Janvier 1944 : la relève de Camelia arrive à Clermont-Ferrand

Le texte ci-après est tiré des archives inédites du Colonel Paul Bernard, l’un de nos grands anciens du TR. Il relate, avec un certain humour, son arrivée à Clermont-Ferrand en 1944 pour reprendre la direction de “ Camélia ” après l’arrestation du Capitaine M. A. Mercier. L’expression “ Agence immobilière ” est l’appellation de l’entreprise des “ Travaux Ruraux ” (TR) donnée par Pierre Nord dans son livre (en 3 tomes) “ mes camarades sont morts ”. Notre ami, le Colonel Xavier Bernard, souhaitait voir publier ce témoignage à l’occasion du dixième anniversaire du décès de son père.

Par un froid matin de janvier 1944, un être assez minable descendait du train en gare de Clermont-Ferrand. Petit, maigriot, pâle, mal vêtu, il avait cet air famélique et préoccupé du licencié de partout pour incapacité notoire. Portant avec peine une vieille valise éculée il se dirigea cahin-caha vers la sortie et le gendarme allemand de service jeta du haut de ses 1 m 90 un regard de profond dédain sur ce lamentable représentant de la dégénérescence française. Le Capitaine Bihan (Paul Bernard) récemment promu chef de la succursale Camélia de l’Agence immobilière (Travaux Ruraux : c’est-à-dire Chef du Réseau Centre du Service de Contre-Espionnage), prenait contact avec sa nouvelle garnison.

Il aurait été pour le moins optimiste de prétendre que tout allait pour le mieux, à cette époque, au sein de l’Agence immobilière. Depuis deux mois les coups
durs se succédaient même à une cadence exagérée. Vers le 15 novembre le poste Rose de Toulouse avait perdu son chef. C’était la troisième fois en moins d’un an que ce poste se trouvait décapité. Le 26 novembre l’équipe chargée des embarquements par sous-marin était tombée dans une embuscade. Bilan : un tué, une valise de courrier et un poste radio perdus, la liaison maritime avec Alger coupée.

Le 29 novembre Durand, chef de l’équipe d’embarquement, avait été arrêté par suite de la trahison d’un agent double. Dans les premiers jours de décembre la police allemande de Paris arrêtait le Capitaine Laprune, celle de Nantes mettait la main sur le Lieutenant de Vaisseau Lavallée et toute son équipe tandis qu’à Marseille l’Oberscharführer Delage (Dunker) arrêtait trois agents du poste Glaïeul dont un agent double qui allait parler et provoquer d’autres arrestations.
Le 6 décembre deux agents de liaison étaient pris à Paris avec une valise de courrier.

Le 11 décembre le Capitaine Mordant (Roger Morange), chef de poste Glaïeul, attiré dans un guet-apens était blessé et arrêté ainsi qu’un sous-officier. Le même jour en gare de Roanne était arrêté le Capitaine Marchand (M. A. Mercier) chef du réseau Camélia et adjoint du Commandant Laforêt (Lafont alias Verneuil) grand chef de l’Agence immobilière pour la France. En même temps que lui un des meilleurs agents de liaison du Service tombait aux mains de l’ennemi. A la suite de ces arrestations le Commandant Laforêt acharné à reconstituer ses équipes avait désigné comme successeur de Marchand le Capitaine Bihan que nous venons de voir débarquer si triomphalement à Clermont-Ferrand.

Au cours d’un interminable voyage le nouveau chef de réseau avait eu tout le temps de savourer les joies de sa nomination, Camélia était un commandement de choix : 19 départements, des chefs de postes gonflés à bloc, la perspective de récolter à Limoges, à Vichy, à Lyon des tas de renseignements intéressants, il y avait de quoi mettre l’eau à la bouche. Pour l’instant cependant, Bihan était préoccupé par une question plus terre à terre. Il cherchait un logement et il avait quelques raisons personnelles de ne pas considérer les hôtels et les meublés comme des havres de tout repos.

Il existe encore, heureusement, en province, un certain nombre de foyers dont la tranquillité ouatée, basée sur des traditions familiales centenaires, est capable de résister aux plus effroyables bouleversements. Dans les “ années terribles ” lorsque traqués, saouls de fatigue et d’énervement, écœurés par les trahisons et les reniements, les pauvres hommes qui s’accrochent à la lutte contre le vainqueur cherchent avec angoisse une aide et un repos, leurs rêves leur montrent la maison calme et quiète où il ferait si bon oublier de temps en temps les rafles, les perquisitions, les tortures, tout ce sang et cette fange dans laquelle ils pataugent quotidiennement.

C’est vers une de ces “ calmes retraites ” que se dirigeait le Capitaine Bihan. Une tante de sa femme, Madame de B… habitait en effet à ClermontFerrand.
La famille de B… n’est pas inconnue dans les milieux militaires. Officiers ou soldats, les hommes qui portent ce nom ont coutume de jalonner de leurs tombes les champs de bataille où se joue le sort du pays. La branche clermontoise de la famille était bien loin de cette gloire militaire. Veuve depuis un an, Madame de B… habitait avec sa fille Odile et une demoiselle de compagnie, Françoise. Au physique ces trois personnes étaient fort dissemblables.

Madame de B…, blanche de cheveux, toute menue, douce et tranquille faisait un curieux contraste avec sa fille fortement charpentée, énergique,
décidée, sachant très bien imposer sa volonté d’un froncement de ses épais sourcils noirs. Quant à Françoise elle joignait à l’aspect menu de Madame de B… le dynamisme de sa fille. Par contre sur le plan moral toutes trois présentaient de grandes ressemblances. Très pieuses, menant une vie presque monacale, lectrices du Tiers Ordre de Saint François elles avaient orienté leur existence vers les bonnes œuvres et le salut de leurs âmes. Les activités de la Gestapo devaient leur être aussi étrangères que celles d’hypothétiques Martiens.
Impossible pour un hors la loi de trouver un abri plus sûr que cette maison de paix. Du point de vue matériel, l’immeuble qu’elles habitaient se présentait sous forme d’une maison bien construite, dans un quartier tranquille à mi-distance entre la gare et le centre ville. Deux entrées, l’une sur la rue, l’autre sur des jardins permettaient des allées et venues relativement discrètes. La famille de B…

se réservait le 1er et le 3e étages et avait loué le rez-de-chaussée et le second. Les seuls inconvénients de l’immeuble étaient, outre cette présence de locataires inconnus, la proximité du PC de la Milice et celle de l’Université de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand.
Tout compte fait le Capitaine Bihan considérait cette maison comme providentielle et voici comment il raconte la façon dont il fut reçu :
En sonnant chez ma tante de B… j’étais un peu inquiet. On a beau être devenu assez rossard et peu scrupuleux, il est quand même difficile d’imposer sa présence à une famille sans la prévenir que votre présence risque d’être aussi pleine de charme que celle de la peste ou du choléra. Je fus accueilli à bras ouverts et après avoir parlé quelques minutes de questions familiales je risquais une allusion timide à la difficulté de trouver un logement. Immédiatement, avec un bon sourire, Madame de B… déclara : Mon cher enfant j’espère bien que vous nous ferez le plaisir de vous installer parmi nous. Avec quelques circonlocutions j’entrais alors dans le vif du sujet : ma tante savait certainement que je faisais un peu de Résistance mais elle ignorait peut-être que cela me prenait du temps, m’obligeait à une vie peu régulière, à de fréquents déplacements et que je devais aussi recevoir certaines personnes, bref qu’il y avait à craindre que ces allées et venues n’attirent l’attention des Allemands… ce qui présentait des risques… des risques que… plus j’allais, plus le sourire s’apanouissait sur le visage de mes interlocutrices… “ Mais oui, mais oui disait tantôt l’une, tantôt l’autre, cela va de soi. C’est tout naturel, des risques ? Bien sûr mais le ciel nous protégera ”.

J’admirais la candeur naïve de personnes assez éloignées des choses de ce monde pour ne même pas soupçonner les méthodes chères aux Allemands. Très touché de l’affection qui m’était témoignée, j’avais de plus en plus l’impression d’être un dégoûtant personnage abusant de l’ignorance et de la bonne foi de ces braves cœurs pour les entraîner à leur perte. Mais nécessité fait loi et, sans pousser l’hypocrisie jusqu’à me faire prier, j’acceptais l’invitation qui m’était faite.

