Pierre ORDIONI : “Tout commence a Alger”

Sous le titre « Tout commence à ALGER », notre camarade Pierre ORDIONI a publié en Novembre 1972, aux Editions STOCK, un ouvrage d’une importance exceptionnelle. Il s’agit du témoignage capital d’un homme que ses fonctions successives de Directeur de Cabinet du Préfet d’Alger de 1940 à 1942 et de Chef de la Délégation de l’Algérie de Novembre 1942 à Juin 1943, ont placé au coeur même du drame qui se jouera en Afrique du Nord entre 1940 et 1944 et dont les prolongements seront la rébellion de SETIF en Mai 1945, et les événements tragiques de 1954 à 1962.-




Etions nous renseignes en mai 1940 ? -bulletin n 20 -1958

Dans nos 3 derniers BULLETINS, nous avons publié sur les SERVICES SPÉCIAUX une étude historique dont nos lecteurs ont, sans peine, identifié l’auteur : le plus qualifié en cette délicate matière – nous devrions même écrire le seul -, le Général RIVET. Notre Président d’Honneur a fait apparaître notamment dans notre n° 19 que l’action des SERVICES SPECIAUX (SR. et C.E.) s’était révélée décisive a la veille de la 2ème guerre mondiale.Nous croyons indispensable, aujourd’hui, de démontrer l’oeuvre de Renseignement accomplie magistralement par nos Services jusqu’en 1940.Nous avons donc demandé, une fois de plus, au Général RIVET, de nous autoriser à publier l’étude qu’il a rédigée sur ce sujet.




1939 : La mobilisation des services speciaux militaires

Depuis le 9 juin 1939, nous savions par un message spécial de ” Notre agent chez Hitler (1)” que la fin août serait décisive.La volonté du Führer d’attaquer la Pologne, en plein accord avec l’U.R.S.S., était inébranlable. Son plan démoniaque, exposé en secret à la Chancellerie du Reich le 5 novembre 1937 et révélé dès le lendemain à nos Services par H.T. Schmidt, se développait. Implacable.

Le 29 septembre 1938, à Münich, en prétendant sauver la paix par le sacrifice de la Tchécoslovaquie leur alliée, Français et Anglais avaient en réalité offert à l’Allemagne le délai supplémentaire indispensable pour parfaire une puissance jugée en 1938 insuffisante par le Grand État-major de la Wehrmacht.




Le Contre espionage francais et l’ Abwehr dans les pays neutres-bulletin n46-1965

Nos services avaient constaté, dès le début de 1938, une recrudescence de l’activité des espions allemands en France, tant par les aveux détaillés des agents ennemis arrêtés que par nos propres agents de pénétration en contact étroit avec le SR allemand du Nord et du Sud. Nous étions ainsi au courant des préoccupations du gouvernement et du haut commandement allemand. L’adversaire voulait savoir quelle serait la réaction du gouvernement français en face des projets successifs d’expansion territoriale allemande (le nouveau « Drang nach Osten ») , l’état de l’aviation militaire, de l’arme blindée française et l’ordre de bataille des troupes derrière la ligne Maginot après le rappel des réservistes (suppression des permissions et mobilisation partielle ou totale).

Fin 1938, après l’affaire des Sudètes et avant l’occupation totale de la Tchécoslovaquie en mars 1939, les questions-mires du SR allemand se firent encore plus pressants dans ces domaines.




Le Contre espionnage français entre 1936 et 1940 par le General Guy Schlesser

Guy Schlesser décrit comment la France, devenue un “Paradis de l’espionnage” en 1936, a subi des activités d’espionnage intensives. La France, accueillant généreusement les réfugiés sans filtrage efficace, a vu ses informations militaires compromises par la presse et les agents étrangers, facilitant le recrutement d’espions. Malgré les efforts pour protéger ses secrets militaires, la France était vulnérable, aggravée par la légèreté des peines pour trahison. Schlesser, connaissant les faiblesses de la France en matière de contre-espionnage, a proposé des réformes pour renforcer la défense nationale. Il critique la passivité des autorités françaises face à l’espionnage, soulignant l’urgence d’une action plus déterminée pour protéger la sécurité nationale.

– I – LES FAITS

Que la France ait été, en 1936, le pays béni, le “Paradis de l’espionnage “, je conçois qu’on s’en indigne. Mais qu’on s’en étonne ? Il est des naïvetés qui vraiment ne sont pas permises. Il suffisait en toute objectivité de constater et de réfléchir.

Pour obéir aux lois d’une traditionnelle hospitalité, la France, par ses frontières largement ouvertes, accueillait trop généreusement et pratiquement sans formalités tous les suspects du monde entier, tous les escrocs d’envergure, tous les expulsés de toujours et de partout que des postes, ses ” cribles ” aux frontières, insuffisants en nombre et souvent en qualité, étaient incapables de filtrer et que sa police spéciale, débordée par tant d’autres occupations, était impuissante à surveiller.

Peut-on s’étonner que dans les rangs de cette armée de sans travail internationaux, les services de renseignements étrangers aient, avec une extrême facilité, recruté leurs innombrables agents après les avoir déguisés en réfugiés politiques ?

Leur coupable activité était orientée par les précieuses et redoutables indiscrétions de la presse française, cette presse à l’affût du secret militaire et qui en discutait publiquement pour le seul bénéfice des S.R. étrangers.
J’ai souvent dit que les journaux français – inconsciemment, j’en suis assuré – étaient les meilleurs agents des services étrangers, les meilleurs et d’ailleurs les moins chers.
Pour une centaine de francs par an – le prix d’un abonnement à ” La France Militaire ” – les états-majors étrangers recueillaient des précisions d’ordre militaire que le S.R. français ne parvenait à rassembler que contre de lourdes sommes et après de longs efforts. Bien mieux, cette documentation, abondante et pour ainsi dire gratuite, n’exigeait même pas de recoupement : elle était officielle.
Peut-on s’étonner que les agents de l’étranger aient, sans effort, brodé sur un canevas déjà très complet !

Accueillis chapeau bas à la frontière et narguant une police dont l’impuissance était proverbiale outre-Rhin, ces soldats de l’étranger mettaient au pillage le secret militaire, notre secret national mal surveillé et insuffisamment gardé. D’autant moins bien gardé que le Français, imprudemment confiant dans la loyauté de ceux qu’il avait la générosité d’accueillir, n’avait jamais eu la volonté de se défendre.
Aussi bien, les cambriolages devenaient inutiles. Pouvait-on vraiment s’en étonner ? Comment aurait-il pu en être autrement aussi longtemps que les états-majors, les corps, les services, ne disposaient – pour enfermer leurs secrets – que de mauvaises armoires en bois blanc barricadées, si on peut dire, de méchants cadenas achetés en série à ” Uniprix “.

