim Bishari ou Moussa Koussa…. Et on voit bien que les négociations actuelles autour du sort des otages israéliens et de la tragédie gazaouie sont du ressort exclusif des chefs des services spéciaux, que ce soit du côté arabe ou du côté israélien ou américain.

La compétence des services qataris ou saoudiens en ce qui concerne les problématiques liées au Hamas est incontestable puisque ce sont ces mêmes services qui pendant de nombreuses années ont financé, favorisé, soutenu politiquement le mouvement terroriste islamiste et donné protection et asile à ses chefs qu’ils connaissent donc parfaitement. C’est sans doute un point qui mériterait réflexion quand l’urgent dossier du sort des otages aura pu être soldé…

Par souci de sécurité face à des voisins menaçants, les services qataris poursuivront à bas bruit leurs relations avec les services israéliens initiées depuis plus de vingt ans. De même les services saoudiens face au danger commun que représente l’Iran des mollahs. De même que les services égyptiens confrontés au même risque qu’Israël de la part des Frères Musulmans. Mais la dynamique politique des « Accords d’Abraham » par laquelle Benjamin Netanyahou pensait pouvoir normaliser les relations de l’État hébreu avec son environnement islamique sunnite est brisée sans doute pour longtemps. C’est une victoire dans la confrontation asymétrique qui oppose l’Iran à son environnement wahhabite, à Israël et à l’Occident.

Propos d’Alain CHOUET, Ancien directeur du renseignement de la DGSE
recueillis par Mathilde GEORGES pour Le Diplomate (19 août 2024)




Inauguration officielle de l’exposition Colonel Paillole au Cercle du littoral à Ramatuelle

En ce jeudi 15 août 2024 , après la messe de l’Assomption en l’église Notre-Dame de l’Assomption au village de Ramatuelle Var, nous avions convenu avec monsieur le maire, Bruno Roland d’inaugurer officiellement l’exposition colonel Paillole : « Un combat pour la libération de la France ».

Cette exposition que nous sommes allé chercher à La Fouillade dans l’Aveyron avec Jean Charles Meyer, le 20 juin 2024, installée au Cercle du littoral, au cœur du village historique de Ramatuelle dès le 1er juillet 2024 jusqu’au 15 août 2024 inclus.

Avec l’afflux touristique saisonnier, nous pouvons affirmer qu’elle a connu un franc succès !

Lors de l’inauguration, en présence de monsieur le maire, de ses adjoints et conseillers municipaux, du chef d’état-major de l’escadrille des sous-marins nucléaires d’attaque de la Base navale de Toulon, du délégué AASSDN du Var, de monsieur Doussin accompagné de sa fille Marine (parents de la famille Mouton dont le nom est inscrit sur le muret de notre Mémorial) et des amis de l’AASSDN présents dont Jean Charles Meyer qui organise les randonnées mémorielles depuis la ferme Ottou jusqu’à la Roche Escudelier, de Marc Debarre major (H) de police qui est venu de Mandelieu dans les Alpes-Maritimes .

Lors de la présentation, monsieur Alain Henri Bonnaure délégué AASSDN au Mémorial a précisé les raisons pour lesquelles Ramatuelle avait été choisie pour ces 80 ans de la libération de la Provence et du débarquement du 15 août 1944 :

Les missions sous-marines clandestines initiées depuis Alger par le général Giraud, le commandant Paillole et le colonel Rivet, jusqu’aux côtes méditerranéennes varoises à Ramatuelle du 4 février 1943 au 26 novembre 1943 avec les sous-marins Casabianca, Marsouin, l’Arethuse et la Perle. L’inauguration à Ramatuelle Var du Mémorial national de l’AASSDN le 3 Mai1959 par le garde des Sceaux Edmond Michelet et le colonel Paillole, fait citoyen d’honneur de la commune de Ramatuelle la même année. Ces trois événements emblématiques nous ont conduits à choisir Ramatuelle pour célébrer ce 80e anniversaire.

Le Cercle du littoral, la plus ancienne association du village, fondée en 1885, a pour but de rassembler dans un état d’esprit humaniste et républicain, des personnes de toute condition sociale. La création artistique, les expositions culturelles et historiques dominent dans ce bar associatif.

Ce fut une raison supplémentaire qui nous a motivés pour l’installation de l’exposition Paillole. Nous souhaitons dès à présent, un franc succès, dans d’autres lieux de mémoire de cette remarquable exposition.

Alain Henri Bonnaure Délégué AASSDN au Memorial national de l’AASSDN à Ramatuelle Var.




Nos conseils de lecture en 2024

Liste d’ouvrages parus récemment : partagez vos réactions avec notre Amicale !

Renseignement et espionnage :

  • Jean Christophe Notin, “DGSE: la fabrique des agents secrets”, Taillandier
  • Louis Caprioli, Jean François Clair, Michel Guerin “La DST sur le front de la guerre contre le terrorisme” Mareuil éditions
  • Jean François Gayraud, “la Mafia et la Maison Blanche”, Plon
  • Kim Philby, “Ma guerre silencieuse”, Nouveau Monde Editions
  • Igor Gran, “l’entretien d’embauche au KGB”, Bayard
  • Jean Lucat, “un rebelle à la DST”, Plon

2e guerre mondiale :

  • CF2R sous la direction d’Eric Dénécé, “Renseignement et espionnage pendant la deuxième guerre mondiale”
  • Claude Quetel, “Vichy, vérités et légendes”, Perrin
  • Patrick Marnham, “Résistance, désinformation et trahison dans la France occupée” Rosie & Wolfe



Eloge funèbre au général Georges Grillot

Éloge funèbre prononcé lors des honneurs militaires rendus le 18 Juillet 2024 au général Georges Grillot, Grand-croix de la Légion d’honneur, décédé le 13 juillet 2024 à l’Institut national des invalides.

