Une guerre pas comme les autres “, c’est ainsi que Staline baptisait dès juillet 1941 le conflit qui, pendant près de quatre terribles années, allait opposer l’U.R.S.S. à l’Allemagne. Cette expression sert de titre au passionnant ouvrage que l’historien Michel Garder, spécialiste des questions soviétiques, vient de consacrer à cette guerre. C’est qu’à ses yeux, jamais conflit militaire ne révéla autant d’aspects singuliers.
Tout d’abord parce qu’il était mené par deux éléments, deux despotes fous : Hitler et Staline. Et qu’on allait voir s’affronter le pangermanisme païen brandissant l’étendard du Christ, et le communisme international, invoquant les plus pures traditions de la Sainte Russie.
Dès le ” pacte de non-agression “, l’absurde éclatait. C’était le roturier Ribbentrop qui le signait pour l’Allemagne et l’aristocrate Scriabine-Molotov pour les Soviets.

Une ivresse collective

Le contraste ne fut pas moins frappant au début de la guerre entre les manifestations d’ivresse collective des foules allemandes et les mornes ” meetings ” des masses soviétiques.
Au cri de ” Vorwaerts ” (en avant) tout parut d’abord s’effondrer du côté russe. L’armée rouge ne s’était pas encore relevée des terrifiantes ” purges ” d’officiers de 1937-38 (90 % des généraux, 80 % des colonels). On dut sortir en hâte des prisons ceux qui n’étaient pas encore liquidés, rappeler même d’anciens officiers tsaristes. Mais ce n’était là que des expédients.
Et puis, il y eut l’accueil chaleureux aux ” libérateurs ” des Baltes, des Ukrainiens, las du régime communiste, de ses épurations, de ses famines.
Mais la cruauté des troupes allemandes, leur mépris pour ” ces races inférieures ” allait retourner ces populations , en faire presque malgré elles des «” patriotes “.
C’était le moment où l’on voyait le révolutionnaire Staline, déguisé en maréchal, invoquer ses grands ancêtres : le grand-duc Alexandre, canonisé par l’Église orthodoxe, le grand duc Dimitri, vainqueur des Tartares, Souvorov, Koutouzov…

On priait à Moscou

Jamais on n’avait tant prié à Moscou, à Leningrad. On priait sur le front, on mourait en ébauchant un signe de croix.
Staline se résignait à dissoudre son corps de commissaires politiques aux armées ; les officiers retrouvaient leurs épaulettes. On exaltait ” l’honneur des armées russes “, le patriotisme russe “.
Et pourtant, même en novembre 1942, en pleine bataille de Stalingrad, Hitler aurait pu encore mobiliser à ses côtés d’importantes forces russes. Des centaines de milliers de prisonniers soviétiques, qui rendaient Staline responsable de leurs souffrances, et redoutaient le sort qui les attendaient à l’issue de la guerre, étaient prêts à combattre le despote. Mais les Allemands n’ont pas su exploiter l’anticommunisme du général prolétarien Vlassov. Pas plus que, dans l’autre camp, les Russes ne prirent au sérieux les propositions de l’aristocrate von Seydlitz qui, en haine de Hitler, misait sur la victoire du prolétariat.
Le rideau tomba enfin sur l’absurdité la plus folle de cette guerre : par la grâce de Hitler, constate justement Michel Garder, ” la victoire du soldat russe devenait la victoire de Staline sur le peuple russe “.

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