1984 : Analyse du drame afghan par le Mouvement de Résistance du Commandant MASSOUD
Conférence du colonel M Garder et de M. TENDAR, représentant pour l’Europe du Mouvement de Résistance du Commandant MASSOUD lors du congrès de l’AASSDN à Colmar en 1984 :
Le conflit global et permanent – conçu et orchestré par le Kremlin dès la fin de la Deuxième Guerre Mondiale – est entré depuis 1978 dans une phase nouvelle sans que la plupart des responsables occidentaux aient de cet affrontement une vision très nette. Rares sont parmi eux ceux qui perçoivent l’unicité, la nature exacte et le caractère permanent et global de cette transposition à l’échelle mondiale du schéma de la « lutte des classes » devant aboutir à la victoire définitive du Communisme soviétique. D’aucuns s’imaginent qu’il s’agit uniquement d’une lutte d’influence entre les États-unis et l’U.R.S.S. et qu’il suffirait d’une « bonne négociation » américano-soviétique sur le désarmement et le règlement pacifique du contentieux Est-Ouest pour que tout s’arrange ».
D’autres s’érigent en arbitres – alors qu’ils sont « partie prenante », distribuent les « satisfecit » et les « blâmes » aux deux camps et regrettent que ceux-ci n’écoutent pas leurs conseils.
D’autres enfin voient la solution dans une troisième voie dont les idées pacifistes et le non-engagement politique finiraient par s’imposer aux « faucons » des deux blocs (1). Ici et là on évoque avec nostalgie l’époque de la détente qui a pourtant coûté assez cher aux Occidentaux, et on agite le spectre d’un retour à la « guerre froide » sans comprendre que ces deux formules qualifient deux aspects d’une même réalité : le conflit en cours sur le Théâtre occidental. La phase dite de la « guerre froide » était celle où le Kremlin appliquait son effort principal sur ce Théâtre, et celle de la détente correspond à deux changements successifs de « direction principale » (de 1966 à 1976 sur l’Asie et de 1976 à 1981 sur l’Afrique).
En fait non seulement il s’agit, de 1945 à nos jours, d’un même conflit, quelles que soient les phases par lesquelles il passe, mais de plus, tous les affrontements de caractère local éclatent pour des motifs indépendants de ce conflit – comme par exemple l’affaire des Malouines ou la guerre irano-irakienne,- tendant quasi automatiquement à s’intégrer à lui. Cette unicité du phénomène n’apparaît pas toujours de façon évidente à des esprits occidentaux habitués à des distinguos subtils entre « partisans » et « neutres », alors que pour les Soviétiques tout ce qui n’est pas avec eux est contre eux. C’est ainsi que Moscou considère, par exemple, la Suède ou la Suisse comme des membres objectifs du camp adverse et ne se gêne pas de violer leur neutralité.
Comme par ailleurs l’oligarchie moscovite met en œuvre une stratégie totale combinant tous les moyens : psycho-politiques, diplomatiques, financiers, économiques, etc., à l’exclusion, en principe, d’un recours direct à la force, le rôle d’exécutant essentiel revient du côté soviétique au K.G.B. complété par les Services Spéciaux militaires (G.R.U.). C’est pour cela que les personnels des ambassades, des délégations et des diverses missions économiques, scientifiques et techniques de l’U.R.S.S. maintient hors de ses frontières comprennent une proportion écrasante de « tchékistes ».
Enfin les règles de conduite de ce conflit d’un genre spécial ne peuvent souffrir d’improvisations et exigent en premier lieu une planification rigoureuse qui s’effectue au sein du Secrétariat du Comité Central, cet énorme État-major Général de Stratégie Totale. Aussi est-il totalement erroné de parler, comme le font de nombreux dirigeants occidentaux, du pragmatisme des Soviétiques. Ceux-ci sont tenus d’appliquer un « plan » et ne peuvent faire preuve de souplesse que dans le cadre d’une manœuvre donnée.
« Ultima ratio » de cette stratégie, les Forces Armées soviétiques ne sont appelées à intervenir que dans des cas exceptionnels – plus souvent à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Empire – et en dehors de cela elles participent à la manoeuvre d’ensemble en tant qu’épouvantail et réservoir d’instructeurs pour les pays du Tiers Monde.