Commentaire AASSDN : La vie du général Georges Grillot est à bien des égards exemplaire pour notre époque:
– Il a agit au seul service des intérêts fondamentaux de la France, là où il a été envoyé comme tous les soldats, avec discrétion, efficacité et détermination.
– Il a su se faire aimer de ses hommes, souvent d’anciens ennemis, au point de leur faire une confiance totale et de les commander au combat.
– Il a enfin fait preuve en toutes circonstances de beaucoup de clairvoyance et d’un grand courage, autant de qualités essentielles aux vrais chefs.
Loin de toute repentance, son exemple nous conforte dans notre fierté de Français et nous rappelle nos devoirs envers notre Patrie.

Aujourd’hui, nous honorons la mémoire d’un soldat de l’ombre. Le général Georges Grillot s’est éteint samedi 13 juillet, jour de son 98ème anniversaire. Le général Grillot représente toute une époque, celle de ceux qui ont combattu dans des guerres dont on parle peu et une façon de combattre, celle dont on ne parle pas. Dans l’armée, il a gravi toutes les marches, guidé par le goût de l’effort et la vertu du mérite transmis très jeune par ses parents et confortés au petit séminaire. Il s’engage dès 1946 comme soldat au 15e régiment de tirailleurs sénégalais et part pour l’Algérie. Il y est promu caporal-chef. De retour en France, il entre dans le corps des sous-officiers et embarque à Marseille comme sergent pour rejoindre l’Indochine au sein du 6e régiment d’infanterie coloniale.

Il y mène ses premiers combats, reçoit ses premières blessures et découvre une guerre différente de celle qui lui avait été enseignée. La contre-insurrection deviendra le type de combat dans lequel il excellera. Envoyé dans le Nord du Tonkin où il commande un poste isolé, il découvre un adversaire manœuvrier, insaisissable, passé maître dans l’art de l’embuscade et du harcèlement. Il a très tôt l’intuition que pour vaincre cet ennemi il faut appliquer une partie de ses méthodes. Conscient de la valeur des combattants indochinois et de leur connaissance irremplaçable du terrain, il crée donc sa propre section de partisans. De la même trempe qu’un adjudant-chef Vandenberghe, il fait partie de ces hommes qui ont su s’adapter et comprendre la guerre qu’ils menaient.

Les trois blessures reçues en Indochine disent tout des combats menés : par balle en mai 1949, en tombant dans un piège piqué de bambous en septembre 1949 et par l’explosion d’une grenade piégée en décembre de la même année. Première expérience de la guerre, ce séjour indochinois marquera à jamais le jeune sergent Grillot. De retour en France en 1951, il est promu sergent-chef et prépare le concours de l’école spéciale militaire interarmes qu’il intègre en 1953 au sein de la promotion « Ceux de Diên Biên Phu ». Promu sous-lieutenant, il choisit l’arme de la cavalerie. Toutefois, c’est avec le 151e régiment d’infanterie motorisé qu’il embarque en 1955 pour l’Algérie. Nouveau territoire, nouvelle guerre, mais il retrouve un peu de ce qu’il a connu en Indochine. Voulant mettre à profit son expérience, il croise le colonel Bigeard à qui il demande de rejoindre son unité, le 3e régiment de parachutistes coloniaux.

Les combats sont rudes, l’adversaire organisé et déterminé. Il est de nouveau blessé par balle en 1956 dans le secteur des Aurès, alors qu’il donnait l’assaut sur une position tenue par des rebelles retranchés. La gravité de la blessure impose un retour en France. Un peu moins de six mois de convalescence, une promotion au grade de lieutenant et il repart pour l’Algérie au début de l’année 1957 et ne reviendra qu’en 1962. Il est identifié par le colonel Bigeard pour créer un commando de chasse particulier, composé uniquement d’anciens fellaghas recrutés parmi les prisonniers. Son expérience indochinoise, sa certitude que la victoire passe par la population, sa connaissance des hommes et sa dévotion la plus totale à la mission en font le candidat idéal. Son commando portera son nom : le commando Georges. Il le dit lui-même, la guerre, c’est la misère. La devise du commando est trouvée : « Chasser la misère ».

Exigeant avec ses hommes comme avec lui-même, il sait que seule l’excellence, sans être une garantie, permet de vaincre. Son commandement est marqué par le souci porté à ses hommes et par la foi qu’il a en eux. Il teste d’ailleurs leur loyauté en mettant sa vie en jeu. Il s’endort au bivouac avec les prisonniers tout juste libérés et recrutés, sans arme à portée de main. Au réveil, il est vivant : la confiance est établie. Les combats sont permanents, de jour comme de nuit. Il faut aller au contact, débusquer l’adversaire tout en protégeant la population pour lui permettre de mieux vivre. Il est sincèrement attaché à l’Algérie mais la situation se dégrade. Certains de ses hommes sont assassinés, lui-même échappe de peu à une tentative d’assassinat. Il essaiera jusqu’à la fin de sauver son commando ; seuls quelques-uns rentreront avec lui.

Il est maintenant capitaine et de retour en France, il retrouve la cavalerie mais pour peu de temps. Il s’est imposé en faisant la guerre autrement et c’est donc naturellement qu’il rejoint les services spéciaux au sein du bataillon des parachutistes de choc. Il passera ensuite par l’école de cavalerie à Saumur où il sera promu chef d’escadrons avant d’être affecté au 12e régiment de cuirassiers. Lieutenant-colonel en 1973, il prend le commandement du 3e régiment de hussards à Pforzheim de 1975 à 1977. Quel symbole que de lui rendre hommage devant l’étendard de l’unité qu’il a commandée ! Quel symbole pour les jeunes soldats sur les rangs que de pouvoir se nourrir de l’exemple d’un chef aussi audacieux. Promu colonel en 1978, il achèvera sa carrière en commandant le service action du Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage, le SDECE, ancêtre de la DGSE. La devise du service : « Ad augusta per angusta », « vers les sommets par des chemins étroits », résumé parfait de la carrière du général Grillot.