Un peu avant le déjeuner, Odile m’avertit qu’un ménage de réfugiés partagerait notre repas. Effectivement, lorsque je descendis à la salle à manger je me trouvais en face d’un couple d’allure jeune, présentant deux particularités qui m’étonnèrent un peu : d’abord ces invités étaient en pantoufles et tenue d’intérieur ce qui semblait indiquer qu’ils habitaient la maison, ensuite l’homme possédait à un degré difficile à égaler, tous les caractères de l’Israélite d’Europe Centrale. Tous deux parlaient français avec un sérieux accent. J’appris qu’ils étaient Lettons et qu’ils habitaient la chambre voisine de la mienne. Puisque nous devions cohabiter il fallait se montrer aimable. J’eus le malheur de m’apitoyer sur la Lettonie qui depuis 1939 avait été deux fois envahie par les Russes et les Allemands. M. Pierre (c’est le nom qu’on donnait au mari), m’interrompit sèchement en précisant que la Lettonie, terre russe, n’avait pas été envahie par l’URSS mais libérée du joug d’un gouvernement infâme exécré de tous les bons Lettons. Je me le tins pour dit et orientais d’urgence la conversation vers les mérites respectifs de la pluie et du beau temps.

Après le repas, je demandais à ma famille quelques explications sur ces Lettons dont le patriotisme me semblait curieux. J’appris alors que nés en Lettonie avant 1918 ils avaient conservé la nationalité soviétique puis étaient venus se fixer en France, le mari comme ingénieur et la femme comme traductrice à l’ambassade d’URSS. Ils habitaient depuis plusieurs mois chez Madame de B… à laquelle ils avaient été confiés par une organisation d’extrême-gauche.
Je commençais à me demander sérieusement si mes parentes étaient aussi naïves qu’elles voulaient bien le paraître. En tous cas mon asile était certainement moins sûr que je ne l’avais cru.

Dès le lendemain, j’eus un nouveau motif d’étonnement. Odile partie de bon matin avec une poussette, revint avec un morceau de bœuf d’une vingtaine de kilos que M. Pierre s’empressa de débiter. Comment ? Cette pieuse famille se livrait au marché noir ? C’était incroyable. Pourtant dans le courant de l’après-midi un certain nombre de personnes vinrent prendre livraison des paquets préparés par M. Pierre. Pas de doute, j’étais tombé chez d’affreux trafiquants. C’était gai !Pour peu que la Police économique ait vent de la chose et perquisitionne, elle ne manquerait pas de s’étonner de la présence du Letton judéo-marxiste et par voie de conséquence manifesterait peut-être à mon égard une curiosité déplacée.

Il fallait que ce trafic cesse. Mes ouvertures en ce sens se heurtèrent à un refus aimable mais ferme et on m’expliqua que ce trafic n’était qu’une “ couverture ”.
Il s’agissait de masquer la destination des gros achats de denrées effectués par la famille de B… pour nourrir “ quelques petits ”. Les “ petits ” en question étaient de bons jeunes gens en voie d’acheminement vers les maquis du Massif Central. On me prévint d’ailleurs que j’aurais certainement le plaisir de faire connaissance avec certains d’entre eux car la maison servait en cas de besoin de lieu d’hébergement. De mieux en mieux, pour un coin tranquille j’avais choisi un coin vraiment tranquille.

Peu après Françoise vint annoncer que le jeune homme et la jeune femme étaient là. Vaguement inquiet je me hâtais de demander qui étaient ces nouveaux personnages. On me répondit avec la plus suave tranquillité qu’il s’agissait d’une entreprise de fabrication de faux-papiers à l’usage des Israélites et des jeunes gens en rupture de STO. Sachant la maison à l’abri de tout soupçon, les dirigeants de cette entreprise l’avaient choisie pour y installer leur laboratoire technique.

Timidement je demandais si par hasard je connaissais maintenant toutes les activités clandestines de la famille. Bien sûr que non ! D’abord “ on ” n’avait pas eu encore l’occasion de manifester son amitié à nos fidèles alliés anglo-saxons, c’était une lacune regrettable mais tout espoir n’était pas perdu de ce côté. Odile s’était en effet abouchée avec une filière d’évasions et espérait avoir le plaisir d’héberger un jour des aviateurs anglais ou américains. “ On ” avait également logé quelques anti-vichystes notoires pris dans les milieux politiques ou journalistiques et “ on ” ne désespérait pas de recommencer. “ On ” avait aussi eu le plaisir d’héberger quelques temps un des principaux dirigeants des Services Spéciaux. Enfin pour ne rien oublier, il fallait bien avouer qu’“on” diffusait un peu de presse clandestine, en particulier les Cahiers du Témoignage Chrétien.

C’était tout… pour l’instant, mais “ on ” espérait bien que ma présence allait permettre de mener une vie un peu plus active.
Ahuri, j’écoutais cet exposé en repassant dans mon esprit les prescriptions du
“ vade-mecum du parfait espion en campagne ”:
– Ne jamais se lancer dans plusieurs activités clandestines à la fois.
– Ne pas camoufler dans un même local des matériels appartenant à plusieurs
organisations.
– Éviter tout contact entre membres d’organisations différentes.
– Ne jamais utiliser un local d’habitation comme local de travail.
– (…)

Je voyais d’ici la tête du Commandant Laforêt lorsque je lui rendrai compte de l’installation de mon PC.
D’autre part il fallait bien que je commence mon travail : fils du réseau à renouer, nouvelles instructions à apporter aux différents postes, liaisons radio à reprendre. Non, décidément, je n’avais pas le temps de chercher un autre gîte avant quelques jours. Installons-nous donc provisoirement.
Ce provisoire allait durer très exactement jusqu’à la Libération et allait permettre au Capitaine Bihan de connaître l’âge d’Or sans être jamais inquiété, du moins à cause de son implantation.

NB : une suite de ces souvenirs est envisagée en fonction du dépouillement des archives du Colonel Paul Bernard.

Source : Bulletin n° 225




Témoignage d’un déporté à Buchenwald – Septembre 1944

Voici un témoignage exceptionnel d’Auguste Favier, déporté, communiqué à notre délégué de la Manche, Jean-Claude Hamel, par Philippe Lerebourg. Nous leur exprimons notre profonde gratitude. Ce témoignage bien émouvant ravive, deux ans après, le souvenir qu’ont gardé celles et ceux qui ont accompli avec moi cet inoubliable pèlerinage de mémoire du 15 octobre 2010 vécu la main dans la main avec nos amis du SFC britannique au camp de Buchenwald. Ces officiers anglais et français étaient tous du SOE. Il y avait aussi parmi eux des Canadiens, des Néerlandais et des Belges dont Robert Benoît, grand pilote de courses automobiles. Ils étaient non seulement dans le même convoi mais dans le même wagon que nos propres officiers de TR et de deux autres réseaux du BCRA. Tous ont été internés dans le Block 17 en attendant une mort, pour eux, inéluctable.
Henri DEBRUN

En septembre 1944, mon ami Paul Guignard, du Block 17, vint m’avertir qu’un groupe de 37 officiers anglais et français, connus sous le nom de “ parachutistes”, parce que parachutés sur le sol français, étaient réunis dans son Block et attendaient la mort.
Condamnés à être prochainement fusillés, ils désiraient avoir leurs portraits, dans l’espoir que des camarades pourraient un jour transmettre ce souvenir à leurs familles. Comment faire pour leur rendre cet ultime service ?

Comme je l’ai dit, je travaillais alors au “ Bau trois ”, Kommando “ Terrasse ”, maniant la pelle et la pioche du petit jour au coucher du soleil. Par une chance exceptionnelle, mon vorarbeiter (contremaître) était un Français, le sympathique Hangelli, qui s’arrangea, malgré de gros risques pour lui, pour me laisser au camp. Moins heureux, mon camarade Mania ne peut exécuter que deux portraits.
Quel souvenir !