Notons pour finir que le terme de « guerre froide » – inventé naguère par les Occidentaux pour qualifier ce conflit que les soviétiques désignent sous le nom de « coexistence pacifique » nous paraît inadéquat. Il s’agit selon nous d’une « guerre tiède aux nombreux points chauds » – ces derniers préfigurant le risque d’une escalade dramatique. Jouant adroitement avec le feu, les soviétiques s’efforcent d’ailleurs d’utiliser ce « risque » à leur profit en faisant croire que sa responsabilité incombe à leurs adversaires.
Ces quelques réalités étant rappelées, nous allons tenter une fois de plus de faire le point de la situation à l’échelle mondiale à la veille du solstice d’été 1984, en envisageant cette situation du point de vue du Kremlin dans la mesure où, à l’inverse des Occidentaux, les soviétiques ont un plan stratégique à l’échelle mondiale.
UN EMPIRE FACE A UNE COALITION « DE FACTO »
Depuis août 1978, l’Empire soviétique – qui se trouvait en position de force face à une Alliance Occidentale passablement ébranlée et, en Asie, à une Chine isolée et à un Japon plus ou moins dans la mouvance américaine – doit affronter une coalition « de facto » en voie de renforcement, comprenant un groupement occidental d’une part, et le binôme sino-nippon d’autre part.
Nous avons déjà eu l’occasion de signaler dans notre Bulletin le fait que le Kremlin a dû attendre le XXVIe Congrès du Parti Communiste soviétique de Mars 1981 pour modifier son plan stratégique en fonction de cette nouvelle situation. L’effort principal qui jusque là s’exerçait sur le continent africain fut reporté sur l’Asie où il s’agissait en premier lieu de dissocier le binôme sino-nippon et d’en neutraliser les composants. Face aux Occidentaux on adopte une attitude défensive active à base d’offensives de paix utilisant en particulier l’affaire des euromissiles et visant à neutraliser l’Allemagne Fédérale, à morceler l’Europe, à séparer celle-ci des États-unis et à fixer l’attention de Washington grâce à un regain de la subversion en Amérique latine.
Enfin sur la direction Moyen-Orient-Afrique, on décida de maintenir les positions acquises en Syrie, au Sud Yémen, en Éthiopie, au Mozambique et en Angola, en modérant la fougue de l’ « allié » libyen.
Un peu plus de trois ans se sont passés depuis, et on ne peut pas dire que ce plan, par ailleurs logique, ait été couronné de succès, même au Moyen-Orient. Pour s’en convaincre il suffit de passer en revue la situation sur chacun des trois grands Théâtres « de guerre » de la Stratégie Totale soviétique.
ÉCHEC PATENT EN ASIE
Pour comprendre la façon dont les dirigeants soviétiques perçoivent le binôme sino-nippon et envisagent le renforcement de ses liens avec les EtatsUnis, il nous paraît opportun de rappeler ce que nous disait en substance, en 1974, un analyste de haut rang travaillant pour le Comité Central.
A ce moment-là, un éventuel rapprochement entre Tokyo et Pékin constituait une simple hypothèse que notre interlocuteur considérait comme hautement improbable. « De toute façon – avait-il ajouté, nous ne pourrions tolérer un tel rapprochement car ce serait pratiquement un « casus belli ». Mettez-vous à notre place : la technologie nipponne, plus le potentiel chinois, plus la haine qu’ils nous portent les uns et les autres, unis dans un même faisceau, cela constituerait pour nous un danger mortel !
Encore notre analyste n’avait-il pas évoqué « le renforcement des liens » entre le binôme sino-nippon et les États-unis.
Or ces derniers mois nous avons assisté coup sur coup aux visites à Pékin du Premier Ministre japonais NAKASONE et du Président REAGAN, reçus tous deux avec un faste inhabituel, alors que depuis le XXVIe Congrès le Kremlin a tout fait pour améliorer ses relations avec la Chine et pour amadouer le Japon.
Ancien officier de Marine, partisan d’un renforcement du potentiel de défense de son pays, M. NAKASONE est venu confirmer le plan d’une coopération sino-nipponne dans les domaines économique, scientifique et technologique, grâce à laquelle les deux pays devenus complémentaires constitueront au début du prochain millénaire un ensemble puissant, ultra moderne et redoutable.