Il est promu général de brigade en juin 1982 et quitte le service actif six mois plus tard. Son engagement se poursuit, en faveur de la jeunesse, en assurant la direction de la fondation des Orphelins d’Auteuil et en créant une association au profit des enfants défavorisés du Liban. En écrivant aussi un livre au titre évocateur, « Mourir pour la France ? ». Homme de la terre, c’est pour elle qu’il s’est battu, le plus souvent à des milliers de kilomètres de son Morvan natal. Chef proche de ses hommes, c’est aussi pour eux qu’il s’est battu avec cette « parcelle d’amour » dont parlait Lyautey.

Des rizières d’Indochine au djebel algérien, son engagement a été total. Celui de sa famille aussi. Son épouse Gisèle, qui s’est éteinte en 2009 et ses deux filles, Sylvianne et Sylvie, ont partagé cet engagement sans l’avoir choisi. Soyez-en remerciées. Nous rendons aussi hommage à un pensionnaire qui vivait au sein de l’institution des Invalides depuis 2015, lieu créé pour la guérison et le repos des soldats. Il a terminé ses jours entouré des soins du personnel de l’institution, ainsi que des bénévoles, que je remercie pour leur dévouement.

Mon général, cité 18 fois, grand-croix de la Légion d’honneur et de l’ordre national du Mérite, médaillé militaire, titulaire de la croix de guerre des Théâtres d’opérations extérieurs et de la croix de la Valeur militaire, les honneurs sont à la hauteur de votre engagement inconditionnel pour la France. Aussi discret au quotidien que meneur d’hommes intrépide au combat, vous avez marqué ceux qui vous ont croisé. Comme écrit dans une de vos citations, « indicatif Georges, un nom, une légende », c’est pour vous qu’aujourd’hui, le drapeau qui flotte au-dessus de la cour d’honneur est en berne, rappelant ainsi à tous que l’hôtel national des Invalides dit adieu à l’un de ses illustres pensionnaires. Nous allons maintenant vous faire honneur dans le silence de la cour des Invalides.

Paris, le jeudi 18 juillet 2024.




Hommage au général Georges GRILLOT (1926-2024)

Le général Georges Grillot, Grand-Croix de la Légion d’Honneur et titulaire de la Médaille militaire, est décédé en 2024, le jour de ses 98 ans. Sa carrière exemplaire s’est notamment distinguée par la création du Commando Georges en Algérie, ses actions au sein de la DGSE, et son dévouement continu envers les harkis et diverses œuvres caritatives jusqu’à la fin de sa vie.

Sous-officier à Cherchell en 1947, gravement blessé au combat en Indochine, Georges Grillot entre à l’école militaire Interarmes (EMIA) en 1953, médaillé militaire et titulaire de cinq citations dont deux à l’ordre de l’Armée.

A la sortie de l’Ecole d’application de l’arme blindée cavalerie en 1955, il est affecté en Algérie au 3e RPIMA sous les ordres du Lieutenant-colonel Bigeard et crée alors le célèbre « Commando Georges », composé uniquement de harkis (combattants Nord Africains). Le commando « Georges » s’illustra pendant 3 ans dans des opérations périlleuses particulièrement réussies, s’attirant l’estime et la reconnaissance de tous grâce à sa devise  « Chasser la misère ». Son but était de ramener la paix au plus tôt. A son apogée, il atteint 259 personnes. 30 perdront la vie lors des combats de 1959 à 1962.

Le Lieutenant Georges Grillot poursuivra une brillante carrière militaire. Chef du service « action « de la DGSE, lieutenant-colonel, il commanda en second, en 1973, le 12e régiment de cuirassiers en Allemagne (Dauphin Cavalerie) où j’eus l’honneur de servir sous ses ordres puis fut chef de corps du 3e régiment de hussards.  Il termina sa carrière, général de brigade, Grand-Croix de La Légion d’Honneur, médaille militaire, titulaire de cinq blessures et 18 citations. Tous ses subordonnés conservent le souvenir de son panache et de son courage, son esprit non conventionnel, sa capacité de conviction, de décision et d’audace. Un chef apprécié par ses hommes. Pensionnaire de l’Institution Nationale des Invalides, il supporta vaillamment les dures années de fin de vie.

Le général Grillot, en 2e section, consacra son énergie :

  • à la commune de Vauclaix dans la Nièvre dont il fut maire.
  • à l’association « Souvenir du commando Georges » dont le but est de soutenir les harkis.
  • à l’œuvre « Une lumière au Levant » au service de la francophonie au Liban en distribuant du matériel pédagogique et des livres en français dans les écoles de toutes confessions.
  • à sa paroisse du 16e arrondissement.

Toujours attentif au sort des harkis, il développa une intense action en leur faveur, notamment pour leur reconversion. Ses efforts furent couronnés de succès le 25 septembre 2001 lorsque le président de la République, Jacques Chirac, institua la « journée Nationale des Harkis » et reconnu la responsabilité de la France dans leur abandon, sur place, après l’indépendance de l’Algérie. 70 000 furent assassinés !!

Le général Grillot est l’auteur du fameux ouvrage :
«  Mourir pour la France » éditions économica (ISBN 2-7178-3787-6).

Qu’il repose dans la paix du Seigneur au milieu de ces chers harkis !

Par : CES (h) René Jeannin-Naltet
Délégué régional de l’AASSDN

Le commando Georges

Créé en 1959 à Saïda (Algérie) par le lieutenant Georges GRILLOT, sous les ordres du Lieutenant-Colonel BIGEARD, le commando Georges est composé uniquement de harkis (combattants Nord Africains). A son apogée, fort de 259 personnes, il se spécialisa dans la contre-insurection en retournant les membres du FLN qu’il avait pu faire prisonniers. Le Commando « Georges » s’illustra pendant 3 ans dans des opérations périlleuses particulièrement réussies, s’attirant l’estime et la reconnaissance de tous grâce à sa devise « Chasser la misère ». (cf.écusson). Son but était de ramener au plus tôt la paix.