Je ne pouvais, hélas, pas ignorer l’infériorité de notre défense. Je savais trop bien que le S.R. français et les S.R. étrangers ne luttaient pas à armes égales. Pour avoir exercé, de 1932 à 1934, les fonctions de Chef de la Section allemande du S.R., je connaissais mieux que quiconque les invraisemblables difficultés auxquelles nous nous heurtions lorsque nous cherchions à apprendre, au delà du Rhin, ce qui était indispensable à notre état-major. Nous étions, au seuil de frontières imperméables, devant un système impénétrable; de l’autre côté, tout était difficile, tout était pratiquement impossible. Chez nous, au contraire, tout était possible, tout était tellement facile, que nous en avons tout de suite exprimé notre indignation.
Cette indignation, un diptyque de faits, de chiffres comparés, l’illustrera avec plus d’éloquence.

S’est-on douté, par exemple, en France, que la main-d’oeuvre étrangère employée sur nos chantiers de fortifications ou dans nos usines travaillant pour la Défense Nationale, atteignait et dépassait, pour certains départements – je précise : la Meurthe-&-Moselle – la proportion de 45% ?

Sait-on que, de l’autre côté du Rhin, un Allemand 100%, Allemand, aryen pur sang, dont toute la famille habitait l’Allemagne, mais dont un parent proche avait émigré, se voyait refuser l’autorisation de travailler sur un chantier de fortifications ?

Voilà pour les travailleurs étrangers. Les oisifs, les chômeurs que nous entretenions à grands frais n’étaient pas moins redoutables.

S’est-on douté qu’il y avait à Paris, le 1er Juillet 1937, 16.987 Allemands ? Il y avait à Berlin, à la même date, moins de 500 Français, et il était tout de même plus facile de – surveiller ces 500 Français, d’ailleurs parfaitement inoffensifs puisqu’ils appartenaient pour la plupart aux familles de notre Ambassade, que ces quelques 17.000 Allemands lâchés en liberté sur le trottoir parisien.

Puisqu’il est question d’Ambassade, sait-on que les sièges diplomatiques allemands n’utilisaient à l’étranger que du personnel allemand, 100% allemand et aryen pur sang. C’était logique et naturel.

Et dans les Ambassades et Consulats français ? dira-t-on. Sans doute le Français n’aimait pas s’expatrier. On pouvait cependant espérer que quelques postes de chauffeurs, huissiers, téléphonistes, concierges, étaient confiés à de bons Français; or, tous les postes d’employés subalternes étaient tenus par du personnel autochtone, qui ne pouvait pas ne pas être acheté.

Un exemple encore : l’annuaire des officiers de l’armée active, cette pièce maîtresse de la documentation sur une armée étrangère, était dans presque tous les pays du monde un document secret.
Le même document se vendait en France dans toutes les bonnes librairies.

Enfin, un dernier exemple, et celui-là le plus douloureux à n’en pas douter. Qu’on imagine un Français, assez lâche pour trahir sa Patrie ! Concrétisons : qu’un Français ait mis au pillage le coffre-fort du Général Chef d’E.M. Général de l’Armée française et qu’il en ait livré le contenu à un service de renseignements ennemi. A condition que ce Français ait été pris la main dans le sac, il risquait de lui en coûter au maximum cinq petites années de prison. Depuis 1934, la peine avait été portée à un maximum de vingt années; sans doute était-ce mieux ! Mais de l’autre côté du Rhin, c’était la MORT pour, simple suspicion d’espionnage et à une cadence d’ailleurs effrayant.

J’avais le devoir de rappeler cette situation en toute objectivité et sans aucun esprit de critique pour mieux faire comprendre les difficultés considérables auxquelles se heurtait, dans son activité, le S.R. français.

– II – LES CAUSES

Mais il ne suffisait pas de constater et de se lamenter. Il fallait d’abord déterminer les causes de la carence de services dont, en 1936, j’allais prendre la direction, les déterminer et les classer : elles étaient d’ordre matériel et d’ordre moral.

a)- Les causes d’ordre matériel –

Le contre-espionnage n’était pas organisé; ou plutôt il était organisé pour une période qui correspondait à l’inertie des services étrangers, la période de l’après-guerre. Que cette organisation léthargique, ou mieux cette inorganisation, ait vécu plus de quinze ans malgré la menace qui, chaque jour, s’affirmait, c’est bien ce qui paraît le plus surprenant.
– Jusqu’en 1936, le contre-espionnage qui dépendait en temps de paix du Ministère de l’Intérieur, était confié à des fonctionnaires de la Sûreté qui portaient le titre de Commissaires Spéciaux, chefs de secteur de contre-espionnage. On aurait pu imaginer, à l’énoncé de ce titre, que le contre-espionnage était pour le moins leur tâche essentielle. Or ces fonctionnaires – qui d’ailleurs ne chômaient pas – faisaient de tout, exactement de tout, sauf du contre-espionnage. Ils étaient une sorte de ” bonne à tout faire ” à la ” botte ” des Préfets qui les employaient, plus que jamais d’ailleurs pendant cette période de troubles sociaux, à des fins de politique intérieure. De contre-espionnage ils ne s’occupaient, de leur propre aveu, que lorsqu’ils en avaient le temps, à leurs instants de loisir. Et comme ils étaient notés par les Préfets qui seuls réglaient leur avancement, il était logique, il était humain surtout, qu’ils fassent passer en dernière urgence des questions qui, si elles ne sont pas spécifiquement militaires, sont en tout cas de Défense Nationale et n’atteignent qu’ indirectement les intérêts départementaux. Sur les 136 commissaires spéciaux chefs de secteurs de contre-espionnage, une quinzaine au maximum, plus consciencieux ou mieux doués, s’intéressaient à ce qui ne leur paraissait être qu’une partie négligeable de leur mission.
– Ils étaient 136 à se partager le territoire de la métropole; ils régnaient donc chacun sur 1/136° de la France et c’est un domaine infiniment trop étroit pour des affaires d’espionnage qui, par définition, ont leur origine .à l’étranger et qui s’enchevêtrent sur le territoire national. Il n’est pas rare qu’une piste découverte à TOULON, mène à BREST pour aboutir à LILLE.
Enfin, puisque l’espionnage vise essentiellement le secret militaire, il eût été logique d’espérer une possibilité de collaboration de l’autorité civile et de l’autorité militaire : elle était à peu près inexistante. Certaine affaire retentissante, vieille de 40 ans et dont le spectre était périodiquement agité, paralysait dans l’Armée les meilleures volontés.

b)- Les causes d’ordre moral –

Et puis, il était d’autres causes et celles-là d’ordre moral. Si le rendement en matière de contre-espionnage était jusqu’en 1936 ridiculement dérisoire, c’est que l’apathie était généralisée à tous les échelons, l’apathie, cette morne veulerie qui envahit, qui intoxique les armées victorieuses au risque d’engourdir leur cerveau, de paralyser leurs muscles et de les rendre impuissantes : l’armée française, pillée jusque dans ses oeuvres vives, n’avait même plus le courage de se défendre.
L’intolérable faiblesse des juges militaires est un des signes les plus frappants de cette période de lâcheté : les accusés bénéficiaient d’une scandaleuse indulgence.

