Synthèse et recommandations

● La base industrielle et technologique de défense (BITD) est confrontée à un niveau de menace élevé.

La menace s’intensifie. Le nombre d’atteintes caractérisées contre des entités de la BITD ou des organismes de recherche de défense se situe entre 500 et 550 par an. On compte par ailleurs 750 à 800 alertes de sécurité économique chaque année contre des entreprises ou des actifs stratégiques, soit plus du double de 2020 ([1]).

80 % des atteintes visent les PME. Nos compétiteurs stratégiques tentent d’attaquer les grands groupes et de paralyser nos chaînes de valeur en visant les sous-traitants qui ont de moindres capacités à se défendre.

Les menaces sont de plus en plus protéiformes. Si les atteintes physiques (vols, intrusions non autorisées, sabotages) et les atteintes humaines (espionnage stratégique, économique et technologique) restent importantes, elles s’accompagnent de menaces informatiques, juridiques (lawfare), capitalistiques et informationnelles.

Les menaces viennent de tous nos compétiteurs stratégiques. Les ingérences étrangères les plus graves proviennent naturellement de la Russie et de la Chine ainsi que d’autres pays dont l’industrie de défense est concurrente de la nôtre, mais certaines proviennent aussi de pays qui sont nos alliés sur le plan géostratégique, en tête desquels les États-Unis.

● Les services de l’État ont renforcé les moyens qu’ils consacrent à l’intelligence économique et se sont réorganisés afin de mieux assurer leurs missions de sécurité et de promotion économiques.

La direction générale de l’armement (DGA) exerce depuis longtemps une compétence en matière d’intelligence économique et de protection des entreprises de la BITD. La création d’une direction de l’industrie de défense, actée en 2024, a renforcé la concentration des moyens alloués par le ministère des armées à ces sujets, avec une trentaine de créations de postes et de nouveaux leviers d’action (bureau cyber, campus OSINT, posture plus offensive).

Le service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSÉ), qui pilote et coordonne au niveau interministériel la protection des entreprises, technologies et organismes de recherche stratégiques, est monté en puissance depuis 2020 et a pris une ampleur à la mesure des enjeux de sécurité économique. Ses effectifs ont augmenté de 24 ETP en 2016 à 32 ETP en 2025, auxquels s’ajoutent 24 délégués régionaux.

Les services de renseignement, en particulier la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) et la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) pour ce qui concerne la BITD, sont aussi plus actifs. La stratégie nationale du renseignement de 2019 compte la défense et la promotion de nos intérêts économiques et industriels parmi les enjeux prioritaires. Les moyens alloués à la contre-ingérence économique tendent à rattraper ceux prévus pour la lutte contre le terrorisme.

● Plusieurs dispositifs de sécurité économique ont été renforcés pour accroître les moyens d’action de l’État.

Le contrôle des investissements étrangers en France (IEF) a été modernisé, avec un élargissement de la liste des investissements soumis à autorisation, une extension des secteurs et des technologies considérés comme stratégiques et un durcissement des sanctions. S’il est essentiel de maintenir l’attractivité économique de la France, les flux de capitaux étrangers au sein de la BITD doivent rester maîtrisés. Lorsque des intérêts nationaux sont en jeu, la DGA négocie avec les investisseurs étrangers une lettre d’engagement destinée à éviter le pillage, la vente à la découpe, la sortie des centres de R&D du territoire national voire à mettre sous cloche les activités stratégiques. Pas moins de deux cents lettres d’engagement sont actives, dont la DGA assure un suivi strict, assorti de pénalités si elles ne sont pas respectées. Seules deux marges de progression ont pu être identifiées par le rapporteur spécial : mieux anticiper la sortie des fonds d’investissement et développer la pratique des proxy boards pour renforcer le suivi des engagements imposés aux investisseurs étrangers.