En 1962, après l’indépendance, tous les commandos restés volontairement en Algérie, seront assassinés !! Seuls 34 viendront en France dont le Lieutenant Youssef Ben Brahim qui, lui, sera assassiné en Dordogne le 27 juillet 1968.

La promotion de juin 2010 de l’Ecole d’Application de l’Infanterie à Montpellier porte le nom « Lieutenant Youssef Ben Brahim « ainsi qu’une salle de formation de l’école à Draguignan.

On ne peut, sans émotion, relire l’ordre du jour n° 3 du colonel commandant le secteur de SAÏDA, 13e division d’Infanterie et Z.SO :

« Créé par un acte de foi, bâti sur la confiance, cimenté par l’idéal d’une France et d’une Algérie unies dans la fraternité, le commando Georges disparaît aujourd’hui, n’ayant plus sa place dans un climat ou la haine et le désespoir l’emportent.

Symbole vivant, il a, par de lourds sacrifices des meilleurs des siens, payé sa fidélité inébranlable à la ligne de conduite tracée par son fondateur le colonel Bigeard. Son nom demeurera parmi les combattants d’Algérie, uni à son chef, le capitaine Grillot, comme un rare exemple de vaillance et un témoignage éclatant de la générosité dans le don et le pardon.

Un jour viendra où sa devise s’imposera après l’épreuve, et où Français et Algériens se retrouveront unis pourChasser la misère

Le colonel MAIRE, commandant le secteur de SAÏDA ; 28 avril 1962.

A lire :

  • « Commando Georges « par le Général R.GAGET ; éditions Jacques Grancher (juin 1990)
  • « Mourir pour la France «  par le Général Georges Grillot ; éditions économica (janvier 1999)



Orban en Chine : Négociations pour un cessez-le-feu en Ukraine

En Juillet 2024, une visite en Chine a été conclue par Viktor Orban, Premier ministre hongrois et président de l’Union européenne, afin de promouvoir un cessez-le-feu en Ukraine et d’ouvrir des négociations de paix. Cette initiative s’inscrit dans une série de démarches diplomatiques entreprises pour tenter de résoudre le conflit, malgré les réticences de l’Occident et la complexité des positions des belligérants.

Avis AASSDN : Une analyse claire et argumentée sur les démarches de Victor Orban en vue de la recherche d’un cessez le feu dans le conflit en Ukraine. Elle tient compte notamment la situation militaire tactique sur le front russo-ukrainien et sur la perspective éventuelle d’emploi de l’arme nucléaire tactique par la Russie en cas d’attaques dans la profondeur du territoire russe par des armes de longue portée fournies par les pays de l’OTAN.

Le 8 juillet 2024, Viktor Orban, Premier ministre hongrois et président de l’Union européenne jusqu’en décembre, a conclu une visite en Chine. Cette “mission 3.0” visait à discuter d’un potentiel cessez-le-feu en Ukraine et de négociations de paix. Orban avait auparavant rencontré les présidents ukrainien et russe, Vladimir Poutine ayant déjà montré une ouverture limitée aux négociations. Cependant, Zelensky reste déterminé à poursuivre la guerre.

Orban prône une résistance immédiate sans capituler, comme le conseille le Pape. Il doute de l’efficacité de l’aide prochaine de l’OTAN et craint que l’utilisation d’armes occidentales par l’Ukraine n’entraîne une escalade dangereuse. La Chine, avec son plan de paix en douze points publié en 2023, pourrait jouer un rôle clé. Bien que ce plan ait été initialement rejeté par les soutiens de l’Ukraine, il propose des bases pour des négociations concrètes.

Orban, agissant seul, espère apaiser les tensions en Ukraine et critique l’Occident pour son soutien continu à la guerre, estimant que la victoire de l’Ukraine est improbable. Son initiative est perçue négativement par l’OTAN et l’Union européenne, mais il persiste, prévoyant même une rencontre avec Donald Trump en Floride.

En conclusion, Orban appelle à un cessez-le-feu immédiat et sans conditions, sous la supervision d’une commission d’armistice de l’ONU, excluant les pays directement ou indirectement impliqués dans le conflit.

Auteur : général (2s) Daniel Schaeffer,
membre du groupe Asie21-Futuribles,
ancien attaché de défense en Thaïlande, Vietnam et Chine




    Lancement de SouvTech Invest, une plateforme de financement participatif dédiée à la Défense

    L’industrie de défense nécessite des capitaux importants pour pouvoir se développer et ainsi mettre au point ses nouveaux projets. La plateforme SouvTech Invest a l’ambition de devenir l’un des outils de ces financements. Entretien avec Pierre-Elie Frossard. 

    Commentaire AASSDN : On peut être très dubitatif sur l’idée de développer des fonds participatifs en matière de défense. Les projets d’armements ont deux caractéristiques qui demeurent : ce sont des projets de très long terme et leur financement est assuré actuellement exclusivement par des fonds publics étatiques ou européens.

    La rentabilité des fonds investis dans la défense est toujours aléatoire et complètement dépendante du politique. Pour un investisseur privé il est beaucoup moins risqué de placer des fonds dans des activités civiles à cycle court qui peuvent rapporter très vite des dividendes intéressants. Investir dans la défense stricto sensu ne peut être rentable que si des dispositifs fiscaux très favorables rendent la rentabilité probable à une échéance comparable à celles des activités civils (typiquement, 2 à 3 ans), si toutefois la législation européenne et la pression des ONG  n’y font pas trop obstacle. A partir de là plusieurs stratégies financières peuvent être utilisées si toutefois la législation européenne n’y fait pas trop obstacle.

    Bien entendu cela peut passer pour des activités duales, mais ce sont les débouchés civils qui seront premiers et la défense devient une retombée.

