Nous avons relaté dans notre Bulletin n° 131 ce que furent les cérémonies du 12 septembre 1986 à RAMATUELLE . En présence du 2° Régiment de Dragons avec son étendard, l’Association des Anciens de ce Régiment avait reconstitué à LA ROCHE-ESCUDELIER ce qu’avait été quarante-trois ans plus tôt l’évasion de l’étendard porté par le Commandant de NEUCHEZE. Nous avons demandé au Président des anciens du 2° Dragons l’autorisation de reproduire son allocution. Elle complète en effet nos connaissances sur l’organisation de cette remarquable action et rend hommage à nos camarades du T.R. qui surent en assurer le succès.

Par le COLONEL ROUGER

EXTRAITS DE L’ALLOCUTION DU COLONEL ROUGER PRÉSIDENT DE L’AMICALE DU 2° RÉGIMENT DE DRAGONS

Quel fait d’armes extraordinaire que cette Évasion de l’Étendard du 2° Régiment de Dragons à bord du sous-marin l’ Aréthuse » en septembre 1943. Et pour nous, les Anciens, si nombreux aujourd’hui, quelle émotion ressentons-nous en évoquant ici à la Roche-Escudelier cette épopée qui est l’un des plus belles pages de la glorieuse histoire de ce Régiment qui nous est si cher ! Aussi, voudrais-je tout d’abord vous remercier, vous qui êtes venus honorer cette cérémonie de votre présence et prouver ainsi qu’avec nous, vous voulez vous souvenir.

Mais permettez-moi d’exprimer un hommage particulier à Madame la Maréchale de Lattre-de-Tassigny, toujours fidèlement présente à toutes les cérémonies rappelant les événements qui ont jalonné l’histoire du 2° Dragons de 1942 à 1945. Le Régiment et tous les Anciens de l’Amicale vous en ont une très grande reconnaissance, Madame, et vous savez combien ils restent pieusement attachés au souvenir du Maréchal et de votre fils Bernard qui a combattu avec nous dans les rangs du 2° Dragons en 1944-1945.

Et nos pensées se tournent vers Mme SCHLESSER qui, souffrante, n’a pas pu se déplacer, et Mme de NEUCHEZE qui, victime d’un accident est immobilisée et malgré son énergie et son désir intense de participer à cette cérémonie, a dû y renoncer. Qu’elles sachent combien nous comprenons leur déception de ne pouvoir être présentes et nous les assurons de toute notre gratitude car elles seront là par la pensée et par le coeur à travers vous, Mesdames Mme SANSEY, seconde fille du Général SCHLESSER, Mme LE GRANTEC, fille aînée du Chef d’Escadrons de NEUCHEZE, Mme DESRATEAUX, sa seconde fille, Sachez que nous sommes très touchés de ce que vous soyez parmi nous et nous vous en remercions beaucoup.

Je veux remercier M. RAPHAËL, Maire de RAMATUELLE, qui nous accueille si bien et a tout fait pour que cette cérémonie soit digne de l’événement que nous commémorons aujourd’hui dans sa commune.

Je voudrais dire toute notre reconnaissance au Colonel PAILLOLE. Comme je le dirai dans un instant, il a pris une large part dans l’organisation de cette évasion et c’est avec la même foi, la même ardeur qu’il m’a apporté aujourd’hui toute son aide pour le succès de cette commémoration. Je l’en remercie infiniment.

°°° Après sa belle conduite au cours de la campagne de France, le 5 septembre 1940, le Régiment est reconstitué à AUCH sous les ordres du Colonel SCHLESSER. Rappelons-nous…

La France est aux 2/3 occupé. En zone libre, le Régiment fera partie de l’Armée d’Armistice surveillée par les Commissions d’Armistice… et puis, que va-t-il se passer dans les prochaines années, les prochains mois ? Le Colonel SCHLESSER n’a qu’une idée et c’est la mission qu’il s’est fixée : « Préparer le Régiment à reprendre le combat. » Mais comment ? Il a envisagé toutes les hypothèses et le 8 novembre 1942, lorsque les Alliés débarquent en Afrique du Nord et que les Allemands envahissent la zone libre, il n’est pas surpris et prend vite sa décision.

