Le journaliste luxembourgeois Henri KOCH-KENT, ami du Colonel DOUDOT, nous a fait parvenir un très intéressant article qu’il a pu rédiger récemment, sur la base d’informations recueillies auprès d’un ancien officier de l’Abwehr, à propos des Archives secrètes françaises tombées aux mains des Allemands en gare de LA CHARITE-SUR-LOIRE en Juin 1940.Cette affaire, amplement exploitée à l’époque par la propagande allemande et les journaux collaborationnistes Français, a parfois été utilisée pour discréditer le 2ème Bureau et les Services Spéciaux. On a prétendu également que grâce aux documents récupérés, les Allemands ont pu identifier certains agents de nos Services, ce qui est inexact. Nous publions ci-dessous l’article de M. KOCH-KENT en le remerciant de son obligeance.

” On sait qu’en Juin 1940, les Allemands découvrirent, à La Charité-sur-Loire, de nombreux dossiers secrets du Grand Quartier Général Français. On crut longtemps qu’il s’agissait des archives du 2ème Bureau. L’affaire fut exploitée à fond par la propagande hitlérienne. Tous les journaux ennemis publièrent de longs extraits des documents saisis. La radio de Goebbels leur consacra d’innombrables émissions en plusieurs langues. Ribbentrop, le ministre des Affaires Etrangères, fit paraître, à l’intention du public français, un ” livre blanc ” de 400 pages, avec la reproduction, en fac-similé, de 70 rapports militaires ou lettres officielles.

D’après le major-général Ulrich LISS, qui centralisait les renseignements pour le Haut Commandement de l’Armée allemande (O.K.H.), le butin n’avait pas une valeur immédiate pour la conduite de la guerre. Il comportait cependant des aspects politiques compromettants pour certains pays, comme la Suisse qui avait signé secrètement avec la France une convention militaire dirigée contre le III ème Reich. Dans l’attente des représailles allemandes, elle vécut des heures d’angoisse.Il y eut des commentaires passionnés, en France comme à l’étranger, au sujet du drame de La Charité. Pour les uns le mythe de la ” cinquième colonne ” étant à son apogée, c’était l’œuvre de ” traîtres ” haut placés. D’autres attribuèrent la prise à l’efficacité de l’Abwehr, dont ils ignoraient à cette époque les démêlés avec le S.D., et l’inefficacité en France où ses réseaux avaient été décapités.

Il est établi désormais que la découverte des documents ne fut que le résultat du hasard. Cette thèse est confirmée par un témoin, le colonel e. r. Erwin Kaffke, qui a bien voulu reconstituer le déroulement des événements.

Major en 1940, le colonel Kaffke, officier de l’Abwehr, était attaché à l’Etat-Major de la 2ème Armée allemande, établi depuis le 14 juin à Clamecy. En pleine nuit, à 2 h. 30, un courrier motorisé remet sans commentaire à l’officier de service trois dossiers qui portent l’inscription ” Grand Quartier Général ” et dont le contenu est muni du cachet ” Secret ” ou ” Très secret “.

Immédiatement alerté, le major Irkens, chef du bureau des renseignements de la 2ème Armée, charge son collègue Kaffke d’identifier le lieu de la découverte des dossiers, qui avaient été transmis sans note explicative. Celui-ci apprend qu’ils ont été trouvés à la gare de La Charité, à une soixantaine de kilomètres de Clamecy. Il se rend sur place pour voir s’il y a d’autres documents à saisir. En même temps, par ordre téléphonique, la gare de La Charité est placée sous surveillance.

Vers 3 h. 30, le major Kaffke se met en route, accompagné de quatre officiers, de deux gradés de la police militaire secrète et de quelques interprètes… Arrivés à l’aube devant la gare, les enquêteurs questionnent les soldats qui montent la garde, conformément aux instructions reçues. Personne n’est au courant de la découverte des documents. Il faut procéder à la fouille systématique des trains bloqués à cause des destructions subies par le pont ferroviaire, situé à proximité, sur la ligne de Bourges.

