Le 80e anniversaire de la libération par l’armée rouge des camps de concentration emblématiques de Ravensbrück et de Sachsenhausen, au nord de Berlin, a été célébré le 4 mai avec ferveur et dignité par un millier de personnes de tous pays. Une dizaine de rescapés de l’enfer national-socialiste étaient là pour témoigner, sans doute pour la dernière fois.[1]
Le plus grand nombre de déportées à Ravensbrück venait d’Europe de l’Est, un tiers de Pologne, pays catalogué d’après l’idéologie raciale nazie dans la race des « sous-hommes slaves ! » Si le camp de Ravensbrück fut aussitôt transformé en caserne par les Soviétiques, celui de Sachsenhausen, comme Buchenwald, devint l’un de ces 10 « camps spéciaux » mis en place dès mai 1945 dans la zone d’occupation soviétique en Allemagne (SBZ). Officiellement pour « nettoyer l’arrière des troupes combattantes de l’Armée rouge des éléments ennemis », en fait pour y déporter, sans jugement, tout opposant considéré comme ennemi potentiel. Dans ces Spezlag les prisonniers étaient des esclaves coupés du monde. Dans ces « camps du silence » (Schweigelager), entre 1945 et 1951, plus de 1 100 000 personnes sont mortes et enterrées dans des fosses communes ou incinérées, avant que l’URSS ne transfère ces camps à la RDA, après sa création le 7 octobre 1949. Certains comme le camp de concentration de Bautzen, constitueront, jusqu’à la chute du mur « l’annexe carcérale de la STASI » (« Stasi-Knast »).
Les leçons de Ravensbrück
Les survivantes que j’ai pu rencontrer m’ont toutes dit deux choses : la première est qu’à leur retour, personne n’avait voulu les écouter pendant des années. La seconde est que si les hommes dans les camps avaient su « faire preuve de solidarité », les femmes avaient, elles, en plus « su faire preuve de tendresse et de dépassement », comme me l’a dit un jour Germaine Tillon à Rennes. Elle a été la seule Française à assister en tant que témoin à plusieurs de 7 procès « pour crimes de guerre » qui se tiendront devant un tribunal militaire britannique à Hambourg. Au total, 38 personnes seulement ont été reconnues coupables, dont 21 femmes. 18 condamnations à mort seront prononcées. Le regret de Germaine Tillon est que « la justice ne soit pas passée, la justice britannique était une justice individuelle qui n’était pas faite pour juger des crimes commis en bande organisée ». La plupart des accusés se sont mutuellement rejeté la faute les uns sur les autres, faute de preuves, six d’entre eux seulement seront condamnés à mort et exécutés !
850 bébés sont nés à Ravensbrück. Six ont survécu, dont trois français !
La règle pour les femmes était d’avorter avant le 8e mois ou de noyer le bébé quand il n’était pas étranglé d’une main par un gardien. Les autres étaient abattus aux pieds de leur mère, parfois lancés en l’air comme au tir au pigeon et fauchés par des tirs de mitraillette. Une récréation pour les gardiens. 25 enfants de mère française naîtront à Ravensbrück : trois survivront. C’est le cas de Jean-Claude Passerat, toujours combatif, qui était présent. Né dans le camp le 13 décembre 1944. Sa mère, Résistante avait 24 ans. Ne pouvant allaiter, c’est une Russe et une tzigane qui ont pris le relais…
La France était représentée par l’ambassadeur de France en Allemagne, François Delattre, dont des proches parents ont connu l’enfer des camps nazis. Il entourait les dernières survivantes venues avec leur amicale. Il y avait bien sûr le Souvenir Français et l’Union des Français de l’étranger, les deux plus anciennes associations patriotiques françaises et l’AASSDN venue rendre hommage à la mémoire de nos anciens, femmes et hommes déportés, Résistants arrêtés pour terrorisme, portant sur eux une lettre disant qu’ils pouvaient être exécutés à chaque instant.

Ravensbrück, l’enfer des femmes
A Ravensbrück, entre mai 1939 et mai 1945, 123 000 femmes ont été déportées provenant de 40 pays 30% étaient originaires de Pologne, 20% d’Allemagne et d’Autriche, 15% étaient, en majorité hongroise, 15% étaient françaises. Soit 6 000 femmes !
Le premier convoi de Françaises est arrivé en 1942 avec 237 détenues. Mais à partir de 1943, les convois se sont multipliés avec l’arrivée de femmes arrêtées pour fait de résistance. Au début, les Françaises étaient mal accueillies par les Polonaises qui reprochaient à la France de les avoir trahis, imaginant même compter des indics parmi elles, mais leur attitude va s’infléchir quand elles vont se rendre de l’esprit de résistance qui les animait.
Parmi elles, de nombreuses femmes, jeunes, qui avaient décidé de tout faire pour ne pas travailler dans des usines d’armement. Certaines comme Germaine Tillon et Geneviève De Gaulle se sont vite imposées comme des exemples.
Parmi les résistantes françaises à Ravensbrück, comment ne pas évoquer encore le nom de femmes d’exception, comme Marie-Berthe Sérot, épouse du commandant André Sérot, — figure emblématique du 2e Bureau français — ou encore Jeannette L’Herminier, déportée en février 1944.
