En 2022, la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) fête ses 40 ans. Pour Var-Matin son ancien directeur du renseignement de 2002 à 2003, Alain Juillet, ex-patron du renseignement de la DGSE revient sur cette expérience.

Vous avez été responsable du renseignement de la DGSE, que retenez-vous de cette expérience ?

C’était passionnant. J’avais accès à une quantité impressionnante d’informations, elles étaient toutes traitées par des analystes professionnels donc j’avais une vision très claire de ce qui se passait dans le monde. En définitive, on voit le « dessous des cartes ». Cette vision permet d’ouvrir les yeux, elle amène à réfléchir.

Quand on est directeur du renseignement de la DGSE quel type de décision doit-on prendre ?

Tout d’abord, on doit orienter et réorienter ses équipes parce que beaucoup d’informations arrivent. Il faut s’adapter, savoir se remettre en cause, approfondir les sujets pour chercher la vérité. Je dis bien chercher la vérité car le politique a sa propre vérité, qui est autre, car il mêle ses sensibilités politiques ou philosophiques. Dans le renseignement, on doit être absolument neutre. Si ce n’est pas le cas, alors ce n’est plus un service de renseignement.

Avez-vous un exemple d’une grande décision que vous avez prise ?

Pour la guerre en Irak, quand les Américains avaient annoncé que Saddam Hussein avait potentiellement la bombe atomique, les services français avaient dit à Jacques Chirac et Dominique de Villepin, que tout était faux. Moi je suis très fier que les services français aient compté dans les décisions car, pourtant, tous les services anglo-saxons prétendaient dire la vérité.

Parmi ces services de renseignement, la France compte sur la Direction du renseignement militaire (DRM). Dernièrement, elle a été très critiquée par le pouvoir politique pour avoir eu mauvaise analyse des intentions russes vis-à-vis de l’Ukraine. Qu’en pensez-vous ?

L’attaque faite à la DRM est très injuste. Le problème c’est que le service avait en face de lui des politiques qui écoutaient trop les médias. Or, les médias reprenaient à longueur de journée ce que les Américains disaient, à savoir que ça allait taper en Ukraine. Pendant ce temps, la DRM détenait des informations qui démontraient que ce n’était pas sûr. Elle disait qu’elle devait aller plus loin dans ses analyses. Malheureusement, quand le matin les médias vous disent que ça va être la guerre demain, si vous demandez 24 heures pour vérifier vous êtes l’abruti de service.

Anticiper une guerre, n’est-ce pas le rôle d’un service de renseignement ?

En ce qui concerne l’Ukraine, il faut être extrêmement prudent car toutes les informations qui commencent à sortir montrent que le départ de l’opération n’est pas du tout comme on l’avait imaginé. Ce qui semble être sûr, c’est qu’il y a eu un mouvement du côté ukrainien, ou des phases qui ont convaincu les Russes qu’il fallait déclencher la guerre. Ils voulaient la faire, il n’y a pas de doute. La question était de savoir à quel moment. Elle a éclaté de manière très précipitée pour une raison évidente : lorsque les Russes l’ont déclenchée, c’était en pleine période de dégel. Or, en période de dégel les chars ne peuvent pas aller sur les champs sinon ils s’embourbent, ils sont obligés d’aller sur les routes et ils deviennent très vulnérables. C’est exactement ce qui s’est passé.

Est-ce qu’il y a des pays « amis » dans les renseignements ?

Le général de Gaulle disait : « dans le monde du renseignement, comme ailleurs, on n’a pas d’amis. On peut avoir des alliés, des partenaires mais on n’a pas d’amis ».

Vous avez évoqué le rôle des politiques avec les services de renseignement. Quel est le lien entre la DGSE et le Président de la République ? Qu’est-ce qu’ils disent ?

Le patron de la DGSE répond aux questions que lui pose le Président ou alors, s’il pense qu’il y a quelque chose d’important à lui signaler, il va lui dire « dans tel domaine, attention il y a un truc ». C’est uniquement un signalement. Au Président de dire si ça l’intéresse ou non. Concernant les opérations, elles sont montées et normalement, le président n’a rien à dire. Parfois, pour prendre certaines décisions, il faut s’assurer que toutes les hiérarchies, y compris le Président, est d’accord. Dans ce cas, on ne lui demande jamais un papier écrit, ni même une affirmation du type : « Oui je valide ». Cela ne se passe pas comme ça.

Comment ça se déroule alors ?

Le Président de la République va dire : « Faites ce que vous pensez utile ». Après, aux responsables de la DGSE de prendre leurs responsabilités. Un service de renseignement ne doit jamais prendre le risque de mettre en cause le Président. C’est lui le représentant de la nation, notre rôle c’est de le protéger.

Quelles sont les qualités d’un bon espion ?

Il doit être intègre, c’est très important. Ensuite honnête, courageux et très patient car on met beaucoup de temps avant de faire les choses. Enfin, il faut qu’il soit curieux parce qu’il faut toujours avoir l’esprit ouvert sur le reste. Il faut se passionner pour le monde et pour les autres. Avec ces ingrédients, vous êtes un bon espion !

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