Recommandation n° 1 : Dans le cadre du contrôle des investissements étrangers en France, mieux anticiper la sortie des fonds d’investissement.

Recommandation n° 2 : Dans le cadre du contrôle des investissements étrangers en France, généraliser la pratique du conseil d’administration alternatif (proxy board) pour renforcer le suivi des engagements imposés aux investisseurs étrangers.

La loi de blocage du 26 juillet 1968 a été réactivée. Elle interdit à toute personne physique de nationalité française de communiquer à des autorités publiques étrangères des renseignements de nature à porter atteinte à la souveraineté de la France. Elle interdit aussi à toute personne de demander de tels renseignements dans le cadre de procédures judiciaires ou administratives étrangères. Les modalités d’application du dispositif ont été précisées au niveau réglementaire, avec le SISSÉ désigné en tant que guichet unique. Longtemps inappliquée, la loi est devenue crédible et confère désormais une réelle protection aux entreprises et personnes subissant des demandes d’information abusives de la part d’autorités étrangères. Le nombre de saisines a été multiplié par cinq par rapport à la période antérieure. Le rapporteur spécial salue l’action des services de l’État, qui sont parvenus à redonner à un outil ancien une utilité réelle. Il relève toutefois la faiblesse des sanctions encourues et recommande d’alourdir le montant des amendes.

Recommandation n° 3 : Alourdir le montant des amendes pouvant être prononcées en cas de méconnaissance de la loi de blocage.

Les moyens consacrés à la cybersécurité des entreprises ont également été renforcés, à la fois au niveau de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) pour les groupes les plus stratégiques et de la DRSD pour les PME de la BITD. La DGA a mis place un référentiel de maturité cyber, afin d’aider les entreprises à élever leur niveau de protection, ainsi qu’une prise en charge partielle des frais de cybersécurisation.

● Un cadre juridique national complet et efficace, qui appelle peu d’évolutions législatives ou réglementaires, mais des moyens budgétaires et humains supplémentaires.

Augmenter les moyens des services de l’État chargés de protéger et de soutenir les actifs stratégiques permettrait de renforcer leurs moyens d’action et d’améliorer encore leur coordination.

Recommandation n° 4 : Augmenter les moyens humains et budgétaires alloués aux services de l’État chargés de la protection des actifs stratégiques.

En outre, le rapporteur spécial estime nécessaire d’ouvrir une réflexion sur la possibilité de réaliser des enquêtes administratives et de délivrer des avis de sécurité pour des personnes souhaitant travailler dans la BITD préalablement à leur recrutement. Une telle possibilité permettrait de constituer un vivier de personnes autorisées ou habilitées dans lequel les entreprises de l’industrie de défense pourraient rapidement trouver la main-d’œuvre dont elles ont besoin, pour couvrir des besoins de recrutement urgents ou temporaires. Cela supposerait d’accélérer la hausse des moyens de la DRSD.

Recommandation n° 5 : Renforcer les moyens budgétaires et humains alloués aux services d’enquête de la DRSD, et envisager un nouveau cadre juridique autorisant la constitution d’un vivier de travailleurs autorisés ou habilités à la disposition des entreprises de la BITD en cas de recrutements urgents ou temporaires.

Les actions de sensibilisation aux risques et aux bonnes pratiques doivent se poursuivre et s’amplifier. Les organismes de recherche, en particulier, présentent des vulnérabilités qui peuvent en faire des cibles pour nos compétiteurs. Les étudiants des écoles d’ingénieurs sous la tutelle du ministère des armées gagneraient aussi à être davantage sensibilisés aux enjeux de la guerre économique.

Recommandation n° 6 : Renforcer la sensibilisation des étudiants des écoles d’ingénieurs sous la tutelle du ministère des armées aux enjeux de la guerre économique.