C’était aussi le fait de je ne sais quel scepticisme élégant et goguenard qui se refusait à prendre le danger au sérieux. En France, on ne voulait pas croire à l’espionnage. On ne voulait pas croire que l’espionnage est autre chose qu’un sujet de film facile ou de roman policier. On ne voulait pas croire que l’espionnage est une réalité tragique contre laquelle il faut lutter, il faut s’organiser pour lutter. On ne voulait pas croire que des Français, des militaires français trahissaient leur pays. Et cependant si on avait su le nombre grandissant de ceux qu’à partir de l’année 1936 nous avons fait arrêter et condamner, l’opinion aurait été profondément bouleversée et, avec nous, douloureusement émue.

Aussi bien, étions-nous tous d’accord, tous ceux qui comme moi se penchaient sur ce problème du contre-espionnage, pour affirmer : ” Il faut que cela change “.

– III – LES REMEDES

Avoir défini les causes, c’était en même temps préciser les remèdes : dans l’ordre matériel, il fallait organiser, organiser pour POUVOIR. Et, dans l’ordre moral, il fallait VOULOIR; il n’était que de vouloir. On a souvent attribué nos succès au renforcement des effectifs. A la vérité, il fut infime. Et, d’ailleurs, il ne s’agissait pas tant d’augmenter le personnel d’un organisme désuet. Ce qui importait, avant tout, c’était d’en changer l’esprit, c’était de transformer toutes les méthodes pour aboutir à une réorganisation totale.

a )- Les remèdes d’ordre matériel –

En plein accord avec le Ministre de l’Intérieur, nous avons estimé qu’il fallait assurer l’indépendance et la spécialisation des organismes de contre-espionnage et leur décentralisation en les jumelant avec les autorités militaires dont les attributions devraient être nettement précisées.
Tout en maintenant l’activité des commissaires spéciaux, le Ministère de l’Intérieur décida de créer des fonctionnaires – en nombre réduit d’ailleurs (10 commissaires, 20 inspecteurs) – dont le seul rôle était de traiter les questions de contre-espionnage. Pour les distinguer des commissaires spéciaux chefs de secteurs de contre-espionnage, ils portaient le titre de commissaires de la surveillance du Territoire. Indépendants des Préfets, ils relevaient directement d’un organisme central à Paris, le Contrôle Général de la Surveillance du Territoire.
En plein accord avec le Ministre de l’Intérieur, nous avons obtenu d’élargir leur horizon. Leur secteur, ou pour mieux dire leur ” terrain de chasse “, correspondait à une ou à deux régions militaires. Et, pour affirmer cette liaison avec l’autorité militaire, nous les avons, toujours en plein accord avec le Ministère de l’Intérieur, placés immédiatement à côté du Général commandant la Région. Ainsi avons-nous, pour reprendre le terme militaire, ” jumelé les postes de commandement “.
Enfin, parce que nous étions dans la situation d’un homme rempli de bonne volonté qui, devant cent leviers de commande, n’a que deux bras pour les manipuler, nous avons demandé aux Généraux Commandants de Région Militaire une collaboration plus active. Auprès d’eux, nous avons placé un organisme qui devait prendre tout son développement en temps de guerre, le “B.C.R.” (Bureau de Centralisation des Renseignements) qui, dans chaque corps ou service, avait ses antennes, les officiers de contre-espionnage. Leur rôle était sans doute de recueillir les renseignements de contre-espionnage de leurs unités,et d’assurer, en liaison avec la S.N., la protection des points sensibles. Ils étaient enfin – c’était une réforme capitale – chargés d’assurer, sous la haute direction des Généraux commandants les Régions, l’instruction des troupes et des services en matière de contre-espionnage.

Et, puisque nous avions augmenté le nombre des rouages de ce nouvel organisme, il était nécessaire, pour éviter les chocs, les heurts, les frictions, de préciser les attributions respectives de chacun. Dès 1937, des textes approuvés par les divers Ministères, consacraient les réformes essentielles.
Le Ministère de l’Intérieur décrétait la spécialisation et le jumelage avec les Services de la Défense Nationale. L’Etat-Major de l’Armée définissait ses attributions, et réglementait l’instruction en matière de contre-espionnage.
Le 10 Février 1939, un texte interministériel soudait l’ensemble et en prolongeait, dans le cadre des lois, l’action pour le temps de guerre. Enfin, – ce n’était pas le moindre succès après deux ans de lutte – il attribuait officiellement à S.C.R. la direction unique des services du contre-espionnage de tous les Ministères de la Défense Nationale.
La réorganisation, désormais effective et consacrée par des textes législatifs n’aurait pas pleinement atteint son but, si un effort n’avait pas été parallèlement consenti sur le plan de la répression. Pour couronner l’ensemble de l’édifice, le décret-loi de Juin 1938 punissait de la peine capitale le crime d’espionnage.

Ainsi, en moins de deux années, avait été forgé, grâce à un labeur incessant, l’outil indispensable aux services du contre-espionnage.

