Confiant dans notre parapluie nucléaire, le Président de la République a lancé une autre bombe.
Le 22 février 1996, il a annoncé pour 2001 la fin de la conscription et la création d’une Armée de métier, apte à projeter hors de France, un corps d’intervention moderne de 50 à 60.000 hommes.
Reste ouverte la transformation du Service National, obligatoire ou volontaire.
Une certitude, le maintien, voire l’amplification de l’effort en faveur du Renseignement. Nous verrons que déjà, pour 1996, les faits confirment cet engagement.
Notre association ne saurait être indifférente à une réforme aussi fondamentale et dont notre éditorial expose avec humour les étapes et quelques conséquences.
J’imagine que notre Assemblée Générale se fera l’écho des réactions qu’elle inspire.
Mon propos, ici, est d’essayer d’éclairer le débat et de formuler mes premières réflexions.
Le Service National
Et d’abord entendons-nous sur le sens des mots ainsi que sur la situation actuelle du Service National.
C’est une loi du 21 mars 1905 qui l’a institué. Tous les Français y sont astreints. Il est égal pour tous et l’accomplir est un honneur.
L’Armée mobilisée en 1914 sous ces principes diffusés par un corps enseignant imprégné de civisme et de patriotisme, fut celle de Verdun et de la Victoire du 11 Novembre 1918.
La loi de 1965, respectant ces grands principes, a actualisé le Service National; aujourd’hui remis en cause.
Nous devons nous souvenir de ce qu’il est, même s’il est facile de se gausser de ses imperfections et de ses dévoiements:
Tous les Français de 18 à 50 ans y sont assujettis. Ses composants sont au nombre de quatre:
– Le Service Militaire qui comprend le service actif dans l’Armée (actuellement 10 mois), la disponibilité et les réserves.
– Le Service de Défense, levé en cas de mobilisation ou de mise en garde de la Nation. Les assujettis à ce service sont soumis aux règles de la discipline militaire.
– Le Service d’Aide Technique, modalité du service actif pour faciliter le développement des D.O.M. et T.O.M.
– Le Service de Coopération qui permet de répondre aux demandes de certains états, généralement en voie de développement.
Trois forces découlent, entre autres considérations, de ce qui précède:
– La force stratégique nucléaire.
– La force de manœuvre et d’intervention.
– La force de défense opérationnelle du territoire.
Il est compréhensible que les progrès techniques des équipements et de l’armement aient imposé depuis 1965 jusqu’à 1996, c’est-à-dire en trente ans, une professionnalisation progressive de l’Armée, notamment dans les forces nucléaires, de manœuvre et d’intervention.
Cette professionnalisation est le fait de militaires de carrière et d’engagés volontaires. Elle est prépondérante dans la Gendarmerie, l’Armée de l’Air et la Marine. Ainsi en 1996, sur 500.000 militaires, les appelés par conscription représentent 200.000 hommes, les “professionnels” sont 300.000.
Observons que l’Armée utilise — notamment dans ses services dits communs — 100.000 civils.
Certes, les principes fondamentaux du Service National ne sont plus strictement observés. Un nombre de plus en plus important de jeunes Français échappe à la conscription, tandis que beaucoup d’autres rejoignent l’Armée en traînant les pieds.
Les causes sont multiples : évolution des mentalités et manque d’esprit civique, diminution des effectifs nécessaires à une défense de plus en plus modernisée dans un contexte politique sans menaces extérieures affirmées et de plus en plus orientée vers des accords de paix internationaux et des alliances.
Je reviendrai sur cet aspect politico-diplomatique et les contraintes qu’il impose à la France.
A ce point de mon exposé, je ne veux pas cacher ma crainte de voir notre nation abandonner ce que Jean-François Deniau appelle la ” notion de devoir “, sous les prétextes subalternes que j’expose.
J’ai regretté qu’une décision démagogique ait exclu les militaires du contingent de toute participation à la guerre du Golfe, pourtant présentée (hypocritement), comme une croisade contre une dictature et ses excès.
Ainsi s’amorçait cette discrimination scandaleuse qui pourrait confier le devoir de défendre sa patrie aux seuls “mercenaires” d’une Armée de métier.
A cette considération majeure qui me fait repousser toute idée d’abandon total de la conscription s’ajoute la nécessité plus évidente que jamais d’intégration des diversités régionales.
Je ne veux pas alourdir mon propos en démontrant que l’Armée demeure aujourd’hui l’ultime formation nécessaire à cette intégration, base fondamentale de notre défense.
Nos engagements extérieurs
Cette fin de siècle a vu nos forces armées intervenir hors de nos frontières dans des conditions confuses et avec des moyens inadaptés.
C’est la conséquence d’accords internationaux dont le flou ou la complexité ne sont guère accessibles qu’aux spécialistes du clair obscur diplomatique. Essayons cependant de dégager l’essentiel.
La France est un membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies (O.N.U.) au même titre que les quatre autres états détenteurs de l’arme nucléaire: Etats-Unis, Grande-Bretagne, Russie et Chine. C’est l’exécutif politique de l’O.N.U., dont les missions essentielles sont le règlement pacifique des différends et l’action (?) en cas de menaces contre la paix ou d’agression.
Cette action a pour limites juridiques (art 2 – G 7) les compétences nationales. Elle peut être entravée par la règle de l’unanimité dans les décisions du Conseil de Sécurité (droit de veto).
Cette paralysie de l’O.N.U., le ” machin “du Général de Gaulle, est à l’origine de ses défaillances et inspire le doute sur son efficacité.
L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (l’O.T.A.N.) est une alliance créée en 1949 pour faire face aux menaces de l’Est, sauvegarder la Paix et la Sécurité des nations atlantiques.