Au cours d’une nuit mémorable, la nuit du 29 au 30 novembre 1942, tous les officiers, sous-officiers et dragons qui ont dû abandonner leur uniforme sont réunis en civil dans la cour du Quartier Espagne à AUCH qui, dans quelques instants va être livré aux Allemands. Ils vont tous, un à un passer devant leur colonel en tenue, s’agenouiller devant l’Étendard, en baiser les plis et prêter le serment de « savoir donner leur vie pour que vive la France ».

Pour le Colonel SCHLESSER, cet adieu à l’Étendard est un signe de ralliement. Il passe le premier en Afrique du Nord et là, très vite il confirme sa décision « Reconstituer le Régiment en Afrique pour qu’il puisse reprendre le combat. » Mais pour lui il n’est pas concevable que le Régiment puisse exister sans son Étendard.

Oui, c’est le Général SCHLESSER qui a eu l’idée et la volonté de faire venir l’Étendard en Afrique du Nord.

Nous sommes au début de 1943. Que se passe-t-il en France? Après cette nuit du 29 au 30 novembre 1942, l’Étendard est emporté et camouflé par l’Adjudant-chef Faraut. Puis, à partir de mars 1943, dans une cave plus sûre à La Romieu, chez M. Etienne Bouet.

En même temps, les évasions vers l’Afrique à travers l’Espagne commencent et le Capitaine de Neuchèze prend en compte la filière. C’est ainsi qu’il fera franchir les Pyrénées à de nombreux Dragons.

Inquiété par les Allemands, il décide à son tour de rallier l’Afrique du Nord, mais c’est au pied des Pyrénées que, le 11 juin, il est arrêté par la Gestapo, emprisonné à la citadelle de Perpignan, puis emmené au camp de Royalien, près de Compiègne, point de départ vers les camps de déportation; il y passera deux mois très durs. Le 17 août, admis enfin à subir une visite médicale au Val-de-Grâce, il trompe la surveillance de trois sentinelles allemandes et s’évade en sautant du 1er étage (six mètres de haut, les étages du Val!).

Pendant ce temps, le Général Schlesser avait demandé au Commandant Paillole qui dirige à Alger les Services Spéciaux de la Défense Nationale d’organiser l’évasion de l’Étendard. Qui mieux que le Capitaine de Neuchèze, mérite l’honneur d’accomplir cette mission ? Lui qui vient de réussir cette formidable évasion du Val-de-Grâce!

Le Colonel Paillole a travaillé sous les ordres du Général Schlesser de 1936 à 1939 au 2° Bureau. Il lui voue une estime et une amitié sans limite. Il est camarade de promotion de Saint-Cyr du Chef d’Escadrons de Neuchèze. C’est avec tout son coeur et son intelligence qu’il va se dévouer à cette mission. Il a, depuis le mois de mars 1943, organisé et mis en place des équipes « spéciales » en France, dénommées « T.R. Jeune ». Il a établi un système de liaisons par sous-marin entre Alger et le Cap Camarat.

Ces liaisons ont lieu une fois par mois au moment des nuits noires, nuits sans lune. Le « Casabianca », avec le Lieutenant de Vaisseau L’herminier, a fait la première mission en février 1943. Puis l’ « Aréthuse », commandée par le Lieutenant de Vaisseau Gouttier. En septembre ce sera sa troisième mission ou, pour utiliser le terme de l’époque, sa troisième « patrouille ». Il faudrait pouvoir expliquer dans le détail ce qu’étaient ces « patrouilles » pour bien se rendre compte qu’elles étaient difficiles et périlleuses.

