Avant et pendant la guerre 39-40 j’étais chef de la Section allemande du S.R.
A ce titre, fin juin et juillet 40, je réorganise le S.R. contre l’Allemagne et le mets en mesure de continuer sa mission.
A partir d’octobre 40, à Alger, je deviens chef du 2 ème Bureau du Général WEYGAND. Je suis chargé par lui de la partie secrète » (animation des Services Spéciaux, de la propagande, des écoutes téléphoniques, de la lutte contre les empiètements des commissions d’armistice).
Au départ du Général WEYGAND (novembre 1941), je reste à Alger avec le Général JUIN (même mission et mêmes activités).
Février 1942. – Je suis renvoyé en France sur ordre personnel de l’Amiral DARLAN en raison de mes ” activités néfastes ” auprès du Général WEYGAND.
Je suis affecté d’office au 12 ème Cuirassiers (Orange) et placé sous la surveillance de la police (qui, d’ailleurs, m’en prévient).
Fin 1942. – A la démobilisation de l’Armée de l’Armistice du fait que les Allemands me connaissaient et possédaient sur moi les renseignements possibles (mon appartement de Paris avait été perquisitionné en juin 1940), je plonge dans la clandestinité et prends contact avec la Direction à Alger de l’ex-S.R. On me demande d’attendre des instructions en vue d’une mission qui me serait confiée en France.
Début 1943. – Je suis convoqué à Vichy par le Général DELMOTTE ( je lui avais été signalé par son Chef de Cabinet le Commandant BAILLOUD que je connaissais depuis longtemps ).
Il me demande de prendre auprès de lui la direction d’un S.R. clandestin sur l’Allemagne. Je prends conseil auprès du Général FRERE qui me demande d’accepter afin de faire bénéficier l’O.R.A. (qu’il est en train de constituer) des renseignements que j’obtiendrais.
Au début, quelques jours avant d’avoir commencé la moindre activité, je suis convoqué à nouveau par le Général DELMOTTE qui me fait part de l’opposition formelle de LAVAL à la création du S.R. en question et de l’interdiction absolue de m’employer à un poste quelconque en raison de mes activités « gaullistes » auprès du Général WEYGAND.
Je quitte Vichy, mais reste en contact avec le S.R. (Colonel DELOR).
Mars 1943. – Je suis contacté par les Services Spéciaux d’Alger (Colonel RIVET, Commandant PAILLOLE) qui me demandent de prendre la direction d’un service clandestin de Sécurité Militaire précurseur à créer, et, en même temps de « coordonner » l’action du C.E. clandestin, T.R. et du S.R. en France occupée.
Je viens alors m’installer à Clermont-Ferrand pour être à proximité du S. R. (Colonel DELOR, résidant quelque part près de Vichy) du T.R. (Commandant LAFONT, alias VERNEUIL, camouflé dans la région de Brioude) et de l’E.M. de l’O.R.A. qui fonctionne dans la région (Général FRERE, puis Général OLLERIS).
Avril 43. — Après une série d’entretiens avec DELOR et VERNEUIL, il est décidé que je prendrai à mon compte la création du S.S.M. sur l’ensemble du territoire et que j’aurais l’autorité, en zone nord, sur les éléments du T.R. et du S. R.
Cette organisation jouera en ce qui concerne S.S.M. et T.R. mais, en ce qui concerne le S.R. elle se réduira à quelques contacts avec le Commandant LOCHARD, successeur du Colonel DELOR.
Il est également entendu que j’aurai la responsabilité des contacts avec l’O.R.A., surtout enn zone nord.
CRÉATION ET FONCTIONNEMENT DU S.S.M. PRECURSEUR
Le P.C. principal fut installé à Paris, rue Boissy-d’Anglas, dans un appartement loué au nom d’une Secrétaire Madame GILLOT-MAITRE, qui y fut installée.
L’État-Major comprenait le Capitaine BRUTE de REMUR (1er adjoint) et le Capitaine GOBERT (2e adjoint). Seuls, ces deux officiers avaient, avec moi, accès au P.C. dont personne ne connaissait l’existence et où n’était reçue aucune visite.
Un P.C. secondaire existait à Clermont-Ferrand, où j’avais une chambre et une boîte aux lettres assurée par Mademoiselle VERGNE, Secrétaire de l’Aéro-Club.
La mission était de créer un B.S.M. par région militaire avec une antenne dans chaque département.
A partir d’avril 1943, je me suis donc mis à rayonner dans toute la France, à partir de Paris pour la zone nord, à partir de Clermont-Ferrand pour la zone sud.
Ces voyages m’amenèrent à passer plus de 40 fois la ligne de démarcation, toujours par le train (les franchissements clandestins auraient demandé trop de temps). Je n’eus jamais aucun incident.
