L’économie, c’est de l’énergie transformée. Ce ne sont pas aux industriels allemands qu’il faut le rappeler. L’explosion des prix de l’électricité depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine les a remis face au désastre de la destruction de leurs capacités nucléaires depuis la mise en place de l’Energiewende dans les années 1990. Dans ce processus suicidaire, Berlin s’en est pris à l’avantage comparatif français dans le secteur énergétique afin de promouvoir sa propre industrie des énergies renouvelables (ENR)[1] et maintenir sa domination économique en Europe. L’Allemagne mène ainsi une guerre de l’information antinucléaire contre la France en s’appuyant sur ses réseaux influents dans les couloirs de Bruxelles et sur un attirail de fondations politiques au service de ses intérêts.
Commentaire AASSDN : Cet article retrace parfaitement le déroulement des actions menées par l’Allemagne contre les intérêts supérieurs français pendant plus de 25 ans.
De nombreux responsables politiques français ont collaboré souvent pour des raisons politiciennes avec des organismes allemands dont l’objectif était d’affaiblir les capacités énergétiques et donc économiques de notre pays.
La guerre notamment économique est un état permanent. Nos alliés, qui ne sont pas nos amis, chercheront toujours quand ils le pourront à nous affaiblir pour nous dominer. Il est donc urgent que nos dirigeants, mais aussi tous les Français prennent conscience de cette réalité aux conséquences graves et combattent vigoureusement ces actions souterraines menées contre nos intérêts fondamentaux non seulement par les grandes puissances (Etats-Unis et Chine) mais également au sein de l’UE.
Origines et développement de l’Energiewende
Dans la société allemande d’après-guerre traumatisée par les bombardements américains à Nagasaki et Hiroshima, puis par la peur d’une guerre nucléaire généralisée entre les deux blocs lors de la crise des euromissiles en 1977, l’énergie nucléaire a rapidement suscité une aversion naturelle au sein de la population. C’est d’abord ce terreau réceptif qui a fait le succès des militants antinucléaires en Allemagne. Dès 1980, émerge l’idée d’une « transition énergétique » (Energiewende[2]) qui fixe pour horizon l’abandon progressif des énergies fossile et nucléaire au profit des ENR. Ce rêve trouve immédiatement un écho favorable dans le public allemand et des relais politiques dans le jeune parti écologiste Die Grünen, qui accède au pouvoir dans le cadre de la coalition noir-vert avec la CDU au début des années 1990. C’est alors que la promotion des ENR est devenue le fer de lance d’un discours idéologique puissant reposant sur la « bonne conscience » environnementale et l’ostracisation des défenseurs de l’énergie nucléaire[3].
Le tournant énergétique se situe en 1998 lors de la première coalition rouge-verte[4] dirigée par G. Schröder. Il propose deux lois faisant de l’Energiewende un agenda politique pour l’Allemagne. La première[5] renforce le soutien au développement de la filière des ENR (en garantissant des prix de vente supérieurs au prix du marché au détriment du consommateur) et la deuxième[6] programme un abandon du nucléaire échelonné dans le temps. Concrètement, les centrales nucléaires existantes étaient condamnées à la fermeture tandis que la construction de nouvelles centrales était interdite. Cette transition est à nouveau accélérée en 2011 dans la foulée de la catastrophe de Fukushima, lorsque Angela Merkel annonce la fermeture anticipée de la totalité des centrales allemandes à horizon 2022[7]. En avril 2023, les trois derniers réacteurs nucléaires du pays sont finalement fermés[8]. Le rêve vert des écologistes est devenu réalité.
L’Union européenne mise au pas
L’abandon précipité du nucléaire a exposé l’économie allemande aux aléas climatiques et aux incertitudes de l’intermittence des ENR. Pour réguler l’instabilité de sa production énergétique, l’Allemagne dépend de la coopération des pays voisins pour liquider sa surproduction en exportant ou pour compenser son déficit de production en important. Sa survie énergétique étant désormais en jeu, elle n’a pas hésité à mobiliser son influent réseau de lobbyistes à Bruxelles pour défendre ses intérêts et imposer son modèle énergétique[9].