b )- Les remèdes d’ordre moral –

Une organisation théoriquement, schématiquement parfaite, n’a de valeur que si elle est ” animée “, au sens étymologique du mot, c’est-à-dire si elle est parcourue d’un souffle de vie puissant.
L’articulation des services du contre-espionnage, si harmonieuse qu’elle fût, ne pouvait raisonnablement jouer que si une entente absolue, une commune volonté de réalisation en soudait tous les organes.
Dans d’autres pays, il suffisait au Chef du contre-espionnage d’appuyer sur un bouton : tous les habitants d’un village étaient immédiatement arrêtés, et vingt ou trente d’entre eux, sur un ordre verbal, passés par les armes. Je ne souhaitais pas un pouvoir aussi absolu. Dieu merci ! la France s’honorera toujours d’avoir su rester un pays de liberté.
Mais il faut bien comprendre que le Ministère de la Guerre, qui était le plus directement visé par l’espionnage étranger, n’avait pas le pouvoir de donner un ordre. A une hiérarchie impossible, il était donc nécessaire de substituer la liaison, et non pas la liaison par papier, qui est une liaison sans valeur, une liaison sans chaleur, une liaison morte, mais la liaison d’homme à homme, une liaison vivante, la liaison des coeurs, avec tous ses bénéfices.
Ce que nous voulions, c’était, en parfait accord avec les Services civils, déclarer la guerre à l’apathie, à l’inertie, à la veulerie, qui ruinaient nos efforts. Nous étions contre les impuissants, contre les timorés, contre ceux qui de désespoir levaient les bras au ciel, contre ceux qu’Aristote appelait ” les malheureux sur la route des : hélas “. Nous étions, nous, pour ceux qui veulent, pour ceux qui croient. Il était temps que, dans tous les services du contre-espionnage, le fonctionnaire, si ponctuel qu’il fut, cédât enfin la place à un chasseur, un chasseur passionné de son métier, qui avait le devoir d’être à l’affût de jour et de nuit, un chasseur qui avait dans son métier la foi qui soulève les montagnes, un chasseur mettant au service d’une volonté froide une lucide intelligence et dont la qualité essentielle devait être l’enthousiasme.
C’est dans cet esprit que nous avons essayé de réorganiser les Services du Contre-espionnage français. C’est dans cet esprit que nous avons demandé la collaboration de tous ceux, et ils étaient innombrables, qui pouvaient nous aider, de tous ceux qui, avec nous, pensaient que l’espionnage est la plus honteuse des trahisons et le plus grand crime contre la Patrie.


– IV – LES RESULTATS

La réorganisation du contre-espionnage a valu aux services français d’indiscutables résultats. Ils sont matérialisés par des chiffres et des graphiques. Ils ont été officiellement reconnus par le Ministre de la Défense Nationale ainsi que par le Général commandant en Chef, avoués par le S.R. allemand,et l’Intelligence Service a demandé, en termes émouvants, à s’inspirer des méthodes que nous avions expérimentées.
Le rendement des services français était d’autant plus remarquable qu’ils disposaient d’un personnel réduit et de fonds insignifiants.

Toutes les demandes de renforcement des moyens ont toujours abouti à un constant refus. Elles n’étaient cependant que trop justifiées : l’épuration indispensable a exigé un effort inlassable qui trop souvent a été contrarié par ceux qui ne voulaient pas se rendre à l’évidence.
Une campagne de conférences et de propagande par affiches, entreprise sans moyens financiers, avait invité l’Armée à une véritable croisade contre l’espionnage. Mais, malgré les succès qu’elle enregistra, elle ne réussit ni à convaincre ceux qui ne voulaient pas croire, ni à briser l’hostilité manifeste de certains Ministères.

En particulier, le Ministère des Affaires Etrangères – qui avait sans doute d’autres soucis – s’affirma l’irréductible adversaire de toutes les mesures indispensables qui auraient permis l’assainissement du pays.

Malgré les demandes qui avaient été formulées dès la fin de 1936 pour que le personnel fut remplacé, dans tous les Consulats et Ambassades, par des Français; malgré les ordres envoyés en 1938 par la présidence du Conseil, l’opération de nettoyage n’était pas encore commencée lorsque j’ai eu la bonne fortune de prouver, à temps, que les codes les plus secrets avaient été livrés aux services adverses.

Les expulsions d’indésirables n’étaient pas exécutées et les naturalisations injustifiées se multipliaient contre le gré de mes services.

L’invasion de la France par des ” touristes ” suspects, à qui était souvent délivré frauduleusement un passeport diplomatique, était tolérée, malgré les pressantes recommandations des Ministères de l’Intérieur et de la Guerre.

Les arrestations d’étrangers étaient régulièrement critiquées ou plus simplement interdites.

Enfin l’activité d’espionnage (ou nuisible aux intérêts de la Défense Nationale) des Ambassades et des Consulats étrangers était vainement signalée au Quai d’Orsay.
Il eut fallu réagir par des mesures de rétorsion que le Ministère des Affaires Etrangères se refusait à envisager.

Au contraire, le Ministère de l’Intérieur a mené loyalement avec les services de la Défense Nationale une lutte sans merci aux agents de l’étranger. Il a, sur notre demande, renforcé les commissariats de surveillance du territoire et les relations les plus cordiales ont assuré la meilleure collaboration de ses fonctionnaires et de mes officiers. Il ne faut d’ailleurs pas oublier que si, directement visés par la redoutable menace de l’espionnage étranger, nous avions l’ambition d’animer la lutte, la responsabilité en appartenait au Ministère de l’Intérieur jusqu’à la mobilisation et nous lui en laissions volontiers le bénéfice moral. C’est dans cet esprit que M. DALADIER écrivait, sur notre demande, à son collègue de l’Intérieur, le 19 Août 1937 la lettre ci-après :

————————————————————————————————————-
MINISTERE DE LA DEFENSE NATIONALE
ET DE LA GUERRE REPUBLIQUE FRANCAISE
Etat-Major de l’Armée

2° Bureau Paris , le 19 août 1937
Section de Centralisation
des Renseignements
N° 5544 2 – S.C.R.
B.M.A.

Le MINISTRE de la DEFENSE NATIONALE et de la GUERRE

à
Monsieur le MINISTRE de l’INTERIEUR
– Cabinet –

L’E’tat-Major de l’Armée a fait établir par son service de Renseignements le bilan des résultats obtenus par la Sûreté Nationale, dans le domaine du contre-espionnage au cours du Premier semestre 1937.
Le nombre des arrestations opérées pour infraction à la Loi du 26 Janvier 1934, est sans précédent et dépasse toute attente. En particulier, l’offensive prise par la Sûreté Nationale, en collaboration avec la Section de contre-espionnage du Service des Renseignements contre les entreprises des services Allemands en France, a porté un coup sensible à ces derniers : elle a permis de les démasquer, de les situer et d’éliminer leurs principaux agents.

Ces brillants résultats sont dus par dessus tout au magnifique allant, à la science et au dévouement apportés par les fonctionnaires du Contrôle Général de la Surveillance du Territoire sous la haute direction de Monsieur CASTAING, à la poursuite d’un des buts essentiels de la Défense Nationale.
Ils ont été rendus possibles par l’opportune réorganisation des services de contre-espionnage et par l’adaptation résolue de méthodes de travail nouvelles à l’audace croissante et aux procédés modernisés des Services Etrangers.

Il m’est particulièrement agréable de porter à votre connaissance l’extrême satisfaction que ces constatations m’ont procurée, et je vous serais reconnaissant de bien vouloir en transmettre l’expression très vive aux fonctionnaires de la Sûreté Nationale collaborant avec les Services spéciaux de mon Département.
Signé : DALADIER

————————————————————————————————————-

C’est en temps de guerre que sont nées les véritables difficultés : elles dépassaient à la vérité le cadre de nos attributions puisqu’elles atteignaient directement, en la diminuant, l’autorité des Généraux commandant de Région qui étaient privés, par la volonté du Gouvernement, d’une partie de leurs moyens. Leur collaboration a été généralement difficile avec les Préfets, qui, maîtres en temps de paix de leur département, n’estimaient pas nécessaire de se dépouiller de leurs pouvoirs de police comme le voulait la Loi de 1849. ” L’assouplissement ” de l’état de siège prescrit par le Gouvernement a entravé l’action des Commandants de Région, qui paraissent avoir, dès le début d’une guerre sans opérations, été soupçonnés d’abuser de leur toute puissance conférée par la Loi.