Après une heure de recherches minutieuses, le capitaine de cavalerie Neinhaus (maire de Heidelberg) est le premier à repérer l’endroit d’où provenait le butin initial. Dans deux voitures de marchandises, il découvre les archives secrètes du Général chef d’état-major de la Défense Nationale. Elles sont entassées dans un fatras indescriptible, parmi des objets hétéroclites. Bouteilles de vin, aliments divers, machines à écrire, téléscripteurs, matériel de téléphone, appareils de projection, films ultra-secrets, vêtements militaires, le tout avait été fourré pêle-mêle dans les wagons, en même temps que les dossiers. Pêchant dans le tas des documents, les Allemands poussent des cris de surprise quand ils tombent sur des pièces officielles qui portent les signatures de contemporains illustres. Il s’agit d’une véritable collection d’autographes de personnalités alliées, civiles et militaires, comme Churchill, Chamberlain, Daladier, Gamelin, Ironside, Reynaud et Weygand. Les papiers sont souvent souillés par des taches de confiture ou de moutarde.

Réalisant l’importance de la trouvaille, le groupe Kaffke ramène en hâte son butin à Clamecy, où une équipe de traducteurs trie provisoirement les documents, en les annotant. Le lendemain, ils seront acheminés, par deux avions spéciaux, au quartier général de l’Armée (O.K.H.), quelque part à l’arrière, où se trouvait Hitler.

Chargé non seulement de mettre la main sur les dossiers de La Charité, mais aussi de rédiger le rapport sur les circonstances de la découverte, il fallut une semaine au major Kaffke pour fixer les détails de cette invraisemblable affaire.

Tout a commencé par la destruction du pont de la Loire. Parmi les voitures des trains bloqués à La Charité se trouvaient celles du Grand Quartier Général. Elles étaient en route pour Vichy. Un détachement de reconnaissance ouvrit le feu sur les soldats français affectés à la garde du train. Avec les cinq officiers qui les commandaient, ils furent faits prisonniers, pour être interrogés plus tard par le major Kaffke.

Quelques heures après cet incident, le lieutenant Runzer, chef d’un détachement de transmission radio, se trouvait à court de carburant. Pour se ravitailler en essence, il envoya son chauffeur, le caporal Kranzer, à La Charité. Après avoir fait en vain le tour de la ville, presque déserte, Kranzer décida d’inspecter les voitures de marchandises arrêtées sur les quais de la gare. Il y trouva bientôt les bidons qu’il lui fallait.

A-t-il alors poursuivi ses investigations dans l’espoir de ramener quelques bonnes bouteilles? Pour éviter l’accusation de pillage, il s’est bien gardé de faire des aveux au major Kaffke, venu l’interroger, après avoir mis trois jours pour retrouver sa trace, les unités allemandes ayant continué leur progression, malgré le cessez-le-feu du 17 Juin.

Kranzer emporta, on le sait, trois dossiers, sans réaliser l’importance de sa prise. Il n’avait pas compris non plus la signification de l’inscription, tracée à la craie sur les wagons en question :” Grand Quartier Général Matériel “.

Le lieutenant Runzer à qui il remit les documents, était loin, lui aussi, de se douter du trésor découvert par son chauffeur. Par routine, il transmit les documents à l’état-major de sa division, sans toutefois en spécifier l’origine. Ce n’est qu’à l’état-major de la 2ème Armée qu’on se rendit compte de la portée du renseignement.

En agissant vite, le major Kaffke a probablement empêché des cheminots de récupérer la précieuse cargaison abandonnée à La Charité.

Sans l’alléchante présence des bouteilles, le caporal Kranzer n’aurait probablement pas remarqué les dossiers qui avaient éveillé sa curiosité. Ainsi se confirme le dicton que les petites cause sont souvent à l’origine des grands effets.”

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