    Parler actuellement d’économie de guerre n’est pas très sérieux pour l’instant. Pendant les 2 Guerres Mondiales, on a réquisitionné les industries de production pour faire du matériel de guerre. (Michelin, par exemple, fabriquait des bombardiers et Renault des chars !). On en est loin aujourd’hui et on ne peut pas le regretter. Il s’agit simplement de recréer des capacités qu’on avait supprimé au nom des dividendes de la paix, comme par exemple recréer des capacités de fabrication d’obus.  Mais le financement de ces nouvelles capacités, ne pourra être « privatisé » que si les Etats ou l’Europe donnent des garanties suffisantes de rentabilité pour rassurer le monde de la finance…

    C’est donc bien le niveau politique qui peut seul agir si on veut réellement aller dans cette voie …

    SouvTech Invest est une plateforme de financement participatif lancée par Vauban Finance, un cabinet de conseil spécialisé dans l’industrie de la défense, cofondé par des professionnels expérimentés de grands groupes comme MBDA et Nexter, ainsi qu’un ancien banquier. Cette initiative vise à résoudre les difficultés de financement bancaire rencontrées par les entreprises de la base industrielle de technologie et de défense (BITD).

    La plateforme cible principalement deux types d’entreprises :

    1. Startups pour soutenir l’innovation.
    2. PME/ETI pour la réindustrialisation.

    Les investisseurs peuvent choisir entre deux formes d’engagement :

    • En fonds propres (equity) : acheter des parts d’entreprises, visant surtout l’innovation.
    • En produits de dette : prêter de l’argent aux entreprises contre des intérêts, utilisé principalement pour la réindustrialisation.

    Le lancement de SouvTech Invest coïncide avec un changement de paradigme en France, notamment depuis l’invasion de l’Ukraine en février 2022, qui a sensibilisé le public à l’importance d’une économie de guerre. Cette initiative permet aux Français d’investir directement dans le secteur de la défense, offrant des opportunités financières et patriotiques.

    La France possède une industrie de défense diversifiée et technologiquement avancée, couvrant tous les besoins des forces armées. Cependant, elle doit renforcer ses alliances européennes pour concurrencer les matériels américains souvent préférés par les partenaires de l’OTAN.

    Les principaux concurrents de l’industrie française sont la Corée du Sud, la Turquie et la Chine, dont les équipements sont de plus en plus compétitifs. Un avantage clé pour la France est l’utilisation éprouvée de ses équipements au combat, permettant des améliorations continues basées sur des retours d’expérience.

    SouvTech Invest se concentre sur la réindustrialisation et l’innovation technologique, soutenant les startups dans des domaines comme l’intelligence artificielle, le quantique, la cybersécurité, les nouveaux matériaux, et le New Space. L’objectif est de compléter le financement existant et d’encourager les citoyens à investir dans des projets de souveraineté nationale, contribuant à la protection et à la sécurité du pays.

    Cette plateforme propose donc une alternative complémentaire au système de financement actuel, permettant aux Français de s’investir directement dans la défense nationale par le biais de financements participatifs, apportant une nouvelle dimension à la protection du pays et au soutien de son industrie de défense.




    Capacité de projection en Indopacifique : l’armée lance la mission Pégase 2024

    Dans la continuité des projections réalisées en 2021 et 2022, l’armée de l’Air et de l’Espace se déploie de nouveau dans le Pacifique avec 19 aéronefs : 10 Rafale, 5 A330 MRTT Phénix et 4 A400M Atlas.

    Commentaire AASSDN : Avec Pégase 2024, l’armée de l’Air et de l’Espace démontre ses capacités de projection de puissance en Indopacifique. Les Rafale avec leur soutien logistique ne mettront que quelques jours pour rejoindre les forces françaises de souveraineté déployées en permanence dans le Pacifique et dans l’Océan Indien.

    La Nouvelle-Calédonie, la Polynésie et la Réunion constituent de véritables porte-avions capables d’accueillir non seulement des Rafale mais aussi des avions cargos et ravitailleurs susceptibles de renforcer les forces présentes sur place et des bâtiments de la Marine nationale.

    Il est apparu indispensable d’accroitre le nombre d’A400 M (25 avions-cargos) et de ravitailleurs (12 MRTT A 330 Phénix) dont dispose l’armée de l’Air et de l’Espace. Cet exercice est une démonstration de la capacité de protection de nos compatriotes ultra-marins et de dissuasion de la France dans ce vaste espace stratégique Indopacifique où notre pays possède plus de 50% de sa zone économique exclusive (ZEE).
    Rappelons que les DROM – COM représentent une superficie terrestre de 120 000 km2 et de 11 millions de km2 d’espace maritime (ZEE).

    Pendant plus d’un mois (du 27 juin au 15 août 2024), avions de chasse, ravitailleurs et transporteurs français participeront à plusieurs exercices interalliés et réaliseront des escales valorisées en Corée du Sud, Japon, Indonésie, Qatar et Djibouti. Nation riveraine et souveraine de l’Indopacifique, la France démontre sa capacité à protéger sa population et ses intérêts dans la zone par des déploiements réguliers.




    “La Résistance au service de Sa Majesté” : un film d’espionnage révèle le rôle méconnu du SOE Britannique

    Le 8 août prochain à 21h45, Arte diffusera un documentaire captivant intitulé “La Résistance au service de Sa Majesté”. Réalisé par Cécile Coolen et co-écrit avec Olivier Wieviorka, ce film plonge les spectateurs dans les coulisses méconnues de la Seconde Guerre mondiale.