De son côté, même si certaines déclarations anti-soviétiques du Président REAGAN ont été censurées par les Chinois, il a, lui aussi, jeté les bases d’une véritable coopération américano-chinoise.
Enfin en marge de ces deux visites qui ont dû inquiéter sérieusement les oligarques du Kremlin, il y a eu une ouverture du Japon en direction de l’Inde – alliée de l’U.R.S.S. – et des menaces non voilées de Pékin à, l’encontre de l’autre allié soviétique en Asie : le Vietnam dont les troupes n’arrivent pas à éliminer la résistance khmère qui tient une partie du territoire cambodgien.
Le seul gain réalisé par Moscou en Asie ces derniers temps a été un changement d’orientation de la Corée du Nord inquiète d’un éventuel rapprochement entre la Chine et la Corée du Sud.
Rappelons que toutes les tentatives soviétiques en vue de la normalisation des relations avec la Chine se sont heurtées aux trois conditions suivantes posées par Pékin :
– Allègement du dispositif militaire soviétique à la frontière chinoise ;
– Fin du soutien soviétique à l’impérialisme vietnamien ;
– Évacuation des troupes soviétiques du territoire afghan.
Or ce sont là des conditions inacceptables pour Moscou. Et c’est ainsi que non seulement le dispositif aéro-terrestre à la frontière chinoise n’a pas été allégé, mais de plus, le nombre des SS-20 menaçant la Chine et le Japon s’est accru d’une centaine d’unités.
Il ne pouait pas davantage être question d’abandonner le Vietnam, et cela à un moment où cet allié fidèle se trouve menacé par la Chine… et enlisé au Cambodge.
Enfin, nous l’avons déjà souligné dans le dernier Bulletin -, l’Afghanistan est désormais considéré à Moscou comme faisant partie de l’Empire. Le Commandement soviétique y multiplie des offensives de printemps et plus personne ne s’imagine de par le monde que l’U.R.S.S. puisse envisager d’abandonner sa proie. Nous reviendrons sur ce point plus loin.
De toute façon, et pour en revenir à l’objectif essentiel du Kremlin sur le Théâtre asiatique, l’échec est patent et le temps n’y travaille pas pour l’U.R.S.S. Ajoutons que même l’esquisse d’un rapprochement avec la Corée du Nord est toute relative et que KIM IL SUNG n’a pas hésité à se rendre à Pékin au lendemain de la visite en Chine du Président Reagan.
Enfin, quelle sera la réaction de Moscou au cas où – après la saison des pluies, c’est-à-dire en automne prochain, la Chine prendrait la décision de « corriger » une nouvelle fois le Vietnam ?
RESULTATS DISCUTABLES SUR LE THEATRE OCCIDENTAL
En dépit de tous ses efforts, l’U.R.S.S. n’a pu empêcher, fin 1983, l’arrivée en Allemagne Fédérale des premiers Pershing 2 et s’est crue obligée d’implanter de nouvelles fusées sur les territoires de ses « satellites ».
Certes la propagande soviétique a connu quelques échos favorables dans certains pays de l’ouest européen tels que l’Allemagne Fédérale et la Hollande et l’orientation neutraliste d’une partie des socialistes allemands peut lui être attribuée.
Ceci dit, l’attitude ferme de la France et de l’Italie, la position sans équivoque de Mrs THATCHER – même si celle-ci persiste à vouloir, à l’instar du Président de la République Française, se rendre à Moscou pour y rencontrer Constantin TCHERNENKO limitent la portée des succès tactiques mentionnés plus haut.
C’est cependant la partie américaine de ce Théâtre occidental qui continue d’angoisser les dirigeants soviétiques. De plus en plus présents dans le Pacifique et l’Extrême-Orient, les États-unis ne paraissent nullement désireux de se désengager vis-à-vis de l’Europe occidentale. Le programme militaire lancé par l’Administration actuelle qui vise à restaurer la suprématie actuelle dans les domaines conventionnel et nucléaire, terrestre, aérien et maritime comporte en outre un projet de domestication de l’espace. Si ce programme se réalise, on peut estimer que d’ici la fin des années 90 les États-unis domineront l’U.R.S.S. de façon irrémédiable en interdisant aux fusées soviétiques l’espace américain et même européen.