Cette influence s’est traduite de trois manières[10]. En 1996, la directive 96/92/CE vise à développer les débouchés allemands en favorisant les interconnexions des réseaux électriques européens dans le cadre du marché européen de l’électricité. En 2007, l’UE s’engage dans la libéralisation du marché européen de l’énergie et la directive 2009/28/EC, pour ne citer qu’elle, est reformulée sous la pression du lobbying allemand pour maintenir des tarifs de rachat avantageux aux producteurs d’ENR[11]. Enfin, l’Allemagne a vampirisé les subventions de la Banque européenne d’investissement en excluant le nucléaire du label vert de la taxonomie (exclusion levée en 2022). En revanche, le gaz fossile – notamment russe –, essentiel à l’économie allemande pour remplacer le nucléaire, est quant à lui considéré comme une énergie de transition. En d’autres termes, n’est durable ou décarboné que ce qui assure la pérennité et l’hégémonie du modèle énergétique allemand.
Une bête à abattre : le nucléaire français
Il est clair que le lobbying allemand sur la taxinomie avait un bouc émissaire : la France et son fleuron EDF[12]. La sortie du nucléaire ayant mécaniquement augmenté les prix de l’électricité outre-Rhin, le risque pour l’Allemagne était une perte intolérable de compétitivité pour son industrie alors qu’à sa frontière se vendait de l’électricité 2,5 fois moins chère. Henri Proglio, ancien PDG d’EDF, déclarait ainsi à l’Assemblée nationale : « Comment voulez-vous que ce pays qui a fondé sa richesse, son efficacité, sa crédibilité sur son industrie accepte que la France dispose d’un outil compétitif aussi puissant qu’EDF à sa porte ? Depuis trente ans, l’obsession allemande est la désintégration d’EDF ; ils ont réussi[13] ! »
Dans un premier temps, EDF avait pourtant bien reçu la nouvelle de la libéralisation du marché européen. Il était théoriquement gagnant puisqu’il proposait les meilleurs tarifs du marché. Mais l’Allemagne, sous couvert de la commission bruxelloise, a eu tôt fait de pointer du doigt la position monopolistique d’EDF sur le marché français et d’exercer une pression constante pour qu’il se plie à ses exigences[14]. La docilité d’une naïveté impensable des gouvernements français pour s’y conformer s’est traduite par l’adoption de la loi NOME en 2010 et du dispositif ARENH qui en découle. Cette loi contraignait EDF à vendre chaque année un quart de sa production nucléaire à prix coûtant (42€/MWh) à ses « concurrents » qui n’existaient pas, c’est-à-dire des intermédiaires de la filière qui ne produisaient aucune énergie. EDF était riche, il fallait qu’elle donne sa rente nucléaire. C’était absurde, et la France l’a fait par dévotion à l’idée qu’elle se fait de l’Europe. En dix ans, le cours de l’action EDF a baissé de 80 % et l’entreprise a été ruinée[15]. L’Allemagne avait obtenu gain de cause.
L’arsenal de fondations allemandes dans la guerre de l’information
Dans cette entreprise de sabotage du nucléaire français, l’Allemagne s’appuie sur plusieurs fondations politiques au premier rang desquelles se trouvent Heinrich Böll et Rosa Luxembourg, financées par Berlin à hauteur de 500 millions d’euros par an[16].
C’est le cas de la fondation Heinrich Böll qui coordonne depuis 2016 des opérations d’influence contre le nucléaire français en finançant un large panel d’ONG-relais comme le Réseau Action Climat (qui regroupe 27 associations nationales telles Greenpeace France, WWF ou Sortir du nucléaire). En 2022, la fondation recevait 67 % de ses financements du gouvernement allemand et de l’UE et concentrait plus de 50 % de ses activités à l’étranger. En lien étroit avec le parti vert allemand, elle s’occupe essentiellement de produire et de financer du contenu et des rapports à diffuser dans la presse et les sphères politiques, octroyer des bourses pour la recherche universitaire écologique ou encore rencontrer les élites françaises et soutenir la création de partis politiques comme EELV. Or, les contenus qu’elle propose vouent systématiquement aux gémonies les déchets nucléaires, les risques nucléaires ou l’obstination de l’État français et d’EDF dans le nucléaire ; et n’hésitent pas à aller jusqu’à la désinformation en stipulant que l’énergie nucléaire est polluante et manque de fiabilité[17]. Et ne manquent jamais de vanter les mérites de l’Energiewende allemande ou de l’avenir des ENR.