Jeannette L’Herminier armée de deux petits crayons mobilise ses camarades d’infortune
Marie-Altée « Jeannette » L’Herminier était la sœur du capitaine de corvette, Jean L’Herminier, commandant le sous-marin Casabianca, qui, refusant de se saborder, décide le 27 novembre 1942 de prendre la mer sous le feu de l’ennemi pour rejoindre la France-Libre… Jeannette s’engage dans la Résistance et cachera des pilotes alliés qui seront rapatriés en Angleterre via Plouha. Le 19 septembre 1943, elle sera arrêtée avec sa belle-mère à Paris par la Gestapo : les deux femmes cachaient un aviateur américain et transférées à Ravensbrück.
Les femmes sont appelées parfois à jouer un rôle exceptionnel pendant la guerre pour lequel la plupart n’ont pas été préparées. Les circonstances, le courage, la volonté, la foi les ont guidées.
A Ravensbrück, comme dans les autres camps, les personnes considérées comme inaptes au travail étaient exécutées dans la foulée. « Pas de bouches inutiles » !
Pour Hedy Belhassine, « cet hommage aux anciens est un devoir, mais comment ne pas avoir une pensée pour tous ces hommes et ces femmes de l’ombre, ces « honorables correspondants » qui n’ont jamais eu d’existence légale faisant sienne la phrase de Pierre Brossolette sur ces « soutiers de la gloire » … « ces combattants d’autant plus émouvants qu’ils n’ont point d’uniformes ni d’étendards.»
Parmi ces femmes de l’ombre en lutte contre la barbarie nazie, comment ne pas citer encore l’exemple d’Eugénie-Malika Djendi, de père algérien et de mère corse, qui s’est engagée le 11 janvier 1943 dans ce Corps féminin des transmissions. Après la campagne de Tunisie, elle rejoint à l’automne les services de contre-espionnage de l’armée dirigés par le commandant Paul Paillole. Formée à Staoueli, près d’Alger où se trouvent le centre d’entrainement du bataillon de choc et un centre de formation anglo-américain engagé dans la libération de la Corse (« Mission Massingham »).
Eugénie rejoint l’Angleterre le 20 mars 1943 où elle retrouve Marie-Louise Cloarec, Pierrette Louin et Suzanne Mertzizen. Le 9 avril 1944, elle s’embarque à bord d’un Halifax du 161st Squadron de la RAF à Tempsford pour être parachutée lors de la mission « Syringa » avec Georges Penchenier (alias Lafitte, alias Le Gorille, qui connaîtra la célébrité avec ses romans d’espionnage de la série noire) et Marcel Corbusier (alias Leblond) dans la région de Sully-sur-Loire, dans le Loiret.

Les Merlinettes françaises et leurs sœurs d’armes britanniques
Pas étonnant qu’un détachement britannique des FANY ait été envoyé à Ravensbrück. Des jeunes femmes volontaires, avec, comme les Merlinettes, un statut particulier d’auxiliaires. Le général Mermet a voulu voir dans la présence de ce détachement britannique « un clin d’œil british de l’histoire » avec nos Merlinettes… A l’origine, le FANY (First Aid Nursing Yeomanry) était un corps d’infirmières volontaires, considérées comme des auxiliaires d’élite. Pendant la 2e Guerre Mondiale, nombre d’entre elles serviront en France occupée comme radio ou agents de liaisons. Celles qui seront capturées seront fusillées ou transférées à Ravensbrück et exécutés à la veille de l’arrivée des troupes soviétiques.
L’enfer de Ravensbrück durera jusqu’au dernier jour. Plusieurs milliers de détenues furent éliminées juste avant la libération du camp. Les dernières exécutions eurent lieu le 25 avril : les onze détenues employées au crématorium furent empoisonnées par leurs gardiens.
Quand les équipes de la Croix Rouge danoise et suédoise sont arrivées sur place, il restait encore 3 500 femmes et 300 hommes. 20 000 personnes encore capables de marcher avaient été conduites la veille sur les routes pour une marche forcée, pour « la marche de la mort », en chantant ce chant des marais. Interceptées en route, fort heureusement, elles durent la vie sauve à un détachement soviétique.
À Sachsenhausen, les 20 et 21 avril 1945, plus de 33 000 détenus encore capables de marcher furent contraints de quitter le camp en direction du nord-ouest. Des milliers d’entre eux, trop faibles pour suivre le rythme, furent abattus sommairement par les gardes SS. Le plan initial des SS était de les parquer sur des navires en mer Baltique et de les couler.
« Lieux de mémoire au double passé »
A Sachsenhausen, l’après-midi du 4 mai, même si la cérémonie dans le camp s’est déroulée devant la porte de la station Z, le four crématoire, l’ambiance mais aussi le public étaient différents. A Ravensbrück, on célébrait le martyre de femmes appartenant à 40 pays. A Sachsenhausen on honorait à la fois des dizaines de milliers de victimes du IIIe Reich nazi et ceux des Soviétiques avant qu’ils ne passent le relai à la RDA dont la funeste STASI n’avait rien à envier au NKVD.
Joël-François DUMONT
Membre de l’AASSDN
25/08/2025