Dès lors, rien d’étonnant que l’oligarchie soviétique se déchaîne quotidiennement contre le « bellicisme » de Ronald REAGAN en souhaitant sa défaite aux prochaines élections présidentielles (2) cela d’autant plus ardemment qu’en cas de réélection le Président ne manquera pas de régler – au besoin par la force, certains problèmes latino-américains, tel celui du Nicaragua.
Il n’est pas dit par ailleurs que dans l’hypothèse d’une victoire démocrate, le nouveau président – autrement dit M. MONDALE, ne reprenne à son compte sinon le projet d’intervention en Amérique latine, du moins le programme militaire de l’administration actuelle, ne serait-ce qu’en raison de ses conséquences bénéfiques sur l’économie du pays.
Ce ne sont pas les menaces de poster les submersibles lance-missiles à distance rapprochée des côtes américaines, ou autres mesures de riposte aux euromissiles qui feront plier les États-unis, quel que soit leur futur président.
SUCCÈS LIMITE AU MOYEN-ORIENT. DES POSITIONS MENACEES EN AFRIQUE NOIRE
L’échec des tentatives américaines d’un règlement du problème libanais sous l’égide de Washington et le désengagement de la force de paix occidentale de Beyrouth, ont fourni à la Syrie – alliée de l’Union Soviétique, l’occasion de remporter une victoire facile au Moyen-Orient, en même temps qu’une revanche psychologique sur Israël.
Toutefois, Moscou a adopté en l’occurrence une attitude très prudente et c’est, semble-t-il, dans le sens de la modération que Gueïdar ALYEV a incité le Président ASSAD à agir, lors de leur entrevue à Damas en mars dernier.
Il faut dire que la guerre irano-irakienne dans laquelle Damas soutient Téhéran et Moscou a pris parti pour Bagdad ne facilite pas le jeu soviétique au Moyen-Orient. Ce jeu a été également contrarié par la mainmise de la Syrie sur une partie de la résistance palestinienne rejetant l’O.L.P. d’ARAFAT dans les bras des Chinois.
Enfin les relations entre Moscou et son « allié » du Sud-Yemen ne semblent plus aussi confiantes que par le passé.
C’est cependant en Afrique Noire, et plus spécialement dans la partie australe du continent que la situation est devenue franchement difficile pour l’U.R.S.S.
Pour commencer, le bastion lénino-marxiste éthiopien connaît une crise dont on ne voit pas l’issue, à moins d’une aide massive de l’U.R.S.S. dans tous les domaines. Cette aide, le Colonel MENGISTU est allé la réclamer à Moscou, sans grand résultat, semble-t-il. Avec d’une part la sécheresse et la famine qui affectent une partie du pays et, d’autre part, l’interminable guerre d’Érythrée, le régime communiste d’ADDIS ABEBA ne sait où donner de la tête. Parvenu au pouvoir grâce à un coup d’État militaire, MENGISTU pourrait bien à son tour être déposé par de jeunes officiers révolutionnaires du type de ceux qui, sur l’autre façade du continent, viennent de se débarrasser, en Guinée, des successeurs de SEKOU TOURE. Même si le dictateur guinéen n’était pas aussi aligné sur le Kremlin que MENGISTU, il n’en avait pas même droit au titre de « camarade » et le coup d’État militaire qui a mis un terme au régime qu’il incarnait a constitué une incontestable défaite pour l’U.R.S.S. en Afrique Occidentale.
C’est ainsi que l’importante mission permanente soviétique comportant de nombreux officiers du K.G.B. a dû quitter Conakry en démontant son Poste de Services Spéciaux et des installations d’écoutes radio-électriques travaillant sur une bonne partie du continent.
Pendant ce temps, en Afrique Australe, les deux républiques populaires d’Angola et du Mozambique, fondées en 1976 grâce à une aide soviéto-cubaine massive, vacillent sur leurs socles. En Angola, les maquisards de l’Unita – soutenus par l’Afrique du Sud, tiennent une partie importante du pays et en sont déjà au stade du terrorisme cubain. Le désengagement des unités cubaines paraît désormais imminent et il serait étonnant que l’U.R.S.S. s’accroche à un territoire qui ne lui a rien rapporté.
Il en est de même du Mozambique, tributaire de l’Afrique du Sud pour une bonne partie de son économie et où le communisme a totalement échoué.