J’avais déjà pu exécuter quelques croquis : Wilkinson, Meyer, Barett, Huble… J’achevais celui du grand champion de courses automobiles Robert parleur proche, appelant à la tour, c’est-à-dire à la mort, une douzaine de ces héros. Entendant son nom, Robert Benoît me dit tranquillement : “ Il était temps, car tu as fixé là, pour la dernière fois, ma sympathique gueule ”.
En effet, aucun de ces héros ne revint.
Les jours suivants, je mettais les bouchées doubles, car ceux qui restaient vivaient dans l’attente du même sort.
Quelle émotion de dessiner en conversant avec ces surhommes qui, malgré tout, conservaient leur bonne humeur et leur gouaille.
Je revois le Capitaine Mulsant, qui lançait continuellement des boutades, et le benjamin, le petit Chaigneau, me disant, l’esquisse achevée : “ Tu m’as fait la lèvre dédaigneuse.
Pour la postérité, j’aimerais mieux avoir le sourire !”.
Je n’aurais pas eu le temps de rectifier : le lendemain, c’était son tour.
Et Bernard Guillot, appelé plusieurs fois à la tour pour d’autres motifs ; il disait adieu à ses camarades et revenait avec le sourire.
Je pourrais les citer tous, égaux en bravoure. Grâce à des complicités dans l’organisation clandestine du camp, six purent échapper à l’assassinat, trois Anglais, le Wing Commander Yeo Thomas, alias Major Dodkins, le Major Penlevé, alias Major Pool, le Major Southgate et trois Français : le commandant Culioli, Stéphane Hessel et Bernard Guillot.
Sur nos 37 camarades, nous ne pûmes en dessiner que 22 : dans cette course devant la mort, les SS avaient été plus rapides que nous.

Source : Bulletin N°225




Histoire politique des services secrets français

Cet ouvrage retrace l’épopée de la DGSE, le service de renseignement français à l’international et des services qui l’ont précédé. Cette centrale d’espionnage et de contre-espionnage est en effet l’héritière d’une longue histoire commencée dans la Résistance contre les nazis. Trajectoire prolongée par le SDECE pendant la guerre froide, la guerre d’Indochine, la guerre d’Algérie, sous la IVe République comme sous les présidences de Gaulle, Pompidou et Giscard d’Estaing. Puis par la DGSE depuis 1982 sous Mitterrand, Chirac, Sarkozy et maintenant Hollande avec l’émergence du monde éclaté d’aujourd’hui.

Une aventure qui court sur sept décennies, de la Seconde Guerre mondiale à l’actuelle gestion par le nouveau pouvoir socialiste. Pour faire vivre cette histoire des services secrets français, de leurs échecs et de leurs réussites, pour décrire en profondeur leurs relations souvent mouvementées avec le pouvoir politique, les trois meilleurs spécialistes du sujet, Roger Faligot, Jean Guisnel et Rémi Kauffer, ouvrent leurs fonds d’archives originales accumulées pendant près de quatre décennies.

Brossant le portrait des hommes et des femmes des services, ils narrent leurs opérations clandestines sur tous les continents et livrent des dizaines de témoignages inédits. Nourrie de révélations, de récits spectaculaires, de mises en perspective novatrices, de détails techniques, cette somme et son index de près de 6 000 noms constituent dès maintenant une référence sans équivalent.

Commentaire :
Livre de référence sans précédent écrit par trois journalistes d’investigation bien connus de l’ASSDN à partir de leurs fonds d’archives, de nombreux témoignages et de leurs connaissances du monde du Renseignement. Un livre passionnant sur cette aventure humaine que constitue la trajectoire décrite de nos Services qui court sur sept décennies. L’ASSDN y occupe une place de choix et ses membres y sont qualifiés de “ gardiens du temple ”. A lire sans aucun doute. Un des auteurs, Roger Faligot, est membre honoraire de l’ASSDN.




L’assassinat du colonel André SEROT

En 1981, L’AASSDN commémorait le 33° anniversaire de l’assassinat à Jérusalem de notre ami et camarade, le colonel André SEROT. Il était médiateur de l’O.N.U. aux côtés du comte Folke BERNADOTTE. Nous devons à l’obligeance de notre camarade lyonnais RÉAUX un émouvant récit de cet attentat. Nous l’avons extrait de son journal de marche, en même temps que quelques passages édifiants sur le climat qui régnait en Israël. Mais est-ce bien différent aujourd’hui ?

par Mr. REAUX

Dans la nuit du 17 au 18 août 1948, des détachements des trois armées se glissent vers le Government House, les Juifs avec des camions blindés, les Arabes à pied.

Rencontre sérieuse, combat de nuit, échange de mortiers et d’obus. La bataille fait rage jusqu’au jour.

Du côté juif : 50 tués ou blessés.

Le commandement juif prétend qu’averti de l’intention des Arabes de s’emparer de l’hôpital, il a voulu les devancer afin d’évacuer des malades juifs qui s’y trouvaient.

Mais les Arabes ont réagi, et le 17 au matin, ils occupent le Government House, tandis que les Juifs se sont installés dans l’université arabe et l’école d’agriculture juive.

Arabes, Égyptiens et Juifs sont au contact et chacun s’organise sur le terrain conquis.

Dans la journée, les observateurs de l’O.N.U. essaient en vain d’obtenir le retrait des troupes de part et d’autre.

Le 18 seulement, on obtiendra une trêve permettant de relever les cadavres et blessés restés entre adversaires. Malheureusement, malgré les engagements les Arabes tirent sur les brancardiers juifs et 3 cadavres restent sur le terrain, d’où ils ne seront relevés qu’en septembre. Les cadavres juifs ramenés sont atrocement mutilés, selon la vieille coutume arabe !…

Vers 10 heures, je descends en jeep avec deux camarades jusqu’à l’American School, P.C. du colonel SÉROT, commandant le secteur arabe de Jérusalem.

Je retrouve avec joie ce dernier, avec qui j’ai passé deux ans au S.R. de Belfort, en 37-38, et à qui j’ai toujours été très cordialement attaché.

Depuis quelques jours, violente campagne dans les journaux contre l’O.N.U., et surtout contre BERNADOTTE.

31 août 1948

Un radio américain et un ouvrier juif sont grièvement blessés au carrefour du consulat américain. Cela fait les 4e et 5e victimes. On pense (enfin !)… à rechercher un itinéraire moins dangereux.

A 21 heures, je suis à Lifta avec tous mes officiers. La nuit est magnifique.. Sous le ciel bleu parsemé d’étoiles, à 40 m. des mitrailleurs au créneau, derrière la maison du P.C., une vaste cour entourée d’oliviers et de figuiers ; des chaises et des bancs sur toutes les faces. Au centre, un énorme projecteur qui inonde de lumière les dalles roses de la cour.

Cinq cents personnes au moins, civiles et militaires, s’y entassent. On nous a réservé des places à la table d’honneur, aux côtés du colonel venu pour l’occasion. Dans un coin, un orchestre à cordes sur une estrade.

La nuit est calme, fraîche. A l’arrivée du colonel, un commandement bref retentit, tout le monde est au garde-à-vous… L’hymne national retentit, chanté avec une ardeur sauvage, presque mystique…

18 septembre 1948

Le comte Folke BERNADOTTE et le colonel SEROT sont assassinés par le groupe STERN (groupe choc de l’AGANA dont le chef était M. BEGIN).

On a beaucoup écrit, beaucoup épilogué sur ce meurtre. Voici exactement comment les faits se sont passés.

Dans la voiture de tête, l’officier de liaison juif, le secrétaire et l’aide de camp de BERNADOTTE.

Dans la deuxième voiture, devant : le commander Mox et, comme chauffeur, Mr. BUGLEY, chef de la sûreté de l’O.N.U. ; derrière, de gauche à droite, le général LANDSTROËM, le colonel SEROT au centre, le comte BERNADOTTE à droite.

Brusquement, une jeep barre la route au convoi, deux Juifs en descendent, mitraillette au poing, inspectent la première voiture, puis arrivent à la deuxième. Celui de gauche passe le canon de son arme par la portière de gauche et descend à bout portant le colonel SEROT qui se penchait vers lui, couvrant BERNADOTTE, puis le comte, qui s’effondre frappé à mort. Le comte meurt pendant son transfert à l’hôpital.

Mr. BUGLEY, non armé, n’a pu intervenir. Les deux Juifs se sont replié en tirant, crevant même le pneu avant droit de la voiture de tête, et la jeep a disparu.

L’officier de liaison juif (le capitaine HILLMANN) n’a « naturellement » rien vu ! On ne retrouvera jamais les agresseurs.

Dans l’après-midi, les corps sont déposés sur des brancards, dans une salle du YMCA transformée en chapelle ardente, et nous veillons toute la nuit les corps de ces martyrs de la Paix » dont la toilette funèbre a été faite par des religieuses françaises.

20 septembre 1948

Les corps de BERNADOTTE et de SEROT sont transférés à Haïfa. Long cortège d’une vingtaine de voitures. Autorités juives et consulaires. A Latrum, l’Arab Legion, alignée le long de la route, rend les honneurs.

Parti à 9 heures, le cortège arrive vers 13 heures, en pleine chaleur. Les corps sont immédiatement embaumés.

Nuit d’une chaleur étouffante.

A 6 heures du matin, les corps de nos infortunés camarades sont partis en avion pour la France.