Afin de renforcer la protection des connaissances et savoir-faire stratégiques dans les entreprises et les organismes de recherche, le rapporteur propose de rendre le cadre réglementaire relatif à la protection du potentiel scientifique et technique (PPST) plus contraignant, en imposant aux entreprises et organismes de recherche les plus critiques de recourir au dispositif, aujourd’hui facultatif.

Recommandation n° 7 : Rendre le cadre relatif à la protection du potentiel scientifique et technique de la nation plus contraignant, notamment pour les entreprises et les organismes de recherche les plus critiques, en renforçant les dispositifs d’accompagnement.

Une évolution progressive de nos outils de télécommunications et messagerie ainsi que de nos moyens de stockage numérique vers des solutions souveraines et sécurisées est possible. Les acteurs français, qui existent et qui constituent une alternative crédible, ne pourront se développer et acquérir une taille critique que s’ils reçoivent des commandes. Un certain degré de contrainte paraît nécessaire, pour imposer aux entreprises, y compris celle de la BITD, d’utiliser des solutions françaises ou européennes, et d’éviter de recourir à certains prestataires lorsqu’il existe une incertitude sur le stockage des données. Au delà de la seule question de la BITD, le rapporteur spécial estime en outre que les élus de la Nation ont un devoir d’exemplarité dans l’utilisation d’outils numériques sécurisés.

Recommandation n° 8 : Imposer progressivement aux entreprises de la BITD un très haut niveau de protection des données, impliquant le stockage de données sensibles sur des serveurs situés en France ou sur le territoire de l’Union européenne.

Longtemps naïve, l’Union européenne semble progressivement prendre conscience de la nécessité de se défendre elle-même. Sous l’impulsion de la France, l’Union européenne s’est dotée d’outils destinés à renforcer et harmoniser le contrôle des investissements des étrangers. Ce système comporte encore des lacunes, mais la Commission européenne a initié une révision du règlement en vigueur.

La meilleure manière de contrer certaines normes étrangères à portée extraterritoriale dont se servent certains de nos compétiteurs pour atteindre nos entreprises est d’adopter des réglementations équivalentes pour pouvoir les opposer aux autorités étrangères. À cet égard, le rapporteur spécial estime que la loi de blocage du 26 juillet 1968 a fait ses preuves au niveau national et gagnerait à trouver une équivalence au niveau européen.

Recommandation n° 9 : Sur le modèle de la loi de blocage du 26 juillet 1968, adopter un règlement de blocage au niveau de l’Union européenne.

Dans la même perspective, la création d’un label de type « Itar » au niveau européen permettrait aux États membres de l’Union européenne – qui constitueraient collectivement une masse critique suffisante – de s’opposer à certaines demandes abusives des autorités américaines vis-à-vis de leurs entreprises stratégiques, voire de réaliser des contrôles similaires auprès d’entreprises ou d’investisseurs étrangers.

Recommandation n° 10 : Mettre en place un label de type « Itar » au niveau de l’Union européenne.

● Face aux difficultés de financement des PME de la BITD, qui perdurent, la nécessité de trouver de nouvelles sources financement innovantes.

Malgré un contexte de plus en plus favorable au financement de l’industrie de défense, au niveau national, dans la continuité de la conférence du 20 mars 2025, comme au niveau européen, un certain nombre de PME auditionnées par le rapporteur spécial ont encore récemment rencontré des refus de financement en raison de leur appartenance au secteur de la défense.

Il est tout d’abord nécessaire de réserver les financements européens, en particulier ceux du programme EDIP, aux matériels européens, développés et produits par des entreprises européennes sur le sol européen, afin qu’ils puissent être utilisés, maintenus en condition opérationnelle et modifiées par les armées sans restriction de la part d’un pays tiers.

Recommandation n° 11 : Dans le cadre du programme européen d’investissement dans la défense (EDIP), réserver les financements européens aux matériels européens – composés d’au moins 65 % de pièces développées et produites par des entreprises européennes sur le sol européen – et dont l’autorité de conception est européenne, en limitant les exceptions.