LA PLACE DE L’AFGHANISTAN DANS LE CONFLIT EN COURS
Dans le dernier Bulletin n° 121, nous avons longuement exposé la genèse et les étapes de « l’enlisement soviétique en Afghanistan » en montrant que, contrairement à « l’avis autorisé » de nombreux kremlinologues et stratèges en chambre occidentaux, il ne s’agissait pas en l’occurrence d’une « poussée en direction des mers chaudes ». Une erreur initiale grave commise le 27 avril 1978, lors de la liquidation du prince DAOUD, a amené les Soviétiques à porter au pouvoir le communiste TARAKI. Il en est résulté un engrenage qui a abouti à l’intervention de Décembre 1979. Celle-ci a eu lieu dans des conditions courtelinesques et a débouché sur un chef-d’oeuvre d’incohérence qui dure jusqu’à nos jours.
Depuis quatre ans et demi, le « Corps Expéditionnaire Restreint » (ce dernier adjectif empêche le général qui le commande de recevoir des renforts importants) piétine et pourrit sur pied en Afghanistan. Certes les unités terrestres et surtout aériennes soviétiques infligent de lourdes pertes aux résistants et plus encore aux populations civiles, mais elles ne peuvent emporter la décision, faute d’infanterie bien entraînée et en nombre suffisant.
Ne se trouvant pas sur la Direction Principale d’effort – qui porte, nous l’avons vu, sur le binôme sino-nippon – et de plus en plus considéré par ailleurs comme faisant partie du Théâtre intérieur, l’Afghanistan est devenu pour le Kremlin un abcès de fixation que l’oligarchie moscovite espère régler à plus ou moins long terme.
LE POINT DE VUE DE LA RÉSISTANCE AFGHANE
par Omaïoun TENDAR
Parlant un français admirable, le représentant pour l’Europe du mouvement de résistance du Commandant MASSOUD, commence par une brève présentation de la personnalité exceptionnelle de son chef et ami.
Ancien élève du lycée français de Kaboul, Ahmed Scheh MASSOUD, dit « le lion de la vallée du Panschir » est un extraordinaire autodidacte dans le domaine militaire et un meneur d’hommes hors du commun. Son territoire est avant tout constitué par la vallée de la rivière Panschir qui débute à une trentaine de kilomètres de Kaboul, à partir de la ville de Goulbahar et s’achève avec le Col d’Andjouman, à quelque 160 kms au nord-est de Goulbahar où la Panshir prend sa source.
Dès la fin des années 70, cette région a constitué un bastion de la résistance contre TARAKI et ensuite AMIN, en attendant de jouer un rôle très important dans la lutte contre l’occupant soviétique. Disposant d’une bonne dizaine de milliers de combattants, MASSOUD a pu ainsi s’opposer victorieusement, entre 1980 et 1982, à dix grandes offensives soviétiques – la sixième ayant abouti, au cours de l’été de 1982, à un échec sanglant, les forces soviétiques ayant perdu un millier de morts et près de 2.000 blessés et un bataillon de l’armée régulière afghane étant passé à la Résistance ; le commandement soviétique en fut ainsi réduit à entamer des pourparlers avec MASSOUD.
Ces pourparlers traînèrent en longueur pour finalement déboucher sur un « armistice » en janvier 1983. Pendant environ un an la vallée devint une oasis pour la Résistance, avec un gouvernement local. MASSOUD put recompléter et réorganiser ses forces. Toutefois du côté soviétique on mit cette trêve à profit pour noyauter la Résistance et exploiter des divergences entre les différents mouvements nationalistes. On tenta même d’assassiner MASSOUD.
Finalement, devant l’échec de leurs actions politico-subversives les Soviétiques prirent, au début de 1984, la décision d’en finir avec la vallée en faisant coïncider une nouvelle offensive générale avec l’assassinat de MASSOUD.
Alerté deux mois à l’avance – c’est-à-dire en février 1984, au sujet des préparatifs de l’offensive, MASSOUD prit les mesures nécessaires.
Le 20 avril 1984, la septième offensive – précédée d’un bombardement massif de la vallée, devait tomber partiellement dans le vide. Près de 20.000 hommes des forces soviétiques et afghanes, soutenus par 500 chars et 80 hélicoptères précédés par 8.000 parachutistes, eurent pour mission d’occuper et de nettoyer la vallée.