Nous leur adressons du terrain d’Haïfa un dernier adieu. Pauvre Mme SÉROT !…

A 8 heures, je prends l’avion à mon tour.

A 9 h 30 je suis à Colundia et à 17 heures je réintège le YMCA, sans incident, mais « vanné » !

Triste corvée enfin terminée !

La nuit est agitée, mais le sommeil l’emporte.

Les Juifs s’attendent à une réaction en Europe, et à l’application des sanctions.

22 septembre 1948

Police, patrouilles, contrôles… le grand jeu ! Mais on a l’impression que c’est du bluff et que les coupables sont déjà à l’abri. Il faut bien calmer l’opinion mondiale ;

A 10 heures, service religieux, chez les Pères de Ratisbonne, pour le repos de l’âme du colonel SÉROT. Autorités juives et étrangères y sont représentées.

par Mr. REAUX, publié dans le Bulletin N° 108 (1981)




Hommage à Dewavrin, alias Colonel Passy

Je ne l’avais pas revu depuis de longues années. Victime de graves atteintes vasculaires, il évitait les contacts extérieurs. J’ai ressenti péniblement sa mort, le 21 décembre 1998. C’est la dernière pièce maîtresse du BCRA qui s’écroule et avec elle c’est une page de notre histoire secrète qui se tourne, sans qu’il ait pu, ou voulu, en écrire toutes les vérités.

Contrairement à ce que nombre d’historiens ou journalistes ont laissé entendre, les ” rivalités ” de façade entre les services traditionnels et ceux de Londres, n’ont jamais empêché, sur le champ de bataille clandestin, une complémentarité d’efforts et une solidarité de tous les instants.

Je sais les sournoises rumeurs propagées, les accusations gratuites et infâmantes, parfois colportées tendancieusement, pour nuire à nos anciennes maisons, sans pour autant donner du prestige au BCRA.

Maintes fois j’ai regretté que Passy, lui-même, prête une oreille à ces mensonges et n’ait pas vérifié la valeur de ses sources d’information ni cherché à mieux connaître nos rigoureuses attributions.

Je l’ai rencontré pour la première fois à Londres entre la Noël 1942 et le premier de l’an 1943. Il était venu me saluer dans le bureau que l’I.S. m’avait octroyé lors de mon évasion de France.

Après s’être informé de mes intentions et offert d’adhérer à la France Libre avec un grade supérieur, il m’avait affirmé son désir de collaboration. Il comprenait d’autant mieux ma volonté de développer officiellement et clandestinement nos services et réseaux de sécurité et de contre-espionnage, que le BCRA n’avait rien d’équivalent à m’opposer.

Nous nous étions quittés, résolus l’un et l’autre à concrétiser nos engagements d’union. C’était sans compter avec les rivalités croissantes des Généraux Giraud et de Gaulle…

Pendant plus d’un an, nos contacts se sont éloignés. Alimentés par les rumeurs imbéciles et partisanes, ils ont pris des allures parfois conflictuelles à Alger.

Ambitieux, à l’égal de son chef, le BCRA entendait affirmer une suprématie qui ne justifiait ni sa compétence en matière de Renseignement, ni le savoir-faire de ses composants.

Il fallut la diplomatie de Frenay et la souplesse de Soustelle pour mettre un frein au déchaînement des passions et aboutir à une sorte de fusion qui ruina la santé de notre patron, le Général Rivet.

Après la libération de notre Patrie, nous nous sommes ouverts de tout cela, Passy et moi. Certes mon camarade ne niait plus la valeur du professionnalisme de nos cadres. La preuve en est qu’éphémère patron du S.D.E.C.E., il fit appel à mes compagnons pour tenir les commandes de cette nouvelle organisation.

Pas davantage, il ne niait la qualité du travail de recherche et de sécurité de nos anciennes maisons, avant et pendant la Deuxième Guerre Mondiale. Il nous ” reprochait ” notre trop grande bienveillance à l’égard de nos alliés britanniques et nous soupçonnait d’avoir intrigué pour diminuer l’influence du BCRA à leurs yeux.

Pensées médiocres, surprenantes chez cet homme intelligent, cultivé, méthodique dont l’action courageuse et obstinée a aidé à surmonter les désordres de la Résistance pour contribuer aux succès des opérations de libération de notre territoire.

A la fin des années quarante, il dut quitter les Services Spéciaux dans le fracas de scandales moraux et financiers. Trop vite sans doute, car, visionnaire avisé, il avait compris la nécessaire évolution des Services Secrets en fonction d’une conjoncture nouvelle et leur indispensable adaptation aux méandres variés de notre Défense.




Hommage à Georges Bourguignon : un belge au service de la France

Chargé de mission du S.R. Air P3/Av des Services Spéciaux de la Défense Nationale (1941-1944), Georges Bourguignon est né à Dison en Belgique, près de Verviers, le 23 avril 1920.

Parfaitement bilingue (allemand-français), Georges est amené, avec un de se frères, à franchir par erreur la frontière, Belgo-Allemande dans le début de l’année 1939. Arrêtés, tous deux, ils constatent l’impressionnant état de préparation de l’Armée allemande.

Mai-juin 1940, fuyant devant l’invasion nazie, ils parviennent jusque dans le département de l’Ariège. Là, en sa qualité de “Chef Scout “, Georges encadre un groupe de jeunes belges destinés à être incorporés.

Après la fin des hostilités, la famille, rejoint, son domicile en Belgique et en janvier 1941, Georges Bourguignon décide de tenter de joindre ceux qui combattent auprès des Britanniques. Avec deux camarades, il franchit clandestinement la frontière Belgique-France interdite, celle de la zone interdite-zone occupée, puis celle de la zone occupée- zone libre. II rejoint l’Ariège où il a des connaissances, puis Limoges où il rencontre des compatriotes qui semblent avoir d’étranges activités, puis tente sa chance à Toulouse. Mais ses efforts pour trouver une filière de passage vers l’Espagne échouent.

Finalement, il est arrêté par la police de Vichy, et envoyé dans un camp de rassemblement où séjournent déjà des réfugiés républicains espagnols. Il s’en évade et décide de revenir à Limoges pour retrouver ces mystérieux belges… Mais ceux-ci sont introuvables… Par contre, il fait la connaissance d’un breton, Fernand Drouin, qui lui donne une filière d’évacuation par voie maritime, vers l’Angleterre, au départ de La Rochelle.

Après un nouveau franchissement de la ligne de démarcation, il parvient dans ce port, pour apprendre l’arrestation de son contact puis retourne à Limoges où Fernand Drouin, alias “Le Grenadier “, s’avèrera être, un des premiers agents clandestins, du Poste S.R. Air de Limoges (P3/Av). Après quelques missions en zone occupée pour le tester, Drouin le présente au Capitaine Boué, un des Officiers traitants du Poste.

En mars 1941, Bourguignon est incorporé au S.R. Air. Il effectue des missions ponctuelles en territoire occupé, poussant des missions de liaison jusqu’en Belgique, sous la direction d’un officier belge de P3 Av, (Willy de Maeyer) puis sous les ordres directs du capitaine Boué.

En avril 1941, il est chargé de vérifier l’infrastructure de la Luftwaffe dans le Nord-Ouest de la France, particulièrement en zone interdite (Nord, Pas-de-Calais, Somme, Aisne, Marne et Belgique du Sud-Ouest).

C’est ainsi qu’il parvient à Laon, siège d’un important dispositif de l’aviation allemande, et y fonde grâce à l’aide de Paul Berthe, de sa famille et de ses amis, un important réseau qui tiendra jusqu’à la libération, apportant un flot de renseignements sur la forte concentration de l’Armée d’occupation (terrains d’aviation, dépôts, base de lancement d’armes spéciales) dans cette région du Nord-Ouest.

Bourguignon assure le recueil et le transport des renseignements entre la zone interdite et le poste P3 Av de Limoges, tous les quinze jours, après franchissement clandestin des différentes lignes de démarcation et ce, jusqu’à la fin novembre 1942…!

Arrêté une première fois au passage de la ligne interdite à Vauxaillon dans l’Aisne en octobre 1941, il purge 15 jours de cellule à la prison de Laon. Le 8 novembre 1942, revenant de mission, il apprend que son Officier traitant est parti pour l’A.F.N. Bourguignon n’a aucune consigne et pas d’argent. Il repart vers le Nord, où il met en sommeil ses agents et son réseau de Laon et le 12 novembre 1942, va s’abriter dans sa famille en Belgique.