Il ne faut pas oublier non plus que la lutte contre les agissements du parti communiste, dans l’Armée et même en temps de guerre, n’appartenait plus, depuis 1934, aux services du contre-espionnage de l’Etat-Major de l’Armée. Seul le Cabinet du Ministre était qualifié pour en traiter avec le Ministère de l’Intérieur.
Aussi bien, si le territoire national avait été, à la veille de la guerre, soigneusement expurgé, il n’est pas douteux que les services allemands, italiens et russes purent ” injecter ” de nouveaux agents dès les premiers jours de la mobilisation A plusieurs reprises, j’ai protesté contre ces facilités qui leur étaient maintenues et que justifiait, aux yeux des autorités civiles , la forme inattendue de la guerre. Néanmoins, la lutte contre leurs agissements a été fructueuse et les arrestations si nombreuses en 1940 que les entreprises de l’espionnage et du sabotage ont été beaucoup plus limitées que pendant la guerre de 1914-1918.
On a beaucoup parlé, il est vrai, au cours des opérations, de l’intense activité d’une ” cinquième colonne “. A la vérité, parachutistes et cinquième colonne en France n’ont été qu’une des armes les plus utiles de la propagande allemande. Ainsi pendant les huit premiers mois de la guerre, on a fait croire en France- que le “traître de Stuttgart” était si bien renseigné qu’il annonçait aux auditeurs les détails les plus précis de leur vie quotidienne. Cette psychose collective devenait inquiétante au point que le Service a dû élever une protestation auprès du Cabinet du Ministre.
La propagande allemande qui s’attaquait au moral ne réussissait que trop bien à faire douter les Français d’eux-mêmes. Son succès indéniable n’était possible dans un pays de froide raison, la patrie de Descartes et de Pascal, que parce que vingt années d’après guerre avaient dangereusement désaxé les esprits. Il avait été soigneusement préparé par l’effritement quotidien du moral que des publications de toute nature, des conférences, des mots d’ordre, avaient systématiquement entretenu.

Si l’espionnage avait des objectifs précis, la propagande étrangère, infiniment perfide, n’avait pas moins bien défini ses buts. Petite cousine de l’espionnage, elle a été aidée, dans son action sournoise, par certains Français, trop nombreux hélas ! dont le snobisme exigeait qu’ils fussent plus internationaux que patriotes. Mal armés pour une lutte contre ce mal redoutable qui était en marge de leur activité, mes services ont établi et transmis les dossiers édifiants de certains agents français de cette propagande criminelle, ceux-là mêmes qui furent jugés pour trahison après 1945 et que nous avions démasqués avant la guerre. Mais notre cri d’alarme avait été mal entendu ! Trop de personnages puissants risquaient alors d’être compromis et, dans une société où il était de bon ton de flirter avec tout ce qui n’était pas Français pur sang, il était malaisé d’apporter la preuve de leurs agissements intéressés. La décomposition du moral français, hâtée par la propagande étrangère, à la veille de la guerre, a été une des causes essentielles de la défaite.

Dans un climat aussi peu favorable, la lutte contre la trahison ne pouvait qu’être difficile : la France, pendant de trop longues années, avait été un véritable laboratoire d’espionnage.
Il n’était cependant que de vouloir : à la veille du conflit la réorganisation du contre-espionnage avait rendu le Pays plus sain et plus propre. A l’armistice, les Allemands – cependant tout puissants – ne parvinrent pas à briser l’outil que nous avions forgé : souple et solide, entre les mains d’une équipe merveilleusement dynamique, il devait être assez adroitement manié pour que, malgré tant de difficultés, une lutte impitoyable soit victorieusement poursuivie contre tous les agissements de l’ennemi jusqu’au moment tant attendu où sera libéré notre ” clair pays de France “.




Les services speciaux dans l’appareil defensif du pays -bulletin n 19 -1958

On nous a posé un jour cette question : Qu’avez-vous su de l’Allemagne entre les deux guerres ?
La question est mal posée : demandez-nous plutôt ce que nous n’avons pas su. Voici un bilan du SERVICE.

Nous avons noté précédemment qu’avec l’arrivée de Hitler au pouvoir, l’acquisition du ” renseignement ” a posé des problèmes qui sont allés s’aggravant. Mais l’appareil de ” recherche “, accroché aux centres vitaux de la force allemande, résiste et poursuit son office.

Il en résulte que la reconstitution de l’armée allemande, son rythme et ses formes vont être observées à souhait. Nous saurons ce qu’Hitler va mettre en action dans ses coups de force successifs. Et à chaque effort qu’il fera pour accomplir une nouvelle étape dans la réalisation de ses plans, le S.R. français sera en mesure d’annoncer à notre Etat-Major, l’objectif, les moyens et la date approximative (parfois précise) de l’opération projetée. (Quand? Contre qui? Avec quoi?)




Organisation des Services Spéciaux français en 1939

Au cours du Congrès 1973 à Paris, les Anciens des Services Spéciaux membres de l’Amicale effectuent un ultime pèlerinage au 2 bis. Avenue de Tourville, pour les locaux du P.C. du Service de Renseignement et de Contre-Espionnage de 1932 à 1940, avant que les bâtiments du 2 bis ne disparaissent.

Bref rappel historique à propos du Service de Renseignement et de Contre-Espionnage Français.
C’est en 1932 que ce Service a quitté son ancien P.C. au 175, rue de l’Université pour s’installer au 2 bis de l’Avenue de Tourville

L’ organisation du Service a la veille de la guerre de 1939 :

Au rez-de-chaussée :
Le Chef de Service : Colonel RIVET et son Adjoint : Lieutenant-Colonel MALRAISON.
Administration : Colonel BERGEAT, puis Commandant MARANDEY.

Sections Géographiques du S.R. :
Section Allemagne : Commandant PERRUCHE, puis Commandant NAVARRE, Capitaines GASSER, BURLEREAU, MERCIER.
Section U.R.S.S. : Commandant JOSSE, M. DELIMARSKI.
Section Midi : Commandant CURET, Capitaine LE TROTTER.
Section « NEMO »: Capitaine CAZIN D’HONONCTUN, Lieutenant LOCHARD.
Section M.G./Avia :
Branche M.G. : Commandant BROCHU, Lieutenant POITOU.
Branche Avia : Commandant FERRAND, puis Lieutenant-Colonel RONIN.