J’utilisais pour mes déplacements quatre identités différentes qui n’étaient connues de personne, ni de ma famille, ni de mes adjoints. Je prenais mes contacts sous d’autres identités (soit la véritable, soit d’autres pour lesquelles je ne possédais pas de papiers). Je vivais ainsi que ma famille, sous une identité différente de toutes les autres.
J’ai contacté personnellement tous ceux à qui je destinais le commandement d’un B.S.M. Je leur demandais, en principe, de recruter eux-mêmes un adjoint et de me le présenter au voyage suivant. En dehors du chef du B.S.M. et de son adjoint, je ne voulais connaître personne.
En fait, il fallut souvent que je recrute moi-même non seulement le chef du B.S.M., mais égaiement l’adjoint. Il arriva aussi que, ne trouvant personne de qualifié au futur chef-lieu de la région militaire, je mette en place d’abord moi-même les futures antennes départementales avant de pouvoir les coiffer par un chef de B.S.M. qualifié.
En priorité, je cherchai à recruter des officiers d’active.
De nombreuses adresses furent données par la Section Cavalerie du Bureau du personnel de l’Armée (Lieutenant Van AERSTELAER), d’autres par la Direction de la Cavalerie (Commandant HENIN), d’autres enfin par le Colonel LE CORGUILLIER (détachement parisien de l’E.M.A.).
Dans les contacts avec les officiers d’active, il y eut quelques rares refus ;certains justifiés par des craintes pour la famille, d’autres par le « Serment au Maréchal ». En tous cas jamais aucune dénonciation ni même indiscrétion nuisible.
Beaucoup d’officiers et sous-officiers acceptèrent alors qu’ils s’étaient jusque là tenus à l’écart de la « résistance » locale en raison de son hostilité fréquente vis-à-vis de l’armée et surtout du spectacle affligeant qu’elle donnait souvent (politicaille de clocher, malhonnêteté, marché noir, bagarres pour les futures « places » agitation inefficace, etc.).
Chaque chef désigné de B.S.M. reçut un schéma général d’organisation de son futur poste en fonction duquel il assurait lui-même son recrutement (en fait, il fallut souvent les aider).
La mission du S.S.M. précurseur avait été fixée par une note du Commandant PAILLOLE, Directeur de la Sécurité Mil;taire et Chef des Services de C.E. à Alger, datée de février 1943 à Alger, et approuvée du Commandant en Chef Civil et Militaire, le Général GIRAUD.
En résumé, elle donnait mission à chaque B.S.M. : d’étudier sa région d’implantation et de se préparer à « émerger » à la Libération en vue d’assurer la sécurité des troupes françaises et alliées et le maintien de l’ordre.
De recruter et d’instruire le personnel et de préparer les moyens matériels (locaux, matériel de bureau, voitures, etc ..) nécessaires à cet « émergement ».
De repérer d’une part les éléments favorables, d’autre part les douteux et les hostiles, dans les diverses administrations et dans le public.
De préparer les futures opérations de répression et d’épuration.
De préparer la mise en place des Tribunaux chargés de réprimer les crimes contre la Sûreté de l’Etat.
La recherche du renseignement était en principe interdite, mais j’avais prescrit de transmettre les renseignements obtenus occasionnellement ainsi que toutes possibilités de renseignement (que je me réservais d’exploiter moi-même ou de faire exploiter par d’autres voies).
En fait, au fur et à mesure que le réseau se développa, de nombreux renseignements furent obtenus.
TRANSMISSIONS.
A. – Avec ALGER.
Le S.S.M. précurseur n’avait pas de liaisons propres avec Alger. Il utilisait celles du T.R. jeune avec lequel une liaison régulière était organisée.
Pour les liaisons en zone sud, chaque chef de B.S.M. avait un correspondant T.R. auquel il remettait ses messages radio et son courrier.
En zone nord, !e courrier était centralisé à Paris et remis au Commandant MERCIER ou à MAYEUR (Maréchal) tandis que les messages radio étaient confiés à une « boîte aux lettres ».
Cependant, quelques mois avant la Libération de Paris, une opération radio était mise à ma disposition. Madame CLAIR, Veuve d’un Chef d’Escadron d’Artillerie, habitant l’A.F.N., s’était mise à la disposition du Comandant PAILLOLE, Chef des Services de S.M. et avait reçu à Alger une formation radio. Entrée en France, par l’Espagne, elle dût revenir à deux reprises à Barcelone pour y chercher du courrier, puis un nouveau poste radio (le sien ayant grillé) ce qui retarda sa mise en service comme opération radio.
Installée enfin dans la région de Paris, elle y fit, dans les semaines précédant la Libération, de nombreuses émissions. Le 18 août, je l’envoyai à Nancy afin d’avoir, après la Libération imminente de Paris, une radio derrière les lignes allemandes. Elle fit le voyage avec l’un des convois de la Gestapo dans lequel nous avions un agent. Elle fit, à Nancy de nombreuses émissions pour le compte des Services Spéciaux et aussi pour celui de M. GRANDVAL qui, du fait d’arrestations, n’avait plus personne pour passer ses messages.