En février 1943, il se décide à aller voir un agent auprès duquel il avait effectué, auparavant, des missions de liaisons et qui demeure dans la région parisienne. Il s’agit de Jean Viaud, Capitaine de l’Armée de l’Air qui a noué des contacts avec d’autres organisations dont le réseau belge “ Zéro France “ mais surtout “ Turma Vengeance ” une organisation en liaison avec le B.C.R.A. Les informateurs et le réseau de Laon sont réactivés.

Un mois plus tard, André Duthilleul est chargé de réanimer les réseaux du S.R. Air, et de reprendre contact avec les agents laissés en France avec quelques consignes d’attente (Philouze-Gervais). Viaud et Bourguignon sont remis en liaison avec le S.R. Air qui a ranimé ses réseaux. Une période floue s’instaure car Viaud, gardant quelques rancunes à ses premiers chefs, ne veut pas rompre avec ses amis de Turma Vengeance.

Le 30 avril 1943, Viaud est arrêté par les Allemands et réussit aussitôt une évasion spectaculaire. Il doit, contre son gré, se mettre au vert, et c’est Bourguignon qui reprend en plus de son propre réseau de Laon, la direction du secteur de Paris et des réseaux nouvellement créés de Troyes, de Bretagne et de Normandie.

Le 7 août 1943, Bourguignon échappe de justesse à une arrestation, le poste Directeur de Londres décide de l’évacuer avec Viaud, dans la nuit du 21 août 1943 par une opération Pick-Up. Dès son arrivée en Angleterre, il suit les stages de l’I.S., passe son brevet de parachutiste et est accrédité “agent d’opération aérienne “.

Le 19 octobre 1943, ses vieux amis de Laon, le réceptionnent ainsi que son radio Sinturel, sur leur terrain de parachutage. Bourguignon doit monter un réseau dans le Sud de la France. Malheureusement deux jours après, le 21 octobre 1943, alors qu’ils se retrouvent au rendez-vous fixé dans un café près de Saint-Germain-des-Prés, ils sont interpellés par des policiers allemands.

Tous deux prennent la fuite. Le radio, gêné par sa valise, est vite repris, tandis que Bourguignon malgré une balle dans le talon, réussit à se cacher dans la cave d’un immeuble. Sinturel, le radio, reviendra de déportation. Bourguignon est rappelé à Londres et à nouveau récupéré par une opération Lysander, le 12 novembre 1943. Il est affecté, jusqu’au débarquement allié en Normandie, au poste central S.R. Air de Caxton Street à Londres, surnommé “ Dunderdale Circus “.

II participe à la campagne de France comme Officier de liaison, puis est remis à la disposition du Commandement Militaire Belge. Chargé de mission, il participe à l’occupation en Allemagne avec rang de Capitaine de l’Armée belge. Il est titulaire de décorations belges et françaises, dont celle de Chevalier de Légion d’Honneur.

II se marie avec Anne-Marie de Roeck, alors danseuse étoile de l’Opéra de Bruxelles, elle aussi, ancienne valeureuse résistante à l’occupant. Après une carrière au Congo belge et une autre comme chef d’entreprise en Belgique, il se retire, en France, près de son vieil ami de la résistance et chef du réseau de Laon, Paul Berthe, à Cabriès près de Aix-en-Provence.

Autant Belge que Français, revivant intensément et avec ferveur le passé de la résistance, Georges Bourguignon était un membre fidèle des associations patriotiques dont la Fraternelle des parachutistes belges et l’ A.A.S.S.D.N. Il assura durant de nombreuses années, la présidence “ de la Fraternelle des Anciens Combattants de Cabriès ” où il se dévoua sans compter.

En 1994, son état de santé, l’obligera à renoncer à ses fonctions. Georges Bourguignon s’est éteint le 25 novembre 1995, à l’Hôpital Erasme de Bruxelles. Après une absoute célébrée à Bruxelles, une cérémonie funèbre s’est déroulée à Cabriès, son lieu de résidence dont il a déjà été rendu compte. Il est inhumé au cimetière de Mirabel, près de Montauban.




Le sacrifice de Paul Summinger : un héro du réseau Kleber-Uranus

Cologne, 30 juillet 1943. Le bourreau est absent.

C’est donc le premier contremaître mécanicien Hacker, aidé par l’aspirant au poste de bourreau Hans Mühl qui décapite les trois condamnés: le docteur Bricka de Toul, Paul Simminger de Montigny-les-Metz, Roger Noél de Nancy et ce en 23 secondes pour le premier et 20 secondes pour chacun des deux autres. Cela après que l’interprète Engeslhardt de la Gestapo leur ait lu le jugement du tribunal du peuple venu de Berlin à Trèves pour les condamner à mort le 27 janvier 1943.

Extrait du jugement de Trèves: ” Les accusés ont agi dans l’intention de communiquer les renseignements â l’ennemi. “

Paul Simminger l’a admis dans ce sens, puisqu’il a déclaré qu’il savait que son donneur d’ordres Granthil, donc aussi le successeur de celui-ci Chetelat, travaillait pour le 2e bureau. Le Sénat ne doute pas que cet accusé ait su que le 2e bureau français était connu comme une section d’espionnage. D’après la certitude du Sénat, qui repose sur l’impression claire de la personnalité normale de cet accusé et sur la façon habile de sa défense lors des assises et d’après l’avis du médecin appelé comme expert qui le certifie, ” il est complètement responsable et justiciable de ses actes “.

C’est à la fin de 1940 que Paul Simminger, expulsé de Montigny-les-Metz, entre en contact avec le groupe de résistance “ L’Espoir Français ” à Nancy qui travaille pour le compte du réseau de renseignements clandestin Kléber Uranus.

Chargé des liaisons avec les antennes du réseau en zone interdite, Metz notamment, il est arrêté le 8 juillet 1941 à la suite d’une dénonciation.

Il est déporté au camp de Hinzert.

Inculpé de haute trahison avec 18 autres membres du groupe “ L’Espoir Français “, il est transféré à la prison de Trèves où il est jugé et condamné à mort par le Volksgerichthof (tribunal du peuple).

Il subit l’odieuse sentence sans faiblir et sans avoir parlé.

Son corps mutilé repose dans le cimetière de Montigny-les-Metz où, pour le Cinquantième Anniversaire de sa fin héroïque, ses amis lui ont rendu hommage le 30 juillet 1993 et honoré sa mémoire le 30 juillet 1995, cinquante ans après la victoire alliée qu’il avait tant espérée.




En souvenir de nos amis américains : Cassidy, Sabalot et Bob Schow

Notre camarade le général ERNOULT DE LA CHENELIERE nous rappelle opportunément ce que nos Services doivent aux attachés militaires USA en poste à Vichy de 1941 à fin 1942.

C’est par eux que l’essentiel de ce que nous savions parvenait aux alliés, c’est par eux que nous parvenaient les précieux encouragements à poursuivre la lutte.

Tom CASSADY, attaché de l’Air près l’ambassade USA avait rejoint volontairement en 1917 l’escadrille Lafayette ; 9 avions allemands descendus figuraient à son tableau de chasse. Il était titulaire de la Légion d’honneur et de la croix de guerre avec 5 citations. Fait prisonnier par les allemands en novembre 1942 à la suite de l’invasion de la zone dite libre, il fut libéré par échange en 1944 et fut affecté à l’O.S.S. jusqu’en 1946.

Un grand ami de la France, tout comme l’attaché naval SABALOT et Bob SCHOW, l’attaché de l’armée de terre.

Nous gardons avec reconnaissance leur souvenir.




Pierre MONDANEL a reçu les insignes de commandeur de la Légion d’Honneur

Une grande joie et un grand honneur pour notre Association : M. Pierre MONDANEL a reçu les insignes de commandeur de la Légion d’Honneur

L’historique court de l’Hôtel de Ville de PONT-DU-CHATEAU servait de cadre, samedi 24 Mars 1973, à une cérémonie en l’honneur d’un illustre enfant du pays, M. Pierre MONDANEL, Directeur honoraire au Ministère de l’Intérieur, ancien résistant, ancien déporté, Délégué Régional de l’ASSDN., à qui l’on allait remettre les insignes de Commandeur de la Légion d’honneur.