C’est en fait à présent le bras séculier de l’O.N.U.
La France, tout en restant dans l’alliance, s’est retirée en 1966 de ses structures intégrées.
L’effondrement du régime communiste a transformé son comportement. Vecteur de l’influence primordiale des Etats-Unis, l’O.T.A.N. affirme sa vocation en Europe avec de plus en plus d’autorité (ainsi en ex-Yougoslavie). La France s’est incorporée dans cette force sans que soit reposé le problème de son intégration.
Situation ambiguë que le Traité de Maastricht est loin d’avoir clarifié. Son article J 4 donne à l’organisation européenne ” compétence en matière de sécurité “, y compris en matière de défense. C’est l’Union de l’Europe Occidentale (U.E.O.) (1), pour le coup revigorée, qui devient la composante de défense de l’organisation européenne.
L’Europe, c’est normal, prétend désormais à l’unité et à l’autonomie politico stratégique. Elle entend assumer sa défense.
Pouvoirs publics et associations confirment en France cette volonté.
Le Ministre des Affaires Européennes déclare le 13 mars 1996 devant l’Assemblée Nationale …“ l’Union (européenne) doit faire naître une politique étrangère et de sécurité commune et digne de ce nom “…
L’association “Euro-Défense” qu’animent l’Amiral de Langres et notre camarade Pierre Schwed expriment le sentiment de l’Institut des Hautes Études de la Défense Nationale (I.H.E.D.N.) lorsqu’ils écrivent: …“ L’Union Européenne et l’U.E.O. sont dans le cadre du Traité de Maastricht, les éléments privilégiés de la mise en œuvre d’une politique commune de sécurité et de défense, en cohérence avec l’Alliance Atlantique “…
Déjà le corps d’armée européen (France, Allemagne, Belgique, Luxembourg, Espagne) et le possible concours de notre arme nucléaire à la défense de l’Europe, marquent bien la concrétisation de la mission fondamentale de l’U.E.O. (art. 5 du traité) qui l’institue …“ porter aide et assistance par tous les moyens “…
Force est de constater les rivalités de compétence en Europe : O.T.A.N., U.E.O. et pourquoi pas l’O.N.U., sans oublier l’O.S.C.E. (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe).
Autre ambiguïté: les limites de l’intervention de ces forces internationales. Où commence la possible ingérence dans les affaires des Etats?
Notre Ministre Charles Millon a résumé les graves problèmes posés par les résolutions des crises et des conflits extérieurs : … “définir des objectifs clairs et réalistes, préciser les rôles de l’O.N.U., de l’O.T.A.N., de l’U.E.O., tout en gardant une ambition européenne en cohérence avec une politique de défense commune “…
Les réponses à ces problèmes constituent, à mon sens, les préalables indispensables à la définition de la Force Française d’Intervention.
Les réponses peuvent être variables en fonction des zones sensibles où l’action internationale peut être engagée.
Le rôle du Renseignement devient ici capital.
Le Renseignement
C’est le Renseignement qui décèle les menaces, c’est lui qui avertit des risques.
Il est l’animateur fondamental de la Défense et de la Sécurité.
Vaste mission pour les services spéciaux français que sont la D.G.S.E., la D.P.S.D., la D.R.M. et la D.S.T.
“Vous aviez un champ d’action bien déterminé et des objectifs précis. Notre champ d’action est sans limite et nos objectifs sont diffus “… Ainsi s’exprimait l’un de mes camarades de la D.G.S.E., il y a quelques jours.
Je relevais au début de cet exposé l’intérêt accru que portaient le Président de la République et le gouvernement au Renseignement.
En dépit d’une situation économique préoccupante, le budget de 1996 marque cette volonté d’une façon positive en maintenant à leur niveau, sinon en en augmentant, les crédits financiers de nos services spéciaux.
En dehors de l’action essentielle de ces services au bénéfice de la France et de ses intérêts dans le monde, ils ont la charge de collaborer avec leurs homologues alliés, européens (essentiellement) au profit des politiques extérieures communes. Nous avons vu, et nous le retiendrons, qu’elles sont loin d’être claires et structurées.
En résumé
Les lecteurs ont compris mes réserves à l’égard d’une réforme radicale qui supprimerait toute obligation de “devoir” aux citoyens de ce pays.
Ils ont compris que la définition d’un corps moderne d’intervention ne pouvait utilement se concevoir sans une définition satisfaisante des motifs d’action et des responsabilités respectives de chacun des partenaires internationaux.
Ils ont encore compris que l’évolution rapide et profonde de la science et des techniques, impose la professionnalisation de plus en plus accentuée de l’Armée.
Mais à côté de cette Armée professionnelle, complétée par des engagés volontaires, il faut veiller à la défense territoriale, aux besoins inéluctables d’effectifs instruits, pour faire face à des crises graves.
Je n’aime pas le service civique obligatoire, sorte de travail forcé que condamne d’ailleurs la Convention Européenne des droits de l’homme.
Je n’aime pas davantage le service civique volontaire dont il est aisé de comprendre les aléas de son recrutement, sauf à en forcer l’intérêt par des salaires incompatibles avec la notion de “service volontaire “… et nos finances.
Je pense en complément de l’Armée de métier, à une formation militaire de base pour tous les Français, réduite à quelques mois (3 ou 4) d’instruction, complétée par de courtes périodes de réserve…
Je pense surtout qu’il faut réfléchir, procéder par étapes, notamment en fonction des affirmations plus éclairantes de nos éventuels engagements militaires extérieurs.
En bref:
– Ne pas céder aux pulsions déraisonnables d’une jeunesse mal instruite et des milieux antimilitaristes traditionnels.
– Redonner aux Français, avec l’orgueil d’une Armée rénovée et moderne, la notion de devoir envers leur patrie.