Je ne l’avais pas revu depuis de longues années. Victime de graves atteintes vasculaires, il évitait les contacts extérieurs. J’ai ressenti péniblement sa mort, le 21 décembre 1998. C’est la dernière pièce maîtresse du BCRA qui s’écroule et avec elle c’est une page de notre histoire secrète qui se tourne, sans qu’il ait pu, ou voulu, en écrire toutes les vérités.

Contrairement à ce que nombre d’historiens ou journalistes ont laissé entendre, les ” rivalités ” de façade entre les services traditionnels et ceux de Londres, n’ont jamais empêché, sur le champ de bataille clandestin, une complémentarité d’efforts et une solidarité de tous les instants.

Je sais les sournoises rumeurs propagées, les accusations gratuites et infâmantes, parfois colportées tendancieusement, pour nuire à nos anciennes maisons, sans pour autant donner du prestige au BCRA.

Maintes fois j’ai regretté que Passy, lui-même, prête une oreille à ces mensonges et n’ait pas vérifié la valeur de ses sources d’information ni cherché à mieux connaître nos rigoureuses attributions.

Je l’ai rencontré pour la première fois à Londres entre la Noël 1942 et le premier de l’an 1943. Il était venu me saluer dans le bureau que l’I.S. m’avait octroyé lors de mon évasion de France.

Après s’être informé de mes intentions et offert d’adhérer à la France Libre avec un grade supérieur, il m’avait affirmé son désir de collaboration. Il comprenait d’autant mieux ma volonté de développer officiellement et clandestinement nos services et réseaux de sécurité et de contre-espionnage, que le BCRA n’avait rien d’équivalent à m’opposer.

Nous nous étions quittés, résolus l’un et l’autre à concrétiser nos engagements d’union. C’était sans compter avec les rivalités croissantes des Généraux Giraud et de Gaulle…

Pendant plus d’un an, nos contacts se sont éloignés. Alimentés par les rumeurs imbéciles et partisanes, ils ont pris des allures parfois conflictuelles à Alger.

Ambitieux, à l’égal de son chef, le BCRA entendait affirmer une suprématie qui ne justifiait ni sa compétence en matière de Renseignement, ni le savoir-faire de ses composants.

Il fallut la diplomatie de Frenay et la souplesse de Soustelle pour mettre un frein au déchaînement des passions et aboutir à une sorte de fusion qui ruina la santé de notre patron, le Général Rivet.

Après la libération de notre Patrie, nous nous sommes ouverts de tout cela, Passy et moi. Certes mon camarade ne niait plus la valeur du professionnalisme de nos cadres. La preuve en est qu’éphémère patron du S.D.E.C.E., il fit appel à mes compagnons pour tenir les commandes de cette nouvelle organisation.

Pas davantage, il ne niait la qualité du travail de recherche et de sécurité de nos anciennes maisons, avant et pendant la Deuxième Guerre Mondiale. Il nous ” reprochait ” notre trop grande bienveillance à l’égard de nos alliés britanniques et nous soupçonnait d’avoir intrigué pour diminuer l’influence du BCRA à leurs yeux.

Pensées médiocres, surprenantes chez cet homme intelligent, cultivé, méthodique dont l’action courageuse et obstinée a aidé à surmonter les désordres de la Résistance pour contribuer aux succès des opérations de libération de notre territoire.

A la fin des années quarante, il dut quitter les Services Spéciaux dans le fracas de scandales moraux et financiers. Trop vite sans doute, car, visionnaire avisé, il avait compris la nécessaire évolution des Services Secrets en fonction d’une conjoncture nouvelle et leur indispensable adaptation aux méandres variés de notre Défense.

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