1939-40 : Comment le commandement militaire français est informé des plans d’invasion allemands
Un de nos camarades de l’École Supérieure de Guerre résumait ainsi le drame du Renseignement en France « Chez nous, l’Ennemi est toujours de trop. On a tellement d’ennuis avec nos propres forces et surtout avec nos Alliés, qu’on n’a pas le temps de s’occuper de ce cochon-là. Mais comme il faut quand même un ennemi dans un Ordre d’opérations – il existe un paragraphe à cet effet, on s’en crée un sur mesure en fonction de sa propre idée de manoeuvre. » Le dernier livre de notre Président National “Notre espion chez Hitler” confirme amplement la boutade de notre camarade. Ainsi nos services avaient la chance de posséder au coeur même de la machine de guerre ennemie – cela en dehors d’autres sources de premier plan, un agent aussi précieux que H.E., sans que pour autant le Haut Commandement français eût cru bon de reconsidérer son plan d’Opérations. Celui-ci, avec en particulier la fameuse “Hypothèse Dyle”, avait été établi en fonction d’un Ennemi auquel on avait prêté l’intention de recommencer la même manoeuvre à travers la Belgique qu’en 1914.
Même en admettant que la source H.E. n’ait pu indiquer à temps, de façon explicite, que l’effort principal du Plan jaune devait porter sur les Ardennes et ensuite en direction de la Manche, elle avait néanmoins fourni suffisamment d’informations sur les forces blindées allemandes et sur leur doctrine. Dès lors il est incompréhensible que l’État-major français ait couru le risque d’une bataille de rencontre avec un adversaire plus puissant et plus mobile dans « le plat pays » plutôt que de l’attendre à l’abri du système fortifié prolongeant la Ligne Maginot. Or il se trouve que grâce à d’autres sources citées par le Colonel Paillole dans son livre précédant “Services Spéciaux”, l’intention allemande d’agir en priorité sur l’axe Sedan-Dunkerque apparaissait nettement. On n’en a pas tenu compte en haut lieu sous le prétexte discutable de l’imperméabilité aux blindés du massif des Ardennes.
On pourra nous rétorquer que l’Armée française n’a pas été la seule à avoir connu une surprise stratégique au cours de la dernière guerre mondiale et que l’Armée Rouge a, elle aussi, été prise en défaut en 1941. En fait il existe une grande différence entre les deux catastrophes initiales, française et soviétique, dans la mesure où en U.R.S.S. la responsabilité incombait totalement à Joseph Staline et non au Commandement – lequel n’osait pas contredire le dictateur, alors qu’en France, malheureusement, les militaires sont les premiers responsables.
Cette amère constatation n’absout en rien les fautes accumulées depuis la victoire de 1918 par le pouvoir civil, mais en tant qu’Anciens du Renseignement nous nous devons d’être objectifs. Il s’agit là d’une constante de notre Histoire militaire qui fait que depuis Napoléon nous avons connus mains revers dus à la marginalisation du Renseignement. Le Bureau Noble, par définition, a toujours été le 3em – Opérations ; les bureaux utiles étant le 1er – Mobilisation – Avancement-Décoration et le 4em – Logistique. Le 2em n’était, hélas, que celui des Cassandre. Il suffit d’évoquer la catastrophe de 1870 et les difficiles débuts de 1914 pour s’en convaincre.Il est réconfortant pour nous de constater que Notre Chère Vieille Maison a été à la hauteur de sa tâche avant et pendant les deux Guerres Mondiales. Cela ne nous empêche pas d’éprouver quelques appréhensions en ce qui concerne l’avenir du pays.