De nombreuses personnalités s’étaient donné rendez-vous pour apporter leur témoignage d’estime au nouveau promu. MM. BOULAY, député, président du Conseil Général ; PETIT, Secrétaire général de la Préfecture, représentant le Préfet de région ; le Colonel de GALEMBERT, commandant le B.A. 745 ; le Chef d’escadron NATALI, Adjoint au commandant du Groupement de Gendarmerie du Puy-de-Dôme ; CAMBE, Commissaire divisionnaire de la Police judiciaire ; BRIGE, Directeur inter­départemental, et BONAFOUS, Chef du Service départemental de l’Office des A.C.V.G. ; FLEURY, Secrétaire général du Rectorat, représentant M. HABY ; le Colonel PAILLOLE, Président National de l’A.A.S.S.D.N. ; Pierre CHENEVIER, Président de la Fédération des Amicales des Réseaux de la France Combattante, et le Colonel BOITTE, de l’A.A.S.S.D.N. (tous deux parrains du décoré) ; Robert HUGUET, Compagnon de la Libération ; BAC, LALLEMAND, et de nombreux déportés ; plusieurs Conseillers généraux et Maires étaient accueillis par M. Jean ALIX, Maire de PONT­-DU-CHATEAU, entouré de ses Adjoints et Conseillers municipaux.

La Cérémonie du 24 Mars 1973

Autour du perron de l’Hôtel de Ville, sur lequel allait se dérouler la cérémonie, on remarquait une délégation de l’A.A.S.S.D.N., les membres des Associations locales d’Anciens Combattants et Victimes de guerre et leurs drapeaux ; différentes organisations locales, etc… Le public ceinturait l’enceinte de la place pour suivre la cérémonie.

Avant de procéder à la remise de la décoration, M. Pierre CHENEVIER prononça une émouvante allocution. Après avoir souligné tout le plaisir et l’honneur qu’il avait de décorer un ami de vieille date, il tint à évoquer longuement la carrière exceptionnelle et les brillants états de service dans la Résistance de M. Pierre MONDANEL. « Non content de vivre l’Histoire, vous l’avez écrite !». II salua ensuite avec émotion la mémoire de Madame MONDANEL, décédée des sévices de la Gestapo lors de l’arrestation de son mari. Puis, après avoir prononcé la formule rituelle, il fixa la cravate de Commandeur de la Légion d’honneur autour du cou de notre prestigieux Délégué régional.

Allocution de M. Jean ALIX, le 11 Septembre 1972

« Monsieur le Directeur,

« Je saluerai tout d’abord l’enfant de PONT-DU-CHATEAU, d’origine paysanne modeste, l’adolescent travailleur, studieux, sportif aussi. Les anciens de la Jeune Gaule s’en souviennent. Mais ce que l’on connaît de vous maintenant, c’est le retraité de la Place aux Echalas, dont le temps se partage entre la recherche historique, l’amitié et le jardinage.

« Vous avez comblé PONT-DU-CHATEAU en lui donnant l’histoire qu’il méritait bien. Vous avez retracé les portraits de DULAURE, des Frères BROSSON, le Conventionnel et les Self Made Men du XIXem siècle, maîtres de l’Allier, dont les barques, partant du port de PONT-DU-CHATEAU, portaient à PARIS des pierres de VOLVIC et les moissons de LIMAGNE.

« Vous êtes le Président fondateur de l’Association des Amis du Vieux PONT- DU-CHATEAU, dont le riche Bulletin annuel vous doit tant.

« Vous avez donné au Bureau d’Aide Sociale de notre ville vos droits d’auteur et vous savez qu’une part importante de ceux-ci ont contribué au financement du Centre Aéré de MONTMORIN.

« Si nos compliments vont à l’historien, notre admiration va à Pierre MONDANEL, Directeur au Ministère de l’Intérieur. Pierre MONDANEL qui ne se contentait pas d’écrire l’histoire mais qui la faisait.

« Monsieur le Directeur, lors de nos premières rencontres, je vous ai taquiné avec l’affaire Prince et vous avez bien voulu m’ouvrir votre registre secret des confidences. Vous avez su me passionner, au travers de l’affaire Prince, de l’affaire Stavisky et sur toute une époque que vous avez vécue et marquée de votre action prestigieuse.

« Vous avez été au coeur de tous les événements qui ont marqué l’avant-guerre. Vous me permettrez de rappeler encore l’assassinat de MARSEILLE. Vous étiez le collaborateur direct du président BERTHOIN. J’ai relu avec intérêt l’hommage que vous décerne VLADETA MILICEVIC dans son ouvrage consacré à l’assassinat d’Alexandre Ier et du Président BARTHOU.

Vous-même écrivez à Milicevic, après l’arrestation des Oustachis : « Nous venions ainsi, vous vous en souvenez, de vivre ensemble des heures fiévreuses et passionnantes. La satisfaction que nous donnaient, dans l’intérêt de la vérité les premiers et fort remarquables résultats obtenus, les nouvelles, perspectives entrevues pour déceler et établir les hautes responsabilités encourues à l’étranger nous faisaient oublier la fatigue et les heures de sommeil qui nous manquaient. Les uns et les autres, nous sentions l’importance internationale de notre travail. »

Pour votre souci « d’apporter au tribunal de l’Histoire les premières preuves des manoeuvres occultes internationales se trouvant à l’origine de l’attentat », vous combattiez le fascisme qui allait s’étendre sur l’Europe puisque vous, aviez déterminé le rôle de PAVELITCH qui bénéficiait du total appui et de la complicité de MUSSOLINI. MUSSOLINI qui devait nommer PAVELITCH Gauleiter de CROATIE. PAVELITCH dont la domination dura trois ans et coûta au peuple Serbe 600.000 vies humaines.

Vous aviez déjà choisi en 1934 de combattre la montée de l’hitlérisme et du fascisme.

Je relisais récemment KAPUT de CURZIO MALAPARTE et, dans le portrait hallucinant de PAVELITCH ouvrant une bourriche qui, au lieu de contenir des huîtres, était garnie d’yeux humains, je pensais à vous, Monsieur le Directeur, qui fûtes certainement un des premiers français à voir de près la bête qui allait ronger l’Europe pendant si longtemps.

C’est le « Journal Officiel » de Janvier 1938 qui publie votre nomination dans l’Ordre de la Légion d’honneur, à titre exceptionnel, cette distinction vous récompensant pour les services rendus d’ans les affaires Stavisky, Prince, dans l’enquête sur le complot de la Cagoule. Le « Journal Officiel » de cette même date annonçait votre nomination à la tête de la Sûreté Nationale. C’était le jour où Hitler inaugurait, dans les Alpes Bavaroises, une nouvelle école de Chefs, où seuls les enfants robustes et d’une hérédité irréprochable devaient être admis. Les porteurs de lunettes en étant exclus.

Monsieur le Directeur, outre votre action implacable qui a permis l’échec du complot que l’on connaît sous le nom de la Cagoule, vous avez été aussi le haut fonctionnaire spécialiste de droit pénal international, représentant la France à HELSINKI, BELGRADE, BERLIN, NEW YORK et surtout GENEVE.

Vous m’avez souvent rappelé votre action auprès de Marx DORMOY, de même que votre admiration pour Léon BLUM. Vous avez su évoquer leur angoisse qui était aussi la vôtre.

Devant la montée du péril, vous avez connu la douleur de la défaite et, je sais, par une confidence que vous permettrez sans aucun doute, en ce jour, de révéler que vous étiez de ceux qui devaient partir pour LONDRES, de sorte que votre républicanisme est coté par Jules MOCH auquel vous avez permis une sortie discrète du Casino de VICHY où les pleins pouvoirs venaient d’être votés au Maréchal PETAIN.

Le Général RIVET écrit à votre propos :

« La grande épreuve de l’occupation et les courants « collaborateurs, »qui traversèrent notre politique à cette époque trouvèrent ce fonctionnaire égal à lui-même et fidèle aux grandes consignes de la résistance à l’ennemi. MONDANEL à VICHY est resté MONDANEL de la place Beauveau, accroché à l’ennemi de notre Pays, lucidement entêté à le combattre.