Au ler Etage :
Le Contre-Espionnage (S.C.R.) :
Chef : Commandant SCHLESSER. et son Adjoint : Capitaine PAILLOLE.
Section Allemande : Capitaine BONNEFOUS, Lieutenants ABTEY et DARBOU.
Section Italienne : Capitaines OLLE LAPRUNE, et BRUN.
Section « Sécurité » : Capitaine DEVAUX
Points Sensibles : Capitaine POMMIES.
Encres sympathiques : DEVAUX (Daniel). Capitaine ARNAUD.

Section « Menées Révolutionnaires »
Commandant SERRE, Capitaine JACQUOT.
(Cette Section sera détachée au Cabinet du Ministre de la Guerre )

Le Chiffre :
Commandant BERTRAND.

Courriers extérieurs :
Le P.C. du 2 bis actionnait 7 Postes sur le territoire national et de nombreux Postes à l’étranger (Attachés militaires adjoints). Les Postes sur le territoire national étaient :

Le Poste de LILLE ou Bureau d’Etudes du Nord-Est (BENE). Chef : Commandant DARBOU. Adjoint : Capitaine BERNIER. Officier C.E. : Capitaine BERTRAND.
En 1939, ce Poste allait être renforcé par plusieurs Officiers dont le Lieutenant-Colonel Robert DUMAS, auteur de la série des « Capitaine BENOIT » et le Lieutenant RIGAUD.

Le Poste de METZ ou Bureau d’Etudes Régionales Militaires (B.R.E.M.). Chef : Colonel MANGES, puis Colonel KUNMUNCH. Adjoint : Commandant du CREST de VILLENEUVE.
S.R. : Capitaine LAFON. C.E. : Lieutenant DOUDOT, M. KLEIN.

Le Poste de BELFORT ou Service des Communications Militaires ( S.C.M. ).
Chef : Commandant LOMBARD. Adjoint : Capitaine SEROT.
C.E. : Capitaine HUGON, M. JOURDEUIL.

MARSEILLE
Chef : Commandant BARBARO.
C.E. : Capitaine GUIRAUD- (Georges HENRY).
Antenne de Nice : Capitaine GALLIZIA.

TOULOUSE (créé en 1937).
Chef : Commandant LULLE DES JARDINS.
C.E. : Capitaine d’HOFFELIZE (DOBRE).

ALGER
Chef : Commandant DELOR.

TUNIS
Chef : Commandant NIEL.

Les Renseignements collectés par le « 2 bis » étaient transmis pour exportation au 2em Bureau de l’E.M.A. dont le Chef était le Colonel GAUCHE, avec comme Adjoint le Commandant BARIL et comme Chef de la Section Allemande le Capitaine CAROLET.

_________________

Au cours de la Guerre de 1939- 40, un certain nombre de changements devaient intervenir et notamment le repli du Poste de METZ sur Paris et la création d’un P.C. avancé dit P.C. Victor à GRETZ (Seine-et-Marne) afin de se rapprocher du Q.G. du T.O. Nord-Est du Général GEORGES.

Le Président National rappelle ensuite les grandes lignes de l’évolution de nos Services après la débâcle de Juin 1940 :
– La décision du Colonel RIVET de poursuivre la lutte après l’Armistice ;
– La mise en place dès le 1er Juillet 1940 des postes clandestins S. R. et T.R. ;
– La création en Octobre des B.M.A. avec leur aspect officiel et leur rôle de couverture, de protection et de fournisseur des postes clandestins. A ce propos, le Colonel PAILLOLE s’élève une fois de plus contre toutes les idées fausses ou malveillantes qui ont encore cours de nos jours sur le rôle joué par les B.M.A., y compris même dans une récente interview de M. Henri FRENAY dont le remarquable livre « La Nuit finira » rend pourtant très objectivement hommage à l’action de nos Services.

Le 24 Août 1942, le Service M.A, est dissous et remplacé par un « Service de Sécurité Militaire » dont le Commandant PAILLOLE prend la direction, cependant que le Commandant LAFON alias VERNEUIL lui succède à la tête du T.R.
Ce sigle S.S.M. est maintenu lorsque le Colonel RIVET recrée à ALGER, après les événements de Novembre 1942, le P.C. du Service sous la nouvelle appellation de D.S.R.-S.M., le S.R. étant coiffé par le Colonel du CREST de VILLENEUVE et le S.S.M, par le Colonel CHRETIEN, en attendant que le Commandant PAILLOLE rejoigne l’Afrique du Nord au début de Janvier 1943:

Puis s’ouvre malheureusement, en marge du conflit GIRAUD – de GAULLE, une guerre des Services entre le D.S.R.-S.M. et le B.C.R.A. Le Général GIRAUD confie au Général RONIN la Direction des Services Spéciaux, D.S.S., puis en Septembre 1943, un compromis intervient avec la nomination à la tête d’une nouvelle Direction coiffant la D.S.R.-S.M. et le B.C.R.A., du Général de Division Aérienne COCHET. Ce dernier démissionne le 20 Novembre 1943.

Enfin, le 27 Novembre 1943, c’est la création d’une Direction Générale des Services Spéciaux D.G.S.S. avec à sa tête M. Jacques SOUSTELLE, candidat du B.C.R.A.

A partir de ce moment débute l’absorption de l’ancien S.R. par le B.C.R.A. avec comme conséquences le départ du Colonel RIVET, promu Général le 13 Avril 1944, du Colonel du CREST de VILLENEUVE et d’autres officiers.

Le S.S.M. subsiste néanmoins, participe comme tel à la Libération, grâce en particulier au S.S.M. Précurseur monté en France par le Colonel NAVARRE, et ne sera touchée qu’en Novembre 1944.

A ce moment intervient une nouvelle réorganisation d’inspiration politique. Le Service de Sécurité Militaire est scindé en deux, cependant que le Colonel PAILLOLE démissionne :

– La S.M. proprement dite confiée au Colonel LABADIE se trouve rattachée au Ministère de la Guerre ;
– Une Direction des Services de Documentation, avec à sa tête le Colonel CHRETIEN, est maintenue au sein de la D.G.E.R. (organisme qui a succédé à la D.G.S.S.).

La nouvelle S.M. s’installe d’abord Boulevard Haussmann, dans un immeuble réquisitionné ; elle ira plus tard réoccuper les locaux du 2 bis Avenue de Tourville et aura à sa tête le Colonel SEROT, avant que celui-ci ne parte pour le Moyen-Orient où, le 18 Septembre 1948, il tombera aux côtés du Comte Bernadotte sous les balles des tueurs du Groupe Stern.