La fondation Rosa Luxembourg, si elle n’a pas d’antenne en France, s’attaque aux intérêts énergétiques français à l’étranger à commencer par l’extraction d’uranium. Elle participe par exemple à la publication d’un Atlas de l’uranium[18]en 2022, financé par le ministère fédéral de la Coopération économique et du Développement allemand, et qui dénonce le néocolonialisme de la France au Niger et les dangers sanitaires de l’exploitation du minerai par Orano (ex-Areva). Comment ne pas y voir la main de Berlin qui cherche à miner la filière nucléaire française, imposer cette idée fausse dans les esprits de l’Hexagone que le nucléaire est néfaste pour l’environnement et soutenir sa propre industrie dans les ENR ?
Conclusion
Devant les ingérences allemandes contre l’indépendance énergétique française, un constat s’impose : les conflits d’intérêts et les antagonismes entre pays n’ont pas miraculeusement disparu en Europe après 1945. N’en déplaise à un certain pacifisme idéaliste, la géopolitique reste le terrain des rapports de force entre les États, même dans l’Union européenne. « Les États n’ont pas d’amis », disait le général de Gaulle. Pourtant, l’Élysée ne cesse de brandir la bannière de « l’amitié franco-allemande » tandis que la page Wikipédia de cette expression n’existe pas en allemand, mais seulement en français, en esperanto et en suédois…
Louis du BREIL
Revue Conflits
14 novembre 2024
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[1] Énergies renouvelables.
[2] Du rapport de 1980 publié par l’Okö Institut, un institut de recherche sur l’environnement, qui s’intitule « Energie-Wende : Growth and Prosperity Without Oil and Uranium ».
[3] C’est dans ce contexte que le chancelier Helmut Kohl impose la loi de tarif de rachat de 1991 qui impose aux entreprises de distribution d’acheter de l’électricité issue des énergies renouvelables à un tarif supérieur aux prix de marché.
[4] Coalition entre les socio-démocrates du SPD et les verts de Die Grünen.
[5] Loi Erneuerbare Energien Gesetz (EEG), promulguée en avril 2000.
[6] Loi sur l’énergie atomique, entrée en vigueur en 2002.
[7] Frédéric Lemaître, « La conversion d’Angela Merkel en faveur d’une sortie du nucléaire », Le Monde, 1er avril 2011.
[8] Jens Thurau, « Germany shuts down its last nuclear power stations », Deutsche Welle, 14 avril 2023.
[9] Inga Margrete Ydersbond, « Multi-level lobbying in the EU: The case of the Renewables Directive and the German energy industry», Fridtjof Nansen Institute, octobre 2012.
[10] Rapport de l’EGE de mai 2021, « J’attaque ! Comment l’Allemagne tente d’affaiblir durablement la France sur la question de l’énergie ? »
[11] Margot de Kerpoisson, « Blitzkrieg énergétique : l’Allemagne en campagne contre le nucléaire français », Conflits, 1er mai 2022.
[12] Voir le rapport de l’EGE daté de juin 2023, « Ingérence des fondations politiques allemandes & Sabotage de la filière nucléaire française ».
[13] Commission d’enquête du 13 décembre 2022.
[14] Tribune collective, Énergie : « Pour retrouver une électricité bon marché, il faut se défaire des exigences de Bruxelles », Le Figaro, 5 juin 2023.
[15] Charles Gave, « AREVA, ALSTOM, EDF, nous avons la meilleure fonction publique au monde », Institut des libertés, 30 janvier 2022.
[16] Rapport de l’EGE, « Rapport d’alerte – Ingérence des fondations politiques allemandes et sabotage de la filière nucléaire française », 22 juin 2023.
[17] https://www.greenpeace.fr/nucleaire-la-fable-de-la-fiabilite/
[18] https://rosaluxna.org/wp-content/uploads/2022/01/Uranatlas2022_franzosisch.pdf