Par ailleurs, les fonds publics visant à protéger les entreprises et les technologies stratégiques ou innovantes demeurent insuffisants : leur dotation est limitée, le nombre d’opérations réalisées chaque année est faible et ils sont difficilement mobilisables pour des levées de fonds de plus de 20 millions d’euros. Le rapporteur spécial appelle donc une nouvelle fois à augmenter les moyens budgétaires alloués par l’État à la protection des entreprises stratégiques et des technologies sensibles, de façon à maximiser les effets de levier qu’il est possible d’obtenir en associant des fonds publics et des fonds d’investissement privés.

Recommandation n° 12 : Renforcer les moyens budgétaires alloués aux fonds publics destinés à la protection des entreprises stratégiques et des technologies sensibles (notamment Definvest et le fonds pour l’innovation de défense).

Les moyens d’action de l’Agence des participations de l’État (APE) pour la protection des entreprises et des technologies stratégiques pourraient être renforcés. Le produit des dividendes perçus par l’État pourrait ainsi être affecté au compte d’affectation spéciale Participations financières de l’État, afin de conférer à l’APE une possibilité d’intervention contra-cyclique.

Recommandation n° 13 : Pour accroître le rôle de l’Agence des participations de l’État dans la protection des entreprises stratégiques, affecter le produit des dividendes perçus par l’État au compte d’affectation spéciale Participations financières de l’État.

Il n’en demeure pas moins que remédier aux difficultés de financement des entreprises de la BITD passe avant tout par une meilleure mobilisation des fonds privés. Le rapporteur spécial salue les récentes annonces relatives à la création de fonds de private equity ouverts aux particuliers souhaitant investir dans la BITD. Toutefois, compte tenu du volume d’épargne disponible, il réitère sa proposition de créer un livret défense et souveraineté ou de flécher une partie des encours des livrets réglementés vers les PME de la BITD. En s’adressant à un public plus large, un tel fléchage aurait une portée symbolique plus forte. Il monterait la détermination de l’État à protéger ses intérêts nationaux. Il permettrait également de mobiliser non seulement l’épargne des Français, mais aussi les Français eux-mêmes, autour de la protection des entreprises stratégiques.

Recommandation n° 14 : Créer un livret défense et souveraineté ou flécher une partie des encours du livret A et du livret de développement durable et solidaire vers les PME de l’industrie de défense.

Enfin, le rapporteur spécial appelle à plus de cohérence fiscale pour contrer les menaces capitalistiques et soutenir les entreprises stratégiques. À l’heure actuelle, une large partie de l’épargne part à l’étranger, notamment aux États-Unis, à la recherche de rendements plus élevés. Afin d’inciter les épargnants à investir dans l’économie française, ou européenne, il pourrait être envisagé de créer un crédit d’impôt spécifique qui permettrait de réduire le montant de l’imposition due au titre des produits des investissements dans des entreprises établies en France ou au sein de l’Union européenne.

Recommandation n° 15 : Créer un crédit d’impôt permettant de réduire l’imposition due au titre des produits des investissements dans les entreprises françaises et européennes.

Enfin, bien que la France dispose d’un cadre juridique solide, éprouvé et exemplaire en matière de vente d’armes et de biens à double usage, certaines banques se permettent de refuser de financer des opérations qui ont pourtant été autorisées par l’État. En conséquence, le rapporteur spécial estime nécessaire d’envisager la possibilité de conférer aux licences d’exportation délivrées par l’État un caractère plus contraignant, qui s’impose d’une manière ou d’une autre aux établissements bancaires.

Recommandation n° 16 : Envisager une évolution du cadre législatif permettant de conférer aux licences d’exportation délivrées par l’État un caractère contraignant pour les établissements bancaires.

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M. Christophe Plassard,
Rapporteur spécial
Commission des Finances , de l’Economie générale et du Contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale
16 juillet 2025

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