Le Colonel PAILLOLE rappelle brièvement les fondements de base du fonctionnement des Services Spéciaux avant et pendant la Guerre de 1939-1945.

Avant la guerre, le Décret Ministériel de Février 1938 fixait les attributions respectives en matière de sécurité du Ministère de la Guerre et du Ministère de l’Intérieur.
– Le Ministère de la Guerre avait à sa charge la recherche du Renseignement et le Contre- Espionnage hors des frontières du territoire national.
– Le Ministère de l’Intérieur avait les mêmes attributions sur le territoire national, d’où la création d’un Service spécialisé dit de « Surveillance du Territoire » avec à sa tête le Contrôleur Général CASTAING ….

En temps de guerre, les attributions respectives de l’autorité militaire et de l’autorité civile étaient régies par la Loi de 1889 sur l’Etat de Siège. L’Autorité Militaire étant investie des devoirs de police, un certain nombre de bureaux spécialisés (B.C.R.) devaient être créés sur le territoire utilisant le concours de la Police par voie de réquisition.

Au cours de la Guerre 1939-1940, le Territoire fut divisé en 2 zones : la zone des Armées et la zone de l’Intérieur, avec des juridictions différentes.

 

…, Après avoir évoqué la situation spéciale de la zone non occupée de l’Armistice de 1940 à Novembre 1942, le Colonel PAILLOLE s’arrête plus longuement sur le cas de l’A.F.N. au lendemain du débarquement allié.

Dans cette partie du territoire national ayant pleinement recouvré sa souveraineté et érigée en « Zone des Armées », l’Autorité Militaire avait les devoirs de police qu’il incombait à la D.S.M. de mettre en application.
Le terrain avait déjà été préparé dès 1940 sous le « proconsulat » du Général WEYGAND grâce au Colonel CHRETIEN et au Colonel NAVARRE, Chef du 2e Bureau. Toutefois, il y avait encore de nombreuses lacunes dues en particulier à l’absence des Services Centraux.

Implantée à Alger, la D.S.M. est devenue rapidement un Service très important, à la fois en Afrique du Nord et en Métropole occupée, grâce au S.S.M. Précurseur du Colonel NAVARRE. C’est ce qui a permis d’obtenir des Alliés que la sécurité sur le territoire national incombe à la Libération à l’Autorité Française.




Les services avant guerre 1921-1925- n 81- 1973

NOS SERVICES AVANT GUERRE : LA MAISON 1921-1925
par le Général MERSON

Commentaire de l’AASSDN : De notre Grand Ancien, notre Vénéré Doyen, nous avons reçu un remarquable exposé sur ce que furent nos Services avant-guerre. L’organisation qu’expose avec clarté le Général MERSON ne fut guère modifiée par la suite, au moins jusqu’en 1934, date du transfert des Services du 75 de la Rue de l’Université au 2 bis, Avenue de Tourville. Nous remercions vivement le Général MERSON de cette contribution à l’HISTOIRE. Notre Doyen donne ainsi 1’exemple de ce que devraient faire tous ceux d’entre nous dont les souvenirs peuvent contribuer à enrichir le patrimoine des Services Spéciaux de la Défense Nationale.

LES MOYENS

Personnel :
– Un chef.
– 17 officiers dont chacun a le rendement de trois types ordinaires.
– 2 sous-officiers
– 2 civils (un juriste, un technicien).
– 2 plantons.
– 4 dactylos du cadre officiel.
– Notre concierge qui filtrait les visiteurs avec une remarquable astuce.
– Ma secrétaire qui me rendit les services d’un excellent officier d’état-major,

Matériel :
Une voiture.
– Un appareil de reproduction appelé Photo-Stat. Débit : un exemplaire toutes les minutes et demie.
– Un récepteur radio très volumineux.
– Trois semblables pour les trois grands postes sur l’Allemagne.
– Quelques E.R. 17 confiés à certains agents et certaines antennes.

Budget :
Dix millions par an qu’il fallait mendier au rapporteur général du Budget, M. CALARY DE LAMAZIERE, un fort aimable homme.
En outre, un gros reliquat d’argent de la guerre 14-18, que LAINEY avait placé, donnait un revenu appréciable.

Locaux : Une maison située au 75 de la rue de l’Université, attenante au Ministère de la Guerre. Les bureaux étaient misérables, presque sordides.

L’ORGANISATION

Solide et souple ; vaste aussi malgré l’indigence des moyens.
C’était l’oeuvre du Colonel LAINEY, à qui nous devons cet hommage. Cet homme avisé, dynamique, astucieux, n’était jamais si content que lorsqu’en présence d’un obstacle, il pouvait dire :« On va lutter ». Il eut aussi le mérite d’établir des relations cordiales et utiles avec les services anglais, belges, voire suisses et espagnols. Enfin, c’est lui qui inventa RIVET.

Deux sections :
Section de renseignements et S. C. R. (Section de Centralisation des Renseignements, qui n’était autre que le contre-espionnage).
LAINEY coiffait les deux sections; j’étais chef de la S.R. LAINEY qui fut atteint dès 1922 de la grave maladie qui devait l’emporter bientôt et je dirigeai le Service pendant 3 ans.

Section des renseignements :
– Section administrative (personnel, matériel et caisse) ;
– Section allemande ;
– Section russe ;
– Section italienne couvrant la Méditerranée, le Proche et Moyen – Orient ;
– Section anglaise couvrant l’Empire britannique et le reste ;
– Section M. G. (matériel de guerre) explorant les armements dans le monde.

Contre espionnage. :
3 officiers travaillaient en liaison avec la Sûreté dont le Directeur, M. MARLIER, avait constitué une brigade spécialisée : le Commissaire principal DUCLOUX, avec 10 inspecteurs triés sur le volet. L’entente était parfaite.
Un téléphone direct, soi-disant à l’abri des écoutes, reliait mon bureau à celui de M. MARLIER.

A l’extérieur :
– Sur l’Allemagne : trois postes bien outillés à Aix-La-Chapelle (MANGES), Mayence (SCHULTZ), Stasbourg (KOLTZ puis ROUX) splendidement dirigés.
– Sur l’U.R.S.S. : un poste à Varsovie avec RIVET, des antennes à Bucarest et Istambul.
– Sur l’Italie : deux postes à Nice et Chambéry.

Des antennes disséminées sur la planète.

Au total, une quarantaine d’officiers sous différentes couvertures.
Le Quai d’Orsay nous abritait, non sans appréhension, dans une dizaine de consulats.

Ayant constaté un vide sur la mappemonde, je créai un Service d’Extrême-Orient, avec la complicité des Messageries Maritimes. Le chef était installé à Singapour et travaillait surtout sur le Japon, mais essaimait sur tout le Pacifique.