« Il ne convient pas dans le cas MONDANEL de glaner et d’éplucher des faits. Il a fait son métier. Et les actes qui l’honorent étaient de tous les jours. Inversement, je crois, ce serait peine perdue que de rechercher l’acte qui ne fut pas droit, intégralement Français. »

« Pour me résumer, ma conviction est celle-ci :

« 1° MONDANEL est un fonctionnaire de grande classe qui domine nettement tous ceux qui j’ai connus dans les fonctions que lui-même a occupées ;

« 2° II a fidèlement servi aux côtés de ses camarades de la Guerre engagés dans la lutte contre l’Allemand. Pas de défaillance, jamais d’attitudes équivoques. Mais l’acceptation courageuse des tâches que nous lui demandions ;

« 3° A VICHY, il a résolument joué sa carrière et aussi sa vie – pour rester dans le rang de ceux qui mettaient la libération du Pays, au-dessus des ambitions personnelles et des intérêts les plus légitimes, intransigeant dans son patriotisme, il n’a pas transigé avec le devoir. »

« A vous qui ainsi avez fait l’Histoire, je voudrais renouveler les témoignages d’affection et d’admiration de notre collectivité castelpontine en relisant votre conclusion de « PONT-DU-CHATEAU A TRAVERS LES AGES ». Vous vous adressez aux jeunes vous qui avec su le rester magnifiquement – et leur dites :

« Je ne doute point que vous ayez pour votre petite patrie, pour « cette terre où vous attachent tant de liens d’affection, cet amour fier et passionné des enfants pour leur mère, cet orgueil du paysan d’autre­« fois pour son village qu’il entretenait par le récit des vieilles légendes « dont beaucoup restent à conter. »

« Votre légende – pardon, votre vérité – il fallait bien l’amorcer davantage aujourd’hui, en cette journée qui est la vôtre, et si des jeunes, demain, doivent compléter l’histoire de PONT-DU-CHATEAU, c’est certainement au travers de votre histoire qui nous honore tous, qu’ils devront le faire. »

Prenant à son tour la parole, le Colonel PAILLOLE apporta à M. Pierre MONDANEL le témoignage d’affection et de reconnaissance des Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale :

« L’oeuvre que vous avez accomplie est de celles qui méritent hautement la décoration que vous avez reçue. Et pour l’exemple que vous avez donné, c’est avec une grande émotion et une grande admiration que je vous dis merci. »

Enfin, M. MONDANEL, dans un discours de remerciement improvisé, sut avec le talent oratoire que nous lui connaissons à la fois charmer et émouvoir l’assistance.

Il exprima tout d’abord, en termes choisis, sa gratitude àà tous ceux

qui avaient pris part à cette cérémonie ; au Maire et au Conseil Municipal qui avaient tenu à donner un éclat exceptionnel à l’événement et à lui offrir le Croix de vermeil qu’il portait; au Colonel PAILLOLE, â M. CHENEVIER, à ses amis HUGUET, LALLEMAND, BAC, etc… Il adressa ensuite une pensée émue aux Résistants tombés les armes à la main, à ceux qui étaient morts sous la torture, à ceux qui avaient disparu en camp de concentration.

« Je reporte sur PONT-DU-CHATEAU et sur mes parents tout le mérite de la distinction que je reçois aujourd’hui ». Appréciant à sa juste valeur la manifestation de sympathie des Castelpontins, il concluait : « C’est le plus grand honneur qui pouvait m’être fait et à chacun j’adresse un cordial merci ». Ce merci, il devait le réitérer à l’intention de l’enfant lui offrant, au nom de ses jeunes camarades, une superbe reproduction de la Croix réalisée par leurs soins.




Hommage à Pierre Mondanel

Dans le B. L. 77, nous avons rendu compte de la cérémonie au cours de laquelle M. Pierre MONDANEL a reçu les insignes de Commandeur de la Légion d’honneur. Nous publions ci-dessous le texte de deux discours prononcés à cette occasion.

Discours de M. Pierre CHENEVIER, Président de la Fédération des Amicales des Réseaux de la France Combattante.

 

Mesdames, Messieurs, Chers Camarades,

Votre présence à cette cérémonie est un témoignage de sympathie pour Pierre MONDANEL, qui me fait l’amitié de le recevoir dans un grade supérieur dans l’Ordre National de la Légion d’honneur. En me choisissant, il n’a pas vu en moi, le Président National de la Fédération des Amicales de Réseaux de la France Combattante, mais seulement l’un de ses anciens et proches collaborateurs, témoin privilégié d’une époque encore citée en exemple, à la Sûreté Nationale, même par ceux qui ne l’ont pas vécue, tant elle a marqué cette administration, je veux parler de l’époque MONDANEL.

Pour l’évoquer, je vais m’appuyer sur des notes, en raison de ma crainte de m’embrouiller, au delà des limites acceptables, en fouillant dans mes souvenirs et surtout de mon inaptitude à improviser. Mon cher Ami, vous avez toujours été opposé à la médiocrité d’où qu’elle vienne. Considérant, qu’il ne suffit pas de dire, mais de faire, vous avez fourni la preuve, en bien des circonstances, de votre attachement indéfectible aux principes et aux causes nobles. Ainsi, vous pouvez être fier de votre passé, marqué de tant d’épreuves pénibles, auxquelles vous avez su donner la mesure et faire face, car vous possédez la connaissance des grandes valeurs qui forment les hommes de votre catégorie.

Je vais évoquer succinctement, ce que furent les étapes principales de votre belle carrière administrative.

Le 31 Décembre 1913, alors que vous êtes âgé de 23 ans, et frais émoulu de la Faculté de Droit, vous faites vos débuts à la Sûreté Générale, qui n’était pas encore Nationale. Je passerai sur vos lointaines et premières années qui comprennent la guerre de 14-18, pour arriver de suite à cette période qui fut fertile en événements dramatiques.

Dans le courant de l’année 1933, vous êtes Commissaire Divisionnaire au Contrôle Général des Services de Police Judiciaire qui constituait l’Etat-­Major des Brigades Mobiles. Vous avez conscience que cette Direction n’est pas suffisamment structurée. Qu’elle ne possède pas assez de fonctionnaires qualifiés pour faire face à une criminalité déjà grandissante. Mais vos études, vos propositions ne sont pas suivies.

Vers la fin de cette même année 1933 éclate le scandale STAVISKY dont les escroqueries se chiffreront à des sommes considérables. L’une des premières mesures arrêtées en Conseil des Ministres est de vous placer à la tête de ce Contrôle Général. Dans la même heure, vous en remplaciez le Chef, et vous mettez immédiatement en application votre plan de réorganisation en créant des sections spécialisées de répression, tant en matière criminelle que financière et économique, et en prélevez les effectifs dans les Brigades Mobiles de PARIS et de Province.

Alors, vous pouvez faire face à la situation, dénouer les intrigues et faire toute la lumière sur les agissements de l’escroc qui avait jusque là obtenu 19 remises successives devant les Tribunaux. Se voyant acculé et ne pouvant plus compter sur ses habituelles protections, STAVISKY s’enfuit. Mais, il est retrouvé au petit village de SERVOZ à 1.800 m. d’altitude, dans une villa, le « VIEUX LOGIS ». Il y attend la venue de l’un de ses complices qui doit lui apporter une importante somme d’argent avant de passer clandestinement en ITALIE. Mais ce sont vos collaborateurs qui sont au rendez-vous ce 8 Janvier 1934. La villa est cernée par les gendarmes. STAVISKY refuse d’ouvrir et un coup de feu retentit. Il vient de se donner la mort.

Les partis hostiles au Gouvernement organisent alors des manifestations dans la rue. Ils ameutent la foule et c’est la marche hurlante sur la Chambre des Députés. C’est l’émeute du 6 Février 1934. Stoïquement, vous faites face à l’orage et vous apprenez ainsi que le haut fonctionnaire ami de la vérité entre facilement en lutte ouverte avec le mensonge, et la calomnie même dans le déchaînement des partis pris. Vous n’êtes pas au bout de vos peines.

Quinze jours plus tard, le 21 Février, on découvre sur la voie ferrée au lieu dit la « COMBE AUX FEES », près de DIJON, le cadavre déchiqueté par un train, d’un homme rapidement identifié. Il s’agit de Monsieur Albert PRINCE, Conseiller à la Cour d’Appel de PARIS, ancien Chef de la Section Financière du Parquet de la Seine. Personne, à ce moment-là, ne sait que le jour même où il est découvert sur la voie ferrée, le Conseiller PRINCE devait être entendu comme témoin par une Commission d’enquête administrative et judiciaire chargée de rechercher les compromissions à l’aide desquelles, pendant plusieurs années, l’escroc STAVISKY avait pu bénéficier de l’impunité. Enfin, après plusieurs semaines d’enquête, vous avez été en mesure d’entériner les efforts de vos collaborateurs qui ont conclu au suicide.

Une certaine presse crie au scandale et veut absolument qu’il y ait eu crime. Une contre-enquête est effectuée par la Préfecture de Police. Ceux qui en sont chargés arrivent aux mêmes conclusions. Monsieur PRINCE avait en effet commis une négligence dans l’affaire STAVISKY, mais il avait un souci de l’honnêteté et de la loyauté poussé aux plus extrêmes limites. Son drame fut celui d’une conscience droite. L’émotion du public est à peine apaisée que se produit l’assassinat à MARSEILLE, le 9 Octobre 1934, du Roi ALEXANDRE DE YOUGOSLAVIE et du Président BARTHOU.