A la mi-Mai, d’après les renseignements obtenus par Omaïoun TENDAR de la base arrière de MASSOUD au Pakistan, les Soviétiques avaient à peine atteint la moitié de la vallée en subissant de lourdes pertes.
Pendant ce temps MASSOUD et le gros de ses forces avaient pu se retirer dans les vallées adjacentes.
De plus, cette attaque avait eu pour effet de faire – au moins partiellement, l’unité de la Résistance.
Tout en étant entièrement d’accord avec l’analyse du Colonel GARDER, A. TENDAR estime nécessaire de souligner les points suivants :
– En ce qui concerne les forces soviétiques on peut estimer qu’elles sont mal adaptées à ce genre de guerre ; que le moral n’est pas élevé et que le commandement manque totalement d’imagination.
Toutefois, on a enregistré depuis quelque temps certains progrès tactiques réalisés par les unités à partir de l’échelon bataillon, en particulier dans le domaine des actions combinées hélicoptères/infanterie.
On peut enfin se demander si les Soviétiques ne finiront pas par augmenter considérablement les effectifs de deux corps d’intervention pour tenter de régler une fois pour toutes le problème afghan.
– Du côté de la Résistance les faiblesses résident ;
– dans le manque de cohésion entre les différents mouvements ;
– dans la pénurie chronique en matière d’armements et de munitions, en particulier dans les domaines anti-aérien et anti-chars ;
– dans l’insuffisance du nombre des spécialistes en matière d’exploitation du Renseignement et du Sabotage.
Cependant, à l’intérieur – explique Omaïoun TENDAR – « nous n’avons qu’un seul motif d’inquiétude : jusqu’où la population pourrait-elle endurer la guerre ? »
Car au plan militaire la Résistance se renforce. Les actions sont dorénavant coordonnées entre les provinces. Les cadres sont formés dans trois écoles militaires et divers centres d’instruction. Pour M. TENDAR le Commandant ,MASSOUD ne manquera pas de réoccuper la vallée du Panschir d’ici quelque temps.
Les véritables soucis des responsables de la Résistance sont d’ordre extérieur.
Il y a tout d’abord le Pakistan qui, pour le moment, grâce au courage du Président ZIA UL HAG permet à la Résistance de disposer de bases sur son territoire et lui apporte une aide discrète. Qu’en adviendra-t-il en cas de changement de gouvernement à Islamabad ?
Il y a ensuite cette stupide guerre irano-irakienne dont la Résistance pourrait – à la longue – faire les frais.
Il y a enfin l’attitude des États-unis, très réservée pour le moment, et cela en dépit de l’anti-communisme du Président REAGAN. Le rôle de l’Afghanistan étant minime dans l’échiquier mondial, que fera l’actuel président en cas de réélection, ou quelle sera la politique de Washington dans l’hypothèse d’une victoire démocrate en novembre prochain ?
En définitive, estime le représentant du Commandant MASSOUD, la clef du problème se trouve à Moscou. La guerre d’Afghanistan qui dure bientôt depuis cinq ans n’est pas populaire en U.R.S.S.
« Lorsque l’esprit des populations commencera à être vraiment atteint, ils seront obligés d’arrêter » conclut-il_
L’orateur est ovationné par l’assistance et Michel GARDER reprend la parole.
TOUT SE JOUE EFFECTIVEMENT A MOSCOU… MAIS D’UNE AUTRE FAÇON
par le Colonel Michel GARDER
La clef du problème est bien au Kremlin, acquiesce Michel GARDER, mais ce ne sont pas les populations qui obligeront les dirigeants à mettre les pouces. L’avenir de l’Afghanistan, voire même l’avenir de la paix mondiale est lié au sort du régime totalitaire soviétique. Tant que le régime subsistera nous n’aurons rien de bon à en attendre. Seul un changement radical consécutif à une révolution de palais, du genre de celle qui a ébranlé le communisme tchécoslovaque en 1968, pourrait ouvrir des perspectives nouvelles.