Nous avions partout dans le monde un grand nombre d’honorables correspondants.

FONCTIONNEMENT

Officiellement, les deux sections S. R. et S. C. R. dépendaient du 2e Bureau de l’Etat-Major de l’Armée. Pratiquement, nous ne dépendions de personne. Nous ne recevions ni ordres, ni instructions de quiconque.

Le chef des sections avait accès auprès du sous-chef d’Etat-Major et du chef d’Etat-Major de l’Armée, également auprès du Ministre. J’accédais au bureau de M. MAGINOT par un dédale de couloirs et un escalier dérobé.
Les papiers que LAINEY ou moi ne croyons pas pouvoir signer étaient généralement soumis à la signature du sous-chef d’Etat-Major, Général MAURIN, puis Général HERGAULT, qui nous soutenaient toujours très efficacement.

II n’existait pas de plan de recherche. Nous avions établi nous-mêmes un ordre d’urgence.
Faute d’ordres, nous recevions de nombreuses demandes de toute origine. M. POINCARE nous chargea d’une enquête du genre contre-espionnage. M. BARTHOU, Ministre des Affaires Etrangères, me demanda une petite équipe pour l’accompagner dans une Conférence internationale qui se tenait à Gênes.
L’Air, qui n’avait pas de S.R., s’adressait à nous. Le S.R. Marine était si pauvre qu’il nous appelait à l’aide ; il s’intéressait surtout à la Royal Navy.
La section du chiffre nous demandait des codes étrangers; le Génie des renseignements sur les équipages de ponts allemands; le Service des Poudres des informations d’ordre chimique, etc…

Nous donnions nous-mêmes peu d’ordres.
Nous choisissions pour diriger les postes et les antennes des officiers capables d’initiatives raisonnables. Ils recevaient parfois une « note d’orientation ».

La répartition des fonds était faite très soigneusement d’après les urgences et modifiée selon les circonstances internationales.

La Centrale manipulait elle-même un petit nombre d’agents. Parmi eux, un as ! M. GALTIER- BOISSIERE, dans son journal Le Crapouillot, a donné des précisions fantaisistes sur ce personnage. J’en dirai quelques mots.

Rodolph DAHLMANN, officier allemand chassé de son armée pour divers méfaits, avait conservé pour son pays et son armée une véritable haine. Il s’était mis à notre service pour assouvir sa rancoeur et aussi pour gagner de l’argent. Il nous a servis loyalement pendant quarante ans sous le nom de VON KOENIG, puis sous le nom de LEMOINE. Il était encore en service en 1939. Rivet l’employait alors à la fabrication de faux papiers et à diverses missions de contact. REX, comme nous l’appelions, était homme de grandes ressources.

Il acceptait n’importe quelle mission et je ne l’ai jamais vu échouer. Il n’avait pas son pareil pour acheter les consciences. II aurait fait disparaître Ben Barka sans le moindre bruit. MENZIES ne cessait de nous mettre en garde contre lui. Je crois qu’il en avait très peur.

Un autre agent m’a laissé un souvenir personnel. C’était un Arménien qui travaillait sur les Balkans. Ses informations étaient intéressantes, mais exigeaient un contrôle sérieux confié à un ami, M. Elie BOIS, expert en la matière. Ce gaillard m’annonça un jour que l’O.R.I.M. (Organisation Révolutionnaire pour l’Indépendance de la Macédoine) m’avait condamné à mort pour m’être mêlé de ses affaires. Je n’en crus rien. Le fait est que je me suis promené en Macédoine en 1939 et qu’il ne m’est rien arrivé.

Quant au contre-espionnage, les officiers de la S. C. R. travaillaient en liaison avec M. DUCLOUX et sa brigade. Ils traitaient eux-mêmes un petit nombre d’affaires auxquelles nous ne voulions pas mêler la police. Entre autres, l’enquête demandée par M. POINCARE, qui était longue, difficile, coûteuse et m’agaçait. Je tenais M. MAGINOT au courant de ses progrès. Mes chefs militaires ignorèrent tout de cette affaire ainsi que de l’intervention de M. MUSSOLINI que j’ai racontée dans un Bulletin.

LES RESULTATS

Je crois pouvoir dire que le travail était bien fait. Certes c’était un jeu d’enfants en comparaison des exploits de 1939-45, mais il y avait quand même des difficultés et des catastrophes à réparer presque quotidiennement.

Sur l’Allemagne, nous suivions exactement le travail de VON SEECKT, malgré l’Abwehr que la défaite n’avait nullement abattue et qui nous portait parfois des coups sévères. Lorsque je quittai le Service en 1925, la Reichwehr en était au détriplement de ses divisions.

L’U.R.S.S., à l’époque, se défendait très mal ; nous étions en possession de toutes les circulaires de FROUNZE, le VON SEECKT russe, à qui l’Armée rouge doit beaucoup.

Quant à l’Italie, c’était un plaisir. Nous reçûmes un jour une note secrète adressée par le Ministère de la Guerre aux commandants de Corps d’armée, et nous la reçûmes avant le Corps d’armée de Bari. Le reste du monde était exploré suffisamment.

Les résultats du contre-espionnage étaient satisfaisants. Là aussi il y eut deux très beaux coups.
L’un concernait le Colonel BECK ; je l’ai relaté dans un précédent Bulletin. L’autre, il vaut mieux l’oublier.
Quant à l’enquête pour M’. POINCARE, elle donna des résultats contraires à ceux que souhaitait le Président du Conseil.




Les services speciaux pendant la premiere guerre mondiales (3)

Extrait conference du colonel Allemand sur la premiere guerre mondiale: actions du SR. Dans l’ensemble, le bilan S.R. fut positif. En 1914, bien qu’on ait accusé le S.R. français d’avoir commis des erreurs sur l’appréciation quantitative globale de l’armée allemande, il avait dénombré les grandes unités allemandes et dressé un ordre de bataille sérieux. Par la suite, il continua à renseigner, surtout, sur les mouvements des grandes unités et l’évolution du matériel ennemi ; son honneur y était engagé. Quatre ans durant, il tailla des croupières à l’adversaire mettant à son actif des succès importants.




Les Services speciaux francais pendant la premiere guerre mondiale (2)- n 128- 1985

Extrait conference colonel Allemand sur les services allemands pendant la 1ere guerre mondiales . Selons un bilan quantitatif, durant les trois premières années de la guerre, 1785 personnes furent arrêtées en Allemagne pour port illégal ‘uniforme (la plupart travaillant pour la France.)- 384 faux officiers furent identifiés derrière les lignes. 500 personnes furent passées par les armes, dont la moitié était au service de notre pays. En 1918, 33 condamnations furent prononcées pour sabotages, dont 32 organisés par la France.