Le régicide est abattu sur place, mais il reste à identifier ses complices, une fois de plus vous intervenez pour centraliser toutes les opérations de police. Il est alors établi que ce crime est l’oeuvre d’une organisation terroriste croate, les « Oustachis ». La preuve est alors faite qu’elle est soutenue par l’Allemagne Hitlérienne et le fascisme italien. C’est tellement vrai, qu’après l’invasion de la YOUGOSLAVIE par les allemands et les italiens en 1941, ANTE PAVELITCH, Chef des Oustachis est nommé par HITLER, Président de la République de Croatie, et il s’em­presse de prendre comme Ministre de la Guerre, KVATERNIC, son principal adjoint « oustachi ».

Puis, c’est la Cagoule qui, par la force des événements devient le centre de vos préoccupations. Le public, en réalité, n’en sut jamais grand chose, cependant ce complot avait pour but l’alignement du régime de notre pays sur celui de l’Allemagne et de l’Italie. Les Cagoulards furent en France les agents les plus efficients de l’étranger dont ils recevaient argent et armement. Ils se livrèrent à diverses activités criminelles sur notre territoire afin de jeter le trouble dans les esprits et de créer une atmosphère de terreur sociale.

C’est ainsi que vous avez eu à connaître plus particulièrement des assassinats de NAVACHINE, au Bois de Boulogne, de LAETITIA TOUREAUX, dans le métro, des frères ROSSELLI à BAGNOLES-DE-L’ORNE, des attentats par explosifs de la place de l’Etoile et à l’Aérodrome de TOUSSUS-LE­NOBLE, ainsi que d’autres en Province. La liste est longue. Mais, je ne peux m’empêcher de rappeler que certains de ceux dont vous aviez chargé vos commissaires et inspecteurs d’identifier et d’arrêter, vous les avez retrouvés en 1940, à VICHY, au premier rang de la révolution nationale. Ils tenaient des leviers de commande dans le gouvernement. A noter que le IIIe Reich s’était empressé de faire libérer de prison tous ceux qui avaient été arrêtés.

Le 23 Juin 1941, c’est l’assassinat à MONTELIMAR, de Marx DORMOY qui, comme Ministre de l’Intérieur, avait porté de rudes coups à la Cagoule. Grâce aux dispositions immédiatement prises, les trois assassins, ex-cagoulards, sont arrêtés. Il était temps; car parmi les documents découverts se trouvait la liste d’autres personnalités à abattre. Mais, lors de l’occupation de la zone Sud, GEISLER, le Chef de la Gestapo, en poste à VICHY, s’empresse de faire remettre tout le monde en liberté.

En dehors de ces crimes retentissants, vous avez eu à coiffer bien d’autres affaires judiciaires. C’est encore à vous que revient le mérite d’avoir, grâce à votre organisation, fait détruire les premiers gangs, dits de « traction avant ». Leurs agressions souvent suivies de mort, inquiétaient le public, en raison de leur impunité. Il faut bien admettre que vos activités diverses commençaient à inquiéter l’occupant, car la Gestapo, au mois d’Avril 1942, obtenait que vous soyez relevé de vos fonctions d’Inspecteur Général des Services de Police Criminelle. Ainsi que vous le voyez, Mesdames et Messieurs, la carrière administrative de Pierre MONDANEL fut particulièrement brillante. Elle est restée un exemple pour la Sûreté Nationale.

Après avoir été fait Chevalier de la Légion d’honneur, il a été promu, en 1938, Officier dans le même Ordre, pour services exceptionnels. Son passé de Résistant est pour le moins aussi éloquent. Rien dans son tempérament, dans son caractère ne permettait une autre ligne de conduite que celle qu’il a choisie et poursuivie sans désemparer.

Lors de la défaite, les services centraux de Pierre MONDANEL ont été repliés avec le Gouvernement à VICHY. Dès Septembre 1940, il prend l’initiative d’organiser un groupe clandestin, appelé Section Spéciale, ayant pour mission exclusive de surveiller les Allemands en séjour ou de passage dans la Capitale provisoire et aux environs, ainsi que toutes personnes en relations avec eux. C’est par ce groupe que, pendant près de deux ans, furent surveillés aussi étroitement que possible les diplomates, les journalistes allemands et même les membres de la Gestapo.

Des renseignements précieux furent presque quotidiennement recueillis. Les plus urgents étaient communiqués directement par Pierre MONDANEL au Colonel PAILLOLE, Chef des Services de Contre-Espionnage qui nous fait l’amitié d’être ce jour parmi nous. Les autres étaient transmis aux Chefs de l’O.R.A. C’est ainsi que certaines conversations secrètes tenues dans son cabinet personnel, par KRUG VON NIDA, Consul d’Allemagne à VICHY, avec d”éminentes personnalités furent aussitôt signalées. Il en fut de même des propos confidentiels émanant de l’entourage de ce diplomate allemand. C’est ainsi que furent connues les intentions d’un Conseiller d’ABETZ d’envoyer des émissaires au TCHAD pour y accomplir la mission que vous pouvez supposer.

Il y eut aussi un code secret de la presse allemande habilement dévoilé. La désorganisation complète au réseau de propagande allemand désigné sous le nom de « RADIO MONDIAL » avec des antennes en SUEDE, à GENEVE, LISBONNE et MONTE-CARLO. Sa mission était d’agir sur l’opinion publique des pays anglo-saxons. Il y eut deux dangereux agents secrets, fraîchement arrivés de BERLIN, qui furent démasqués avant d’avoir pu effectuer leur mission. Il faudrait citer également les nombreuses enquêtes qui se terminèrent par de beaux rapports de recherches infructueuses, toutes les fois qu’il s’agissait de couvrir les services de contre-espionnage ou les réseaux qui se constituaient petit à petit.

Je n’en finirais pas non plus, si je devais énumérer l’action résistante de MONDANEL qui lui a valu deux perquisitions assorties de pillage à son domicile parisien et ici même. Cela lui a coûté seize mois de déportation à BUCHENWALD et à DACHAU et ce qui est infiniment plus triste encore, le décès prématuré de sa femme, à la suite des sévices dont elle a été victime au moment de l’arrestation de notre ami, par la Gestapo. N’oublions pas qu’avant de lui passer les menottes, quatre balles furent tirées dans sa direction, alors qu’il tentait de s’enfuir.

La grande épreuve de l’occupation et les courants « collaborateurs » qui traversèrent notre politique à cette époque trouvèrent Pierre MONDANEL égal à lui-même et fidèle aux grandes consignes de la résistance à l’ennemi. Il a fidèlement servi aux côtés de ses camarades de la guerre engagée contre l’allemand. Pas de défaillance, jamais d’attitude équivoque. Mais, l’acceptation courageuse des tâches qui lui étaient demandées. A VICHY, il a résolument joué sa carrière et aussi sa vie, pour rester dans le rang de ceux qui mettaient la libération du pays au-dessus des ambitions personnelles et des intérêts les plus légitimes. Intransigeant dans son patriotisme, il n’a pas transigé avec le Devoir.

Mesdames, Messieurs, ces dernières appréciations ne sont pas de moi, mais du Général RIVET qui fut le Chef du 2e Bureau de l’Armée Française.
Nommé Directeur au Ministère de l’Intérieur, c’est avec plaisir qu’il vit arriver l’heure de la retraite pour se consacrer à son violon d’Ingres « l’Histoire locale de sa chère Auvergne », qui nous a valu son premier livre :« PONT DU CHATEAU A TRAVERS LES AGES » qui a connu un large succès.

N’allez surtout pas penser qu’au fil des années Pierre MONDANEL a oublié ses anciens collaborateurs ou que ceux-ci l’ont oublié. II a de l’amitié une conception exigeante et totale qui rend la sienne précieuse à ceux qui l’ont reçue. Depuis son départ à la retraite, il fut convié par ceux-ci à un grand banquet annuel au cours duquel chacun lui manifestait sa sympathie et son attachement. Ces déjeuners amicaux arrivent à s’espacer de plus en plus. L’âge, la maladie, l’éloignement, la disparition de bien des participants en sont l’unique raison. Tous n’ont pas, il s’en faut, le dynamisme, la verdeur de leur grand ancien, qui ne m’en voudra pas de vous rappeler que, le mois dernier, il a franchi allègrement le cap de sa 83em année.