    Commentaire AASSDN : Le délégué Paris-Ile de France s’est rendu au musée de la Légion d’honneur le mercredi 12 juin à l’invitation de Madame Cécile Coolen, amie de l’AASSDN qui présentait dans le cadre d’une projection privée son dernier documentaire sur le SOE : ”La Résistance, au service de Sa Majesté”. Madame Cécile Coolen est une réalisatrice et chef monteuse de plus de 100 films reconnus dans les festivals internationaux, spécialisée dans les documentaires d’archives, en particulier sur les services de renseignement en temps de guerre. Le documentaire d’une durée d’un heure présentait les différents mouvements de Résistance et les acteurs en Europe occupée, France, Belgique, Danemark, Yougoslavie et Grèce soutenus par le SOE.

    Ce documentaire monté à partir d’archives peu ou même inconnues était particulièrement intéressant même si la réalisatrice pour une question de longueur a été dans l’obligation de faire l’impasse, notamment sur la mise en place du premier réseau de résistance en France occupée par le BCRA avec le soutien des Anglais et l’accord du général de Gaulle (Mission Savanna du capitaine Berger et Joël Le Tac en 1941).

    Le délégué a aussi exprimé ses réserves auprès de la réalisatrice quant à la présentation de la résistance yougoslave uniquement centrée sur les partisans communistes du maréchal Broz Tito et omettant complètement le rôle et la place de la résistance royaliste incarné par le colonel Draza Mihailovic (décoré de la Croix de guerre par le général de Gaulle). Une cinquantaine d’invités se sont retrouvés à l’issue de la projection autour d’un verre et ont été en mesure d’échanger avec la réalisatrice. De Jean-Marc Montaron, Membre de l’AASSDN

    Le SOE, un service secret méconnu

    Dans l’imaginaire collectif, la Résistance est souvent associée à des groupes de partisans agissant seuls contre l’occupant nazi. Pourtant, dans de nombreux pays sous tutelle, ces réseaux clandestins ont été mobilisés, organisés et financés par un service secret britannique, le SOE (Special Operations Executive). Le documentaire explore le rôle central de cette agence et révèle comment elle a entraîné et parachuté des agents spécialement formés sur leur terre natale, notamment en France, en Belgique, en Norvège, au Danemark, en Italie et en Grèce.

    Des agents au profil inattendu

    Pour raconter cette histoire méconnue en France, la réalisatrice Cécile Coolen a choisi de mêler le genre du film d’espionnage à une dimension humaine profonde. Les opérations du SOE reposaient sur des agents aux profils inattendus, tels qu’un étudiant en droit idéaliste, une femme au caractère bien trempé, un aventurier amoureux ou encore un diplomate proche de Churchill. Elle a retracé leurs parcours dans un récit tout en archives, grâce à leurs dossiers récemment déclassifiés, et aux témoignages de leurs familles, qui lui ont confié des photographies inédites issues de leurs albums personnels.

    Une stratégie complexe pour Churchill

    Le film explore également la stratégie de Winston Churchill à l’échelle du continent européen. Si le Premier ministre britannique a sincèrement œuvré à la libération de l’Europe du joug nazi, il n’a pas hésité à s’immiscer dans les politiques intérieures des pays où le SOE était actif. Cette double perspective, entre défense de la liberté des peuples et intérêts stratégiques, a souvent donné lieu à des résultats contrastés, façonnant ainsi l’après-guerre pour le meilleur et pour le pire.

    Un récit haletant et bouleversant

    À travers des images rares, “La Résistance au service de Sa Majesté” offre un récit haletant qui bouscule l’imaginaire collectif sur la Seconde Guerre mondiale. Cécile Coolen, ancienne chef monteuse récompensée dans de nombreux festivals internationaux, signe ici son premier film en tant que réalisatrice, alliant son expertise du montage à sa passion pour l’histoire.

    Le documentaire “La Résistance au service de Sa Majesté”, réalisé par Cécile Coolen et co-écrit avec Olivier Wieviorka, offre un regard inédit sur le rôle essentiel joué par les services secrets britanniques pendant la Seconde Guerre mondiale. En explorant les opérations du SOE et en mettant en lumière des agents méconnus de la Résistance, ce film captivant révèle une facette peu connue de l’histoire de la guerre.
    Ne manquez pas la diffusion de ce récit bouleversant le 8 août à 21h45 sur Arte.

    Auteur : Jérémie Raude-Leroy




    Etats-Unis–Russie : puisqu’il faut parler d’escalade…

    Depuis le dimanche 23 juin 2024, tout s’est aggravé très vite entre les Etats-Unis et la Russie – mais il y avait des signes annonciateurs – des nuées qui s’accumulaient sans bruit. Avec des conséquences aussi sur la position d’Emmanuel Macron, passées ici inaperçues. Regardons les faits.

    Commentaire AASSDN : Une analyse soigneusement argumentée et très pertinente sur la montée des risques d’embrasement et d’extension territoriale du conflit russo-ukrainien.

    « L’administration Biden s’apprête à lever l’interdiction de facto imposée aux prestataires militaires américains de se déployer en Ukraine, ont indiqué à CNN quatre responsables américains au fait de la question, afin d’aider l’armée du pays à entretenir et à réparer les systèmes d’armement fournis par les Etats-Unis » (1).

    La chaine américaine CNN en détaillait le 25 juin, les raisons. « Les discussions font suite à une série de décisions prises par les États-Unis ces derniers mois pour tenter d’aider l’Ukraine à repousser les Russes. Fin mai, M. Biden a autorisé l’Ukraine à frapper des cibles à l’intérieur de la Russie, près de la frontière avec la ville ukrainienne de Kharkov, avec des armes américaines – une demande que les États-Unis avaient refusée à plusieurs reprises par le passé. La semaine dernière, cette politique a semblé s’étendre une fois de plus, lorsque le conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, a déclaré que l’Ukraine pouvait contre-attaquer avec des armes américaines n’importe où le long de la frontière entre l’Ukraine et la Russie » – ce que Politico, qui suit l’actualité du Congrès à Washington, confirmait (2).

    Puis tout s’est précipité en quelques jours.