Rappelons simplement la situation dans la Méditerranée occidentale, entièrement surveillée et contrôlée de Gibraltar par les Anglais. La Marine italienne et surtout l’Aviation allemande surveillent activement toute cette zone : ce sera l’époque du débarquement en Italie, après la fin de la campagne de Tunisie. Nous voici fin septembre. Le 25 septembre, l’« Aréthuse » quitte Alger. Le 22 septembre le Capitaine de Neuchèze est à Toulouse où lui sera remis l’Étendard. Sont là réunis dans une toute petite pièce ceux qui, contactés par le Colonel Schlesser grâce au « T.R. Jeune », sont allés reprendre l’Étendard à La Romieu, dans le Gers. Ils sont six (dont deux jeunes garçons) et l’un d’eux a retracé dans ses notes cette émouvante réunion. Il écrit : « Neuchèze défait le paquet déposé sur le lit de fortune où il a passé sa dernière nuit toulousaine. Il en extrait l’Étendard et l’étale devant nous. Il en est la vivante hampe. Je l’entends encore dire aux enfants : « Regardez bien, mes petits. Un jour prochain vous le verrez flotter libre et victorieux ! ». Puis, religieusement, les témoins de cette scène dont la grandeur faisait éclater le cadre étroit où elle se déroulait, avancent d’un pas baiser l’étoffe sacrée, chargée de tant d’espoirs. » Immédiatement après, le Capitaine de Neuchèze rejoint Lyon par le train. Là l’attend le Capitaine Vellaud, mandaté par le Colonel Paillole, pour assurer l’évasion de l’Étendard et de sa « vivante hampe ». Le 27 septembre, le Capitaine de Neuchèze et le Capitaine Vellaud gagnent ensemble Marseille. Puis le 28, arrivent près de Ramatuelle vers 21 heures, à la ferme Ottou, cette ferme qui, à l’époque, était très isolée et, depuis Ramatuelle, dernière maison avant la mer (l’Escalet n’existe pas), enfouie dans de grands arbres derrière ce promontoire qui constitue le Cap Camarat, massif montagneux couvert d’un épais maquis plein de ronces…

Vers 23 heures, Achille Ottou qui était allé à l’extérieur observer les réactions des guetteurs placés aux alentours revient à la ferme. Avec deux autres camarades, dont M. Henri Olivier, ils forment le commando qui va convoyer les passagers de l’« Aréthuse ». Ils s’arrêtent aux abords du chemin de ronde des patrouilles allemandes ou italiennes pour assurer la sécurité de ceux qui vont descendre jusqu’à la roche, guidés par Achille Ottou seul.

L’« Aréthuse » est arrivée vers 15 heures, après trois jours de traversée, en face du Cap Taillat, en plongée bien sûr et après avoir observé et bien repéré les lieux avec son périscope, va se poser sur le fond en attendant 23 heures. Elle fait alors surface et vient contre la roche Escudelier; elle met un canot à la mer. Le Commandant Fabry, qui était Enseigne de Vais seau, a pris place à bord de ce canot pour venir chercher l’Étendard et sa vivante hampe ».

Voici donc, parmi tous ceux qui ont participé à cette Évasion, les équipes dignes de notre admiration, qui ont été au coeur de cette action et que nous avons l’honneur et le privilège d’avoir avec nous aujourd’hui Achille Ottou, Henri Olivier et M. Durrmeyer, tous trois des Services Spéciaux du Colonel Paillole — le Vice-Amiral Gouttier, les Commandants Castel, Tégui et Fabry, respectivement naguère Pacha de l’» Aréthuse » et Officiers Adjoints.

Nous apprenons avec une profonde satisfaction la nomination au grade de Chevalier de la Légion d’Honneur de notre valeureux camarade Achille Ottou. Cette distinction honore un grand Français, mais aussi toute une famille, sa soeur Jeanne et une équipe de Ramatuellois, artisans de la sécurité de nos liaisons sous-marines.

Cette décoration sera remise officiellement à Achille Ottou le 8 Mai 1987 devant notre Mémorial

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