Dévoilé par Challenges fin 2024, le projet de missile balistique terrestre (MBT) français, poussé par ArianeGroup, franchit un jalon majeur. Le projet de loi de finances 2026 prévoit un investissement d’un milliard d’euros dans le programme. Reste à bétonner le calendrier de développement.

L’information, perdue au fin fond d’une annexe de 500 pages du projet de loi de finances 2026, n’a, à première vue, rien de spectaculaire. Elle marque pourtant une accélération importante du programme de missile balistique terrestre (MBT). Dévoilé par Challenges en novembre 2024 , ce projet, poussé depuis 18 mois par ArianeGroup, vise à développer un missile de plus de 2 000 km de portée qui compléterait les capacités de frappe dans la profondeur française (missiles Scalp embarqués sur chasseurs, missiles MdCN sur frégates et sous-marins). Selon le document budgétaire, le ministère des Armées a décidé de flécher de l’ordre d’un milliard d’euros vers le projet, dont 15,6 millions seront dépensés dès 2026 pour entamer une étude de levée de risques.

De quoi parle-t-on exactement ? Les missiles balistiques sont des armements propulsés par un moteur-fusée dans une première phase de vol, qui sortent de l’atmosphère, et retombent à très haute vitesse par la seule force de la gravité terrestre. Cette vélocité fait de ces missiles des armements redoutables : leur vitesse peut dépasser Mach 20 (25 000 km/h) sur certaines phases de vol des missiles intercontinentaux, ce qui les rend extrêmement difficiles à intercepter. Les modèles les plus avancés disposent en plus de capacités de manœuvres finales, qui les rendent encore plus difficiles à détruire.


Retour en grâce du missile balistique


Si la technologie date des années 1940, les missiles balistiques connaissent un impressionnant retour en grâce depuis quelques années. Les Etats-Unis fabriquent un nouveau missile dit PrSM (Precision Strike Missile), successeur du célèbre ATACMS très utilisé en Ukraine. La Chine développe au moins 8 types de missiles balistiques.

L’Iran en utilise régulièrement contre Israël. Plusieurs dizaines d’engins avaient franchi, en octobre 2024, le bouclier antimissile de Tsahal, touchant deux bases militaires (Nevatim et Tel Nof), comme l’a révélé le Washington Post . Israël utilise également régulièrement des missiles balistiques embarqués sur avion, dits aérobalistiques, comme le Blue Sparrow (1 000 km de portée) et le Silver Sparrow (2 000 km). Ces missiles auraient notamment permis de frapper l’Iran fin 2024, et les responsables du Hamas au Qatar en septembre dernier.

La Russie multiplie également, depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, les tirs de missiles balistiques, notamment son nouveau missile Orechnik. La Corée du Nord produit également ce genre d’armement de longue date, qui n’est plus l’apanage des seuls Etats. Les Houthis, au Yémen, ont effectué plusieurs frappes ces trois dernières années avec des missiles balistiques.


Une « capacité nécessaire », selon le patron de l’armée de Terre


Face à cette véritable prolifération, la France et l’Europe apparaissent assez désarmés. La France développe bien un missile balistique, le missile nucléaire M51 embarqué sur les sous-marins lanceurs d’engins (SNLE) de la Marine nationale. Mais cet armement n’a pas vocation à être une « arme d’emploi » utilisée lors de conflits conventionnels.

C’est là que le projet MBT intervient. L’idée d’ArianeGroup est de doter la France – et les alliés européens intéressés – d’un missile de 2,000 km de portée, au coût compétitif, qui permettrait de mener des frappes dans la profondeur depuis un camion. Ce projet a été accueilli favorablement par le rapport des députés Jean-Louis Thiériot et Matthieu Bloch , consacré à l’artillerie et publié en avril. « Si une seule technologie devait être retenue en raison du contexte budgétaire contraint, ils estiment l’opportunité de développer la technologie balistique terrestre supérieure à celle de développer la technologie [de missiles] de croisière terrestre » , écrivaient les deux députés.

L’armée de Terre ne cache pas non plus son intérêt. « C’est clairement une capacité qui est nécessaire , assurait le chef d’état-major de l’armée de terre, le général Pierre Schill, en novembre 2024. Dès lors qu’on a les ressources, avoir une redondance en ayant, en complément des capacités de frappes aériennes, des capacités de frappe dans la profondeur à partir du sol (missiles balistiques, de croisière, munitions téléopérées), c’est important, et c’est probablement un effort à faire. »

Le milliard fléché vers le MBT dans le projet de budget 2026 est un premier signe positif. Celui-ci reste cependant à confirmer. Si l’investissement peut paraître important, il est pour l’instant largement prévu après 2028. L’échéancier publié dans l’annexe au PLF évoque 15,6 millions d’euros décaissés en 2026, 20 millions en 2027, et 44 en 2028. L’essentiel de l’effort est reporté aux années suivantes, avec 820 millions d’euros investis après 2028.


Les aviateurs aussi intéressés


L’armée de terre n’est pas la seule à regarder attentivement le projet. Dans une audition à l’Assemblée nationale organisée le 9 juillet dernier , le chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace, le général Jérôme Bellanger, estimait que l’emploi de missiles aéro-balistiques embarqués sur Rafale pourrait démultiplier l’efficacité de l’avion français, en permettant des frappes « dans la profondeur à des distances de 1 000 à 2 000 kilomètres  ».


Vincent LAMIGEON
Challenges
21 octobre 2025

Source photo : US Army

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