    Le résultat de l’autorisation américaine donnée aux Ukrainiens ne s’est pas fait attendre avec l’attaque le 23 juin, jour de la Pentecôte orthodoxe, de cinq missiles américains ATACMS équipés d’ogives à sous-munitions lancés par l’armée ukrainienne sur des plages, au nord de la ville de Sébastopol, en Crimée. Aucune cible militaire n’a été touchée. « Quatre missiles auraient été abattus par la défense russe, mais l’ogive d’un autre a explosé en l’air au-dessus de la plage, son épave et les sous-munitions ont frappé les civils » explique Anthony Marcus, correspondant pour Eurasia Business News (3). « Initialement, le bilan provisoire était de quatre personnes tuées, dont deux enfants, comme l’indique le ministère de la Santé. Le nombre de victimes blessées suite à ces frappes est passé à 144, dont 83 sont pris en charge dans les hôpitaux de Sébastopol (56 adultes et 27 enfants) puis à 153 victimes (données du 25 juin). Plusieurs enfants ont été envoyés à l’Hôpital pour enfants de Moscou, pour y recevoir des soins intensifs. Au moins cinq enfants ont été placés en réanimation ».

    Peu d’échos dans la presse des deux côtés de l’Atlantique – mais, remarque le Canberra Times australien (4), « des responsables russes ont déclaré que le conflit entrait dans l’escalade la plus dangereuse à ce jour ».  

    Officiels dont le porte-parole du Kremlin, Dimitri Peskov. « “Bien entendu, l’implication des États-Unis dans les combats, qui entraînent la mort de Russes pacifiques, ne peut qu’avoir des conséquences”, a-t-il dit ». Ceci sachant que les Ukrainiens ne peuvent mettre en œuvre seuls lesdits missiles, installation et désignation des cibles. Dans le même temps, Sergueï Lavrov « a convoqué l’ambassadrice des États-Unis, Lynne Tracy, et lui a dit que Washington “menait une guerre hybride contre la Russie et était en fait devenu partie au conflit” » (4). Quelqu’un a dû entendre le sérieux de l’avertissement à Washington puisque, pour la première fois depuis plus d’un an, – le 15 mars 2023 exactement – le secrétaire à la Défense américain, Lloyd Austin, a appelé le 25 juin son homologue russe, Andreï Belousov, le récent successeur de Sergueï Choïgou (5) – annonce du Pentagone. Officiellement pour garder ouvertes des voies de communication. Et les informations sur le contenu réel de la conversation sont rares.

    Rares et contradictoires, note un ancien sous-secrétaire adjoint à la défense, Stephen Bryen (6). Par exemple ? « Des blogueurs russes ont rapporté que les Russes avaient abattu un drone américain Global Hawk au-dessus de la mer Noire. Cependant, les États-Unis ont déclaré que leur drone supposé être impliqué dans le ciblage (des plages de Sébastopol), identifié comme un RQ-4 Global Hawk, était retourné sain et sauf à Sigonella (Sicile) ». Stephen Bryen note encore que « les informations russes ne concernent pas le maintien des communications (entre Washington et Moscou). Les Russes rapportent que Belousov et Austin ont “échangé des points de vue sur la situation en Ukraine”. Selon le ministère russe de la défense, M. Belousov “a souligné le danger d’une nouvelle escalade de la situation liée à la fourniture continue d’armes américaines aux forces armées ukrainiennes”.  Le ministère a également indiqué que “d’autres questions ont également été abordées” ».

    C’est que, rappelle Stephen Bryen, les incidents graves se sont multipliés qui touchent à la sécurité de la Russie. 

    « Avant l’attaque de la Crimée, l’Ukraine a lancé deux attaques de drones contre des stations radar stratégiques russes d’alerte précoce. Ces attaques auraient nécessité une aide au ciblage de la part des États-Unis et de l’OTAN, y compris des tactiques d’évasion pour éviter les défenses aériennes russes. Contrairement aux États-Unis, qui disposent de capacités d’alerte rapide par satellite, les Russes dépendent de radars terrestres capables d’alerter les défenses aériennes conçues pour intercepter les missiles balistiques ». On sait qu’une station a été touchée, sans en connaître la gravité. Et encore ? « Le même jour que l’attaque sur la plage de Sébastopol (23 juin), quatre missiles ATACMS ont été tirés sur la base radar NIP-16 du centre de communications spatiales à longue portée, à Vitino, en Crimée. “Le NIP-16 était destiné à accueillir le complexe de communication avec l’espace lointain Pluton, qui pouvait maintenir le contact avec des engins spatiaux jusqu’à une distance de 300 millions de kilomètres ». Enfin, « Le 26 juin, le lendemain de l’appel d’Austin, l’armée ukrainienne a bombardé une station de surveillance des radiations près de la centrale nucléaire de Zaporozhye, la plus grande installation de ce type en Europe. L’attaque visait une station de surveillance située à Velikaya Znamenka, un village situé à environ 15 km à l’ouest de la centrale nucléaire. La station de surveillance a été détruite lors de l’attaque ».

    La situation inquiète aussi l’ancien ambassadeur britannique Alastair Crooke

    On le sait, dit-il, Vladimir Poutine a proposé le 14 juin, en même temps que se tenait la « conférence pour la paix » en Suisse, près de Lucerne, sa solution pour mettre un terme à la guerre en Ukraine. Il a rejeté clairement « les dispositifs tels que les “cessez-le-feu” ou les “gels”. Il recherche quelque chose de permanent : Un arrangement qui a des “jambes solides”, qui est durable ». Pensait-il qu’il serait entendu à Washington ? « Pour être clair, Poutine ne s’attendait certainement pas à ce que ses propositions soient accueillies en Occident autrement que par le mépris et la dérision dont elles ont fait l’objet ». Pourquoi ce mépris ?