B. – Avec les B.S.M.
Les liaisons étaient assurées surtout par contacts directs pris par moi ou par mes adjoints généralement sur place et quelquefois à Paris.
Elles l’étaient aussi par lettres adressées soit à des « boîtes aux lettres » soit Poste Restante, soit dans les P.O.P.
Le courrier était relevé par mes adjoints qui disposaient pour cela d’identités strictement réservées à ce rôle.
LIAISON AVEC LE T.R.
T.R. « ANCIENS ».
Une liaison personnelle avait lieu entre VERNEUIL et moi à peu près une fois par mois.
Le contact était généralement pris à Brioude par l’intermédiaire d’un ancien employé civil du Service (M. DEVAUX, alias DANIEL) installé chez un de ses parents, marchand d’articles de pêche. Nous allions ensuite déjeuner dans un restaurant de la ville.
Le Capitaine MERCIER, chef du T.R. zone nord assistait généralement à la rencontre. Lui et moi nous nous retrouvions d’habitude dans le premier train du matin Clermont-Brioude.
A Pau la liaison avec le T.R. « Anciens » était assurée par contacts fréquents entre moi (ou mon adjoint, le Capitaine de REMUR) et le Commandant MERCIER.
T.R. « JEUNES ».
Il avait été entendu entre VERNEUIL et moi que j’assumerais, en zone nord, un rôle de « mentor » vis-à-vis du T.R. « jeunes » dont la fougue, jointe souvent au manque d’expérience de la clandestinité nous causait, à tous deux beaucoup d’inquiétude.
Je ne pus malheureusement empêcher des imprudences de certaines missions de ce Réseau, dont le rôle essentiel et particulièrement périlleux était de mettre des moyens de liaison à la disposition des Services de C.E. (1).
(1) Liaisons radio, aériennes, sous marines, terrestres (par les Pyrénées au travers de l’Espagne), etc.
LIAISON AVEC L’O.R.A.
A été prise dès le début avec le Général FRERE et surtout avec son adjoint le Général OLLERIS qui lui succéda après son arrestation.
Je le rencontrais (généralement avec VERNEUIL) soit à Clermont-Ferrand, soit à Riom.
A Clermont, on se retrouvait aux environs de la gare, toujours pour les réunions beaucoup trop nombreuses et la plupart des participants dans les tenues caractéristiques d’officiers en civil (culottes de cheval, leggins ou bandes molletières, sacoches, etc…).
Après quoi, on allait déjeuner en bande dans un restaurant. Là encore, comme pour le T.R. jeune, VERNEUIL et moi tentions, sans grand succès, de donner des conseils de prudence.
A Riom, le Général OLLERIS nous recevait chez sa soeur (ou belle-soeur). C’était plus discret.
C’est cependant là que le Général OLLERIS fut arrêté.
Nous avions rendez-vous ce jour-là, VERNEUIL et moi, pour une réunion importante.
Arrivés les premiers, nous trouvons la soeur (ou belle-soeur) du Général affolée, qui nous fait comprendre qu’il venait d’être arrêté. Les Allemands n’avaient heureusement pas laissé de souricière mais pouvaient revenir.
Nous allons aussitôt nous installer dans un café ayant vue sur la gare et guettons l’arrivée des autres participants pour les prévenir et tenir dans le café un bref conciliabule.
Le Général GILLIOT, adjoint du Général OLLERIS, décide de prendre le commandement de l’O.R.A.
Je lui dis :« Ne retournez pas chez vous; il habitait la région) car le Général OLLERIS a certainement votre adresse sur son carnet (il notait tout, malgré nos protestations à VERNEUIL et à moi).
Le Général GILLIOT me répond : « Certainement pas car il est souvent venu chez moi et n’a donc aucune raison d’avoir noté mon adresse ». J’insiste. Il ne veut rien savoir. Il est arrêté dans les 24 heures.
Le « flambeau » passe aux mains du Général VERNEAU. Il s’installe à Paris.
Je n’ai eu avec lui que quelques rares contacts dans un appartement de la rue Cognacq-Jay.
Là aussi, grosses imprudences. Beaucoup trop de gens réunis et connaissant l’adresse.
Après l’arrestation du Général VERNEAU, le Général REVERS prend la tête de l’O.R.A.
Il s’est tout de suite remarquablement adapté à la vie clandestine. A la fois prudent et très actif. A été un remarquable Chef de l’O.R.A.
J’avais avec lui des contacts réguliers dans de petits restaurants discrets.
Mon adjoint, le Capitaine de REMUR était en contacts suivis avec son Etat-Major (notamment du GARREAU et CANO, camarades de promotion de PAILLOLE et SIMONEAU.