Parmi les événements qui ont, semble-t-il, ” surpris ” les Français. il en est un qui demeure toujours d’actualité par ses tragiques et innombrables conséquences, c’est l’invasion éclair de la France par l’Armée allemande au printemps 1940. Bien des fois nous avons prouvé que le Commandement (et le Gouvernement) français avaient été prévenus par les Services Spéciaux de cette éventualité.

Par le Colonel DOUDOT

Sur ordre du Colonel PAILLOLE, j’avais passé le mois de janvier 1940 en Hollande avec la mission d’y réorganiser nos réseaux CE.

Un de mes amis néerlandais (ma femme, belge d’origine hollandaise, avait de nombreux parents dans ce pays), me communiquait bénévolement tous les mois, depuis longtemps avant la guerre, les originaux des circulaires secrètes de la Gestapo (listes d’agents français et alliés arrêtés ou recherchés en Allemagne et aussi des renseignements militaires et des photographies (les ouvrages de la ligne Siegfried de la région d’Aix-la-Chapelle)

D’accord avec ma direction, je rédigeais des extraits de ces listes à l’intention des S.R. et C.E. belges.

Le 14 février 1940, j’étais en mission de liaison de ce genre à Bruxelles où j’apprenais l’aventure de l’avion allemand qui s’était posé par mégarde, le 11 février, sur la neige dans la ligne défensive belge près de Hasselt ; les occupants, deux officiers supérieurs allemands, transportaient un original du plan d’opérations allemand pour le front de l’Ouest (invasion du 10 mai 1940).

Voici ce qui s’était passé.

Un officier supérieur allemand avait été chargé de porter à la Kommandantur militaire de Cologne le plan d’opérations (Aufmarschplan) de l’armée allemande sur le front Ouest. A son passage à Munster en Westphalie il rencontra un de ses camarades de la première guerre mondiale, major de l’aviation, qui le supplia d’interrompre son voyage et de fêter convenablement leur rencontre.

Le dîner, très gai, se prolongea outre mesure et l’officier manqua sa correspondance de train de Cologne. Pour rattraper le retard le major aviateur lui proposa de le conduire le lendemain matin (tôt) avec un petit avion.

Le temps devint mauvais dans la matinée et la visibilité minime ; l’avion se perdit dans la nature. En survolant Maastricht (Limbourg hollandais), le pilote crut reconnaître la cathédrale de Cologne. En réalité il faut beaucoup d’imagination pour confondre la célèbre cathédrale allemande et ses deux clochers avec celle de Maastricht beaucoup moins haute.

Le pilote se posa alors un peu plus au Sud, en plein dans la ligne de défense belge.

Les occupants de l’avion furent arrêtés.

Conduits au poste de gendarmerie, les officiers allemands n’eurent pas l’occasion de faire disparaître le dossier secret. L’un d’eux jeta subitement tout le dossier dans le fourneau rouge de chaleur. Mais un gendarme belge eut le courage de retirer tout le paquet, se brûlant sérieusement la main. Les documents étaient déjà consumés sur les bords.

L’E.M. belge fut en mesure de déchiffrer toutes les phrases des textes.

Un de mes amis, bien placé à l’E.M. belge, me communiqua dans les grandes lignes le contenu des documents secrets allemands.

Etant donné que quelque temps auparavant le Roi des Belges avait prononcé un grand discours sur la neutralité de la Belgique – il y avait en 1940 presque autant de troupes belges à la frontière française qu’à la frontière allemande – mon ami n’osa pas me remettre le texte intégral du plan allemand.

Le même soir mes chefs étaient en possession de mon rapport détaillé. La réaction à la réception de ces renseignements fut peu encourageante.

En France, on estimait que le Gouvernement belge était en difficultés politiques et avait ” monté ” ou ” gonflé ” cette affaire pour en tirer profit.

Le Commandement pensa comme l’E.M. belge, au moins au début de l’affaire, qu’il s’agissait d’une intoxication bien présentée par le commandement allemand. L’erreur de navigation du pilote allemand trouva peu de crédit, surtout en raison du transport du plan d’opérations en question.

En Allemagne, Hitler croyant à une trahison, furieux, et surtout en colère contre l’Abwehr et son chef, l’Amiral Canaris (décapité après l’attentat contre le Führer de juillet 1944), voulut faire ” liquider ” les deux officiers en question.

L’instruction ouverte par la justice et la police, n’apporta pas la preuve d’un acte de trahison prémédité, mais conclut seulement à une négligence grave.

Les documents étaient authentiques et constituaient une nouvelle version du plan Schlieffen.

Le Général von Manstein fut chargé d’élaborer un nouveau plan d’opérations. Par manque de temps et devant l’incrédulité des alliés dont l’E.M. allemand eut rapidement conscience, ce nouveau plan ne se distingua guère de l’ancien.

Deux mois plus tard, l’armée allemande envahissait la Hollande, la Belgique et la France.

L’Offensive Rundstedt de 1944 était également connue à l’avance.

En haut lieu on ne crut donc pas à l’authenticité du plan d’opérations de 1940, pas plus que le Commandement U.S.A. ne crut à l’authenticité du rapport d’un déserteur allemand qui se présenta le 20 octobre 1941 à l’armée soviétique.

J’étais alors officier de liaison auprès d’une ” Task-Force ” interalliée (SCI) à Spa, chargée de saisir avec les premières troupes les documents de la Gestapo à Aix-la-Chapelle.

Je vois encore maintenant en esprit ce rapport du déserteur allemand qui était bien informé.

Il prédisait l’offensive de von Rundstedt ; il venait de l’Eifel où, sur le Nürburgring étaient concentrées les unités qui devaient participer à cette offensive.

Le déserteur appartenait à l’une de ces unités. Il révéla les objectifs prévus au jour le jour par le Commandement allemand, les axes de marche, l’effort principal sur Bastogne, en vue de la percée du front allié en direction de la Meuse et d’Anvers dans le but de couper les armées du Nord (Belgique et surtout Hollande), des troupes du Sud (Luxembourg et France).

Il fournit toutes les précisions sur les unités allemandes qui devaient prendre part à cette offensive. Le seul détail qu’il ignorait était la date de l’offensive. Elle fut en réalité déclenchée vers la mi-décembre 1944.

Vers Noël je me rendis de Tilburg (Brabant hollandais) en mission à Luxembourg et au lieu de prendre la route directe je dus passer par Rocroi-Longuyon.

A l’aide d’une copie du rapport du déserteur j’étais en mesure de vérifier journellement la progression des troupes allemandes et l’exactitude des renseignements fournis par lui.

Le Commandement américain n’avait nullement renforcé ses troupes face à l’Eifel le long des frontières luxembourgeoises et belges, secteur gardé par quelques postes isolés, lorsque l’armée von Rundstedt passa à l’attaque. Ndlr : – Comme pour l’affaire de 1940, ” on n’y croyait pas”… Ainsi est illustrée une fois de plus cette fâcheuse tendance des Commandements et Gouvernements d’accorder plus de crédit à ce qui entre dans leurs vues qu’à la réalité lorsqu’elle est présentée par les Services Spéciaux officiels sous un jour qui ne correspond ni aux plans établis ni aux hypothèses scientifiquement échafaudées…

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