Pour le moment l’U.R.S.S. est dirigée par une oligarchie d’une bonne centaine d’individus, oligarchie à la fois pléthorique, gérontocratique, anachronique et de qualité médiocre. Derrière la façade monolithique de ce système totalitaire, l’érosion due au temps a déjà fortement lézardée l’édifice. L’appareil du Parti, naguère le seul maître du jeu, ne parvient plus à contrôler entièrement ses deux auxiliaires : l’Armée et le K.G.B.
– La partocratie a évolué en une « sbiro-strato-partocratie » policiers et militaires tendant à s’affranchir de la férule du Parti. Des histoires récentes telles que celle de l’attentat contre le Saint-Père (manifestement fomenté par un échelon opérationnel du K.G.B.), ou bien celui de la destruction du Boeing sud-coréen le 1er septembre 1983, ordonnée par le général ROMANOV – récemment « suicidé » – nous en fournissent la preuve.
Aux échecs répétés sur le Théâtre Extérieur du conflit mondial en cours, aux perspectives d’avenir inquiétantes, tant à l’Ouest (avec l’effort de guerre américain) qu’à l’Est (avec le renforcement du binôme sino-nippon), viennent s’ajouter les difficultés du Théâtre Intérieur parmi lesquelles prend place l’enlisement en Afghanistan.
Aussi l’avenir du régime soviétique peut-il se réduire à quatre grandes hypothèses, avec chacune trois sous-hypothèses, soit :
H1: C’est la perpétuation du régime actuel avec les trois variantes suivantes :
h 11: serait une U.R.S.S. tendant à se rapprocher des Occidentaux
h 12: serait, à l’inverse, une U.R.S.S. plus proche de la Chine et du Japon
h 13: serait – à l’instar de l’attitude actuelle du Kremlin, une U.R.S.S. hostile à la fois aux Occidentaux et aux Asiatiques.
Bien entendu on espère la réalisation de h 11 en Occident et de h 12 à Pékin et à Tokyo. On craint la perpétuation de h 13 ici et là.
H 2: serait une nette aggravation de h 13 débouchant sur une « guerre » avec :
h 21: étant une « guerre éclair » en Europe avec ou sans échange nucléaire soviéto-américain
h 22: une guerre nucléaire préventive contre la Chine
h 23: une guerre générale sur deux fronts Ouest et Est.
H 3: serait l’éventualité d’une révolution de palais avec à l’origine :
h 31: une conjuration d’officiers du K.G.B. et de jeunes apparatchiks
h 32: – dito – de jeunes apparatchiks et d’officiers des Forces Armées
h 33: un putsch militaire
H 4: serait une guerre civile consécutive à un putsch militaire avec :
h 41: une guerre civile rapidement gagnée par un des camps
h 42: une guerre civile limitée au territoire de l’Empire Soviétique
h 43: une guerre civile gagnant à la fois l’Asie et l’Europe.
Pour Michel GARDER l’hypothèse la moins probable est H 1, une hypothèse que jouent tous les chefs d’États occidentaux et orientaux.
H 2 et H 4 sont évidemment redoutables et demeurent l’une et l’autre possibles.
La seule hypothèse souhaitable est H 3, surtout ses variantes h 32 et h 33.
Ce sont là les seules éventualités dans lesquelles une « Russie nouvelle » pourrait remplacer l’entité « soviétique » et vouloir revenir dans le concert des nations, ce que depuis 1922 l’URSS, de LÉNINE à TCHERNENKO, n’a jamais voulu.
C’est la seule possibilité de voir se refaire l’unité de la civilisation hélléno-judéo-chrétienne en vue d’aborder de façon constructive les grands problèmes du prochain millénaire.
H 3 pourrait ainsi apporter une solution au problème afghan en mettant un terme à l’agression actuelle et aux souffrances indescriptibles de ce peuple héroïque… et si peu aidé.
L’assistance applaudit longuement les deux conférenciers.
Le Colonel PAILLOLE remercie au nom de tous Omaïoun TENDAR – qu’il assure du soutien de l’AASSDN à la Résistance afghane, et Michel GARDER.
Il revient ensuite à leur « duo » en mettant l’accent sur la similitude des situations d’avant-guerre et d’aujourd’hui, « qui se rejoignent par l’impuissance des nations et leur indifférence sous le signe du pacifisme. Aujourd’hui la Pologne et l’Afghanistan et à l’époque l’Anschluss… C’est, hélas, une fois de plus, notre civilisation occidentale qui est en jeu ».