    La raison en est, pour notre ambassadeur, que « les Etats-Unis, dans leur état d’esprit, sont restés bloqués à l’époque de la guerre froide, dans les années 1970 et 1980 ». On en trouve les fondements dès 1992 dans la doctrine Wolfowitz (8) qui « soulignait la suprématie américaine à tout prix dans un monde post-soviétique, ainsi que “l’élimination des rivaux, où qu’ils se trouvent” ». Et le successeur de la puissante URSS « n’était pas son égal et n’était donc pas considéré comme suffisamment important pour être impliqué dans le processus décisionnel mondial ». Sauf que « la Russie est aujourd’hui un acteur mondial de premier plan, tant sur le plan économique que politique. Pourtant, pour la strate dirigeante des États-Unis, il est hors de question d’accorder un statut égal à Moscou et à Washington ».

    Un acteur russe de plus certain que « le monde ne sera plus jamais le même » avec la disparition du système de sécurité euro-atlantique. Et que seule une architecture de sécurité tenant compte des intérêts de chacun (« le Rimland et le Heartland dans un langage à la Mackinder* ») peut amener une paix durable. « Et pour être clair », ajoute Alastair Crooke, « si cette analyse est correcte, la Russie n’est peut-être pas si pressée de conclure les affaires en Ukraine. La perspective d’une telle négociation “globale” entre la Russie, la Chine et les États-Unis est encore lointaine ». Que peut-elle faire ? Laisser passer l’été et attendre l’après 5 novembre ? Avec le risque, d’escalade en escalade, de l’utilisation du nucléaire ? Les Américains pensent que Poutine bluffe.

    Pourtant leurs « chiffres mettent en avant le risque d’un échange nucléaire. S’ils pensent qu’il s’agit d’un bluff, c’est parce qu’ils présument que la Russie n’a pas beaucoup d’autres options ».

    Ce serait une erreur, affirme Alastair Crooke. « La Russie peut franchir plusieurs étapes dans l’escalade, avant d’atteindre le stade de l’arme nucléaire tactique : contre-attaque commerciale et financière ; fourniture symétrique d’armement avancé à des adversaires occidentaux (correspondant aux livraisons américaines à l’Ukraine) ; coupure de la distribution d’électricité en provenance de Pologne, de Slovaquie, de Hongrie et de Roumanie ; frappes sur les passages frontaliers de munitions ; et s’inspirer des Houthis qui ont abattu plusieurs drones américains sophistiqués et coûteux, mettant hors service l’infrastructure de renseignement, de surveillance et de reconnaissance (ISR) de l’Amérique » – toutes choses que nous avons, ici, en effet observées.

    La gravité de la situation serait-elle apparue à l’Elysée ?

    Notamment avec l’annonce de troupes de mercenaires américains au sol – mercenaires plutôt que soldats réguliers, Joe Biden ne souhaitant simplement pas voir revenir des body bags dans les familles aux Etats-Unis ? Parce que TASS annonçait dès le 24 juin que « la France n’enverrait pas de soldats en Ukraine dans un avenir prévisible » (9). Et que de plus, Emmanuel Macron souhaitait « poursuivre le dialogue avec Vladimir Poutine (10). Ce à quoi le Kremlin répondait le même jour « qu’aucune condition n’est nécessaire pour relancer le dialogue entre la Russie et la France » (11). Nous n’avons pas plus d’explications. Nous posons des faits.  

    « Nous marchons vers la guerre comme des somnambules » écrivait Henri Guaino le 12 mai dernier pour le Figaro. La voix de la France peut-elle encore compter ?

    Hélène NOUAILLE

    Rimland et Heartland carte

    Notes :

    (1) CNN, le 25 juin 2024, Natasha Bertrand et Oren Liebermann, Ukraine: Biden administration moving towards allowing American military contractors to deploy to country
    https://edition.cnn.com/2024/06/25/politics/biden-administration-american-military-contractors-ukraine/index.html 

    (2) Politico, le 20 juin 2024, Laura Seligman, US says Ukraine can hit inside Russia ‘anywhere’ its forces attack across the border
    https://www.politico.com/news/2024/06/20/us-says-ukraine-can-hit-inside-russia-anywhere-00164261

    (3) Eurasia Business News, le 23 juin 2024, Crimée :  attaque de missiles américains ATACMS à Sébastopol, 153 victimes
    https://eurasiabusinessnews.com/2024/06/23/crimee-attaque-de-missiles-americains-atacms-a-sebastopol-144-victimes/ 

    (4) The Canberra Times, le 24 juin 2024, Russia swears retaliation against US for Ukraine strike
    https://www.canberratimes.com.au/story/8673816/russia-swears-retaliation-against-us-for-ukraine-strike/

    (5) TASS, le 25 juin 2024, US defense secretary speaks over phone with Russian defense minister — Pentagon
    https://tass.com/world/1808411 

    (6) Weapons and Strategy, le 27 juin 2024, Stephen Bryen, Why Did US SECDEF Austin Call Russian Defense Minister Belousov ?
    https://weapons.substack.com/p/why-did-us-secdef-austin-call-russian

     (7) Strategic Culture, le 24 juin 2024, Alastair Crooke, Putin’s “war” to re-shape the American Zeitgeist
    https://strategic-culture.su/news/2024/06/24/putins-war-to-re-shape-the-american-zeitgeist/ 

    (8) The New York Times, le 8 mars 1992, Excerpts From Pentagon’s Plan: ‘Prevent the Re-Emergence of a New Rival’
    https://www.nytimes.com/1992/03/08/world/excerpts-from-pentagon-s-plan-prevent-the-re-emergence-of-a-new-rival.html

     (9) TASS, le 24 juin 2024, France not to send troops to fight in Ukraine in near future – Macron
    https://tass.com/world/1807781 

    (10) TASS, le 25 juin 2024, Macron says ready for dialogue with Putin
    https://tass.com/world/1807855 

    (11) TASS, le 25 juin 2024, Kremlin says no conditions needed to revive Russia-France dialogue
    https://tass.com/politics/1808141